L`Éducation pour la libération en Afrique - unesdoc

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Directeur : Henri Dieuzeide
Rédacteur en chef : Zaghloul M o r s y
Assistant au rédacteur en chef : Alexandra Draxler
Les articles paraissant dans Perspectives expriment l'opinion de leurs auteurs et
non pas nécessairement celle de l'Unesco ou de la rédaction. Ils peuvent être
reproduits, sous réserve de l'autorisation préalable d u rédacteur en chef.
Prière d'adresser toute correspondance au rédacteur en chef,
Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris.
L a Rédaction serait heureuse d'examiner pour publication, contributions ou
correspondances contenant des avis motivés — favorables o u n o n — sur
les articles de Perspectives.
1975 Année internationale de la femme
Perspectives est également publiée en anglais
(Prospects, quarterly review of education), en espagnol
{.Perspectivas, revista trimestral de educación),
et en arabe (Mustaqbal al-Tarbiya).
Publié par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science
et la culture, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris.
Imprimerie des Presses Universitaires de France Vendôme.
© Unesco 1975
Abonnement annuel : 32 F
Le numéro : 9,50 F
U n e formule d'abonnement et la liste des agents généraux
pour chaque pays se trouvent à la fin de ce numéro.
revue trimestrielle d e l'éducation
Vol. V
Sommaire
n° i
1975
L'éducation pour la libération en Afrique
Mwalimu Julius K. Nyerere
Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports
Aklilu Habte
Auto-éducation et cultures novatrices
Paul-Henry Chombart de Lauwe
22
Positions / Controverses
Les tests à l'école : aide ou obstacle ? Jerrold R. Zacharias
37
3
Pièces pour un dossier :
L'éducation dans les pays les moins développés
Présentation
Quelle éducation pour quel développement ? Samir Amin
Éducation et travail : éléments pour une stratégie Manzoor Ahmed
Retour aux langues et aux cultures nationales Abdou Moumouni
Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées
au développement Henri Dieuzeide
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
Francis J. Method
L e défi laotien : une éducation non « polluante » Kamphao Phonekeo
L a refonte du système d'éducation au Népal
Dibya Deo Bhatt et Mohammad
Mohsin
U n e université au service de trois nations Cyril A. Rogers
103
108
Tendances et cas
"3
50
52
57
68
76
82
94
Recherche de nouvelles méthodes d'enseignement en
Tchécoslovaquie Bogumir Kujal
L e baccalauréat international Gérard Renaud
Télévision éducative et réforme de l'enseignement en El Salvador
John K. Mayo, Robert C. Hornik et Emile G. McAnany
Notes et comptes rendus
L e cycle de base de l'éducation. L e programme asiatique de copublication.
Rôle de l'enseignement supérieur dans l'éducation permanente : u n colloque.
Revue de publications. Quelques publications récentes de l'Unesco.
Nouvelles d'organisations et de fondations internationales. Livres reçus.
135
A u printemps 1973, nous avions le plaisir d'annoncer à nos lecteurs
la parution en coédition avec Santillana (Madrid) de la version de
Perspectives en langue espagnole.
Dans le droit fil de l'encouragement par l'Unesco de nouvelles
éditions de la revue dans des langues de grande diffusion, la Rédaction
est heureuse de porter à la connaissance de ses lecteurs qu'une
version en langue arabe sous le titre : Mustaqbal al-Tarbiya,
similaire en tous points à celles qu'ils lisaient en anglais, espagnol
ou français, paraît désormais au Caire, par les soins de l'Unesco
Publications Centre, organisme national relevant de la Commission
nationale égyptienne pour l'Unesco.
U n numéro hors série regroupera une sélection des articles parus
dans le volume IV, 1974 ; les numéros ultérieurs, à partir d u volume V ,
n° i, printemps 1975, paraîtront régulièrement peu après les éditions
anglaise et française.
Les lecteurs que cette version intéresse devront adresser leur
demande de souscription au : Directeur de l'Unesco Publications
Centre, 1, Talaat Harb Street, Tahrir Square, Cairo, Egypte.
Mwalimu Julius K . Nyerere
L'éducation pour la libération
en Afrique1
M w a l i m u Julius
K . Nyerere. Président
de la République-Unie
de Tanzanie.
Auteur notamment de
Education
for self reliance,
Ujama,
essays on socialism,
Socialism
and rural
development.
Freedom and socialism.
L'Afrique n'a guère réfléchi jusqu'à présent au problème de l'éducation. N o u s savons, ou croyons savoir, que ce qu'on appelle 1' « éducation » est une bonne chose. E n conséquence, tous les gouvernements
africains y consacrent une part importante des recettes publiques.
Cependant, j'ai parfois l'impression que pour nous autres Africains
l'éducation doit au fond tendre à faire de nous des Européens
— ou des Américains — à peau noire. Je dis cela parce que les
politiques que nous appliquons en la matière montrent clairement
que nous attendons en fait de l'éducation qu'elle nous permette
d'obtenir les m ê m e s succès matériels que l'Europe et l'Amérique.
Voilà bien l'objectif de notre action.
Mais nous ne nous s o m m e s pas encore sérieusement demandé s'il
était possible de parvenir à ce résultat, ni si l'imitation des réalisations matérielles de l'Europe et de l'Amérique était pour l'Afrique
un objectif souhaitable. A m o n avis, il est urgent aujourd'hui
d'examiner ces deux problèmes.
N o u s nous proposons ici de procéder à une réévaluation complète
de ce qui se fait en Afrique dans le domaine de l'éducation et de
déterminer les divers choix possibles. Peu de choses peuvent rendre
plus de services à notre continent. Cependant, sans nous considérer
c o m m e liés par le passé, nous ne devons pas perdre de vue les réalités
pratiques. N o s populations se font une certaine idée de l'éducation ;
m ê m e si cette conception est erronée et contraire à leurs besoins
véritables, il est impossible de faire c o m m e si elle n'existait pas.
I. L e présent article est une version légèrement retouchée du discours que le président
Nyerere a prononcé à l'occasion d'un séminaire sur l'éducation, la formation et les divers
choix d'éducation dans les pays d'Afrique, organisé par la Fondation D a g Hammarskjöld
à Dar es Salaam (République-Unie de Tanzanie) en mai 1974. C e discours est reproduit
avec l'aimable autorisation des autorités tanzaniennes.
3
Perspectives, vol. V , n° I, 1975
Mwalimu Julius K. Nyerere
D ' u n autre côté, il n'y a aucune raison de considérer la politique
actuelle de l'éducation en Afrique c o m m e la seule, ni m ê m e c o m m e
la meilleure, possible.
Permettez-moi de vous exposer certaines des idées qui m e sont
venues à l'esprit en considérant l'expérience que nous avons acquise.
Car je suis de plus en plus fermement convaincu qu'en RépubliqueUnie de Tanzanie nous n'avons pas encore découvert de politique
de l'éducation qui soit satisfaisante, o u bien que nous n'avons pas
réussi à appliquer notre politique, ou encore qu'il y a d u vrai dans
ces deux hypothèses.
E n 1967, j'avais défini c o m m e suit le but de l'éducation : « Transmettre d'une génération à la suivante la s o m m e d'expérience et
de connaissance accumulée par la société, et préparer les jeunes à
entrer dans cette société et à participer activement à son maintien
ou à son développement. »
Aujourd'hui, sept ans plus tard, je considère encore cette définition c o m m e satisfaisante. Mais cette définition visait à s'appliquer
à toutes les formes de société — elle se voulait universelle, objective
et descriptive. Pour qu'elle puisse nous guider dans notre action
en Afrique, il faut donc la développer et la renforcer quelque peu. Et je
crois que le point sur lequel nous devons insister peut s'énoncer très simplement : le but essentiel de l'éducation est la libération de l ' h o m m e .
« Se libérer », c'est « se libérer de quelque chose ». Toute libération
suppose la suppression de certaines entraves à la liberté ; elle peut
donc se réaliser par degrés et suivre u n certain processus. Supposons,
par exemple, qu'un h o m m e réussisse à dégager ses poignets et à
libérer ses bras : il peut se servir de ses mains pour libérer ses pieds
de leurs fers. Mais l ' h o m m e peut être physiquement libre et rester
dans les fers si son esprit subit la contrainte d'habitudes et de
comportements qui limitent ses possibilités d'être humain.
L'éducation doit libérer à la fois l'esprit et le corps de l ' h o m m e .
Elle doit en faire u n être humain au plein sens d u terme, en lui
faisant prendre conscience de ses possibilités d ' h o m m e , et en lui
permettant d'être en rapport harmonieux et vivifiant avec lui-même,
c o m m e avec ses voisins et son environnement. L'éducation doit
donc mettre l ' h o m m e en mesure de se débarrasser des entraves à sa
liberté qui l'empêchent de parvenir au plein épanouissement de
ses facultés physiques et mentales. Il s'agit d'acquérir à la fois certaines attitudes et certaines compétences. L'éducation est incomplète
si elle apprend à l ' h o m m e à élaborer des projets savants de paix
universelle sans lui enseigner les moyens de nourrir convenablement
4
L'éducation pour la libération en Afrique
et sa famille et lui-même. Elle est également incomplète et stérile
si elle se borne à lui enseigner la façon de fabriquer des outils et
de s'en servir habilement, et si elle néglige sa personnalité et ses
relations avec ses semblables.
C e que je veux dire, c'est qu'une nation libérée, en Afrique ou
ailleurs, n'est pas simplement une nation qui s'est débarrassée
d'occupants étrangers. C e succès initial, pour essentiel qu'il soit,
n'est qu'une première étape dans la voie de la libération. L a libération signifie plus que cela. U n e nation n'est vraiment libre que
lorsqu'elle peut compter sur ses propres forces, lorsqu'elle n'est
plus dépendante économiquement et culturellement d'autres nations,
lorsqu'elle est, de ce fait, en mesure de se développer en coopérant
librement et sur u n pied d'égalité avec les autres m e m b r e s de la
communauté mondiale.
Il en est de m ê m e pour l ' h o m m e . U n h o m m e libéré se reconnaît
essentiellement au fait qu'il a pris conscience de deux choses : sa
propre nature d'être humain et l'aptitude de l ' h o m m e à se servir
des circonstances, au lieu d'en être le jouet. Il doit avoir surmonté
tout sentiment intérieur d'infériorité, ou de supériorité, et se montrer
ainsi capable de coopérer avec ses semblables, sur un pied d'égalité,
en vue de la réalisation d'objectifs c o m m u n s .
E n ce sens, u n h o m m e peut être libéré alors que son pays est encore
colonisé et — théoriquement d u moins — quand lui-même n'est
pas encore libre physiquement. Car c'est seulement lorsque l ' h o m m e
s'est déjà libéré mentalement dans une certaine mesure qu'il peut
engager le combat pour sa libération physique avec quelque chance
de succès. Celui qui se considère inférieur aux autres en raison de sa
naissance leur restera inférieur dans la société organisée. L ' h o m m e
suffisamment libéré pour rejeter les concepts d'esclavage et de colonialisme et refuser sa propre condition d'esclave a fait les premiers
pas dans la voie de l'abolition de son état d'esclave et de colonisé.
Car nul h o m m e n'est assuré de sa propre liberté tant que subsiste
l'esclavage. Il n'est pas possible d'être Ubre dans une société esclavagiste sans lutter contre l'esclavage. Tout h o m m e libéré dans une
société qui n'est pas libre combat inévitablement pour la liberté
et s'efforce, pour atteindre ses objectifs, de tirer parti de toutes les
circonstances, m ê m e les plus défavorables. Si, par exemple, il est
contraint de servir dans une armée coloniale, il apprendra le maniement des armes, il verra c o m m e n t combat son ennemi et, le m o m e n t
venu, il saura saisir l'occasion de mettre ses connaissances au service
de la libération nationale.
5
Mwalimu Julius K. Nyerere
Et quand son pays aura chassé l'occupant étranger, cet h o m m e
libéré s'apercevra que sa tâche n'est pas terminée. Car il rejettera
la misère, la maladie et l'ignorance c o m m e il a rejeté l'esclavage,
sachant que ces fléaux détruisent aussi efficacement la personnalité
humaine qu'un surveillant armé d'un fouet. L ' h o m m e libéré travaillera avec ses semblables à éliminer ces m a u x , en utilisant de nouveau
toutes les ressources à sa disposition. Et ces ressources pourront être
son propre savoir, les connaissances des autres, la terre, l'eau, ou
tout simplement son propre labeur. C e combat, fondé sur la confiance
en soi, lui permettra de se libérer davantage, parce qu'en luttant
contre ce qui dégrade les h o m m e s il fera progresser l'humanité.
Il appartient à l'éducation de réaliser, ou tout au moins d'entreprendre, cette libération des esprits en Afrique. L'éducation doit
libérer l'Africain de sa mentalité d'esclave et de colonisé en lui
apprenant à se considérer c o m m e u n m e m b r e à part entière d u
genre humain, avec les droits et les devoirs que cela comporte.
L'éducation doit le délivrer de l'habitude de se soumettre, c o m m e
si elles étaient immuables, à des circonstances qui portent atteinte
à sa dignité. Elle doit le délivrer des entraves de l'ignorance des
techniques et le mettre à m ê m e de fabriquer et d'utiliser les outils
de l'organisation et de la création pour assurer son développement
personnel et celui de ses semblables.
L'éducation a donc pour objet de libérer l ' h o m m e en favorisant
son développement au sein de la société. Il ne s'agit pas d'accroître
la production d'objets — qu'il s'agisse de pyramides, de fossés
d'irrigation, de chemins de fer ou de palais. Cette forme de développement — habituellement appelée développement économique —
peut faire partie d u développement de l ' h o m m e . Il en est ainsi en
Afrique. Mais l'éducation ne doit pas viser à fabriquer des techniciens dont on pourra se servir pour développer l'économie. Elle
doit former des h o m m e s qui auront les connaissances et les capacités
techniques nécessaires pour développer l'économie et la mettre au
service de l ' h o m m e dans la société.
Il ne s'agit pas là d'un simple jeu de mots, ni d'une distinction
dépourvue d'importance. Il est indubitable que l'Afrique a le plus
grand besoin d ' h o m m e s possédant des connaissances techniques, et
que sa liberté est restreinte par leur absence. Je ne cherche pas à
déprécier la formation technique au profit de ce qu'on appelle parfois
la culture générale. Bien au contraire. E n Tanzanie d'ailleurs, nous
venons précisément d'entreprendre un grand programme pour donner
à notre système d'enseignement u n caractère pratique et technique.
6
L'éducation pour la libération en Afrique
C e que j'essaie de faire, c'est d'établir une nette distinction entre u n
système d'éducation qui donne à des h o m m e s et à des f e m m e s
libérés le m o y e n d'utiliser habilement les outils, et u n système
d'enseignement qui les transforme en simples outils. Je voudrais
être sûr que notre éducation technique et pratique formera des
créateurs et non des créatures. J'aimerais être assuré que nos établissements d'enseignement ne deviendront pas, en fin de compte, des
usines fabriquant des produits commercialisables. Je veux qu'ils
élargissent l'esprit des h o m m e s et des femmes, sans faire de ces
h o m m e s et de ces femmes de bonnes machines à produire des
gadgets modernes.
E n m'exprimant ainsi, je ne crois pas avoir étendu abusivement le
sens du terme libéré. Car je parle de la libération de tout ce qui fait
la valeur de l ' h o m m e . J'estime aussi que l ' h o m m e n'est pas libéré par
son éducation s'il considère ses connaissances c o m m e u n m o y e n
d'exploiter autrui. Son attitude signifie en effet qu'il cherche à
vivre aux dépens de la société sans lui offrir en contrepartie une
contribution supérieure, ni m ê m e comparable. U n tel h o m m e considère que ses connaissances l'ont élevé au-dessus de la société. O r on
ne peut pas appeler libres ceux qui n'attribuent pas à la liberté et à
l'être d'autrui la m ê m e valeur qu'à leur liberté et leur être propres.
L ' h o m m e est en effet u n animal social. U n h o m m e isolé ne peut
être ni libéré ni éduqué : ces mots sont alors dépourvus de sens ;
ils ne peuvent s'appliquer par exemple à u n enfant abandonné qui
aurait été élevé par des loups. Par conséquent, l'éducation est une
activité sociale, qui a u n objectif social. C e sont les individus qui
sont éduqués. Mais ils sont éduqués par leurs semblables, pour
le bien c o m m u n de tous les m e m b r e s de la société. L'éducation vise
à en faire des êtres humains faisant partie de la communauté des
hommes.
C e sont là des idées difficiles à exprimer en termes positifs, parce
que chaque individu est à la fois u n être unique et une partie d u
genre humain, et que chaque individu libéré apportera une contribution unique à l'ensemble de l'humanité. Cependant, il est facile
de concevoir ce qu'est le contraire de l'éducation, au sens que j'essaie
de préciser. C o m m e je l'ai déjà indiqué, c'est une forme d'éducation
qui apprend à l'individu à se considérer c o m m e une marchandise
dont la valeur est déterminée par des certificats, des diplômes et
tous autres titres professionnels.
Malheureusement, ce que nous appelons l'éducation en Afrique
— et en Tanzanie — aboutit encore trop souvent à ce genre de
7
Mwalimu Julius K. Nyerere
contre-éducation. Il existe des professionnels qualifiés qui déclarent :
« M a valeur sur le marché est supérieure au traitement que je touche
en Tanzanie. » Mais aucun être humain n'a de valeur marchande
— sauf s'il s'agit d'un esclave. Il y a des gens instruits qui occupent
des postes élevés dans l'administration ou des organismes semipublics et qui continuent de chercher u n poste en disant : « J'ai
de l'instruction, mais on ne tient pas suffisamment compte de m e s
titres ; je devrais avoir une plus belle demeure — ou u n traitement
plus élevé, ou être mieux considéré — que telle ou telle personne. »
Mais la valeur d'un être humain ne saurait se mesurer à son traitement, sa demeure ou sa voiture, ni à l'uniforme de son chauffeur.
Ceux qui se plaignent ainsi s'imaginent qu'ils ne font qu'affirmer
leurs « droits » de personnes instruites. Ils croient affirmer la valeur
de leur éducation et leur valeur personnelle.
E n réalité, ils font tout le contraire. C e qu'ils disent en réalité,
c'est : « M o n éducation a fait de m o i une marchandise c o m m e r cialisable, c o m m e le coton, le sisal ou le café. » Et ils montrent
qu'au lieu de libérer leurs qualités humaines, en leur donnant u n e
meilleure chance de s'exprimer, l'éducation qu'ils ont reçue les a
avilis. Car ils prétendent qu'étant des produits de qualité supérieure
ils doivent être échangés, sur le marché, contre des produits d'égale
valeur. Ils ne se présentent pas — d'ordinaire tout au moins —
c o m m e des êtres humains supérieurs, mais c o m m e des marchandises
de meilleure qualité. Ainsi, leur éducation en a fait des objets, des
dépôts de connaissances, des ordinateurs d'un type spécial. O n leur
a appris à se considérer e u x - m ê m e s et à considérer les autres c o m m e
des objets ou des marchandises.
Celui qui adopte cette attitude passe inévitablement sa vie à
soutirer de la collectivité tous les avantages possibles — en ne lui
apportant en retour qu'une contribution minimale — et à vivre
selon ses désirs. Il exploite la communauté locale dont il reçoit
nourriture, vêtements, logement et formation. Il exploite la c o m m u nauté mondiale quand il circule, c o m m e une balle de coton, à la
recherche d u marché où le prix des compétences qu'il a acquises
est le plus élevé.
U n tel individu n'est pas u n être humain libéré, c'est u n produit
commercialisé.
N o u s condamnons ces individus, ou nous les plaignons, car ils
symbolisent l'échec de la société. Mais il vaudrait mieux nous en
prendre au système qui produit de tels gens et le réformer.
Car c'est le type d'éducation que nous dispensons actuellement en
8
L'éducation pour la libération en Afrique
Afrique, et les valeurs sociales sur lesquelles il est fondé qui produisent ces gens que nous condamnons. C'est notre système d'éducation qui inculque aux jeunes gens et aux jeunesfillesl'idée que leur
éducation est monnayable et qui attire leur attention sur le prix
qu'ils peuvent en tirer. C'est notre système éducatif qui ignore la
valeur inestimable d'un être humain libéré qui coopère avec ses
semblables à l'édification d'une civilisation digne de créateurs conçus
à l'image de Dieu.
D e cette description des résultats de notre système éducatif,
comparés à ceux qu'il faudrait obtenir, se dégagent clairement deux
conclusions.
L a première est qu'il nous appartient, à nous Africains, de remettre
en question les valeurs sociales et le système d'éducation qui
forment ainsi des gens qui se considèrent c o m m e des produits
commerciaux et qui ne sont, sur le plan social, que des ratés. U n
tel m o u v e m e n t ne doit pas servir de prétexte à des attaques politiques
contre les dirigeants africains actuels, car le système en vigueur est
un produit de notre histoire. Mais, en tant que dirigeants, nous
serons critiqués, c o m m e il se doit, dans l'avenir si nous refusons de
reconnaître aujourd'hui que des changements sont indispensables.
N o u s serons condamnés, c o m m e il se doit, par les générations futures
si nous n'essayons pas dès maintenant de découvrir et d'adopter
un système d'éducation capable de libérer la jeunesse africaine.
L e second point est que l'éducation ne peut être indépendante de
la société. L e système scolaire ne peut éduquer u n enfant en l'isolant
du système socio-économique dans lequel il vit. Dire que l'éducation
doit être intégrée à la société est u n Heu c o m m u n . Mais, en fait,
l'éducation fait inévitablement partie intégrante de la société. A u x
enfants c o m m e aux adultes, l'expérience de la vie apprend plus de
choses que les livres et les maîtres.
U n instant de réflexion suffit pour confirmer cette remarque.
Supposons que, dans une école, on enseigne aux enfants que la vertu
suprême consiste à coopérer avec autrui et à aider ceux qui éprouvent
plus de difficultés que soi-même. Qu'arrivera-t-il si l'accès à une
situation privilégiée dans la société — qu'il s'agisse de l'accès à
l'enseignement supérieur ou d'autres avantages sociaux ou économiques — est fondé uniquement sur des connaissances de caractère
livresque ? L'enfant qui aura bien écouté le conseil de ses maîtres
sera rejeté, car il aura passé son temps à aider ses camarades afin
d'améliorer le niveau général des connaissances, tandis que le mauvais
élève ne se sera occupé que d'acquérir les connaissances correspondant
9
Mwalimu Julius K. Nyerere
aux critères de sélection. L a vie se chargera donc d'apprendre à tous
les élèves que si la coopération est u n devoir sacré, c'est la recherche
de l'intérêt personnel qui détermine la situation sociale, le revenu
et le pouvoir des individus. D e u x choses auront contribué à leur
donner cette leçon : d'une part, l'existence m ê m e de privilèges
sociaux et, d'autre part, les critères selon lesquels sont choisis les
bénéficiaires de ces privilèges.
L'enseignement officiel dispensé dans les écoles ou les cours pour
adultes ne peut remplacer l'expérience de la vie acquise en dehors
du système 'd'éducation. A u c u n système scolaire ne peut non plus
fonctionner efficacement s'il va à l'encontre des pratiques sociales.
Et pourtant, en Afrique, des changements s'imposent : il s'agit
de savoir par où commencer.
Sans m e risquer à généraliser le débat, je puis dire qu'il est évident
— en Afrique tout au moins — que ce n'est pas en renonçant à u n
système d'éducation institutionnalisé que l'on parviendra à intégrer
l'enseignement à la société. N o u s ne pouvons revenir sur nos pas
et nous fier exclusivement au système traditionnel, à ce que j'ai
appelé antérieurement 1' « apprentissage par la vie et l'action ».
N o u s ne pouvons revenir en arrière parce que la science moderne
n'est pas répandue dans nos sociétés. M ê m e les valeurs sociales
de la coopération ont souvent été battues en brèche par les effets
d'un capitalisme importé. Les techniques modernes de production,
d'échange et d'organisation étaient inconnues dans l'Afrique traditionnelle et sont encore ignorées par la majorité de nos adultes.
Notre situation est donc la suivante : d'une part, nos systèmes
officiels d'enseignement — dont la conception et le fonctionnement
sont sans rapport avec la société dans laquelle les élèves qu'ils
forment vivront plus tard — ne peuvent guère nous aider à libérer
les populations africaines ; mais, d'autre part, revenir à l'apprentissage par la vie et l'action dans la société existante nous placerait
dans u n état d'arriération sociale et technologique tel que tout espoir
de libérer les habitants de nos pays dans u n avenir prévisible devrait
être abandonné.
Il faut donc que nous parvenions à combiner les deux systèmes.
N o u s devons intégrer l'enseignement de type scolaire à la société.
Et nous devons en m ê m e temps l'utiliser c o m m e u n catalyseur pour
favoriser la transformation de cette société. Telle est, à m o n avis,
la tâche qui s'impose à nous. C'est une tâche que diverses nations
africaines, ou divers groupes dans ces nations, s'efforcent de mener
à bien depuis une dizaine d'années. D e s travaux intéressants ont
10
L'éducation pour la libération en Afrique
été effectués, une expérience précieuse a été acquise. Il faut maintenant examiner avec soin ces résultats et mettre en pratique ce
qu'ils nous enseignent.
Je n'ai pas à présenter aujourd'hui u n « rapport national » consacré
à la Tanzanie, mais je crois qu'il est juste de dire que nous avons
en tout cas reconnu que nous devions adapter notre système d'enseignement à notre situation et à nos aspirations : en 1967, nous avons
défini assez ambitieusement notre politique c o m m e l'apprentissage de l'autonomie; la structure actuelle du système qui en est
résulté marque certainement u n progrès par rapport à nos pratiques
antérieures.
Bien entendu, il faut d u temps pour changer u n système d'enseignement, et il faut attendre encore plus longtemps avant de pouvoir
évaluer les résultats de ces changements. Les jeunes qui sont entrés
à l'école primaire en 1967 viennent seulement de terminer leur
septième année d'études, et ceux qui sont entrés dans une école
secondaire il y a sept ans en sont seulement à leur première année
de formation postsecondaire ou de vie professionnelle. Il est trop
tôt pour déterminer avec certitude les résultats obtenus.
Il nous faut cependant reconnaître, je crois, que nous n'avons pas
fait tout ce qu'il aurait fallu. N o u s avons été trop timides — nous
nous s o m m e s montrés trop peu libérés — pour transformer radicalement, c o m m e il était nécessaire, le système dont nous avions hérité.
N o u s avons apporté à ce système des changements importants,
notamment en ce qui concerne les plans et les programmes d'études.
Mais nous jugeons encore en fonction des « normes internationales »
de l'éducation. A nos yeux, u n Tanzanien n'est vraiment cultivé
que lorsqu'il a reçu une forme d'éducation reconnue et jugée acceptable par les autres pays, notamment les pays anglophones. C'est à
l'étranger que nous demandons de nous décerner des brevets de
respectabilité.
Ainsi, le premier problème que nous n'avons pas encore résolu
est d'avoir suffisamment confiance en nous-mêmes pour refuser
les choses jugées les meilleures au m o n d e — quel que soit le sens
de cette expression — et choisir au contraire celles qui conviennent
le mieux à notre propre situation. E n matière d'éducation, d'industrie,
d'agriculture et de commerce, nous préférons trop souvent imiter
aveuglément, plutôt que de prendre des initiatives ou de procéder à
des adaptations rationnelles.
L e second problème est que nous semblons incapables ou peu
désireux d'intégrer réellement l'éducation à la vie, ainsi qu'à la
11
Mwalimu Julius K. Nyerere
production. Je ne veux pas dire que nous n'ayons pas fait de progrès
dans cette voie, ni que notre impuissance à progresser davantage
tienne uniquement aux préjugés de nos éducateurs. Les parents
d'élèves, les h o m m e s politiques et les travailleurs se montrent eux
aussi méfiants ou hostiles à l'égard des innovations nécessaires en
éducation. L e résultat global est qu'il est peu d'écoles qui fassent
vraiment partie intégrante de la vie d u village, si ce n'est qu'elles
occupent les enfants u n certain nombre d'heures par jour. Et ce
qui est vrai des villages l'est encore plus des villes. E n outre, peu
ou point d'écoles peuvent sérieusement prétendre que les élèves
qu'elles forment contribuent, dans une assez large mesure, à subvenir
à leurs propres besoins, et encore moins à ceux de la société en général.
E n outre, et c'est là notre troisième échec, nous n'avons pas réussi
à détruire la conviction que les résultats scolaires d'un enfant — ou
d'un adulte — le rendent particulièrement digne de louanges et lui
donnent droit à une situation sociale privilégiée. N o u s considérons
encore qu'un enfant qui n'est pas admis dans une école secondaire a
« échoué ». Et cette attitude persistera tant que nous n'aurons pas
éliminé l'idée qu'une personne qui poursuit ses études au-delà de
l'enseignement primaire doit être mieux rémunérée, simplement
parce qu'elle a reçu ce supplément d'éducation, quelle que soit la
façon dont elle l'utilise. Car c'est l'habitude de fixer les échelles de
salaires en fonction de la dernière année d'études qui résume la
conception selon laquelle l'éducation consiste à transformer la matière
première humaine en u n produit raffiné.
L à encore, il ne s'agit pas simplement d'un échec de notre système
scolaire, mais d'un échec de la société tout entière. E n fait, les éducateurs se sont montrés plus progressistes en ces matières que les autres
secteurs de la collectivité. Cela nous a permis de réduire l'importance
accordée aux résultats des examens pour l'admission des élèves dans
les écoles secondaires ; nous tenons compte d u travail en cours
d'année pour l'octroi des diplômes. Mais notre société n'a pas encore
admis que le caractère, l'esprit de coopération, le désir de servir
jouent u n rôle dans l'aptitude des gens à recevoir une formation
plus poussée. N o u s n'avons pas encore réellement songé à décider
qu'il faut avoir l'expérience de petits emplois avant d'accéder à une
formation de plus haut niveau. O n ne peut s'inscrire dans une école
tanzanienne d u second degré qu'au sortir d'une école primaire.
M ê m e l'admission d'adultes à l'université est souvent considérée
c o m m e une concession à une doctrine politique, plutôt que c o m m e
un système valable en soi !
12
L'éducation pour la libération en Afrique
L e gouvernement tanzanien, c o m m e ceux des autres pays, se
heurte à de sérieux problèmes de choix et de priorités lorsqu'il veut
déterminer l'éducation et l'organisation de la société qui conduisent
à la libération de l ' h o m m e . Si nous savions c o m m e n t effectuer tous
les changements nécessaires — et m ê m e si nous pouvions simplement dresser la liste de ces changements — je ne serais pas en train
de vous exposer nos insuccès. N o u s serions trop occupés à leur
trouver des remèdes.
Je m e suis, en fait, borné à poser des questions, sans leur apporter
de réponse. L'objet de l'éducation est la libération de l ' h o m m e . Je
n'ai pas dit que la formation de type classique était mauvaise, inutile
ou dépourvue d'importance. Je n'ai pas dit non plus que la formation
professionnelle et technique n'était pas importante. C e que j'ai
voulu suggérer, c'est que l'éducation ne doit pas être considérée
uniquement, ni m ê m e essentiellement, c o m m e u n problème relevant
des écoles, ou c o m m e u n m o y e n de faire progresser la connaissance
et les techniques.
L a diffusion des connaissances générales, professionnelles et techniques, revêt en Afrique une importance qu'on peut qualifier de
capitale. Mais s'il en est ainsi, c'est seulement parce qu'elle fait
nécessairement partie de l'éducation qui libère l ' h o m m e et lui permet
de travailler, sur u n pied d'égalité avec ses semblables, au développement d u genre humain.
13
Vers une coopération internationale
fondée sur de nouveaux rapports
Entretien avec Aklilu Habte
PERSPECTIVES Chacun sait que l'Unesco a vu ces quinze dernières
années sa configuration se transformer radicalement d u point de
vue d u nombre et de la répartition géographique de ses États m e m bres. Cette session de la Conférence générale1 a marqué l'apogée
de cette période de changement avec l'élection d'un nouveau
Directeur général. Pensez-vous qu'il s'agisse là d'une réalité ? Considérez-vous que l'Unesco entre dans une période nouvelle ?
H A B T E Certainement. Il est évident que la position des États
membres a été complètement bouleversée. Premièrement, les États
membres d u tiers m o n d e se font maintenant mieux entendre et ne
se contentent plus de reprendre des idées empruntées à tel ou tel
groupe. Ils forment leurs propres idées. Deuxièmement, en raison
de sa composition, l'Unesco ne peut pas faire abstraction des intérêts
du tiers m o n d e , détenteur de la majorité des voix. Troisièmement,
alors qu'auparavant les États membres d u tiers m o n d e ne jouaient
pas leur rôle dans l'Organisation, le Secrétariat, les bureaux régionaux,
les services de consultants mis sur pied par l'Organisation, on peut
maintenant s'attendre à une plus grande participation de leur part.
Enfin, on peut espérer que l'aide au développement tendra à satisfaire quelques-uns des besoins fondamentaux des pays les plus
pauvres et que, sans abandonner la réflexion théorique sur la d é m o cratisation, sur la régénération de l'éducation, l'Unesco s'acheminera
grâce à son programme opérationnel vers la mise en pratique de ces
théories.
i. L a dix-huitième session de la Conférence générale de l'Unesco (novembre-décembre 1974).
M . Habte était président de la Commission de l'éducation.
14
Perspectives, vol. V , n° I, 1975
Aklilu H a b t e
(Ethiopie).
B.Ed., University
of Manitoba
(Canada) ;
M.A.,
Ph.D.,
Ohio State University
(États- Unis
d'Amérique) ;
a collaboré
à divers titres,
depuis 105S,
avec l'Université
Haïlé- Selassie I".
Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports
P E R S P E C T I V E S E n m ê m e temps qu'elle procédait à d'autres transformations, l'Unesco a progressivement cessé d'exercer une action
presque exclusivement normative pour entreprendre u n n o m b r e
croissant de programmes opérationnels ; il semble que l'effort de
décentralisation s'accompagnera d'un accroissement des aspects opérationnels des programmes de l'Unesco. C e que vous venez de dire
semble aller dans le sens de cette évolution.
H A B T E E n effet, j'ai m o n idée là-dessus, je l'avoue. J'ai toujours cru
que la réflexion doit être mise à l'épreuve de l'action, pour la raison
que l'action peut aussi influer sur la réflexion. Les deux doivent aller de
pair. L'Unesco ne peut être une université médiévale, retranchée dans
sa tour d'ivoire. Elle doit s'améliorer, élargir ses activités opérationnelles ; et l'un des moyens qu'elle a pour le faire est la décentralisation.
O n ne peut résoudre les problèmes de l'Afrique, de l'Amérique latine
et ceux de l'immense continent asiatique, ni m ê m e ceux de l'Europe,
depuis Paris. Certes, les bureaux régionaux connaîtront aussi des problèmes, mais ceux-ci auront une dimension continentale et non une
dimension internationale. L a décentralisation est une nécessité absolue,
encore qu'il faille aussi résoudre le problème des relations avec le siège
afin de conserver à l'action de l'Unesco son caractère international.
P E R S P E C T I V E S L a décentralisation implique aussi une augmentation
du budget, par conséquent des contributions des grands pays. O r
la tendance semble être à l'inverse.
H A B T E C e que vous dites n'est pas tout à fait exact. Il n'est pas
question que l'Unesco demeure telle qu'elle est maintenant tandis
qu'on créera des activités décentralisées supplémentaires : cela n'aurait
aucun sens d u point de vue de la programmation. J'imagine que
certaines tâches actuellement exécutées à Paris pourraient l'être
dans de meilleures conditions en Asie, en Afrique, en Amérique
latine ou en Europe. L a décentralisation de la fonction devrait
aller de pair avec celle d u budget. Par contre, il est exact que les
programmes opérationnels exigent toujours davantage d'argent, et
il faut que les États m e m b r e s soient prêts à les financer s'ils sont
plus utiles. L'Unesco devra peut-être définir u n ordre de priorité
et préciser ce qu'elle peut et ne peut pas faire. L'Organisation ne
peut pas tout faire pour tous, et pour tous les pays. Elle doit choisir
un certain nombre de points importants et s'y consacrer ; et ce
qu'elle fait, il faut qu'elle le fasse bien. Notre programme d'éducation
15
Entretien avec Aklilu Habte
est composé d'une multitude de petites actions. Les crédits sont
limités et il faut décider quelle est la meilleure façon d'en tirer le
m a x i m u m . C'est là que le plan à m o y e n terme (doc. 18C/4) intervient,
car il oblige à faire des choix.
P E R S P E C T I V E S Durant la Conférence générale, les débats de la
Commission de l'éducation ont tourné autour d ' u n certain nombre
de grands thèmes tels que l'enseignement technique, l'éducation des
adultes et la formation permanente, l'éducation pour la compréhension internationale, la jeunesse et quelques autres.
H A B T E L'important est la façon dont deux principes fondamentaux
sous-tendent l'activité de l'Unesco en matière d'éducation. L e
premier est la démocratisation, et c'est là qu'interviennent les questions d'éducation des adultes, de formation permanente, d'alphabétisation, de développement rural intégré, d'éducation des groupes
défavorisés : il s'agit dans tous ces cas de donner u n niveau minimal
d'instruction à la majorité de la population.
L e deuxième est la régénération de l'éducation, principe important
lui aussi, qui soulève toute la question de la qualité de l'éducation.
L'éducation pour quoi faire ? L'amélioration de la qualité de l'éducation dépend des systèmes politiques ou sociaux, et elle intéresse
tous ses secteurs. C'est aussi dans ce contexte que s'inscrivent les
questions de l'enseignement technique, du transfert de la technologie
et de la transmission d u m i n i m u m de connaissances qui permet
à l ' h o m m e de maîtriser son environnement.
L e problème de la jeunesse — qu'on ne saurait négliger — est
celui de la participation et, partant, de la démocratisation. Dans la
plupart des pays en voie de développement, les jeunes, dont la cout u m e veut qu'ils écoutent leurs aînés, se sont rebellés contre une participation qu'ils jugent marginale. Ils souhaitent avoir leur mot à dire
sur le fond m ê m e de l'éducation et travailler à en améliorer la qualité.
L a révolte de la jeunesse pose avec d'autant plus d'acuité le problème
qui est le problème majeur de l'avenir et qui est celui de l'intégration
de l'enseignement théorique et de l'enseignement pratique. C'est ici
que certaines expériences faites en U R S S , en Chine, à Cuba, en
Guinée, en République-Unie de Tanzanie prennent tout leur intérêt.
Il nous faut trouver u n m o y e n d'allier la théorie à la pratique,
de faire le lien entre l'enseignement et le travail.
Ces idées de régénération et de démocratisation sont au cœur de
tout le programme d'éducation et lui donnent sa cohésion.
16
Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports
P E R S P E C T I V E S II est une question dont on parle beaucoup, ici et
ailleurs, celle de la technologie, d u transfert et de l'adaptation de la
technologie. Pourriez-vous nous donner votre avis sur ce point ?
H A B T E L a science et la technologie ont m e n é l ' U R S S et les ÉtatsUnis d'Amérique sur la L u n e ; pourquoi ne pourraient-elles devenir
un outil de développement ? La question qui se pose est la suivante :
c o m m e n t utiliser au mieux la science et la technologie dans nos
milieux culturels et sociaux respectifs afin d'améliorer nos conditions
d'existence ? Certains préfèrent l'importation massive d'une technologie étrangère ; d'autres estiment que cette technologie est le résultat
d'années de développement social et technique et qu'elle ne se transplante pas facilement. Il faut tenir compte des conditions sociales
et du milieu et utiliser les méthodes qui vous mènent dans la direction
où vous souhaitez aller.
Prenons l'exemple de la santé. D a n s nos pays, bien souvent, le
principal problème en la matière est celui des maladies transmissibles,
telles que le paludisme. Or il s'agit fondamentalement d'action sur
le milieu, d'assainissement et d'hygiène individuelle. N u l besoin de
médecins hautement spécialisés pour remplir cette tâche, qu'il suffit
de confier à des gens ayant reçu une formation technique de niveau
relativement peu élevé. C'est une question d'option : lorsqu'un pays
envisage de créer une université et que l'un des principaux problèmes
qui se posent à lui est celui des maladies transmissibles, doit-il
ouvrir une faculté de médecine où l'on formera des médecins en
sept ou huit ans, ou bien organiser la formation de nombreux
techniciens hygiénistes pour les campagnes ? C'est le genre de
question à laquelle chaque pays doit répondre.
P E R S P E C T I V E S Vous avez étroitement participé à l'organisation de
la réforme générale de l'éducation en Ethiopie.
H A B T E E n effet, et cette réforme est encore en cours. Lorsque nous
concevions la réforme, nous nous s o m m e s dit que l'une des erreurs
qui avaient été faites en Ethiopie avait été de considérer l'éducation
c o m m e distincte des autres sources d u développement économique.
O n s'achemine donc maintenant vers u n réexamen de l'ensemble d u
système politique en vigueur dans le pays sans lequel la réforme, qui
impliquait une telle remise en question, aurait d'ailleurs été dépourvue
de toute signification. L e ministère a beau maintenant refuser de
considérer qu'il s'agit d'une refonte de l'éducation, il n'en est pas
17
Entretien avec Aklilu Habte
moins partie prenante d'une réforme qui s'oriente dans le sens d'une
ouverture nouvelle vers l'éducation populaire, l'éducation de base,
la décentralisation administrative, le développement rural, et vers
l'octroi aux fonctionnaires d u gouvernement d'une responsabilité
dans la coordination des activités de développement. Personnellement, je ne saurais dire quelle en sera l'issue.
P E R S P E C T I V E S C e projet de réforme pourrait servir de modèle à
d'autres pays, car il a été pensé et établi par les Éthiopiens euxm ê m e s , contrairement à ce qui s'est produit dans d'autres pays dont
les ressortissants ont eu à appliquer une réforme imaginée et mise
au point par des experts étrangers.
H A B T E Vous avez entièrement raison. L'Ethiopie a maintenant des
spécialistes jeunes et dynamiques dans tous les domaines. Si la possibilité ne leur est pas donnée de participer à la planification, l'application des plans s'en ressentira forcément. C'est ce qui se produit
souvent en matière d'assistance internationale. Des experts arrivent.
Ils dressent u n plan superbe, mais sans faire appel à vous et, lorsqu'ils
s'en vont, personne n'est au courant de rien et le plan est classé.
Et il reste aux archives, c o m m e u n trésor. Pour notre part, nous
avions à l'université et au ministère — et nous le savions — les
h o m m e s capables de procéder eux-mêmes à ce réexamen : de le
diriger, de concevoir la manière dont nous voulions l'étudier et ce
que nous voulions étudier, de décider ceux qui y participeraient,
du temps qu'il faudrait, de la façon de coordonner l'action des
pouvoirs publics et des particuliers. Cela fait, nous avons estimé
qu'il était possible de demander l'aide de gens de l'extérieur. C'est
alors que nous nous s o m m e s adressés à la Banque mondiale, à
l'Unesco, qui nous ont envoyé des experts. D u point de vue de l'organisation, la responsabilité de l'étude a été confiée à la Commission
nationale pour l'Unesco. Son secrétaire général en a été n o m m é directeur. Il était assisté d'un Comité consultatif international comprenant
deux Éthiopiens et trois étrangers. Ces cinq personnes, dont j'étais,
étaient chargées d'apporter leur appui technique au ministre et au
directeur. Il a été créé sous l'autorité d u ministre u n groupe consultatif, composé des commissaires au plan national, d u vice-président
de l'université à laquelle j'appartiens, de représentants des Ministères
de l'agriculture, d u développement économique, de l'intérieur et
de tous les ministères compétents à u n titre o u à u n autre en matière
de développement. E n outre, dix-sept ou dix-huit groupes d'étude
18
Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports
étaient créés. Étudier tous les aspects de l'éducation, écoles maternelles, enseignement agricole, économie domestique, enseignement
supérieur, développement des programmes, réforme administrative, etc., n'était pas chose simple. Tous ces groupes d'étude, sauf
un, étaient présidés par des Éthiopiens ; faire partie d ' u n groupe
d'étude était en soi une expérience éducative. Les travaux ont duré
près d'une année, au cours de laquelle deux réunions ont été organisées au niveau national. L a première avait pour objet de jeter les
bases d u travail à accomplir, de déterminer si les questions posées
étaient bien les bonnes, si les problèmes soulevés étaient les problèmes
réels et si les divers groupes d'étude avaient adopté les méthodes et
l'approche qui convenaient. Ces groupes ont poursuivi leurs travaux,
présenté leurs rapports et tenu une dernière réunion pour dresser
le bilan de leurs travaux, qui a permis la rédaction d ' u n document
général sur la refonte d u secteur de l'éducation.
P E R S P E C T I V E S L'expérience de votre pays pourrait certainement
servir d'exemple aux vingt-cinq pays les moins développés.
H A B T E Absolument; notre plan est u n plan national au véritable
sens d u terme. L a plupart des pays pourraient en faire autant s'ils
en avaient la volonté et s'ils disposaient d ' u n nombre minimal de
personnes capables de s'adapter à des tâches diverses.
P E R S P E C T I V E S C e que vous venez d'exposer est fort intéressant pour
qui réfléchit à la question de l'aide bilatérale et multilatérale.
H A B T E Permettez-moi d'exprimer une opinion très personnelle au
sujet de l'assistance. A u début d u développement de l'assistance
internationale, l'ignorance régnait dans les deux camps. Ignorance
des « donateurs » sur la manière d'octroyer leur aide, les contacts
avec le tiers m o n d e étant encore marqués par l'esprit d u système
colonial et l'aide considérée c o m m e une sorte d'aumône. Les pays
en voie de développement avaient été isolés et étaient restés au
m ê m e niveau pendant fort longtemps. D e l'argent était gaspillé,
c'est certain, mais en m ê m e temps les deux parties acquéraient une
certaine expérience. C e que nous avons appris au début, durant la
période que j'appellerai la première phase, peut se résumer de la
manière suivante : i. Fondamentalement, les h o m m e s ont de la
fierté et ils comptent sur e u x - m ê m e s , lorsque l'assistance porte
atteinte à leur dignité personnelle, elle présente des inconvénients
19
Entretien avec Aklilu Habte
supérieurs aux avantages matériels qu'elle apporte. 2. L e développement ne peut être une simple question d'aumône. 3. L e m o n d e
développé peut apprendre u n certain nombre de choses intéressantes
des pays en voie de développement. 4. Enfin, en dépit de toutes ses
faiblesses, l'aide peut favoriser la constitution de groupes de cadres
dans les pays en voie de développement. Voilà pour la première
phase. Q u a n d nous s o m m e s entrés dans la deuxième phase, les
« donateurs », c'est-à-dire les institutions internationales, n'ont pas
modifié leur approche ; ils ont omis de faire appel aux noyaux
nationaux qui s'étaient constitués dans les divers pays et de leur
apporter le soutien dont ils avaient besoin. U n e certaine hostilité,
une certaine suspicion à l'égard de l'aide, est donc née parmi ceux-ci.
E n effet, au lieu d'aider u n expert national de premier ordre, on a
parfois fait venir de l'étranger u n expert de moindre compétence.
Disons donc que dans sa seconde phase l'assistance doit faire appel
aux ressortissants d u pays qui ont été formés. Dans une troisième
phase, l'aide au développement doit passer du stade de l'aide octroyée
à celui d u renforcement de la coopération. Il ne peut y avoir de
coopération dans l'inégalité.
P E R S P E C T I V E S C e sont des questions dont on parle beaucoup.
Pensez-vous que les choses aient réellement changé ?
H A B T E A m o n avis, on ne fait que commencer à parler de changement. A u niveau national notamment : les pays devront apprendre
à évaluer et améliorer leurs politiques ; mais l'amélioration est déjà
sensible. O n en parle aussi beaucoup au niveau international, mais
sans que cela se traduise par autre chose que des discussions. Il
serait intéressant, par exemple, de savoir dans quelle mesure les
pays ont réellement participé à la programmation par pays. Qui
conçoit le programme du pays, qui l'établit en réalité ? Quel est
l'apport des diverses organisations internationales ? C e serait là u n
m o y e n intéressant de juger la portée de cette attitude nouvelle à
l'égard de l'assistance.
Il n'en demeure pas moins que l'amélioration est réelle dans certains
milieux. Je peux vous citer deux exemples précis. Pour l'université
à laquelle j'appartiens, j'ai travaillé en liaison très étroite avec la F o n dation Ford ; nous lui exposons nos besoins, nous élaborons u n plan
sur deux ou trois ans et, lorsqu'elle l'a approuvé, elle nous envoie u n
chèque. Bien sûr, nous lui faisons parvenir une évaluation assez approfondie de ce que nous avons fait, mais le système reste très souple.
20
Vers une coopération internationale fondée sur de nouveaux rapports
Autre exemple : la Suède a aidé à la construction d'écoles primaires
en Ethiopie. Elle finance la construction à 50 %, le reste étant à la
charge de la localité et de l'État. L'État doit également accepter de
subvenir aux frais de fonctionnement.
E n conclusion, je dois dire qu'il ne m e paraît pas juste de subordonner la question de l'aide à u n choix entre aide multilatérale et
aide bilatérale. Si telle chose peut être mieux réussie avec le pays X
qu'avec l'institution internationale A , traitons avec ce pays.
Il ne devrait y avoir aucune opposition entre l'aide multilatérale
et l'aide bilatérale. Elles doivent se compléter, dans les limites
imposées par des considérations d'ordre politique.
21
Paul-Henry Chombart de Lauwe
Auto-éducation
et cultures novatrices1
Toute réalisation d ' u n projet dans la société, toute action sur les
transformations, toute part active dans la décision collective d e m a n dent une double préparation. D ' u n e part, u n apprentissage, une
instruction, une éducation permettent au sujet d'acquérir u n langage,
des techniques, des connaissances qui lui sont nécessaires pour jouer
son rôle de reproduction de la société. D'autre part, u n e prise de
conscience, une libération des désirs, une auto-éducation, une coeducation lui donnent la possibilité d'exprimer ses aspirations, d'avoir
une action révolutionnaire créatrice.
L e premier m o u v e m e n t va dans le sens du maintien des structures,
de lafixationde la société codifiée, d u renforcement d u pouvoir des
groupes dominants. Il préserve le patrimoine culturel que les sujets
cherchent à s'approprier o u la culture acquise à laquelle ils tendent
à s'intégrer. Mais cette appropriation et cette intégration sont fondées
sur l'inégalité et la hiérarchisation. Elles supposent l'acquisition d'un
savoir de plus en plus étendu, de grades successifs de plus en plus
élevés, qui séparent les individus par des barrières et renforcent les
oppositions entre classes.
L'auto-éducation consiste, pour u n individu ou u n groupe, à
prendre en m ê m e temps conscience des conditions réelles dans
lesquelles il vit, des possibilités qu'il a de réaliser ses projets et des
efforts qui lui sont nécessaires pour les faire aboutir.
Cette découverte de soi et des possibilités d'expression et d'action
intéresse toute la vie personnelle et sociale des sujets, aussi bien dans
leurs désirs esthétiques, sexuels, de communication que dans leur
démarche rationnelle de participation à une action méthodique. Mais,
i. Extrait d'un ouvrage à paraître sur la « culture-action ».
22
Perspectives, vol. V , n° i, 1975
Paul-Henry C h o m b a r t
de L a u w e (France).
Socio-ethnologue.
Directeur d'études
à l'École pratique
des hautes études
(EPHE)
et directeur du Centre
d'ethnologie sociale
et de psychologie
(Paris).
Actuellement
responsable
d'une recherche
coopérative
internationale
au CNRS
sur les transformations
économiques et sociales
et le rôle
de la dynamique
culturelle
dans ces
transformations.
Parmi
ses principaux ouvrages :
L a vie quotidienne
des familles ouvrières,
Pour l'université,
Pour une sociologie
des aspirations,
Images de la culture.
Auto-éducation et cultures novatrices
en fonction m ê m e des travaux entrepris par de nombreux chercheurs
avec lesquels nous s o m m e s en rapport, en particulier dans les pays
du tiers m o n d e , nous insistons pour l'instant sur l'auto-éducation
préparant aux transformations institutionnelles, sans nous méprendre
sur le danger que présenterait pour l'avenir une telle démarche si
elle ne permettait pas une expression libre sur tous les plans.
A l'éducation traditionnelle, objet de critiques de plus en plus
violentes de la part de nombreux chercheurs, s'oppose le m o u v e m e n t
inverse de la dynamique culturelle permettant aux individus et aux
groupes d'avoir une action novatrice, de faire éclater les structures
périmées et de construire la société sur des bases nouvelles. Mais
cette création et cette construction ne sont possibles que dans certaines
conditions techniques, économiques et sociales, c'est-à-dire en tenant
compte, dans la transformation des processus de la reproduction,
des contradictions qui lui sont inhérentes et des possibilités de les
surmonter par la recherche de solutions nouvelles.
D a n s ces deux mouvements contradictoires, les problèmes de
l'orientation et de l'auto-éducation peuvent être posés d'une façon
plus claire pour les individus, pour les groupes et pour les sociétés.
Contre l'orientation rigide qui canalise les individus dans des chemins
étroitement tracés, la libération des désirs, la prise de conscience
des aspirations masquées par les modèles imposés, est une revendication majeure des jeunes générations. Pour y répondre, u n changement radical est la seule voie possible de renouvellement et de
progression. Mais l'abandon des systèmes de représentations et de
valeurs périmés a pour conséquence, pendant u n certain temps, u n
phénomène de désorientation. E n effet, l'orientation professionnelle
vers des branches déterminées de la production, l'orientation intellectuelle qui classe les individus suivant des échelles et des tests,
l'orientation de valeurs qui limite la fantaisie des désirs dans les
conduites quotidiennes donnent aux individus des appuis et des
points de repère dans leurs itinéraires sociaux en adaptant leurs
ambitions aux choix préparés pour eux. L'utilisation de l'information peut donner une impression encore plus forte de rigidité, de
directivité, de plus grande manipulation tout en accentuant encore
l'illusion de sécurité. L a perte de l'initiative et de la liberté est la
contrepartie de la directionnalité sécurisante.
A u m o m e n t où la validité de tous ces appareils de contrôle et
d'orientation est remise en question, au m o m e n t où d'autres systèmes
de valeurs sont proposés ou imposés, les sujets, individus ou groupes,
sont d'autant plus désorientés. Ils sont aussi plus disponibles pour
23
Paul-Henry Chombartde Lauwe
s'attaquer à des transformations plus larges des structures et des
institutions et pour faire œuvre créatrice.
La prise de conscience des contradictions, des manipulations, des
idéologies dominantes est à la base de toute possibilité d'action révolutionnaire dans une société. Aussi, les efforts entrepris depuis quelques
années pour développer la « conscientisation M 1 , l'animation, l'apprentissage de l'action sociale et politique marquent-ils une étape importante dans l'auto-éducation et l'utilisation de la dynamique culturelle.
Mais il est nécessaire de les replacer dans une analyse des transformations de la production et des changements des rapports sociaux
qui en dépendent. L a prise de conscience, l'auto-éducation et la
dynamique culturelle dans son ensemble peuvent être étudiées dans
cette perspective aux niveaux des individus, des groupes et des
sociétés, étant entendu que, dans la réalité, ces trois niveaux ne
peuvent être dissociés.
Au
niveau de l'individu
D a n s la civilisation industrielle, suivant le degré et les formes d'industrialisation, d'urbanisation et d'informatisation de chaque société,
suivant les systèmes économiques, les individus sont plus ou moins
conditionnés et exploités dans leur travail, manipulés dans u n environnement organisé par les groupes dominants qui définissent les
besoins des autres, canalisés dans leurs choix de consommation par
la publicité, socialisés dès leur enfance par l'éducation familiale et
par l'instruction scolaire, soumis aux formes de langages des classes
au pouvoir, fixés dans des rôles que la société définit suivant des
fonctions, orientés dans leurs choix esthétiques, éthiques, philosophiques, politiques. Ainsi, objets d'exploitation et de manipulation,
c o m m e n t peuvent-ils devenir sujets acteurs conscients ?
Il est trop facile de dire qu'en supprimant l'école, en faisant éclater
la famille, en se libérant d u travail en usine, en désertant les villes,
en supprimant la bureaucratie, en détruisant tous les appareils d u
pouvoir, les individus se trouveront libérés dans leurs désirs, pourront
c o m m u n i q u e r , trouver leur plaisir. C e chantage au désir aboutit
finalement à démobiliser toute entreprise révolutionnaire construcI. L e terme a été utilisé depuis longtemps dans des sens variés. N o u s pensons particulièrement ici à son utilisation par P. F R B I R E , La pédagogie des opprimés. Trad, française, Paris,
Maspero, 1974. Voir sur ce point les articles de P. FRBIRE et de A . SILVA dans Perspectives,
vol. II, n° 2, p. 193 et suiv., et vol. III, n° 1, p. 43 et suiv.
24
Auto-éducation et cultures novatrices
tive, tout véritable projet de transformation sociale générale. E n
revanche, en donnant au niveau de l'individu les moyens d'utiliser
les processus de la dynamique culturelle, il est possible de réagir
d'une façon constructive contre la dominance sous ses différentes
formes et de libérer des forces créatrices.
Si la dominance et la manipulation sont apparentes dans tous les
domaines de la vie sociale depuis l'environnement et la production
jusqu'aux institutions politiques (première dimension), si elles atteignent les individus dans leurs pratiques quotidiennes, leurs représentations, leurs besoins, leurs aspirations, leurs projets (deuxième
dimension), en relation avec les processus de transformation de la
société dans lesquelles ils sont impliqués (troisième dimension), il
est possible également de favoriser le m o u v e m e n t inverse de dynamique culturelle dans ces divers domaines en suivant l'enchaînement des processus psychosociologiques correspondants pour aboutir
à u n projet et à une action.
L'individu ne peut être compris qu'en situation, dans des conditions économiques, des structures, des rapports sociaux propres à
sa société et au m o m e n t historique où il vit. S o n itinéraire social
personnel dans des branches de la production où il a travaillé, dans
les classes sociales dont il a p u o u n o n franchir les barrières, dans
les systèmes de parenté dont il dépend par naissance ou par alliance,
ne fait pas ressortir entièrement le degré de liberté qu'il a eu dans
ses choix. Derrière les aspects manifestes des décisions qu'il a prises,
derrière les canaux apparents d'éducation, d'instruction, d'orientation, derrière les conditions de vie et de travail officiellement imposées,
derrière les limites économiques connues, il existe toute une série
de pressions latentes plus ou moins subtiles, dont les manipulations
par les mass media, la publicité, les aménagements de l'environnement sont parmi les plus connues. A cts aspects latents des pressions
sociales chez l'individu, il faut ajouter les aspects subconscients de
son comportement, les deux étant liés lorsque la manipulation pratiquée avec l'aide de techniques psychologiques agit sur le subconscient
en éveillant des désirs par des associations d'images, de bruits et de
formules écrites. Il est facile ainsi, pour les groupes dominants qui
possèdent les moyens de pression, d'orienter les individus des autres
groupes dans les directions qui conviennent le mieux à leurs intérêts
de classe, tout en prétendant, et parfois en croyant e u x - m ê m e s
qu'il s'agit d u plus grand bien des intéressés.
D a n s ces conditions la recherche d'une auto-éducation au niveau
individuel consiste d'abord à passer d u latent au manifeste sur le
25
Paul-Henry Chombart de Lauwe
plan social et d u subconscient au conscient sur le plan psychologique.
Cette double prise de conscience s'opère d'abord dans les pratiques
de travail, d'habitat, de consommation, de relations, de loisirs, de
syndicats, de parti politique. L a représentation par u n individu de
ses propres pratiques dans des conditions sociales prédéterminées
lui permet progressivement de mesurer le décalage qui existe entre
ses désirs et les possibilités de les réaliser dans les conditions matérielles et sociales o ù il se trouve. D a n s la liaison entre ses désirs et
ses représentations s'expriment ses aspirations véritables. Il peut
alors comprendre c o m m e n t les aspirations qui l'avaient poussé
jusque-là étaient manipulées et ne correspondaient qu'à une orientation allant dans le sens d'intérêts qui ne sont pas les siens. L a prise
de conscience de ses aspirations libérées lui donne à la fois une force
qu'il ne soupçonnait pas et une impression d'impuissance, dans la
mesure où il se rend compte que les conditions qui lui sont imposées
l'empêchent de les réaliser.
Par la suite il découvrira que les représentations qu'il a de ses
pratiques, de sa condition, des barrières qui limitent son action
entrent elles-mêmes dans u n système de représentations plus
complexe et dans une logique qui lui viennent de sa classe, de sa
famille, de l'instruction reçue, de l'organisation de l'espace qui
l'entoure. Il prendra conscience aussi de la liaison entre ce système
de représentations et u n système de valeurs suivant lequel il hiérarchise les objets, les personnes, les actes. Il verra ainsi que ses projets
anciens n'étaient parfois que le reflet des décisions prises pour lui.
Sur le plan personnel, le sujet peut revenir sur les événements de
sa vie passée et chercher, dans une perspective psychanalytique,
l'origine de ses désirs et de ses fantasmes, des images qui le hantent,
du m o n d e imaginaire qu'il s'est construit en dehors de sa volonté.
Mais son histoire individuelle s'inscrit dans l'histoire des groupes
et de la société dont il fait partie. Son subconscient personnel n'est
pas indépendant des structures sociales et de la culture reçue, non
seulement dans leurs aspects manifestes mais aussi dans leurs aspects
latents plus difficiles à déceler.
D a n s ce contexte, la démarche de prise de conscience elle-même
peut être biaisée par l'influence des modèles de pensée, de la logique
des groupes dominants qui ont été imposés au sujet. L a conscience
réfléchie suppose l'analyse d'une situation, d ' u n m o u v e m e n t qui
peut être orienté par des « images-guides » anciennes, en prenant
des points de référence inadéquats et en s'appuyant sur des informations inexactes. Ainsi des ouvriers, m ê m e en lutte syndicale
26
Auto-éducation et cultures novatrices
avec u n patron, peuvent avoir une fausse conscience de leur situation
dans leur entreprise et de leur stabilité d'emploi tant qu'ils n'ont
pas eu des informations sur la façon dont la direction fait passer
l'intérêt des actionnaires avant le respect d u droit au travail. U n e
décision brutale injuste peut leur ouvrir brusquement les yeux.
Cet effort de clarification, de vérité, de libération des mythes et
des images-guides ne devrait pas être tourné uniquement vers le
passé, dans la perspective régressive que nous avons critiquée. L a
prise de conscience est aussi celle des possibilités et des exigences
de l'avenir. L a vie tout entière repose sur les projets, et les projets
sont élaborés à travers des processus multiples interférant les uns
sur les autres. Les projets d'un individu s'insèrent dans u n système
économique, dans des institutions politiques, dans des structures de
relations, dans u n patrimoine culturel qu'il ne peut ignorer. Ils
donnent lieu à des conflits intérieurs qui sont liés à des conflits
sociaux. L e sujet individuel est u n c h a m p de bataille de la vie sociale.
Partagé entre des modèles contradictoires et des systèmes de représentations et de valeurs lui venant des différents groupes sociaux
auxquels il se rattache et qui s'opposent entre eux, il est obligé,
pour faire ses choix, de prendre parti dans des débats qui dépassent
sa vie personnelle et son environnement proche.
L'auto-éducation consiste à lui permettre de prendre conscience de
ces pressions diverses auxquelles il est soumis, des conflits dont il
est l'enjeu, des intérêts dont il est involontairement l'instrument.
Cette prise de conscience est plus facile dans les périodes de
changements rapides techniques, économiques ou politiques. Mais
elle provoque alors u n rejet des systèmes de représentations et de
valeurs, des images-guides et des modèles sur lesquels le sujet
s'appuyait précédemment. L e sujet peut être alors désorienté, soit
parce qu'il ne trouve pas d'autres systèmes de valeurs acceptables
pour lui, soit parce qu'il ne parvient pas à s'adapter aux nouveaux
systèmes de valeurs qui lui sont imposés lorsque les institutions
ont été transformées.
L'élaboration des projets personnels ne peut pas consister, pour
u n sujet, à se débarrasser de tout système de représentations et de
valeurs, mais à connaître ceux auxquels il est soumis et à faire u n
choix en fonction des situations concrètes qu'il a analysées et des
transformations dont il a conscience. Sa part créatrice originale
n'existe que dans la mesure o ù il en découvre à la fois les limites
et l'efficacité dans u n contexte historique. L a possibilité de faire des
projets est alors ce qui donne d u prix à l'existence. N o u s avons été
27
Paul-Henry Chombart de Lauwe
frappé de voir l'importance qu'y attachaient des groupes d'ouvriers
avec lesquels nous avons entrepris des recherches. L a sécurité de
l'emploi était pour eux une nécessité vitale n o n seulement à cause des
problèmes matériels de l'existence quotidienne, mais parce que,
sans elle, toute formulation d'un projet est rendue impossible1.
L'individu qui veut être sujet-acteur est tourné vers l'avenir.
Son effort de retour sur sa propre histoire personnelle et de prise de
conscience des contraintes qu'il subit ou des manipulations dont il
est l'objet lui permet de voir que certaines de ses aspirations lui sont
inspirées ou imposées de l'extérieur, mais il peut surtout libérer ses
véritables aspirations qui étaient masquées jusque-là par des phénomènes de fausse conscience. A partir d'elles il pourra faire des
choix, élaborer des projets, formuler des revendications, prendre
des décisions en sachant quelle part de liberté lui est laissée dans ces
démarches.
L'aboutissement de l'auto-éducation est donc pour l'individu de
devenir sujet-acteur conscient, capable de faire des projets et de les
réaliser en prenant ainsi sa part personnelle dans une construction
collective. A u milieu des nécessités économiques, des contradictions, des conflits, des processus de transformation dans lesquels il
est impliqué, le sujet se construit progressivement u n système de
représentations et de valeurs qui lui est propre, mais il ne peut le
faire qu'en relation avec les systèmes de valeurs de sa société, de sa
classe, des groupes dont il partage la vie. U n e de ses aspirations
fondamentales est d'ailleurs, nous le savons, une aspiration à la
communication. Il est encore partagé à ce point de vue entre u n
repli sur son milieu où la communication est plus facile et son
désir de faire sauter les barrières qui séparent les classes, les groupes
ethniques, les générations2.
Au niveau des groupes sociaux
L'individu qui cherche à devenir sujet-acteur est donc n o n seulement
limité par les nécessités de la production, des conditions économiques,
de l'environnement matériel, mais aussi par l'ensemble des rapports
i. M . C O M B E , M . P . Z I E G L E R et al., Les effets traumatisants d'un licenciement collectif. (Multigraphié, I973-)
2. L'aspiration à la communication est u n thème qui nous a préoccupé depuis longtemps.
L'étude récente de Christine T H O M A S sur L'aspiration à la communication en milieu ouvrier
apporte dans ce domaine une confirmation frappante de l'importance qu'elle revêt aujourd'hui. (Centre d'ethnologie sociale, multigraphié, 1974, diffusion restreinte.)
28
Auto-éducation et cultures novatrices
sociaux. Ses itinéraires dans la société sont d'abord c o m m a n d é s par
des divisions verticales en branches d'activités (dans les secteurs
primaire, secondaire, tertiaire, tertiaire supérieur), dont il ne peut
pas, la plupart d u temps, franchir les limites sans changer de spécialisation et sans recyclage, et par des divisions horizontales suivant
les degrés de qualification et les tranches de revenus. Sur ce quadrillage de fond, il est possible de situer les groupes sociaux auxquels
les individus se rattachent : les classes sociales proches des divisions
horizontales en « strates », mais qui ne les recouvrent pas exactement
(c'est une erreur de beaucoup de sociologues de les avoir pratiquem e n t confondues), les groupes ethniques, les groupes idéologiques
et politiques, les Églises, les groupes de défense professionnels tels
que les syndicats, les groupes de parenté, les groupes locaux de
voisinage, etc. Suivant les sociétés et les m o m e n t s historiques, ces
groupes ont une importance plus ou moins grande, mais l'individu
qui cherche à prendre conscience de ses limitations et de ses possibilités ne peut éviter de se situer par rapport à eux, de s'orienter
dans la vie sociale en tenant compte de leur existence.
Cette prise de conscience des groupes sociaux est d'autant plus
difficile dans les sociétés industrialisées que les groupes sociaux y
sont plus mal définis et qu'ils se réduisent souvent à des milieux
sociaux aux limites imprécises dont l'influence n'est pas apparente.
C e flou social peut être d'ailleurs entretenu par les groupes d o m i nants qui ont intérêt à masquer les conflits de classes, à maintenir
dépendants des travailleurs étrangers, à ne pas donner aux groupes
locaux trop d'importance, à limiter l'action des syndicats, à ne pas
laisser se former des groupes politiques trop puissants dans l'opposition. L e milieu urbain (et non la c o m m u n e ou le comité local), le
milieu professionnel (et n o n le syndicat), le milieu ouvrier (et n o n
la classe ouvrière) emprisonnent les individus dans u n e sorte de
b r u m e sociale, au milieu de laquelle ils ne peuvent pas se situer avec
précision et o ù ils peuvent être facilement manœuvres sans s'en
rendre compte. L a relative indépendance des individus à l'égard des
castes et des groupes traditionnels corporatifs o u de parenté se
caractérise par cette contrepartie d'une lutte de classe voilée dans
laquelle la course à la consommation opère c o m m e u n somnifère.
L a mobilité sociale peut être u n autre piège dans les itinéraires
sociaux des sujets. N o u s savons que les barrières des classes se
referment sur les individus qui les ont passées. Les sociétés où la
mobilité professionnelle est la plus grande ne sont pas les moins
soumises aux catégorisations, aux hiérarchisations, aux rôles imposés
29
Paul-Henry Chombart de Lauwe
dans des classes où il n'est possible d'accéder qu'en adoptant les
modèles dominants de leurs idéologies. L a connaissance des barrières
et des canaux de mobilité est donc une nécessité quotidienne.
L'auto-éducation c o m m e n c e par une analyse sociologique.
Mais le sujet-acteur n'est pas seulement l'individu. D a n s les milieux
sociaux, des groupes se forment ou disparaissent. D'autres, plus
stables, tels certains groupes de parenté, survivent aux transformations techniques et économiques ou aux bouleversements des rapports sociaux. Ces groupes, eux aussi, sont des sujets-acteurs si
leurs m e m b r e s ont conscience de leur appartenance, conscience des
structures et des processus dans lesquels ils sont impliqués. L'autoéducation s'opère donc au niveau des groupes aussi bien qu'au
niveau des individus. Elle consiste à développer la prise de conscience
des situations, des conditions, des pratiques, des besoins, des systèmes de représentations et de valeurs, des désirs, des aspirations
pour permettre au groupe de s'affirmer en tant que tel, de formuler
des projets, d'agir à son niveau dans la construction collective. Parmi
ces groupes, le rôle moteur des classes sociales a, pour l'auto-éducation
et la dynamique culturelle, u n sens particulier. L a distinction marxiste
de la classe en soi et de la classe pour soi met en relief les conséquences
de la prise de conscience et de la représentation dans les oppositions
et les conflits.
D a n s la pratique quotidienne et dans les luttes sociales, la prise
de conscience s'opère à travers des conflits internes aux groupes et
entre les groupes. L'auto-éducation consiste à utiliser ce dynamisme
des groupes et à leur permettre, en s'affirmant, d'apporter u n élément original dans la société en permanente transformation. Il n'est
pas possible ici d'entrer dans l'étude des méthodes qui peuvent
être utilisées. Il suffit de rappeler les mutations successives survenues
depuis quelques années dans le travail social, les organisations c o m munautaires, l'animation communautaire, l'animation populaire,
qui ont revêtu des formes diverses, se rapprochant de plus en plus
d'une véritable animation politique tendant à changer les institutions1.
Il n'y a pas de prise de conscience sociale sans prise de conscience
politique. L'auto-éducation, au niveau d u groupe c o m m e au niveau
de l'individu, est une pédagogie de la décision et d u projet collectifs.
C'est une mise en œuvre, au profit de ce projet, des forces existantes
ou naissantes dans la dynamique culturelle des groupes. Entre les
I. Sur ce point, une thèse récente de notre centre a bien mis en relief ces diverses formes
d'intervention. Voir L . G R O U L X , Intervention pédagogique et action populaire. (Inédit.)
3°
Auto-éducation et cultures novatrices
transformations matérielles dans la production et les mutations institutionnelles qui résultent des révolutions, la dynamique culturelle
agit suivant les processus complexes interdépendants que nous avons
étudiés, en tenant compte des interférences et des effets de retour,
et qui peuvent être analysés dans divers domaines de la vie sociale,
suivant le cadre de référence à trois dimensions que nous avons
proposé.
Cette démarche aurait pour but de faciliter ce que nous appellerons
l'élargissement progressif de la prise de conscience. U n groupe engagé
dans une action — tel q u ' u n syndicat professionnel, une association
d'usagers, u n m o u v e m e n t culturel, une section d ' u n parti politique —
se mobilise tout d'abord autour de revendications locales spécifiques.
L'utilisation d ' u n cadre de référence peut ensuite lui permettre de
situer les actions limitées qu'il entreprend par rapport à u n programme
beaucoup plus large de transformation, d'entrer d'une façon constructive dans l'élaboration collective d ' u n plan de transformation institutionnelle. Cet élargissement peut se faire méthodiquement par
phases successives, en saisissant l'occasion d'événements qui surviennent dans la vie quotidienne d u groupe et dont la signification
peut être recherchée en les reliant à tel ou tel domaine de la société
institutionnalisée (première dimension), en s'interrogeant sur la représentation que s'en font les m e m b r e s d u groupe, sur les manipulations
dont ils sont l'objet, sur les besoins et les aspirations qui peuvent
s'y rapporter, sur les revendications qui peuvent se manifester,
sur les projets qui peuvent être élaborés (deuxième dimension),
en essayant de comprendre c o m m e n t il est possible de réaliser ces
projets dans une transformation institutionnelle dépassant le niveau
local (troisième dimension). Il est possible ainsi d'obtenir une plus
grande efficacité en permettant à u n groupe de mieux se situer par
rapport à d'autres groupes dans une vision d'ensemble, de mener
la lutte revendicative d'une manière plus réaliste et de coopérer plus
largement à la construction collective des nouvelles institutions.
A u niveau des sociétés :
transformation et cultures novatrices
L'auto-éducation des individus et des groupes n'est concevable que
située dans les structures d'ensemble d'une société en tenant compte
des données économiques et démographiques, des rapports sociaux
et de la dynamique culturelle. L'organisation institutionnelle de la
31
Paul-Henry Chombart de Lauwe
transmission sociale par les divers canaux de l'école, de la famille,
de l'aménagement de l'espace, de la langue a été longtemps à rencontre
de l'auto-éducation, mais, depuis quelques années, les efforts des
pionniers ont porté leurs fruits dans des domaines limités. Certains
théoriciens poussent trop loin dans ce sens, allant jusqu'à opter
pour des solutions idéalistes qui prétendent supprimer d'un coup
de baguette magique toute institution scolaire. Si de telles revendications ont u n effet salutaire par leur pouvoir de choc et c o m m e
m o y e n de propagande, elles ne peuvent suffire à construire u n
programme. N o u s avons essayé de montrer que l'explosion d u
désir dans la société pouvait aboutir à des révoltes, mais non à des
révolutions constrictives1. C'est pourquoi nous attachons tant d'importance, dans la recherche d'un programme de transformation
institutionnelle, à la convergence des désirs et des représentations
dans les aspirations, à l'effort de prise de conscience de la dominance
et de la manipulation, à l'expression méthodique des revendications,
à l'élaboration des projets.
Pour surmonter les inégalités, les injustices sociales, les conséquences de la dominance en général, il importe de permettre aux
catégories et aux groupes dominés et marginalisés de trouver en
e u x - m ê m e s les forces nécessaires pour imposer leur volonté propre
dans la prise de décision collective. Suivant l'hypothèse que nous
avons proposée, la solution consiste à opposer au processus généralisé
de dominance et de manipulation u n processus de dynamique culturelle partant de l'intérieur des groupes. Chaque groupe, chaque
milieu, chaque classe sociale a une culture qui lui est propre, mais,
en fonction des distinctions que nous avons faites, cette culture
n'est pas envisagée ici sous l'angle des traditions à conserver et du
patrimoine culturel. Il s'agit, pour les m e m b r e s d'un groupe, de
découvrir les possibilités novatrices de leur culture. U n apparent
retour en arrière peut permettre à u n groupe de retrouver en luim ê m e les moyens d'apporter dans la société des solutions nouvelles
que les techniques « modernes » ne savent plus inventer. L'expression imagée d'Ita Gassel, « la culture joue à saute-mouton », n'est pas,
à ce point de vue, u n simple jeu de mots 2 . Les possibilités novatrices
se réalisent à travers l'ensemble des processus de la dynamique
culturelle dans les pratiques sociales où le rapport entre les conditions
i. P . - H . C H O M B A R T D E L A U W E , Pour l'université, Paris, Payot, 1969.
2. I. G A S S E L , intervention aux réunions de la recherche coopérative internationale portant
sur les aspirations et les transformations sociales. (Inédit.)
32
Auto-éducation et cultures novatrices
imposées et la prise de conscience et les besoins crée une tension
stimulante1.
Ce qui est vrai pour les groupes, les milieux sociaux, les régions,
l'est aussi pour les sociétés. L a colonisation culturelle qui a accompagné la néo-colonisation technique et économique avant ou après
la décolonisation politique prolonge au niveau international les
processus de dominance et de manipulation. Au-delà des rapports
sociaux imposés dans les nouveaux modes de production liés à
l'industrialisation, au-delà de l'environnement urbain des grandes
agglomérations qui surgissent dans les pays d u tiers m o n d e , les
institutions scolaires de ces pays reproduisent celles des pays européens ou nord-américains. Aussi n'est-il pas étonnant de voir les
aspirations des parents pour les enfants se réduire à l'acquisition
de 1' « instruction », en fonction d u modèle dominant importé de
l'extérieur.
D a n s une société, dans une région, dans u n milieu social, il
importe de découvrir o ù se trouvent les zones dans lesquelles peuvent
s'exprimer des cultures novatrices. Contrairement à des affirmations
courantes, les milieux techniques avancés ou les cercles intellectuels
d'avant-garde ne sont pas nécessairement les seuls terrains privilégiés de la création culturelle. D e s phénomènes de blocage sont
d'ailleurs de plus en plus souvent signalés. Ainsi u n ingénieur, dans
une étude sociologique, posait la question : « Pourquoi ne crée-t-on
plus dans l'industrie d u bâtiment ? »2. D'excellents techniciens sont
pris, depuis les grandes écoles jusqu'à lafinde leurs carrières, dans
des mécanismes de reproduction au service des intérêts de groupes
dominants qui recherchent une efficacité technique de plus en plus
grande, mais n o n la création de formes vraiment nouvelles, exprimant
les structures sociales en gestation. Par ailleurs, des cercles intellectuels construisent parfois des théories très élaborées, mais peuvent
s'enfermer dans des schémas rigides, dans des systèmes fermés et
sont incapables de se renouveler.
En raison de l'inquiétude croissante ressentie dans la civilisation
industrielle, des prophéties pessimistes qui se répandent, de la désorientation des générations montantes devant les contradictions des
i. Depuis quelques années la notion de culture des classes sociales, des milieux, des groupes
a eu brusquement u n succès inattendu. L e livre de R . H O G G A R T , La culture du pauvre,
en est un exemple frappant. (Trad, en français, Éditions de Minuit, 1970.) Sur le plan
régional, la recherche de D . M A N D Ó N , Une ville colonisée dans la vie culturelle, réalisée dans
notre centre, insiste sur les conflits locaux et les pressions d u pouvoir central. (Thèse
E P H E , Paris, 1973, multigraphié.)
2. E . Z B I L B H , thèse de doctorat. (Inédit.)
33
Paul-Henry Chombart de Lauwe
sociétés techniquement les plus développées, la recherche de voies
nouvelles, rompant avec les « traditions modernistes », peut se faire
aux endroits les plus variés, auxquels sont souvent loin de penser
les groupes au pouvoir. Les travaux entrepris par un groupe d'ouvriers
avec l'aide de chercheurs sur la logique propre à leur milieu et sur
une démarche de pensée qui ne suit pas les m ê m e s règles que celle
des intellectuels en sont u n exemple. D'autres possibilités d'innovation existent dans les marges urbaines des grandes agglomérations,
où la rupture forcée avec les structures sociales et les modèles de
comportements traditionnels facilite la création de nouveaux types
d'organisation sociale locale dont il serait intéressant de s'inspirer
pour la construction de cités nouvelles. Faut-il rappeler aussi les
erreurs des techniciens dans leur mépris des formes traditionnelles
de culture des pays d u tiers m o n d e , alors qu'il aurait été possible,
partant de l'expérience des paysans, de trouver avec eux et grâce
à eux des méthodes nouvelles respectant l'équilibre écologique dont
les experts chevronnés n'avaient pas vu l'importance ? Faut-il parler
encore dans ces m ê m e s pays des innombrables possibilités créatrices
dans des arts, dits eux aussi traditionnels, mais capables en fait de
se renouveler et de nous faire découvrir des joies inconnues ?
Les mouvements de révolte ou d'évasion des communautés de
jeunes qui refusent les cadres imposés par les techniques industrielles
ont également une signification novatrice. L e désir libéré peut aboutir
à des drames, ou tout au moins à de pénibles désillusions dont les
comptes rendus d'expériences de vie en groupe sont remplis ; mais,
à travers ces refus, ces rejets, ces ruptures, de nouveaux rapports
sociaux, de nouvelles formes de communication peuvent apparaître.
L'innovation ne suit pas la voie de l'ordre et d u pouvoir établi ;
elle est marginale et provocante. L a difficulté réside dans le choix
parmi ces ébauches hésitantes d'éléments utilisables pour l'élaboration de projets de transformation.
D a n s cette voie difficile de libération de la culture novatrice, l'opposition entre les processus de dominance et la dynamique culturelle
se retrouve à chaque instant. L a lutte contre l'impérialisme, l'oppression des groupes dominants, l'ordre traditionnel figé, la marginalisation des groupes les plus faibles ne peut pas être m e n é e sans
s'appuyer sur la dynamique culturelle. L a révolution institutionnelle
et la transformation de rapports sociaux de production ne sont
possibles que si les individus et les groupes, devenant des sujets-
34
Auto-éducation et cultures novatrices
acteurs de la transformation, sont capables de taire en e u x - m ê m e s
leur propre révolution et de trouver en e u x - m ê m e s les moyens
d'action nécessaires.
Tout consiste à adapter les techniques et les institutions aux
aspirations et aux besoins des h o m m e s et non d'adapter les h o m m e s
aux techniques et aux institutions, c o m m e le font trop souvent les
technocrates et les éducateurs traditionnels. Mais dénoncer les structures actuelles d'éducation c o m m e des appareils de reproduction
sociale et proposer de les détruire ne suffit pas. L a libération d u désir
est u n moteur puissant, mais qui tourne à vide. E n reprenant dans
les pratiques quotidiennes, dans tous les domaines de la vie sociale,
tous les processus d'élaboration culturelle, depuis la perception et
la représentation jusqu'à l'élaboration des projets et à la décision en
passant par les désirs, les représentations, les aspirations, en référence
aux systèmes de valeurs, aux images-guides, aux modèles, il est
possible pour les sujets de se préparer à une action. Ils utiliseront
pour cela le savoir qui leur vient de la culture acquise n o n c o m m e
instrument de pouvoir, mais c o m m e u n ensemble de moyens à
critiquer, à recomposer pour construire u n projet de société où les
processus de dominance seront constamment dénoncés et où les
techniques et l'économie seront utilisées non c o m m e des instruments
de pouvoir, mais c o m m e des moyens de libération.
35
Positions / Controverses
Les tests à l'école :
aide ou obstacle ?
Jerrold R . Zacharias
Jerrold R . Zacharias
(États- Unis
d'Amérique).
Professeur emeritus
au Massachusetts
Institute
of Technology (MIT).
Directeur du Centre
de développement
de l'éducation à
Newton,
Mass.
A participé de près
à l'établissement
du Programme
de l'enseignement
élémentaire
des sciences
en Afrique.
Dans un article intitulé « Les tests d'aptitude ? Essais à l'aveuglette »,
l'académicien soviétique Arthur V. Petrovski définissait dans cette
rubrique même1 les limites d'une certaine conception du développement
psychique qu'il voyait pour sa part directement conditionné par l'environnement socio-culturel de l'enfant et par l'éducation même qui lui
est donnée et non comme un processus spontané de révélation des capacités
d'un être humain. S'appuyant sur des présupposés peu scientifiques, les
tests, selon lui, ne sauraient « sonder quelque essence profonde dénommée
'aptitudes mentales' ». Tout en émettant donc les plus fermes réserves
sur cette méthode sans fondement scientifique, il affirmait néanmoins, en
fin de son article, que c'est là « un débat aussi vieux qu'inachevé ».
Le savant américain dont nous publions ci-après les libres propos revient
par un autre biais à l'attaque, mais, bien loin d'infirmer les positions
de Petrovski, il n'aborde le problème des tests à l'école que pour dénoncer
à son tour les obstacles qu'ils multiplient et institutionnalisent sur la
voie du renouvellement des méthodes pédagogiques, de la démocratisation
et de l'universalisation de la pensée réellement scientifique. Ainsi, le
débat sur les tests se poursuit. A nos lecteurs de s'y joindre.
L a seule règle de valeur générale que j'aie jamais constatée dans le
domaine de l'éducation, c'est qu'il faut de tout pour faire u n m o n d e .
Les gens, et surtout les enfants, présentent une telle variété de types,
d'âges, de tailles, de goûts, de besoins, de capacités, d'intérêts et
d'origines que les écoles qui doivent accueillir des élèves aussi
divers se trouvent devant u n e tâche très difficile, sinon impossible.
O r les écoles, tout c o m m e le grand public, se sont laissé dominer
par u n certain n o m b r e de mécanismes qui imposent l'homogénéité
i. Voir Perspectives, vol. II, n° 2,1973, p. 201 et suiv.
37
Perspectives, vol. V , n° 1, 1975
Jerrold R. Zacharias
au lieu de la diversité. Parmi ces mécanismes, les pires sont les
tests à grande échelle — en particulier ceux qui sont appliqués au
niveau des États, à l'échelle nationale ou internationale.
Pendant l'été de 1961, une cinquantaine de personnes se sont
réunies à l'Endicott House du Massachusetts Institute of Technology,
dans la banlieue de Boston. U n e vingtaine d'entre elles venaient
d'Afrique tropicale anglophone, de l'est c o m m e de l'ouest. L ' u n e
des nombreuses recommandations formulées par l'ensemble d u
groupe soulignait avec force que, lorsque nous saurions de quelle
manière commencer, nous devrions entreprendre de rénover l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique tropicale. Près de
quatre années se sont écoulées avant qu'aucun d'entre nous ne pense
que nous savions réellement par où commencer le travail qui devait
devenirfinalementl'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences
en Afrique (African primary science study), fruit des efforts concertés
de ressortissants de nombreux pays.
M ê m e en 1961, il était évident pour nous que les programmes
détaillés et les tests détermineraient en fin de compte ce que les écoles
offriraient aux enfants. C e fait est apparu plus clairement que cela
n'est d'habitude le cas en février 1965, lors d'une réunion de planification consacrée à la réforme de l'enseignement. Je cite mes notes.
« Je reviens d'une conférence d'une semaine, qui s'est tenue à
K a n o (Nigeria). Il s'agissait d'établir des plans en vue d'apporter
éventuellement des changements importants à l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique tropicale, avant tout dans la partie
anglophone de cette région. L a moitié des soixante participants
représentaient l'Afrique; la plupart des autres venaient des ÉtatsUnis d'Amérique et quelques-uns d u R o y a u m e - U n i .
» L a réunion prit la forme d'exposés, de démonstrations en classe
et de larges débats. Les premiers exposés ont été ceux d u doyen,
A . Babs Fafunwa, et de John H . Gitau, qui ont décrit les travaux
en cours dans des centres de Nsukka et de Nairobi. E n outre,
E . R . Wastnedge et Leonard Sealey ont rendu compte des expériences
scolaires entreprises dans le Leicestershire, et Philip Morrison a fait
un exposé sur les principes fondamentaux de l'éducation. Je m e n tionne ces interventions parce qu'elles m e viennent à l'esprit en ce
m o m e n t . Elles ne constituent en aucune manière une liste exhaustive.
» Il y a eu en outre des cours de démonstration. Mike Savage,
qui s'occupe de l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences
depuis plusieurs années, a eu récemment l'occasion de travailler en
Afrique, en liaison avec le centre de Nsukka. Il s'est rendu à K a n o
38
Les tests à l'école : aide ou obstacle ?
une quinzaine de jours avant notre réunion et a travaillé avec huit
enseignants africains pendant six heures de cours au total. Ces
maîtres (qui n'avaient accompli e u x - m ê m e s que dix à douze années
d'études) ont appris alors à faire des leçons tirées de l'étude sur
l'enseignement élémentaire des sciences, en particulier « Piles et
ampoules » et « Les pendules ». Puis, à notre intention, ils ont donné
des cours de démonstration à des enfants de K a n o qu'ils n'avaient
jamais eu c o m m e élèves auparavant.
» Qu'il s'agisse des exposés ou des cours, tous les aspects de ces
activités ont été absolument passionnants. Elles n'ont pas seulement
servi à l'initiation de ceux des participants à la conférence qui ne
connaissaient pas encore l'étude sur l'enseignement élémentaire des
sciences ; elles ont contribué aussi à éclaircir les idées de tous ceux
d'entre nous qui s'occupent depuis si longtemps de ce genre d'enseignement. U n accord général s'est manifesté sur les principes pédagogiques conçus pour former des h o m m e s et des femmes ayant
chacun leur personnalité, au lieu d'une masse indifférenciée, et
propres à combattre les effets abrutissants de la routine et d'une
mémoire sans intelligence. Sur tous les problèmes pédagogiques,
notre accord a été si unanime que nous avons chargé u n seul participant, Leonard Sealey (Royaume-Uni), de rédiger l'exposé des
principes pédagogiques. »
Voici le rapport de Sealey.
« Apprendre à apprendre suppose la perception des problèmes et
l'élaboration de stratégies pour les résoudre. Les enfants ne peuvent
apprendre u n tel répertoire que si on leur présente — ou on les laisse
chercher e u x - m ê m e s — des situations significatives et complexes,
mais auxquelles il est possible de faire face. Ces situations doivent
être significatives, c'est-à-dire offrir u n intérêt direct pour l'enfant ;
elles doivent être suffisamment complexes pour que les enfants
désireux de les explorer de façon assez approfondie puissent discerner
de nombreux problèmes connexes. Toutefois, il doit être possible
de résoudre ces problèmes sans trop s'écarter d u domaine de l'expérience immédiate ; l'ensemble devrait être maniable.
» Les enfants doivent avoir à leur disposition des matériaux et u n
équipement qu'ils manipuleront et sur lesquels ils réfléchiront. Ils
travailleront avec des objets et non avec des symboles. Les symboles
viendront plus tard, mais l'échelle temporelle variera pour chaque
enfant. Les problèmes sont résolus par des actions et les individus
peuvent être dans l'impossibilité de décrire une solution quelconque
par des mots ou de la représenter par u n diagramme. Il est nuisible
39
Jerrold R. Zacharias
d'exercer des pressions prématurées pour atteindre ces objectifs3 bien
qu'ils soient certainement valables à u n stade ultérieur. »
A beaucoup d'égards, cette conférence a abouti à des résultats tout
à fait remarquables. N o u s avons tous été d'accord pour penser qu'on
peut tirer des principes scientifiques de base de la chimie, de la
physique, de la biologie, de la technologie, de l'astronomie, o u de
toute combinaison de ces disciplines. C'est seulement dans les établissements d'enseignement supérieur qu'on soutient que les différences
entre ces disciplines sont voulues par la nature. C'est uniquement
à l'université qu'on trouve la deuxième « tour de Babel », la première
ayant été abattue par une langue appelée « anglais approximatif ».
N o u s avons tous estimé que l'enfant doit apprendre à se poser luim ê m e des problèmes et non se contenter de mémoriser les réponses
d'un autre. L a conférence a souhaité voir naître (et a réussi à susciter)
u n esprit de coopération internationale n o n seulement parmi les
pays anglophones d'Afrique, mais encore avec d'autres nations anglophones d u m o n d e . L'idée, à laquelle nous avons souscrit, que chaque
participant doit ajouter quelque chose à la combinaison d'idées,
de processus, de sujets et de mécanismes dont se compose le système
d'éducation, a été allègrement mise en pratique.
L'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en Afrique
est bien devenue l'entreprise en c o m m u n que nous avions jugée
possible. Il est intéressant de noter que ni les processus d'apprentissage ni les leçons que les enfants entreprennent d'apprendre ne
figuraient dans aucun des programmes envisagés en 1965, ce qui
nous semblait pouvoir constituer u n obstacle. U n e cinquantaine
de leçons ont été élaborées, testées, remaniées, testées à nouveau
et sont disponibles pour être étudiées en classe. Pour les classes
primaires élémentaires, il existe des leçons intitulées « L e sable sec »,
« L e sable mouillé », « Les roues ». Pour les classes primaires moyennes
et supérieures, nous avons des leçons intitulées « Les graines »,
« Les petits animaux », « D e m a n d e au fourmi-lion », « Les moustiques », « Les poussins dans la salle de classe », « Les piles et les
ampoules pour lampes de poche », « L a fabrication d'une loupe »,
« L'estimation des nombres », « U n regard scientifique sur le soi »,
« L a mesure d u temps », « Équilibrage et pesage » et « Les pendules »x.
1. Il est possible d'obtenir des exemplaires de A teacher's guide to the African primary science
program en s'adressant au Science Education Program for Africa, P . O . Box M 188, Accra,
G h a n a , ou à l'Education Development Center, 55 Chaptel St., N e w t o n , Mass., États-Unis
d'Amérique. [Voir également dans Perspectives, vol. IV, n° 1, l'article de Hubert M . D Y A S I ,
intitulé « L'enseignement intégré des sciences dans les écoles primaires africaines »
(N.d.l.r.).]
40
Les tests à l'école : aide ou obstacle ?
Néanmoins, tout ce qu'on peut dire à propos de ce genre de travail ne
remplace pas son exécution concrète ou son observation en classe. D e
toutes les entreprises d'aménagement des programmes scolaires que
je connais, l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en
Afrique m e paraît être de loin celle qui a donné les meilleurs résultats.
Manifestement, le programme a suscité u n tel intérêt et les élèves
ont travaillé avec tant de zèle que personne n'a semblé se préoccuper
des programmes détaillés et des tests. (Je crois savoir que ce
programme est maintenant suivi, chaque année, par u n million
d'élèves environ.) C e programme a été évalué1, mais c'est là une
histoire trop longue pour pouvoir être relatée ici. Toutefois, il est
utile d'indiquer le type de questions auxquelles voulait répondre
l'équipe d'évaluation, et je reproduis ci-dessous, d'après l'étude de
M l l e Duckworth, quelques-unes de ces vingt questions.
L'enfant peut-il montrer à quelqu'un d'autre ce qu'il a fait, de
manière à être compris ?
Se creuse-t-il la tête à propos d'un problème et s'efforce-t-il avec
ténacité de le résoudre, m ê m e quand ce problème est difficile ?
Donne-t-il son opinion lorsqu'il n'est pas d'accord sur ce qui a été dit ?
Est-il disposé à changer d'avis sur quelque chose s'il est mis en
présence de faits nouveaux ?
Crée-t-il des objets ?
Se sent-il libre de dire qu'il ne connaît pas telle ou telle réponse ?
Parle-t-il de son travail à d'autres m o m e n t s de la journée ?
Fait-il des comparaisons entre des choses qui semblent très différentes de prime abord ?
Commence-t-il à poser des questions sur des phénomènes courants ?
Lui arrive-t-il de répéter une expérience pour voir si elle donne
toujours le m ê m e résultat ?
S'appuyant fermement sur les succès qu'a remportés le programme
d'enseignement élémentaire des sciences en Afrique (African primary
science program), l'Education Development Center ( E D C ) 2 a entrepris
i. Eleanor D U C K W O R T H , Evaluation of the African primary science program, Newton, M a s s . ,
Education Development Center, 1970.
2. L'Education Development Center est u n organisme privé à but non lucratif, qui se livre
à des travaux de recherche et de développement dans le domaine de l'éducation. Avec le
soutien de fondations, de services gouvernementaux, des milieux des affaires et de l'industrie, l ' E D C exécute une large g a m m e de projets aux États-Unis et à l'étranger. Créé
en 1967 par la fusion de ¡'Educational Services Inc. (ESI) et de l'Institute for Educational
Innovation (IEI), l ' E D C assure actuellement l'exécution d'un certain nombre de projets
relatifs à l'aménagement des programmes d'enseignement et au développement de l'éducation. Ces projets, dont le premier a eu pour résultat la création du Physical Science
Study Committee en 1956, vont du niveau préscolaire au niveau universitaire.
41
Jerrold R. Zacharias
d'élaborer u n nouveau et vaste programme intitulé P r o g r a m m e
de mathématiques, dans lequel on tire parti des sciences, de la
technologie et des arts, et où l'on se sert de la télévision et de matériel
manipulable (A program in mathematics, drawing upon science,
technology and the arts, and using television and manipulable
materials). E n fin de compte, on disposera notamment de 65 émissions télévisées de trente minutes et d'un matériel d'expérience
connexe. A u lieu d'insister sur l'acquisition de simples mécanismes,
le p r o g r a m m e mettra l'accent sur l'application des mathématiques
à des situations, problèmes et phénomènes réels, en plaçant cette
science dans des contextes pratiques et intéressants. E n d'autres
termes, nous nous proposons de dispenser u n enseignement portant
sur les quantités, au heu de n'enseigner que l'arithmétique et d'autres
abstractions mathématiques.
U n e pensée quantitative efficace met à contribution deux types
différents d'aptitudes. L ' u n e est l'aptitude cognitive à résoudre les
problèmes et, en particulier, le don de simplifier les problèmes
difficiles. Il existe tout u n ensemble de techniques appelé 1' « heuristique » qui contribue grandement à simplifier une très large g a m m e
de problèmes. Avec de la pratique, ces méthodes reviennent à peu
près à « fouiller dans son grenier intellectuel », de façon plus ou moins
systématique. N o u s avons l'intention d'enseigner ces manières simples
de penser qu'utilisent couramment (et parfois sans le savoir) les
professionnels travaillant sur des problèmes quantitatifs, et qui
s'appliquent aussi à des problèmes généraux et quotidiens. Ces
méthodes doivent leur valeur particulière au fait qu'un petit nombre
d'entre elles peuvent mener très loin. D a n s les propositions relatives
au nouveau programme de l ' E D C , elles sont formulées c o m m e suit :
Observation, preuves et bases de la conviction.
Ordre de grandeur des quantités significatives et pertinentes ;
mesure.
Approximation successive ; utilisation des erreurs ; rétroaction et
contrôle des processus itératifs.
Reductio ad absurdum — aller jusqu'au bout.
Pluralité d'approches.
Méfiance à l'égard des principes d'exclusion et d'exhaustion ; et
sinon ?
Élégance intellectuelle ; efficacité intellectuelle ; goût, style et jugement.
Symétrie et invariance.
Conditions nécessaires et/mais non suffisantes.
42
Les tests à l'école : aide ou obstacle ?
Continuité et discontinuité ; particules et quanta ; interpolation ;
extrapolation.
Analogie — contraste.
Inference ; implication et vérification de l'hypothèse ; vérifiabilité ;
insolubilité.
Unicité, stabilité, conservation.
Équivalence, congruence, identité.
Point de vue, changement d'échelle, cadre de référence.
Rapport signal-bruit ;fluctuationsmineures et majeures.
Règles d u jeu arbitraires.
Corrélations et interactions.
Anthropomorphisme à l'égard d u m o n d e inanimé.
Interroger u n ami.
L'autre condition de la pensée quantitative est la familiarité avec
des notions et des opérations mathématiques particulières et la
capacité d'en faire usage. N o u s en avons déterminé cinq, dont
l'ensemble forme les rudiments des mathématiques, en ce sens que
leur importance pour l'individu est comparable à la nécessité de
savoir lire et écrire. Il est indispensable d'assimiler ces éléments
si l'on veut exercer une activité professionnelle avec succès à tous
les niveaux d'une société industrielle, excepté les plus bas. Cette
liste, qui devrait constituer le m i n i m u m irréductible de la formation
mathématique, représente, avec certaines méthodes de solution des
problèmes, les objectifs d u programme de l ' E D C :
i. Compter et ordonner ; le système de numération ; la notation
décimale et les puissances de 10 ; les nombres très grands et
très petits, c o m m e 6 x io6 et 6 x io-"6. Les opérations arithmétiques avec u n ou, au plus, deux nombres entiers, c o m m e
7 x 6 = 4 2 . (Nous excluons, par exemple, la théorie des ensembles,
les systèmes de numération n o n décimaux, les opérations arithmétiques portant sur des fractions compliquées, c o m m e ——|—,
les longues multiplications ou divisions.)
2. L e concept de mesure ; les unités de mesure. L a mesure est le lien
principal entre les mathématiques et la réalité, car elle nous permet
d'exprimer la réalité par des nombres. L'accent sera mis sur le
système métrique, mais pas de manière exclusive.
3. L a capacité de faire à première vue des estimations raisonnables ;
par exemple, de taille, de position, de temps et de quantité.
Sans cela, il est impossible d'utiliser les mathématiques de manière
spontanée et intuitive.
43
Jerrold R. Zacharias
4. L e concept de tracé à l'échelle et l'établissement de cartes ; le
concept sous-jacent de rapport.
5. Les graphes à une dimension (lignes graduées) et à deux dimensions (coordonnées).
Marginalement, pour ainsi dire, nous avons l'intention d'introduire des éléments empruntés à trois grands domaines qui ne font
pas habituellement partie d ' u n programme de mathématiques :
les sciences, la technologie et les arts. O n peut utiliser des thèmes
tirés de ces domaines c o m m e véhicules pour présenter des concepts
quantitatifs à l'élève. Ces thèmes peuvent servir d'auxiliaires pédagogiques, d'exemples concrets et appeler l'attention des élèves sur
les objectifs quantitatifs. Si l'on veut que les notions mathématiques
constituent u n sujet d'études vivant et n o n u n simple ensemble
d'exercices formels, il faut les enseigner dans le contexte de situations
« réelles ». L a plupart des gens éprouvent des difficultés avec les
abstractions qui dépassent u n certain niveau et réagissent souvent
beaucoup mieux à des détails bien précis. D e notre point de vue,
le meilleur contexte est constitué par les activités humaines où les
mathématiques jouent déjà u n rôle naturel et significatif: les sciences,
la technologie et les arts. Ces domaines fournissent d'innombrables
exemples pour illustrer et expliquer les thèmes quantitatifs enumeres ci-dessus et montrent que les mathématiques font partie d ' u n
ensemble plus vaste.
E n outre, beaucoup d'éléments empruntés aux sciences, à la
technologie et aux arts se prêtent admirablement à une présentation
attrayante et peuvent avoir leur intérêt et leur valeur propres. L e
programme devrait présenter de temps en temps des thèmes particuliers tirés de ces vastes domaines, selon les occasions, c o m m e
retombées des objectifs principaux.
Les buts d u programme diffèrent quelque peu de ceux de l'enseignement des mathématiques tel qu'il est dispensé aujourd'hui dans la
plupart des écoles. E n général, nous nous intéressons moins à la capacité de faire des calculs compliqués et nous s o m m e s plus soucieux
de faire prendre conscience de la manière dont les mathématiques
peuvent refléter et représenter des aspects d u m o n d e considéré
dans son ensemble. Il peut être extrêmement satisfaisant — et
fort utile — de comprendre que les symboles tracés sur le papier
expriment vraiment la réalité, ou de reconnaître les concepts mathématiques lorsqu'ils apparaissent dans des situations concrètes. Peu
d'enfants aiment les mathématiques ou en parlent. Mais beaucoup
plus d'enfants éprouvent une intense curiosité à l'égard d u m o n d e
44
Les tests à l'école : aide ou obstacle ?
et des techniques que les experts emploient pour le comprendre.
O n peut mettre cet intérêt au service de l'enseignement des mathématiques. D e plus, le programme fournira u n cadre cognitif à
l'intérieur duquel les opérations arithmétiques serviront à atteindre
des buts plus intéressants et ne seront pas simplement des fins en soi.
D a n s une entreprise aussi vaste, il faut garder présents à l'esprit
tous les domaines de préoccupation pertinents : négliger l'un quelconque d'entre eux peut limiter ou m ê m e réduire à néant l'efficacité
du travail acharné de nombreuses personnes. N o u s avons défini
ces domaines c o m m e suit : le système de numération décimale ;
la mesure ; l'estimation ; l'établissement de cartes et le tracé à
l'échelle ; les graphes ; le contenu « heuristique » ; la télévision ;
le matériel à manipuler ; le matériel imprimé ; les films, les bandes
vidéo et les diapositives supplémentaires ; les sciences en tant que
véhicules ; la technologie en tant que véhicule ; les arts plastiques
et la musique en tant que véhicules ; l'application d u p r o g r a m m e
dans les écoles ; l'intervention des enseignants à u n stade initial ;
leur formation ; les lectures connexes ; l'application d u programme
hors des écoles ; les relations entre la communauté et l'école ; le
rôle des parents ; la gestion ; les ordinateurs ; les petites machines à
calculer ; les tests ; l'évaluation en tant qu'information en retour
pour la mise au point d u programme ; l'évaluation d'ensemble.
Chacun de ces éléments mériterait u n examen détaillé et séparé.
Si je disposais d'assez de place dans le présent article, je proposerais
cette liste c o m m e modèle pour la réforme de l'enseignement, de
m ê m e que l'étude sur l'enseignement élémentaire des sciences en
Afrique. Mais l'un des éléments se détache nettement. Je le considère
c o m m e u n bandit aux aguets, prêt à bondir, surtout dans le cas des
écoles moyennes et secondaires. Je pense une fois de plus aux
tests. Si les tests et les programmes détaillés sont vraiment les traîtres
de la pièce, quel en est le héros ? Certainement pas de meilleures
méthodes d'évaluation — bien que nous en ayons grand besoin —
mais de meilleures manières d'attirer l'attention de l'enfant et de
l'inciter à diversifier ses intérêts. E n règle générale, l'idée sousjacente aux tests traditionnels au niveau des États et à l'échelle
nationale ou internationale est de découvrir ce que l'élève « ignore »,
plutôt que de révéler et d'encourager ses talents et ses goûts. E n
face de ce genre de tests, u n système scolaire ne peut guère faire
autre chose que d'établir et d'adopter u n programme détaillé officiel.
D e nombreux participants à la conférence de K a n o sont arrivés avec
des programmes détaillés, parce qu'ils éprouvaient le besoin de
45
Jerrold R. Zacharias
classer les élèves et supposaient, par conséquent, qu'ils devraient
finalement recourir à des tests normalisés. Mais il est impossible de
procéder à u n classement utile et significatif, car les caractéristiques
cognitives, comportementales et affectives des individus ne peuvent
être décrites convenablement que dans u n vaste espace à plusieurs
dimensions. Toute opération de ce genre n'a absolument aucun sens
si l'on vise à former des individus ayant des compétences et des
intérêts divers. Elle n'a de sens que si les tests sont préparés et
appliqués en tant qu' « auxiliaires » afin d'aboutir à u n diagnostic.
D e u x ensembles d'études d'évaluation internationales ont été publiés
récemment : International study of achievement in mathematics: a
comparison of twelve countries1 et International studies in evaluation*.
Ces études montrent clairement qu'il existe toujours u n profond
malentendu sur le problème des tests. E n 1962, Banesh Hoffmann a
publié, sous le titre The tyranny of testing, une critique remarquable
des méthodes d'application des tests dans laquelle il écrivait :
« P e u de gens se rendent compte des effets de la préférence qui
est actuellement accordée aux tests à choix multiple. Ces tests sont
devenus le facteur dominant dans la recherche pédagogique ; ils
constituent l'étalon — voire la définition m ê m e — d u 'progrès'.
Q u a n d , par exemple, des éducateurs désirent comparer les mérites
de différentes méthodes d'enseignement, ils sont enclins à le faire
'objectivement' et 'scientifiquement' au m o y e n de tests à choix
multiple et, dans le processus de sélection naturelle qui s'ensuit,
les 'meilleures' méthodes seront vraisemblablement celles qui reflètent les insuffisances des tests.
» Les examinateurs plus éclairés sont très conscients des défauts
des tests à choix multiple et d u danger qu'il peut y avoir à faire
confiance à telle o u telle méthode d'appréciation, à l'exclusion de
toutes les autres. Il est triste de constater à quel point leurs mises
en garde ont fait peu d'impression sur les gens qui se laissent
convaincre par la propagande des auteurs de tests et qui utilisent
ces tests mécaniquement, c o m m e s'ils constituaient u n substitut
valable au jugement 3 . »
1. Torsten HüSEK (dir. publ.), International study of achievement in mathematics: a comparison
of twelve countries, Stockholm, Almqvist and Wiksell, et N e w York, John Wiley and Sons,
1967.
2. L . C . C O M B E R , J. P . K E E V E S , « Science education in nineteen countries » ; A . C . PURVES
« Literature education in ten countries » ; et R . L . T H O R N D I K E , « Reading comprehension
education infifteencountries », dans International studies in evaluation, Stockholm,
Almqvist and Wiksell, et N e w York, John Wiley and Sons, 1973.
3. Banesh H O F F M A N N , The tyranny of testing, p. 215, N e w York, Collier Books, 1962.
46
Les tests à l'école : aide ou obstacle ?
D e toute évidence, les créateurs des tests internationaux n'ont
guère accordé d'attention à ce que Hoffmann avait écrit. Dans u n
chapitre de l'International study of achievement in mathematics rédigé
par les professeurs B . S. Bloom et A . W . Foshay, on peut lire le
paragraphe suivant :
« Il est u n domaine dont la complexité s'est accrue considérablement depuis 1920 : celui du contrôle des connaissances. Il est possible aujourd'hui d'étudier le degré et la nature de l'incompréhension
de telle ou telle matière scolaire chez u n élève avec une subtilité
précédemment inconnue. Q u a n d ils sont judicieusement conçus
et interprétés, les tests objectifs et modernes de connaissances constituent l'un des plus puissants outils dont dispose la recherche pédagogique. Leur utilisation a permis d'aboutir à des conclusions qui
dépassent de loin le sens c o m m u n 1 . »
Néanmoins, u n examen des tests e u x - m ê m e s révèle leurs défauts :
ambiguïté, ennui, irréalité, banalité, subordination à la capacité
de lire avec aisance et de trouver rapidement le bon procédé qui
permet de gagner du temps pour passer à d'autres problèmes ;
de plus, ils sont peu propres à mettre en lumière des résultats
exceptionnels. Ils récompensent généreusement l'expérience de ceux
qui ont déjà subi des épreuves du m ê m e type. ( C o m m e ils déterminent souvent la scolarité future de l'élève, il existe bien entendu
une bonne corrélation avec l'aptitude à faire le m ê m e genre de choses
dans le cours ultérieur de l'existence.) Pis encore, les tests ne
récompensent pas les capacités eminentes, la marque d u vrai talent,
l'intérêt ou m ê m e le génie. D e nombreux élèves se montrent doués
pour jouer au plus fin avec ceux qui ont mis au point les tests — talent
qui peut être développé avec de la pratique, mais qui n'a pas généralement d'autre utilité.
Outre les injustices qui résultent de notes insuffisantes, de fortes
pressions s'exercent tant à l'intérieur des écoles que sur elles pour
que soient établis des programmes détaillés contraignants, qui étouffent les dons de la plupart des enfants. Certes, je ne sais pas c o m m e n t
résoudre ce problème, mais je pense à quelques expériences.
Tout d'abord, il faut enfiniravec le secret. A cet égard, je propose
qu'on rassemble une énorme collection de sujets d'examen, classés
sous diverses catégories et publiés. Puis, lors d'un examen quelconque, l'élève pourra choisir entre plusieurs d'entre eux. C o m m e
1. B . S. B L O O M , A . W . F O S H A Y , « Formulation of hypotheses », dans Torsten H U S E N (dir.
publ.), op. cit., p. 65.
47
Jerrold R. Zacharias
il aura vu l'ensemble des questions bien à l'avance, il pourra exploiter
ses dons particuliers dans les directions qui les montreront sous leur
meilleur jour. A vrai dire, c'est ce que nous voulons qu'il fasse.
E n deuxième lieu, les tests devraient faciliter u n diagnostic —
pour aider l'élève, les parents, l'enseignant, l'école, le système scolaire.
N o u s devons donc savoir n o n seulement ce que l'élève a répondu,
mais aussi pourquoi il a fait cette réponse. C e n'est pas une tâche
impossible à une petite échelle, s'il y a une intervention humaine
à chaque étape, dans chaque cas. Mais si l'on soumet des millions
d'élèves à des tests, on est tenté de recourir à des dispositifs électroniques. Cette méthode peut se révéler difficile et coûteuse au
début, mais nous devons apprendre à l'appliquer.
E n troisième lieu, dans le domaine scientifique, la vérification
consiste essentiellement à constater qu'une théorie ou u n résultat
particulier concorde avec les données fournies par diverses observations. Ainsi, nous ne pouvons vérifier de manière satisfaisante des
questions offrant cinq options au m o y e n d'autres questions d u
m ê m e type. N o u s ne pouvons vérifier de nouveaux tests d'intelligence au m o y e n de tests plus anciens. A u contraire, nous devons
explorer le processus de vérification à l'aide de tous les mécanismes
imaginables, ou cesser de nous considérer c o m m e des scientifiques.
J'ai souvent dit que les tests sont la gestapo des systèmes d'éducation. C o m m e l'uniformité et la rigidité exigent u n organe d'exécution,
j'ai choisi de donner à cet organe u n n o m particulièrement péjoratif.
L'arbitraire, le secret, l'intolérance et la cruauté le caractérisent.
48
Pièces pour un dossier
L'éducation dans les pays
les moins développés
Présentation
Ethiopie, Guinée, Haïti, Haute-Volta, Laos, LeEn 196c, l'Assemblée générale des Nations Unies
demandait au Secrétaire général de «.procéder à un sotho, Malawi, îles Maldives, Mali, Népal, Niger,
Ouganda, Rwanda,
Samoa-Occidental,
Sikkim,
examen complet des problèmes spéciaux qui se
Somalie, Soudan, République-Unie de Tanzanie,
posent aux pays en voie de développement les
Tchad,
Yemen.
moins avancés et de recommander des mesures spéciales à appliquer dans le cadre de la IIe Décennie
En 1971, l'Assemblée générale des Nations
des Nations Unies pour le développement en vue de
Unies approuva cette liste par une résolution spérésoudre ces problèmes ».
cifique et demanda aux organisations du système
Pour identifier les pays devant entrer dans ce des Nations Unies de tenir pleinement compte des
besoins spéciaux de ces vingt-cinq pays lors de l'élagroupe, la Conférence des Nations Unies sur le
boration de leurs programmes d'activités et dans la
commerce et le développement (UNCTAD)
et le
sélection des projets à financer.
Comité de la planification du développement du
Conseil économique et social devaient retenir les
En exécution de cette résolution, la Conférence
critères suivants : faible revenu individuel, prédo- générale de V Unesco, en 1972, autorisait à son
minance d'une agriculture de subsistance, faible tour le Directeur général à y donner suite, mais,
niveau d'industrialisation, d'éducation, pénurie de avant d'arrêter une série de mesures concrètes en
main-d'œuvre qualifiée, faible organisation admi- faveur des « vingt-cinq », V Unesco compte d'abord
nistrative et gouvernementale, infrastructure éco- organiser en 197S une réunion des hauts fonctionnomique inadéquate ou rudimentaire, coût des
naires des ministères de l'éducation de ces pays et
transports élevé, insuffisance des services de santé,c'est pour préparer cette conférence qu'une réunion
enfin, faible superficie de la plupart de ces pays et d'experts s'est tenue à ¡'Unesco en juillet 1974.
limites correspondantes de leurs marchés internes.
Les experts s'étaient vu confier la tâche d'établir
Ces caractéristiques ont servi à dégager trois in- une sélection des thèmes prioritaires pour la
réunion des vingt-cinq et d'examiner comment
dicateurs principaux : produit national brut de
V Unesco pourrait, dans le domaine de l'éducation,
100 dollars des États-Unis d'Amérique ou moins
contribuer à la révision des orientations et des
per capita ; part de 10 % ou moins de l'industrie
modalités de l'aide internationale afin de rendre
dans le produit national brut; taux d'alphabétisacelle-ci plus efficace et mieux adaptée aux besoins
tion — c'est-à-dire pourcentage des personnes aldes pays les moins développés.
phabétisées dans le groupe d'âge de 15 ans et
au-dessus — de 20 % ou moins. Sur la base de ces
Le débat préliminaire a fait nettement ressortir
indicateurs, le Comité pour la planification du qu'il y avait deux manières opposées d'aborder la
développement avança le nom des pays suivants
question de l'éducation et du développement. Selon
comme constituant le noyau le moins développé
la première, l'éducation est considérée comme essenparmi les pays en voie de développement : Afghatiellement liée à l'organisation en classes de la sonistan, Bhoutan, Botswana, Burundi,
Dahomey,
ciété. Partant de cette hypothèse, une conception
50
Perspectives, vol. V, n° 1, 1975
Présentation
globale de l'éducation doit être fortement préconisée. Dans la seconde approche, on tend à considérer V'éducation comme une institution distincte
dans la société et à présumer, par conséquent, que
ses problèmes sont de nature presque exclusivement
technique, en sorte que les problèmes du système
éducatif sont considérés comme découlant simplement de facteurs tels que la formation des enseignants, les programmes des enseignants, le matériel, etc.
Selon les experts, les résultats du système éducatif de chacun des vingt-cinq pays doivent tout
d'abord être analysés de manière approfondie, avec
recours, s'il le faut, aux principes et aux stratégies
proposés dans Apprendre à être. Par là, il s'agira
essentiellement d'identifier les raisons de l'échec
des systèmes éducatifs des pays les moins développés
et de déterminer en quoi les réformes éventuellement opérées ont été impuissantes à redresser la
situation. Une évaluation précise des facteurs, tant
intérieurs qu'internationaux, qui ont entraîné ces
échecs s'impose autant peut-être qu'un sérieux
examen parallèle des réformes qui, dans d'autres
pays, ont donné de bons résultats. On a estimé
d'autre part qu'il était de la plus haute importance d'envisager « globalement » l'éducation et le
développement afin de bien comprendre les problèmes qui se posent aux vingt-cinq en matière
d'éducation, celle-ci devant être considérée comme
partie intégrante du processus plus large de développement national et en tenant compte des liens
internationaux.
La question de la langue, et plus précisément
celle de la langue nationale, a été considérée comme
vitale dans tout système éducatif, car elle débouche
sur d'autres problèmes majeurs de culture nationale, de manuels, de publications, de diffusion de
matériel éducatif, etc.
L'éducation rurale — coopératives scolaires,
éducation des adultes, alphabétisation et services
de vulgarisation des connaissances techniques —
devrait occuper une place centrale dans tout développement de l'éducation dans ces pays tout en
s'intégrant dans le système éducatif général.
Enfin, l'élaboration de programmes d'enseignement, l'éducation des femmes et le perfectionnement du personnel (enseignants et administrateurs)
ont été considérés par les experts comme des as-
pects essentiels du développement de l'éducation de
tout pays.
En prévision de la réunion des hauts fonctionnaires des vingt-cinq, dont les débats seront à
beaucoup d'égards significatifs, et sans préjuger
leurs conclusions et recommandations, Perspectives a tenu à y apporter sa contribution en consacrant un Dossier aux problèmes de l'éducation
dans les pays les moins développés. Nous avons
donc demandé à quelques spécialistes — dont la
plupart vivent au cœur même de ces problèmes —
de réfléchir à quelques thèmes qui nous ont paru
hautement prioritaires : nature du développement
souhaité, voire nécessaire, et réorientation corrélative du système éducatif; stratégie de conjugaison
de l'éducation et du travail productif à la lumière
d'expériences avortées ou réussies; rôle et économie de la réhabilitation des langues et des
cultures nationales dans les systèmes éducatifs;
que peut être la contribution de la technologie
— sous quelles formes et à quelles conditions —
dans le décollage tout à la fois de l'éducation
et du développement? quels infléchissements et
quelles configurations nouvelles imprimer aux mécanismes traditionnels de l'aide, bilatérale et
internationale, pour la rendre plus rapide et
plus efficace dans la solution des problèmes éducatifs spécifiques des vingt-cinq ? Autant d'interrogations préalables à toute formulation correcte
de la problématique. Quant aux trois derniers
articles, chacun à sa manière décrit un effort déjà
amorcé; ce qui montre bien, s'il le fallait, que pour
être peu développés, ces pays n'en sont pas moins
conscients de l'ampleur du défi à relever, qu'ils ont
posé des premiers jalons et que, comptant certes sur
la coopération internationale, beaucoup parmi eux
ont eu la sagesse de compter d'abord sur euxmêmes.
A la réflexion et à quelques degrés près, les problèmes que l'on a pensé être spécifiques aux vingtcinq peuvent bien être aussi ceux de beaucoup de
pays en développement ; la réponse qui y sera
apportée par l'effort conjugué et solidaire des pays
eux-mêmes et de la coopération internationale est
de la responsabilité de la communauté mondiale
tout entière, sans plus de distinction entre développés et sous-développés ni de superlatif, absolu
ou relatif.
51
Samir Amin
Quelle éducation
pour quel développement ?
O n ne saurait parler de l'éducation sans se poser
la question préalable de sa fonction dans la reproduction sociale. Celle-ci se situe sur deux
plans, celui de la production idéologique et celui
d u développement des forces productives, et,
dans ce double cadre, l'éducation n'est adéquate
— efficiente — que dans la mesure où ses fonctions dans la reproduction s'articulent correctement selon les exigences propres d u m o d e de
production dominant caractéristique d'une société. Et dès lors que la société ne peut être
réduite à son infrastructure, c o m m e n t se définissent les rapports entre celle-ci (l'instance
économique) et la superstructure (l'instance
politico-idéologique) à laquelle ressortit l'éducation ? Ces rapports ne sont pas identiques
d'un m o d e de production à l'autre. Certes, quel
que soit le m o d e de production, l'instance économique est déterminante en dernier ressort si
l'on accepte cette réalité que la vie matérielle
conditionne tous les autres aspects de la vie
sociale, c'est-à-dire que le niveau de dévelop-
Samir Amin (République arabe d'Egypte). Économiste.
Directeur de l'Institut africain de développement économique et de planification (Dakar). A enseigné aux
universités de Poitiers et de Vincennes (France). Auteur
de plusieurs ouvrages sur l'économie, parmi lesquels
on peut citer L'économie d u M a g h r e b ; Trois expériences africaines de développement : le Mali, la
Guinée et le G h a n a ; L'accumulation à l'échelle
mondiale ; L e développement inégal.
52
Perspectives, vol. V , n° i, 1975
pement des forces productives, en déterminant
le volume relatif d u surplus, conditionne la
civilisation. Mais il importe de distinguer cette
détermination en dernière instance de la dominance de l'instance économique ou de celle d u
politico-idéologique.
Instance économique
et instance idéologique
D a n s tous les m o d e s de production précapitalistes, la génération et l'emploi de surplus sont
transparents. Les producteurs ne peuvent donc
accepter la ponction de ce surplus qu'ils produisent et dont ils se savent être les producteurs
que s'ils sont « aliénés » et croient cette ponction
nécessaire pour la survie de l'ordre social et
« naturel ». L'instance politico-idéologique prend
alors nécessairement la forme religieuse et domine la vie sociale. D a n s ces cas, d'ailleurs, si le
surplus ponctionné n'est plus utilisé « correctement » — c'est-à-dire pour maintenir, reproduire et développer l'État et la civilisation — s'il
est « gaspillé » par des envahisseurs pillards ou
u n « mauvais roi », les producteurs se révoltent
pour imposer u n « gouvernement juste », l'ordre
naturel et les lois divines ayant été violés. Lorsque, d'un autre côté, le maintien et le développement de cet ordre social exigent le bon
fonctionnement de groupes sociaux spécifiques,
c o m m e la bureaucratie civile ou militaire ou la
Quelle éducation pour quel développement ?
théocratie au service de la classe État tributaire,
ces groupes occupent une place centrale dans
l'histoire politique de la société. L'observateur
empiriste de l'histoire, quand il croit y voir la
résultante de luttes idéologiques (conflits religieux) ou politiques (conflits de clans), est victime de la m ê m e aliénation que la société qu'il
étudie.
A u contraire, dans le m o d e de production capitaliste, la génération d u surplus est opaque.
C'est là certainement, c o m m e l'a signalé M a r x
lui-même, l'apport essentiel d u Capital : la
transformation de la plus-value en profit. Les
« économistes » étroits ont vu dans cette transformation une contradiction formelle (la prétendue contradiction entre le livre I et le livre II
du Capital). Cela montre seulement qu'ils sont
eux-mêmes victimes de l'aliénation économiste.
Car cette transformation fait disparaître l'origine d u profit (la plus-value), fait apparaître le
capital (un rapport social) c o m m e une chose (les
équipements dans lesquels s'incorpore ce pouvoir social) et dote cette chose d'un pouvoir surnaturel : celui d'être productif. L e qualificatif de
« fétichisme » que M a r x attribue à ce processus
mérite bien son n o m . A u plan des apparences,
dans le m o d e capitaliste, le capital paraît donc
productif, c o m m e le travail ; le salaire semble
être la rémunération juste d u travail (alors qu'il
représente la valeur de la force de travail),
c o m m e le profit la compensation de services
rendus par le capital (risque, épargne-abstinence, etc.). L a société ne maîtrise plus l'évolution de sa vie matérielle : celle-ci apparaît
c o m m e la résultante de lois qui s'imposent à elle
c o m m e des lois physiques, naturelles. Les lois
économiques — l'offre et la demande de m a r chandises, de travail, de capital, etc. — sont le
signe de cette aliénation. C'est pourquoi la
science économique sera idéologie — idéologie
des « harmonies universelles » — et réduira les
lois sociales au statut de lois de la nature indépendante de l'organisation sociale. Si l'instance
économique est mystifiée, en revanche, la politique est démystifiée : elle n'est plus religion. L a
vraie religion de la société capitaliste, c'est
l'économisme, en termes vulgaires le « portemonnaie », c'est-à-dire le consumismo, le culte de
la consommation pour elle-même, sans référence aux besoins. L a crise de la civilisation
contemporaine se retrouve tout entière ici, dans
la mesure où cette idéologie raccourcit l'horizon
temporel de la société et lui fait perdre de vue la
perspective de son devenir. E n m ê m e temps, la
politique devient c h a m p de rationalité affirmée.
Les groupes sociaux qui remplissent des fonctions au niveau de cette instance sont naturellement et clairement au service de la société ;
ils n'apparaissent à aucun m o m e n t c o m m e ses
maîtres1.
La crise de l'éducation
dans les pays capitalistes
C'est à partir de ces prémices que nous pouvons
commencer à réfléchir sur le rôle de l'éducation
dans la société.
Il résulte en effet de ce qui vient d'être proposé pour analyser les rapports entre la superstructure et la base économique de la société que
l'éducation des sociétés précapitalistes a pour
objet essentiel une formation idéologique de
type religieux, seule capable d'assurer la soumission de la société à la ponction d'un surplus
transparent. Simultanément l'autre objet de
l'éducation, la formation technique des producteurs, est non seulement limité par le niveau
réduit des exigences (et largement acquis « sur
le tas » dans l'apprentissage d u métier), mais
encore soumis à la cosmologie religieuse où la
technique c o m m e les sciences de la nature
puisent leurs justifications. Pour la reproduction
de la classe dominante — oisive — la formation
religieuse, considérablement plus poussée, suffit.
i. Voir Samir A M I N , Le développement inégal, chap. I et II,
Paris, Éditions de Minuit, 1973 ; et « L ' h o m m e et la
société », Anthropos (Paris), n° 31-32 (Éloge du socialisme), 1974. Voir aussi J. H A B E R M A S , La technique et
la science comme idéologie, Paris, Gallimard, 1973.
53
Samir Amin
L e capitalisme a bouleversé radicalement ces
conditions et, partant, la place de l'éducation
dans la reproduction sociale. Cependant, au
XIX e siècle, la reproduction de la bourgeoisie est
assurée assez simplement d'une part par l'héritage des fortunes (et la famille), et d'autre part
par l'éducation humaniste et élitiste. L e contenu
idéologique de cette éducation est clair. Il repose
sur une fausse science sociale, qui remplit parfaitement sa fonction. L e développement industriel exige celui des sciences de la nature et leur
spécialisation grandissante. Parallèlement, la
science sociale doit être aliénée, et, pour cela, on
en définit l'objectif en le calquant sur celui des
sciences de la nature : la réalité sociale peut être
observée de l'extérieur, les lois sociales (notamment économiques) s'imposent c o m m e celles de
la nature. L'empirisme et le positivisme sont les
philosophies de cette réduction. Dans ces conditions l'éducation sociale d u bourgeois n'a pas
pour objet d'accroître sa maîtrise consciente sur
la société. A u contraire, cette maîtrise passe par
l'aliénation d u bourgeois lui-même, qui doit
laisser faire les lois économiques, c o m m e la nature. Cette éducation prépare bien les politiciens
du système, qui sont ses idéologues. Parallèlement, l'accélération fantastique d u rythme d u
développement des forces productives, due à ce
fait essentiel que désormais le progrès est inhérent à la machine économique et non plus externe, exige la formation complémentaire de
techniciens, simultanément à la déqualification
du travail simple. L'école européenne d u
xixe siècle remplit parfaitement cet ensemble
de fonctions : l'école primaire pour la formation
idéologique (dite « civique ») des masses, tandis
que la formation des métiers se perd avec la
déqualification d u travail, l'école secondaire et
l'université étant réservées à la formation de la
bourgeoisie, principalement politicienne, accessoirement technicienne.
C'est cette éducation qui est entrée en crise ;
et cela, évidemment, à l'échelle mondiale. C'est
pourquoi toute une série de manifestations de
cette crise sont c o m m u n e s aux pays sous-
54
développés c o m m e aux pays développés, bien
que ceux-là offrent, dans ce domaine c o m m e
dans les autres, quelques caractères spécifiques.
L a base de cette crise c'est d'abord la crise
de la base du système. L a centralisation progressive du capital supprime peu à peu la réalité d u
marché — fondement objectif de l'aliénation
marchande — mais elle en conserve la forme,
parce que le moteur d u système — le profit —
demeure. Dans ces conditions, le système évolue
vers u n nouveau m o d e de production où, la
ponction d u surplus redevenant transparente,
l'idéologie devient à nouveau instance dominante. C e changement a été décrit par Georges
Orwell dans son roman d'anticipation 1984, et
analysé par l'école philosophique de Francfort,
notamment par H . Marcuse 1 et J. Habermas 2 .
E n m ê m e temps la centralisation du capital supprime le capitaliste, en pulvérise les fonctions.
L'héritage perd son importance majeure ; la
transmission s'opère dans u n cadre institutionnel. D u coup la famille elle-même entre en
crise. L'école devrait alors remplir des fonctions
plus importantes que jamais, en rapprochant
le système de celui d u mandarinat. C e qui
correspond bien aux exigences d'une nouvelle
société totalitaire, celle de « l'homme unidimensionnel ».
Parallèlement, dans le domaine des sciences
de la nature et des technologies, la spécialisation
n'a plus pour fonction l'efficacité scientifique.
Elle remplit une fonction nouvelle, celle de justifier une division d u travail de plus en plus
ramifiée, condition d'une hiérarchisation des
salaires qui se substitue aux alliances de classes
antérieures. Mais cette division d u travail devient dysfonctionnelle, et la révolte contre la
division d u travail menace le système à ses
racines m ê m e s . Pour se reproduire, le système
doit donc poursuivre une mutation idéologique :
faire de la science et de la technique une idéo-
1. H . M A R C U S E J L'homme unidimensionnel, Paris, Éditions
de Minuit, 1968.
2. J.
HABERMAS,
op. cit.
Quelle éducation pour quel développement ?
logie, selon la formulation heureuse de J. H a bermas. Tout le système d'éducation d u
xixe siècle est ainsi devenu dysfonctionnel.
L'échec du modèle
d'éducation emprunté
O r c'est précisément à ce m o m e n t m ê m e qu'on
tente de l'étendre aux pays sous-développés, en
faisant c o m m e toujours l'hypothèse à la Rostow
d'un développement linéaire selon lequel ces
pays seraient seulement en retard, alors qu'ils
sont dominés et façonnés de manière spécifique
par cette domination, hier encore brutalement
coloniale pour beaucoup d'entre eux, aujourd'hui par des canaux plus subtils de la division
internationale inégale d u travail1.
L'éducation coloniale avait le mérite d'être
cohérente dans sa brutalité cynique. Elle s'assignait deux objectifs : d'une part la destruction
du système traditionnel complexe de formation
autonome, en vue de déraciner la culture et la
conscience nationales, et d'autre part la formation d'une élite de serviteurs subalternes. L'éducation de ce groupe n'avait pour objet principal
ni de former une bourgeoisie à l'image de celle
de la métropole ni de former les scientifiques et
techniciens capables de développer la technologie, mais seulement de produire des individus
aliénés par le contenu m ê m e de ce qu'on leur
aurait enseigné (volontairement : une langue
étrangère, l'histoire de la métropole, etc.),
c o m m e l'a si clairement montré A b d o u M o u mouni 2 . N i le contenu de cette éducation ni la
quantité d ' h o m m e s formés de cette manière
ne devaient permettre un développement auton o m e quelconque de la société.
A u début des années soixante, avec l'indépendance, les programmes dans ce domaine
s'assignaient pour seul objectif la croissance accélérée de ce type d'éducation. O r il était évident
que le coût de cette formation allait devenir
exorbitant, pour deux raisons principales au
moins. L a première est que l'objectif en matière
d'éducation était en avance par rapport aux
besoins réels d u progrès économique tel qu'il
était envisagé, donc aux moyens du financement
local. O n pensait certes qu'en forçant l'éducation on accélérerait le progrès économique ; on
rejetait alors implicitement la thèse de la planification de l'éducation parce que celle-ci est
nécessairement conservatrice : elle adapte le
flux d'éducation aux besoins d u marché. L a
seconde raison est que l'école envisagée était
celle d u m o n d e développé et que dans cette
perspective les maîtres, appartenant à l'élite
donnée en modèle, devaient être rémunérés selon des critères leur assurant un style de vie dont
le niveau est sans c o m m u n e mesure avec celui
des grandes masses rurales et urbaines. O n pensait surmonter ces difficultés, principalement
financières, par une aide extérieure massive.
Pourtant, m ê m e lorsque les moyens financiers
ont permis d'accélérer considérablement les
rythmes de ce type de scolarisation, l'échec n'en
est pas moins patent et s'est manifesté par divers
phénomènes sociaux : exode rural accéléré, chômage de diplômés, en m ê m e temps que l'efficacité de l'éducation allait en diminuant.
Dans le domaine de l'éducation c o m m e dans
les autres, on avait accepté la thèse conventionnelle d u « sous-développement = tradition
= retard ». Les modèles du m o n d e développé
devaient donc être imités ici c o m m e le sont les
modèles de consommation et les techniques de
production. L'aide extérieure devait jouer ici le
m ê m e rôle accélérateur que le capital étranger
en matière de développement économique, sans
remettre en question l'orientation extravertie de
celui-ci.
O r le modèle m ê m e de la croissance dépendante et extravertie acceptée devait se solder,
c o m m e l'histoire l'a démontré, par une très
i. W . W . R O S T O W , Les étapes de la croissance, Paris, Éditions du Seuil, i960. Pour une critique, voir Samir
A M I N , Le développement inégal, op. cit.
2. Abdou MouMOUNl, L'éducation en Afrique, Paris,
Maspero, 1964.
55
Samir Amin
grande inégalité dans sa distribution et ses
effets. Cette inégalité s'est manifestée d'abord
à l'échelle mondiale par l'élargissement du fossé
qui sépare les pays développés des pays sousdéveloppés ; ensuite à l'échelle d u tiers m o n d e
par la concentration de la croissance dans
quelques pays, et m ê m e dans seulement certaines régions de ces pays, et la stagnation de la
majorité des pays et des zones; enfin à l'échelle
nationale de chacun des pays du tiers m o n d e par
l'accentuation des inégalités sociales. E n m ê m e
temps le modèle de la croissance dépendante
accepté signifiait l'approfondissement de l'intégration dans le système mondial, c'est-à-dire
l'accentuation de la transmission des modèles
dominants.
D e cet échec réel d u développement devait
découler celui de l'éducation. D ' u n e part, l'intégration grandissante dans le système mondial
allait amplifier les effets de démonstration
tandis que, d'autre part, le système économique
était de moins en moins apte à satisfaire les espérances éveillées. Ces problèmes sont évidemment c o m m u n s à tous les pays du tiers m o n d e ;
mais ils se présentent dans les pays dits les
« moins développés » d'une manière particulièrement aiguë d u fait que ces pays ont été
les plus grandes victimes d u modèle de développement extraverti.
56
E n m ê m e temps, ici encore plus qu'ailleurs,
les incohérences grandissantes par lesquelles le
modèle d'éducation emprunté se caractérise à
l'échelle mondiale m ê m e , c'est-à-dire par rapport aux exigences d u système dans son centre
m ê m e (qui est l'objectif proposé), éclatent
d'une manière qui prend les proportions d'une
caricature.
O n sent alors pourquoi ces pays sont, dans ce
domaine c o m m e dans les autres, des « maillons
faibles » : les illusions d'une croissance « acceptable » dans le système y sont nécessairement
minces. Aussi bien voit-on clairement les grandes lignes tout autant d'une stratégie de développement autocentrée que d'une éducation
radicalement différente d u modèle emprunté.
L a stratégie doit partir d'une définition directe
des besoins des grandes masses, sans référence
au modèle européen ; elle doit être nécessairement égalitaire ; elle doit compter essentiellement sur ses propres forces ; elle doit aider
à éveiller une capacité d'innovation technologique autonome. A cette stratégie correspondent
des formules d'éducation populaires et généralisées, égalitaires, ajustées directement aux
besoins des grandes masses par l'association de
la théorie et de la pratique, susceptibles de
démystifier le modèle de civilisation imité
jusqu'ici.
Manzoor Ahmed
Éducation et travail :
éléments pour une stratégie
Les systèmes éducatifs laissent visiblement beaucoup à désirer sur le plan de la préparation à
l'emploi. Certains phénomènes fort répandus
le montrent bien : trop d'élèves veulent poursuivre leurs études à u n niveau supérieur de
l'enseignement traditionnel au lieu d entrer dans
le m o n d e d u travail ; trop d'élèves comptent
trouver u n emploi (avec la rémunération et
le prestige qui s'y attachent) d'un type qui
n'existe pas ; trop d'élèves ne trouvent pas u n
emploi où ils auraient l'occasion d'utiliser leurs
compétences ; trop d'élèves enfin ne trouvent
absolument aucun emploi rémunéré.
Il y a donc u n problème de débouchés à la
sortie de l'école et de « chômage des intellectuels ». II est particulièrement inquiétant, surtout, qu'un grand nombre d'adolescents et
d'adultes — une large majorité dans les pays
les plus pauvres — occupent o u prennent,
pour u n salaire de misère, des emplois dans
lesquels leur productivité est très faible quand
ils ne sont pas purement et simplement en
chômage et qu'aucun enseignement susceptible d'influer sur leur productivité et leur
rémunération1 ne soit organisé à leur intention.
La
situation
Examinons, tout d'abord, le cadre dans lequel
s'inscrit le problème, c'est-à-dire la situation
des pays en voie de développement les plus
pauvres. Bien que ces pays ne forment pas une
catégorie homogène et que toute généralisation puisse être dangereuse, ils ont en c o m m u n
certains handicaps naturels et historiques qui
ont freiné, à des degrés divers, leur processus
de développement 2 .
Ces pays sont généralement m a l dotés en
richesses naturelles : la terre y est aride (sauf
i. Pour un examen du problème de l'emploi dans les pays
peu développés sur la base des constatations de missions pilotes organisées dans le cadre d u Programme
mondial de l'emploi de T O I T , voir Bureau international
Manzoor Ahmed
(Bangladesh). Directeur associé des
du travail, Strategies for employment promotion, Genève,
études sur la stratégie de l'éducation au Conseil intert973» et) en particulier, Richard J O L L Y , Dudley SEERS
national pour le développement de l'éducation (CIDE),
et Hans S I N G E R , « T h e pilot missions under the world
employment programme », et Erik T H O R B E C K E , « T h e
Essex, Conn. (États-Unis d'Amérique).
A enseigné à
employment problem: a critical evaluation of four I L O
¡'Institute of Education and Research, Université de
comprehensive country reports ».
Dacca. Coauteur de deux ouvrages de la série du
CIDE sur l'éducation non institutionnalisée : L ' é d u - 2. Pour une typologie possible du sous-développement,
voir Tibor M E N D E , « L'aide dans son contexte »,
cation périscolaire au service d u développement rural :
Perspectives, vol. I V , n° 2 , 1974, p. 212. L a plupart
renforcement des possibilités de formation offertes
— mais non la totalité — des pays les plus pauvres
aux enfants et aux jeunes et Attacking rural poverty:
entreraient probablement dans la première catégorie
h o w nonformal education can help.
que distingue M e n d e (N.d.l.r.).
57
Perspectives, vol. V , n° 1, 1975
Manzoor Ahmed
quelques exceptions, c o m m e celle d u Bangladesh), les ressources minérales peu nombreuses
et les sources d'énergie limitées. L a densité absolue de la population n'est pas toujours très forte,
mais, compte tenu du fait que le milieu naturel
de certains de ces pays est inhospitalier, elle est
généralement assez élevée par rapport à la superficie des terres exploitables, d'autant plus
que les progrès réalisés dans le m o n d e en ce
qui concerne la lutte contre les épidémies et
la famine ont entraîné u n accroissement considérable de la population. Les économies nationales manquent de dynamisme et sont caractérisées par la coexistence d'un petit secteur
moderne à croissance lente et d'un important
secteur de subsistance dont une partie reste
encore en dehors de toute transaction m o n é taire. Il y a aussi u n petit « secteur informel »
— étape méconnue entre le secteur rural de
subsistance et le secteur urbain moderne —
où ceux qui ont déserté le premier sans pour
autant trouver place dans le second gagnent
chichement leur vie en se livrant à de menus
travaux1.
campagnes, où la proportion des enfants qui le
terminent est inférieure à 25 % de la population totale de ce groupe d'âge2. D e plus, rien
ne permet d'espérer qu'un type quelconque
d'enseignement scolaire sera largement offert
à la population dans u n avenir prévisible3.
D o n c , quoi qu'on fasse pour améliorer (notamment en y introduisant u n enseignement fonctionnel) et multiplier les écoles traditionnelles,
et quels que soient les succès ainsi obtenus,
la majorité des personnes qui ont le plus besoin
d'une aide pour se préparer à gagner leur vie
ne seront pas touchées.
L e sous-développement des pays les plus
pauvres implique que le petit secteur moderne
à économie monétaire emploie une faible proportion de la main-d'œuvre, en général moins
de 20 % du total, et que le rythme des créations
d'emplois y est faible ( m ê m e si les technologies
à forte intensité de main-d'œuvre sont encouragées) puisque ce secteur est limité en chiffres
absolus. U n e écrasante majorité de ceux qui
La structure socio-économique est généralement caractérisée par la rigidité et par des
inégalités criantes : le pouvoir est accaparé
par une élite, tandis que les besoins des m a s ses et le développement des campagnes sont
négligés. L'infrastructure matérielle du développement — moyens de transport et de c o m m u n i cation, ouvrages d'irrigation, centrales électriques — est tout à fait insuffisante. D e m ê m e ,
l'infrastructure institutionnelle — administration, établissements financiers et de crédit —
m a n q u e de vigueur et de personnel compétent.
Tous ces facteurs produisent u n grave syndrome de sous-développement dont les nations
pauvres souffrent de façon plus o u moins
intense.
1. Voir O I T , Employment, incomes and equality: a strategy
for increasing productive employment in Kenya, Genève,
1972.
2. Par rapport à cette population, le pourcentage des
enfants inscrits dans les écoles de certains pays africains
était estimé c o m m e suit en 1970 : Ethiopie, 15 ; G a m bie, 30 ; Libéria, 36 ; Malawi, 39 ; Nigeria, 31 ; O u ganda, 43 ; Sierra Leone, 36 ; Somalie, 9 ; RépubliqueUnie de Tanzanie, 33 (Bureau régional de l'Unesco
pour l'éducation en Afrique, Selected statistical data
on 35 countries of sub-Sahara Africa, Dakar, 1972).
Bien entendu, le taux d'achèvement après abandons
serait beaucoup plus faible. E n outre, les statistiques sur
le pourcentage d'inscriptions sont généralement gonflées. Voir Philip H . C O O M B S , R o y P R O S S E R , Manzoor
A H M E D , L'éducation périscolaire au service du développement rural : renforcement des possibilités de formation
offertes aux enfants et aux jeunes, p. 27-29, N e w York,
Conseil international pour le développement de l'éducation, février 1973.
L'état de sous-développement des nations les
plus pauvres implique que le système d'établissements scolaires est encore limité : m ê m e le
cycle primaire n'est achevé que par une petite
minorité d'enfants — en particulier dans les
58
3. O n lit par exemple dans Uganda thirdfiveyear development plan, p. 328 (document relatif au troisième plan
de l'Ouganda) : « Si ... le taux d'accroissement de la
population continue c o m m e à présent à s'accélérer progressivement, l'enseignement primaire universel ne
deviendra une réalité que plusieurs décennies après la
fin de ce siècle, sauf si u n pourcentage disproportionné
des ressources du pays est consacré au développement
de l'enseignement primaire. »
Éducation et travail : éléments pour une stratégie
atteignent l'âge de travailler doit trouver place
dans l'agriculture et dans d'autres professions
rurales et aucun changement fondamental n'interviendra à cet égard dans un avenir prévisible.
Aussi efficaces et fructueux que soient les programmes de formation orientés vers le secteur
moderne, ils ne peuvent donc guère contribuer
par eux-mêmes à résoudre le problème de
l'emploi.
L e sous-développement des pays les plus
pauvres implique aussi que l'économie rurale
ne parvient pas à sortir d'un cercle vicieux
(faible demande, faible productivité et faible
revenu) et qu'elle subit constamment la pression
d'une foule toujours croissante de personnes en
âge de travailler qui n'ont aucun autre débouché. Cette situation, jointe à de maigres ressources en capital, à une infrastructure institutionnelle insuffisante, à une infrastructure
matérielle médiocre, au petit nombre de bons
gestionnaires et, souvent, à des politiques qui
manquent de nerf, ne laisse aucun espoir de
créer des emplois productifs de revenus en se
bornant à des actions de formation — m ê m e
dans les domaines où former du personnel qualifié est jugé nécessaire et opportun.
Trois types de réponses
Maintenant que nous avons brossé ce sombre
tableau, examinons les efforts déployés pour
s'attaquer au problème d u m a n q u e de concordance entre l'enseignement, d'une part, et les
emplois que les élèves se voient et comptent se
voir offrir, d'autre part. Ces efforts peuvent être
groupés en trois catégories principales.
Première catégorie : toutes les variantes des
réformes visant à réorienter l'enseignement général traditionnel d u premier et d u second
degré pour le rendre plus concret et plus fonctionnel, y compris la « ruralisation » de l'enseignement primaire et la « professionnalisation »
de l'enseignement secondaire. Deuxième catégorie : développement de l'enseignement pro-
fessionnel à proprement parler, avec, outre u n
enseignement professionnel et technique traditionnel, des initiatives tendant à assouplir l'enseignement professionnel et à mieux l'adapter
aux possibilités d'emploi, d'une part; et une
évolution vers une conception moins institutionnalisée et plus informelle de l'enseignement
professionnel traditionnel, d'autre part. Troisième catégorie : les actions entreprises pour
offrir, surtout dans les zones rurales, à des
clientèles qui, jusqu'à présent, ne sont généralement pas touchées par le système éducatif, des
possibilités de bénéficier d'un enseignement
professionnel ou d'une formation dispensés en
dehors des établissements traditionnels.
ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL
FONCTIONNEL
Pour autant que nous le sachions, il n'y a eu
aucune évaluation internationale systématique
des efforts déployés dans un assez grand nombre
de pays pour ruraliser les écoles primaires et
professionnaliser les écoles secondaires. A en
juger par ce que nous avons observé dans plusieurs pays en voie de développement et par la
documentation disponible sur des pays déterminés, il semble que ces efforts ne reposent pas
sur des conceptions exemptes de tout malentendu. Les réformateurs qui tentent de ruraliser
les écoles primaires sont pleins de bonnes intentions, mais ils confondent deux choses différentes r a) donner u n « parfum » rural aux programmes d'enseignement primaire et faire en
sorte, en les reliant à l'environnement immédiat
des élèves, que ceux-ci s'y intéressent davantage —• ce que toutes les bonnes écoles primaires
devraient tâcher de faire ; et b) essayer de transformer les élèves d u primaire en « petits agriculteurs » — ce que les écoles primaires ne
sauraient faire et ce à quoi ni les élèves ni leurs
parents ne sont préparés.
Ces réformateurs oublient une chose : si les
jeunes ruraux essaient de fuir vers la ville au
lieu de rester dans les campagnes, s'ils cherchent
59
Manzoor Ahmed
des emplois ou m ê m e acceptent u n chômage
prolongé dans les villes au lieu de devenir agriculteurs ou de choisir d'autres professions
rurales, ce n'est pas faute d'avoir été initiés à
des modes de culture rationnels — m ê m e s'il
en est ainsi — mais parce que les emplois
actuellement offerts dans les campagnes, y
compris l'agriculture, ne peuvent procurer à la
plupart des jeunes un revenu et un niveau de vie
raisonnables.
A u niveau secondaire également, l'introduction de cours professionnels, à en juger par la
documentation disponible, n'a guère contribué
à rendre moins aigu le problème de l'emploi
des diplômés du secondaire ou à réduire l'afflux des candidats à l'enseignement supérieur.
A u lieu de cela, chaque fois qu'un vaste prog r a m m e de professionnalisation a été entrepris,
le résultat net obtenu a été u n accroissement
substantiel des dépenses d'investissement et de
fonctionnement de l'enseignement secondaire.
Il est illusoire de tenter de résoudre le problème
du marché d u travail et de la croissance économique globale en se bornant à opérer certaines
réformes dans l'enseignement scolaire1.
Certes, on n'a pas tort d'introduire des éléments fonctionnels dans l'enseignement dispensé par les écoles primaires et secondaires
— qui, bien trop souvent, se fonde sur des
manuels à apprendre par cœur et sur des programmes rigides sans grand rapport avec la vie
de l'élève et la réalité qui l'entoure. La mission
la plus importante que les écoles primaires et
secondaires peuvent remplir sur le plan de la
préparation à la vie productive est de donner
aux élèves une bonne instruction générale, de
les aider à acquérir les connaissances élémenraires et la tournure d'esprit qui leur permettront de continuer à s'instruire par la suite, de
les orienter dans le m o n d e matériel, social et
biologique où ils auront à accomplir leur tâche
de producteur, de concourir à leur faire adopter
des attitudes et à leur inculquer des valeurs qui
faciliteront leur insertion dans la société en tant
que membres actifs. Dans le cadre de cet ensei-
60
gnement général et pour souligner que gagner
sa vie au m o y e n d'un travail productif est u n
impératif fondamental, divers éléments fonctionnels devraient trouver place dans les programmes du primaire et du secondaire2.
Bien entendu, le problème fondamental qui
reste à résoudre est celui-ci : la réorientation de
l'enseignement traditionnel laissera de côté la
plupart des jeunes des pays pauvres. Il faut
donc explorer d'urgence de nouvelles formules,
s'efforcer d'offrir au moins un cycle élémentaire
d'enseignement général à une population plus
large, de manière à répondre à un m i n i m u m de
besoins éducatifs, y compris d'éducation fonctionnelle3.
D e plus, u n enseignement fonctionnel dispensé dans les écoles primaires et secondaires
ou dans le cadre de programmes non traditionnels ne saurait se substituer à la formation professionnelle, ni résoudre le problème de l'accès
à u n emploi productif à la sortie de l'école.
Tout ce qu'on peut demander à ce type d'enseignement, c'est de bien préparer les élèves
à u n enseignement professionnel proprement
dit, qui devra leur être dispensé dans des établissements de formation ou en cours d'emploi.
RÉFORMES DE L'ENSEIGNEMENT
PROFESSIONNEL
Tandis que la production des écoles secondaires
commençait à dépasser la capacité d'absorption
du secteur moderne de l'économie au niveau
de rémunération couramment pratiqué, d'imi. Eugene S T A L E Y , Planning occupational education and
training for development, N e w Delhi, Orient L o n g m a n ,
1970 ; et Philip F O S T E R , « T h e vocational school fallacy
in development planning », dans Unesco, Textes choisis
sur l'économie de l'éducation, p . 614-633, Paris, Unesco,
1968.
2. Voir Eugene S T A L E Y , Work oriented general education—A
proposal for curriculum development at the school stage,
B o m b a y , Popular Prakashan, 1973.
3. Pour u n examen des besoins minimaux en éducation
et des formules qui pourraient remplacer l'école primaire, voir L'éducation périscolaire au service du développement rural, op. cit.
Éducation et travail : éléments pour une stratégie
portants déficits en techniciens qualifiés de
niveau m o y e n , artisans et autres ouvriers apparaissaient. Pour résoudre ce problème, de
nombreux pays en voie de développement se
sont empressés de créer des instituts de formation technique et professionnelle conçus sur
le modèle des écoles secondaires, avec des enseignants et des élèves à plein temps, des installations qui leur sont propres, des programmes
imposés, des examens et des diplômes — et ils
sont m ê m e allés parfois jusqu'à tenter d'établir
des équivalences entre cet enseignement technique et l'enseignement secondaire général d u
point de vue de la durée des études et de la
valeur des diplômes.
A quelques exceptions près, cette tentative
d'élargissement de la formation professionnelle
suivant le modèle de l'enseignement traditionnel
n'a pas produit de bons résultats. Les problèmes
des programmes institutionnalisés d'enseignement professionnel ont récemment été récapitulés dans une étude internationale sur l'enseignement informel en relation avec l'emploi :
le coût de ces programmes est trop élevé pour
qu'ils puissent toucher plus qu'une petite
fraction des jeunes ; il a été très difficile, face
à la concurrence d u secteur privé et d'autres
organismes publics, de recruter et de garder
de bons professeurs spécialisés dans l'enseignement technique ; la formation offerte est souvent
mal adaptée aux exigences du marché et aux
besoins concrets des employeurs ; les plans
d'étude, les méthodes et le matériel, qui d e m e u rent immuables, correspondent de moins en
moins aux exigences d'un environnement en
pleine transformation et à des conditions de
travail qui ne cessent de se modifier ; enfin,
il est fréquent qu'une forte proportion de leurs
diplômés ne trouvent pas u n emploi où leur
formation leur sert effectivement. Dans l'ensemble, les résultats obtenus n'incitent à poursuivre qu'avec beaucoup de circonspection et
de discernement l'enseignement professionnel
traditionnel au niveau secondaire, surtout dans
les zones rurales1.
L e bilan des établissements de formation professionnelle à plein temps étant généralement
décevant, on a vu se multiplier les initiatives
tendant à accorder une plus large place à
d'autres formules — cours organisés de façon
souple, à temps partiel et de durée variable,
dans lesquels les contenus et les méthodes de
l'enseignement sont improvisés et adaptés en
fonction des possibilités offertes par l'économie
locale ; recours accru à l'apprentissage et à la
formation en cours d'emploi ; programmes spéciaux combinant, à l'intention des jeunes, la
formation et l'enseignement général, etc. Parmi
les initiatives de ce type qui ont été passées
en revue par le Conseil international pour le
développement de l'éducation ( C I D E ) dans le
cadre de ses études internationales, figurent des
programmes tels que les écoles mobiles de
formation professionnelle en Thaïlande, les
instituts polytechniques de village au Kenya,
les camps de jeunes à la Jamaïque et l'apprentissage associé à une formation institutionnalisée
en Colombie.
Certes, ces programmes tentent de remédier
à bon nombre des insuffisances des établissements traditionnels de formation professionnelle, et se sont souvent révélés plus à m ê m e
que ces derniers d'adapter leur formation à la
demande de main-d'œuvre et d'aider leurs
élèves à acquérir des compétences qu'ils ont
ensuite l'occasion d'utiliser effectivement. T o u tefois, ils ont en c o m m u n avec les cours traditionnels de formation certaines caractéristiques
qui les empêchent de jouer u n rôle plus que
marginal dans la solution d u problème central
de la formation professionnelle et de l'emploi :
Ces programmes sont dans l'ensemble orientés
de manière à répondre aux besoins du secteur
moderne. Si le système de formation est plus
souple et probablement plus efficace, son
contenu est plus ou moins analogue à celui
i. Philip H . C O O M B S , Manzoor A H M E D , Attacking rural
poverty: how non-formal education can help, p. 144,
Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1974.
6l
Manzoor Ahmed
de l'enseignement dispensé dans les établissements de formation aux professions d u
secteur moderne.
Pour suivre la plupart de ces programmes, il
faut avoir préalablement passé u n certain
nombre d'années dans une école traditionnelle — ce qui exclut effectivement u n très
grand nombre de personnes qui ont besoin
d'une formation professionnelle. E n fait,
beaucoup de ces programmes ont été institués
pour contribuer à résoudre le problème des
débouchés à la sortie de l'école et non le
problème général de la formation.
Il s'agit de programmes entrepris sur une assez
petite échelle, de sorte que ceux qui en bénéficient sont peu nombreux par rapport à ceux
qui en auraient besoin ; de plus, les possibilités de les développer sont assez limitées.
L e m a n q u e de personnel qualifié dont on
parle souvent est u n m a n q u e relatif : m ê m e
si tous les besoins d u secteur moderne sont
satisfaits, le problème global de la formation
et de l'emploi n'en demeurera pas moins
entier.
L e coût de ces programmes est élevé, ce qui
contribue aussi à expliquer que leur ampleur
reste relativement faible. Bien que leurs coûts
unitaires varient largement et que certains
d'entre eux soient moins onéreux que les
établissements traditionnels, le prix de revient
par élève est tel, m ê m e dans le meilleur des
cas, qu'il est souvent impossible d'élargir
rapidement la portée de ces programmes, à
supposer que cela soit justifié par les perspectives d'emploi existantes1.
PROGRAMMES PÉRISCOLAIRES DESTINÉS
A DES CLIENTÈLES RURALES
C o m m e c'était à prévoir, ces programmes diffèrent largement à tous les points de vue :
organisation, dimensions, administration, fins
éducatives spécifiques. E n général, ils sont axés
sur la formation ou le perfectionnement dans
des activités, tant agricoles que n o n agricoles,
62
qui ont u n intérêt immédiat pour l'économie
du village; ils recourent essentiellement à
l'apprentissage par la pratique ; ils tentent
d'adapter les contenus et les méthodes aux
circonstances locales ; et ils utilisent avec souplesse le personnel, les installations, les terres
et les autres ressources disponibles localement
pour atteindre leurs objectifs. Les personnes
qu'ils touchent n'étant généralement pas passées
par l'école primaire, les plans d'études comprennent parfois u n enseignement général élémentaire. O n peut citer c o m m e exemples de tels
programmes, les centres d'éducation rurale en
Haute-Volta, les clubs de jeunes agriculteurs
au D a h o m e y , le programme Promoción Profesional Popular Rural (PPPR) d u S E N A (Servicio Nacional de Aprentizaje) en Colombie, et
la formation des tisserands à Sri Lanka.
Ces programmes abordent sérieusement, et
sous un angle nouveau, le problème de la formation et de la création d'emplois dans les zones
rurales reculées. Ils rendent d'utiles services
dans ces zones et les participants en tirent u n
profit substantiel. Cependant, ils n'apportent
pas, eux non plus, une solution viable et effective aux problèmes fondamentaux de l'enseignement professionnel dans les pays les moins
développés.
Les programmes de la Haute-Volta et d u
D a h o m e y , par exemple, tentent d'initier les
jeunes à l'agriculture (et de les alphabétiser)
dans l'espoir qu'ils seront ensuite capables
d'appliquer les techniques qu'ils auront apprises
et qu'ils échapperont ainsi au sort des autres
habitants de leur village, qui gagnent misérablement leur vie. Toutefois, cette formation
n'est pas liée à u n effort systématique et résolu
tendant à éliminer les nombreuses contraintes
— dans les domaines d u crédit, des engrais,
des semences, des marchés, des transports, d u
traitement des produits, de l'information, etc. —
qui limitent les possibilités d'action de tous les
i. Pour u n examen du coût des programmes de formation,
voir Attacking rural poverty, op. cit., chap. il.
Éducation et travail : éléments pour une stratégie
agriculteurs de la région et expliquent la médiocrité de leur rendement 1 . Mais, et c'est là u n
signe positif, certains anciens élèves des centres
d'éducation rurale de Haute-Volta constituent,
c o m m e les agriculteurs formés au D a h o m e y ,
des coopératives de producteurs — ce qui
montre qu'ils ont pris conscience des obstacles
fondamentaux à une amélioration de l'agriculture et qu'ils s'efforcent de les surmonter2.
L e S E N A - P P P R , lui aussi, offre aux ouvriers
et aux campesinos une formation qui s'inscrit
dans le cadre des institutions existantes, ce qui
contribue à rendre les exploitations agricoles
plus rentables en accroissant l'efficacité des
travailleurs. L e résultat net est probablement
celui-ci : les propriétaires d'haciendas et de
plantations s'enrichissent, mais cela ne contribue guère à créer de nouveaux emplois ou à
augmenter les gains des ouvriers agricoles.
Selon nous, « l'impact semble plus grand lorsque
les cours d u S E N A sont organisés de concert
avec l'organisme chargé de la réforme agraire
ou u n autre organisme qui a élaboré u n plan
plus large de développement local dans lequel
la formation du S E N A peut s'inscrire. Malheureusement, cela est loin d'être le cas partout3 ».
L e programme organisé à l'intention des
tisserands de Sri Lanka paraît être vigoureusement et efficacement m e n é , mais le nombre
d'habitants des campagnes employés dans cette
industrie et celui des stagiaires admis chaque
année à participer au programme plafonnent
depuis plusieurs années, bien que le gouvernement cherche à accroître sensiblement la production des métiers à tisser. Il semble que les
diverses mesures prises par le gouvernement en
matière de développement industriel, d'importations et defiscalitén'ont pas rendu les prix
suffisamment intéressants pour que l'industrie
du tissage rural se développe. D e plus, le
salaire de la plupart des tisserands est inférieur
au m i n i m u m vital parce que leur rendement
est faible et le marché pour leurs produits
limité. Cette profession attire donc surtout les
femmes qui se contentent d'un salaired'appoint4.
U n e des raisons qui expliquent qu'un grand
nombre de ces programmes de formation s'intègrent mal à l'économie rurale et y demeurent
c o m m e des corps étrangers est qu'ils méconnaissent les processus et les modes d'enseignement
de diverses pratiques essentielles qui sont traditionnels dans la région en question. Les
garçons et les filles des campagnes commencent
très tôt à participer aux travaux quotidiens et
apprennent diverses choses dans le cadre de
cet apprentissage. O n cherche rarement à explorer les possibilités qu'offrent ces processus
autochtones, à les étoffer et à les renforcer, à les
élargir et à les perfectionner grâce à l'apport
financier et technique indispensable, alors que
cela donnerait probablement aux personnes que
l'on s'emploie à former une meilleure chance
de s'insérer dans l'économie locale que ne le
ferait un programme surajouté5.
Éléments d'une stratégie
Il est évident que les programmes et les approches habituels, tout en remplissant des fonctions
utiles, n'abordent pas de front le problème
central d u lien entre l'éducation et le travail :
il ne suffit pas, en effet, de savoir c o m m e n t
enseigner les connaissances pratiques voulues ;
il faut aussi trouver des moyens de rattacher
i. D e plus, en Haute-Volta, alors que les centres d'éducation rurale débouchent sur une impasse, un segment
de la population a accès à un enseignement primaire et
secondaire traditionnel avec le prestige et les perspectives que cela comporte. Cet état de choses pose u n
grave problème socio-politique.
2. Attacking rural poverty, op. cit., p. 96-99 ; André
L E M A Y , « Les clubs de jeunes agriculteurs d u D a h o m e y », dans Une autre éducation pour la jeunesse ?
Formation — action pour le développement, Dakar,
Bureau régional de l'Unesco pour l'éducation en
Afrique, 1972.
3. Attacking rural poverty, op. cit., p. 48.
4. Marga Institute, Nonformal education in Sri Lanka.
(Étude préparée pour le C I D E , C o l o m b o , 1974.)
5. C I D E , Concevoir de nouvelles stratégies pour l'éducation
des enfants et des jeunes des zones rurales, p. 68 et 69.
(Projet de rapport établi pour l'Unicef, mars 1974.)
63
Manzoor Ahmed
la formation à l'action entreprise pour accroître
le nombre d'emplois, la productivité et le
revenu, en particulier dans les zones rurales des
pays les moins développés.
U n e fois qu'on a pris conscience de cela,
l'esquisse d'une stratégie de la formation n'est
pas difficile à imaginer. Elle serait fondée sur
une nouvelle optique, l'enseignement n'étant
plus considéré c o m m e une action isolée, mais
c o m m e l'élément essentiel d'un programme de
développement qui aurait une incidence directe
sur l'accroissement de l'emploi, de la productivité et des revenus dans une zone donnée.
N o u s ne parlons pas ici de la relation générale
et vague entre l'éducation et le produit national
brut ( P N B ) à propos de laquelle on entend
souvent dire des banalités ; elle ne saurait en
effet justifier une activité éducative quelconque
en tant que facteur de développement. Selon
la stratégie suggérée, la formation devra, c o m m e
les autres éléments de l'enseignement général,
s'insérer dans le cadre d'un plan de développement et répondre directement aux exigences
précises de ce plan à mesure que son exécution
avance. L a dimension, la structure, la qualité,
les méthodes et le contenu de l'élément « formation pratique » de l'éducation seraient définis
en fonction des emplois et des perspectives de
production résultant de l'effort de développement. Aucune formation ne serait dispensée
lorsqu'il n'existerait pas déjà des emplois correspondants ou qu'aucun ne serait prévu et que
rien ne laisserait espérer que le bénéficiaire de
cette formation trouverait d'une manière ou
d'une autre u n emploi rémunéré 1 .
N o u s ne perdons pas de vue le fait que le
développement ne consiste pas seulement à
augmenter le nombre d'emplois, la production
et les revenus et que l'éducation ne se ramène
pas à la formation professionnelle. N o u s ne
pourrons qu'effleurer ici certaines des questions
que posent le développement général et les
stratégies d'éducation. N o u s pensons, toutefois,
que les questions d'emploi, de production et
de revenu seront au premier plan de tout effort
64
sérieux de développement dans les pays encore
peu développés et qu'une conception viable
de l'enseignement en fonction du travail déterminera la forme et la valeur d u système
d'éducation.
U n lien direct peut être établi entre la formation et les autres activités d'éducation, d'une
part, et le processus de développement, d'autre
part, dans u n certain nombre de perspectives
— dans le cadre d'un projet de développement
intégré d'une zone, de coopératives de production ou d'une structure communautaire de production c o m m e en Chine et en RépubliqueUnie de Tanzanie.
PROJETS DE DÉVELOPPEMENT INTÉGRÉ
Les projets de développement rural intégré
sont de plus en plus considérés c o m m e u n
m o y e n efficace de transformer les campagnes
des pays en voie de développement. Ces projets
visent à exploiter le potentiel de développement
d'une région géographique limitée grâce à une
action concentrée et concertée qui implique
un diagnostic des possibilités de développement
de la région en question et des contraintes dont
il faut tenir compte, l'élaboration d'un plan
complet comportant u n calendrier et des priorités appropriés et des mesures coordonnées
dans tous les domaines où il faut intervenir
pour atteindre les objectifs du plan — ces
activités étant assorties du mécanisme de planification et d'exécution indispensable et soutenues par une assistance technique et financière.
Ces projets peuvent offrir en principe u n cadre
idéal pour des programmes de formation professionnelle inspirés d'une conception globale
de l'éducation des enfants et des jeunes des
campagnes et étroitement liés, en m ê m e temps,
au développement économique d'ensemble de
i. Il est amplement prouvé qu'on ne peut compter sur
les possibilités d'emploi indépendant, en particulier
dans les zones les plus déprimées économiquement,
sauf si u n plan systématique visant à aider et p r o m o u voir les entreprises individuelles est mis en application.
Éducation et travail : éléments pour une stratégie
la région. N o u s avons passé en revue plusieurs
des projets intégrés qui sont en cours d'exécution — le C A D U (Chilalo Agricultural Development Unit) en Ethiopie, le P A C C A (Prog r a m m e de crédit et de coopérative agricoles)
en Afghanistan, et le projet d u Lilongwe (Lilongwe Land Development Programme) au
Malawi — et nous avons constaté qu'on se
rendait compte qu'il fallait aborder globalement les problèmes que soulève l'éducation
des enfants et des jeunes, y compris l'enseignement professionnel, et qu'il était possible
d'accroître'l'intérêt pratique et l'efficacité des
efforts pédagogiques en les insérant dans le
cadre de ces projets. Plusieurs activités de
formation sont organisées pour leur personnel,
et la vulgarisation agricole est conçue en fonction de leurs objectifs. Toutefois, il reste à
mettre au point une approche globale de l'éducation, y compris des programmes d'enseignement professionnel, parce que ces projets ont
été mis en route depuis peu de temps, que leurs
objectifs et la population visée sont encore
restreints, et qu'ils sont soumis à diverses
contraintes dues à la situation générale d u pays
du point de vue social, économique et politique.
Pour prendre l'exemple d u C A D U , le gouvernement, contrairement à ce qu'on espérait,
n'a pas mis en application u n plan national de
réforme agraire et les inégalités d u régime foncier ont sapé les efforts entrepris. Les gros et
riches exploitants se sont vivement opposés
au projet. L'autonomie relative d u C A D U a
inspiré u n certain ressentiment et les rapports
entre la direction d u C A D U et l'administration
locale ont parfois été tendus. Dans les circonstances actuelles, il n'est pas certain que des
coopératives locales autonomes pourront progressivement assumer nombre des fonctions d u
projet, c o m m e il était prévu par le plan1.
coopératives de production dont les membres
— adolescents et adultes — entreprennent
directement des activités productives, apprennent par la pratique, couvrent le coût de leur
formation grâce à leur propre production et
créent eux-mêmes leurs propres emplois.
Patrick V a n Rensburg a conclu de ses années
d'expérience d ' u n programme de formation
autofinancé au Botswana (programme des « brigades ») que la formation dans le cadre de coopératives de production constitue l'essentiel d'une
démarche susceptible d'être imitée ailleurs et
d'avoir u n impact appréciable sur l'emploi et
le développement en zone rurale. Les coopératives permettraient : a) de trouver des emplois
productifs pour des adolescents et des adultes
en c h ô m a g e ; b) d'accumuler d u capital grâce
aux efforts des participants eux-mêmes ; c) de
mettre en c o m m u n les ressources de la population et de collaborer à l'organisation d'entreprises à production diversifiée; d) de former
les intéressés aux techniques de production
voulues.
COOPÉRATIVES DE PRODUCTION
1. Attacking rural poverty, op. cit., p. 96-99.
2. Patrick V A N R E N S B U R G , Report from Swaneng Hill —
Education and employment in an African country,
Uppsala (Suède), The Dag Hammarskjöld Foundation,
1974-
U n autre m o y e n de relier la formation et la
création d'emplois consiste à organiser des
Rensburg a entrepris à titre expérimental de
réorganiser les « brigades » et a constitué des
coopératives connues sous le n o m de Boiteko
(terme qui correspond en matswana aux expressions « initiative personnelle » et « ne compter
que sur soi-même »), dans lesquelles des travaux productifs sont associés à une formation2.
Rensburg indique aussi qu'il est tout à fait
possible de faire fonctionner des établissements
d'enseignement subvenant à leurs propres
besoins et se suffisant à eux-mêmes, le travail
productif des élèves et des enseignants assurant
les ressources nécessaires. Selon lui, ce type
d'établissement offre n o n seulement le seul
m o y e n possible de rendre l'éducation largement accessible dans les pays pauvres, mais
aussi le cadre approprié où peut être dispensé
65
Manzoor Ahmed
u n enseignement à la fois professionnel et
général qui soit socialement et économiquement
valable. Mais l'autofinancement de l'éducation
n'est qu'un des deux aspects de la stratégie de
Rensburg, l'autre étant la fusion opérée entre
l'enseignement et les entreprises de production ;
en effet, l'autofinancement de la formation peut
faciliter le développement de l'éducation, mais
ne suffit pas à assurer aux personnes formées un
emploi rémunéré.
STRUCTURES COMMUNAUTAIRES
DE PRODUCTION
D a n s les sociétés socialistes de Chine et de
Tanzanie, la structure de production économique de la c o m m u n e et d u village ujamaa
facilite l'établissement de liens entre les processus économiques et l'éducation fonctionnelle.
Si les démarches particulières suivies dans ces
pays tiennent à leur système politique, les
autres pays peuvent néanmoins en tirer, sans
doute, d'utiles enseignements.
L a c o m m u n e populaire rurale chinoise, qui
regroupe de quatre mille à cinq mille familles,
est l'unité administrative et géographique retenue aux fins d u développement social et économique, de la planification globale, de la mobilisation des ressources et de la répartition des
avantages retirés de la production agricole. L e
district — qui vient juste au-dessus de la
c o m m u n e dans la hiérarchie administrative —
est l'unité la plus importante dans le cadre de
laquelle est organisée la production industrielle,
qui est largement autonome et comprend quatre
grandes composantes — la transformation des
produits agricoles et marginaux, les industries
extractives, les industries manufacturières et les
réparations de machines agricoles, et les cinq
petites industries : production d'énergie, de
ciment, d'engrais chimiques, de fer et d'acier,
et de machines. C'est surtout dans le district
lui-même que sont trouvées les ressources en
capital et la main-d'œuvre indispensables à ces
industries. Les dispositions relatives à la forma-
66
tion nécessaire en vue de la production agricole
et industrielle et à d'autres types d'enseignement sont prises dans les c o m m u n e s et adaptées
dans le cadre d u district à l'action globale de
développement de la zone1.
E n Tanzanie, trois grands programmes d'éducation fonctionnelle constituent des aspects essentiels de la politique de réorganisation des
communautés rurales en villages ujamaa (villages-coopératives comptant sur leurs propres
forces) et de développement rural intégré. Ces
programmes sont les suivants : centres de formation rurale où sont enseignées l'agriculture,
les techniques rurales et l'idéologie politique ;
programme d'enseignement relatif au fonctionnement des coopératives et aux principes
sur lesquels elles sont fondées ; programmes
d'éducation fonctionnelle des adultes (alphabétisation et éléments d'enseignement professionnel)2.
MESURES A PRENDRE PARALLÈLEMENT
Les approches mentionnées ici à titre d'exemple
ne sont évidemment pas parfaites ; ce ne sont
pas non plus des recettes susceptibles d'être
appliquées telles quelles ailleurs. Elles montrent,
en tout cas, à quel point sont complexes les
problèmes que posent l'élaboration et l'exécution d'un plan efficace d'éducation en relation
i. Michel O K S E N B E R G (dir. publ.), China's development
experience, N e w York, Praeger Publishers, 1973 ; voir
en particulier Dwight H . PERKINS, « Development of
agriculture », et Jon SIGURDSON, « Rural economic
planning ». Voir également Hsiang PO L E E , Education
for rural development in the People's Republic of China,
Essex, Conn., C I D E , 1972.
2. Y . K A S S A M , « The work-oriented approach in adult
education for rural development in Tanzania », p. 113125, dans German Foundation for International Development, Work-oriented education for Africa, report of
an international conference, Bonn, 1972. Voir également
A.
H .RWEYEMAMU
et B . U . M W A N S A S U
(dir.
publ.),
Planning in Tanzania, background to decentralisation,
Nairobi, East African Literature Bureau, 1974. [Voir
aussi l'article de Budd L . H A L L , « République-Unie
de Tanzanie : l'éducation des adultes c o m m e priorité
nationale », Perspectives, vol. IV, n° 4 , p . 550 et suiv.
(N.d.l.r.).]
Éducation et travail : éléments pour une stratégie
avec le travail dans les pays les plus pauvres.
Il est clair, également, que de nombreuses
réformes doivent être opérées par ailleurs pour
qu'un programme conçu selon ces principes
soit fructueux.
U n programme de formation de masse liée
au travail productif exigera des modifications
des dispositions qui régissent l'enseignement
général. Si l'on admet que l'objectif de l'enseignement primaire universel demeure tout à fait
hors de portée et qu'un programme d'éducation
en relation avec le travail est réalisable et nécessaire pour la plupart des jeunes, il devient
éminemment souhaitable d'instituer u n cycle
élémentaire d'enseignement général c o m m e n çant lors de l'adolescence et se poursuivant
à temps partiel peut-être pendant trois ou
quatre ans, jusqu'au m o m e n t où les jeunes sont
prêts pour u n travail productif associé à une
formation. N o u s ne pouvons développer ici
cette idée ni examiner ses diverses implications.
Mais, c o m m e en témoigne l'expérience de la
Haute-Volta, il est incontestable que le système
scolaire en vigueur devra être modifié et qu'il
devra être rattaché à ce nouveau type d'enseignement pour éviter l'apparition de deux systèmes parallèles : un pour les « élites » et l'autre
pour les « paysans ».
U n programme intégré d'éducation et de
développement présuppose que les dirigeants
nationaux et les détenteurs d u pouvoir politique se montrent plus sensibles aux besoins
des masses et plus résolus à y répondre, et
que les objectifs et priorités d u développement
soient repensés afin qu'une plus grande part
des ressources et des forces vives de la nation
soit consacrée à l'amélioration de la situation
dans les campagnes. U n tel effort national de
développement axé sur les besoins des masses,
et s'exerçant surtout dans le cadre de programmes de développement rural intégré, de coopératives locales de production et d'autres types
d'entreprises économiques rurales, exigera une
large décentralisation des pouvoirs et des responsabilités concernant l'élaboration et l'exécution des plans de développement. Il y a
également toute une g a m m e de mesures à prendre dans divers domaines (industrialisation, fiscalité, tarifs douaniers, barème des traitements
et qualifications requises dans le secteur public,
facilités de crédit,fixationd u prix des principaux produits agricoles, etc.) parce qu'elles
influent sur la croissance de l'emploi et sur l'utilisation des ressources humaines de la nation.
Il n'est évidemment pas possible d'élaborer et
de mettre en œuvre, simultanément et immédiatement, une nouvelle stratégie de l'éducation et
les politiques et activités de développement qui
doivent être menées parallèlement. Si l'orientation générale et les principaux objectifs peuvent être indiqués, il faudra expérimenter et
perfectionner progressivement les programmes
e u x - m ê m e s , élaborer les modes opératoires et
former le personnel nécessaire, s'assurer que
ces projets sont réalisables et peuvent servir
de modèles. Les initiatives comparables prises
dans d'autres pays seront des témoignages dont
on pourra tirer de précieuses leçons. Mais
chaque pays devra progresser par lui-même
en corrigeant ses propres erreurs, car chaque
situation est à certains égards unique et seuls
les inconscients peuvent prétendre avoir des
réponses toutes prêtes aux questions épineuses
qui se posent.
67
Abdou Moumouni
Retour aux langues
et aux cultures nationales
Les problèmes du développement dans les pays
du tiers m o n d e — plus particulièrement dans
les vingt-cinq pays classés c o m m e les plus
pauvres dans le m o n d e — et leurs aspects
spécifiquement relatifs à l'éducation préoccupent depuis près de deux décennies tant les
responsables politiques et les éducateurs nationaux que la communauté internationale.
A la lumière de l'évolution observée dans
bien des pays développés (République fédérale
d'Allemagne, États-Unis d'Amérique, France,
Italie, etc.) aussi bien que dans les pays en voie
de développement (Egypte, Iran, Sénégal, T u nisie, etc.) pendant la dernière décennie dans
le domaine de l'éducation, il apparaît que,
m ê m e dans ceux d'entre eux où traditionnellement le système d'éducation était considéré
c o m m e « bien rodé » et « intégré au type de
société pour lequel il fonctionnait », une remise
en cause de la conception, de l'orientation du
contenu des systèmes d'éducation était inévitable et que des changements plus ou moins
profonds ont d û être apportés. O n ne saurait
s'étonner, dans u n tel contexte mondial, que
Abdou Moumouni (Niger). Agrégé de physique. Ancien professeur à Dakar, Conakry, Niamey. A participé à la réforme de l'enseignement en Guinée. Actuellement directeur de l'Office de l'énergie solaire
Niamey. Auteur de L'éducation en Afrique (Paris,
François Maspero,
1964).
68
Perspectives, vol. V , n° 1, 1975
les problèmes se posent de façon encore plus
aiguë dans les pays du tiers m o n d e en général
et dans les vingt-cinq les moins développés de
manière, pourrait-on dire, exemplaire.
Si l'on considère en effet que les objectifs
essentiels d'une politique sérieuse de développement économique et social doivent couvrir
d'une part le plan social (élévation du niveau
de vie, satisfaction des besoins sociaux et culturels, participation de la population à tous les
aspects de la vie politique, économique et
culturelle du pays) et de l'autre le plan humain
(épanouissement de chaque citoyen compte tenu,
et compte seulement tenu, de ses potentialités
et de ses capacités, liberté d'opinion et possibilité effective d'exprimer cette opinion dans le
cadre de structures sociales), le rôle et l'importance de l'éducation dans le sens le plus général
(opposée à 1' « instruction » ou à 1' « enseignement ») sont alors capitaux.
C e rôle revêt encore plus d'importance quand
le modèle de développement mis en œuvre
est « autocentré » et non « extracentré » selon
l'analyse bien connue de Samir A m i n . Sans
chercher à aborder des sujets traités par ailleurs
dans ce Dossier, il m'apparaît important de
souligner qu'aucune politique autocentrée ne
peut être conduite sinon sur une base populaire,
ce qui implique non seulement une compréhension par le peuple des objectifs visés, mais aussi
de
et surtout son soutien et sa participation aux
décisions.
Retour aux langues et aux cultures nationales
A ces différents niveaux, le rôle de l'éducation,
tant en ce qui concerne la population adulte
et active que les enfants et les adolescents, est
manifeste, notamment sous l'angle des méthodes
et des moyens.
Sur le plan politique, aucun peuple ne peut,
de façon durable, accepter des objectifs étrangers à ses aspirations, à sa culture et à sa civilisation, les unes et les autres senties et vécues
c o m m e inséparables de l'avenir qu'il entend se
préparer. Cela est encore plus évident lorsqu'il
s'agit de peuples qui, ayant subi la domination
coloniale, n'auront lutté pour conquérir leur
indépendance politique que pour se voir à
nouveau dominés économiquement et culturellement par l'ancienne puissance dominante
par le relais de certaines couches formées et
façonnées par l'idéologie coloniale.
Sous l'angle économique, aucun développement n'est davantage possible sans choix politique, mais, quand bien m ê m e ce choix correspondrait à une orientation politique soutenue
par le consensus populaire, aucune économie
fondamentalement basée au départ sur l'agriculture ou sur de rares industries d'extraction
( c o m m e c'est précisément le cas pour la plupart
des vingt-cinq pays les moins développés) ne
peut progresser sans une élévation de la productivité et de la production, elles-mêmes inséparables d'une élévation du niveau culturel et
sanitaire des masses paysannes et d'une juste
rémunération des produits agricoles.
Enfin, en ce qui concerne plus particulièrement la productivité d u travail et la croissance
de la production agricole, aucune couche sociale
plus que la paysannerie n'est aussi sensible et
attentive à la justice sociale non seulement sous
l'aspect économique que l'on vient de signaler
mais aussi et surtout sur le plan social et culturel : accès égal à l'école de tous les enfants,
accès de tous aux soins médicaux, etc.
Cultures et langues nationales
et système d'éducation
pour le développement
Avant d'aborder de façon positive le rôle que
pourraient et devraient jouer les cultures et les
langues nationales dans le cadre d'un système
d'éducation réellement orienté vers le développement économique, social et culturel des populations et impliquant leur participation effective
à la vie politique d u pays, il n'est pas inutile
d'analyser la situation actuelle tant elle est riche
d'enseignements, m ê m e si ces derniers se présentent le plus souvent de façon négative.
Il est établi et reconnu que, dans la quasitotalité des pays en voie de développement — et,
parmi eux, plus particulièrement dans les vingtcinq qui sont les plus démunis — en dépit
d'efforts nationaux allant parfois jusqu'à l'allocation de près de 30 % d u budget national à
l'éducation, la situation de celle-ci reste alarmante. Malgré une progression quantitative des
effectifs des enseignements primaire, secondaire
(général ou technique) et supérieur, les taux
de scolarisation correspondants sont stationnaires ou en régression. Pour ce qui est de
l'alphabétisation des adultes, la situation est
encore plus catastrophique. A u total (et les
données statistiques de l'Unesco aussi bien
que celles des différents pays le confirment)
et dans le cadre des systèmes actuels d'éducation de ces pays, la bataille contre l'analphabétisme, tant chez les enfants et les adolescents
que dans la population adulte, est en effet
perdue d'avance en Afrique et probablement
dans les autres pays d u groupe des vingt-cinq.
D e plus, l'impact attendu de l'éducation sur
le développement économique, social et culturel
des pays en question se révèle dans les faits bien
faible, pour ne pas dire pratiquement nul. A
l'opposé, de nouveaux phénomènes sociaux sont
apparus et qui ne laissent pas d'inquiéter les
responsables politiques et la société dans son ensemble : exode des jeunes « diplômés » sans travail, développement de la délinquance juvénile
69
Abdou Moumouni
dans les agglomérations urbaines, changement
de comportement de la jeunesse par référence
aux valeurs de la société « traditionnelle », conflit
latent sinon déclaré de générations, etc.
Les raisons de cette situation sont souvent
analysées en termes purement économiques :
coûts élevés de l'éducation et plus particulièrement de la scolarisation à tous les niveaux
(primaire, secondaire général et technique, supérieur)1 dus parmi d'autres facteurs à u n rendement très bas (taux élevé d'abandons et de
déchets, à tous les niveaux) ; m a n q u e de moyens
financiers permettant d'entreprendre les actions
d'éducation à une échelle et avec les moyens
appropriés ; impossibilité d'assurer, dans le
cadre de la situation économique du pays, du
travail aux jeunes quittant l'école à tel ou tel
niveau de leurs études ; absence de motivation
matérielle de la population adulte à l'égard de
l'alphabétisation, etc.
Pendant ces dernières années, l'incapacité des
systèmes d'éducation existants à jouer le rôle
qui leur était théoriquement dévolu dans le
développement économique, social et culturel
du pays où ils sont implantés est apparue avec
une netteté de plus en plus grande. D ' o ù le
flot de critiques contre une école « inadaptée
au contexte », « coupée de la vie du pays et de
la société », « improductive et n'orientant les
élèves que vers le fonctionnariat », « détruisant
les valeurs culturelles et la personnalité nationales et produisant des h o m m e s étrangers à leur
société », etc. Ces critiques, qui correspondent
généralement à des faits objectifs, sont paradoxalement le fait d'autorités politiques o u
m ê m e d'éducateurs qui ont défendu et imposé
à leur pays le système d'éducation hérité du
régime colonial, sous le couvert de sa valeur
universelle, d u refus d'une éducation « au
rabais » et de la complexité, notamment sous
l'angle politique, des problèmes posés par la
mise en œuvre d'un système d'éducation se
fondant sur les cultures nationales. Les réformes d u système d'éducation, là où elles ont
vu le jour, ont rarement mis en cause l'utili70
sation exclusive de la langue du colonisateur
c o m m e langue d'enseignement, d'alphabétisation et des mass media, autrement dit, le fondement m ê m e d u système colonial d'éducation.
O n peut affirmer sans crainte d'être contredit
qu'il y a actuellement u n malaise profond au
niveau de l'éducation, de son contenu, de ses
finalités dans la plupart des pays d u groupe
des vingt-cinq, malaise qui transparaît à travers
les discussions qui y ont actuellement cours sur
des thèmes aussi variés que la ruralisation de
l'enseignement, l'intégration du travail et de
la formation professionnelle au contenu et aux
méthodes de l'éducation, la liaison de l'éducation avec la production, la participation des
élèves à la production, l'introduction des langues nationales dans l'enseignement, etc.
A ce stade de l'analyse, il est indispensable
d'examiner, ne serait-ce que sommairement,
pourquoi et c o m m e n t la méconnaissance totale
des cultures et des langues nationales par les
systèmes d'éducation actuellement en place est
à la base de la situation que nous venons de
décrire.
Dans la mesure où, c o m m e l'écrivait Paul
Langevin, l'éducation « se doit de former l'être
humain à partir de l'enfant, de le préparer et
de l'adapter aussi largement que possible à la
vie, au contact avec la nature et avec les h o m m e s ,
à l'action sur les choses d'accord avec les autres
h o m m e s »2, il ne s'agit pas seulement de former
des paysans « lettrés », des cadres politiques et
économiques, des techniciens, mais aussi et
surtout des h o m m e s qui, pour agir efficacement
sur le milieu naturel et social, se doivent de
connaître et de comprendre leur pays, son
i. Les estimations de différents experts conduisent aux
coûts suivants par élève diplômé dans les pays de
l'Afrique de l'Ouest francophone : titulaires du certificat d'études : i million de francs C F A , soit 4 000 dollars environ ; titulaires d u B E P C : 3 millions de
francs C F A , soit 12 000 dollars environ ; titulaires du
baccalauréat : 6 millions de francs C F A , soit 24 000 dollars environ.
2. Paul L A N G E V I N , La pensée et l'action, Paris, Éditions
sociales.
Retour aux langues et aux cultures nationales
histoire, sa grandeur et ses faiblesses, de
comprendre et d'assimiler enfin le génie propre
de leur peuple.
L'éducation, dans le cadre des systèmes existants et hérités d u système colonial, tend à
isoler l'enfant et l'adolescent de leur milieu
familial et social par l'utilisation exclusive d'une
langue étrangère comprise et parlée par une
faible minorité (5 à 10 % de la population dans
les villes, beaucoup moins à la campagne).
L'enfant et l'adolescent sont en fait constamment aux prises avec deux mondes différents,
d'une part celui combien artificiel de l'école,
de l'autre celui de la vie familiale et sociale ;
d'où une rupture psychologique permanente,
un tiraillement et u n dépaysement intellectuels
générateurs de complexes, d'instabilité et, pardessus tout, responsables de l'identification insuffisante, voire inexistante, de l'élève avec son
milieu social et avec les valeurs de sa culture
nationale. Il n'est alors pas étonnant que la
société ne se reconnaisse pas dans les h o m m e s
produits par le système d'éducation, ni que
ceux-ci à leur tour se perçoivent c o m m e en
marge de la société et coupés de leur entourage.
Toute vie scolaire participe en effet à particulariser et à singulariser l'élève vis-à-vis des
autres enfants et adolescents, vis-à-vis de ses
parents et des autres adultes. Consciemment
ou non s'installe le mythe de la supériorité de
la culture étrangère, dont la langue d'enseignem e n t est évidemment le support.
L e résultat est alors l'inadaptation au milieu
familial et social, l'incompréhension, la m é connaissance quand ce n'est pas l'ignorance de
la valeur et de la portée de la culture nationale.
L e corollaire naturel d'une telle situation de
fait est l'inaptitude, ou une aptitude insuffisante, à agir sur ce milieu social et familial,
donc à provoquer les changements requis par
les objectifs de développement. D ' o ù les phénomènes socio-culturels signalés plus haut. U n e
autre conséquence, généralement peu perçue,
réside dans le fait que les systèmes actuels
d'éducation, du fait de l'ignorance des cultures
et des langues nationales qui les caractérisent,
favorisent peu, quand ils ne le freinent pas ou
le contrecarrent, le développement de celles-ci
et fonctionnent objectivement c o m m e des rouages perpétuant la situation héritée d u régime
colonial. Circonstance qui, à la réflexion, n'est
pas pour étonner, puisque aussi bien c'était
précisément le rôle dévolu aux systèmes d'éducation conçus et implantés par les puissances
coloniales. Les adaptations ou réformes apportées depuis l'accession de ces pays à l'indépendance politique n'ont pas fondamentalement
modifié cet aspect, du moins tant que la langue
d'enseignement est restée celle de l'ancienne
puissance coloniale.
U n e étude comparée d u coût de l'éducation,
d'une part dans les systèmes hérités d u régime
colonial, de l'autre dans des systèmes fondés
sur l'utilisation d'une ou de plusieurs des langues nationales et sauvegardant les cultures
nationales, peut difficilement, au stade actuel,
revêtir u n caractère quantitatif. P e u de pays
du groupe des vingt-cinq ont en effet entrepris
une expérience d u deuxième type et, m ê m e
quand c'est le cas, le caractère relativement
récent et encore incomplet des systèmes mis
en place ne permet pas de disposer de données
complètes et définitives. O n peut cependant
avoir une représentation qui, bien que n o n
chiffrée, n'en permet pas moins de tirer certaines conclusions.
L e coût relativement important des investissements initiaux destinés à l'élaboration et à
la production d u matériel didactique et pédagogique, notamment lorsque la o u les langues
nationales n'étaient pas écrites auparavant, est
nettement équilibré par la possibilité d'une
utilisation généralisée de ce matériel tant au niveau de la scolarisation des enfants et des adolescents que pour l'alphabétisation des adultes.
L'utilisation d'une langue nationale c o m m e
langue d'enseignement permet généralement de
raccourcir de façon notable la durée de la
scolarisation primaire et secondaire, la ramenant généralement de treize à dix o u onze ans
71
Abdou Moumouni
en moyenne. Parallèlement, la formation des
maîtres du cycle élémentaire exige alors un temps
nettement plus court. Enfin et surtout, l'enseignement dans une langue nationale (maternelle
ou parlée par l'enfant ou l'adolescent) conduit
à u n rendement de loin meilleur, particulièrement pour ce qui est d u cycle élémentaire.
E n ce qui concerne l'alphabétisation des adultes, les arguments développés ci-dessus prennent encore plus de force : aucune formation
spécialisée ne serait requise du maître d'alphabétisation et celle-ci pourrait alors se développer
et être menée à son terme à une grande échelle
et en u n temps relativement court (l'exemple
de la campagne d'alphabétisation à C u b a en
témoigne de façon éclatante). L e coût de l'alphabétisation complète de la population entière
du pays et surtout la possibilité effective de la
réaliser (contrairement à la situation actuelle
qui conduit, sur la base des études faites par
l'Unesco dans les documents de travail de
différentes conférences africaines1, à conclure
que la bataille de l'alphabétisation est d'ores
et déjà perdue) se présentent sous u n jour
complètement nouveau. U n délai de quelques
mois (trois à six) serait amplement suffisant
pour l'alphabétisation de base, comparé à celui
d'un à deux ans dans le cas de l'utilisation d'une
langue étrangère. Mais, fait encore plus décisif,
l'impossibilité actuelle d'alphabétiser toute la
population ferait place à une possibilité effective de la réaliser dans u n délai très court
(deux à quatre ans).
Les avantages considérables de l'utilisation
d'une langue nationale dans l'alphabétisation
des adultes sont évidents sous l'angle d u coût
et sont illustrés à contrario par les maigres
résultats obtenus dans différents pays (Mali,
Sénégal) dans le domaine de l'alphabétisation
des adultes ( m ê m e sous sa forme fonctionnelle)
depuis près d'une dizaine d'années, malgré
l'importance de projets financés par l'aide extérieure (notamment l'Unesco). Les coûts pourraient encore être sensiblement abaissés par
une utilisation systématique et judicieuse de
72
matériaux localement disponibles, dans le cadre
d'une campagne nationale qui impliquerait le
volontariat des alphabétiseurs. L'expérience
des universités populaires dans plusieurs capitales africaines (Dakar, Niamey) a établi, sur
une échelle certes réduite, que, m ê m e en utilisant une langue étrangère, le coût de l'alphabétisation d'un adulte peut être ramené à u n e
s o m m e modique (3 à 4 dollars des États-Unis
d'Amérique). Quoi qu'il en soit, on doit remarquer que l'évaluation précise des coûts,
en l'absence de toute expérience concrète, ne
saurait et ne pourrait être qu'approximative.
Par ailleurs, le principe m ê m e de cette évaluation paraît très discutable, d u moins si l'on
ne perd pas de vue l'effet multiplicateur — sous
l'angle de l'impact sur la vie politique, économique et culturelle d u pays — qui en découle
sans pouvoir être directement analysé en termes
étroits de « bénéfices quantifiés ».
Les conséquences multiples d'une alphabétisation en langues nationales de toute la population adulte d'un pays en voie de développement sont difficiles à cerner : sur le plan
économique, les potentialités de progrès de
la production et de la productivité dans différents secteurs (agriculture, élevage, artisanat)
se transformeraient en possibilités réelles dans
un contexte politique adéquat; l'amélioration
des conditions de vie matérielle serait alors
possible sur cette base (hygiène et santé notamment) de m ê m e qu'un changement important
de la vie culturelle du pays (développement des
cultures et des langues nationales).
L'avenir de l'éducation
et ses rapports avec les cultures
et les langues nationales
L'échec des systèmes d'éducation hérités de
la période coloniale (soumis çà et là à des adap1. Notamment, celles d'Addis-Abeba (1961) et de Nairobi
(1967).
Retour aux langues et aux cultures nationales
tarions mineures ou superficielles au niveau
des programmes dans certaines matières telles
que l'histoire, la géographie, les sciences naturelles) est aujourd'hui u n fait reconnu. Malgré
des dépenses locales importantes et une aide
extérieure considérable, les résultats après dix
à quinze ans d'indépendance sont décevants :
Insuffisance qualitative et quantitative des cadres autochtones formés dans tous les d o maines et à tous les niveaux, éloquemment
illustrée par le recours sans cesse croissant
à l'assistance technique extérieure.
Inadaptation dans le meilleur des cas sinon
incapacité de ces systèmes d'éducation à trouver une solution aux problèmes concrets
posés par le développement économique, social et culturel des pays intéressés ; impact
quasi nul de l'éducation sur la vie d u pays ;
rendement dérisoire des effortsfinancierset
budgétaires consentis.
Coexistence de deux systèmes d'éducation : le
système « traditionnel » se dégradant (notamment dans les centres urbains) tout en
demeurant celui qui influence la quasi-totalité
des enfants et des adolescents ; le système de
type colonial constituant un îlot assez isolé de
la vie d u pays dans ses aspects les plus fondamentaux (économique, social et culturel).
Déception de la société tout entière et des
espoirs fondés sur l'éducation; naissance
et développement de phénomènes socioculturels aberrants (exode rural, délinquance
juvénile, coupure entre scolarisés et n o n scolarisés, etc.) et de tensions sociales
correspondantes.
L'analyse proposée dans les pages précédentes
souligne, d'un point de vue négatif, le rôle
fondamental de l'adoption d'une langue étrangère c o m m e langue d'enseignement et d u refus
de fonder le système d'éducation sur les cultures
et les langues nationales. D e façon plus positive, l'expérience de pays c o m m e la République
démocratique d u Viêt-nam, C u b a , les républiques socialistes soviétiques d'Asie illustre
l'importance de ce choix.
Éducation, cultures
et langues nationales, développement
A supposer que l'orientation générale de la
politique et des options économiques soit théoriquement compatible avec u n développement
économique et social authentique d u pays, les
potentialités correspondantes ne peuvent devenir réalité sans la mise en œuvre préalable d'un
système d'éducation en harmonie avec une telle
orientation et qui ne réintroduise pas obliquement les valeurs et les options d'une politique
néo-coloniale.
L'éducation dans son acception complète
déborde largement le cadre étroit de l'instruction avec laquelle l'héritage colonial a souvent
conduit à la confondre et à l'identifier. Dans
toute société, l'éducation consiste n o n seulement en la transmission d u savoir accumulé par
les générations antérieures et des méthodes d'acquisition et d'application de ce savoir, mais aussi,,
et surtout, en tout u n système complexe de valeurs spirituelles (conception de la vie, comportement social, perception de la nature, de la
société et des différentes activités humaines, etc.)
qui participent à la définition de la civilisation
et de la culture élaborées par cette société. L e
vecteur naturel de cette transmission est la langue maternelle de l'enfant et de l'adolescent,
dont on sait le rôle important dans la formation
psycho-intellectuelle de l'enfant et de l'adolescent et, par voie de conséquence, celle de l'adulte.
Dans la mesure où la culture nationale traduit en dernière analyse les résultats de l'élaboration par la société d'un équilibre d'une
part entre celle-ci et son milieu naturel, dans
le cadre des objectifs qu'elle s'est assignés,,
d'autre part des individus au sein de cette
m ê m e société, aucun changement impliquant
une participation consciente de la société tout
entière ne peut être institué sur la base d'une
ignorance totale de la culture nationale, mieux,
s'il ne s'appuie pas sur tous les éléments de cette
culture qui ne sont pas incompatibles ou exclusifs du changement visé. Surtout si l'on ne perd
73
Abdou Moumouni
pas de vue la complexité d u processus d u changement, qu'il s'agisse d'un h o m m e ou d'une
société. C e n'est en tout état de cause pas
l'adoption exclusive d'éléments complètement
étrangers au contexte social et culturel d'un
peuple qui peut faciliter sa mobilisation en vue
de changements, si minimes soient-ils.
A moins d'adopter sous l'angle politique et
social une orientation de type fasciste, aucune
politique démocratique de développement économique et social ne peut donc ignorer les
cultures et les langues nationales. Pour être
réaliste et efficace, elle devrait m ê m e en faire
sa base d'action dans son sens le plus large.
E n définitive, c'est l'avenir m ê m e des pays en
voie de développement, et singulièrement celui
du groupe des vingt-cinq, qui est en fait largement conditionné par la reconnaissance, au
niveau d u système d'éducation et de la vie
culturelle nationale, de l'importance des langues
et des cultures nationales. Mais cette reconnaissance demeurera inopérante tant qu'elle ne se
sera pas traduite dans les faits par des décisions
claires et une action organisée.
A u n premier niveau, l'adoption d'une ou de
plusieurs langues nationales véhiculaires c o m m e
langue(s) officielle(s) doit constituer la base de
départ malgré les difficultés et les problèmes
d'ordre politique qu'il faudra résoudre au préalable. L'utilisation systématique des langues
nationales dans les actes de la vie civile et administrative favoriserait non seulement une participation plus effective des populations à la
vie politique, administrative et à la gestion de
leurs propres affaires, mais créerait simultaném e n t les conditions d'un développement rapide
d'un enrichissement de ces langues et leur plus
grande adaptation à l'expression des concepts
de la vie moderne contemporaine, le tout sur
une base populaire, infiniment plus riche qu'un
monopole de fait exercé par des « spécialistes ».
E n m ê m e temps, les langues nationales devraient être adoptées c o m m e langues d'enseignement, à u n premier stade en vue de l'alphabétisation des enfants, des adolescents et des
74
adultes. A u n stade ultérieur et après une
expérience vécue de leurs possibilités respectives de développement et de leur dynamisme
culturel sur le plan national, l'utilisation d'une
ou de plusieurs langues nationales dans tout
l'enseignement élémentaire puis secondaire et
supérieur serait progressivement généralisée et
planifiée. D e nouveaux problèmes seront naturellement à résoudre, notamment :
L a transcription quand elle n'existe pas (ce qui
est d'ailleurs exceptionnel) des langues nationales en dehors de toute arrière-pensée de
néo-colonialisme culturel ; l'alphabet phonétique international constitue une bonne base
de départ, quitte à introduire de nouveaux
signes graphiques pour des phonèmes particuliers ; l'utilisation des transcriptions déjà
effectuées pour telle ou telle langue peut
également être d'une aide notable.
L'acquisition de l'équipement et d u matériel
indispensables d'imprimerie et d'édition.
L'élaboration de manuels et autres matériaux
didactiques et pédagogiques tant pour les
écoles (scolarisation) que pour la campagne
d'alphabétisation générale des adultes ; parallèlement la conception et la rédaction de
grammaires, de lexiques de base, de dictionnaires, etc., et une étude approfondie des procédés et méthodes d'enrichissement des langues
nationales devraient retenir l'attention.
L a formation des éducateurs, notamment le
recyclage et une formation permanente des
maîtres actuels dans le domaine de la linguistique et des problèmes spécifiques à l'utilisation des langues nationales c o m m e langues d'enseignement; la mise en œuvre de
nouveaux programmes de formation des
éducateurs à différents niveaux avec une
souplesse suffisante pour permettre, à tout
m o m e n t , de ne pas éliminer les maîtres ayant
déjà entamé l'ancienne formation jusqu'à la
disparition complète de celle-ci ; formation
particulière des cadres de l'alphabétisation.
L a réorganisation complète d u système d'éducation sur la base de l'utilisation des langues
Retour aux langues et aux cultures nationales
nationales c o m m e langues d'enseignement ;
la pédagogie de l'enseignement des langues
étrangères devra à cet égard être repensée
dans ce contexte ; de m ê m e la place faite
à différentes étapes de l'implantation du nouveau système devra être précisée en fonction des objectifs de l'enseignement de ces
langues de communication extérieure.
L a liste précédente est loin d'être exhaustive et
permet de comprendre la prudence, sinon le
réflexe de « peur de l'aventure », dont font
preuve les autorités politiques de la plupart des
pays en voie de développement devant les indispensables décisions à prendre lorsqu'il s'agit
d u passage des systèmes actuels d'éducation
à de nouveaux systèmes qui restitueraient aux
langues et aux cultures nationales la place jusqu'ici monopolisée par la langue et la culture
des anciennes puissances coloniales. U n e question préalable et fondamentale à tous égards
mérite cependant ici une mention particulière :
celle de l'alphabétisation des adultes. A u c u n
développement des langues et des cultures nationales ne peut s'instaurer sans la participation
effective d u peuple, qui demeure en effet le
seul gardien et dépositaire de tout le trésor
culturel national depuis l'implantation de l'école
coloniale. U n e campagne nationale d'alphabétisation des adultes, des adolescents et des
enfants non scolarisés constitue la priorité des
priorités dans le cadre des actions à entreprendre. Par ailleurs, son organisation, son déroulement, la participation de tous ceux, sans
exception, qui savent lire et écrire à sa mise en
œuvre, fournissent l'occasion d'une répétition
générale et d'une prise de conscience globale de
la valeur des langues et des cultures nationales et
de leur rôle dans la sauvegarde de l'identité
culturelle d'une nation. Pour les participants
(maîtres c o m m e élèves), ce pourrait être une
occasion unique de renouer des rapports culturels et humains rompus. E n m ê m e temps, les
problèmes fondamentaux posés par l'adoption
des langues nationales c o m m e langues officielles
et d'enseignement peuvent être alors clairement
perçus et des amorces de solution trouvées.
L'alphabétisation de la population adulte, par
ailleurs, crée les conditions de base de la naissance d'une école nouvelle non isolée de la vie
sociale et familiale, et où l'enfant scolarisé (dans
sa langue maternelle ou une langue parlée
autour de lui) cessera d'être singulier à ses
propres yeux, à ceux de sa famille et au regard
de la société tout entière.
E n termes d'avenir, on peut affirmer, face aux
résultats des systèmes actuels d'éducation, que
les langues et les cultures nationales sont moins
menacées qu'on ne le croit. D a n s des pays où
la politique linguistique des autorités limite
l'accès de l'école à une minorité, où l'analphabétisme, au lieu de reculer, ne fait que progresser
et où l'immense majorité de la population est
enfermée dans le « ghetto culturel » de langues
et de cultures nationales, ce n'est pas leur avenir, mais les conditions de leur développement
et de leur épanouissement m ê m e s qui sont en
cause. Aujourd'hui elles survivent, attendant le
m o m e n t propice pour renaître et revivre. E n
revanche, c'est l'avenir des pays en voie de développement (ceux du groupe des vingt-cinq notamment) qui est, lui, bien préoccupant. L a
politique culturelle actuelle est une politique de
l'autruche, et la perplexité des responsables
devant des décisions qui paraissent inévitables
ne fait que retarder l'échéance et favoriser,
c o m m e on peut l'observer, la stagnation sinon la
régression économique et sociale, tant il est vrai
qu'aucun développement authentique ne peut
prendre place sans la participation consciente
de tous, celle-ci supposant une identification de
la société aux objectifs du développement, ce qui
implique de toute évidence l'existence d'une
identité nationale elle-même inconcevable sans
identité culturelle. C'est dire que l'avenir politique, économique, social et culturel de nos
pays ne peut être de développement tant que
les langues et les cultures nationales continueront à être traitées en parias.
75
Henri Dieuzeide
Réflexions
sur des technologies d'éducation
adaptées au développement
Je n'ai pas été peu surpris il y a quelques
années de voir déballer, dans u n institut de formation des maîtres d'un pays d'Afrique assez
peu fortuné, plusieurs caisses d u traditionnel
matériel pédagogique du D r Decroly en provenance directe d'Anvers, alors m ê m e que les
ethnologues européens étudiaient avec admiration dans la région les jeux mathématiques
raffinés auxquels s'adonnaient traditionnellement les tout jeunes enfants. Certes, c'était aux
premiers temps de l'indépendance, et les systèmes éducatifs des nouveaux pays africains restaient encore tributaires pour leurs contenus et
leurs méthodes des modèles européens importés
par le colonisateur.
Pour des raisons complexes et souvent évidentes, la situation dans ce domaine semble
n'évoluer toutefois que très lentement. L a dépendance à l'égard des modèles coloniaux occidentaux, et en particulier des signes extérieurs
de la scolarisation (tableaux noirs, par exemple),
demeure très sensible : il semblerait qu'une fois
coupés de leurs racines historiques originelles
les méthodes c o m m e les contenus tendent à se
constituer en d o g m e absolu, et désormais inac-
Henri Dieuzeide (France). Ancien directeur du Département de la radiotélévision scolaire au Ministère
de l'éducation nationale. Actuellement directeur de la
Division des méthodes, matériels et techniques de l'éducation à V Unesco.
76
Perspectives, vol. V , n° I, 1975
cessibles m ê m e à la critique très vive à laquelle ils
peuvent être soumis dans leur pays d'origine.
U n e évolution vers plus de réalisme est toutefois en cours ; certains montrent de l'impatience à la voir s'exprimer encore de façon m a r ginale à des niveaux très élémentaires, mais il
n'est pas indifférent de voir les enseignants
d'Afrique occidentale écraser des baies o u
broyer des argiles afin d'obtenir des couleurs
pour les activités d'expression artistique ou de
voir dans les écoles d'Asie d u Sud-Est les m a rionnettes locales ou les ombres chinoises réapparaître pour développer l'expression dans la
langue maternelle ou pour apprendre une langue étrangère.
Mais ces mouvements dus à des initiatives
individuelles sont limités, dispersés, mal connus,
inspirés par les nécessités de l'action immédiate,
et ne sont généralement ni répertoriés ni diffusés. C'est pourquoi le programme de l'Unesco
s'est donné c o m m e première tâche dans ce d o maine de dresser u n inventaire de ces retours
des pédagogues aux traditions culturelles locales,
c o m m e les utilisations de jeux locaux dans les
activités scolaires en Côte-d'Ivoire ou des n u mérations précolombiennes réutilisées dans les
écoles d'Amérique latine. U n e vaste collecte est
en cours, avec le concours des commissions nationales pour l'Unesco, qui devrait dégager des
exemples et peut-être des méthodes par lesquelles l'enseignement serait encouragé à mieux
s'appuyer sur les valeurs locales authentiques.
Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement
Il ne s'agit pas de romantiques « robinsonnades », mais d'un m o y e n à employer parmi
d'autres pour aider l'école à mieux coller aux
réalités d u développement. Il s'inscrit dans le
programme plus général de l'Unesco pour assister concrètement les États membres dans leurs
efforts, pour adapter méthodes et matériels
d'éducation aux conditions spécifiques du développement, qu'il s'agisse de déterminer à quelles
conditions fabriquer des matériels éducatifs à
partir des matériaux locaux (conformément à
l'approche décrite par K . Robinson : « L a fabrication du papier dans les écoles du Cameroun »,
Perspectives, vol. IV, n° 2, été 1974) ; c o m m e n t
remettre en honneur des techniques et les
méthodes tombées en désuétude dans les pays
européens mais susceptibles d'être utilisées
dans le cadre d'un enseignement rénové (les
méthodes de l'enseignement mutuel ne fleurissaient-elles pas en Inde bien avant de se développer en Europe au xvin e siècle, avec la révolution industrielle ?) ; comment tirer la leçon
de l'implantation rapide de certains matériels
avancés dans les pays en voie de développement
et des services éducatifs originaux qu'on peut
attendre d'une pareille acculturation ( c o m m e la
radiodiffusion, qui s'est si bien coulée dans la
tradition des cultures orales). D'autres études
portent aujourd'hui sur les formules grâce
auxquelles des techniques éprouvées ont pu être
simplifiées et rendues moins coûteuses m o y e n nant des adaptations successives en chaîne (tel
centre de matériel scientifique du Moyen-Orient
produit d u matériel analogue au matériel britannique à moitié prix de celui-ci ; or ce m a tériel britannique est lui-même inspiré d'un
matériel américain trois fois plus coûteux), ou
sur l'identification de techniques pédagogiques
nouvelles susceptibles d'être utilisées sans être
appuyées sur le matériel trop complexe ou coûteux qui leur a donné naissance dans les pays
industrialisés (par exemple le micro-enseignement sans circuit fermé de télévision, ou l'enseignement programmé sans support individuel,
c o m m e à l'Université de Baroda en Inde).
E n encourageant les États membres dans leur
effort de simplification, de dépouillement et
d'optimalisation économique, l'Unesco n'entend pas leur suggérer de renoncer nécessairement aux techniques avancées. Bien au contraire,
certains développements techniques récents
— c o m m e la généralisation des microcircuits en
électronique permettant la mise au point de
matériels de radio ou de magnétophones peu
coûteux, l'apparition des piles solaires pour
fournir l'énergie électrique nécessaire à des
postes de radio voire à des téléviseurs c o m m e
au Niger et, d'une façon générale, les coûts
décroissants de fabrication de matériels électroniques — autorisent des espoirs dans ce sens.
Il faut constater que, compte tenu des qualités
exigées de ceux qui s'y engageraient, cet effort
pour adapter, transposer, interpréter l'esprit des
matériels existants a donné les résultats les
plus significatifs avec les enseignants scientifiques. Avec l'appui de l'Unesco, des centres de
développement de matériel scientifique adapté
ont vu le jour au Brésil, en Israël, en Thaïlande,
aux Philippines, et le Manuel pour renseignement des sciences qui rassemble l'expérience
acquise à cette occasion est devenu u n bestseller pédagogique dont les tirages égalent ceux
des grands prix littéraires (traduit en 26 langues, la seule édition anglaise s'est vendue à
250000 exemplaires).
A mesure qu'il se développe, ce programme
s'attache toutefois à ne pas fermer sur ellesm ê m e s ces tentatives pour mettre au point des
matériels adaptés aux nécessités pédagogiques,
aux contraintes économiques et aux réalités
culturelles des pays en voie de développement.
Il s'agit aujourd'hui d'examiner comment elles
peuvent et doivent s'inscrire dans u n effort plus
vaste de la recherche sur le développement en
général et sur la mise au point d'alternatives
technologiques adaptées au développement, susceptibles de diminuer leur dépendance économique et surtout technologique à l'égard des
pays industrialisés. L'éducation, longtemps
domaine réservé et intouchable, pourrait ainsi
77
Henri Dieuzeide
s'insérer de plus en plus profondément dans
le développement national.
Il s'agit d'aider les pays en voie de développement à mettre au point de nouvelles solutions
éducatives s'appuyant sur des technologies
adaptées et qui auraient pour effet d'éviter,
d'une part, l'importation massive de systèmes
d'enseignement faisant appel à une production
industrielle à grande échelle de moyens d'enseignement aussi économiquement insupportable que culturellement inacceptable, et d'éviter, d'autre part, la reproduction indéfinie des
systèmes d'enseignement actuels fondés sur des
solutions purement artisanales incapables de
répondre à la demande éducative exigée par le
développement.
Modifier dans u n sens plus économique des
accessoires pédagogiques conventionnels est
immédiatement utile, mais insuffisant à long
terme : lorsque des instituts pédagogiques
mettent au point des projecteurs de vues fixes
qui utilisent l'énergie solaire grâce à des jeux de
miroirs, ou réalisent des optiques particulièrement rustiques à partir de culots de bouteilles
découpés et polis, il faut constater, sans vouloir
minimiser les mérites de leurs créateurs, que
ces matériels sont jusqu'ici conçus c o m m e des
ersatz rustiques des matériels utilisés dans les
pays riches, et s'inscrivent dans la m ê m e perspective pédagogique traditionnelle. D ' o ù la
question fondamentale : l'ingéniosité créatrice
qui s'exprime ainsi, plutôt que d'apparaître
c o m m e une ruse par laquelle se maintiennent
des modèles occidentaux, ne pourrait-elle s'exercer sur des technologies susceptibles de fournir
la base de nouvelles configurations pédagogiques
mieux adaptées au pays ? N'est-ce pas là le
problème de l'orientation à donner à l'imagination technologique éparse dans les systèmes
éducatifs (et au-dehors) ?
Il faut rappeler ici les principes fondamentaux de la technologie éducative : les technologies de communication ou d'organisation devraient être conçues pour servir des « systèmes »
qui combinent en u n tout cohérent des m é -
78
thodes adaptées et des contenus appropriés au
développement. C'est l'ensemble des intentions,
des objectifs et des contenus qui doit avoir u n
caractère innovateur et non les seuls matériels
pris isolément.
U n certain nombre de critères apparaissent
déjà au travers des stratégies du développement
qui s'élaborent : miser sur l'emploi d'un capital
travail plus que d'un capitalfinancier,respecter
l'authenticité culturelle dans les formes et dans
les contenus, faire appel à l'invention endogène,
utiliser les ressources locales. L a généralisation
rapide du double point de vue technique (maintenance et fiabilité économique — coût de
réalisation et de fonctionnement) et humain
(maîtrise facile — possibilité de les améliorer
par soi-même) constitue également u n des critères de base.
Il est évident que des efforts de recherche et
de mise au point, c o m m e l'assistance à l'introduction des innovations pédagogiques à la fois
les plus efficaces et les plus acceptables, sont
d'abord justifiés pour des secteurs de l'éducation
qui intéressent des publics nombreux c o m m e
l'enseignement primaire ou l'enseignement des
adultes. Toutefois ils ne sont pas exclus à priori
de l'enseignement secondaire ni de l'enseignement supérieur non seulement parce qu'ils
peuvent souvent y trouver des terrains d'expansion plus favorables, mais parce que l'effet
multiplicateur et accélérateur de ces techniques,
pour le développement y serait parfois plus
sensible qu'ailleurs.
U n certain nombre de projets d'assistance
aux États membres de l'Unesco devraient permettre de mieux examiner c o m m e n t combiner
valablement diverses approches. L ' u n des premiers exemples aura été la tentative d'associer
la radio, l'enseignement programmé et l'enseignement mutuel pour la formation des cadres
en République de Guinée. Ailleurs, s'agissant
de l'éducation préscolaire, certains pays qui
n'ont pas les ressources humaines et financières
nécessaires au développement de jardins d'enfants et d'écoles maternelles commencent à
Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement
utiliser systématiquement la radio pour guider
quotidiennement les mères sur la manière de
conduire le développement cognitif et affectif
de leurs jeunes enfants par des conseils, mais
aussi des émissions de jeux, de chants, d'exercices à écouter avec les enfants. Ailleurs encore,
dans le cadre d u développement rural, on voit
apparaître des réseaux de télé-enseignement
simplifiés fondés sur la radio et comportant à
défaut de distribution postale des points de
dépôt pour la correction et des séances de travail avec des enseignants itinérants.
Afin de mieux aider les États m e m b r e s , u n
programme d'encouragement à la recherche,
qui permettrait d'identifier les éléments technologiques qui se prêteraient à des combinaisons,
est en cours d'élaboration avec les institutions
tournées vers les problèmes d'utilisation de ressources locales à des fins pédagogiques (par
exemple, modalités de communication et d'apprentissage propres aux sociétés traditionnelles).
Ainsi, les institutions de formation des maîtres
seront invitées à orienter dans la mesure d u
possible les mémoires de fin d'études de leurs
étudiants vers ces sujets, les meilleurs mémoires
devant être récompensés par des prix et les
résultats des travaux diffusés. Par ailleurs, les
instituts de technologie et les écoles de formation de techniciens et d'ingénieurs pourront être
invités à examiner les aspects techniques et
économiques de ces problèmes (par exemple
pour la production de matériels et de mobiliers
scolaires originaux à partir des ressources locales). Des actions concertées liant par contrat
plusieurs instituts de recherche pourront être
envisagées, et cette recherche pourra déboucher
sur une mobilisation des ressources offertes à la
base par les institutions scolaires non seulement
pour fabriquer tout ou partie d u matériel et de
l'équipement didactiques dont elles ont besoin,
mais aussi en fabriquer pour des institutions
sœurs. L a formule de 1' « école usine », tentée
un été à l'École normale supérieure de Brazzaville pour fabriquer u n ensemble de matériel
programmé adapté à l'Afrique centrale dans le
cadre d u projet de l'Unesco sur l'enseignement
programmé, mériterait sans doute d'être reprise
et développée.
L e souci de la création et de l'invention locale
ne saurait en effet enfoncer les institutions de
ces pays dans l'isolement et l'égoïsme. Les
aspirations à un nouvel ordre économique international, telles qu'elles s'expriment dans les
résolutions des Nations Unies de mai 1974 et de
la Conférence générale de l'Unesco en n o v e m bre 1974, et notamment une meilleure association des États intéressés à leur développement, devraient conduire à la généralisation de
formules de codéveloppement, c'est-à-dire de
mise en c o m m u n de ressources pour les études
toujours coûteuses d'intérêt c o m m u n . Ainsi
pratiquent déjà les pays Scandinaves pour le
matériel didactique : des services nationaux intéressés s'associent pour étudier le contenu de
matériels pédagogiques à produire, en procédant à des enquêtes, en lançant des études,
en mettant au point des prototypes et des m é thodes de production permettant de tirer parti
des ressources locales, chaque pays participant
reprenant sa liberté pour décider et produire
lui-même le matériel selon les formes qu'il juge
les mieux adaptées aux besoins nationaux, le
principe essentiel de toute coopération dans ce
domaine étant que la responsabilité des contenus
est du seul domaine de chaque État. O n ne saurait trop souligner les conséquences positives
de ces procédures de développement en c o m m u n pour la formation des chercheurs et des
réalisateurs nationaux.
C o m m e il ne s'agit pas seulement de susciter
des produits originaux mais aussi des infrastructures nouvelles, ces réflexions et ces développements doivent s'inscrire dans des stratégies
globales d'assistance technique susceptibles
d'aider les États m e m b r e s du « groupe des vingtcinq » à sortir d u dilemme éducatif dans lequel
ils sont plongés. Si des combinaisons généralisables de technologies alternatives pouvaient
apparaître, elles justifieraient la création d'industries pédagogiques, probablement sous la
79
Henri Dieuzeide
forme de sociétés multinationales de production
didactique qui leur seraient propres. Serait-il
impossible de systématiser la production de
pâte à papier à partir de productions végétales
locales, c o m m e l'envisage la F A O ? L'impression à bon marché de matériels didactiques, la
mise au point de sources d'énergie électrique
bon marché pour les matériels audio-visuels
(voire la télévision), la mise au point de prototypes de mobilier scolaire susceptibles d'être
fabriqués ou montés par les élèves eux-mêmes
(voire la modularisation de constructions scolaires adaptées aux conditions et aux besoins de
ces pays) appartiennent désormais au domaine
du possible. E n substituant une approche délibérément industrielle aux modalités administratives en vigueur en matière d'invention et de
production didactique dans les pays d u tiers
m o n d e , en favorisant les objectifs et les instruments d'une assistance mutuelle collective et
en freinant l'intrusion des apports extérieurs, ne
serait-il pas en quelque sorte possible de créer
les conditions d'un marché c o m m u n pédagogique, qui viendrait fouetter l'imagination en
m ê m e temps qu'il contribuerait tant soit peu
au développement économique de la région qui
l'organiserait ?
Pour trouver toute leur efficacité, de pareilles
industries multinationales devraient être assorties de réseaux de distribution nationaux ou
multinationaux, gérés par des offices publics ou
semi-publics qui auraient pour rôle de recenser
les besoins, de planifier la fabrication, de donner
l'agrément et d'assurer la maintenance des m a tériels didactiques scientifiques ou audio-visuels
qui pourraient être fabriqués et distribués dans
le cadre de ces industries pédagogiques multinationales. Dans certains cas, on serait amené
à envisager des sociétés de développement
conçues selon des schémas d'intégration verticale. Si l'on prend l'exemple de la radio, une
telle société comporterait à la fois la production
d'appareils de radio simplifiés, la mise en place
de réseaux de diffusion robustes etfiableset la
constitution de moyens de production des
80
émissions et des documents les accompagnant.
Il est frappant de constater qu'en partant
d'une intention pratique : faire en sorte que les
produits didactiques de base soient accessibles
à tous dans une perspective pédagogique cohérente, on retrouve les grands débats sur les
techniques « douces », « n o n violentes », « à
visage humain » que Perspectives évoquait dans
son numéro d'été 1973. C'est dire son caractère
exemplaire.
U n e réflexion pédagogique qui se placerait
ainsi entre l'artisanat traditionnel et le développement industriel avancé, entre l'isolationnisme
culturel et la dépendance technologique pourrait être exemplaire poui aider à baliser la voie
étroite vers l'utilisation créatrice (et n o n imitative) « d'une imagination technologique qui
n'est pas fonction du P N B ».
Certains États ou groupes d'États en voie de
développement, dont la politique éducative paraît plus volontariste et plus planifiée, paraissent
mieux préparés à prendre des décisions globales
dans ce domaine et à conduire des actions de
création didactique endogène au niveau national
ou provincial. Dans d'autres régions où dominent des systèmes plus libéraux, c'est-à-dire
souvent plus perméables aux pressions extérieures, c'est au niveau local que des actions
plus expérimentales et plus limitées de redistribution de ressources et de réorganisation institutionnelles créeront de l'intérieur les conditions d'une rénovation éducative. A u x uns
c o m m e aux autres le programme approuvé par
la Conférence générale de l'Unesco voudrait
apporter les moyens concrets d'accroître leur
capacité à améliorer au moindre coût leurs systèmes éducatifs. C o m m e l'a indiqué le Directeur
général de l'Unesco dans le discours de clôture
de la dix-huitième session de la Conférence
générale : « Certains pays sont tombés dans ce
que l'on pourrait appeler des 'pièges technologiques'. E n procédant par imitation, ils ont
adopté des techniques qui demandent beaucoup
de capitaux, de matériel coûteux et de spécialistes étrangers sans être réellement adaptées à
Réflexions sur des technologies d'éducation adaptées au développement
leurs besoins. Il serait cependant absurde de
rejeter toute innovation venant de l'extérieur ou
m ê m e de ne pas recourir à des technologies de
pointe chaque fois que les conditions nécessaires
sont pleinement remplies. Je pense que l'un des
rôles de l'Unesco devrait être justement d'aider
les États membres qui le désirent à trouver
un juste chemin, notamment en facilitant les
échanges d'idées, d'informations et d'expériences, et en contribuant à l'exécution de projets
pilotes susceptibles d'extensions. »
Certes il ne s'agit pas de prétendre que tout
le problème éducatif peut être résolu par la mise
au point de configurations originales fondées
sur des technologies endogènes. E n pédagogie,
ce qui compte c'est le processus non le produit.
U n e stratégie d u développement passe nécessairement par la mobilisation des h o m m e s ,
l'initiative populaire, la responsabilité collective telles que les appelle à grands cris le
rapport de la Commission internationale sur
le développement de l'éducation (Apprendre
à être). Mais encore faut-il prévoir, c o m m e
le souligne le m ê m e rapport, d'organiser, de
préparer, d'équiper chacun de manière à lui
permettre de donner le meilleur de lui-même.
Il faut en effet souligner pour conclure que,
tout adapté qu'il soit aux conditions scientifiques des pays en voie de développement, cet
effort de promotion des technologies appropriées
concerne toute la communauté internationale.
C'est dans son ensemble qu'elle peut bénéficier
des efforts entrepris pour simplifier les procédures d'enseignement et abaisser les coûts.
L'éducation n'apparaît-elle pas dans tous les
pays (quel qu'en soit le niveau d u développement) c o m m e une zone économiquement déprimée et sous-développée ? Certaines utilisations « écologiques » des moyens avancés,
telles qu'elles se font jour dans les pays industrialisés ( c o m m e par exemple la video légère,
qui, à la différence du cinéma, ne produit pas de
déchets), vont aussi dans le sens d'une nouvelle
conception des technologies d'éducation. Il n'est
pas exclu que l'on arrive bientôt en matière
d'éducation à un renversement du mouvement
d'assistance technique des pays en voie de développement vers les pays développés.
C'est alors que le beau m o t de solidarité
internationale trouverait enfin tout son sens.
8l
Francis J. Method
Les problèmes posés
par l'accroissement de l'aide
à l'éducation
Depuis quelques années, la réforme de l'aide
internationale à l'éducation dans les pays en
voie de développement est sérieusement amorcée1. Mais il y a fort à faire et il n'est pas facile
de prédire les répercussions à long terme des
difficultés économiques récentes et de l'évolution escomptée de l'ordre économique international sur les flux de ressources et le rythme
de la réforme. O n a cependant de bonnes raisons
de croire que l'interventionnisme et le paternalisme ont fait leur temps ; que les organismes
d'aide vont dorénavant accentuer leur tendance
à accorder la priorité à des programmes d'éducation moins élitistes, moins soumis aux impératifs économiques, moins conventionnels et
plus sociaux; enfin que la réforme et l'innovation éducatives bénéficieront peut-être, dans
les pays les moins avancés, d'une aide beaucoup
plus importante que les années précédentes.
N o u s devons présumer qu'il ne s'agit pas
d'un leurre et qu'à mesure que les besoins
d'aide à l'éducation des pays les moins avancés
seront mieux et plus largement compris, ils
pourront être satisfaits2. Si l'aide devait faire
Francis J. Method (États-Unis d'Amérique).
A travaillé au Nigeria avec le U. S. Peace Corps. De 1970
jusqu'à ces derniers mois, a participé pour la Fondation
Ford à des études sur les politiques éducatives en
Afrique et aux conférences de Bellagio sur l'éducation
et le développement. Auteur, avec H. Ai. Phillips, de
International assistance to education in developing
countries {à paraître).
82
Perspectives, vol. V , n° 1, 1975
défaut aux priorités et aux activités nouvelles,
nos propos seraient totalement vains et sans
objet. Il est plus sage de se demander à quoi
l'on peut s'attendre si les organismes d'aide
consentent effectivement de sérieux efforts pour
accroître leur assistance en l'orientant vers
des secteurs d'activité nouveaux et des formes
d'éducation moins traditionnelles et en lui donnant des modalités nouvelles.
Il faut soigneusement peser ce qu'on peut
escompter de l'assistance, ce qu'il appartient
aux gouvernements bénéficiaires de faire lorsqu'ils entreprennent des réformes avec le
concours de ressources extérieures ; il faut s'interroger sur le rôle de l'éducation à l'égard des
changements qui intéressent d'autres secteurs ;
il faut également s'attacher à mettre en place
des mécanismes de coordination, d'administration et de décision qui ne portent pas préjudice aux prérogatives des dirigeants locaux et
ne se traduisent pas par une dépendance accrue.
Si l'assistance ne repose pas, à l'avenir, sur
une stratégie des réformes, éducatives et autres,
1. Sur ce thème de l'aide internationale à l'éducation, o n
lira avec fruit Education and development reconsidered:
the Bellagio Conference papers, de F . Champion W A R D
(ed.), Praeger, 1974. Voir aussi le Dossier de Perspectives, vol. IV, n° 2, 1974.
2. O n enregistre déjà des augmentations considérables ;
la politique de l'IDA évolue dans le sens d'une aide
accrue à l'éducation dans les pays les moins avancés ;
le P N U D et l'Unesco prennent également des mesures
particulières en faveur de ces pays.
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
qui soit clairement définie et bénéficie d u soutien des autorités locales, elle sera pratiquement
condamnée à fournir des ressources toujours
accrues pour contribuer à soutenir des systèmes
qui seront de plus en plus tributaires de son
maintien, et de plus en plus grevés de dettes
et assujettis aux contre-courants qui l'accompagnent.
L'assistance telle qu'elle se pratiquait naguère
est aujourd'hui l'objet de toute une série de
critiques : la tentative d'apporter une aide
suffisante à l'enseignement dans les pays les
moins avancés s'est soldée par u n échec général ;
l'aide, quand aide il y avait, a été médiocre et
inefficace ; elle n'a pas été orientée vers le
niveau d'enseignement, le secteur ou la région
qui convenaient ; elle a, d'une manière générale,
renforcé la dépendance des pays les moins
avancés. Ces critiques n e sont pas dénuées
de fondement et la situation présente fait l'objet
d'un mécontentement assez général. Cela dit,
elles pèchent aussi par excès de généralité ;
il est trop tentant et trop facile d'en conclure
que si l'assistance avait été conçue dans u n
esprit plus audacieux ou plus progressiste, si
elle avait été plus généreuse ou subordonnée
à moins de conditions... les bénéficiaires auraient
évité les difficultés avec lesquelles ils se trouvent
aujourd'hui aux prises. Cela est peut-être vrai
pour u n certain n o m b r e de pays, mais rien ne
prouve que la majorité des pays les moins
avancés auraient p u tirer parti d'une aide plus
généreuse ou d'une participation plus intense
des enseignants étrangers à la conception et à
la mise en place de leurs systèmes d'éducation.
L'aide à l'éducation risque fort de progresser
plus vite que l'art d'utiliser au mieux les ressources extérieures, les experts qualifiés et chevronnés, en nombre de plus en plus grand, et
les nouveaux mécanismes d'acheminement et
de coordination de l'aide. Si l'on se contente
de développer le programme d'assistance sans
modifier les priorités, les m o d e s d'action et les
structures, les réformateurs se trouveront, d'ici
cinq ou dix ans, aux prises avec les m ê m e s diffi-
cultés que maintenant, à ceci près qu'elles
se poseront avec plus d'ampleur et qu'elles
seront moins faciles à résoudre.
L'aide internationale à l'éducation fait également l'objet de critiques, plus précises, portant
sur les facteurs qui la limitent, la manière dont
elle est déterminée et octroyée, le rythme et
l'envergure des interventions, et le contexte
global dans lequel va s'insérer le projet qui en
bénéficie. L e caractère inadapté des systèmes
actuels et leur état de dépendance permanente
à l'égard de l'assistance extérieure résultent
autant des réussites que des échecs de la décennie écoulée. Les critiques d'ordre général formulées ci-après sont centrées sur les problèmes
que l'assistance peut faire surgir ; elle s'accompagnent de quelques suggestions sur la manière
d'utiliser l'assistance de façon plus efficace.
Le fossé entre les autorités locales
et les mécanismes extérieurs
de planification
D a n s la mesure où l'assistance a encouragé les
grands projets et les grandes réformes, dans
la mesure où elle a encouragé l'application des
techniques d'enseignement et de planification
les plus modernes, elle a eu tendance à dépasser
les possibilités locales de planification et d'administration et, par conséquent, à perpétuer
la domination étrangère ou à créer de nouvelles
dépendances technologiques. Ces inconvénients
risquent plus de se produire dans le cas des
pays les moins avancés, qui ont à la fois le
potentiel le moins développé et le besoin d'aide
le plus grand.
Les instances internationales devraient consacrer, de façon absolument prioritaire, une part
importante de leur attention au renforcement
d u personnel national chargé de planifier et
d'administrer les ressources éducatives, y c o m pris l'assistance. C o m m e l'infrastructure est
pratiquement inexistante dans certains pays, il
s'agira là d'un processus lent, qui demandera
83
Francis J. Method
un programme de soutien étalé sur au moins
cinq ans, et souvent davantage. C o m m e , de
plus, certains organismes d'aide sont mieux à
m ê m e que d'autres d'apporter ce soutien, les
efforts déployés pour créer une infrastructure
locale peuvent être l'occasion d'instaurer une
division d u travail plus satisfaisante et une
meilleure coordination entre ces organismes.
Les organismes d'aide doivent apprendre à
travailler au niveau des pays auxquels ils apportent leur soutien, m ê m e s'il leur faut, pour cela,
freiner leurs experts les plus qualifiés. Ils doivent tirer parti des experts locaux sans faire de
paternalisme mais également sans accabler des
fonctionnaires compétents et clairvoyants en
leur donnant u n sentiment d'incompétence et
d'impuissance. Les institutions internationales
pourraient essayer d'adopter u n langage plus
simple et moins abstrus. U n éducateur u n peu
scrupuleux qui s'efforce de respecter la multitude de buts, d'objectifs et de déclarations qu'on
lui propose a nécessairement le sentiment qu'il
ne peut pratiquement rien faire alors qu'il y a,
au contraire, de sérieuses possibilités d'action.
Il est sans grand intérêt de publier des travaux
de recherche dont les conclusions sont incompréhensibles pour les dirigeants, ou de fournir
des ordinateurs à des pays qui ne possèdent pas
de statisticiens et ne disposent m ê m e pas d'un
recensement bien fait. Il y a un équilibre extrêm e m e n t difficile à trouver entre l'aptitude croissante des organismes d'aide à fournir une assistance technique de plus en plus perfectionnée
et la nécessité de ne pas soustraire aux autorités
locales leur pouvoir de contrôle.
Lorsqu'on évalue et qu'on planifie u n grand
projet ou u n prêt important, il serait fort utile
de traduire les analyses techniques en termes
accessibles au profane et de produire des documents techniques moins rébarbatifs qui puissent toucher u n plus large public dans le pays
concerné. Cela améliorerait la compréhension
des aspects techniques et atténuerait la méfiance
à l'égard de l'assistance. Les textes des planificateurs témoignent en général, contrairement
84
à ce qu'on croit souvent, d'une qualité, d'un
réalisme et d'une ouverture d'esprit surprenants ;
malheureusement, ils sortent rarement de l'institution ou d u ministère où ils ont été conçus,
de sorte qu'on imagine le pire.
Il faut concevoir des mécanismes nouveaux
qui permettent d'augmenter le volume des ressources consenties tout en les diffusant davantage et en les adaptant mieux aux besoins
locaux. Si l'on veut aider l'enseignement privé
ou apporter u n soutien à toute une g a m m e de
possibilités extrascolaires qui s'écartent des m é thodes traditionnelles, il faut trouver les moyens
de répartir les ressources de façon plus large
et plus souple que ne le permettent la plupart
des structures ministérielles actuelles. L'aide
devrait être versée à une institution au lieu
d'être attribuée aux projets, surtout lorsqu'elle
est destinée à une quantité de petits projets
disséminés. Il est possible de créer des organismes nationaux. L e Conseil pour l'éducation
intégrée, de l'État d u plateau de Bénoué, au
Nigeria, est, semble-t-il, u n exemple intéressant. O n aura également besoin de mécanismes
régionaux ou sous-régionaux. Peut-être pourrait-on s'inspirer en partie d u modèle proposé
par le S E A M E S 1 en Asie, dont le réseau
d'instituts techniques — c o m m e l ' I N N O T E C H 3 — utilise, pour soutenir u n certain
nombre de petits projets et d'études pilotes
exécutés dans des pays différents, des « enveloppes » d'aide alimentées par diverses sources
d'assistance bilatérale.
Il faudrait, en toute priorité, étudier les mécanismes en place et en expérimenter de nouveaux.
Il faudrait en outre s'attacher tout particulièrement à trouver les structures, les processus
et les modes de représentations adéquats, en
veillant à maintenir, sur le plan conceptuel, la
i. Southeast Asia Ministers of
crétariat des ministres de
Sud-Est asiatique).
2. Centre for Innovation and
(Centre pour l'innovation et
cation).
Education Secretariat (Sel'éducation des pays d u
Technology in Education
la technologie dans l'édu-
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
distinction entre les mécanismes de soutien et
les orientations d u programme. Cependant, les
mécanismes d'aide peuvent facilement avoir des
répercussions au niveau des structures de l'administration locale et, c o m m e bien souvent,
la réforme peut, sur le plan local, nécessiter
la diversification et la décentralisation d u système, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas contradiction entre les mécanismes d'aide et la structure nécessaire pour le système d'enseignement.
Sans doute y a-t-il des situations qui appellent
une centralisation accrue, mais en ce cas il n'est
guère nécessaire de chercher des modalités
nouvelles pour accélérer ce genre d'évolution.
O n pourrait étudier les moyens de mobiliser
de façon plus efficace les ressources techniques
dont disposent les pays les moins avancés. Si
aucun d'eux ne possède suffisamment d'experts
et dans toutes les spécialités voulues, tous,
en revanche, ont au moins quelques spécialistes
d'une valeur et d'un dévouement souvent exceptionnels. Si les contacts professionnels entre
spécialistes des pays les moins avancés pouvaient être facilités et les échanges de personnes
développés par-delà les frontières nationales et
par-delà celles des disciplines, la plupart de
ces pays deviendraient peut-être moins tributaires des équipes d'experts étrangers chargées
de procéder aux enquêtes, aux études de préinvestissement et aux études d'évaluation, ils
auraient le sentiment de pouvoir négocier d'égal
à égal avec les équipes techniques envoyées par
les organismes d'aide et, grâce à la multiplication des possibilités de rapports professionnels stimulants et fructueux d'un pays à l'autre,
ils seraient peut-être en mesure de retenir u n
plus grand n o m b r e de spécialistes hautement
qualifiés.
La distorsion d e l'ordre
de priorité
E n fournissant le matériel, le personnel et les
crédits en abondance aux tout premiers stades
de l'expansion de l'enseignement, l'assistance a
généralement eu pour effet d'entraîner une
distorsion d u financement local, de conférer
trop tôt la prépondérance au secteur de l'éducation, d'accélérer les tendances centralisatrices
et de retarder la prise en charge des dépenses
ordinaires par l'économie d u pays.
Il n'est sans doute pas possible d'éviter entièrement pareille distorsion. Les pays les moins
avancés ont u n revenu par habitant inférieur à
ioo dollars, u n secteur public peu développé
et u n taux de scolarisation infime ; en outre,
la majeure partie de la population vit en économie de subsistance et ses contacts avec l'administration sont réduits à leur plus simple expression. Lorsqu'il n'existe pas de mécanisme de
planification efficace, ce sont finalement les
disponibilités financières qui ont tendance à
jouer le rôle déterminant dans l'élaboration
des plans. Il arrive que l'aide à l'éducation
soit supérieure au budget de l'éducation nationale et dépasse la moitié d u budget de l'État.
Lorsqu'on injecte de nouvelles ressources dans
u n secteur aussi restreint, qui entretient avec
le reste de l'économie des relations aussi précaires, cela ne peut manquer d'affecter, au
moins partiellement, les autres priorités.
Si l'on aide les pays à développer leur capacité
de planifier et de coordonner les ressources,
le choix des priorités s'en trouvera facilité. D e
plus, à mesure que la planification locale se
développera il deviendra de plus en plus nécessaire de coordonner l'aide, ce qui peut se faire
de deux façons, soit que le pays bénéficiaire
fasse connaître ses besoins et négocie collectivement avec les donateurs, soit que ceux-ci
fassent collectivement connaître leurs intérêts
et leurs possibilités. Il faut qu'il y ait à la fois
planification à l'échelon local et u n certain
degré de coordination de l'assistance si l'on
veut voir s'instaurer u n véritable dialogue et
une association authentique de partenaires. Mais
si les organismes d'aide peuvent à la fois contribuer à mettre en place les mécanismes locaux
de planification et concourir à la définition
85
Francis J. Method
d'une stratégie coordonnée de l'aide, le pays
en est, au début, réduit à élaborer ses plans et
à former des v œ u x pour que l'aide suive.
D a n s u n premier temps, il serait souhaitable
que les organismes d'aide s'intéressent davantage à la capacité d'absorption d u système
concerné. L e rythme de l'aide, son échelonnement et sa composition ont peut-être autant
d'importance que son montant global. Il suffit
parfois de deux experts pour doubler l'effectif
d'un service. Il se peut qu'une école technique
soit le seul établissement du genre et joue de ce
fait u n rôle déterminant dans le domaine qui est
le sien. Il y a des pays où le nombre des bourses
de perfectionnement offertes est supérieur à
celui des candidats éventuels.
Les organismes d'aide devraient perdre l'habitude de parler des projets qui bénéficient de
leur assistance c o m m e s'il s'agissait de leurs
propres projets — « projet de la B I R D »,
« projet de la Fondation Ford », par exemple —
et d'agir en conséquence. Q u a n d bien m ê m e
le financement serait intégralement assuré par
des sources extérieures, et si légitime que soit
le désir des organismes d'aide de faire connaître
leur action, il doit être clair que le projet qui
bénéficie d'une assistance est le projet du ministère compétent ou de tout autre organisme qui
reçoit l'assistance. Pour que des priorités puissent être fixées et que puisse être apprécié
l'effet global de l'aide, il faut que l'organe de
planification ait u n droit de regard sur le projet.
Certains ministères sont tout à fait prêts à
accepter n'importe quel projet d'assistance, ou
à peu près, dès l'instant que celui-ci se traduit
par u n accroissement net des ressources d u
pays. Les organismes d'aide qui proclament
leur volonté d'encourager le choix des priorités
gagneraient en crédibilité s'ils donnaient l'assurance que toute aide qui n'aura pas été affectée
à u n secteur pourra l'être à u n autre. D ' o ù
l'intérêt de la formule de programmation par
pays que le P N U D a adoptée. L'Unicef fournit
u n excellent exemple d'institution qui allie à
des objectifs très nets, sur le plan des program-
86
m e s , une grande souplesse en ce qui concerne
les moyens. L a compétence des mécanismes
de coordination mis en place ne doit pas se
limiter à l'éducation ; elle doit s'étendre aux
questions sociales et à la formation dans tous
les secteurs.
Il serait peut-être nécessaire d'étudier de plus
près la possibilité d'un financement direct des
dépenses ordinaires. Mais c o m m e ces dépenses
sont principalement réglées en monnaie locale,
on voit mal c o m m e n t elles pourraient être
financées directement par l'assistance au secteur
de l'éducation. Leur prise en charge ne saurait
vraisemblablement prendre que la forme indirecte d'une remise générale de dettes ou celle
d'une contribution en nature — fourniture de
papier, etc.
Pour s'être traduite par une intervention trop
rapide et/ou insuffisamment circonspecte, l'assistance n'a pas toujours su s'adapter aux conditions locales ni accorder l'attention voulue à la
création des conditions qui, à commencer par
les capacités locales et la compréhension, sont
nécessaires si l'on veut entreprendre des réformes efficaces, appropriées et durables. S'il
n'est pas de remède infaillible au m a n q u e de
circonspection, il est relativement facile d'éviter
la précipitation.
E n dépit d u nombre considérable d'enseignants qui ont été mis à la disposition de
certains des pays les moins avancés, le fait est
que, à l'exception d'un très petit nombre de
cas c o m m e celui de l'Ethiopie et de la R é p u blique-Unie de Tanzanie, la plupart des organismes manquent de personnel possédant une
expérience directe des systèmes d'éducation de
ces pays. E n outre, la politique qui consiste à
envoyer les experts accomplir de brèves missions dans des pays petits et peu prestigieux
avant de les affecter dans des pays plus importants et plus prestigieux ne va guère dans le sens
d'une programmation attentive, fondée sur une
information suffisante. Si l'on veut que les pays
les moins avancés puissent tous bénéficier de
grands programmes d'assistance, les personnes
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
responsables, qui interviennent dans la détermination des orientations, doivent être n o m mées pour des périodes aussi longues que possible, avec la perspective de pouvoir continuer,
à l'expiration de leur mission, à jouer u n rôle
dans l'élaboration des programmes de l'organisme d'aide durant une période d'au moins
trois ans, et plus si possible. Outre qu'il est
probablement impossible de se familiariser avec
la situation locale dans u n laps de temps plus
court, cette mesure devrait contribuer à réduire
la hâte suscitée par la volonté d'obtenir des
résultats rapides.
La manière la plus sûre d'éviter une programmation défectueuse est peut-être d'amener les
organismes d'aide et les pays bénéficiaires à
prendre aussi largement que possible conscience
de la nécessité de créer les conditions préalables. Avant d'allouer de nouvelles ressources
en grande quantité ou d'accorder leur soutien
à de nouvelles orientations importantes, les
organismes d'aide devraient s'assurer que trois
conditions au moins sont réunies : existence
d'un plan d'ensemble témoignant d'un certain
accord sur les objectifs et les priorités ; existence
d'une structure administrative et d'un effectif
suffisant de personnel local compétent ; existence d'une base permettant de se donner les
moyens d'entreprendre les recherches fondamentales nécessaires, notamment la collecte des
données démographiques élémentaires. Pour les
organismes d'aide, poursuivre sur leur lancée
sans se livrer au préalable à une étude sectorielle
et/ou à de nouveaux travaux de planification
reviendrait purement et simplement à développer leur action selon les modalités traditionnelles, et à bâtir sur la base fragile et mal
connue qu'offre le système en place. Il ne s'agit
pas, bien entendu, que ce principe fournisse
un prétexte pour refuser une aide ; ce qu'il faut,
c'est comprendre que si les conditions é n u m é rées plus haut ne sont pas réunies, il importe
de s'employer, en priorité, à les réaliser.
Vers une assistance novatrice
Pour avoir voulu observer de façon trop rigide
les normes internationales ou celles qui étaient
en vigueur dans les anciennes métropoles, l'assistance a eu tendance à mettre en place ou à
renforcer des systèmes qui, si excellents qu'ils
puissent paraître au regard de ces normes, n'en
sont pas moins élitistes, restrictifs et coûteux,
et ne répondent que d'une façon tout à fait
marginale aux besoins locaux. U n e autre critique qu'on peut formuler, et qui se rattache
à la précédente, est que le souci étant d'obtenir
le m a x i m u m d'impact et la rentabilité la plus
élevée en m ê m e temps que la plus immédiate
pour les s o m m e s investies dans l'éducation,
l'aide a surtout été allouée à l'enseignement
supérieur, à l'enseignement secondaire général,
à la formation technique et, plus récemment,
à la formation des enseignants.
O n n'a pas fait grand-chose en faveur de
l'enseignement rural, de l'enseignement primaire, de l'éducation des adultes, de l'éducation
compensatoire pour les minorités négligées et
les femmes, de la vulgarisation et des autres
formes de diffusion d u savoir. Ces diverses
activités ont reçu moins de 10 % d u volume
global de l'aide à l'éducation. Cependant il faut
se garder d'interpréter ce fait uniquement
c o m m e l'indice d'un préjugé ou d'un m a n q u e
d'intérêt de la part des organismes d'aide. Si
ces divers secteurs n'ont pas bénéficié d'une
aide plus substantielle, il y a à cela plusieurs
raisons, et c'est précisément à l'égard de ces
formes d'éducation que les partisans de priorités nouvelles risquent d'aller trop loin.
L a plupart des formes d'éducation qui sont
moins traditionnelles, plus localisées et moins
institutionnalisées ont relativement moins besoin d'aide extérieure, la plupart des dépenses
étant consacrées à la rémunération du personnel
local et à l'achat de matériaux locaux peu
coûteux. Exception faite de certains conseillers
et experts particulièrement importants, des
transports, d u papier et peut-être de certain
87
Francis J. Method
matériel de reproduction ou matériel éducatif,
on voit mal ce qui justifierait une aide de type
classique substantielle. U n e aidefinancièregénéreuse peut être utile, mais en général les
services d'enseignants, principal élément de
l'aide à l'éducation, ne sont guère utilisables.
Lorsqu'il a été fait appel à une aide étrangère
considérable pour soutenir une action dont le
but était d'étendre la portée des systèmes d'enseignement, les projets ont souvent été conçus
de manière à permettre l'emploi de ressources
pouvant être obtenues de l'extérieur. Ces projets se caractérisent par des coûts unitaires
élevés et une dépendance permanente à l'égard
des matériels importés et des experts étrangers,
ce qui interdit pratiquement leur financement
par le pays bénéficiaire. Sans doute n'était-ce
pas là le but recherché, mais tel est le résultat.
Les organismes d'aide seront certainement invités à fournir ce genre d'aide à l'éducation à
l'avenir et la plupart d'entre eux donneront,
selon toute probabilité, une réponse positive
à ces demandes d'aide. Pour qu'ils soient moins
tentés d'accorder — et les gouvernements de
solliciter — des ressources pour des activités
faiblement prioritaires ou inappropriées, il faudrait que les uns ou les autres puissent toujours
se référer à des estimations assez précises des
autres activités qui nécessitent, elles aussi, une
aide et qui sont plus urgentes ; l'une des tâches
à entreprendre à cet égard est de préciser le
type, l'importance et les sources éventuelles de
l'aide nécessaire pour l'éducation de masse, à
l'exception des besoins de personnel.
Il y a beaucoup à faire sur le plan régional ou
international ; sans se limiter aux pays les moins
avancés, ces efforts n'en seront pas moins fort
utiles pour aider ceux-ci à réformer l'enseignement. L e système des Nations Unies fournit,
sur ce plan, deux exemples instructifs : celui du
Bureau international d'éducation (BIE) qui a
mis en route u n service international d'information et d'études sur l'innovation éducative
dont l'objet est de faciliter l'échange d'informations sur les innovations prometteuses ; celui
88
de l'Institut international de planification de
l'éducation (IIPE). L'exemple de l'International
Extension College est également intéressant;
cette institution apporte, en effet, une aide
technique à la réalisation de plusieurs programmes de vulgarisation dans les pays africains
les moins avancés.
L'une des meilleures façons de favoriser indirectement l'apparition d'optiques nouvelles à
l'égard de l'éducation est d'aider à mettre en
place des moyens de recherche et de développement. Les aspects des réformes qui ont des
répercussions politiques et culturelles doivent
é m i n e m m e n t relever des autorités locales. L'intervention des organismes extérieurs ne peut se
traduire que de façon indirecte par u n soutien
au développement local des institutions et des
ressources en personnel compétent.
Il y a beaucoup de pays où l'assistance n'a pas
toujours reçu u n accueil favorable, sauf lorsqu'elle était destinée aux niveaux supérieurs,
économiquement productifs, d u système scolaire à l'occidentale. Souvent les problèmes
éducatifs, les groupes de population, les problèmes sociologiques et les questions techniques
dont on demande instamment aux organismes
d'aide de s'occuper sont précisément ceux pour
lesquels ces organismes sont le plus démunis,
faute d'avoir suffisamment d'expérience, de familiarité avec les problèmes et d'experts disponibles ; faute aussi d'avoir une marge de m a nœuvre suffisante laissée par les autorités locales.
Les organismes d'aide se trouveront confrontés
à deux types de problèmes, les uns d'ordre
technique — rentabilité et pédagogie — les
autres d'ordre politique : choix de la langue
d'enseignement, questions de caractère culturel
et religieux. Mais lorsque les autorités locales
manifestent le désir de recevoir une aide pour
ce genre d'activité, elles l'obtiennent, semblet-il ; c'est ainsi que la Banque mondiale et
l'Unesco accordent une assistance technique
pour l'enseignement islamique en Mauritanie.
U n e grande partie des arguments sur l'éducation non traditionnelle, l'éducation perma-
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
nente, etc., qui sont exposés dans les publications actuelles sur l'innovation pédagogique
sont trop récents pour être pleinement assimilés.
Quoique les formes n o n traditionnelles d'éducation aient jusqu'à présent bénéficié d'une aide
mesurée, une bonne part de l'expérience acquise
repose sur les études de cas effectuées dans les
pays les moins avancés. Il faudrait continuer
à inventorier ces études ; des ressources extérieures pourraient utilement contribuer à hâter
l'échange d'expériences entre pays.
Enfin, certaines des activités éducatives qu'on
encourage actuellement les organismes d'aide
à soutenir n'ont pas p u l'être parce qu'elles ne
rentrent dans le domaine de compétence que
d'un très petit nombre de ces organismes. L a
plupart des organismes d'aide ont une marge de
m a n œ u v r e à peine supérieure à celle des ministères avec lesquels ils collaborent. Sauf à trouver
le m o y e n de sortir de la capitale, de s'écarter
des grands axes, de s'éloigner des grandes villes
et d'échapper à l'emprise de l'administration, il
est très difficile d'atteindre les masses rurales.
Certains secteurs ne pourront pas bénéficier
d'une aide, c'est u n fait, tant que les autorités
ne s'y intéresseront pas de façon active et n'élaboreront pas elles-mêmes leurs programmes.
E n outre, si l'on cherche à atteindre des zones
nouvelles en étendant le système, on risque fort
de n'obtenir, au lieu de l'innovation si souvent
réclamée, qu'une pure et simple extension de
l'enseignement traditionnel. Il est fort à craindre,
par exemple, que les pouvoirs publics, en
concentrant leur aide à l'éducation extrascolaire,
l'éducation villageoise traditionnelle, l'enseignement religieux, la formation en cours d ' e m ploi, et à toutes les autres formes d'enseignement original, n'aboutissent à l'élévation des
coûts, à l'uniformisation des programmes, à la
normalisation progressive des nouveaux systèmes et à la destruction de cette originalité, de
cette diversité et de cette souplesse qui avaient
initialement paru dignes d'intérêt. L à encore, il
faut faire très attention au mécanisme de l'assistance et à l'institution qui l'achemine.
Il n'est pas évident qu'un transfert de ressources rapide et massif en direction des pays
les moins avancés suffise à résoudre leurs problèmes fondamentaux. Il se pourrait fort bien
qu'un programme d'assistance élargi n'ait pas
plus d'effet que le programme actuel. L'impact
et l'utilité de l'aide seront d'autant plus grands
qu'elle sera mieux adaptée à l'appareil politique et administratif local. Cet appareil luim ê m e échappe à l'influence directe des organismes d'aide. Et pourtant si l'on ne parvient
pas à trouver le m o y e n de développer les cadres
de direction et de renforcer les capacités a d m i nistratives et techniques d u pays, les organism e s d'aide en seront réduits à soutenir des
réformes impossibles à appliquer parce q u e
mal conçues, parce que le pays ne possède pas
le potentiel suffisant et parce que la réforme n'y
bénéficie pas d'une compréhension et d'un soutien suffisants.
E n l'absence de plans d'enseignement n o u veaux et de stratégies améliorées pour la mise
en œuvre des ressources extérieures, l'assistance ne peut guère que maintenir et accroître
son soutien aux activités qui en bénéficient dès
maintenant. Si le pays ne possède pas de dirigeants capables d'initiative, les organismes se
trouveront devant l'alternative d'avoir soit à
cesser toute aide, soit à lui conserver le style
qu'elle a eu par le passé. E n fait, si les éducateurs locaux ne cherchent pas activement à
prendre des initiatives et des responsabilités
nouvelles, l'assistance élargie risque d'être utilisée au service d'activités qui, si les restrictions
budgétaires étaient plus sévères, n'auraient
bénéficié d'aucune aide.
Les organismes d'aide semblent convaincus
de la nécessité de se montrer plus souples et
plus coopérants avec les autorités locales, d'instaurer u n nouveau style de collaboration, et
de connaître clairement les choix politiques
locaux. Ils s'attachent de plus en plus à aider
au développement des capacités locales d'administration, de planification et de recherche
soit en assurant la formation d u personnel
89
Francis J. Method
nécessaire et en soutenant les programmes locaux de planification et de recherche, soit, de
façon plus directe, en donnant leur appui aux
études sectorielles et aux travaux de planification. Cependant, ce qui reste caractéristique
de la situation actuelle c'est qu'il y a peu de
pays qui aient mis au point soit pour leur
propre usage, soit pour assigner u n ordre de
priorité aux demandes d'aide extérieure, des
plans d'éducation clairement définis. O r c'est
aux éducateurs et aux planificateurs des pays
bénéficiaires qu'il incombe plus que jamais
de préciser leurs besoins en matière d'assistance et d'assurer la coordination et l'exécution
des projets.
Passer de la quantité
à la qualité
Il y a certes des secteurs et des aspects de l'éducation qui n'ont pas bénéficié d'une aide suffisante et où u n surcroît d'assistance pourrait
être utile ; c'est le cas de l'aménagement des
programmes, de la production de matériel éducatif o u encore d u développement de l'infrastructure de l'administration et de la planification. E n revanche, il y a des catégories d'aide
qui paraissent dorénavant trop coûteuses, injustifiées, prématurées, ou inadaptées au financement externe et qui ne doivent pas bénéficier
à l'avenir d'une priorité élevée dans les programmes d'assistance — fourniture massive
d'enseignants étrangers pour les établissements
d u premier et d u second degré, techniques
onéreuses c o m m e la télévision, universités et
institutions très spécialisées qui, si excellentes
soient-elles, entraînent des dépenses disproportionnées aux besoins des autres secteurs de
l'éducation. Si, par u n miracle de diplomatie
ou de technocratie, les spécialistes, les h o m m e s
politiques et les administrateurs concernés pouvaient se mettre d'accord sur les projets qu'il
convient de développer et ceux qu'il faut réduire, ceux qu'il faut mettre sur pied et ceux
se
auxquels il faut mettre u n terme, il est probable qu'on parviendrait, au bout d u compte, à
u n volume comparable, à peu de chose près,
à celui des programmes d'assistance technique
actuels.
L'essentiel, c'est que l'aide à l'éducation bénéficie d'ores et déjà d'une priorité élevée dans
la plupart des programmes nationaux — puisqu'elle représente environ le tiers de l'aide
globale — et sert déjà à couvrir une fraction
anormalement élevée des dépenses d'éducation
dans la plupart des pays les moins avancés.
Dans plusieurs cas l'assistance, évaluée au coût
normal des facteurs, dépasse les budgets nationaux de l'éducation.
Il est peu probable que l'aide à l'éducation
augmente beaucoup, que ce soit en valeur relative ou en valeur absolue, tant qu'il n'y aura
pas u n accroissement substantiel de l'aide globale aux pays les moins avancés ou u n déplacement des priorités nationales se traduisant
par une utilisation accrue des ressources locales pour l'expansion d u secteur de l'éducation et par une plus grande aptitude à utiliser
l'assistance technique. Q u a n d bien m ê m e l'aide
augmenterait en valeur absolue, il est peu probable que dans les pays les moins avancés la
fraction affectée à l'éducation augmente. C e
qui est vraisemblable, c'est que si l'aide accordée à ces pays s'accroît, ce seront plutôt les
secteurs autres que l'éducation qui en bénéficieront.
C'est bien ce qui se passa, d'ailleurs, en ce
qui concerne les 35 millions de dollars affectés
par le P N U D pour des mesures spéciales destinées aux pays les moins avancés durant la
période comprise entre 1973 e t I97<>- Il semble
que ces affectations spéciales se soldent par une
extension des programmes nationaux, autrement dit qu'elles permettent d'entreprendre des
programmes de plus grande envergure, mais
dont le contenu n'a guère changé. U n petit
nombre de pays ont bien ajouté à leurs programmes quelques projets éducatifs, qui visent
à créer, à renforcer o u à soutenir des établis-
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
sements d'enseignement général ou technique.
Mais pour la plupart les nouveaux projets sont
de type tout à fait classique ; ils ne concernent
pas l'éducation et ne sont pas spécialement
conçus pour les pays les moins avancés. Dans
la liste des 150 projets qui ont été élaborés
dans le cadre des programmes à m o y e n terme
et à long terme pour les six pays de la région
soudano-sahélienne, il est question d'irrigation,
de construction de puits, de construction de
routes, de reconstitution du cheptel, de services
d'hygiène et de santé... et il a fallu quelques
objections de la part d u Secrétariat pour que
les problèmes d'éducation et de formation soient
pris en considération.
A supposer que les diverses mesures spéciales
proposées pour les pays les moins avancés se
traduisent effectivement par u n accroissement
net des flux d'aide, on peut escompter u n accroissement immédiat de la valeur monétaire
de l'aide à l'éducation dans ces pays, mais à
long terme il faut s'attendre à une baisse relative de cette aide qui, de 30 à 35 % au total,
devrait se rapprocher des 10 à 15 % que les
pays en voie de développement consacrent actuellement aux dépenses d'éducation et de formation. Il se peut m ê m e que l'aide à l'éducation
baisse en valeur absolue si, d'ici là, les pays
arrivent à réduire certains besoins d'assistance
particulièrement coûteux, notamment leurs besoins de professeurs étrangers non spécialisés
pour le second degré.
Il faudra suivre de près cette évolution. Les
modalités et la composition de l'assistance seront probablement de meilleurs indices de progrès que les fluctuations d u volume global de
l'assistance ou de la fraction consacrée à l'éducation. Il est important de faire une distinction
entre les réductions d'aide consécutives aux
difficultés que les donateurs peuvent éprouver
à réunir des fonds et celles qui résultent d'une
diminution et/ou d'une modification des besoins. E n tout état de cause, il ne faut pas
oublier qu'une réduction de l'aide peut être
l'indice que des progrès ont été réalisés à
l'échelon local et que les priorités ont changé,
tandis qu'inversement une augmentation peut
indiquer une accentuation de l'enracinement des
méthodes traditionnelles et une aggravation de
la dépendance.
L a tendance à croire qu'il y a équation entre
progrès et croissance risque malheureusement
de se traduire par une multiplication de résolutions exhortant les organismes d'aide à atteindre des objectifs numériques à des dates
fixes ; et les statisticiens de mesurer consciencieusement le progrès d'après le niveau de
l'aide par habitant, exprimé en pourcentage d u
P N B ou d u budget national de l'éducation ;
quant aux analystes, ils partiront de l'hypothèse que, dès l'instant où l'on s'en tient à
l'indice, le signe « plus » signifie progrès, le
signe « moins » dérapage. Pour les donateurs, la
façon la plus c o m m o d e d'augmenter leur aide,
c o m m e on les y exhorte, sera de persévérer
dans les formes d'assistance à la fois coûteuses
et traditionnelles — bourses, experts, matériaux
de construction, ordinateurs, papier...
Autre problème lié à celui qui est évoqué plus
haut : on s'attend à ce qu'une partie au moins
des ressources des pays de l ' O P E P soit affectée à
l'aide au développement soit par le truchement
de la Banque mondiale ou d u P N U D , soit
dans le cadre de nouveaux accords bilatéraux
ou par le biais de fonds spéciaux. Plusieurs
suggestions sont à l'étude et l'un ou l'autre de
ces mécanismes devrait, selon toute vraisemblance, fournir des ressources nouvelles. L a
difficulté réside dans la pénurie de personnel
d'assistance technique nécessaire pour aider à
concevoir et exécuter les projets additionnels.
M ê m e en partant d u principe que le personnel
d'exécution devrait être en majeure partie c o m posé de nationaux, on ne peut se soustraire à
la nécessité de faire appel à de nombreux experts
étrangers. Sans eux, il est fort à craindre que
les nouvelles ressources ne se traduisent purement et simplement par u n complément d'aide
substantiel aux projets traditionnels. Il y a
trois solutions qui permettent d'éviter cet
91
Francis J. Method
inconvénient, et le mieux est de les combiner.
E n premier lieu, si l'aide autre que celle qui
serait fournie par les pays de l ' O P E P contribuait
à développer la capacité des pays à planifier
et réaliser e u x - m ê m e s le développement de
l'éducation nationale, y compris à déterminer
et obtenir l'assistance dont ils peuvent avoir
besoin, les nouvelles formes d'assistance trouveraient alors u n cadre dans lequel elles pourraient s'épanouir. E n second lieu, la mise en
œuvre des ressources nouvelles devrait, lorsque
c'est possible, faire appel à la compétence
technique d u groupe de la Banque mondiale
et des programmes d'assistance c o m m e ceux d u
P N U D / U n e s c o , qui reposent sur le principe
de la programmation par pays. Cela peut se faire
m ê m e si les ressources nouvelles ne sont pas
effectivement fournies par l'intermédiaire des
organismes précités. E n troisième lieu, une
partie de l'assistance peut servir utilement à
financer certains apports qui exigent surtout
de gros investissements et des crédits extérieurs
(matériaux de construction, papier, combustibles, moyens de transport, etc.).
L'aide doit-elle augmenter de façon substantielle ? L a question est controversée ; en tout
cas critiquer les objectifs numériques n'équivaut nullement à prendre position contre le
principe de la croissance. D è s l'instant où les
besoins sont formulés de façon explicite et où
ils sont incorporés au plan, l'assistance ne risque
guère de fausser les priorités, ni l'offre de
susciter la demande. Cela dit, il faut résister
à la tentation des objectifs quantitatifs et s'employer essentiellement à mettre en place des
capacités d'analyse, des moyens pour identifier
et définir les besoins, et des mécanismes nouveaux pour acheminer l'aide.
Pour l'assistance, le critère de la réussite n'est
certes pas son augmentation pure et simple :
c'est la mesure dans laquelle elle a ou n o n
contribué à résoudre u n problème. Lorsqu'on
en est à la programmer, il faut définir les
92
besoins en fonction des buts à atteindre et n o n
du volume des ressources à y consacrer ; ainsi
on préférera toujours :
A une augmentation de l'aide en devises étrangères une assistance qui permettra de réduire
les dépenses en devises qu'exige l'effort d'éducation ;
A la fourniture d'enseignants ou de spécialistes
en plus grand nombre, une aide qui contribuera à remédier à la pénurie d'enseignants
ou de spécialistes ;
A une assistance de caractère technologique
(télévision, etc.), une aide qui permettra
d'étendre les services éducatifs à une région
géographique plus vaste ou à une plus large
couche de la population ;
A la fourniture de services consultatifs, u n e
aide qui favorise l'instauration d'une planification et d'une gestion compétentes ;
A une aide à l'enseignement technique supérieur, une assistance qui vise à éliminer la
pénurie de techniciens de niveau m o y e n .
Il se peut (encore n'est-ce pas sûr) que cette
attitude aboutisse, tout compte fait, à des recommandations et à des projets assez peu différents de ce qui se faisait auparavant ; mais, et
ce serait là u n élément nouveau, ils seraient
orientés vers des objectifs acceptés, ce qui
permettrait d'ailleurs de réviser le programme
au fur et à mesure de son exécution, en fonction
des besoins locaux.
Les problèmes d'ordre politique, structurel
et technique sont plus difficiles à résoudre q u e
la pénurie de ressources. Si les ressources sont
définies en fonction d u système au sein duquel
elles seront utilisées, les solutions seront
peut-être plus réalistes, quoique plus difficiles à
mettre en œuvre, que si elles sont subordonnées
à la mobilisation de ressources suffisantes pour
s'attaquer aux problèmes par les méthodes traditionnelles. Les ressources classiques (crédits ¿
matériel et équipement ; main-d'œuvre qualifiée) sont tout bonnement insuffisantes et la
situation n'est pas près de s'améliorer. Quant
aux choix politiques et au sens technique, c'est
Les problèmes posés par l'accroissement de l'aide à l'éducation
peut-être ce qu'il y a de plus rare en fait de ressources ; en revanche, c'est aussi ce qu'il y a de
moins cher. Les organismes d'aide pourraient
m ê m e , c o m m e M . Joseph Ki-Zerbo en avait
fait la suggestion en juillet 1974 1 , traiter les choix
et les volontés de réforme affirmés par les bénéficiaires c o m m e u n investissement représentant
une partie de la contribution exigée en contrepartie des dépenses consenties en faveur d u
programme.
Si les éducateurs se mettent à repenser leur
pédagogie et les politiciens leurs choix, si l'on
assigne de nouvelles priorités aux stratégies d u
développement, on s'apercevra peut-être que
les problèmes ne sont pas insolubles et que les
ressources nécessaires ont toujours été disponibles. Si, en revanche, on s'en tient aux solutions traditionnelles, il faut bien admettre, si
dur que cela puisse être, que les problèmes
économiques et sociaux des pays les moins
avancés, à commencer par les problèmes de l'enseignement, sont loin de pouvoir être « résolus ».
Les solutions, quelles qu'elles soient, viendront beaucoup plus de l'action des dirigeants
politiques des pays intéressés que de l'intervention de l'aide étrangère. O n peut demander aux
organismes étrangers d'assister, d'alimenter, de
soutenir, de coopérer ; il n'est pas en leur pouvoir de diriger, il ne leur appartient pas de
décider. Les organismes internationaux ont de
toute évidence un rôle créateur, stimulant, directeur à jouer. Cependant, si les pays qu'ils
aident n'ont pas chez eux les dirigeants, le soutien dévoué et les capacités techniques nécessaires pour concevoir et mettre en œuvre leurs
propres solutions, ce ne sont pas les mesures de
réorganisation internationale, les beaux discours et les discussions de technocrates qui
pourront changer véritablement la situation.
1. Réunion préparatoire d'experts pour la réunion de
hauts fonctionnaires des ministères de l'éducation des
vingt-cinq pays les moins développés, Paris, 8-12 juillet 1974.
93
Khamphao Phonekeo
Le défi laotien :
une éducation non « polluante »
baines riches d'Occident non seulement n'a pas
toujours apporté le progrès escompté, mais
endosse sans doute une assez lourde responsabilité dans le déséquilibre croissant de ces pays.
L'école occidentale, imprudemment transplantée en Afrique et en Asie, a souvent davantage
propagé l'idéal de la consommation que celui de
la production ; elle a conduit à l'abandon des
cultures populaires nationales et locales vivantes
au profit d'une culture en conserve petitebourgeoise, urbaine et cosmopolite, encourageant ainsi l'exode vers des villes qui offraient
consommation et culture cosmopolite. Les exam e n s ont suscité l'arrivisme, la ruée vers les
administrations, le mépris du travail manuel ;
les programmes, académiques et intellectuels,
ont généralement négligé la formation personnelle, familiale et sociale. C'est ainsi que l'école
conventionnelle héritée du colonialisme — puissamment aidée par la publicité commerciale,
l'importation des produits étrangers de consommation, etc. — a été largement responsable de
troubles graves et, bien loin de favoriser u n développement harmonieux, l'a parfois assez sérieusement compromis. N o n seulement l'éducation inadaptée coûte très cher, mais elle peut
mettre en danger les équilibres de base d'une
société. N o n qu'il faille fermer l'école ou supKhamphao Phonekeo (Laos). Directeur de l'enseigneprimer
les moyens de communication de masse,
ment secondaire. Ancien conseiller culturel et délégué
permanent auprès de l'Unesco. Ancien directeur de mais, de m ê m e que l'on cherche aujourd'hui des
l'enseignement primaire et de l'éducation des adultes
formes d'énergie matérielle qui ne comproau Ministère laotien de l'éducation. Auteur de plusieurs
mettent pas l'air et l'eau, il faudrait chercher
Personne ne met plus en doute l'importance de
l'éducation qui, ouvrant aux masses une participation active à la vie politique, professionnelle et culturelle, engage l'ensemble de la société dans la voie du progrès socio-économique.
Il s'agit là, bien sûr, de l'éducation réellement
adaptée aux besoins de tel ou tel pays et respectueuse de ses équilibres, car autant certaines
actions éducatives peuvent, à un m o m e n t donné
et dans une société donnée, être bénéfiques,
autant certaines autres peuvent être nuisibles ;
et telle éducation qui a fait merveille dans u n
pays peut fort bien en « empoisonner » un autre.
L'erreur des années cinquante fut de croire
et de faire croire aux pays dits « en développement » qu'il leur suffisait d'augmenter le
nombre des écoles, des élèves, des professeurs
et des années d'études pour assurer le développement. Telles furent, on le sait, les thèses
qui triomphèrent aux conférences de Karachi
en i960 et d'Addis-Abeba en 1961 ; elles coûtèrent cher au tiers m o n d e . L a multiplication,
dans les pays ruraux très pauvres de l'Asie et de
l'Afrique, d'écoles empruntées aux sociétés ur-
études sur l'éducation au Laos.
94
Perspectives, vol. V, n° i, 1975
Le défi laotien : une éducation non « polluante »
pour les pays en développement une éducation
non « polluante ».
Pour illustrer cette position, je prendrai pour
exemple le Laos, qui était demeuré jusque
vers 1950 relativement intact et qui constitue
par conséquent un cas assez typique pour l'étude
de la « pollution » et des mesures susceptibles
d'y remédier.
Avec une superficie voisine de celle de la
Grande-Bretagne, le Laos compte seulement
3 millions d'habitants. C e sous-peuplement, d û
au taux élevé de mortalité, s'il n'est guère favorable au développement, a eu cependant une
conséquence bénéfique : il y a suffisamment de
terre pour tous en sorte qu'il n'y a jamais eu,
du moins dans les zones rurales, de lutte sociale
pour la possession de la terre, qui appartenait à
celui qui la cultivait. Les villages vivaient dans
une autarcie presque complète, ignorant l'usage
de l'argent et pratiquant entre leurs membres
une économie de dons qui s'harmonisait parfaitement avec la religion du pays : le bouddhisme
du Petit Véhicule dont la philosophie de l'impermanence des choses et de la réalité très relative de la personne s'allie très bien à une économie de subsistance apparentée au c o m m u n i s m e
primitif. Ensemble elles contribuèrent à créer
une culture peu voyante mais très vivante et à
laquelle participe activement la totalité de la
population. D e plus, ne disposant pas de ressources naturelles exceptionnelles qui pourraient
le signaler à la convoitise extérieure, le Laos,
peu exploitable, est resté peu exploité et, jusqu'à la guerre d'Indochine, son intégrité culturelle était donc demeurée à peu près intacte.
Est-ce à dire que le Laos est u n paradis qu'il
faudrait soigneusement protéger des souillures
de la civilisation moderne ? Assurément non. L e
paysan laotien est une victime de choix du paludisme, le taux de mortalité des enfants en bas
âge est exceptionnellement élevé ; et le « confort »
des villages laisse beaucoup à désirer. Il serait
ridicule d'empêcher les masses rurales d'accéder
à une meilleure situation matérielle, sous prétexte de préserver le charme de leur folklore !
Mais est-il vraiment impossible d'enrayer la
maladie sans détruire la culture laotienne ? N ' y
a-t-il pas m o y e n de créer, sans bouleversements,
u n confort rural tropical à base des ressources
existant localement et dans le cadre de la vie traditionnelle ? Est-il exclu de dessiner pour u n
pays non occidental une voie de développement
qui continue et renforce son développement antérieur ? Bref, est-il illusoire d'espérer créer
une civilisation moderne à base rurale tropicale
sans tout emprunter à l'Occident industriel et
urbain ?
Tel est le défi jeté aux responsables de la
société laotienne et, tout particulièrement, à ses
éducateurs : pourrons-nous élaborer et mettre en
œuvre u n type d'éducation qui nous permette
de nous développer selon nos besoins réels tout
en sauvegardant ce qu'il y a de positif dans notre
culture ? Quel système d'éducation correspond
à u n tel objectif ?
Tout d'abord l'expérience a démontré que le
système de l'époque coloniale ne pouvait offrir
une solution permanente aux problèmes de l'éducation laotienne. Il est assez évident, par exemple,
que l'histoire européenne, la philosophie occidentale ne sont pas, pour un adolescent laotien,
la meilleure introduction à la culture de son pays,
qui n'est pas seulement une autre culture mais
encore une culture d'un type différent : moins
académique, moins intellectuelle et incomparablement plus populaire. Acquérir une culture
différente de la sienne constitue certes u n enrichissement, mais à la condition que l'on domine
déjà la sienne propre. L e danger de l'aliénation
culturelle pour le tiers m o n d e est l'un des plus
graves qui soient. Elle c o m m e n c e par l'aliénation
linguistique, dont l'Unesco du reste a fréquemment signalé les méfaits. Il est déjà assez difficile
pour u n enfant de s'initier aux systèmes s y m boliques complexes que sont l'alphabet et les
chiffres ; le faire dans une langue étrangère
augmente encore cette difficulté, car l'enfant
doit ensuite faire simultanément front à deux
systèmes symboliques nouveaux. D e manière
générale, l'enseignement dans une langue
95
Khamphao Phonekeo
étrangère a été marqué dans notre pays par u n
retard très net dans l'acquisition des connaissances. Les élèves d u primaire, d u secondaire,
de l'enseignement normal, voire d u supérieur,
consacraient le meilleur de leurs efforts à essayer de dominer la langue française et, alors
m ê m e qu'ils apprenaient les mathématiques ou
la physique, ils étaient arrêtés par la barrière
linguistique avant m ê m e d'aborder les difficultés
de la science.
O r les emprunts que le Laos a faits au système occidental dépassent de beaucoup les problèmes de culture et de langue. N o u s avons
tendance à penser, par exemple, que la division
entre enseignements primaire, secondaire et supérieur correspond à une réalité universelle.
Est-ce bien sûr ? N'est-ce pas là seulement le
fait d'une évolution historique particulière à
l'Occident ? L a distinction entre enseignement
général et enseignement professionnel est-elle,
elle aussi, une nécessité absolue ou renvoiet-elle à une situation sociale et économique particulière à u n m o m e n t défini de l'histoire de
l'Occident ? Est-il évident que l'enseignement
primaire doive commencer à six ans et se terminer aux environs de onze ou douze ans, trop
tôt selon nous pour que l'adolescent puisse
entreprendre une carrière professionnelle ? Mais
par ailleurs est-il nécessaire que l'ensemble des
études soient si longues (entre seize et dix-huit
ans pour l'ensemble du primaire, d u secondaire
et d u supérieur) ? N'est-ce pas là u n luxe pour
pays riches ?
Depuis son indépendance en 1949, le Laos se
débat dans u n système d'éducation qui n'est pas
fait pour lui. L e système scolaire introduit à
l'époque coloniale et qui correspondait aux besoins de la situation (formation d'une petite
classe de fonctionnaires, interprètes, comparadores qui assuraient la liaison entre les administrateurs de la métropole et la population) s'avère
totalement inefficace lorsqu'on veut l'utiliser
pour l'éducation des masses : l'acquisition de la
langue étrangère ne sert plus à rien tout en
coûtant des efforts gigantesques, la connaissance
96
de la culture étrangère devient anecdotique et,
surtout, la durée des études, leur structure, leur
nature ne correspondent plus aux besoins ni
aux ressources d u Laos. Il est par exemple hors
de question d'étendre prochainement une scolarité primaire de six années à l'ensemble de
la population. E n insistant sur u n enseignement primaire de six ans, on ne ferait pratiquement qu'exclure les masses de l'éducation.
Bien plus, dans le contexte socio-économicoculturel, rester six ans à l'école revient à traîner
et, par conséquent, apprendre à être inutile;
trop souvent, après six années de scolarité et u n
certificat d'études l'enfant est totalement coupé
du travail traditionnel et, c o m m e il n'existe pas
suffisamment d'emplois productifs dans les secteurs modernes, il n'est plus bon qu'à continuer indéfiniment des études jusqu'à obtenir,
dans le meilleur des cas, u n poste de fonctionnaire avec u n salaire très inférieur à ce que
son diplôme lui permet d'espérer. Ainsi, l'école
conventionnelle, bien loin de favoriser le développement, enlève-t-elle des bras à la production de base pour gonfler artificiellement les
administrations.
U n tel système ne peut évidemment pas subsister, mais lorsqu'il songe à le remplacer u n
pays en développement doit éviter u n certain
nombre de pièges. Tout d'abord, il n'y aurait
aucun sens, bien sûr, à changer de langue et de
système étrangers ; cela peut sembler aller de
soi, mais les pays d u tiers m o n d e sont bien
souvent l'objet de sollicitations orientées en
ce sens accompagnées d'alléchantes promesses
d'aide matérielle; y céder serait sauter de la
poêle dans le feu ; y céder à moitié, c'est-à-dire
mélanger les systèmes étrangers, serait simplement augmenter la confusion.
U n e autre tentation, venant elle aussi de
l'extérieur, est celle des techniques miracles.
« Vous n'avez pas de professeurs et, si vous en
aviez, vous n'auriez pas d'argent pour les payer.
L a radio ou la télévision peuvent vous assurer
à meilleur compte l'enseignement et l'information de toute la population de votre pays. » C'est
Le défi laotien : une éducation non « polluante »
vrai en théorie, mais l'expérience semble indiquer que dans la pratique il est encore bien plus
difficile pour u n petit pays de concevoir, de
préparer et d'implanter u n système d'éducation
à distance qu'un système scolaire conventionnel.
Je ne nie pas que la télévision puisse être la
formule de l'avenir, mais, pour u n pays d u club
des pauvres c o m m e le Laos, adopter « actuellement » la solution télévisionnelle signifierait
confier la totalité de son éducation à l'étranger,
dès lors que les nationaux ne sont pas, pour le
m o m e n t , en mesure de mettre sur pied u n tel
système.
Mais, m ê m e si la télévision éducative pouvait
être gérée par des nationaux, je doute qu'elle
puisse être actuellement la meilleure formule
pour u n pays c o m m e le Laos. E n effet, ce dont
nos masses ont besoin, ce n'est pas tellement
de connaissances ou d'informations mais de
confiance en elles-mêmes. Il faudrait que dans
les villages la population discute et réfléchisse
en c o m m u n , qu'elle identifie u n objectif simple,
qu'elle en entreprenne en c o m m u n la réalisation,
en u n m o t qu'elle se persuade qu'elle est une
force et qu'elle peut faire quelque chose d'ellem ê m e , sans orientation ni aide d u dehors. U n
système d'information au niveau national peut
être u n apport précieux pour aider les populations à prendre conscience de leurs forces, de
leur volonté, de leurs objectifs ; mais imaginer
qu'il puisse à lui seul créer le changement, c'est
faire Terreur habituelle des technocrates qui
croient pouvoir développer les pays pauvres
avec de l'argent, des modèles d'institutions et
des idées toutes faites. L a télévision et la radio
sont des instruments puissants, et elles peuvent
apporter une aide complémentaire extrêmement utile; mais on ne saurait les présenter
c o m m e des remèdes miracles qui dispenseraient
la population d'entreprendre l'effort premier de
réflexion et d'action c o m m u n e .
Il faut donc renoncer à vouloir troquer le
système scolaire conventionnel occidental contre
d'autres, également tout faits et importés. L a
seule solution aux problèmes d'éducation des
pays pauvres ne peut venir que d'eux-mêmes,
c'est donc à eux, et à eux seuls, que revient
la tâche de trouver le système d'éducation qui
convient à leur situation.
C'est à cette exigence d'une solution proprement nationale que correspond la réforme
d'éducation préparée et promulguée en 1962,
lors d'une période d'union nationale. Les traits
principaux en sont une « laocisation » progressive de tous les niveaux et de toutes les branches
d'enseignement, une orientation radicale vers
la pratique et l'utilisation systématique des ressources locales. Parmi les réalisations de la
réforme de 1962, on peut citer : les centres
ruraux d'éducation communautaire ( C R E C ) ,
les collèges F a n g u m et l'Université nationale.
C o m m e dans la plupart des pays pauvres, les
ressources financières actuelles d u Laos ne lui
permettent pas de scolariser la totalité des enfants dans le système conventionnel académique
de six années. Refusant une politique du tout ou
rien, la réforme de 1962 crée dans chaque village
un centre rural d'éducation communautaire qui
doit être, à la fois, une école primaire du premier
cycle (trois ans), u n centre de jeunesse et u n
centre d'éducation de base des adultes. L e
C R E C peut être soit une école de pagode avec
pour professeur le moine, soit, là où n'existe
pas de pagode, une école rurale construite à
l'initiative des villageois avec u n maître local
enseignant à mi-temps, choisi et entretenu par
eux. L e programme d'études des C R E C est le
village m ê m e ; il s'agit essentiellement de faire
comprendre aux enfants le m o n d e qui les entoure, de leur faire saisir concrètement ce qui,
dans leur village, nécessite des améliorations
simples, de les amener à amorcer eux-mêmes
ces améliorations. C'est donc au travers des problèmes du village pris c o m m e « centre d'intérêt »
que l'enfant apprendra à lire, écrire et compter ;
c'est à partir d u village qu'il va acquérir les premières idées d'histoire, de géographie, de sciences naturelles, de technique et d'économie pratiques. Cinq ans après le lancement de la
réforme, 1 222 C R E C ont été créés dans les
97
Khamphao Phonekeo
zones rurales du Laos, souvent à l'initiative des
paysans eux-mêmes. Ce mouvement prometteur
fut malheureusement arrêté par la reprise des
hostilités sur le territoire laotien, qui compte
actuellement moins de 900 C R E C où les programmes tendent souvent à retomber dans ceux
de l'école conventionnelle.
Les collèges F a n g u m , quant à eux, sont des
établissements d'enseignement secondaire c o m plet, où l'enseignement est donné entièrement
en langue laotienne et où une partie relativement
importante de l'horaire (huit heures sur trentetrois) est consacrée à l'apprentissage d'une technique : agriculture, commerce, industrie ou arts
ménagers. Il existe actuellement cinq collèges
F a n g u m ; u n sixième est en construction et la
capacité totale en sera de 3 000 élèves, soit la
moitié environ des effectifs de l'enseignement
secondaire.
Enfin le gouvernement, suivant les prévisions de la loi de 1962, a créé en 1973 une Université nationale qui réunit toutes les écoles
supérieures (médecine, droit et pédagogie) qui
existaient précédemment. La création de l'université n'est assurément pas u n geste de prestige; elle correspond au désir de former sur
place les cadres supérieurs d u pays. « E n effet,
les études à l'étranger, lit-on dans le texte de la
réforme de 1962. risquent toujours de couper
gravement l'étudiant d u milieu où il aura ensuite à exercer. Il est très important, pour u n
pays en développement, que les cadres supérieurs aient une claire conscience des problèmes
sociologiques d u pays. O n orientera donc les
programmes de culture générale de toutes les
facultés ... vers la sociologie historique du Laos
et de l'Extrême-Orient, et vers les problèmes
posés par les changements de structure économique. »
Les centres ruraux d'éducation c o m m u n a u taire, les collèges F a n g u m et l'Université nationale constituent, sans aucun doute, autant de
pas dans le bon chemin. Il ne faudrait pas
cependant nous leurrer. L e système scolaire
conventionnel cosmopolite menace sans cesse
98
de « récupérer » les nouvelles institutions nationales. J'ai déjà signalé qu'il y avait tendance
à introduire dans les C R E C les programmes de
l'école primaire traditionnelle aux dépens de
l'étude active d u village et de sa vie. Dans
les collèges F a n g u m et dans l'enseignement
supérieur aussi, les modèles étrangers gênent
considérablement le développement d'un enseignement indépendant et, par conséquent, approprié à nos besoins ; malgré les efforts de
changement, l'enseignement purement théorique a encore beaucoup trop d'importance par
rapport à l'enseignement pratique, le seul qui
convienne à u n pays pauvre c o m m e le nôtre ;
surtout, on semble oublier qu'instruire les élèves
n'est pas tout, mais que le plus important
est de les former pour qu'ils acceptent de
mettre leur instruction au service d u peuple.
E n résumé, m ê m e nos institutions nationales
nouvelles sacrifient encore beaucoup trop aux
idées et aux coutumes de l'étranger. Or, encore
une fois, ce qui peut être parfaitement approprié pour l'étranger est catastrophique pour
nous ; nous n'avons nul besoin de jeunes gens
instruits si ces jeunes gens quittent leur village au lieu de le faire profiter de leur instruction, s'ils veulent tous entrer dans une administration au lieu d'exercer des métiers utiles,
s'ils pensent d'abord à profiter de leurs études
pour s'enrichir aux dépens d u peuple au lieu
de le servir.
Il est clair, d'après ce qui précède, que pour
un petit pays une réforme nationale de l'éducation n'est pas chose aisée. Il faut rester vigilant et prévenir les dangers d'adultération possible de l'éducation nationale. A cet effet, il
faut se fixer quelques principes simples et
clairs, obtenir que ces principes soient acceptés
de tous les responsables d u pays et ne jamais
en dévier quelles que puissent être les difficultés.
Le premier principe que je proposerai est
de partir non pas d'un modèle d'éducation quelconque mais des besoins immédiats d u pays.
Si je prends u n ou plusieurs modèles étrangers
et que je cherche à les adapter à m o n pays, je
Le défi laotien : une éducation non « polluante »
suis perdu. D e tels modèles correspondent à
des situations et à des besoins si radicalement
différents des nôtres que pour les adapter il
faudrait les changer si complètement qu'il n'en
resterait rien. Mais, alors, pourquoi partir d'un
modèle qu'il faut aussitôt complètement changer ? Oublions donc les modèles (structures,
programmes, méthodes et moyens) et cherchons
plutôt à définir nos besoins. N o n pas nos
besoins pour u n avenir lointain, mais les plus
simples et les plus immédiats. Quelles fonctions vitales ne sont pas ou sont mal assurées
dans le pays, telles que l'hygiène, l'agriculture,
le commerce, l'artisanat, et comment l'éducation pourrait-elle y remédier ? Quels sont
les spécialistes qui manquent et c o m m e n t
pourrait-on les former au mieux et au plus
vite ? Si l'on adopte ce point de vue, tout
devient moins compliqué ; on n'a plus honte
de ce qu'on est i on ne cherche plus à rivaliser avec les pays riches d'Europe ou d ' A m é rique ; on élimine des programmes tout ce qui
n'est pas immédiatement utile, et l'on accorde
toute l'importance et tout le temps qu'il faut
aux vraies priorités. Par exemple, si je veux
former des instituteurs pour les C R E C , je ne
chercherais pas à leur enseigner autre chose
que ce qu'ils auront à enseigner aux villageois : lire, écrire, compter, quelques principes
simples d'hygiène, d'agriculture, d'élevage et
de commercialisation, quelques grandes idées
pratiques de civisme et de politique ; je ne leur
enseignerais pas non plus de la pédagogie c o m pliquée ; je leur demanderais par contre de
bien connaître le village, d'être capables d'apprendre des villageois, de vivre et de travailler
avec eux ; il ne faudrait donc pas enseigner aux
maîtres des C R E C plus qu'ils n'ont besoin
de savoir, mais insister sur les problèmes pratiques réels, en l'occurrence la connaissance
approfondie du village et des villageois. Autre
exemple : dans l'enseignement secondaire au
Laos, on consacrait autrefois un nombre d'heures important à l'étude de la littérature française ; tout le m o n d e voit bien aujourd'hui
que celle-ci n'est pas u n sujet d'étude approprié à u n jeune Laotien et c'est pourquoi on rec o m m a n d e d'y substituer la littérature laotienne
ou, peut-être, la culture de l'Extrême-Orient en
général. Mais, m ê m e ainsi, ne continue-t-on
pas à suivre, en le traduisant, le modèle étranger ? L'étude de l'histoire de la littérature,
de la culture convient peut-être aux sociétés
très avancées ; elles ne sont pas très utiles au
Laos, où la culture populaire est encore vivante, et surtout leur priorité, face à tant d'autres besoins plus immédiats, est tout à fait
secondaire. D e s matières de ce genre, imitées
de l'étranger mais ne répondant à aucun besoin
évident, doivent être impitoyablement éliminées. E n revanche, il est très important que
nos jeunes intellectuels prennent conscience
des problèmes sociaux, économiques et culturels du Laos ; le temps gagné sur la littérature,
la philosophie, l'histoire anecdotique de pays
étrangers pourrait être judicieusement consacré
à l'éducation sociale et civique tant théorique
(groupes de discussion) que pratique (organisation et exécution de tâches d'utilité publique) ;
tel est bien, d'ailleurs, l'esprit de la réforme
de
1962.
E n conclusion sur ce premier point, le système d'éducation doit répondre rigoureusement
aux besoins du pays, m ê m e s'il doit s'écarter
considérablement des systèmes d'éducation occidentaux les mieux acceptés à travers le m o n d e .
L a deuxième idée, complémentaire de la
précédente, est qu'il faut renoncer délibérément
à ce qu'on ne peut pas convenablement réaliser,
à u n m o m e n t donné, avec les ressources h u maines et matérielles du pays. Par exemple,
si nous n'avons pas de professeurs nationaux
pour mettre sur pied u n enseignement universitaire de type européen, nous devons oublier
l'université européenne et nous attacher à ce
que, actuellement, nous s o m m e s capables de
mener à bien nous-mêmes. Si nous nous concentrons aujourd'hui sur des objectifs modestes que
nous pourrons réaliser seuls au lieu de chercher à imiter les autres et à viser ce qui dépasse
99
Khamphao Phonekeo
nos moyens (et qui, de toute évidence, nous
rend tributaires des autres), nous aurons d'une
part accompli tout de suite quelque chose de
réel bien que modeste, d'autre part posé u n
jalon à partir duquel il nous sera possible
d'aller plus loin. Si nous avions appliqué ce
principe, jamais nous n'aurions cherché à avoir
en 1950 u n enseignement secondaire d u niveau
du baccalauréat français, enseignement pour
lequel nous étions obligés de faire appel à des
professeurs étrangers qui, naturellement, enseignaient dans leur langue, ce qui obligeait
les candidats aux études secondaires à apprendre d'abord une langue étrangère, avec pour
conséquences u n enseignement primaire sans
rapport avec les besoins élémentaires de la p o pulation, une rupture entre l'école et les m a s ses, etc. Sans doute, nos bacheliers et licenciés
auraient-ils été moins nombreux aujourd'hui,
mais, en contrepartie, notre système d'éducation eût été certainement plus sain et plus utile.
L e troisième principe consisterait à refuser
fermement toute aide qui impose u n modèle.
E n matière d'éducation, en effet, il est très rare
que les donateurs, bilatéraux ou internationaux,
offrent seulement de l'argent, des équipements,
quelques professeurs ou moniteurs pour former des nationaux pendant une brève période
dans u n domaine déterminé. Presque toujours
l'aide proprement dite, l'aide potentiellement
utile, est inextricablement liée à u n modèle
d'éducation qui correspond rarement aux besoins et à la situation du pays. Souvent, le
pays est soumis ainsi, par le biais des aides, à
la pression de plusieurs systèmes d'éducation,
différents, mais contradictoires. Il en résulte
une dangereuse confusion et, pis encore, toutes
sortes de distorsions. Pour ne pas perdre une
aide matérielle, le pays se lance dans des projets qui sont peu utiles parce que sans lien
organique avec l'ensemble d u système national et qui, une fois passés sous la responsabilité nationale, périclitent et échouent faute
de moyens. Il importe, par conséquent, de ne
pas se laisser tenter et d'être persuadé qu'une
100
aide qui introduit u n modèle étranger (que
ce soit un modèle de structure, de programmes,
de méthodes ou de moyens)finittoujours par
coûter beaucoup plus cher qu'elle ne rapporte
et que, loin d'être u n raccourci de progrès
dans l'éducation, elle se révèle généralement
être une impasse.
A u lieu de solliciter et d'attendre les aides
étrangères, il vaut beaucoup mieux chercher
à exploiter intensivement les ressources nationales. C'est là m o n quatrième principe. Cela
est clair, par exemple, pour les constructions
scolaires. A u Laos, on peut construire avec des
matériaux locaux (bois, bambous, claies tissées,
briques, tuiles) des écoles sur pilotis, avec de
larges terrasses, presque pas de murs fixes, et
qui sont bien plus confortables, compte tenu d u
climat, que les écoles faites de ciment importé
et de tôles ondulées ; de plus, elles s'harmonisent beaucoup mieux avec le paysage et m o n trent aux enfants et à leurs parents que notre
manière de vivre est tout aussi bonne, voire
meilleure pour nous, que celle d'importation.
O n peut en dire autant du mobilier et de l'équipement ; il n'est pas besoin pour enseigner la
physique, la chimie ou la biologie dans les
écoles d'importer de coûteux laboratoires ; beaucoup d'instruments peuvent être réalisés sur
place, avec des matériaux locaux, notamment
par les écoles techniques et professionnelles.
Mais il faut aller plus loin encore dans cette
voie ; quand u n pays n'a pas de professeurs
« qualifiés » (au sens international), cela ne signifie nullement qu'il m a n q u e totalement d'éducateurs, mais simplement que ses éducateurs
sont différents ; il ne faut pas rêver aux professeurs que l'on n'a pas, mais utiliser au mieux
les éducateurs que l'on possède, m ê m e s'ils ne
répondent pas aux critères du modèle international; il faut seulement leur demander de
faire ce qu'ils connaissent bien. C'est ainsi
que dans ses centres ruraux d'éducation c o m m u nautaire le Laos a utilisé les moines des pagodes
bouddhistes. L e moine — qui a fait v œ u de
pauvreté — ne coûte rien à la communauté ;
Le défi laotien : une éducation non « polluante »
de plus, il est dévoué, respecté et donc écouté ;
il n'est peut-être pas expert en sciences, mais
il sait lire et écrire, et ce qu'on sait on peut
toujours l'enseigner ; il connaît toutes sortes
d'arts utiles pour les villageois et surtout il
peut vraiment enseigner la solidarité et la sagesse. Il y a ainsi, dans tous les pays, à défaut
de professeurs « qualifiés », une quantité de
professeurs « naturels » : les vieillards, les
mères de famille dont les enfants sont déjà
grands, et, pour tout dire, l'ensemble de la
population qui, si on sait l'utiliser, a sûrement
quelque chose à apporter à la jeunesse. D a n s
tous les pays, la communauté offre d'inépuisables ressources éducatives ; au lieu de garder
les yeux fixés sur l'extérieur, sachons utiliser
toutes ces ressources nationales.
Cela nous conduit au cinquième principe
qui est celui de la participation. Il est faux de
penser qu'on peut importer le développement
socio-économique de l'étranger ; pas davantage ne peut-on transférer le développement,
c o m m e u n paquet tout fait, des villes aux
campagnes. L e développement naît sur place,
sinon ce n'en est pas u n . Tout le problème
est d'amener la population à s'intéresser à son
propre développement, à prendre l'initiative
des actions susceptibles d'y conduire. L'éducation, précisément, est l'art de faire participer
les jeunes et les adultes à leur propre éducation,
c'est-à-dire à leur développement. U n pays ne
saurait donc emprunter à u n autre l'idée de son
éducation ; c'est à chaque pays que revient la
tâche de penser ses problèmes et de trouver les
solutions appropriées. L e développement de
l'éducation ne peut commencer que par une
réflexion nationale sur l'éducation. Mais cette
réflexion, pour être fructueuse, ne saurait être
le privilège des seuls fonctionnaires de haut
rang ; il faut que toute la population y participe.
E n conséquence, on ne devrait jamais apporter
une école toute faite à u n village ; il conviendrait que, tout d'abord, des éducateurs de base
spécialement préparés prospectent les villages,
étudient les besoins des paysans, leur expli-
quent ce qu'est u n centre rural d'éducation
communautaire et les avantages qu'ils peuvent
en tirer, examinent avec eux l'aide qu'ils souhaiteraient obtenir pour la construction et l'équipement de l'école, la collaboration que le village pourrait apporter à l'enseignement, etc.
L'éducation doit, dès le départ, commencer
c o m m e une entreprise collective d u village à
laquelle tous les villageois soient associés et
non pas c o m m e une institution imposée par
l'État. Il faudra ensuite que les enfants eux
aussi participent activement à la direction de la
vie scolaire. L a loi de 1962 prévoit en effet
que dans chaque classe les élèves soient encouragés à se constituer en m o u v e m e n t de
jeunesse. « Les mouvements de classe, prescrit
la loi, auront la responsabilité de la propreté,
de l'ordre et de la décoration de la classe, de la
conservation d u matériel, de l'observation des
règles d'hygiène, de la discipline en l'absence
du maître, des jeux et promenades, de l'organisation des équipes dans les centres d'intérêt,
des parties de jardin, de pépinière ou de poulailler scolaires qui reviennent à la classe, de
la correspondance avec les écoles amies. D a n s
les classes à maître unique, les plus grands
participeront à l'instruction des plus petits. »
A cause des fâcheuses traditions de l'école
conventionnelle, bien souvent renforcées par
celles de l'enseignement normal, à cause des
routines administratives et des résistances de
toutes sortes, il est rare que la loi de 1962
soit pleinement appliquée. Mais nous n'avons
pas renoncé à ce qu'elle le soit, parce que nous
croyons qu'elle correspond à l'esprit d u peuple
laotien et à ses besoins réels.
« L'éducation, est-il écrit au tout début de notre
loi de 1962, est la transmission de la société de
génération en génération ; c'est aussi la préparation des individus et des communautés à
l'avenir... » L'éducation est intimement liée
à la structure de la société. O n ne peut donc
greffer n'importe quel système d'éducation sur
loi
Khamphao Phonekeo
n'importe quelle société sans risque de déséquilibre. C o m m e l'équilibre écologique, l'équilibre culturel est chose fragile qu'il est très
facile de détruire et très difficile de rétablir.
Sans doute la plupart de ceux qui croyaient
nous apporter l'éducation (mais qui, en fait,
nous apportaient seulement des systèmes d'éducation inassimilables) voulaient-ils nous aider ;
ils auraient p u cependant faire beaucoup de
mal, car une éducation étrangère est aussi « polluante » en son genre que les gaz d'automobiles,
102
les eaux usées de l'industrie ou les emballages
indestructibles de la société de consommation.
C'est là u n fait d'observation dont les pays d u
tiers m o n d e et, tout d'abord, les plus pauvres
parmi eux, devront prendre pleinement conscience avant de construire, e u x - m ê m e s , une
éducation « propre », c'est-à-dire à la fois endogène et « non polluante » et qui, tout en respectant leur style de vie, les conduise non pas
vers u n progrès anonyme mais vers le développement de ce qu'ils sont.
Dibya Deo Bhatt
Mohammad Mohsin
La refonte
du système d'éducation
au Népal
L e nouveau plan d'éducation d u Népal, reproduit dans u n document intitulé Système national
d'éducation igyi-içj6, vise à une refonte totale
des structures. L'intégration nationale et le
développement des ressources humaines en sont
les deux objectifs majeurs, mais le plan est
complet et ne laisse dans l'ombre aucun aspect
de la réforme de l'enseignement. Il se veut
orienté vers l'action ; à ce titre, il vise très nettement d'une part à développer les capacités
des élèves et à leur faire acquérir des attitudes
saines, et d'autre part à instaurer des liens
étroits entre l'éducation et le travail.
L e plan obéit à des orientations politiques
bien définies. L e but recherché est « la coordination des différents intérêts politiques et sociaux et la fusion des traditions multilingues en
une nationalité unique ». L e plan cherche également à modifier l'enseignement « afin que
celui-ci réponde mieux aux impératifs de la
politique démocratique indépendante de tout
parti des Panchayats1 et de la reconstruction
nationale planifiée ».
L e plan, qui évoque les aspects égalitaires de
l'enseignement, s'efforce aussi d'instaurer des
liens concrets avec les différents secteurs de
l'économie nationale. D a n s l'enseignement secondaire, c'est l'enseignement professionnel qui
est mis en vedette. Les inscriptions à l'université doivent être déterminées en fonction des
besoins de main-d'œuvre d u pays, ce qui est
bien difficile à réaliser dans une société qui
attache beaucoup de prix aux diplômes élevés.
L e plan stipule en outre que les différents
sous-systèmes éducatifs qui fonctionnent au
Népal doivent être unifiés. Il a pour but de
faciliter la mobilité socio-économique à la fois
en remaniant tout le système d'enseignement
— qui doit être structuré en unités autonom e s — et en insufflant aux programmes d'études
une orientation nettement pratique. C o m p t e
tenu de ces exigences, les auteurs d u plan ont
jugé très important de décentraliser l'enseignement, afin de créer des écoles dans les régions
rurales et d'améliorer les chances d'accès à
l'éducation des élèves doués qui proviennent
d'horizons socio-économiques défavorisés o u
de régions sous-développées.
Remaniement des structures
L e plan définit de façon précise la durée et les
finalités des différents degrés de la pyramide
Dibya Deo Bhatt (Népal). Président du Comité
éducative :
l'enseignement de la botanique à l'Institut scientifique
i. Enseignement primaire (durée : trois ans).
Dr
de
de l'Université de Tribhuvan.
D r Mohammad
Mohsin (Népal). Membre
taire du Comité national de l'éducation.
et secréi. Assemblées locales (N.d.l.r.).
IO3
Perspectives, vol. V , n° I, 1975
Dibya Deo Bhatt et Mohammad Mohsin
Objectif : enseigner aux enfants à lire et à
écrire.
2 . Premier cycle de l'enseignement secondaire (de
la quatrième à la septième année d'études).
Objectif : former la personnalité des élèves.
3. Deuxième cycle de l'enseignement secondaire
(de la huitième à la dixième année d'études).
Objectif : dispenser u n enseignement professionnel pour former des travailleurs qualifiés.
4 . Enseignement supérieur : a) Premier cycle
(certificate). Objectif : former des techniciens ; b) Deuxième cycle (diploma). O b jectif : former des cadres moyens ; c) Troisième cycle (degree).
A u Népal c o m m e dans d'autres pays en voie de
développement, les enfants constituent une fraction importante de la main-d'œuvre rurale. Très
tôt, ils s'occupent des animaux domestiques et
se voient confier quantité de tâches ménagères,
ce qui explique les taux alarmants d'abandon en
cours d'études et de déperdition des effectifs
que l'on constate dans les écoles primaires des
régions rurales. Ces écoles n'ont généralement
q u ' u n o u deux instituteurs et dépendent la plupart d u temps des finances locales, avec tout
ce que cela comporte d'aléas sur le plan de la
stabilitéfinancière.Pour beaucoup de maîtres,
l'enseignement devient une activité à temps
partiel, u n tremplin qui leur permet d'accéder
à des fonctions plus élevées. D a n s ces conditions, les écoles rurales fonctionnent de façon
irrégulière et insuffisante et elles assurent u n
nombre de jours de classe très inférieur aux
normes généralement admises.
Afin d'augmenter la scolarisation des petits
Népalais, pour qui l'école primaire représentera
la seule possibilité d'instruction de toute leur
existence, le plan prévoit de développer considérablement l'infrastructure de l'enseignement
primaire. L ' u n des moyens d'en accroître au
m a x i m u m l'efficacité et de minimiser la déperdition scolaire consiste à allonger la durée des
cours et des journées de classe et à les rendre
plus attrayants. D'autre part pour que les
104
élèves puissent achever leurs études primaires
avant d'entrer dans la vie professionnelle, le
plan ramène à trois ans la durée des études primaires. Durant ces trois années, les élèves
doivent essentiellement apprendre à lire, à écrire
et à compter. Avant que le plan entre en vigueur
dans u n district, o n regroupe tous les établissements existants conformément à u n schéma
directeur et l'on m e t en place une commission
de l'enseignement au niveau d u district. Depuis
la mise en route de la réforme, l'État paie les
traitements des instituteurs à 100 % et ceux
des professeurs des écoles professionnelles à
75 % . O n a rédigé toute une série de manuels
nouveaux que les élèves peuvent se procurer
pour u n prix modique.
Si la durée de la scolarité primaire a été ramenée de cinq à trois ans durant la période
d'application d u plan (1971-1976), le taux de
scolarisation doit doubler pour passer de 32
à 64 % . Si l'on élargit donc la base de la pyramide scolaire, seuls 40 % des élèves de l'enseignement primaire auront une chance de passer
dans l'enseignement secondaire. Les planificateurs espèrent que la réduction des taux
d'abandon en cours d'études ne réduira pas les
chances des élèves qui désirent aller jusqu'au
bout de leurs études secondaires.
L e premier cycle d u second degré s'étend
désormais sur quatre ans. Son principal objectif
est de développer les connaissances fondamentales et d'établir u n lien entre l'enseignement
et le travail en donnant à l'enseignement une
orientation préprofessionnelle axée sur les prestations de service, et en ménageant une place
importante aux activités appliquées : modelage,
confection d'objets simples en b a m b o u , réalisation de certaines tâches familiales traditionnelles, tricot, acquisition et application des rudiments de l'agronomie, dans le cadre des horaires
normaux. Des programmes simples et attrayants
sont mis au point pour que ces objectifs deviennent réalité.
L e deuxième cycle de l'enseignement secondaire consiste en u n enseignement intégré
La refonte du système d'éducation au Népal
de trois ans (de la huitième à la dixième année
d'études). L e plan prévoit que la moitié des
élèves qui parviennent au terme d u premier
cycle de l'enseignement secondaire doivent passer dans ce second cycle, qui se divise en trois
branches : enseignement professionnel, enseignement général, sanscrit. L'apprentissage d'un
métier et la participation régulière des élèves à
des tâches pratiques deviennent partie intégrante de l'éducation et constituent, de fait,
l'élément le plus important dans les trois sections. Les élèves qui désirent opter pour l'enseignement général ou l'étude d u sanscrit sont
tenus de choisir une formation professionnelle
qui occupera 20 % de leur emploi d u temps
global. L a formation pratique prend évidemment plus de place encore dans l'enseignement
professionnel, où elle arrive à occuper 43 % de
l'emploi d u temps. L'enseignement professionnel se présente plutôt c o m m e une « orientation »
que c o m m e une formation proprement dite
dans lesfilièresenseignement général et sanscrit, à la différence de lafilièreenseignement
professionnel, où l'accent est véritablement mis
sur la formation.
besoins de main-d'œuvre liés au plan de développement national.
Lorsque l'université a absorbé les établissements privés (une quarantaine environ), elle a
embauché tout le personnel enseignant que
ceux-ci employaient le gagnant, par là m ê m e , à
la cause d u plan.
Les programmes d'études visent u n double
objectif : faire des étudiants des citoyens plus
utiles en leur enseignant l'art d'appliquer les
règles de la pensée scientifique à la compréhension et à la solution des problèmes ; les préparer
à accéder au niveau d'études supérieures.
L e plan dispose que les programmes et les
enseignements doivent être conçus dans u n
esprit interdisciplinaire. Chaque enseignement
constitue u n ensemble spécifique qui accorde
une importance particulière à la matière choisie
par l'étudiant c o m m e discipline principale.
Chaque ensemble comprend également d'autres
disciplines qui ont u n rapport avec la matière
principale.
Avec le nouveau système, l'année universitaire se divise en deux semestres. Les étudiants
sont jugés sur de courtes épreuves et des examens de fin de semestre. L'importance de l'évaL'Université Tribhuvan, qui se composait
luation interne varie de 20 à 50 % selon l'enseijusqu'à présent de quelques collèges et d ' u n
gnement. Auparavant les étudiants devaient
petit campus central situé à Kirtipur — près de
passer u n examenfinalau bout de deux ans, et
Katmandou, la capitale — possède désormais
le taux d'échec était élevé, atteignant 90 % dans
un statut fédératif et assume la responsabilité
certaines disciplines. L e nouveau système d'évade tous les enseignements postsecondaires. Les
luation devrait certainement permettre d ' a m é activités de l'université sont réparties entre
liorer le rendement des étudiants. L'enthou13 instituts représentant près de 90 campus
siasme qu'il suscite est néanmoins mitigé de
répartis sur l'ensemble d u territoire. L'univerquelque appréhension. Il y a notamment une
sité compte à l'heure actuelle u n effectif de
fraction d u corps enseignant qui craint de
20 000 étudiants environ.
voir l'enseignement universitaire se dégrader. A
Les structures de l'enseignement supérieur
l'heure actuelle, l'université tente de résoudre le
n'ont pratiquement pas changé ; on distingue
toujours quatre niveaux : certificate, diploma, problème en envoyant des coordonnateurs inspecter les travaux des différents campus.
degree et recherche. C e qui a radicalement
changé, c'est l'orientation et la structure des
enseignements correspondant aux divers niveaux. Les programmes prévus accordent une
importance considérable aux applications et à la
pratique ; ils ont été aménagés en fonction des
105
Di bya Deo Bhatt et M o h a m m a d Mohsin
U n nouveau rôle
pour les enseignants
Le service national
du développement
L e plan attache une importance considérable
aux problèmes des enseignants. « U n e priorité
particulière devrait, stipule-t-il, être accordée
aux programmes visant à proposer aux enseignants une profession sûre qui les incite à faire
carrière dans l'enseignement et leur ménage des
augmentations de salaires satisfaisantes. »
L e programme de formation des enseignants
s'est élargi grâce à l'ouverture de nouveaux
campus et à une formule de recyclage rapide
des maîtres en exercice. Les programmes de formation des enseignants et des formateurs d'enseignants sont en cours de remaniement. Les
maîtres à plein temps qui n'ont pas u n niveau
de qualification suffisant bénéficient de dispositions et de facilités spéciales destinées à leur
permettre d'accéder à u n niveau d'enseignement ou de formation supérieurs en suivant soit
des cours de brève durée, soit des cours d u
matin ou du soir. Les enseignants des écoles
ont maintenant des barèmes de salaires qui
soutiennent avantageusement la comparaison
avec ceux d'autres professions, tant et si bien
que les écoles normales reçoivent déjà davantage
de demandes d'inscription.
Grâce au service national d u développement,
l'expérience d u travail fait dorénavant partie
intégrante d u nouveau système d'éducation.
Cette mesure a été prise « pour amener les
jeunes Népalais à participer activement à la
tâche d u développement national ». E n vertu
des dispositions de la nouvelle loi sur l'université, les étudiants qui préparent le diploma
ou le degree sont tenus de servir un an dans une
région rurale à la fin de leur première année
d'études. Ils peuvent effectuer cette année de
service dans l'une des quatre branches admises :
éducation, agriculture, hygiène et santé, construction. Les étudiants volontaires peuvent recevoir u n salaire mensuel de 200 roupies qui
vient s'ajouter à d'autres avantages — santé,
fournitures, etc. E n obligeant les étudiants de
l'université à servir dans les régions rurales,
le gouvernement espère les gagner à la cause
du développement économique et, en particulier, les décider à travailler dans les régions
les plus retardées d u pays. Pour l'instant, ce
système n'a pas dépassé le stade des expériences
pilotes.
U n certain nombre de mesures ont été prises
pour transformer graduellement le rôle du maître
et faire de lui non plus celui qui dispense un enseignement ex cathedra, mais celui qui facilite et
stimule l'acquisition des connaissances. Afin de
susciter une participation accrue au processus
d'enseignement/apprentissage, on attache davantage d'importance aux techniques d'observation.
L e plan a mis tout le m o n d e de l'enseignement en effervescence : le fait qu'il ait déjà
c o m m e n c é à bouleverser le statu quo est u n
résultat encourageant.
106
Quoiqu'on ait assisté à une explosion de
l'enseignement au Népal, il existe encore des
disparités considérables entre les régions et,
aussi, entre les différentes couches de la population. U n exemple : sur 10 887 grades universitaires officiellement décernés, plus de la
moitié l'ont été à des étudiants originaires de
la vallée de Katmandou. L e Teraï oriental,
qui est une région économiquement prospère,
compte 791 diplômés, contre 17 seulement dans
la région d u Karnali, zone montagneuse qui
englobe tout l'ouest d u Népal. Ces disparités
régionales sont d'autant plus lourdes de conséquences que les personnes qui ont fait des études
et acquis une qualification professionnelle m o n trent peu d'empressement pour aller travailler
dans les régions reculées du pays. Ainsi, en 1968,
sur u n total de 326 médecins diplômés on n'en
La refonte du système d'éducation au Népal
comptait pas moins de 126 qui exerçaient à
Katmandou. O r , alors m ê m e que les diplômés
répugnent à aller s'installer dans les régions
rurales, le sous-emploi parmi eux, notamment
parmi les techniciens, c o m m e n c e à augmenter
de façon spectaculaire. C e fait explique la création d u service national d u développement.
Éducation permanente
L e Népal connaît u n taux élevé de croissance
démographique qui s'explique par divers facteurs : la population est relativement jeune;
les mariages précoces sont encore très répandus dans les zones rurales et la fécondité
est élevée, l'infrastructure de la santé ayant
été considérablement renforcée et développée
dans le pays. Aussi, le Népal devra-t-il redoubler d'efforts pour seulement suivre le rythme
de croissance de la population d'âge scolaire.
Cela signifie que, longtemps encore, seule une
fraction relativement modeste de la population
nationale pourra profiter d u système scolaire.
Pour que notre programme de développement des ressources humaines soit efficace dans
le contexte actuel, il faut qu'il soit complété
par u n programme judicieux et vaste d'éducation extrascolaire. O n envisage pour cela de
mobiliser le personnel enseignant et de tirer
parti de l'infrastructure scolaire, mais l'élaboration d'un programme détaillé en est encore
à ses débuts et beaucoup reste encore à faire.
Il est trop tôt pour prédire les résultats des
réformes de l'enseignement. E n effet, le plan
lui-même n'est mis en œuvre que par phases
successives. Il n'est entré en vigueur que dans
17 districts sur 75 et c'est seulement à la fin
de 1976 que le nouveau système s'appliquera à la
totalité du territoire. L a principale source de
difficultés réside dans la pénurie d'enseignants
qualifiés. E n revanche, m ê m e si l'infrastructure
matérielle — locaux scolaires, laboratoires, m a tériels, salles de lecture, manuels — a été lente
à être mise en place, l'expérience des deux dernières années est très encourageante.
E n fin de compte, tout système doit faire ses
preuves, les résultats qu'il permet d'obtenir
importent plus que les arguments invoqués en
sa faveur. Si l'on considère l'éducation c o m m e
une aventure — pour l'acquisition de compétences, de connaissances et d'attitudes — le plan
d'éducation du Népal offre théoriquement tous
les moyens de mener cette aventure à bien. Il
apparaît essentiellement c o m m e une tentative
honnête de libérer le système d'éducation des
séquelles du passé et de se tourner résolument
vers l'avenir.
107
Cyril A . Rogers
Une université
au service de trois nations
L'université, c o m m e l'origine latine de son
n o m l'indique, a notamment pour fonction de
dispenser savoir et érudition. Mais, au-delà de
cette mission, elle a aussi pour tâche plus i m m é diate de servir la nation (ou les nations) dont elle
fait partie. E n fait, dans les pays en voie de
développement, la pression de l'immédiat est
parfois telle qu'elle ne laisse guère de place à
la poursuite de buts plus lointains. N o m b r e de
nations nouvelles, lorsqu'elles ont accédé à l'indépendance, étaient presque totalement d é m u nies de personnels de niveaux m o y e n et supérieur capables d'assurer la bonne marche d'une
économie souvent fragile. Tel était le cas des
trois pays qui contribuent au développement de
l'Université d u Botswana, du Lesotho et d u
Swaziland.
Le contexte
L'histoire de ces trois nations présente des
traits c o m m u n s . Placées sous la protection d'une
m ê m e puissance, le Royaume-Uni, elles se sont
trouvées, de ce fait, dotées d'un type de gouver-
nement, d'une administration et d'un régime
juridique analogues. Ces analogies ont subsisté
après l'indépendance et l'on retrouve dans
chaque pays la séparation d u politique et de
l'exécutif, caractéristique d u parlementarisme
britannique. Les peuples en revanche sont différents, tant d'un pays à l'autre qu'à l'intérieur
de chacun d'eux. Il y a bien une nation basotho
et une nation swazi, mais le Botswana abrite
des populations diverses. Sur le plan géographique, leur diversité est extrême; on passe
des sables brûlants d u Kalahari aux hauts
plateaux noyés de brume d u Swaziland et aux
cimes neigeuses du Lesotho.
Les trois pays ont certes en c o m m u n les
éléments d'une administration que leur a léguée
le Royaume-Uni. Sur le plan constitutionnel,,
toutefois, ils sont différents puisque deux d'entre eux sont des royaumes et le troisième une
république. M ê m e hétérogénéité en ce qui
concerne les systèmes sociaux. C'est ainsi que
dans le royaume d u Lesotho la terre est e n
dernier ressort propriété de la monarchie, ce
qui n'est pas le cas dans le royaume d u Swaziland ni dans la République d u Botswana. E n
outre, le régime juridique fondé à la fois sur le
droit romain et sur le droit hollandais donne
lieu, dans son application pratique, à des interprétations différentes dans les trois pays.
Cyril A. Rogers (Royaume-Uni).
Vice-recteur de
l'Université du Botswana, du Lesotho et du Swaziland.
A enseigné à plusieurs universités dans différentes régions du monde. Ancien doyen de la Faculté de l'éducation et recteur adjoint de l'Université de Zambie.
108
Perspectives, vol. V , n° i, 1975
U n e université au service de trois nations
Les services c o m m u n s
Les exemples de pays entretenant une étroite
collaboration et partageant des services c o m m u n s ne manquent certes pas, tant à l'époque
précoloniale qu'à une époque plus récente. O n
peut citer à cet égard l'exemple de l'Afrique
occidentale et celui de l'Afrique orientale, qui
disposent d ' u n réseau assez complexe de services c o m m u n s . L e Botswana, le Lesotho et le
Swaziland ont toutefois ceci de particulier que
leur université est le seul service qu'ils aient en
c o m m u n . C'est là u n point dont l'importance,
déjà certaine à l'heure actuelle, ne fera, selon
moi, que croître encore à l'avenir. L e conseil de
l'université, qui comprend, outre des universitaires, des membres des trois gouvernements,
constitue u n lieu de rencontre où les secrétaires
permanents à l'éducation et aux finances et
leurs conseillers peuvent avoir des échanges de
vues réguliers sur des questions qui intéressent
les trois pays. L'importance des contacts qui
s'établissent ainsi entre ces pays ne doit pas
être sous-estimée. Les réunions officielles d u
conseil et de ses comités, et les nombreuses
réunions de caractère officieux plus o u moins
directement liées aux activités d u conseil donnent aux trois gouvernements l'occasion de
réfléchir à leur rôle stratégique dans l'évolution
ultérieure de l'Afrique australe. D e m ê m e le
Comité des subventions à l'université (University Grants Committee), organe tripartite, offre
aux trois gouvernements la possibilité d'assigner des objectifs c o m m u n s à la lutte qu'ils m è nent pour se doter de la main-d'œuvre qui
leur fait défaut.
Une université
dans chacun des trois pays
L'université était à l'origine une institution
catholique, le Collège Pie X I I , fondé à R o m a
(Lesotho) en 1945 ; elle était donc d'inspiration
fortement religieuse. E n 1964, le collège devint
une institution laïque indépendante, au service
des trois pays d'Afrique australe qui s'acheminaient alors vers leur indépendance ; mais
que l'université fût située tout entière au Lesotho n'était pas u n témoignage suffisamment
tangible de sa volonté de servir les deux autres
pays relativement éloignés. Aussi la décision
fut-elle prise de marquer la présence de l'université au Botswana et au Swaziland. A u cours
des trois dernières années, cette présence s'est
affirmée c o m m e une force matérielle et intellectuelle puissante au service d'un développement
accéléré. Je doute en fait qu'aucune autre université possède autant de campus répartis dans
des nations politiquement indépendantes et distinctes. A u Swaziland, par exemple, l'université
a cinq campus où travaille u n personnel de
haut niveau.
A u m o m e n t de sa création, le Collège Pie XII
comptait quatre professeurs et cinq étudiants,
ce taux d'encadrement, idéal certes aux yeux
des anciens Grecs, l'était beaucoup moins d u
point de vue d ' u n économiste contemporain.
Actuellement, pour les trois pays, le corps enseignant se compose de 140 personnes et le nombre
des étudiants à plein temps et à temps partiel
atteint le chiffre record de 1 100. Les facultés
existantes ont été créées en fonction, d'une part,
des besoins avérés des trois pays et, d'autre
part, des ressources que l'université peut consacrer à leur fonctionnement. C e sont les suivantes : agriculture, éducation, lettres, sciences
sociales et économiques, sciences exactes et
naturelles. Sans négliger les autres disciplines,
l'université attache une importance primordiale
à l'enseignement de l'agriculture et à la formation pédagogique. Pour autant qu'on puisse
prévoir l'avenir, il semble bien en effet que la
vie de la majorité de nos citoyens sera liée d'une
façon o u d'une autre à la terre ; par ailleurs, le
droit fondamental à l'éducation exige qu'on
s'attache à la formation pédagogique. E n outre,
pour aider les trois gouvernements, des fonds
ont été rassemblés pour la création d ' u n institut de gestion d u développement. Celui-ci,
109
Cyril A . Rogers
qui fonctionne d'ores et déjà, a notamment
pour objectif d'aider les gouvernements à former les éléments d'une fonction publique sans
laquelle aucune nation n'est véritablement indépendante.
La prise de décisions
C o m m e dans la plupart des autres universités,
les décisions incombent en dernier ressort au
conseil de l'université, où siègent des représentants des gouvernements. Toute mesure d'ordre
matériel, académique ou professionnel intéressant l'un quelconque des pays participant à la
gestion de l'université doit être approuvée par
les trois gouvernements. L'optique régionale
dans laquelle chacun des trois gouvernements
aborde toujours les questions intéressant l'université est u n facteur déterminant pour leur
développement accéléré.
Mais la prise de décisions est compliquée, on
le comprendra sans peine, par le fait que les
nombreux donateurs qui contribuent au financement de l'université doivent tomber d'accord
sur une politique c o m m u n e . Cela aussi est
important pour l'université. Et il faut bien
admettre que le recteur doit parfois faire preuve
de beaucoup de diplomatie, notamment lorsqu'il s'agit pour lui de signer, en tant que représentant autorisé des trois gouvernements,
des accords avec les donateurs au n o m de
l'université.
L a structure complexe de l'université, dont
les différents campus sont disséminés sur le
territoire de trois pays, a rendu nécessaire la
création d'un groupe de responsables qui veille
à la fois à la formulation des plans à long terme
pour le développement de l'université et à l'exécution des décisions prises par le conseil. Il
n'est pas déraisonnable, en effet, de penser
qu'aucune université dans une région en voie
de développement ne peut se développer de
façon satisfaisante en l'absence d'un plan cohérent et continuellement remis à jour prévoyant
no
les dépenses d'investissement et les coûts de
fonctionnement correspondants.
Le budget
L e budget de fonctionnement de l'université,
établi sur une base triennale, est essentiellement,
mais non pas intégralement, financé par les
trois gouvernements selon une formule qui tient
compte du nombre d'étudiants de chaque pays
et d u nombre d'enseignants de chaque campus.
Bien que l'économie nationale des trois pays
soit loin d'être prospère et que l'un d'entre
eux figure m ê m e sur la liste des pays les moins
avancés établie par l'Organisation des Nations
Unies, les gouvernements subventionnent généreusement une institution en laquelle ils ont
foi et sur laquelle reposent en grande partie
leurs espoirs de développement.
L e budget d'investissement de l'université
est toutefoisfinancéselon une formule qui pourrait bien être unique. Il est en effet entièrement alimenté par des subventions ou des prêts
provenant de sources extérieures. C'est le lieu
de mentionner quelques-uns des principaux
donateurs : le Canada, le Royaume-Uni, les
États-Unis d'Amérique, les pays nordiques, les
Pays-Bas et la France. Les grandes fondations
internationales, Carnegie et Ford par exemple,
fournissent aussi leur appui.
L'enseignement de niveau moyen
et l'enseignement technique
Lors du vaste mouvement qui a porté leurs
pays à l'indépendance, de nombreux dirigeants
africains se sont engagés à assurer l'accès de
tous à l'enseignement primaire. D e la m ê m e
façon, tous les pays qui se sont consacrés à
l'édification de la nation se sont sentis tenus
de fonder des universités. Trop souvent, cependant, les besoins vitaux des nations nouvelles
en matière d'enseignement m o y e n et technique
U n e université au service d e trois nations
se sont trouvés négligés. Trop souvent aussi
les universités se sont révélées inaptes ou peu
disposées à agir pour pallier la pénurie de
personnel de niveau m o y e n et de techniciens.
L'Université d u Botswana, d u Lesotho et d u
Swaziland a fondé son action sur la conviction que la totalité de l'enseignement postsecondaire lui incombe, qu'il s'agisse de cycles
d'études de deux, trois, quatre ou cinq ans.
D e ce fait, à mesure que l'université se développera, son enseignement prendra la forme
d'une pyramide très large à la base — préparation aux diplômes et certificats de niveau
m o y e n — et très étroite au sommet, c'est-à-dire
au niveau de la préparation aux grades universitaires supérieurs. E n u n premier temps, tous
les établissements de formation pédagogique du
Botswana et d u Swaziland (cinq en tout) ont
été rattachés à l'université, de m ê m e que tous
les services de formation et de recherche agricoles du Swaziland, qui dépendaient précédemment d'un ministère.
L'orientation d e la recherche
L'université et les gouvernements reconnaissent
le droit des universitaires à entreprendre des
recherches de leur choix. Les ressources financières dont elle dispose étant limitées, l'université a toutefois fixé u n certain nombre d e
critères pour leur affectation. U n professeur
d'université qui souhaite étudier la circulation
de la monnaie romaine au siècle premier de l'ère
chrétienne est entièrement libre de le faire, mais
l'université ne financera pas ses travaux. L e s
besoins d u Botswana, d u Lesotho et d u Swaziland en matière de recherche, notamment dans
les secteurs qui intéressent l'économie des trois
pays, sont d'une urgence telle que les fonds
publics doivent leur être consacrés en priorité.
Il ne suffit pas que ces pays survivent au sein
de l'Afrique australe, il faut aussi qu'ils prospèrent et pour cela que leur économie soit
solide. L'université estime qu'il est opportun
et souhaitable que les fonds publics dont elle
dispose aillent à la recherche en faveur d u
développement économique.
III
Tendances et
cas
Recherche de nouvelles méthodes
d'enseignement en Tchécoslovaquie
Bogumir Kujal
E n République socialiste de Tchécoslovaquie
est actuellement appliqué u n programme à long
terme de réorganisation progressive de tout le
système de formation et d'éducation, parallèlement au développement de la société socialiste
et à la révolution scientifique et technique. Les
bases scientifiques en avaient été élaborées par
les instituts de pédagogie, avec la participation
de la direction de l'enseignement. Il s'agissait
d'adapter graduellement et de plus en plus la
formation et l'éducation au développement de
la société socialiste, au progrès de la science,
de la technique, de la culture, de la production
et de l'économie, aux intérêts et aux besoins
des individus, d'en poursuivre la démocratisation et d'élever le niveau d'instruction de
tous les membres de la collectivité.
A l'heure actuelle, les institutions pédagogiques tchécoslovaques s'efforcent de résoudre le
problème difficile qui consiste à mettre au point
u n système à long terme de formation et d'éducation correspondant au programme établi. A
l'Institut de pédagogie Jan A m o s K o m e n s k y ,
de l'Académie des sciences tchécoslovaque, sont
étudiés certains problèmes théoriques du futur
système de formation et d'éducation et certaines
questions méthodologiques que posent la mise
au point et l'application pratique de ce système.
Des études préparatoires et diverses recherches
ont permis de déterminer les bases scientifiques
d'un plan d'ensemble d u futur enseignement
scolaire socialiste en Tchécoslovaquie. L'une de
ces études portait sur des méthodes nouvelles
D r Bogumir Kujal (Tchécoslovaquie). Professeur à
l'Institut de pédagogie Jan Amos Komensky de l'Académie des sciences tchécoslovaque.
et plus efficaces d'éducation scolaire socialiste.
Cette étude s'inspire de l'idée que l'enseignement scolaire suppose u n processus complexe
d'apprentissage, essentiel pour le développement général et harmonieux de l'individu. C e
processus doit être considéré non pas isolément,
mais en liaison avec les multiples formes de
stimuli sociaux et d'influences intrinsèques d u
milieu. L'enseignement a pour but de transmettre un ensemble de connaissances théoriques
et pratiques, de développer les facultés de
cognition et d'activité pratique (en particulier
de création), d'éveiller la curiosité, d'inculquer
une conception scientifique du m o n d e , la morale,
le sens esthétique, les qualités professionnelles
et physiques socialistes.
Avant que les recherches n'aient c o m m e n c é ,
deux questions ont été examinées. Il s'agissait
tout d'abord de définir la notion d' « efficacité »
dans une telle éducation scolaire. O n considère
c o m m e critère essentiel de l'efficacité de l'enseignement la qualité et le volume des changements qui se produisent chez les élèves dans
l'ensemble de leurs connaissances, de leurs
aptitudes, capacités et qualités, ces changements
étant considérés tant d u point de vue d u développement général et harmonieux de l'individu
qu'en fonction des besoins et des exigences
modernes d'une collectivité socialiste. L e temps
qu'exige l'enseignement est aussi u n critère
important d'efficacité. D ' u n e manière générale,
on peut dire qu'un enseignement dont les résultats se manifestent par certains changements
quantitatifs et qualitatifs est d'autant plus efficace qu'il a nécessité moins de temps. A cet
égard toutefois, le processus éducatif, dans
l'école socialiste, se distingue par une grande
complexité et de grandes variations. Certaines
IIS
Perspectives, vol. V , n° i, 1975
Tendances et cas
recherches montrent qu'il serait possible de
réduire la durée de l'apprentissage de notions
et de connaissances simples, tandis que l'apprentissage de l'ensemble des notions et connaissances, le développement des capacités, la formation de certaines qualités, par exemple le
développement d'une conception scientifique
du m o n d e , de ses qualités morales, etc., exigent
des méthodes complexes, l'effort personnel des
élèves et la solution de divers problèmes ; et
cela prend u n temps assez long. Néanmoins,
les expériences et les recherches qui ont été
faites en U R S S et dans d'autres pays (voir,
par exemple, les études expérimentales de
L . V . Zankov, de D . B . Elkonine, de V . V . D a vidov, etc.) montrent qu'il serait possible de
faire des économies de temps dans l'enseignement (par exemple, les études primaires des
enfants de sept à dix ans pourraient durer trois
ans au lieu de quatre), compte pleinement tenu
de la santé des enfants. U n autre critère d'efficacité est le nombre des élèves et la structure
de l'effectif scolaire. U n enseignement donnant
certains résultats en u n certain temps pour
un grand nombre d'élèves est indiscutablement
plus efficace qu'un enseignement donnant les
m ê m e s résultats dans le m ê m e temps pour u n
plus petit nombre d'élèves. Mais on ne saurait
évidemment appliquer ce critère sans tenir
compte aussi de la structure de l'effectif des
élèves, qui peut être homogène ou hétérogène.
E n outre, l'efficacité de l'enseignement doit être
mesurée en fonction des efforts qui y sont
consacrés. Pour l'évaluer, il importe de tenir
compte des conditions dans lesquelles s'opère
l'apprentissage : capacités des élèves, degré de
fatigue, possibilité de concentration de l'attention, etc. O n étudie aussi certains critères c o m m e
les efforts que doivent déployer les maîtres
(hygiène du travail des enseignants) et les efforts
accomplis par la société dans son ensemble pour
assurer l'enseignement.
L a seconde question qui a été étudiée avant
que n'aient commencé les recherches concernait les théories avancées par divers auteurs pour
114
accroître l'efficacité de l'enseignement : celles
du pédagogue tchécoslovaque O . Khlup relatives au matériel didactique de base, celles de
la structuration des disciplines (du psychologue américain J. S. Bruner et de ses collègues),
celle de l'enseignement axé sur des problèmes
concrets (du pédagogue polonais W . O k ó n ) , celle
de l'enseignement par l'exemple (des auteurs
de la République fédérale d'Allemagne M . W a genschein, H . Heimpel, etc.), la théorie et la
pratique de l'enseignement programmé (des
auteurs américains B . F . Skinner, N . A . C r o w der ; des chercheurs soviétiques L . V . Zankov,
A . N . Leontiev, P . J. Halperine, etc.), la théorie
et la pratique de l'enseignement actif (des psychologues et pédagogues soviétiques L . V . Zankov, D . B . Elkonine, V . V . Davidov et
d'autres), etc.
Après l'analyse critique de ces théories pédagogiques et d'autres encore, nos recherches se
sont concentrées sur la conception d u matériel
didactique de base et sur celle de l'enseignement actif, qui soulignent l'importance du développement général et harmonieux de la personnalité dans la société socialiste et accordent
une grande attention à la sélection et à la structure d u matériel d'enseignement, d u point de
vue de l'état actuel et d u développement futur
de la science, ainsi qu'aux objectifs, aux m é thodes, à la nature et à la structure de l'enseignement correspondant et aux principes de la
science pédagogique soviétique concernant la
formation et le développement des élèves.
Compte tenu de ces questions et des objectifs
assignés à l'enseignement en Tchécoslovaquie,
on a peu à peu élaboré un système expérimental
pour l'enseignement des mathématiques et de la
langue maternelle en deuxième, troisième et
quatrième année d u premier cycle, de l'école
expérimentale rattachée à l'Institut de pédagogie
Jan A m o s Komensky de l'Académie des sciences. Cet enseignement vise surtout à dispenser
de bonnes connaissances théoriques et pratiques, considérées non pas isolément, imis dans
leurs rapports et leurs liens mutuels, et à déve-
Tendances et cas
lopper les facultés de cognition et d'activité
pratique (en particulier de création), le désir
d'apprendre et de savoir, certaines idées concernant la conception scientifique d u m o n d e , la
morale socialiste et certains aspects d u sens
esthétique et des qualités professionnelles et
physiques de l ' h o m m e socialiste. L e matériel
d'enseignement s'inspirait de ces objectifs. Il se
distingue notamment par son caractère plus
scientifique (tout en étant employé, bien entendu, parallèlement au matériel d'enseignement
empirique), par sa répartition en catégories
logiques plus larges, établies en fonction de
notions et de principes plus généraux, par le fait
que le développement des connaissances pratiques s'appuie intimement sur l'enseignement
théorique, etc. O n a tenu compte et tiré parti
des facilités qu'offrait l'école expérimentale et
l'on a préparé en conséquence le matériel
didactique nécessaire. L e premier groupe d'élèves était normal (hétérogène), et l'enseignement
était dispensé par des maîtres expérimentés.
O n s'est attaché à élaborer soigneusement des
méthodes d'enseignement répondant aux o b jectifs visés et au matériel d'enseignement, à la
situation actuelle et nouvelle et aux conceptions progressistes de la psychologie pédagogique et d u développement de l'élève. O n peut
considérer, en s o m m e , que ces méthodes se situent à quatre niveaux. L a plus générale d'entre
elles vise à donner au processus d'enseignement
une orientation conforme aux principes qui inspirent le matériel didactique et aux lois générales
de l'activité mentale des enfants. Les méthodes
plus concrètes d u deuxième niveau sont en premier lieu les exercices de rédaction, le travail
personnel des élèves et son évaluation ; elles font
déjà appel à certains éléments d u troisième niveau, à savoir l'enseignement axé sur des problèmes, l'enseignement programmé, etc. Enfin,
les méthodes les plus concrètes ont trait aux
modes d'organisation de l'éducation : l'enseignement collectif, pour toute la classe (ce qui
constitue la base de l'éducation), l'enseignement
en petits groupes et l'enseignement individualisé.
Tout ce travail de recherche a permis d'élaborer et de vérifier expérimentalement une n o u velle méthode d'enseignement dite « méthode de
progression parallèle ». Elle peut se résumer
ainsi : au niveau de l'information, on passe de
certaines notions générales et complexes à des
notions correspondantes d'un caractère particulier et partiel qui se précisent et que l'élève
assimile peu à peu dans leurs relations et leurs
liens mutuels (relations d u général au particulier, d u tout à la partie), et toujours par rapport à une notion générale ou une notion correspondant à une entité déterminée. Les élèves
assimilent ainsi les notions de base à u n niveau
plus élevé que par les méthodes d'enseignement
actuelles.
Pour expliquer ce qu'est cette méthode de
progression parallèle par rapport à la méthode
mécanique (cumulative) généralement employée
à l'heure actuelle, nous donnerons quelques
exemples concrets. E n Tchécoslovaquie, dans
les écoles d'enseignement général d u premier
degré, le cours d'arithmétique, en deuxième
année, comporte l'étude successive des quatre
opérations : addition, soustraction, multiplication et division, et c'est après cela seulement
que l'on montre c o m m e n t ces opérations se relient les unes aux autres ; en particulier, c'est
lorsqu'il s'agit de résoudre des problèmes que se
précise le sens général des opérations arithmétiques. Avec la méthode de progression parallèle, au contraire, on fait comprendre aux élèves,
par des explications qui sont à leur portée, la
signification et le fonctionnement des quatre
opérations à la fois, en s'appuyant sur leur
théorie. D è s le début, les élèves apprennent à
résoudre des problèmes et à choisir l'une de ces
opérations, à justifier ce choix par la théorie,
à les comparer entre elles et à découvrir ce qui
les relie. Cette première étape d'application
parallèle de la méthode dure peu et revêt plutôt
le caractère d'une préparation, d'une introduction au nouveau matériel didactique. C'est en
s o m m e l'ossature de l'édifice qu'il s'agit de
construire. Après cette première étape, on passe
115
Tendances et cas
à la deuxième (progressive) dans laquelle les
élèves étudient d'une manière de plus en plus
approfondie les diverses opérations arithmétiques et s'en servent soit pour faire des calculs,
soit pour résoudre des problèmes, en s'appuyant
toujours, bien entendu, sur la théorie de chacune d'elles. Ces deux étapes alternent constamment l'une avec l'autre : les élèves résolvent
des problèmes qui les familiarisent avec les
quatre opérations (en s'appuyant sur leur théorie), ils les comparent entre elles pour en découvrir les liens, et le m a x i m u m de temps est
consacré à l'étude de chacune des quatre opérations, compte tenu naturellement de leurs
rapports mutuels. Les élèves arrivent ainsi à
comprendre peu à peu la nature et le rôle des
diverses opérations, à se servir de l'une ou de
plusieurs d'entre elles pour résoudre les problèmes, et à en acquérir finalement une connaissance approfondie. Les deux étapes de ce
processus d'apprentissage s'imbriquent constamment, se complètent l'une l'autre.
Il en va de m ê m e pour l'enseignement de la
langue maternelle, en ce qui concerne par
exemple le thème « la proposition et ses diverses
formes ». Selon la méthode mécanique (cumulative) employée jusqu'ici, on étudie d'abord,
par exemple, la forme narrative de la proposition, ensuite la forme interrogative et finalement
la forme imperative ; les comparaisons entre
elles se font peu à peu et souvent n'arrivent
m ê m e pas à faire comprendre les diverses formes de la proposition. C'est c o m m e si l'on prenait des briques pour construire une maison
dont le plan ne serait pas établi. Avec cette
méthode, les élèves acquièrent des notions isolées qui ne s'inscrivent pas dans une structure
déjà appréhendée. L a méthode de progression
parallèle, elle, permet de familiariser l'élève dès le
début avec la notion générale qu'implique le
thème « la proposition et ses diverses formes ».
O n lui explique ce que sont les diverses formes
de la proposition en s'appuyant sur leur théorie.
Il apprend à les comparer, à les distinguer, etc.
Ensuite, il acquiert une connaissance plus ap116
profondie d'abord de la proposition narrative,
puis des propositions interrogative et imperative
et, sur la base d'éléments théoriques, il apprend
à les assembler et à les écrire avec la ponctuation
exacte, à en faire des unités syntaxiques plus
longues selon u n schéma donné, etc. Les élèves
apprennent à observer intelligemment, à c o m parer, à classifier, à concevoir dans l'abstrait ou,
au contraire, dans le concret. D e là, ils passent
à l'étude d'une notion plus générale des diverses
formes de la proposition, étude qui se situe,
bien entendu, à u n plus haut niveau. Ils ne se
familiarisent pas seulement avec u n ensemble
de bonnes connaissances théoriques et pratiques : dès la première année d'enseignement
général, ils assimilent parfaitement les méthodes
qui leur permettent d'apprendre et de bien
réussir à observer, comparer, classifier, abstraire, généraliser et concrétiser. Ils apprennent
aussi à utiliser dans la pratique leurs connaissances de telle façon que, lorsqu'on leur propose
un problème, ils comprennent la nature et le
but d'un tel exercice, s'appuient pour le résoudre
sur les notions qu'ils ont apprises, font les opérations nécessaires et en vérifient le résultat,
afin de savoir dans quelle mesure ils ont progressé et tiré parti de leur acquis.
C'est d'une manière analogue que sont abordés des sujets tels que l'unité syntaxique et ses
parties, la proposition et ses parties, les parties
du discours, etc. D e plus, le matériel d'enseignement comporte un petit nombre de sections, qui
sont intégrées grâce à des notions et des principes de caractère plus général. Ces notions et
principes, qui constituent l'objet de l'enseignement pour toute l'année scolaire, font partie
intégrante d u matériel didactique. Les élèves
acquièrent ainsi des connaissances non pas isolées, mais liées les unes aux autres dans u n ensemble logique. E n m ê m e temps, ils s'initient
aux méthodes d'apprentissage et d'assimilation,
ce qui contribue tant au développement des
facultés de cognition et d'activité pratique qu'à
celui de la personnalité.
Telle est la dynamique fondamentale de l'en-
Tendances et cas
seignement ; l'orientation générale du processus
d'enseignement est déterminée par le contenu
logique d u matériel d'enseignement et les lois
de l'activité mentale des élèves.
Certaines recherches ont eu lieu en U R S S ,
fondées sur les thèses de I. P . Pavlov, qui attribuait une grande importance, dans la formation
des connaissances, à l'action exercée sur le système nerveux non pas graduellement, mais simultanément, par des phénomènes interdépendants et qui a montré le rôle considérable que
peuvent jouer dans la cognition certaines associations lorsque deux phénomènes liés dans la
réalité agissent simultanément sur le système
nerveux. L'auteur de l'une des études m e n tionnées plus haut, se fondant sur cette thèse,
déclare qu'en vue d'accroître l'efficacité d u processus éducatif on a admis c o m m e hypothèse
que, lorsqu'il s'agit de disciplines apparentées
et de certaines disciplines voisines, d'excellents
résultats peuvent être obtenus par l'étude simultanée, et non successive, consécutive, de matières
liées entre elles. C e qui précède montre que nos
recherches ont élargi la possibilité d'une étude
parallèle de toutes les matières s'articulant sur
une méthode progressive pour former une unité
dialectique.
L a méthode de progression parallèle exigeait
le recours à des moyens précis tels que les exercices de rédaction, le travail personnel des
élèves et l'évaluation. Tous ces moyens ont été
étroitement liés pour former un tout. Les élèves
acquéraient ainsi de nouvelles connaissances
théoriques et pratiques sous la direction d u
maître. L'enseignement était organisé de telle
manière que l'évaluation était faite soit collectivement sous la direction d u maître, soit seulement par le maître, soit mutuellement par les
élèves, soit enfin individuellement par chacun
des élèves. Les élèves étaient ainsi amenés à
considérer que l'évaluation faisait partie intégrante de leurs études. Les méthodes plus
concrètes mentionnées ci-dessus ont permis d'organiser aussi bien u n enseignement axé sur des
problèmes qu'un enseignement programmé. L a
principale forme de l'enseignement était le cours
collectif, complété de temps en temps par des
études en petits groupes. L e travail personnel
des élèves permettait au maître de venir en aide
à ceux qui en avaient besoin.
Pendant toute la durée de cet enseignement
expérimental, les résultats en étaient observés
et notés en détail. O n appliquait constamment
les critères qui caractérisent l'efficacité de l'enseignement à l'école socialiste. O n tenait compte
du fait que l'éducation doit améliorer la santé
des enfants, contribuer à la formation chez les
élèves d'une conception scientifique d u m o n d e
et de la morale socialiste, et leur apprendre à se
livrer à u n travail systématique. A u cours et à
la fin des études avaient lieu des examens écrits,
et aussi des examens oraux par petits groupes
d'élèves, afin de vérifier n o n seulement le volume et la qualité des connaissances théoriques
et pratiques acquises, mais aussi le niveau de
certaines facultés de cognition et d'activité pratique. Les résultats de cette évaluation ont fait
l'objet d ' u n travail statistique et de démonstrations dans certains cas et ont été comparés
avec les résultats d'examens analogues organisés
dans des classes témoins, où d'excellents maîtres
avaient enseigné les m ê m e s matières dans des
conditions à peu près semblables, mais dont le
matériel d'enseignement était différent notamment d u point de vue d u niveau théorique, et,
surtout, où étaient appliquées des méthodes
d'enseignement traditionnelles (c'est-à-dire m é caniques, « cumulatives »).
L a comparaison a révélé une différence appréciable entre les classes expérimentales et les
classes témoins et a permis d'arriver à la principale conclusion que, dans les classes expérimentales, tous les élèves faisaient des progrès et
que les différences entre élèves étaient moindres
dans l'apprentissage des principales matières
obligatoires, alors que les élèves doués dépassaient de beaucoup les objectifs des classes correspondantes des écoles d'enseignement général.
Les recherches menées par l'Institut pédagogique Jan A m o s K o m e n s k y n'ont encore porté
117
Tendances et cas
que sur un petit nombre de classes de deuxième,
notions et des principes d'ordre plus général ;
troisième et quatrième année d'enseignement
on utilise u n ensemble cohérent de méthodes,
général d u premier degré. Leurs résultats sont
se situant à différents niveaux.
exposés dans notre ouvrage intitulé Certains
L e passage de l'ancien système d'enseigneproblèmes théoriques et pratiques à résoudre pour ment au nouveau, qui implique l'emploi de la
accroître l'efficacité de l'enseignement (publié àméthode de progression parallèle, sera certaiPrague, par l'Institut de pédagogie Jan A m o s
nement u n processus long et très compliqué.
K o m e n s k y de l'Académie des sciences tchécoDiverses écoles recourent déjà à certains éléslovaque, en 1970) ; ils ont été étudiés ensuite
ments de cette méthode, mais celle-ci ne pourra
dans u n second livre : Le système d'éducation et de s'appliquer dans son ensemble qu'après u n reformation dans la République socialiste tchécoslo- maniement complet d u système d'enseignevaque et certains des problèmes théoriques et pra- ment. Bien entendu, cela ne va pas sans soulever
tiques que posent les recherches dans ce domaine des problèmes et des difficultés. C o m m e il s'agit
(publié par le m ê m e institut en 1972). Les résuld'un changement radical des méthodes d'entats de cette expérience ont été mis à profit
seignement employées jusqu'ici, cette méthode
dans plusieurs écoles d'enseignement général de
impose au maître, au début, u n assez gros effort
Tchécoslovaquie (Teplice), où l'enseignement
d'assimilation du nouveau matériel pédagogique
réorganisé en conséquence a donné des résulet de ses divers éléments de compréhension de
tats tout aussi satisfaisants.
leurs relations ainsi que des notions et principes
de base. A u premier stade de son application, la
L a méthode pédagogique que nous avons
méthode de progression parallèle provoque dans
ainsi mise à l'essai apporte des changements
l'esprit des enfants u n état quelque peu chaoassez substantiels dans l'enseignement. D è s le
tique
; mais cet état se dissipe peu à peu et, au
début, les élèves se trouvent plongés dans u n
stade
suivant, apparaissent manifestement des
vaste ensemble de disciplines, cherchent à
résultats
favorables. Il peut fort bien arriver
s'y orienter, acquièrent des connaissances théoque
le
premier
stade prenne trop de temps et
riques et pratiques intégrées dans u n système
qu'on consacre trop peu d'attention au stade le
déterminé, développent leurs facultés cogniplus important, celui de l'étude progressive de
tives et prennent u n vif intérêt à l'étude.
certains éléments d u matériel didactique, dans
E n particulier dans la première étape, l'enseileurs rapports avec d'autres éléments et avec les
gnement leur inspire en quelque sorte u n sentinotions
et principes de base. Quoi qu'il en soit,
ment d'attente, éveille en eux le désir d'approon
est
en
droit de penser que si les intéressés
fondir des questions de plus en plus complexes.
sont
rationnellement
orientés dans u n ensemble
Cette méthode n'est que l'un des éléments d u
de
plus
en
plus
important
de matériel d'enseinouveau système d'enseignement : de nouveaux
gnement nouveau, cela permettra, m ê m e dans
objectifs sont assignés à la formation et à l'édule contexte des méthodes pédagogiques actuelles,
cation ; le matériel didactique revêt un caractère
d'améliorer la qualité de l'enseignement.
plus théorique ; sa structure s'appuie sur des
118
Tendances et cas
Le baccalauréat international
Gérard Renaud
L e baccalauréat international (BI) n'est pas
d'abord u n examen. Si son appellation m ê m e
m e t l'accent sur la sanction d'un cycle d'études,
c'est avant tout u n nouveau type de formation
que ses promoteurs ont recherché : u n type
de formation adapté aux données d u m o n d e
contemporain, à la mobilité internationale et
surtout aux conditions de l'éducation permanente.
Les deux dernières décennies ont profondém e n t transformé l'univers physique, intellectuel
et moral ; il en est résulté dans bien des cas une
situation de crise, en tout cas de malaise, dans
les rapports entre l'école et la société. « Les
techniques et les structures que les générations
successives avaient mises au point pour transmettre les connaissances et le savoir-faire propres
à chaque société des aînés aux plus jeunes, des
pères auxfilscessent en grande partie d'être
efficaces, au point que le rôle m ê m e et les fonctions traditionnelles de l'action éducative font
l'objet d'évaluations et d'examens critiques et
que, de plus en plus, l'éducation se trouve
contrainte à rechercher de nouvelles voies1. »
Cette mutation est particulièrement sensible
au niveau d u passage de la vie scolaire à la vie
professionnelle o u universitaire, c'est-à-dire
grosso modo au groupe d'âge 16-19 a n s L a genèse d u baccalauréat international est
liée à cette mise en question d u fait qu'elle s'est
peut-être manifestée plus tôt dans les écoles à
vocation internationale. L a mobilité des effectifs,
Gérard Renaud (France). Ancien professeur aux lycées
de Rome, Rabat et Monaco et à l'École internationale
de Genève, Gérard Renaud est directeur de l'Office du
baccalauréat international depuis 196J.
la comparaison o u l'affrontement entre des p é dagogies différentes, la rapidité de circulation
des idées, ont été autant de facteurs qui ont
fait de ces établissements des terrains d'innovation d'autant plus c o m m o d e s qu'ils sont
moins liés aux structures nationales traditionnelles. Mais, surtout, il y a eu le poids déterminant des pays nouvellement indépendants qui,
par volonté de se soustraire aux modèles traditionnels inadaptés à leurs propres besoins o u
tout simplement parce qu'ils abordaient avec u n
regard neuf les problèmes de l'éducation, ont
orienté la recherche dans des voies originales,
notamment celle de l'interdisciplinarité.
L e baccalauréat international a pris corps
petit à petit autour d'expériences limitées qui,
par suite de l'intérêt rencontré auprès des
maîtres c o m m e des élèves, se sont développées
d'elles-mêmes jusqu'à former u n système structuré mais constamment ouvert sur de nouvelles
formes. L'aspect « examen » n'a de sens que
dans la mesure o ù les institutions postsecondaires restent elles-mêmes attachées à une
sélection par le contrôle des connaissances et
des aptitudes. Face à cette nécessité imposée d u
dehors, il fallait d u moins essayer d'en transformer les modalités. U n e révolution en ce domaine eût été une erreur ; mieux valait partir
de structures relativement traditionnelles pour
les faire évoluer progressivement, en y instillant
u n esprit et u n contenu nouveaux.
D ' u n e façon générale, les créateurs d u B I ont
pris pour objectifs ceux que requiert l'éducation permanente puisqu'il est désormais bien
clair que les frontières de la scolarité éclatent,
1. Paul L E N G R A N D , Introduction à l'éducation permanente,
p. 13, Paris, Unesco, 1970.
HC
Perspectives, vol. V , n° 1,1975
Tendances et cas
qu'il n'est plus question pour u n adolescent de
considérer sa formation terminée à partir d'un
certain âge ou d'un certain bagage, et qu'au-delà
des connaissances il faut se préoccuper des
aptitudes et peut-être encore plus des attitudes.
L e système pédagogique d u B I vise donc essentiellement à créer chez l'étudiant la motivation qui lui permette dans l'immédiat de relier
ce qu'il apprend à l'école à tout ce que la vie
lui enseigne et d'approfondir les domaines pour
lesquels il a des goûts et des aptitudes, mais
surtout qui le rende capable à plus long terme
de s'adapter aux changements parce qu'il aura
« appris à apprendre ». Quelles que soient les
origines des jeunes, la mission de l'éducateur
est de les aider à devenir davantage eux-mêmes
en développant leur conscience, leur réflexion
et leur expression.
C o m m e n t se présentent le contenu et la m é thode du BI face à l'inventaire de ces besoins ?
Avant de répondre à cette question, il faut replacer l'opération dans son déroulement chronologique qui fera ressortir l'évolution m ê m e de
ses objectifs.
Historique et objectifs
C'est aux environs de l'année 1962 qu'il faut
situer les premières ébauches de ce qui allait
devenir le baccalauréat international. L'extension croissante des migrations familiales depuis
la dernière guerre mondiale commençait alors
à mettre sérieusement en lumière les disparités
des systèmes nationaux dont les premières victimes étaient les enfants déplacés. D u m ê m e
coup, il apparaissait que des programmes et
des méthodes conçus pour une communauté
nationale s'adaptaient mal aux besoins sociopédagogiques d'une communauté internationale.
U n certain nombre d'enseignants ont mis en
c o m m u n leurs préoccupations et proposé des
ébauches de solution. E n 1962, l'Association des
écoles internationales a reçu de l'Unesco u n
contrat pour étudier l'application de formules
120
novatrices dans le domaine de l'enseignement
des sciences humaines.
Il en est résulté d'abord la construction d'un
programme d'histoire contemporaine, sanctionné par u n examen expérimental à partir
de 1964. L'intérêt témoigné à cette initiative
par plusieurs universités, dont Harvard, incita
ses promoteurs à étendre leurs investigations
à d'autres domaines, et finalement à envisager
un cursus général répondant aux préoccupations
mentionnées ci-dessus.
D e proche en proche, s'est constitué un cadre
pédagogique sanctionné par u n diplôme susceptible d'être reconnu c o m m e titre d'accès à
l'enseignement supérieur dans les différents
pays.
L'Office d u baccalauréat international (OBI)
a été créé en 1965 c o m m e fondation de droit
suisse établie à Genève et a obtenu le statut
d'organisation non gouvernementale en relations
officielles avec l'Unesco. Sa mission était de
gérer l'expérience pilote, sous la responsabilité
d'un conseil international et avec le concours
de subventions émanant de gouvernements et
de fondations.
L a période de 1965 à 1969 a été consacrée à
l'élaboration détaillée d u curriculum, au cours
d'une centaine de réunions et séminaires auxquels ont participé des experts des différentes
régions d u m o n d e . A u fur et à mesure de leur
élaboration, les programmes ont été soumis à
une première mise en application expérimentale
dans u n réseau d'écoles pilotes à travers le
m o n d e , cependant que des négociations étaient
menées avec les gouvernements et universités
en vue d'accords provisoires de reconnaissance
du BI. Celui-ci a été mis en application officielle
et complète pour la première fois en 1970. A u
cours des quatre sessions de 1970 à 1973, plus de
2 0 0 0 candidats appartenant à 68 nationalités
différentes se sont présentés soit au diplôme
complet, soit le plus souvent à des certificatsmatières. L e but d u B I est en effet non seulement de constituer u n titre d'admission à l'université, mais d'offrir aux étudiants une g a m m e
Tendances et cas
d'études correspondant à leurs besoins et à leur
orientation professionnelle.
Si les objectifs initiaux étaient donc liés aux
besoins pédagogiques des élèves migrants, ils se
sont depuis lors étendus aux services que serait
susceptible de rendre à divers pays u n « laboratoire pédagogique » travaillant dans une perspective internationale.
D e u x consultants de la Fondation Ford, le
D r Frank Bowles — qui, en 1964, avait effectué
pour l'Unesco une vaste étude, Accès à l'enseignement supérieur. Étude internationale de l'admission à l'université, mettant en relief les divergences des systèmes nationaux — et le D r Ralph
Tyler, soulignent en 1967 « que le projet ne doit
pas être regardé simplement c o m m e une réponse
aux problèmes des écoles internationales, mais
c o m m e l'occasion d'expériences et de recherches
en matière de programmes et d'examens, susceptibles d'avoir une influence novatrice sur les
systèmes nationaux. Les écoles internationales
pourraient servir de laboratoires vivants pour
de telles innovations, que les responsables des
systèmes nationaux seraient peut-être heureux
de voir expérimentées, m ê m e s'ils ne peuvent les
introduire à l'échelle nationale1. »
E n février 1967, la première conférence de
Sèvres consacre les orientations d u BI et précise
le rôle que celui-ci peut jouer sur le plan de la
coopération internationale en matière d'harmonisation des programmes et des méthodes
d'évaluation.
II se crée effectivement, à partir de cette période, tout u n réseau d'échanges entre l'OBI et
des organismes pédagogiques nationaux et internationaux. L'Université d'Oxford, pour sa part,
apporte à l'opération un concours actif, le directeur de son département d'éducation devient
directeur d u projet et elle offre u n siège au
Centre de recherche de l'OBI, qui va travailler
en étroite collaboration avec l'administration de
Genève.
L'opération qui avait débuté dans le cadre
des écoles internationales va s'étendre d u côté
des établissements qui, à l'intérieur des sys-
tèmes nationaux, veulent créer dans des sections pilotes une ouverture pédagogique. C'est
le cas des deux lycées français de Sèvres et de
Saint-Germain, d u Goethe G y m n a s i u m de
Francfort, d u Söborg G y m n a s i u m de Copenhague. Elle s'étend par ailleurs dans les pays d u
tiers m o n d e : en Iran, au Liban, en Uruguay, au
Nigeria, en République-Unie de Tanzanie, en
Colombie.
A u cours de l'année 1972/73, des démarches
en vue d'étudier les possibilités d'introduire
le B I en remplacement d u système traditionnel
sont faites par le gouvernement de Maurice et
par celui de Malte. L'État de Porto Rico et le
Mexique, pour leur part, délèguent des experts
à l'OBI pour étudier l'implantation d u B I dans
la zone des Caraïbes.
Les plus récentes admissions apportent une
dimension nouvelle à l'expérience, en ce sens
qu'il s'agit de collèges de further education en
Grande-Bretagne. Ces établissements publics
sont ouverts à des personnes de tout âge à partir
de seize ans, et en particulier à des étudiants d u
tiers m o n d e désireux d'acquérir les qualifications nécessaires pour accéder à l'enseignement
supérieur ou professionnel. L e premier de ces
collèges à participer au B I a présenté à la session de 1973 u n groupe de candidats dont le
plus âgé avait trente-neuf ans. Environ la moitié
du groupe était composé de non-Britanniques.
L a fin de la période expérimentale d u B I
touche à son terme ; elle avait été fixée à la
période 1969-1975. C o m m e prévu, une Conférence d'évaluation, destinée à faire le bilan de
cette période et à envisager les formes que pourrait prendre l'opération à l'avenir, s'est tenue
à Sèvres en avril 1974, avec la participation
d'experts des différentes parties d u m o n d e dont
la liste avait été établie par le Secrétariat de
l'Unesco. Cette conférence a témoigné u n vif
intérêt pour l'expérience réalisée et exprimé la
recommandation que l'opération soit à l'avenir
1. Rapporté par A . D . C . P E T E R S O N , The international
baccalaureate, p. 14, Londres, Harrap, 1972.
121
Tendances et cas
largement étendue, notamment dans les pays
d u tiers m o n d e . Il est hautement souhaitable
qu'elle passe désormais sous contrôle intergouvernemental, et l'instance qui a été jugée la
plus propre à assurer u n tel contrôle, en m ê m e
temps qu'une diffusion adéquate, est l'Unesco.
D e s démarches sont d'ores et déjà effectuées
dans ce sens.
Contenu pédagogique
LE P R O G R A M M E CADRE
L e programme cadre des deux dernières années
•d'études secondaires se présente ainsi :
i. Langue A (langue maternelle ou langue d'enseignement + littérature mondiale en traduction).
2 . Langue B (niveau d'une première langue
étrangère).
3. Étude de l'homme (options : histoire, géographie, économie, philosophie, anthropologie générale, anthropologie sociale).
4. Sciences expérimentales (options : physique,
chimie, biologie, sciences physiques, études
scientifiques générales).
5. Mathématiques.
6. A u choix : une deuxième langue A ou B , une
langue classique, une deuxième option d u
groupe 3 ou du groupe 4 , mathématiques
complémentaires, arts plastiques, musique,
ou u n programme propre à l'établissement
et approuvé par l'OBI.
Trois des six matières, au choix d u candidat,
doivent être présentées en « option forte »,
c'est-à-dire selon u n programme qui, sans être
spécialisé, est du niveau de l'accès en faculté.
Les trois autres sont présentées en « option
moyenne ».
A ces six disciplines faisant l'objet d'un exam e n , s'ajoutent deux éléments importants. C h a que étudiant postulant le diplôme du BI doit :
a) recevoir une formation dans une ou plusieurs
disciplines artistiques, auxquelles il consacre
122
environ l'équivalent d'un après-midi par semaine ; b) suivre u n cours sur la théorie de la
connaissance.
ESPRIT DE L'ENSEIGNEMENT
Il n'est pas possible d'entrer ici dans le détail
concernant chaque matière. Bornons-nous à
dire que, d'une façon générale, l'accent est mis
sur la formation d u jugement et du raisonnement, non sur le volume des connaissances.
C o m m e il s'agit d'un enseignement international, deux éléments ont été pris en considération :
Dans les disciplines humanistes (lettres, sciences
de l'homme, disciplines artistiques), il y a
tout naturellement une ouverture sur les
diverses cultures, sans toutefois que cela
aboutisse à une sorte de généralisme hybride.
Il est extrêmement important que l'étudiant
se sente enraciné dans u n patrimoine culturel
et cela est essentiellement la fonction d u
cours de langue A . Chaque établissement
dispose d'un large choix d'auteurs et d'oeuvres, mais ce programme doit être prolongé
par une étude de la littérature mondiale en
traduction où, à travers quelques œuvres de
l'héritage c o m m u n de l'humanité, l'occasion
est donnée de dépasser le cadre étroit d'une
seule littérature.
L e programme de langue B , pour sa part,
donne une large place à la vie et à la civilisation, car il s'agit non seulement de s'initier
à u n m o y e n de communication et à une
culture mais de pénétrer dans la vie de tous
les jours d'un autre peuple.
Sans passer en revue tous les programmes,
mentionnons seulement celui d'histoire :
l'histoire mondiale contemporaine y est traitée non pas sous forme d'un vaste panorama
des cinquante dernières années mais à travers
quelques thèmes tels que les problèmes économiques de l'entre-deux-guerres, le développement de la culture technologique ou les
relations Est-Ouest après 1945 ; mais cette
étude est accompagnée d'une histoire systé-
Tendances et cas
matique limitée à l'une des grandes régions
du m o n d e , de façon qu'il y ait u n équilibre
des perspectives.
D a n s l'ensemble des disciplines, les constructeurs des programmes ont gardé présente à
l'esprit la diversité des origines et des formations des élèves d'écoles internationales. C'est
pourquoi, à côté d ' u n tronc c o m m u n , il y
a en général, et notamment dans les matières
scientifiques et mathématiques, des parties
optionnelles permettant à chaque établissement d'insister sur certains éléments.
Q U E L Q U E S É L É M E N T S PARTICULIERS
La « sixième matière »
Afin de donner à chaque établissement u n
m o y e n de personnaliser le p r o g r a m m e international, le règlement réserve u n e place à u n
cours de son choix, en fonction de ses objectifs
particuliers, de l'intérêt manifesté par les étudiants, des moyens d'enseignement dont il dispose, etc. E n pareil cas, l ' O B I prend l'avis d'experts sur le p r o g r a m m e qui lui est soumis et,
si cet avis est favorable, sous réserve éventuellem e n t de quelques correctifs, le cours est accepté
c o m m e composante d u diplôme d u B I . Il fait
alors l'objet d'une évaluation interne.
L'expérience a montré l'intérêt puissant de
cette innovation. Il arrive fréquemment q u ' u n
professeur se sente plus à l'aise dans la construction et le développement d'un p r o g r a m m e dont
il a eu l'initiative, en réponse à u n appel qu'il
perçoit chez ses élèves, que dans les cours d u
p r o g r a m m e officiel.
C'est ainsi qu'on a v u la création de cours
d'études marines, d'études de l'environnement,
de physique de l'univers, d'arts de la scène,
de photographie, de pensée politique, etc.
Il arrive que le contenu de ces cours permette
de les présenter non c o m m e « sixième matière »,
mais c o m m e l'une des options d u groupe « étude
de l ' h o m m e » o u d u groupe « sciences expérimentales ».
D e plus, il faut noter que, s'il est assez difficile
en général d'instaurer des cours interdisciplinaires en partant des matières traditionnelles,
ces programmes originaux offrent de grandes
facilités à cet égard, d u fait qu'ils partent de
motivations déterminées et de moyens concrets
en personnel et en matériel.
La présentation d'un mémoire
D a n s plusieurs matières, le p r o g r a m m e d'option
forte prévoit u n travail de recherche personnelle
sur u n thème choisi librement par le candidat, en
tenant compte des conseils de ses professeurs. C e
travail donne lieu à la rédaction d ' u n mémoire
qui peut prendre des formes assez diverses :
en géographie, il s'agit d ' u n rapport sur u n travail effectué sur le terrain ; en anthropologie,
d'une double enquête sociologique ; en littérature, il peut consister soit en l'étude d ' u n
aspect particulier d'une œuvre, d ' u n auteur
ou d'une période, soit en une œuvre de création,
telle que nouvelle, pièce de théâtre, p o è m e , etc.
L e but est d'encourager le travail indépendant, n o t a m m e n t en vue de l'enseignement
supérieur, et d'entraîner l'étudiant à collationner des sources, à les exploiter et à construire
une argumentation cohérente.
La théorie de la connaissance
O n aura remarqué que la philosophie est u n e
option dans le groupe « étude de l ' h o m m e ».
Les experts d u B I ont néanmoins estimé q u e ,
pour tous les étudiants, il était extrêmement i m portant de réserver u n e place à la réflexion philosophique dans le p r o g r a m m e d'enseignement.
L e cours n'a pas pour but d'ajouter de n o u velles connaissances, fût-ce sous forme de synthèse, à celles que l'étudiant acquiert dans les
autres disciplines, mais de l'inviter à u n e mise
en question de ces connaissances et, d'une façon
plus générale, de l'expérience qu'il a acquise
jusque-là.
L a théorie de la connaissance ne consiste pas
123
Tendances et cas
en une élude de textes philosophiques pour
eux-mêmes, elle invite seulement les étudiants
— et les maîtres — à se poser des questions
sur les fondements des divers modes de connaissance. Cette réflexion conduira l'étudiant à une
modestie intellectuelle, en lui faisant découvrir
les limites de toute connaissance. Il comprendra
que les opinions o u les croyances ne sont pas
des connaissances et ne conduisent pas à des
vérités. Par là m ê m e , cette réflexion, en développant en lui l'esprit critique dans la saine
acception d u terme, aura une incidence sur sa
conduite personnelle, notamment dans les domaines o ù il est le plus fortement motivé : politique, morale, religion. L a réflexion à laquelle
le conduira la théorie de la connaissance lui
fera prendre conscience de ce qu'est l'honnêteté
intellectuelle, laquelle est une des formes de
l'honnêteté morale.
L a théorie de la connaissance est à bon droit
considérée c o m m e la clé de voûte de la formation préparant au BI. Par la discipline de pensée
qu'elle requiert, elle rend l'étudiant apte à
assimiler avec fruit l'enseignement qui lui est
donné dans l'esprit qui a présidé à l'élaboration
des programmes.
Méthodes d'évaluation
L e procès des examens, s'appuyant essentiellement sur leur caractère aléatoire, a suffisamment
été fait pour qu'il soit nécessaire d'y insister.
L ' O B I en est parfaitement conscient. Devait-il
prendre résolument le parti de la contestation
et dessiner u n type de formation ignorant et
excluant les examens ? L'entreprise n'eût pas
été dénuée de sens puisque le but fondamental
était initialement d'assurer aux élèves mobiles
une scolarisation leur donnant suffisamment de
souplesse intellectuelle pour aborder ensuite les
filières de leur choix.
E n fait, aussi longtemps que la société exigera
que les futurs juristes, médecins, ingénieurs et
experts-comptables soient titulaires de diplômes
124
d'aptitude professionnelle, les études devront
être sanctionnées par des examens. L a question
est moins de savoir s'il faut ou non des examens
que de savoir ce que l'on entend évaluer et
mesurer. A partir d u m o m e n t où les objectifs
— de l'enseignement d'abord, de l'évaluation
ensuite — sont nettement définis, les méthodes
passent au second plan.
L ' O B I s'est donc attaché à établir pour
chaque discipline une taxonomie et adapter à
chaque objectif visé u n type d'évaluation, en
cherchant sinon à éliminer, du moins à réduire,
le caractère aléatoire de l'examen par une diversification des modes de contrôle. Partout o ù la
chose a été possible, l'OBI a établi, pour u n e
m ê m e discipline, des épreuves multiples et
complémentaires, de façon à pouvoir apprécier
sous différents angles les compétences d u candidat. Ainsi en langue B , il existe cinq épreuves :
la compétence linguistique est contrôlée par
des tests objectifs, la culture littéraire et la
créativité par une composition, l'aptitude à
l'analyse par u n commentaire de texte n o n
étudié ; à ces épreuves écrites s'ajoute une
épreuve orale par enregistrement (cassette), portant elle-même sur divers éléments spécifiés,
et u n test auditif.
A u total, cette démultiplication, offrant au
candidat l'occasion de manifester ses diverses
ressources et de compenser des défaillances
éventuelles, permet de dessiner u n profil assez
exact de ses performances.
Avant de décerner la notefinale,l'examinateur en chef tient compte en outre de l'évaluation interne fournie par l'établissement sur
chacun de ses candidats dans chacune des
matières présentées.
LES TESTS OBJECTIFS
L e principe est de décomposer les qualités et
les connaissances que l'examen doit révéler
en unités mesurables qui peuvent être évaluées
séparément et objectivement.
Dans ce genre d'épreuve, on ne demande pas
Tendances et cas
au candidat de formuler dans son propre langage la totalité d'une réponse à une question
générale (ce qui est le cas dans les épreuves
du type composition), mais de répondre à une
question bien déterminée soit en inscrivant dans
les blancs d'un questionnaire la réponse qu'il
estime correcte (questions à réponse brève),
soit en choisissant sa réponse parmi plusieurs
qui lui sont proposées (questions à choix m u l tiple, en abrégé q . c . m . ) . Seul le second type
est réellement objectif; aucune interprétation
de la réponse ne peut intervenir, au point
que le questionnaire peut être corrigé par une
machine ou par une personne non compétente
dans la branche. Dans le premier type, il reste
une marge d'appréciation de la pertinence de
la réponse inscrite par le candidat, à moins
qu'une programmation ait déterminé les diverses réponses acceptables.
Les q.c.m. ont souvent été jugées à partir
d'exemples simplistes et déformants. E n fait,
chaque question ou, pour reprendre la terminologie en usage, chaque item est construit
selon une grille de spécifications en fonction
des divers éléments à évaluer. L'ensemble donne
lieu à u n prétest sur une assez large population
scolaire non concernée par l'examen du B I mais
d'un niveau complet. Les items sont alors étalonnés en fonction de leur coefficient de validité
d'une part, defiabilitéd'autre part. Ceux qui ne
sont pas pertinents et ne présentent pas de
valeur discriminatoire sont éliminés. Il convient
donc de se méfier de toute appréciation subjective des items : certains paraissent trop faciles,
mais il en faut quelques-uns pour permettre
m ê m e aux candidats les plus faibles d'arriver
à u n score minimal et à tous d'être « mis en
confiance » ; certains paraissent trop difficiles,
mais ils n'ont été retenus que s'il a été démontré
qu'ils permettaient de discriminer les meilleurs
candidats. U n item ne peut pas être apprécié
au juger ; seule l'analyse démontre ou infirme
sa valeur.
D'autre part, il serait faux de croire que les
q . c . m . ne permettent de contrôler que des
connaissances, et surtout des connaissances élémentaires. Les réponses fausses qui sont proposées ne sont pas purement et simplement
fausses ; elles obéissent à une certaine logique
et sont plausibles dans une certaine mesure.
Dans de nombreux cas, ces épreuves ont pour
but de contrôler lafinessed'observation et d'interprétation, la subtilité et la rapidité d u raisonnement.
L'ORAL SUR CASSETTE
A u cours des premières années d'expérience, il
est apparu rapidement que, parmi tous les types
d'épreuves, l'examen oral traditionnel poserait
des problèmes budgétaires insolubles en raison
de la dispersion géographique des écoles participantes et de la difficulté de trouver dans
chaque cas des examinateurs locaux répondant
aux critères de sélection de l'OBI.
Par ailleurs, les études effectuées dans u n
certain nombre de pays sur lafiabilitédes divers
modes d'évaluation font toutes apparaître que
l'examen oral face à face est de toutes les m é thodes la moinsfiableparce que la plus entachée
de subjectivité et qu'elle est d'autre part celle
où l'examinateur — souvent à son insu — ne
résiste pas à la tentation de la parole et croit
évaluer plus qu'il n'évalue effectivement.
Pour ces deux raisons conjuguées, l'OBI a
mis au point une méthode de contrôle oral sous
forme d'enregistrement sur cassettes magnétiques, ne nécessitant qu'un équipement très
simple. Cette méthode a naturellement d û être
corrigée et mise au point sur plusieurs années.
Outre ses avantages pédagogiques d'objectivité
correspondant à une situation de contrôle, elle
permet à l'examinateur de choisir et d'échelonner ses moments d'écoute dans les conditions
les plus favorables, de réécouter au besoin et
de prendre l'avis d'un collègue (alors que dans
l'oral face à face la situation est momentanée
et caduque), de s'attacher, à chaque nouvelle
écoute de la m ê m e cassette, à des éléments
différents de l'évaluation ; du côté du candidat,
125
Tendances et cas
l'opération, à condition bien sûr qu'elle fasse
en cours d'année l'objet d'un entraînement
approprié, exige de lui qu'il construise u n
exposé cohérent sans se contenter de bribes de
phrases, en écho à l'interlocuteur, telles qu'on
les trouve fréquemment dans l'oral traditionnel,
qu'il s'entraîne à une elocution nette, qu'il
entende au besoin son propre enregistrement et
fasse son autocritique.
Sans doute y a-t-il dans les écoles c o m m e
chez les examinateurs — et pour des raisons
diverses — une certaine nostalgie d u dialogue.
Mais il faut remarquer que dans certaines m a tières le dialogue intervient sous forme de
l'intervention d'un professeur chargé de transmettre et, au besoin, d'éclairer les questions, à
condition que toutes ces interventions soient
enregistrées. Certains examinateurs regrettent
d'ailleurs plus qu'ils n e souhaitent ces interventions, le professeur égarant bien souvent u n
candidat dont l'exposé était bien amorcé.
Il faut également remarquer que l'examen
face à face est maintenu en langue A , là où
le dialogue est le plus approprié. L e candidat
a donc affaire à des types divers d'examen oral,
ce qui n'est que justice, de façon à ne pas
avantager plusieurs fois celui qui se montre
brillant ou au contraire pénaliser celui qui est
timide dans l'une ou l'autre situation.
LES TESTS AUDITIFS
E n langue B , l'oral sur cassette permet de
contrôler essentiellement l'élocution d u candidat, en m ê m e temps que ses compétences littéraires ; sa faculté de compréhension auditive
n'intervient que pour une faible part à l'occasion d'un court dialogue, où, c o m m e dans les
examens oraux traditionnels, il est difficile de
déterminer dans quelle mesure il a compris
clairement ou deviné en partie ce que lui dit
son interlocuteur dont l'expression, les gestes,
l'intonation l'aident à interpréter la parole.
L'oral sur cassette a donc besoin d'être c o m plété par une autre épreuve, le test auditif, qui
126
consiste à écouter une bande enregistrée (l'écoute
est ordinairement répétée deux fois) avec réponse immédiate aux questions qui s'y rapportent.
A la différence de l'oral sur cassette, qui est
individuel, le test auditif se fait par groupes
de 12 à 15. L'enregistrement consiste en conversations, lecture d'un texte (bulletin de nouvelles,
par exemple), d'une histoire, etc. L e questionnaire est conçu de façon à évaluer, sous forme,
de tests objectifs (q.c.m. et questions à réponse
brève), des nuances de l'audition et de la
compréhension, et cela dans des conditions,
rigoureusement identiques pour tous les candidats. Il y a là assurément u n excellent instrument discriminatoire.
LES FILMS SCIENTIFIQUES
Il s'agit d'une méthode visuelle analogue à
l'épreuve auditive décrite ci-dessus. Elle a pour
but de compléter, et non de remplacer, l'évaluation des travaux pratiques de sciences o ù
l'accent est mis sur l'aptitude au travail expérimental. Les séquences projetées sont construites de façon à permettre de contrôler la.
finesse d'observation et l'aptitude à interpréter
les observations effectuées (identifications et utilisation d'appareils, expériences de laboratoire,,
observations dans la nature, etc.).
L e film est soit un enregistrement au m a g n é toscope, soit u n film à boucle permettant plusieurs projections récurrentes sans interruption
et permettant également l'arrêt sur image.
C o m m e pour le test auditif, les candidats,
doivent répondre à un questionnaire se rapportant aux séquences qu'ils viennent de voir..
L'ÉVALUATION INTERNE
N o u s entendons par là celle qui est faite par
l'établissement auquel appartient le candidat
soit sous forme ponctuelle, soit le plus souvent
sous forme de contrôle continu.
Actuellement, l'OBI y a recours pour l'éva-
Tendances et cas
luation des éléments suivants : théorie de la
connaissance, activités artistiques autres que
celles faisant l'objet d'une option pour le diplôme, programmes spéciaux proposés par l'établissement et acceptés par l'OBI, travaux pratiques de sciences expérimentales. Pour ceux-ci,
par exemple, le professeur procède à u n certain nombre d'évaluations périodiques dont il
consigne les résultats, pour chaque candidat,
selon u n certain nombre de rubriques (travail
théorique, manipulation, observation, montage,
interprétation, présentation des résultats) et selon des critères et instructions fournis par l'OBI.
Dans chaque cas intervient, sous une forme
ou une autre, une « modération » par les examinateurs de l'OBI ; on en trouve le détail dans le
guide général, sous les règlements et programmes appropriés.
A cela s'ajoute le dossier scolaire du candidat,
pris en considération par l'examinateur en chef
dans chaque discipline avant l'attribution de
la note finale.
Les autres éléments qui pourraient, sans difficulté, s'ajouter à ceux qui viennent d'être cités
sont les suivants : programme de littérature
mondiale complétant dans chaque établissement le programme de langue A ; partie « vie
et civilisation » d u programme de langue B ;
étude de documents en histoire ; travail sur le
terrain en géographie ; mémoires dans les disciplines où ils figurent au programme. Dans la
plupart des cas, le professeur de l'élève dispose
de beaucoup plus d'éléments de jugement que
l'examinateur externe.
L e système d u B I ne se présente certainement
pas c o m m e la solution miracle en matière de
pédagogie et de docimologie. Il est avant tout
une tentative — une tentative qui jusqu'à présent semble avoir assez bien réussi, à en juger
par les témoignages des utilisateurs, maîtres
et étudiants, aussi bien que les universités ayant
accueilli les premières volées de candidats.
L'intérêt existe, l'évolution de la formule
reste ouverte. L'organisation a simplement besoin de trouver le statut qui, à la suite de l'expérience, permette à celle-ci de devenir une réalité opérationnelle au service des divers pays
qui désirent l'utiliser en vue de favoriser la
compréhension internationale.
Parmi les écoles participantes figurent les
Collèges d u M o n d e U n i dont le premier chaînon, établi au pays de Galles depuis 1952, a
été l'un des établissements pionniers d u B I .
Leur but est de faire vivre en communauté
internationale des jeunes des pays les plus
divers — la plupart étant des boursiers nationaux — pendant les deux années préparatoires
à leur vie professionnelle ou universitaire. Il y
a là u n exemple de ce que peut être à l'avenir
une éducation sans frontières où, sans rien
perdre de leurs patrimoines culturels respectifs,
les jeunes participent aux m ê m e s activités intellectuelles, manuelles, sociales et sportives.
D e ces collèges, U Thant disait en 1971 :
« Les vieilles notions de nationalisme sont
longues à mourir ; les générations futures appellent des conceptions nouvelles et élargies
leur permettant de penser tout naturellement
en fonction de leurs responsabilités de citoyens
du m o n d e . Dans ce sens, les Collèges du M o n d e
U n i contribuent à u n travail de pionnier d'une
grande importance. »
Ces quelques lignes résument ce que l'OBI
s'est efforcé de réaliser et souhaite pouvoir
continuer de faire au service de la compréhension internationale.
127
Tendances et cas
Télévision éducative et i
de l'enseignement en El Salvador1
John K . Mayo, Robert C . Hornik
et Emile G . McAnany
L a République d'El Salvador, en Amérique centrale, est l'un des pays du inonde dont la superficie est la plus faible et la population la plus
dense. Il compte environ 3 500 000 habitants
et sa population s'accroît de 3,5 % par an ;
aussi ses ressources limitées doivent-elles être
réparties de plus en plus chichement d'une
année à l'autre. L'agriculture est le pilier de
l'économie et, bien que la production agricole
n'ait cessé de s'améliorer, il a fallu au cours des
dernières années augmenter considérablement
le volume des importations de denrées alimentaires de base. Malgré cela, la majorité de
la population souffre de carences en calories et
en protéines, c o m m e le révèle l'étude la plus
récente sur la nutrition2.
Toute une série de problèmes économiques
et sociaux c o m m u n s aux pays d u tiers m o n d e
viennent se greffer sur la pression démographique. Il ressort de l'étude la plus récente d u
régime foncier que la majeure partie des terres
productives appartient à moins de 2 % des propriétaires3. Ceux-ci ont une grande influence
économique et politique. Leurs vastes domaines
produisent les principales cultures d'exportation — le café et le coton — et ils emploient
des milliers de travailleurs agricoles. Environ
60 % de la population active se consacre à
l'agriculture mais, en raison d u caractère saisonnier d u travail, la plupart des ouvriers agricoles sont sous-employés.
Origine de la réforme
de l'éducation
L a réforme de l'éducation est apparue au gouvernement c o m m e une priorité importante au
cours de la dernière décennie, et les dirigeants
d'El Salvador ont décidé que seule une révision
radicale d u système d'enseignement et la création de nouvelles possibilités de formation permettraient au pays de résoudre ses pressants
problèmes économiques et sociaux, tout en se
ménageant une place plus grande dans le c o m merce mondial.
Pour tenter de trouver une solution aux n o m breux problèmes hérités des administrations
précédentes et pour moderniser u n système
d'enseignement dont les objectifs et les m é thodes ne répondent plus aux besoins d'El
Salvador, u n plan systématique de réforme de
l'éducation portant pratiquement sur tous les
aspects d u problème a été formulé en 1968. Il
s'agit d'opérer les réformes suivantes : réorganisation du Ministère de l'éducation ; large recyclage des enseignants ; révision des programmes
d'enseignement ; élaboration de nouveaux guides des enseignants et de nouveaux manuels
pour les élèves ; amélioration d u système de
contrôle scolaire en remplaçant les inspecteurs
1. Le présent article s'appuie sur quatre années de recherches sur le terrain conduites en El Salvador par
les auteurs, ainsi que par le D r Wilbur Schramm et le
D r Henry T . Ingle, aux termes d'un contrat avec
l'Academy for Educational Development et la U . S .
Agency for International Development.
2. Banque interaméricaine de développement5 Social
Progress Trust Fund, neuvième rapport annuel,
John K. Mayo, Robert C. Hornik et Emile O. McAnany
Washington, 1969.
(États-Unis d'Amérique) enseignent à ¡'Institute for3. República de El Salvador, Ministerio de Economía,
Communication Research de la Stanford University
Dirección General de Estadística y Censos, Anuario
en Californie.
Estadístico, 1968, San Salvador, 1968.
128
Perspectives, vol. V , n° 1, 1975
Tendances et cas
par des « conseillers pédagogiques » ; élaboration de programmes plus divers de formation
technique pour les élèves des classes 10 à 12 ;
construction d'un très grand nombre de nouvelles salles de classe ; suppression des droits de
scolarité dans les classes 7 à 9 ; organisation de
classes alternées et réduction des horaires, de
manière à accroître les effectifs d'élèves ; adoption d'un nouveau système d'évaluation c o m portant des modifications des politiques en
matière de notation et de contrôle de la progression des élèves ; mise en place d'un système national de télévision éducative ( T V E )
pour les classes 7 à 9.
Certaines de ces innovations ont été mises en
œuvre immédiatement, étant entendu que la
plupart d'entre elles nécessiteraient une réorganisation, des expérimentations et des ajustements supplémentaires, et que les changements les plus importants ne pourraient être
introduits que progressivement. L e calendrier
de la réforme, étalé sur cinq ans, est néanmoins
très rigoureux.
La télévision
et son rôle d e catalyseur
L a T V E a tout de suite occupé le devant de la
scène parce qu'elle exerce une influence puissante et décisive sur le contenu des autres
réformes et, en particulier, sur la cadence à
laquelle elles sont appliquées. Lorsque ces autres réformes commencèrent à prendre corps,
la Division de la télévision éducative, avec le
concours de la U . S . Agency for International
Development, produisait déjà 19 programmes
hebdomadaires à l'intention des écoles secondaires (classes 7 à 9). Les responsables de la
réforme ayant insisté pour que l'enseignement
télévisé ne débute pas avant que des changements aient été opérés dans les programmes,
la formation des enseignants et le système d'inspection, des pressions se sont exercées sur
d'autres divisions d u ministère pour que le
calendrier concernant la télévision soit respecté.
Les Salvadoriens comprirent que, s'il fallait
compter sur la télévision pour améliorer la
qualité de l'enseignement secondaire, les leçons
ainsi diffusées devaient correspondre à u n plan
d'études remanié. C o m m e l'a dit le ministre
de l'éducation : « L e programme d'enseignement actuel est archaïque et ne répond pas
aux besoins réels du pays. L a télévision n'étant
qu'un instrument au service d u programme, la
qualité de l'ensemble d u système d'éducation
dépend de la qualité d u programme. L'introduction effective de la T V E exige à tout le
moins l'élaboration de programmes nouveaux
et mieux conçus1 ». Ainsi, dès la mise en route
de la réforme, il a été largement tenu compte
de la télévision lors d u remaniement d u prog r a m m e des classes 7 à 9.
Après avoir introduit la télévision éducative
et élaboré un programme révisé dans toutes les
écoles secondaires d u premier cycle, les planificateurs du ministère décidèrent que les maîtres devraient modifier radicalement leurs m é thodes traditionnelles d'enseignement. Pour
faciliter la transition, on institua u n cours de
recyclage d'une année et le système d'inspection
scolaire s'écarta de sa vocation étroite pour
emprunter une voie plus ouverte et plus positive axée sur l'observation et l'orientation pédagogiques dans la salle de classe. Enfin, les
nouveaux programmes et les nouvelles m é thodes d'enseignement firent apparaître la nécessité d'un meilleur matériel pédagogique tant
pour les maîtres que pour les élèves, qui fut
initialement élaboré et distribué par la Division
de la télévision éducative.
L a T V E a sans conteste été la plus spectaculaire et la plus commentée de toutes les réformes de l'enseignement. L a presse publia
des articles rappelant c o m m e n t le projet avait
pris corps et relatant les efforts d u gouverne1. República de El Salvador, Plan quinquenal 1968-1972,
Sector Educación (DT N" 659), San Salvador, Consejo
Nacional de Planificación y Coordinación Económica
( C O N O P L A N ) , 1968.
I29
Tendances et cas
ment pour mettre en place u n nouveau studio
et installer des postes de télévision dans les
écoles. L a publicité faite à la T V E fit passer
inaperçus d'autres changements importants opérés dans le système d'enseignement. E n 1970,
u n échantillon de parents interrogés sur la réforme de l'éducation ne purent, pour la plupart, citer que la télévision.
Enfin, la T V E est l'élément de la réforme qui
a nécessité la plus large part d'assistance technique étrangère. Parmi la quarantaine de conseillers étrangers qui travaillèrent au projet de réforme avec leurs homologues salvadoriens, plus
de trente participaient d'une façon ou d'une
autre aux activités relatives à la T V E . Cette
concentration des moyens a permis au projet
de se développer sur sa lancée et à la T V E de
conserver sa situation privilégiée.
L'expérience salvadorienne donne à penser
que, pour être u n instrument efficace de changement, les grandes innovations en matière d'éducation c o m m e la télévision ne peuvent pas être
purement et simplement plaquées sur les structures traditionnelles, mais plutôt s'accompagner
de multiples changements dans d'autres secteurs d u système d'éducation. A u fur et à
mesure de la mise en œuvre de la réforme, la
plupart des responsables salvadoriens ont exprimé l'opinion que celle-ci n'aurait p u être
réalisée si la télévision n'avait pas joué u n rôle
de catalyseur.
Effets de la T V E sur les élèves
E n 1968, lorsque le processus de réforme a été
engagé, 20 000 élèves environ fréquentaient les
classes 7, 8 et 9 (premier cycle d u secondaire)
des écoles publiques. L'effectif des établissements privés s'élevant à 23 000 élèves, cela
représentait au total moins d u quart des adolescents de treize à quinze ans, c'est-à-dire en
âge d'être admis dans ces trois classes. E n 1973,
le nombre des élèves de ce niveau était passé
à plus de 65 000. Compte tenu des 26 000 élèves
130
inscrits dans des écoles privées, les effectifs de
ces trois classes atteignaient 34 % de la population de treize à quinze ans. L a très forte
augmentation d u taux de fréquentation scolaire provoquée par la suppression des droits
de scolarité s'est assortie d'une modification
du profil social des classes, le nombre des
élèves issus de milieux pauvres et ruraux ayant
nettement augmenté.
D e 1969 à 1972, une équipe d'évaluation
composée de chercheurs salvadoriens et de la
Stanford University fit subir régulièrement à
trois groupes (A, B , C ) d'élèves d u secondaire
des tests d'aptitude générale et d'aptitude à la
lecture ainsi que des tests de niveau en mathématiques, sciences naturelles et sciences sociales.
L e groupe A , qui était entré en classe 7 en 1969,
comprenait des élèves qui suivaient u n enseignement s'appuyant sur la télévision et d'autres
éléments de la réforme et des élèves suivant
un enseignement de type traditionnel. Les groupes B et C , entrés en classe 7 en 1970 et 1971
respectivement, étaient composés uniquement
d'élèves des classes nouvelles. Ces groupes furent divisés en deux sous-groupes : ceux bénéficiant de la T V E et ceux n'en bénéficiant pas.
E n l'espace de trois années, les premiers
obtinrent des notes supérieures de 15 à 25 %
à celles des seconds dans les tests d'aptitude
générale, et cela indépendamment de leur origine socio-économique et de leur personnalité.
Pour les tests d'aptitude à la lecture, les deux
groupes étaient à peu près à égalité.
Les tests de niveau ont donné des résultats
plus variables : ce sont tantôt les élèves bénéficiant de la T V E qui l'emportent sur les autres,
et tantôt l'inverse. E n additionnant les résultats
des tests pour les trois années (deux années
pour le groupe C ) , on s'aperçut toutefois que,
dans toutes les matières, les élèves bénéficiant
de la T V E arrivaient en tête. E n mathématiques, ils avaient l'avantage dans les trois classes. Pour les sciences sociales et naturelles, leur
succès était imputable à des résultats particulièrement brillants de la classe 7, ce qui fit pencher
Tendances et cas
la balance en leur faveur malgré de moins bonnes
performances dans les classes 8 et 9.
A u début de la réforme, aucun critère n'a
été fixé pour juger de l'efficacité de l'enseignement. Personne, au Ministère de l'éducation
ni dans aucune des organisations extérieures
fournissant une assistance technique, n'a tenté
de préciser quelle s o m m e de connaissances
supplémentaires justifierait les investissements
consentis dans tant de programmes novateurs.
Néanmoins, la réforme de l'éducation et, en
particulier, son élément T V E , ont réussi à
donner aux élèves u n bagage plus solide. Les
tests ont nettement montré que l'enseignement
à l'aide de la T V E est, dans la plupart des cas,
sensiblement mieux assimilé que l'enseignement sans T V E . Les classes nouvelles dotées
de la T V E , de maîtres recyclés, d'un prog r a m m e remanié et de matériels d'enseignement modernes se sont révélées beaucoup plus
propices à l'étude que les classes traditionnelles
ou les classes utilisant tous les éléments de la
réforme, sauf la télévision.
L e rassemblement de données sur les connaissances acquises a été complété par des enquêtes
périodiques sur les attitudes et les aspirations
des élèves. U n e majorité d'entre eux se sont
déclarés favorables à la T V E tout au long des
quatre années de l'enquête sur les attitudes.
L'enthousiasme initial diminuait toutefois quelque peu à mesure que les élèves progressaient
de la classe 7 à la classe 9. Ce sont les attitudes
à l'égard de l'enseignement de l'anglais qui
ont été modifiées le plus favorablement par la
T V E : cette matière, peu aimée des élèves des
classes sans T V E , est considérée c o m m e intéressante dans les classes avec T V E . Les enfants défavorisés ou assez peu doués accueillent
mieux les leçons télévisées que leurs camarades
plus privilégiés.
Les élèves estiment que des études poussées
sont en El Salvador la condition de la réussite.
Plus de 90 % des élèves interrogés dans chacun des trois groupes souhaitent poursuivre
leurs études au-delà de la classe 9 et 50 % envi-
ron espèrent obtenir u n grade universitaire.
C o m p t e tenu d u taux élevé de chômage dans
le pays et d u très petit nombre d'emplois bien
rémunérés de niveau m o y e n , il n'est pas étonnant que tant d'adolescents aspirent à entrer à
l'université. Ils savent que les meilleurs postes
iront à ses diplômés et que la meilleure garantie
de considération et de mobilité sociales est u n
bon emploi. Leurs aspirations, dans cette m e sure, doivent être tenues pour réalistes, mais
elles paraissent irréalistes si l'on considère les
chances qu'elles ont de se concrétiser.
Faute d'avoir recueilli des données à ce sujet
avant 1969, il n'a malheureusement pas été
possible de déterminer si la réforme a beaucoup modifié les aspirations des élèves. Toutefois, les données rassemblées au cours des quatre
années d'enquête ont valeur d'avertissement :
sur le double plan de l'enseignement et de
l'emploi, les aspirations des élèves ont atteint
un tel niveau qu'elles poseront dans l'avenir
un véritable problème aux planificateurs d'El
Salvador.
Effets de la T V E sur les maîtres
U n effort concerté a été entrepris, dans le
cadre de la réforme, pour recycler tous les
maîtres du secondaire afin que leur enseignement, fondé sur u n programme remanié et le
nouveau système de T V E , puisse être pleinement efficace. O n a constaté que les maîtres
commençaient à faire moins de place aux cours
magistraux et aux exercices de mémoire au
profit de méthodes plus actives ; ils posaient
davantage de questions obligeant les élèves
à réfléchir, les encourageaient à poser eux
aussi des questions, à donner leur opinion
et à entreprendre des travaux personnels. Ces
constatations ont été faites assez souvent pour
pouvoir en conclure que la mentalité des enseignants a évolué.
O n peut dire que l'engouement des maîtres
pour la télévision, très vif en 1969, avait sensi-
131
Tendances et cas
blement diminué à lafinde 1972. Ils d e m e u rèrent néanmoins en majorité favorables à son
emploi dans leurs classes. Malgré des désaccords avec les fonctionnaires d u ministère sur
la façon dont certains changements avaient été
opérés, la plupart d'entre eux approuvaient les
objectifs et les principes de la réforme de
l'éducation.
Faut-il conclure de la baisse d'enthousiasme
constatée chez les enseignants au cours des
quatre premières années d'application de la
réforme qu'on a eu tort de dépenser tant d'argent pour leur recyclage ? L a réponse à cette
question dépend de l'idée qu'on se fait des
griefs des maîtres. Ceux-ci ne s'en prenaient
nullement à la T V E elle-même ni à la réforme
proprement dite mais plutôt aux mauvaises
conditions de travail (classes de plus en plus
surchargées, classes alternées épuisantes, insuffisance d u matériel pédagogique) et à la
modicité persistante de leur traitement. Il n'est
pas étonnant, dans ces conditions, qu'ils soient
insatisfaits et qu'ils se soient mis deux fois en
grève.
Problèmes d'intégration
bureaucratique
Ces grèves montrent bien la gravité des problèmes qui se posèrent lorsque les enseignants
et l'administration furent obligés d'accepter des
méthodes et des politiques qu'ils n'avaient pas
élaborées eux-mêmes. Bien entendu, certains
changements sefirentplus que d'autres « en
douceur ». C'est ainsi qu'un nouveau prog r a m m e d'enseignement secondaire fut mis en
place sans causer d'émoi. Les nouvelles politiques en matière de promotion furent acceptées mais pas intégrées aussi complètement
dans le système. L a fermeture de nombreuses
écoles normales provoqua de l'irritation bien
que cette décision ait eu pour effet de réduire
le chômage des enseignants et que les vifs
éloges dont le programme centralisé de recy132
clage des maîtres a finalement été l'objet aient
beaucoup contribué à lui valoir leur adhésion.
L a transformation des inspecteurs en conseillers pédagogiques est l'aspect de la réforme qui
a soulevé le plus de difficultés. Il s'agissait là
d'une innovation radicale et les inspecteurs s'y
sont opposés parce qu'ils y voyaient une atteinte à leur autorité et à leur prestige. Les
bureaucrates d u Ministère de l'éducation s'y
sont également opposés parce qu'ils n'exerçaient à ce sujet, au début, aucun contrôle direct.
Il semble qu'on ait commis une erreur en
plaçant u n corps d'inspecteurs dans la Division
de la T V E et non dans les départements d u
ministère directement chargés des établissements scolaires et des enseignants.
Malgré ces difficultés, l'expérience salvadorienne fait nettement apparaître les avantages
qu'il y a à charger des autochtones de développer tous les aspects d'un nouveau système de
T V E au lieu de faire appel à des étrangers.
A u bout de trois années, la T V E s'implanta
plus solidement, les spécialistes locaux expérimentés de la télévision s'affirmèrent davantage, et les perspectives de continuation et
d'expansion d u système étaient meilleures que
dans d'autres pays qui avaient compté sur des
experts étrangers pour la production des émissions et l'enseignement télévisé. E n revanche,
cette expérience met aussi nettement en relief
les inconvénients d'un recours aussi large à u n
personnel local mais inexpérimenté pour la
réalisation des émissions.
La qualité inégale des leçons télévisées est
peut-être le défaut majeur d u projet et l'un des
principaux griefs des maîtres. L a conclusion
qui semble s'en dégager est la suivante : si
un pays veut « apprendre par la pratique » (ce
qui a des avantages à long terme), il doit, avant
de commencer ses émissions, se donner le
temps de former des équipes de production,
leur laisser acquérir de l'expérience, tester et
remanier autant de programmes que possible.
L'expérience salvadorienne donne aussi à penser qu'on évite bien des problèmes en intro-
Tendances et cas
duisant la télévision dans une seule classe à la
fois au lieu de plusieurs. Il a également été
possible en El Salvador d'expérimenter la T V E
pendant une année dans 32 classes pilotes avant
de l'étendre à tout le système scolaire. A la
fin de cette année (1969), les producteurs p u rent remanier et améliorer la grande majorité
des programmes pour la classe 7 avant qu'ils
ne soient diffusés dans toutes les écoles du pays.
Les systèmes de T V E ne se développent
jamais aussi aisément et aussi rapidement qu'on
le voudrait et El Salvador n'a pas fait exception
à la règle. O n s'est en effet aperçu que, c o m m e
dans tous les autres pays, il fallait plus de temps
que prévu pour mettre en place un appareil
administratif capable de concevoir et d'exécuter une aussi vaste réforme de l'éducation.
Coût et efficacité de la T V E
dans le cadre de la réforme
augmentent proportionnellement à leur n o m bre. Les dépenses fixes totales par année
(calculées sur la base d'une période de vingtcinq années d'exécution d u projet en fonction d'hypothèses précisées dans le texte de
la réforme) ont été évaluées à 1,1 million de
dollars. Sur cette s o m m e , 800000 dollars
environ ont été fournis par le gouvernement
salvadorien, le reste étant constitué par des
subventions de l ' U S A I D et d'autres institutions étrangères.
A u x dépenses fixes, il convient d'ajouter les
dépenses variables qui se montent environ à
1,10 dollar par élève et par an. Ainsi, en 1972,
avec 48 000 élèves inscrits, la T V E a coûté au
gouvernement 17,75 dollars par élève, son coût
total (y compris les prêts et subventions de
l'extérieur) étant de 24,35 dollars.
Connaissant le nombre d'élèves effectivement inscrits au cours des sept premières
années de mise en œuvre du projet, une projection des inscriptions pour les vingt-cinq premières années permet d'évaluer le coût m o y e n
par élève pendant n'importe quelle partie de
cette période. O n savait qu'un nombre assez
restreint d'élèves bénéficierait du projet au cours
des premières années, mais que ce nombre ne
cesserait d'augmenter par la suite. O n a calculé que, pendant ces vingt-cinq années, le
coût annuel m o y e n par élève serait de 17 dollars.
L'introduction de la T V E s'est assortie d'une
augmentation d u nombre des élèves par classe
(de 35 à 45) et d'un alourdissement de la tâche
du professeur (40 % d'heures supplémentaires
d'enseignement), les salaires augmentant de
20 % seulement.
Les recherches sur l'efficacité et le coût de
l'utilisation par El Salvador de la T V E et
d'autres éléments clés de la réforme de l'éducation ont donné les résultats suivants :
Les effectifs des classes 7, 8 et 9 ont triplé
de 1968 à 1973 (de 19 104 à 65 390 élèves).
L e traditionnel goulet d'étranglement entre
les classes 6 et 7 s'est de ce fait u n peu
desserré, de sorte que près de 60 % des
élèves entrés en classe 6 en 1971 sont passés
en classe 7 en 1972.
L e nombre d'abandons et de redoublements
dans les trois classes a diminué après l'entrée
en vigueur de la réforme. Cette efficacité
accrue tient aussi bien à des normes moins
rigoureuses qu'à l'amélioration de la qualité
de l'enseignement.
Conclusions et implications
L e coût d u système T V E comporte deux éléments : les dépenses fixes (équipement des
Compte tenu des résultats des quatre premières
studios, coûts de production, etc.) qui sont
années, quelles conclusions générales peut-on
indépendantes d u nombre des jeunes spectirer de l'expérience de T V E en El Salvador ?
tateurs, et les dépenses variables (récepteurs
Et ces conclusions sont-elles valables pour d'aude télévision, manuels scolaires, etc.) qui
tres pays ?
133
Tendances et cas
L a réforme de l'éducation, et en particulier
le système de T V E , a donné en El Salvador
les résultats escomptés par le plan initial de
cinq ans. L e goulet d'étranglement dans l'enseignement secondaire s'est desserré et le n o m bre d'élèves passant en classe 7 a augmenté
chaque année. U n plus grand pourcentage de
ces élèves venait de milieux défavorisés et
l'on s'attendait à ce que la plupart d'entre eux
achèvent la classe 9. Grâce surtout à la T V E ,
l'accroissement des effectifs n'a pas provoqué
de baisse de niveau. C'est en fait le contraire
qui s'est produit ; les élèves ont plus appris
après la réforme et avec la T V E que dans le
système traditionnel.
Bien que la T V E ait été incontestablement
une innovation coûteuse pour El Salvador, le
Ministre de l'éducation a réussi à réduire quelque peu la dépense en augmentant le nombre
des heures d'enseignement des maîtres et celui
des élèves par classe. C o m p t e tenu de l'augmentation prévue des inscriptions, le coût de
l'enseignement par élève sera finalement moindre avec la réforme et la T V E que si la réforme
avait été introduite sans modifier les effectifs
des classes traditionnelles et la charge de travail des maîtres.
Davantage d'élèves, une meilleure assimilation des connaissances et u n coût égal ou
moindre par élève : ce sont là des résultats
appréciables qui ne laissent pas d'impression-
134
ner. C o m m e n t El Salvador a-t-il réussi là où
tant d'autres pays ont échoué totalement ou
partiellement ?
L'expérience salvadorienne souligne qu'on a
intérêt à concevoir la T V E ou toute autre technique d'enseignement en fonction de besoins
très généraux. L a T V E n'a pas été plaquée
sur des structures traditionnelles mais coordonnée avec d'autres transformations importantes du système d'éducation.
L a T V E a néanmoins joué u n rôle de catalyseur dans la réforme parce qu'elle a bien
mis en lumière la nécessité de changements
dans de nombreux domaines. Lorsque le gouvernement décida d'investir dans la T V E , il a
paru normal de réviser les programmes afin
que les leçons télévisées utilisent les toutes
dernières méthodes d'enseignement et véhiculent les connaissances les plus modernes.
D e m ê m e , il a fallu préparer les maîtres à
l'introduction de la T V E dans les classes. O n a
donc mis sur pied u n vaste programme de
recyclage à leur intention. Processus identique
pour la réforme d u système d'inspection et
d'évaluation et la fourniture de nouveaux m a tériels pédagogiques aux maîtres et aux élèves.
Tous ces changements n'ont pas été des réussites mais il n'est certes pas facile de transformer les systèmes scolaires nationaux et les
ministères de l'éducation.
Notes et comptes rendus
Le cycle de base de l'éducation :
une préoccupation croissante de l'Unesco
Lors d'une réunion convoquée au Secrétariat de
l'Unesco à Paris en juin 19743 des experts ont constaté qu'il existe dans de nombreux pays d u m o n d e
une tendance croissante à l'institution d'un « cycle de
base de l'éducation » et ont cherché à identifier les
principaux problèmes que ce m o u v e m e n t soulève.
Sous la pression des faits — car il est manifeste, d'une
part, qu'un nombre accru de personnes souhaitent
pouvoir acquérir un m i n i m u m d'instruction et, d'autre part, qu'il faudrait faire des dépenses énormes
pour répondre à cette demande — de nombreux
éducateurs et économistes ont été amenés à réexaminer les structures et les méthodes de l'éducation
fondamentale. Ils ont surtout remis en cause la durée
de l'expérience scolaire prévue pour tous et les objectifs que cette éducation scolaire est censée atteindre.
Bien que de nombreux pays aient tendance à allonger
le cycle d'études fondamental, suivant ainsi le modèle
de développement des nations industrielles les plus
avancées, bien des esprits critiques semblent douter
que cette tendance permette de répondre adéquatement aux besoins des enfants et des jeunes d'aujourd'hui.
Il est naturel que l'Unesco s'intéresse vivement à
cette question. E n effet, l'Organisation prend une
part active au développement de l'éducation depuis
l'adoption à Addis-Abeba, en 1961, d'une déclaration
qui a fait date en faveur de l'enseignement primaire
universel. A u cours des dix dernières années, l'Unesco
a contribué à la création ou au développement des
écoles normales de nombreux pays et elle a fourni
une assistance technique en vue de la construction
d'innombrables autres établissements scolaires dans le
m o n d e entier. Après une décennie de si grands progrès, il semble donc opportun que l'Organisation
réexamine le modèle de scolarisation qu'elle a contribué à mettre en place.
L a réunion d'experts de juin 1974 s'insérait dans
tout u n ensemble d'activités. E n mars de la m ê m e
année, l'Unesco avait organisé une réunion sur « le
développement psychologique de l'enfant et ses
conséquences pour le processus éducatif ». Il s'agissait de passer en revue la s o m m e des connaissances
actuelles sur le développement de l'enfant en vue de
réformer les structures et le contenu traditionnels de
l'éducation primaire. Les participants devaient en
outre examiner le résultat des travaux de Philip
C o o m b s et d u Conseil international pour le développement de l'éducation, exposé dans l'ouvrage intitulé New paths to learning (1973), ainsi que les rapports (non publiés) des réunions de Bellaggio sur
l'éducation de base. Ajoutons que l'Unesco poursuit
son examen des structures de l'éducation puisqu'elle
a organisé en décembre 1974 une réunion sur les
rapports entre les structures de l'enseignement secondaire et l'entrée dans le m o n d e d u travail. E n
d'autres termes, la réunion sur le cycle de base de
l'éducation s'inscrivait dans u n ensemble d'efforts
coordonnés visant à favoriser les échanges de vues et
la réflexion sur l'organisation des services scolaires
dans le m o n d e entier.
Dix-sept experts ont pris part, à titre personnel, à
la réunion de juin 1974. U s avaient pour tâche essentielle de préciser ce que recouvre la notion de cycle
de base de l'éducation. Jusqu'à présent, les systèmes
d'éducation se sont caractérisés par la superposition
et la succession de plusieurs degrés : primaire, secondaire (subdivisé souvent lui-même en u n premier
et u n second cycle) et supérieur. D e s barrages efficaces existant entre ces divers niveaux, chaque degré
était plus ou moins autonome et fermé sur lui-même.
Pour progresser de bas en haut d u système, il fallait
maîtriser à chaque stade l'aspect théorique de la formation donnée. L a plupart des élèves échouaient et
abandonnaient assez vite cette sorte de « course
d'obstacles », bien avant d'avoir satisfait leurs besoins
fondamentaux et de pouvoir ainsi continuer d'euxm ê m e s à se développer. Il semble également certain
que le succès dépendait autant d u milieu social de
l'élève que de ses aptitudes intellectuelles. Ainsi les
établissements scolaires ont joué le rôle fondamental
d'instruments de sélection sociale.
E n outre, au sein de l'enseignement, les études
théoriques ont assurément joui de plus de prestige et
de ressources que les études professionnelles et techniques destinées à répondre aux besoins des nombreux
élèves entrant dans le m o n d e d u travail à la sortie de
l'école. D ' o ù une séparation des élèves en diverses
filières reposant souvent sur la classe sociale, système
considéré dans bien des pays c o m m e antidémocratique et préjudiciable aux intérêts de la plupart des
jeunes. Q u a n d l'orientation vers l'enseignement général ou vers l'enseignement professionnel se fait très
tôt, le jeune n'a pas le temps de développer toutes
I35
Perspectives, vol. V , n° 1, 1975
Notes et comptes rendus
ses capacités de surmonter ses handicaps initiaux et de
se mesurer équitablement avec les enfants plus précoces ou plus favorisés par le sort que lui.
Cependant, l'idée que la totalité des jeunes doit
acquérir une vaste g a m m e de connaissances générales
est de plus en plus reconnue. Les experts ont admis
que de nombreux pays tendent à allonger sans cesse
pour tous les enfants la durée d u « tronc c o m m u n »
d'études n o n spécialisées, pour faire face à la prolifération continue des connaissances et aux exigences
d'éducation toujours plus fortes au sein d u public.
Bien des gens considèrent que la promotion sociale et
la réussite matérielle sont liées au nombre total
d'années d'études scolaires.
Pourtant, les pays en voie de développement se
sont aperçus que l'institution de l'enseignement primaire universel est une tâche beaucoup plus ardue et
coûteuse qu'ils ne le pensaient. D e nombreux pays
vont à l'heure actuelle jusqu'à consacrer u n tiers de
leur budget annuel à l'éducation sans être encore en
mesure de toucher la totalité des enfants. N o m b r e de
nations n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour scolariser la totalité des enfants. Tout
développement supplémentaire de l'éducation ne
pourrait se faire qu'aux dépens d'autres services sociaux et d'autres programmes publics qu'il est impossible de sacrifier o u de réduire. C'est pourquoi certains pays se posent des questions fondamentales sur
les crédits à allouer à la scolarisation et sur le m o d e
de répartition des crédits qui serait le plus bénéfique
pour les enfants et pour la nation.
Les experts ont estimé qu'il y a de multiples façons
de tirer le plus grand parti possible de ressources
limitées, qui diffèrent selon les traditions culturelles,
les aspirations des élèves, les besoins des divers secteurs économiques, etc. II n'est donc pas utile de
rechercher u n cycle de base universellement applicable. Chaque pays, ou parfois m ê m e chaque région,
devrait adopter sa propre solution etfixerle contenu,
les méthodes et les structures qui correspondent à
ses propres besoins. L e problème est détablir u n
cycle d'éducation qui puisse donner u n bagage suffisant à la majorité des élèves pour qui il constitue toute
l'instruction tout en assurant une préparation adéquate à la minorité des élèves qui poursuivront leurs
études.
Cette tâche est relativement aisée pour les trois
ou quatre premières années d'études mais elle devient
de plus en plus difficile à mesure que la g a m m e des
aptitudes et des résultats s'accroît. L'établissement
d'un programme d'études adapté à tous les enfants
exigera sans doute l'adoption de méthodes pédagogiques nouvelles qui permettent à chaque élève de
progresser à son propre rythme.
L e cycle de base doit se définir en fonction des
136
capacités, des connaissances de mécanismes et des
comportements que les jeunes d'une région donnée
doivent développer o u acquérir pour mener une vie
satisfaisante. Cette éducation doit être donnée malgré
les contraintes imposées par les pénuries de ressources
et de personnel et elle doit toucher, dans u n large
esprit démocratique, la totalité des enfants. Il ne
faudrait pas croire que l'acquisition de ces éléments
de base ne peut se faire que dans le cadre de l'éducation scolaire. Certains participants à la réunion ont
déclaré que le recours à des méthodes extrascolaires
(émissions de radio ou de télévision, organisation de
groupes d'études, etc.) pourrait permettre de diffuser
une bonne part des connaissances de base indispensables. Ces voies parallèles peuvent être offertes à
ceux qui n'ont pas la possibilité de fréquenter l'école
ou qui ne s'adaptent pas à son enseignement, c'est-àdire, notamment, aux adolescents et aux adultes qui
n'ont pas acquis les mécanismes indispensables pour
mener une vie active et satisfaisante.
Ainsi, la notion de cycle de base de l'éducation ne
se confond pas avec l'idée traditionnelle de premier
degré d'éducation o u enseignement primaire. C e
cycle devrait être u n processus souple adapté aux
besoins particuliers des différents publics desservis,
aisément accessible aux diverses catégories de gens qui
veulent apprendre, tirant pleinement parti des moyens
d'éducation de la collectivité — et plus particulièrement des locaux de travail — et apprenant avant
tout aux intéressés à enrichir en permanence leurs
connaissances et à progresser tout au long de leur vie.
Les experts ont estimé que le principal objectif d u
cycle de base est d'aider l'élève à prendre en charge
sa propre existence, à faire face à son environnement
et à apprendre à imprimer sa marque sur le m o n d e .
Chacun doit prendre confiance en lui-même à mesure
qu'il acquiert davantage de compétence, de savoirfaire et de pouvoir de compréhension. Chacun doit
se rendre compte qu'il peut tenir tête aux forces
sociales, économiques et politiques qui s'exercent sur
lui. Chacun doit se sentir soutenu par la compréhension de la culture qui lui est transmise et des possibilités que lui offre toute existence d ' h o m m e .
Il est clair que le cycle de base doit fournir à chacun
un certain n o m b r e d'outils fondamentaux de la
connaissance ; il faut apprendre à lire, à écrire et à
communiquer efficacement avec autrui. Il faut aussi
s'initier au langage et à la logique des mathématiques
et acquérir les fondements de la pensée scientifique
et des méthodes de résolution des problèmes. Il faut
enfin avoir une base morale sur laquelle fonder ses
décisions et avoir été initié à l'idée de beauté o u d'appréciation esthétique et à l'idée de création.
Notes et comptes rendus
E n d'autres termes, l'élève qui termine le cycle de
base doit pouvoir : a) connaître ses points forts, être
à m ê m e de les développer et entrevoir ce qui fait le
caractère unique de sa personnalité ; b) jouer u n rôle
productif dans le m o n d e d u travail ; c) agir sur son
environnement pour améliorer la qualité de la vie en
coopérant avec les autres m e m b r e s de sa collectivité ;
d) se maintenir en bonne santé physique et conserver
son équilibre affectif ; e) être disposé et prêt à continuer à se cultiver personnellement en participant
activement à l'éducation permanente.
Il faut donc concevoir, au m o m e n t où l'on établit
les programmes d'études, des expériences d'apprentissage qui conduisent les sujets vers les buts recherchés. Les participants à la réunion ont procédé à des
échanges de vues sur divers processus possibles sans
parvenir à u n accord total. Certains experts ont m a n i festement tenté de mettre au point u n ou des modèles,
afin de préciser ou de simplifier les tâches complexes
qu'implique la conception de programmes d'études
en vue d'objectifs spécifiques. Cependant, cet effort
de rationalisation est extrêmement difficile et prête
à controverse. E n outre — et cela est apparu clairem e n t quel que soit le processus suivi pour l'établissement des programmes d'études — il ne faut pas
escompter aboutir à u n type de p r o g r a m m e uniforme.
Puisque les objectifs d u cycle de base varient selon le
lieu considéré, les programmes d'études qui doivent
permettre d'atteindre ces objectifs doivent varier
eux aussi.
Si l'on songe à mettre en place u n cycle de base de
l'éducation, il faut obligatoirement prévoir le recours
à des maîtres compétents. Seul u n personnel dévoué,
qui comprend l'objectif recherché et qui a suffisamment de talent pour organiser les différentes
étapes nécessaires à l'apprentissage, pourra mener les
élèves vers les buts esquissés plus haut.
Les enseignants doivent savoir c o m m e n t se fait le
développement physique et psychologique de l'enfant ; ils doivent aussi être capables d'établir avec
leurs élèves des rapports chaleureux et ouverts. Les
experts participant à la réunion ont estimé qu'il peut
être nécessaire de recourir à des pédagogies différentes selon les élèves. Ainsi, la formation des maîtres,
tant avant leur entrée en service qu'en cours d'exercice, est l'un des éléments critiques de tout effort de
conception et de mise en place d'un cycle de base de
l'éducation.
Pour renforcer l'action de l'enseignant, surtout si sa
formation n'est pas parfaite, il peut être utile de faire
appel aux autres ressources humaines de la collectivité. Il a été suggéré d'obtenir le concours des étudiants les plus âgés, des parents ou des personnes d u
troisième âge pour rendre l'influence d u maître plu&
efficace. L e milieu d'apprentissage de l'enfant peut
être enrichi par l'utilisation des ressources de la collectivité, et par exemple des lieux de culte, des bibliothèques et des lieux de travail, lorsque les dispositions
voulues peuvent être prises et la coordination avec
les programmes scolaires assurée. Certains experts,
ont souhaité que les adultes de la collectivité participent activement à la définition des objectifs d u cycle
de base de l'éducation, ainsi qu'aux décisions sur le
fonctionnement des écoles locales.
Plusieurs experts ont souligné que la rechercheopérationnelle doit être l'un des éléments clés de
l'élaboration d u cycle de base de l'éducation. O n a
souligné qu'il importe de faire des recherches sur la
psychologie de l'apprentissage, sur les méthodes et le
matériel qui donnent envie d'apprendre, sur les
résultats obtenus par les élèves et sur la mesure dans
laquelle les objectifsfixésont été atteints. Cependant,
c o m m e on peut prévoir qu'il sera difficile, dans des.
pays o ù les ressources sont limitées, d'assurer à la
recherche le personnel et le soutien logistique nécessaires, il convient peut-être de mettre surtout l'accent
sur la mise au point de méthodes simplifiées qui permettent d'obtenir suffisamment d'informations sans,
développer exagérément les recherches coûteuses.
A cette idée d'assurer à tous u n cycle de base
d'instruction, il faut associer étroitement l'idée d e
donner à chacun la possibilité de rentrer dans le cycle
des études si pour une raison ou une autre il a d û le
quitter avant de les avoir achevées. Il faut donc avoir
suffisamment de souplesse pour pouvoir accueillir des.
publics d'âge différent soit dans des classes reliées,
aux établissements traditionnels d'enseignement, soit
dans des groupes organisés de manière moins scolaire. Il faudra également établir parallèlement des.
possibilités d'études n o n scolaires à temps partiel
pour répondre aux besoins des adultes qui veulent
parfaire leur instruction.
Certains participants à la réunion ont estimé qu'il'
importait moins de fixer la durée d u cycle de base
que d'en définir les objectifs et d'en établir le prog r a m m e d'études. E n effet, le cadre traditionnel de
l'éducation scolaire n'est peut-être pas le mieux
adapté à l'organisation efficace d u cycle de base. L a
scolarisation selon l'horaire traditionnel, qui prévoit
de 4 à 6 heures d'études par jour, 5 jours par semaine,
pendant 30 à 36 semaines par an, n'est pas la seule
manière de s'instruire. Peut-être serait-il possible
d'accueillir davantage d'enfants, avec les m ê m e s effectifs et les m ê m e s moyens matériels, si l'on adoptait
des démarches nouvelles. Par exemple, pourquoi n e
pas prévoir une demi-journée d'études scolaires intensives ? Pourquoi ne pas alterner tout au long d e
l'année la présence à l'école et la présence au lieu d e
137
Notes et comptes rendus
travail o u l'étude extrascolaire ? Pourquoi ne pas
aller à l'école 3 jours par semaine seulement pendant
u n plus grand n o m b r e de semaines par an ? L'expérimentation de ce genre de structures différentes pourrait conduire à de nouveaux m o d e s d'apprentissage,
en rapport avec la fréquence de l'enseignement, la
durée totale des heures de classe et le coût global de
l'instruction. (En Asie, le Centre régional d'innovations éducatives fait des expériences de cette nature
en vue de dispenser une éducation primaire de faible
coût.)
D a n s cette optique et étant donné l'importance
croissante des modes d'apprentissage n o n scolaires,
il n'est peut-être pas exact de parler en n o m b r e
d'années quand on veut assigner une durée au cycle
de base de l'éducation. Aujourd'hui encore, l'expression « année scolaire » recouvre des réalités si variées
que six « années d'études » dans u n pays peuvent être
égales à trois années dans u n autre.
L a répartition des ressources entre les différents
besoins pédagogiques est une autre question difficile
et qu'il convient d'examiner. Quelle est en effet la
part d u total qu'il faut allouer au cycle de base, à
l'éducation secondaire, à l'enseignement supérieur, à
l'éducation extrascolaire et à l'éducation préscolaire ?
T o u s ces secteurs rivaux ont des raisons valables de
réclamer une part des maigres ressources disponibles! L a réponse à la question posée est d'ordre
plus politique que technique mais les participants
ont estimé que les besoins des jeunes enfants, c'est-àdire des enfants d'âge préscolaire ou des enfants de
l'école primaire, avaient souvent été relativement négligés par rapport à ceux des élèves de l'enseignement secondaire et des étudiants de l'enseignement
supérieur. E n outre, l'éducation donnée en dehors de
l'école ne reçoit souvent aucun appui. Il pourrait
donc être fort nécessaire de réaménager quelque peu
les priorités.
Il convient enfin de se demander à quel âge les
études donnent les meilleurs résultats. A supposer
qu'un pays puisse offrir quatre années de scolarisation à temps complet à tous ses enfants, quel est le
meilleur âge de fréquentation scolaire et quelle est la
meilleure manière de passer ces « années » ? L'élève
et sa famille peuvent-ils prétendre avoir voix au
chapitre lorsque la décision est prise ? Peut-être la
« meilleure » solution pour u n pays donné devrait-elle
être déterminée par des recherches empiriques. Il est
clair qu'il pourrait être avantageux de revoir les pratiques traditionnelles qui consistent à scolariser les
enfants dès l'âge de six o u sept ans jusqu'à dix ou
onze ans.
L e débat, auquel ont procédé les experts internationaux invités à cette réunion sur les problèmes d'organisation d'un cycle de base de l'éducation, a fait
apparaître la nécessité de compléter grandement l'information disponible. Il faut en savoir davantage sur
les rapports entre l'apprentissage de l'enfant à l'âge
préscolaire et son degré de préparation à l'école. Il
faut déterminer quels sont les savoir-faire que les
enseignants d u cycle de base devront posséder. Il
importe de faire u n recensement beaucoup plus vaste
des méthodes permettant d'atteindre les différentes
catégories d'élèves et d'évaluer les modifications cognitives et affectives que l'apprentissage entraîne avec
le temps chez celui qui apprend. Il conviendrait
enfin de mieux connaître les aménagements de l'espace, d u mobilier et d u matériel qui favorisent au
m a x i m u m l'apprentissage des enfants. Il faut donc
faire d'urgence des travaux de recherche opérationnelle dans ces domaines et dans bien d'autres encore.
L'obtention de données supplémentaires et d'aperçus
concrets sur les processus de l'apprentissage conduiront peut-être à l'adoption de méthodes pédagogiques
nouvelles qui mettront les jeunes en mesure de mener
une vie plus enrichissante.
Le Programme asiatique
de copublication
U n programme asiatique de coopération internationale pour la publication de livres illustrés en couleurs
et destinés aux enfants semble appelé à un large essor
dans toutes les régions en voie de développement,
où la pénurie de textes de lecture de haute qualité et
138
d'un prix modique — livres scolaires ou autres — sévit
avec persistance. E n 1974, les premiers ouvrages
parus au titre de ce programme, deux volumes de
Folktales from Asia, ont été publiés en anglais et seront ultérieurement traduits dans la langue nationale
Notes et comptes rendus
des États participants ; dans les pays où l'anglais est
une des langues principales, des éditions en langue
anglaise seront produites sur place. L e Centre culturel
asien de l'Unesco et le Centre de T o k y o 1 pour la
promotion d u livre, qui patronnent ce projet, produisent, avec l'aide de l'Unesco, desfilmsen couleurs
qui sont mis à la disposition des États participants,
de manière à réduire les prix de revient et à assurer
le respect des normes internationales. Ces deux
centres contribuent également, sous la forme d'une
aide à la fois rédactionnelle etfinancière,à la production d'éditions nationales de la série.
L e Programme asiatique de copublication, qui s'appelait autrefois Programme asiatique pour la production en c o m m u n de textes de lecture, est issu de la
campagne mondiale pour la promotion du livre et de
la lecture, dont le couronnement a été l'Année internationale d u livre (1972). Celle-ci avait été précédée
par un cycle de réunions régionales sur la promotion
et la diffusion du livre, qui ont rassemblé des experts
d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et des États
arabes. L a première de ces réunions régionales, qui
s'est tenue à Tokyo en mai 1966, a conduit à la création
d u Centre de Tokyo pour la promotion d u livre qui,
avec le concours de la Commission nationale japonaise pour l'Unesco et de l'Association des éditeurs
de livres japonais, assure maintenant la formation de
personnel et apporte une assistance technique aux
industries de l'édition, encore embryonnaires, d u
continent asiatique. C'est de cette idée originale de
coopération régionale en matière de promotion d u
livre qu'est né le Programme asiatique de copublication. A la première réunion d'experts sur l'établissement d'un programme de production en c o m m u n
de matériel de lecture pour l'Asie, qui s'est tenue à
T o k y o en août 1970, il a été décidé d'aider les pays
dépourvus de moyens modernes de production de
livres à publier les types d'ouvrages qu'il leur est le
plus difficile de produire, à savoir les ouvrages illustrés de manière attrayante et pouvant répondre aux
besoins des nouveaux alphabètes, tels les enfants qui
quittent l'école à un âge précoce. Il a été décidé qu'on
s'occuperait, dans u n premier temps, de publier en
c o m m u n des livres pour enfants de moins de treize
ans, en donnant la priorité aux sujets relatifs aux
humanités, à la culture et à la science. Pendant l'Année internationale d u livre, à titre de projet pilote,
deux livres japonais pour enfants, d'une part un récit
intitulé Taro and his friends et d'autre part About
blood, explication simplifiée de la circulation sanguine, ont été publiés en anglais et dans les éditions
nationales tirées à 500 exemplaires chacune, par le
Centre de T o k y o pour la promotion d u livre. L a
composition typographique dans les langues nationales a été assurée par les 14 pays d'Asie participants,
tandis que la mise au point rédactionnelle et la production proprement dite incombaient au Centre de
T o k y o , avec le concours de l'éditeur de la version
japonaise originale, Fukuikan Shoten, de T o k y o .
Ces livres ont reçu une large diffusion dans les pays
participants, en particulier par l'entremise des écoles.
E n Afghanistan, par exemple, About blood a été distribué dans les écoles, en province c o m m e dans la
capitale. U n essai auquel on a procédé dans la cinquième classe d'une école primaire de Kaboul, a
donné des résultats positifs, grâce à la participation
animée d'enfants qui, ayant eu le livre, avaient été
frappés de la manière vivante dont le sujet était
traité. E n Iran, l'édition expérimentale a été distribuée
à 78 bibliothèques pour enfants par l'Institut pour le
développement intellectuel des enfants et des jeunes
adultes. E n République de Corée, en République
khmère, au Laos, au Népal, au Pakistan, aux Philippines, à Sri Lanka, en Thaïlande et au Viêt-nam,
les livres ont été distribués à certaines écoles et bibliothèques pour enfants spécialement sélectionnées.
L'opinion générale a été que ces deux ouvrages
pilotes constituaient d'excellents textes de lecture non
seulement pour les enfants, mais également pour les
parents et les maîtres qui en font la lecture aux
enfants.
A la suite de cette phase expérimentale, et encouragés par son succès, les pays participant au Prog r a m m e asiatique de copublication ont produit Folktales from Asia. Chaque pays de la région a proposé
deux histoires en anglais dont la mise au point définitive a été assurée par le Centre culturel asiatique de
l'Unesco et le Centre de Tokyo pour la promotion
du livre. D e s histoires ont été envoyées pour les
premiers volumes par les pays suivants : Bangladesh,
République de Corée, Inde, Indonésie, Iran, Japon,
République khmère, Laos, Malaisie, Népal, Pakistan,
Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande et
Viêt-nam. Il a été décidé de les publier pour c o m mencer en anglais, en deux volumes contenant chacun
huit histoires illustrées.
L e prototype de langue anglaise étant sous presse,
des experts de 17 pays en voie de développement et
du Japon se sont réunis à T o k y o en juin 1974 pour
mettre au point les plans définitifs de production et
de diffusion des éditions nationales de Folktales from
Asia, et pour choisir des sujets pour les volumes
suivants de la série. Il a été décidé de poursuivre la
publication de contes populaires et de préparer une
nouvelle collection de Festivals of Asia ; la publication
I. L'éditeur japonais, Shoichi N o m a , qui a mis sur pied le
Centre de Tokyo pour la promotion du livre en Asie, vient
de se voir décerner le premier Prix international du livre pour
services exceptionnels rendus à la cause du livre.
I39
Notes et comptes rendus
en anglais du livre 3 des Folktales et de Festivals a été
prévue pour le mois de juin 1975. D e nombreux
participants responsables nationaux de l'élaboration
et de la sélection de manuels et d'autres genres de
matériel pédagogique représentaient le secteur éducatif de leurs pays respectifs. Depuis lors, le comité
central de rédaction comprend des représentants d u
Laos, d u Pakistan, de Sri Lanka et de l'Inde.
Il est apparu que, dans de nombreux pays en voie
de développement d'Asie, ces livres pour enfants,
d'un aspect attrayant, permettraient de parer à des
besoins urgents. D a n s les pays où l'industrie de l'édition en est encore à ses débuts, la priorité a été
accordée aux manuels scolaires, alors que les livres
conçus pour les petits enfants sont rares, pour ne
pas dire inexistants. Beaucoup de pays manquent
d'auteurs pouvant écrire des livres pour enfants, et
n'ont pas d u tout d'auteurs qui s'en fassent une
spécialité. Les États participants ont examiné les divers moyens de diffuser les livres publiés sous les
auspices d u Programme asiatique de copublication.
E n République de Corée, par exemple, la publication
d u premier volume coïnciderait avec la semaine annuelle d u livre et la diffusion en serait assurée dans
les régions où il y a de nombreuses écoles élémentaires.
E n ce qui concerne les Philippines, le Département de
l'éducation choisirait probablement une édition en
langue anglaise de Folktales from Asia pour les petits
écoliers philippins. L e Département des publications
pédagogiques de Sri Lanka se chargerait de publier
une édition en cinghalais. L'édition en langue thaï
paraîtrait dans le cadre d u Programme de lecture
extérieure pour les enfants sous les auspices de la
Section de promotion du livre, Division des manuels,
Département des techniques pédagogiques du Ministère de l'éducation. A u Viêt-nam également, le gouvernement, par l'intermédiaire de son Ministère de la
culture, de l'éducation et de la jeunesse, se chargerait de la publication et de la diffusion des livres.
Plusieurs pays ont manifesté l'intention d'imprimer
ces livres en bichromie plutôt qu'en quadrichromie,
pour des raisons financières.
Les auteurs, éducateurs et éditeurs se sont aperçus
qu'en travaillant ensemble, en unissant leurs talents
et leur savoir-faire, ils arrivaient, pour u n moindre
coût, à u n résultat supérieur à celui qu'aucun d'eux
aurait p u obtenir à lui seul. C e travail a déjà inspiré
des initiatives analogues dans d'autres régions. E n
Amérique latine, u n séminaire sur les ouvrages pour
enfants s'est tenu à Buenos Aires, en avril 1974, pour
examiner la possibilité de lancer u n programme de
copublication d'ouvrages pour les enfants d u souscontinent. E n Afrique, u n éditeur d u Cameroun, o ù
doit s'ouvrir u n centre régional de promotion d u
livre, a c o m m e n c é , avec l'aide de l'Unesco, à rechercher, avec ses collègues des États voisins, les m o y e n s
d'établir u n programme africain. S'il est certain que
les méthodes techniques mises au point pour l'Asie
serviront de guide à d'autres projets régionaux, les
institutions qui patronnent l'entreprise espèrent également que les critères, dont ils sont convenus pour
le Programme asiatique de copublication, constitueront u n modèle universel pour la production et la
publication de matériel de lecture. U n tel matériel
doit représenter la culture nationale ; il doit inspirer
aux enfants le respect des valeurs humaines, avoir
un attrait universel et n'être offensant pour aucun
groupe humain.
Role de I enseignement supérieur
dans l'éducation permanente : un colloque
L'éducation permanente est l'un des problèmes
majeurs de la seconde moitié d u XX e siècle. L a m a nière de diriger et d'organiser son développement
est une question qui se pose de plus en plus souvent aux institutions nationales et internationales,
dans leur action en faveur de la culture et de l'éducation. Plus de 80 grandes réunions nationales et
internationales, 270 publications importantes, dont
50 ont été diffusées par l'Unesco, et 8 périodiques
ont été consacrés à ce problème au cours des dix
dernières années.
140
Les participants à la dix-septième session de la
Conférence générale de l'Unesco, tenue à Paris
en 1972, ont longuement examiné le problème d e
l'éducation permanente. Conformément à une résolution adoptée à cette session, un colloque de l'Unesco
sur le rôle de l'enseignement supérieur dans l'éducation permanente a eu lieu à M o s c o u d u 18 au
20 juin 1974. Quinze experts de différents pays y ont
assisté ainsi que des observateurs d u Secrétariat d e
l'Unesco, de l'Association internationale des universités, de la Fédération internationale syndicale d e
Notes et comptes rendus
l'enseignement, d u Comité de la coopération scientifique et technique d u C A E M (Conseil d'assistance
économique mutuelle), d u Conseil de l'Europe, d u
Bureau international d u travail et d'autres organisations nationales et internationales.
Les délégués ont examiné les liens existant entre
la structure des divers systèmes d'enseignement supérieur et le concept d'éducation permanente, les
méthodes pédagogiques, les programmes d'études,
la formation des enseignants et le rôle de la recherche
fondamentale et appliquée.
C e colloque a permis de préciser le concept d'éducation permanente, laquelle concerne les individus
de tout âge dans le cadre de l'éducation scolaire et
extrascolaire. Pour des raisons sociales autant que
pédagogiques, l'éducation des adultes est considérée
c o m m e u n aspect important de l'éducation permanente.
Les participants ont souligné la nécessité de préparer les élèves dès le début de leur formation à l'édu-
cation permanente et mis l'accent sur les liens entre
la formation initiale et la formation ultérieure des
élèves et sur la nécessité de préciser les conditions
d u passage d'une forme d'éducation à l'autre. Ils
ont jugé insuffisante la coopération internationale
actuelle en matière d'éducation permanente et estimé
indispensable la création de structures régionales et
internationales dans le domaine de l'enseignement
en vue de développer l'éducation permanente. O n a
soulevé à ce propos la question de l'internationalisation des programmes, de la poursuite d'une politique
cohérente en matière d'équivalence des diplômes,
et de la nécessité de repenser les méthodes pédagogiques. L'enfant, l'adolescent et l'adulte devraient être
le sujet et n o n pas l'objet d u processus éducatif. U s
sont en droit de participer à la définition des objectifs,
des méthodes et des critères d'évaluation d u processus d'éducation qui les intéressent au premier
chef.
Revue de publications
Nutrition—A priority in African development. Sous la direction de B o Vahlquist,
Almqvist and Wiksell Informationsindustri A B , Uppsala — Fondation
D a g Hammarskjöld.
Alan Berg. The nutrition factor—Its role in national development,
Washington, T h e Brookings Institution, 1973.
L'idée était autrefois très répandue que c'était à
l'agriculture et aux services de santé de résoudre les
problèmes de nutrition ; mais il est de plus en plus
évident, de nos jours, que cette tâche exige la contribution et la collaboration de domaines spécialisés tels
que la sociologie, les sciences économiques, l'économie domestique, l'éducation et l'anthropologie sociale.
L'expérience pratique enseigne qu'abondance de
nourriture ne sert à rien si l'individu ne sait pas en
faire u n choix et u n usage convenables ; elle enseigne
qu'il ne suffit pas au consommateur d'avoir u n p o u voir d'achat suffisant s'il ne sait quels aliments acheter pour satisfaire ses besoins propres en matière de
nutrition ; elle montre que la lutte contre la malnutrition et la sous-alimentation ne produit pas d'effet
durable si l'individu ne sait c o m m e n t se prémunir
contre la réapparition de la malnutrition ; elle enseigne enfin qu'il ne suffit pas d'assurer l'abondance
de nourriture et le pouvoir d'achat si l'environnement et les facteurs sociaux et psychologiques qui
sont liés aux problèmes d'alimentation et de nutrition ne favorisent pas le développement de régimes
et de pratiques alimentaires rationnels et acceptables.
Si donc on veut résoudre les problèmes d'alimentation et de nutrition, le concours de certaines disciplines spécialisées s'impose, et l'éducation a u n
rôle de premier plan à jouer. Il convient de noter à
cet égard que l'expression « éducation nutritionnelle »
intéresse plusieurs domaines : la médecine — éducation nutritionnelle d u personnel médical, l'agriculture — éducation d u personnel agricole, enfin le
système scolaire en général, qui nous intéresse ici au
premier chef.
Toutefois, ce n'est que depuis peu que les questions
de nutrition attirent l'attention des responsables des
orientations et des plans en matière d'éducation,
alors que depuis longtemps déjà se faisait sentir avec
une insistance croissante la nécessité d'une action
préventive à long terme, par l'éducation, concernant
les questions de nutrition.
Les auteurs des deux ouvrages dont il est rendu
compte ici font œuvre de pionnier en essayant d'élaborer une conception interdisciplinaire de l'action
en vue d'une meilleure nutrition. Les éducateurs
trouveront qu'une place restreinte est faite à l'enseignement de la nutrition, sans aucun doute, parce
141
Notes et comptes rendus
que la prise de conscience d u rôle important qui lui
revient dans l'ensemble des efforts déployés pour
améliorer la nutrition est toute récente et parce que
les programmes éducatifs de valeur dont des leçons
peuvent être tirées sont assez peu nombreux.
D e plus, la notion d'éducation, telle que l'envisagent ces deux publications, a souvent été confondue
avec celle de communication d'information. L a c o m munication transmet des données de fait ou des
connaissances. L'éducation, en revanche, comprend
un large éventail d'activités concertées dans lesquelles s'établissent des rapports entre enseignant et
enseigné tant sur le plan cognitif que sur les plans
affectif et psychomoteur.
Chacune de ces publications est écrite par des
spécialistes qui ont p u observer directement, pendant de longues années, les répercussions de la
malnutrition et de la sous-alimentation sur le développement des individus, la capacité de production et le
bien-être en général. E n outre, ces ouvrages sont
d'autant plus intéressants et enrichissants, par rapport à ce qui a été écrit précédemment sur ce sujet,
qu'ils commencent par u n exposé sur la malnutrition
dont les conséquences, telles qu'elles peuvent se
manifester tout au long de la vie, sont examinées d u
point de vue clinique. Ainsi, écrits à l'intention de
non-spécialistes, ils placent d'emblée le lecteur au
cœur d u problème et permettent de définir de façon
judicieuse et rationnelle les rapports entre nutrition
et développement.
Nutrition—A priority in African development est
un rapport du séminaire D a g Hammarskjóld consacré
à ce sujet ; à la session d'ouverture, le directeur
général d u S I D A a posé clairement le problème :
« S'attaquer à l'analphabétisme sans s'attaquer en
m ê m e temps à la malnutrition et à la sous-alimentation qui diminuent la capacité d'apprendre semble
sans espoir, pour ne pas dire plus. Il n'est pas rentable
de développer u n service général de santé sans
commencer par le c o m m e n c e m e n t , c'est-à-dire par
bâtir le corps humain, c'est perdre son temps que
d'accroître la production alimentaire sans préserver
la valeur réelle des aliments couramment produits.
Enfin, il est vain d'investir dans l'emploi sans a m é liorer en m ê m e temps la capacité potentielle de la
main-d'œuvre et le sconditions de nutrition. » O n s'est
donc accordé à penser, au séminaire D a g H a m m a r s k jöld, que la nutrition, tâche prioritaire d u développement, est aussi une tâche humanitaire et que c'est
une humanisation d u processus de développement
qui est indispensable.
Après la déclaration liminaire sur la malnutrition
humaine, le rapport d u séminaire examine des types
très divers d'interventions, classiques o u n o n , destinées à remédier à la malnutrition et à la sous-ali-
142
mentation : production alimentaire, traitement des
produits alimentaires, réglementation d u commerce,
prise en considération des questions de nutrition
dans les programmes de santé publique et dans les
systèmes de communication.
L e dernier chapitre d u rapport, relatif à l'intégration de diverses interventions, telle que la pratiquent,
suivant en cela la m o d e actuelle, les administrations
nationales et les organismes internationaux, ne conclut
pas par une recommandation d'intégration et de
coordination. D a n s ce chapitre, le D r Göran Ohlin,
professeur d'économie à l'Université d'Uppsala, note,
en formulant les conclusions sur lesquelles se sont
accordés les participants au séminaire, que « la coordination est trop souvent à l'origine de confusions
et constitue parfois u n b o n m o y e n de garantir que
rien ne sera fait. Bien des résultats ont été obtenus
sans que des dispositions soient prises dans ce sens
et les délibérations d u séminaire ne permettent de
formuler sur ce point aucune recommandation de
portée générale ». Cela seulement semble clair : il
faudra qu'il y ait dans tous les départements intéressés
des services, o u au moins des individus, qui seront
les moteurs d'un programme intégré, mais n o n
nécessairement coordonné.
Après des chapitres exposant le problème de la
malnutrition et ses rapports avec le développement,
Alan Berg dans The nutrition factor, analyse les
relations entre la nutrition et l'accroissement de la
population. Sa thèse est qu'une meilleure nutrition
peut, à court terme, avoir pour effet d'accroître le
taux de natalité mais que, à long terme, d u fait que
plus d'enfants survivent et qu'il en faut moins, par
conséquent, pour assurer le soutien économique,
elle aura pour effet d'abaisser le taux de natalité.
Son chapitre sur les relations entre la situation nutritionnelle et la croissance économique corrobore à
nouveau l'idée que la croissance économique et
l'accroissement d u revenu par habitant n'améliorent
pas automatiquement la situation des groupes vulnérables sur le plan de la nutrition. U n e redistribution
des revenus est nécessaire, ainsi que d'autres interventions.
U n autre chapitre fort intéressant a trait aux programmes d'alimentation, dont les programmes de
repas scolaires constituent u n élément majeur. C e s
programmes, malgré leurs attraits, sont aux yeux
des spécialistes de la nutrition ceux qui prêtent le
plus à controverse. Après avoir énuméré leurs avantages et leurs inconvénients, Alan Berg analyse la
question de façon pertinente et très concrète.
D a n s les deux derniers chapitres, particulièrement
dans celui qui est consacré aux leçons à tirer de l'expérience indienne, Berg décrit plusieurs techniques
d'intervention n o n classiques, et souligne, en se
Notes et comptes rendus
référant à son expérience, l'idée qu'il est plus facile
et plus rapide d'obtenir des transformations en m o d i fiant les conditions extérieures, par exemple en enrichissant les aliments, qu'en modifiant les comportements humains, par exemple grâce à l'information
et à l'éducation. C o m m e dans le rapport du séminaire
D a g Hammarskjôld, le problème de la coordination
des interventions au niveau interministériel et à
d'autres niveaux est examiné. Alan Berg invite à
adopter une approche nouvelle, hardie, analytique
et systématique à l'égard des problèmes de nutrition :
il faut prendre conscience de leur importance, s'engager à faire quelque chose pour les résoudre et
appliquer largement les décisions prises. Tout en
s'exprimant énergiquement, dans son dernier chapitre, sur les questions d'administration, il laisse la
porte ouverte à la créativité et à l'initiative pour la
solution de ces problèmes.
Emmy H O O K H A M
Division de l'enseignement
préuniversitaire des sciences et
de la technologie, Unesco
William T A Y L O R (ed.), Research perspectives in education, Londres,
Routledge and K e g a n Paul, 1973. 238 p . Prix 3,25 livres.
L e développement rapide qu'ont connu ces dernières
années les programmes d'éducation, dans les pays
développés c o m m e dans les pays en voie de développement, se traduit par une relative abondance
d'ouvrages sur la recherche pédagogique. Toutefois,
la plupart de ces livres portent principalement sur
les techniques de recherche et rendent compte essentiellement d'études psychologiques de caractère e m pirique. Research perspectives in education est u n livre
exceptionnel en ce sens qu'il se propose une tâche
plus fondamentale. Il se préoccupe au premier chef
des concepts qui fondent la recherche en matière
d'éducation ainsi que de l'organisation et de la gestion
de cette recherche, en partant d u principe que « la
recherche pédagogique doit être envisagée de façon
beaucoup plus large, surtout si l'on veut qu'elle ait
une influence tant au stade de l'élaboration d'une
politique de l'éducation qu'à celui de la pratique
éducative » (p. ix).
L e livre est la s o m m e d'un certain nombre de travaux effectués par d'éminents spécialistes de l'éducation et de la recherche. Ces travaux sont résumés dans
neuf contributions réparties entre trois grandes parties.
L a première partie traite des ressources, de l'organisation et de la dotation en personnel de la recherche
pédagogique. L e professeur William Taylor procède
à une analyse détaillée des conditions préalables d'une
recherche efficace. Ces conditions sont, selon lui,
l'existence d'un ensemble d'idées politiques, sociales
et pédagogiques créant u n climat favorable à la recherche, celle de ressources financières et humaines
appropriées, et de « structures adéquates » (p. 8) à
l'intérieur desquelles les ressources peuvent être
réparties. Ces structures, au n o m b r e de quatre,
doivent permettre : a) de définir l'orientation et les
priorités des programmes de recherche pédagogique ;
b) definanceret de contrôler les travaux de recherche
et de développement dans le domaine de l'éducation ;
c) de mener à bien des travaux de recherche offrant
les garanties voulues d'emploi et de carrière aux
chercheurs ; d) de transmettre des informations sur
les travaux de recherche en cours ainsi que les résultats des travaux menés à bien aux dirigeants, aux
administrateurs, aux enseignants et à tous les autres
personnels auxquels ces travaux s'adressent.
C'est en fonction de ces données que le professeur
Taylor analyse ensuite les politiques en matière de
subventions pratiquées par les principaux organismes
d'aide à la recherche au R o y a u m e - U n i . Venant
compléter l'article d u professeur Taylor, celui d u
professeur Hàrnqvist décrit les activités de recherche
pédagogique menées hors d u R o y a u m e - U n i . U n e
série d'exemples concernant surtout les États-Unis
et les pays Scandinaves permet au professeur H à r n q vist de traiter de façon très complète des objectifs,
des programmes, d u contenu et des méthodes de la
formation en matière de recherche pédagogique sur
le comportement.
L a deuxième partie d u livre se compose de cinq
articles sur l'apport des diverses disciplines à la
recherche pédagogique. L a philosophie aide le chercheur à clarifier ses idées. Ainsi, en appelant l'attention sur l'utilisation de termes dont l'emploi n'est
régi par aucun critère bien défini, le philosophe peut
faire gagner au chercheur u n temps considérable,
que ce dernier eût peut-être passé à vérifier des
hypothèses conceptuellement peu claires. L a psychologie fournit des techniques d'appréciation des résultats et d'interprétation des données, tandis que la
sociologie, qui sensibilise les esprits à l'importance
des facteurs sociaux pour le développement des
aptitudes, contribue à rendre plus explicites les
rapports entre l'éducation et les autres grandes institutions sociales.
143
Notes et comptes rendus
L a troisième partie d u livre se compose de deux
articles qui situent la recherche pédagogique par
rapport aux connaissances dont on dispose concernant
l'éducation, d'une part, et par rapport à l'élaboration
et à l'application de la politique en matière d'éducation, d'autre part. Trois domaines essentiels dans
lesquels la recherche doit se poursuivre au R o y a u m e Uni sont également analysés : l'organisation interne
des établissements scolaires, l'organisation du système
scolaire et la répartition des ressources.
L'une des critiques les plus évidentes qu'on peut
adresser à cet ouvrage est de ne pas accorder à la
recherche active, d u moins à première vue, l'importance qu'elle mérite. L a recherche active est u n
des principaux produits des innovations actuelles qui
visent à faire entrer dans la salle de classe l'expérimentation en matière de programmes d'études. C'est
le type de recherche menée par les praticiens — enseignants et administrateurs — soucieux de trouver des
solutions aux problèmes auxquels ils se heurtent en
classe. U n ouvrage sur les perspectives de la recherche
pédagogique ne saurait ignorer ni la différence entre
ce type de recherche et la recherche traditionnelle ni
l'apport de la recherche active à l'aménagement et
à l'amélioration des plans d'étude.
L a partie rédigée par le professeur Härnqvist traite
de manière exhaustive des objectifs de la formation
de chercheurs et de ses diverses modalités. Sans
doute le m a n q u e d'espace ne lui a-t-il pas permis d'y
indiquer dans quelle mesure les expériences qu'il
analyse répondent, sur le plan des programmes, d u
contenu et des méthodes, aux objectifs recherchés.
E n outre, le professeur Härnqvist s'appuie principa-
lement sur des expériences tentées aux États-Unis
et dans les pays Scandinaves. O n est amené à se
demander si les exemples qu'il donne renseignent
suffisamment les milieux intéressés du R o y a u m e - U n i
sur ce que le professeur Taylor appelle « l'expérience
internationale dans ce domaine, notamment en ce
qui concerne la formation de spécialistes de la recherche pédagogique... » (p. 42).
Malgré ce qui vient d'être dit, l'ouvrage réussit
largement à mettre en appétit ceux qui sont curieux
de savoir comment sont déclenchés, soutenus et
menés les travaux de recherche et de développement
en matière d'éducation. Peut-être u n des mérites
les plus notables de l'ouvrage est-il de faire admettre
c o m m e incontestable la nécessité pour les représentants des diverses disciplines ayant u n lien direct
avec l'éducation de coopérer dans le domaine de la
recherche pédagogique s'ils veulent trouver des réponses précises aux questions qui se posent dans
ce domaine.
Par l'élégance de son style, la clarté avec laquelle
les concepts et les idées de base sont exposés et
l'actualité de son sujet, Research perspectives in education a les qualités voulues pour séduire le lecteur et
lui fournir une motivation. Il est donc vivement
recommandé, non seulement au personnel enseignant
mais aussi à tous ceux que la recherche en matière
d'éducation intéresse.
'Tunde O K U N R O T I F A
Faculté de pédagogie
Université d'Ibadan,
Ibadan (Nigeria).
Philip H . C O O M B S et Manzoor A H M E D . Attacking rural poverty.
How nonformal education can help. Baltimore, Johns Hopkins
University Press, 1974. 3,95 dollars. (Publication de la Banque mondiale.)
L'importance fondamentale des zones rurales des
pays en voie de développement et des millions d'individus qui y vivent commence maintenant à recevoir
l'attention qu'elle mérite. Dans la plupart de ces
pays, non seulement la population rurale dépasse de
beaucoup la population des zones urbaines, mais on
peut aussi raisonnablement prévoir que, malgré les
migrations vers les villes, elle continuera à augmenter
pendant toute la durée d u XX e siècle. L'avenir de la
plupart des habitants des zones rurales, et en particulier des jeunes, passe donc obligatoirement par
une vie et des emplois ruraux. L a qualité de cette
vie et les possibilités qu'elle peut offrir dépendent
dans la plupart des cas des modalités et du rythme
I44
de la mise en valeur des ressources agricoles et des
autres ressources de base des campagnes. L a vie des
habitants des zones urbaines dépend elle aussi, dans
une mesure non négligeable, d'une croissance régulière et soutenue de la productivité agricole et rurale.
Il n'est guère contestable que les populations rurales de nombreux pays reçoivent, depuis des années,
une part anormalement faible des ressources limitées,
d'origine nationale ou extérieure, affectées au développement. O n reconnaît généralement aujourd'hui
qu'il faut remédier rapidement à ce déséquilibre dans
l'intérêt d u progrès de tout le pays et d'une répartition plus équitable de la richesse et des services. L a
crise de plus en plus aiguë causée par la pénurie
Notes et comptes rendus
alimentaire mondiale et la hausse accélérée des coûts
de l'alimentation, ainsi que les graves difficultés
qu'éprouvent la plupart des pays en voie de développement à créer des emplois pour leur population en
expansion rendent ce besoin d'autant plus pressant.
L'éducation a manifestement une contribution très
importante à apporter aux efforts déployés à l'échelon national pour résoudre ces problèmes critiques.
Cependant, les responsables de l'éducation doivent
e u x - m ê m e s faire face à d'énormes difficultés. Voici
c o m m e n t la situation, particulièrement en ce qui
concerne l'éducation en milieu rural, est résumée
par le directeur d u Département de l'éducation de
la Banque mondiale dans sa préface à l'ouvrage qui
nous intéresse : bien que l'éducation « absorbe une
part élevée et croissante des budgets nationaux... les
améliorations sensibles de la qualité des systèmes
institutionnels d'éducation demeurent rares et excessivement difficiles à réaliser... le nombre des analphabètes a régulièrement augmenté en valeur absolue.
M ê m e si les moyens matériels et le personnel enseignant étaient suffisants et si des réformes fondamentales des structures et des programmes étaient
réalisées, il est douteux que l'éducation de type
institutionnel telle qu'elle est conçue à l'heure actuelle
puisse satisfaire n o m b r e des besoins de développement les plus cruciaux. D a n s la plupart des pays en
voie de développement, par exemple, une proportion
très élevée de la population travaille dans l'agriculture,
souvent au m i n i m u m vital. D a n s ce domaine, n o n
seulement le besoin d'une productivité accrue est
particulièrement aigu, mais l'alphabétisme et la possession d'autres compétences essentielles sont exceptionnellement rares, chez les adultes c o m m e chez les
enfants. Si l'on veut accroître la productivité, favoriser les perspectives de développement global et
améliorer la structure de la répartition des revenus,
il faut trouver u n m o y e n de répondre aux besoins
fondamentaux de la population en matière d'éducation ». A son avis, le vaste domaine que constitue
l'éducation périscolaire peut fournir u n élément i m portant de la solution dans la mesure où il est possible
de l'organiser et de le renforcer de façon qu'il apporte
une réponse efficace aux besoins pressants d u développement rural. C'est dans ce contexte qu'il a été
demandé au Conseil international pour le développement de l'éducation ( C I D E ) de procéder à une
étude indépendante de ce domaine dans son ensemble. L a publication dont il est rendu compte ici en
est le résultat. E n fait, deux études plus o u moins
parallèles ont été faites. L a deuxième, qui a u n caractère complémentaire et a été menée sous les auspices
de l'Unicef1, portait plus précisément sur les problèmes particuliers des enfants et des jeunes ruraux.
Bien que l'objectif le plus immédiat de l'étude ait
été de fournir au groupe de la Banque mondiale une
évaluation de la situation actuelle et d u potentiel
futur de l'éducation périscolaire pour le développem e n t rural, le but poursuivi à plus long terme par la
publication d u présent rapport est manifestement de
réunir u n ensemble de faits et d'expériences destinés
à fournir une base d'action aussi large et solide que
possible aux planificateurs, administrateurs et autres personnes qui ont à connaître des problèmes
complexes et difficiles qui se posent en la matière.
L'étude s'adresse essentiellement aux personnes qui,
dans les pays en voie de développement, sont responsables de la formulation et de la mise en œuvre des
politiques de développement rural, tant sur le plan
national que sur le plan régional. C'est pourquoi elle
devrait présenter u n intérêt et une utilité considérables
non seulement pour les planificateurs et les administrateurs de l'éducation, mais aussi pour tous ceux qui
participent directement aux aspects complémentaires
essentiels d u progrès rural — agriculture, santé et
nutrition, emploi, industrie et commerce, information
et autres services. E n fait, c'est là le fond d u rapport :
si l'on veut q u ' u n progrès réel soit accompli, il faut
que tous ces secteurs parviennent à une relation harmonieuse et opèrent c o m m e une équipe bien intégrée.
Pour des raisons pratiques, la présente étude s'est
généralement limitée aux projets et programmes
visant à accroître l'emploi, la productivité et le revenu
familial dans les zones rurales en améliorant les
connaissances et les compétences des exploitants
agricoles, des travailleurs agricoles, des artisans ruraux et des petits entrepreneurs. Toutefois, les auteurs précisent dès le départ qu'ils ont adopté une
conception très large et dynamique d u développement
rural et qu'ils ne se préoccupent pas uniquement des
moyens d'accroître la production agricole et d ' a m é liorer les compétences techniques. Ces objectifs sont
plutôt conçus c o m m e s'inscrivant dans u n processus
complexe et permanent d'élévation d u niveau global
de la vie familiale et communautaire et de l'activité
économique rurales en tant qu'éléments intégrants
d u développement national. Les auteurs voient dans
l'agriculture le fondement d u processus de développement, et dans l'amélioration régulière de la capacité
de production et d u rendement de la terre le catalyseur dont dépendent beaucoup d'autres aspects de
ce processus. L'éducation, sous tous ses aspects,
est pour eux le facteur clé de la mobilisation des
ressources humaines pour le changement et le progrès car, sans le soutien massif d'une population
informée, les autres investissements seront inutiles.
I. Voir : New paths to learning for rural children and youth,
rédigé pour l'Unicef par le Conseil international pour le
développement de l'éducation, 2 dollars.
145
Notes et comptes rendus
Q u e faut-il entendre par éducation périscolaire ?
Les responsables de l'étude ont adopté une approche
purement pragmatique vis-à-vis de ce qui pourrait
constituer le thème d'une discussion académique
sans fin. Tout d'abord, ils identifient l'éducation à
la totalité des divers processus d'apprentissage plutôt
qu'à u n système de scolarisation institutionnalisé. Ils
sont d'accord en cela avec ceux qui font maintenant
valoir que l'éducation doit être considérée c o m m e u n
processus permanent. Ils jugent en outre logique de
ranger les divers types d'éducation dans trois grandes
catégories qui n'ont nullement u n caractère exclusif :
"L'éducation scolaire englobe l'ensemble des systèmes nationaux d'éducation, d u préscolaire aux
études universitaires supérieures. Ces systèmes sont
généralement fortement institutionnalisés.
TJ éducation périscolaire est considérée c o m m e « u n
processus permanent par lequel chaque personne
acquiert et accumule des connaissances, des c o m p é tences, des attitudes et des notions à partir d'expériences quotidiennes et de contacts avec l'environnement — chez elle, dans son travail, dans ses
loisirs... ».
Uéducation extrascolaire est considérée, aux fins
de la présente étude, c o m m e « toute activité éducative
systématique et organisée se situant hors d u système
scolaire et visant à faire bénéficier de certains types
d'apprentissage des groupes particuliers de personnes,
adultes o u enfants ».
C o m m e préliminaire à la planification de cette
étude et pour déterminer ce qui pourrait être raisonnablement considéré c o m m e u n échantillon représentatif de programmes d'éducation extrascolaire
dans les pays en voie de développement, les auteurs
se sont entretenus avec des représentants des gouvernements, des institutions internationales, des fondations et de nombreux autres organismes qui s'emploient à aider l'éducation dans les pays concernés.
U n examen complet des ouvrages, rapports de projets et autres documents pertinents a aussi été entrepris. Enfin, pour fournir la « matière première »
sur laquelle fonder une analyse systématique et
critique, les auteurs ont choisi quelque 25 programmes
qui ont fait l'objet d'études détaillées rédigées par
des m e m b r e s de l'équipe de recherche d u C I D E ;
ceux-ci se sont également rendus sur place.
Cette large étude de nombreux types de programm e s d'éducation extrascolaire pour les zones rurales
a permis de discerner cinq principaux types d' « approche », dont chacun fait l'objet d'un chapitre d u
rapport : 1. programmes de vulgarisation agricole;
2. programmes de formation agricole ; 3. formation
à des emplois non agricoles ; 4 . approche individualiste d u développement rural ; 5. approche intégrée
du développement agricole.
146
Il faut admettre que, dans de nombreux cas, les
programmes étudiés contiennent des éléments qui
échappent à la catégorie dans laquelle ils sont rangés.
L a formation des agriculteurs, par exemple, est
souvent conçue et organisée c o m m e une partie intégrante des programmes de vulgarisation agricole.
Cette façon de traiter u n choix de projets divers a
néanmoins permis d'établir les grandes caractéristiques et les conceptions fondamentales de chaque
type d'approche et d'examiner ses forces et ses
faiblesses.
Chaque programme fait l'objet, sous la rubrique
appropriée, d'une description portant sur les aspects
suivants : contexte, organisation, objectifs, clientèle,
contenu de l'enseignement, gestion et personnel.
L'impact et les résultats du programme sont évalués.
Les auteurs examinent les problèmes rencontrés
lors de la mise en œuvre d u programme ; ils en étudient aussi le coût, lorsqu'ils disposent à cet égard
de données fiables. O n se heurte à de nombreuses
difficultés lorsqu'on essaie de tirer des conclusions
générales d'un groupe aussi hétérogène de projets,
situés dans u n contexte géographique, économique
et social aussi large. U n certain n o m b r e de projets
ont été lancés il y a de nombreuses années alors que
les plus récents en sont encore à la phase initiale.
Il est notable, par exemple, que la majorité des projets
de développement agricole intégré soit d'origine
fort récente. O n pourrait raisonnablement affirmer
que l'approche dont ils procèdent doit beaucoup
aux enseignements tirés des expériences antérieures de
vulgarisation, menées dans une optique plus étroite.
L a lecture d u compte rendu de ces projets revêt
beaucoup d'intérêt pour tous ceux qui se préoccupent
du développement agricole et rural dans les pays les
plus pauvres du m o n d e . L e peu de progrès accomplis,
souvent après des débuts très encourageants, est
extrêmement décevant à certains égards. E n revanche,
certains programmes, qui ont bénéficié d'un appui
financier relativement limité, ont pourtant réussi à
capter l'intérêt d u public, mobilisant largement les
bonnes volontés et exerçant une influence réelle.
Souvent, des programmes lancés avec une aide extérieure substantielle ont dépéri dès lors que cette aide
a pris fin. Il faut que tous les intéressés comprennent
que des programmes d'éducation novateurs exigent
presque à coup sûr beaucoup de temps et une évaluation et des remaniements très sérieux avant de devenir
entièrement viables. U n e des leçons les plus importantes qui se dégage des diverses monographies
est peut-être la nécessité de lier chaque programme
d'éducation aux autres facteurs essentiels entrant
en ligne de compte lorsqu'il s'agit de mettre en pratique ce qui a été appris. L'artisan qui est formé à
un travail dans une communauté rurale, par exemple,
Notes et comptes rendus
n'a pas seulement besoin d'être techniquement c o m p é tent. Souvent il gère lui-même sa petite affaire et a
besoin d'une aide pour obtenir du crédit et des matériaux. Il a aussi besoin de conseils et d'aide en matière
de gestion et dans d'autres domaines s'il veut réussir
à s'établir. D e nombreuses considérations analogues
valent dans le cas des petits exploitants agricoles.
Cinq autres chapitres sont consacrés à u n examen
en profondeur d'une série de problèmes fondamentaux jugés essentiels quant à la formulation de politiques et de programmes d'éducation extrascolaire
plus rationnels et mieux intégrés, dans le contexte
du développement rural et national. Il n'est pas
étonnant que les auteurs envisagent certains changements radicaux et de grande portée. Ils jugent fondamentale une plus grande coopération entre les responsables de l'éducation et de la formation et les autres
personnes s'occupant des nombreux services, officiels
et n o n officiels, qui participent au développement
rural. D e tous les facteurs qui peuvent déterminer le
succès ou l'échec d'un P r o g r a m m e , le plus important
est la qualité d u personnel, sa compétence et son
dévouement. U n e grande attention est donc consacrée
aux questions touchant le recrutement, la formation professionnelle et le soutien technique des vulgarisateurs, des enseignants et des personnes qui assurent des services complémentaires dans les zones
rurales. U n e fois qu'on a formé le personnel qui
convient, il est indispensable de le retenir en créant
des possibilités de carrière et des conditions d'emploi
conformes à ses responsabilités et à l'importance vitale
de son travail au niveau communautaire. D a n s de
nombreux cas, il existe u n large fossé entre l'enseignement et la recherche agricoles et les besoins
réels des petits agriculteurs et de la société dans
laquelle ils vivent. Les auteurs sont convaincus de la
nécessité de réformer tout le système d'enseignement
agricole et ses relations avec la recherche pour ce qui
est de satisfaire les besoins réels d u développement
agricole. D a n s le m ê m e ordre d'idées, les auteurs
considèrent que la formation professionnelle des
artisans et des petits entrepreneurs a été trop étroitement calquée sur les modèles de formation technique, urbaine et industrielle. U n e refonte visant
à rendre les programmes de formation professionnelle
dans les zones rurales beaucoup plus conformes aux
besoins constatés dans chaque zone et c o m m u n a u t é
ainsi qu'aux possibilités éventuelles en matière d ' e m ploi semble souhaitable à de nombreux égards.
Les auteurs formulent diverses suggestions tendant
à améliorer les technologies de l'éducation extrascolaire : utilisation des mass media et de textes et matériels pédagogiques mieux adaptés aux besoins, emploi
accru, dans les cas qui s'y prêtent, de méthodes et
de moyens d'auto-instruction. Il ressort de leur étude
de l'économie de l'éducation extrascolaire que les
recherches dans ce domaine demeurent à peu près
inexistantes à ce jour et que les organisateurs de
programmes n'ont que très rarement entrepris de
suivre systématiquement les personnes formées et
de déterminer dans quelle mesure cette formation
a facilité leur carrière ultérieure. D e s exemples sont
fournis pour illustrer combien le coût peut être élevé
par rapport aux résultats lorsqu'une proportion sensible des personnes formées n'embrassent pas la
profession à laquelle la formation reçue les destinait.
C o m m e on peut s'y attendre, étant donné l'importance que les auteurs attachent à la nécessité d'une
intégration plus efficace, ils plaident énergiquement
pour l'adoption d'une approche systématique de la
planification, de l'organisation et de la gestion globales de tous les services participant au développement rural. C'est là u n objectif sans nul doute très
souhaitable en théorie, mais très difficile à atteindre
en pratique, surtout lorsque les différents ministères
concernés sont, inévitablement, en concurrence pour
obtenir des crédits parcimonieusement distribués.
Pourtant, si l'on veut obtenir de bons résultats, il
faut manifestement trouver une formule viable de
coopération effective, ce qui peut prendre beaucoup
de temps et d'efforts. D a n s le domaine particulier
de l'éducation, certaines mesures sont possibles qui
pourraient contribuer de façon particulièrement sensible à l'instauration souhaitée d'une coopération
complète et efficace. L a première serait la création
de centres de formation et de développement multidisciplinaires aux niveaux appropriés, qu'il s'agisse
du district ou d u village. L e personnel des divers
ministères concernés (agriculture, santé, coopératives, etc.) dispenserait les cours, mais tout le m o n d e
— enseignants et étudiants — utiliserait les m ê m e s
moyens matériels. D e m ê m e , les services très étroitement liés au développement agricole et rural
— crédit, coopératives, commercialisation et transformation, matériel et fournitures — seraient placés
à des positions stratégiques de façon à faire partie
intégrante d u programme d'ensemble. U n e seconde
mesure propre à faciliter u n grand n o m b r e de ces
réformes indispensables — elle déborde toutefois
quelque peu le cadre de cette étude — consisterait
à créer des universités rurales qui, par leur enseignement, leurs activités de recherche et leurs fonctions extérieures contribueraient grandement à d o n ner aux habitants des zones rurales ce qui leur fait
le plus cruellement défaut : l'enthousiasme, les
connaissances, le sentiment de leur dignité et u n e
motivation valable.
D'aucuns considéreront certainement les conclusions de cette étude c o m m e des critiques plutôt
sévères à l'endroit de ceux qui ont planifié et exécuté
I47
Notes et comptes rendus
n o m b r e des programmes en question. O n peut aussi
penser qu'en dernière analyse c'est aux intéressés
e u x - m ê m e s de juger plutôt qu'à des gens qui tirent
l'essentiel de leurs renseignements de rapports et
de comptes rendus de missions. Souvent aussi, il
existe u n large fossé entre les vues et l'expérience
des personnes qui travaillent dans les administrations
centrales et celles des personnes qui sont appelées par
leurs fonctions à travailler sur le terrain, très loin
des capitales. Ces deux catégories de personnes ont
bien entendu u n rôle essentiel à jouer, mais ceux
qui ont travaillé de nombreuses années au niveau
du village considéreront vraisemblablement avec une
certaine réserve les propositions nouvelles impliquant
des bouleversements radicaux. C e conservatisme inné
du paysan, qui va souvent de pair avec une grande
sûreté de jugement, est peut-être une des meilleures
raisons d'offrir de bonnes possibilités en matière
d'éducation aux enfants (garçons etfilles)des zones
rurales de façon qu'ils puissent progressivement
jouer u n rôle prépondérant dans tout le processus
qui fait l'objet de cet ouvrage. E n attendant, beaucoup
devraient être reconnaissants aux auteurs de l'effort
qu'ils ont fait pour étudier d'une manière objective
et systématique le secteur de l'éducation périscolaire
et la contribution très importante qu'on pourrait
mettre ce secteur en mesure d'apporter si o n lui
accordait les possibilités et l'appui qu'il mérite. Les
monographies et l'importante bibliographie présenteront sans aucun doute une utilité et u n intérêt
considérables pour tous ceux qui se préoccupent d u
développement rural dans les pays les plus pauvres
du m o n d e . D'autre part, l'ouvrage pourrait aussi être
utile, en tant que source de références et d'idées, à
ceux qui dispensent u n enseignement aux étudiants
et aux planificateurs d u développement dans ce
domaine spécialisé. Il serait surprenant que cette
étude initiale n'incite personne à faire d'autres
recherches, en particulier dans les pays en voie de
développement e u x - m ê m e s . E n effet, il appartient
aux peuples et aux gouvernements de ces pays de
décider de leur avenir et de la façon dont ils s'emploieront à réaliser leurs aspirations et leurs objectifs
nationaux. Il leur appartient aussi de décider quelles
formes d'aide extérieure ils accepteront dans cette
tâche considérable et de longue haleine. Il faut
espérer que, c o m m e le souhaitent les auteurs de
l'ouvrage, celui-ci apportera une contribution sérieuse
à une réflexion et à une action nouvelles concernant
de vieux problèmes.
Professeur Fergus B . W I L S O N
Université de Cambridge
(Royaume-Uni)
Jacqueline C A M B O N , Richard D E L C H E T , Lucien L E F È V R E .
Anthologie des pédagogues français contemporains, Paris,
Presses Universitaires de France, 1974.
Ayant pour principe le choix, c'est-à-dire la préférence et le refus, toute anthologie est une œuvre
personnelle et, par conséquent, ambiguë. Analyser
une anthologie revient donc à analyser les goûts
et les opinions de son auteur. Les textes d'ordinaire
dispersés ou difficilement accessibles, une fois assemblés, arrivent à constituer u n ensemble nouveau, toujours utile. Mais l'absence d'autres textes, par conséquent refusés, fait naître chez le lecteur l'idée d'un
choix différent, tout aussi personnel, évidemment.
Trois chercheurs français, Jacqueline C a m b o n ,
Richard Deichet et Lucien Lefèvre, ont préparé cet
ouvrage qui a pour ambition de présenter les pédagogues français contemporains. L'anthologie qui
compte plus de 380 pages, regroupe les textes de
28 auteurs dont l'œuvre a été déterminante dans
différents domaines de l'éducation entre 1930 et 1970.
Certains d'entre eux produisent encore, d'autres
sont disparus. Parmi les textes présentés se trouvent
aussi ceux dont les auteurs appartiennent à la géné-
148
ration qui a c o m m e n c é à écrire dans les années
soixante. C'est dire que leur œuvre n'est pas achevée
et qu'ils ne font qu'ouvrir u n nouveau chapitre de la
pédagogie française. C'est ainsi que les auteurs présents dans l'anthologie appartiennent au moins à
trois générations.
Les 28 aperçus contenant des indications sur
l'auteur et précisant les critères d u choix dans ses
écrits ont été groupés dans l'ordre alphabétique des
auteurs, opération c o m m o d e pour l'éditeur peut-être
mais assurément compliquée pour le lecteur qui
cherche une orientation intellectuelle.
L'anthologie est précédée d'une introduction expliquant les principes de sélection et l'idée générale d u
livre. Les auteurs choisis sont des pédagogues dans le
sens propre d u terme : « T o u s ont enseigné ou enseignent encore, que ce soit dans u n ordre d'enseignement ou un autre, depuis le niveau préscolaire jusqu'à
l'université... Ils traitent essentiellement les problèmes
scolaires qui concernent l'enfant et l'adolescent. »
Notes et comptes rendus
L e principe de la contemporanéité des auteurs en
question ne paraît cependant pas clairement. Les
années 1930-1970 embrassent en effet plusieurs p é riodes importantes, avec la coupure de la guerre
qui pesa lourdement sur la vie intellectuelle de toute
l'Europe. L a date de 1930 ne signifie rien en ellem ê m e et n'est justifiée par aucun argument. O n
pourrait songer à une structure chronologique pour
une telle anthologie et qui serait basée soit sur les
m o m e n t s historiques d'ordre général, soit sur les
courants intellectuels dans les pays de langue française. D a n s un cas c o m m e dans l'autre une structure
de ce genre devrait être expliquée par une étude bien
plus importante qu'une simple introduction, et qui
permettrait de regrouper les auteurs selon les idées
énoncées.
Les anthologies sont d'ordinaire la lecture préférée
de gens peu spécialisés qui cherchent u n aperçu
global et une introduction dans u n certain domaine
du savoir. L e lecteur de celle-ci aura de la peine à
s'orienter dans les générations intellectuelles auxquelles appartiennent les auteurs en question, à
repérer les filiations et les interdépendances et à suivre
la genèse de leurs idées. O n aurait préféré une anthologie présentant les pédagogues français dans u n
ordre intellectuel. Les auteurs semblent être conscients de ce problème quand ils constatent dans leur
introduction que les auteurs retenus « se succèdent
par ordre alphabétique ce qui entraîne des voisinages
parfois déconcertants mais facilite la recherche pour
l'utilisateur de l'ouvrage ». M ê m e si certains pédagogues se sont en effet exprimés dans différents d o maines de la pédagogie, une répartition de leur œuvre
aurait été plus instructive qu'un ordre accidentel
dirigé par le seul alphabet.
L e second principe d u choix est le principe national, ou plutôt linguistique. O n a inclus dans l'anthologie les pédagogues de langue française, y compris,
à côté des Français, des Belges et des Suisses :
Buysé, Dottrens, Piaget, Roller parmi lesquels m a n que visiblement le n o m de Clausse. O n peut cependant se demander si la langue décide d u caractère
d'une théorie pédagogique. Toute pédagogie est faite
de l'ensemble des idées et des expériences marquées
par l'histoire et par la culture nationales, par des
événements d'ordre social et politique. Les particularités de la culture française sont généralement connues
et semblent décisives aussi bien pour la formation
proposée que pour la pratique éducative et ses conséquences. L e fonctionnement d u système scolaire
français en fournit bien des exemples. C'est dire que
l'anthologie des pédagogues français aurait p u être
plus « purement » française.
Mais, m ê m e si l'on admet le point de vue exposé
dans l'introduction — quand il s'agit des auteurs
« dont les idées animent toujours b o n n o m b r e de
mouvements éducatifs, qui ont e u x - m ê m e s vécu
les grands problèmes d'éducation à notre époque,
qui ont parfois devancé et annoncé les événements
et les bouleversements des dernières années » — o n
ne peut manquer de s'étonner de l'absence d'Edouard
Claparède, d'Ovide Decroly, d'Adolphe Ferrière,
d'Emile Jacques-Dalcroze. Les auteurs pourraient
rétorquer que ce sont là pédagogues appartenant à
une autre génération. Certes. Mais une anthologie
aussi ambitieuse aurait pu commencer par les racines,
par le grand patrimoine intellectuel qui, m ê m e brièvement évoqué, aurait mieux fait comprendre les
idées contemporaines. E n tout état de cause, les
Belges et les Suisses auraient été à leur place dans
l'ouvrage si on les avait groupés dans u n chapitre
c o m m u n consacré à leur pays d'origine.
Reste que l'essentiel de l'anthologie concerne la
pédagogie française. Elle est représentée par des
n o m s aussi prestigieux que Hubert, Berger, Freinet,
Debesse, Chateau, Mialaret qui tous ont marqué
les m o m e n t s intellectuels, ainsi que par d'autres qui
comptent davantage pour les activités pratiques visant
le renouveau d u système éducatif. L a pédagogie
française, bien que différenciée par la personnalité
et par les préoccupations des différents auteurs semble
cependant présenter quelques particularités globales
sensibles à travers les textes de l'anthologie. L a
première ressortit aux riches traditions de la psychologie française et fait en sorte que la pédagogie est
très souvent en France une psychopédagogie. D e s
auteurs c o m m e Debesse, Mialaret, Piaget, Wallon
ont reçu une formation psychologique et restent très
sensibles à cette orientation. L'autre particularité
est l'aspect pratique : Bourjade, Gros, Gai, M m e H a tinguais sont des n o m s connus surtout dans le
domaine de l'expérience et justifient l'opinion, chère
aux Français, sur l'unité de la pédagogie et de l'éducation. D a n s ce groupe d'animateurs, de « militants »
pourrait-on dire, m a n q u e le n o m de Paul Langevin
incidemment évoqué à côté de celui de Wallon.
L'esprit de la pédagogie française dépasse largement le cadre de la psychopédagogie et de l'administration. L'anthologie le signale à plusieurs reprises.
L'aspect interdisciplinaire de cette pédagogie, reconnu
dans l'introduction, demanderait à être mieux mis
en évidence par rapport à la philosophie et à la sociologie. Pour bon nombre de pédagogues français,
le n o m d'Alain par exemple est devenu presque le
symbole d u maître-formateur. L'anthologie aurait
pu lui consacrer davantage d'attention, parmi les
autres créateurs de la pensée moderne. O n sait,
d'autre part, quelle était l'influence d'un Emile
Durkheim dans le milieu éducatif. Durkheim c o m m e
Alain sont des symboles d'une certaine orientation de
149
Notes et comptes rendus
pensée, d'un modèle de la formation humaine et à ce
titre avaient leur place dans l'anthologie.
D'autres idées majeures ont vu le jour en France,
celles qui mettent l'accent sur les liens existant entre
l'éducation et la culture, l'éducation et les grands
courants de la civilisation moderne. Certes, D u m a zedier, Fourastié, Morin n'appartiennent pas à la
pédagogie dans le sens scolaire, mais notre époque
est assurément ouverte aux idées de la société éducative, l'éducation permanente et met en évidence les
particularités de la formation humaine à travers la
participation culturelle, les activités sociales et professionnelles. Ces idées naissent au cours des discussions menées par les chercheurs appartenant aux
disciplines les plus diverses et tendent à modifier
l'ancien style de pensée et la pédagogie en cessant
de l'identifier au système scolaire, m ê m e modernisé.
L'exemple de Lobrot est à cet égard caractéristique.
Mais sans que l'on sache pourquoi, ses idées restent
absentes de l'anthologie où d'autre part u n chapitre
aurait p u être consacré à la pédagogie de l'environnement, à celle de la créativité et à la pédagogie des
travailleurs. Bref, on aurait p u faire voir au lecteur
que la pédagogie française est ouverte aux grands
problèmes de la vie moderne et par là contribue à
l'élargissement de la notion de l'éducation.
Toute anthologie, disions-nous, est utile mais
aucune n'est entièrement satisfaisante. Il faut le
répéter ici pour cette anthologie des pédagogues
français. L e grand volume sur la pédagogie française, analysant tout à la fois la problématique éducative sous l'angle philosophique, sociologique, psychologique et, bien entendu, pédagogique reste encore
à élaborer.
Irène W O J N A R
Université de Varsovie
(Pologne)
Quelques publications récentes
de l'Unesco
La formation continue
des ingénieurs
C o m p t e rendu
du séminaire F E A N I - U n e s c o
Helsinki, 21-24 août 1972
(Collection « Études sur la formation
des ingénieurs », 3)
(Mixte anglais-français)
24 x 15,5 c m , 200 p . , tabl.
1974 ( I S B N 92-3-0011-41-X)
N e w trends
in integrated science teaching.
Vol. III : Education of teachers
préparé par P . E . R i c h m o n d ,
maître de conférence en éducation,
Université de Southampton (Royaume-Uni)
2 7 x 2 1 c m , 227 p . , ill., tabl.
1974 ( I S B N 92-3-101190-1)
(Disponible en anglais seulement)
30 francs
30 francs
L e séminaire, qui a donné l'occasion de rassembler le
matériel présenté dans cette étude, a passé en revue
l'état actuel et les tendances de la formation continue des ingénieurs. Il a identifié et discuté u n certain n o m b r e de problèmes c o m m u n s et fait des
recommandations pour une action future au niveau
régional et international. D e s analyses complètes de
la situation dans certains pays ont été incluses dans
l'ouvrage ; elles concernent l'Australie, l'Inde, le
Japon, l ' U R S S et les États-Unis d'Amérique. D'autre
part, elles sont complétées par des résumés de la
situation dans quinze pays européens.
150
L'ouvrage prend appui sur les résultats de la conférence d u C I U S qui s'est tenue à l'Université de
Maryland (États-Unis), d u 3 au 13 avril 1973, sur
le thème : « L a formation des maîtres pour l'enseignement intégré des sciences — L'enseignement des
sciences pour la société d'aujourd'hui ». C o m p o s é
des textes édités des documents de travail, ainsi que
d'une bibliographie exhaustive préparée à l'usage
des m e m b r e s de la conférence, le livre est divisé en
sections sur la formation des maîtres pour l'enseignement intégré des sciences ; la formation préprofessionnelle et continue ; les moyens d'améliorer les
programmes d'enseignement des sciences et d'en
évaluer les résultats ; et la relation entre sciences/
Notes et comptes rendus
formation des maîtres et les grands problèmes de la
société. Chaque section se termine par u n c o m m e n taire sur les discussions et les résultats des groupes
de travail.
Educational innovation in India
par Chitra Naik, directeur d u Département d'éducation dans l'État de Maharashtra (Inde).
Étude préparée pour le Centre asien d'innovation en
matière d'éducation et de développement (IBE :
« Experiments and Innovations in Education »,
II Asian Series).
21 x I4,s c m , 50 p .
1974 ( I S B N 92-3-101196-7)
(A paraître en français)
6 francs
Les innovations dans le système d'éducation indien,
en particulier dans l'État de Maharashtra, sont examinées en relation avec la mobilisation des ressources,
les changements de structures, l'amélioration du
curriculum, l'introduction de nouvelles techniques
et le développement de la fonction enseignante.
Nouvelles d'organisations
et de fondations internationales
L a Fondation Ford. L e Nigeria et d'autres pays de
l'Afrique de l'Ouest souffrent d'une très grave pénurie de personnel qualifié, notamment dans les
domaines liés au développement. L a Fondation a
pris récemment plusieurs mesures en vue d'y remédier.
1. L e Programme de bourses pour l'Afrique de
l'Ouest, qui a bénéficié, pour u n an, d'un crédit
supplémentaire de 250 000 dollars, a été lancé par la
Fondation en 1972 pour assurer la formation universitaire dans les domaines de l'agriculture, de l'éducation et de la recherche, de la planification et de la
gestion d u développement, de la population et de la
santé. L a Fondation a accordé u n total de 112 bourses
d'études, aux États-Unis principalement mais aussi
au Canada, en Europe et dans des instituts internationaux de recherche en matière d'agriculture aux
Philippines et au Mexique. Les bénéficiaires, qui
sont originaires d u Nigeria, du Zaïre, d u Ghana et de
nombreux pays francophones d'Afrique de l'Ouest,
sont tenus de retourner dans leur pays à la fin de
leurs études.
2. L e Nigeria met de plus en plus l'accent sur la
formation sur place, et grâce à u n crédit supplémentaire de 214 000 dollars réparti sur deux ans,
il pourra continuer à assurer à l'Institut d'administration de l'Université d'Ife u n cours de perfectionnement pour les fonctionnaires chargés de la planification économique. L e cours, qui entre dans sa
troisième année, vise essentiellement à donner à ces
fonctionnaires une connaissance pratique des pro-
blêmes d u pays et à leur inculquer les principes économiques fondamentaux de la planification, d u financement et de la gestion d u développement économique. A u cours des années soixante, la Fondation a
permis à l'Institut, en lui fournissant une aide d'un
million de dollars environ, de devenir l'un des principaux centres assurant la formation de fonctionnaires.
3. A u Zaïre, où l'accent est mis de plus en plus
sur la réforme de l'enseignement, l'Université nationale d u Zaïre vient de créer u n centre de recherches interdisciplinaires en matière de développement
de l'éducation pour mener à bien les recherches en
sciences sociales nécessaires à l'élaboration de la
politique nationale en matière d'éducation. U n e aide
de 100 000 dollars sera accordée pour la formation
des chercheurs et pour des études sur l'innovation
et le développement en matière d'éducation. E n
assurant cette formation aux maîtres diplômés de
la Faculté de pédagogie de l'université, le centre
espère réduire les besoins de formation supérieure à
l'étranger.
L a Fondation a en outre accordé récemment des
subventions pour les projets suivants :
Gouvernement d u Soudan : 83 14s dollars répartis
sur dix-huit mois pour le développement de l'enseignement des sciences et des mathématiques.
L e Centre pour les sciences et les mathématiques
de l'Université américaine de Beyrouth aidera le
Ministère de l'éducation du Soudan à améliorer
ses programmes et ses matériels pédagogiques pour
l'enseignement primaire et l'enseignement m o y e n .
151
Notes et comptes rendus
Institut national des sciences d u comportement et des
recherches sur l'opinion (Mexique) : 210 000 dollars répartis sur deux ans pour procéder à l'évaluation de Plaza Sésamo, programme de télévision
en langue espagnole destiné aux enfants et ressemblant à Sesame Street.
Fédération panaméricaine des associations d'écoles
de médecine : 113 740 dollars supplémentaires
répartis sur deux ans pour la Division de la population de cette fédération, qui apporte son concours
à l'enseignement et à la recherche en matière de
démographie, de biologie de la reproduction et de
planification familiale dans toute l'Amérique latine.
Centre d'études sociologiques d u Paraguay :
75 000 dollars supplémentaires répartis sur trois
ans pour la recherche, la formation, les publications et le développement des bibliothèques. L e
centre fait des études sur les problèmes de population, l'éducation, l'histoire sociale, les questions
politiques et socio-économiques.
Université Haïlé-Sélassié I er (Ethiopie) : 49s 000 dollars supplémentaires répartis sur deux ans pour
des travaux sur le développement rural, y compris
des travaux de recherche, des publications, des
bourses, des services de consultants, la création
d'une bibliothèque et la constitution d'un fonds
dont l'utilisation sera laissée à la discrétion d u
président.
P r o g r a m m e inter-américain de linguistique et d'enseignement des langues (Mexique) : 40 000 dollars
répartis sur deux ans pour des réunions consacrées à l'élaboration de projets de recherches
et pour la formation en matière de linguistique moderne et d'enseignement des langues dans
les pays suivants : Bolivie, Equateur, Pérou et
Mexique.
Centre international pour l'agriculture tropicale (Colombie) : 750 000 dollars supplémentaires pour u n
an. L e centre, qui est l'un des huit établissements
internationaux d'enseignement et de recherche
agricoles à recevoir une aide de la Fondation et
d'un groupe d'autres donateurs, se concentre plus
particulièrement sur la production de fourrage
pour bovins, de manioc, de féveroles, de maïs,
de riz et sur la production porcine ; 86 000 dollars
répartis sur deux ans pour aider à la mise sur pied
d'un centre de documentation sur les questions
économiques pour l'agriculture en Amérique latine.
Conseil international pour le développement de l'éducation : 400 000 dollars supplémentaires pour u n
an pour des études et une aide concernant les
stratégies de l'éducation applicables aux pays en
voie de développement et la planification et l'administration des systèmes d'enseignement supérieur dans les pays développés ; 85 000 dollars
152
répartis sur dix-huit mois pour rechercher c o m ment les universités d'Asie, d u Moyen-Orient»
d'Afrique et d'Amérique latine pourraient contribuer davantage au développement de leurs pays ;
25 000 dollars répartis sur u n an pour organiser, à
l'intention d'universitaires américains et étrangers,
u n séminaire qui doit se tenir dans le courant de
l'été à l'Aspen Institute of Humanistic Studies et
traiter de l'évolution des rapports entre l'université
et la société dans les pays développés et dans les
pays en voie de développement.
Université de Khartoum (Soudan) : 278 000 dollars
répartis sur trois ans pour la recherche et l'enseignement dans les facultés d'agriculture, de sciences
économiques et de sciences sociales, et ¡'Institute
of African and Asian Studies.
Makerere University (Ouganda) : 300 000 dollars
répartis sur deux ans pour des bourses de hautes
études en agriculture et pour financer le séjour
d'un professeur invité en économie rurale.
Consultants en Afrique de l'Ouest : 275 000 dollars
supplémentaires répartis sur deux ans pour les
services d'experts en matière d'agriculture, d e
planification et de gestion du développement, d'éducation, d'administration publique et de population.
Planification et développement de l'éducation en
Afrique orientale : 250 000 dollars supplémentaires
pour u n an pour les services d'experts et d e
consultants en matière de planification de l'université, la formation à l'étranger d'administrateurs
tanzaniens de l'éducation et des conférences et
stages d'études.
Recherche pédagogique au Brésil : 342 000 dollars
pour u n projet de deux ans administré par la
Fondation, qui permettra de continuer à financer
des bourses individuelles de recherches et des
bourses d'études supérieures à l'étranger, les services de consultants et u n comité consultatif
brésilien.
Enseignement des langues au Moyen-Orient :
265 000 dollars répartis sur dix-huit mois pour des
recherches et des expériences en matière d'enseignement de l'anglais et de l'arabe. Les fonds serviront à assurer les frais de consultants, à financer
des travaux de recherche et la formation d'enseignants arabes ainsi que des conférences.
Institut panafricain pour le développement (Genève) :
255 000 dollars supplémentaires répartis sur deux
ans pour la formation de fonctionnaires chargés d u
développement rural, de planificateurs et de m o n i teurs dans les centres de l'institut au C a m e r o u n .
U n e partie des crédits servira à financer des travaux de recherche, des publications et des bourses
ainsi qu'à aider le Centre de recherche appliquée
de l'institut.
Notes et comptes rendus
L'Agence canadienne de développement international (ACDI) a accordé récemment des subventions :
A u Conseil canadien des Églises pour fournir de l'aide
dans les domaines de l'éducation, de la santé et de
l'agriculture à la République de la Guinée-Bissau,
État nouvellement indépendant. L a première m o i tié de la s o m m e sera versée durant l'année financière 1974-1975, et la seconde en 1975-1976.
L'indépendance de la Guinée-Bissau (600 000 habitants), située sur la côte occidentale de l'Afrique, a
été reconnue par le Canada le 12 août après l'entente
intervenue entre le gouvernement portugais et le
P A I G C mettantfinau conflit armé sur ce territoire ;
A l'Université d u Botswana, Lesotho et Swaziland
( U B L S ) pour augmenter et améliorer son prog r a m m e de formation. U n e première subvention
d'un montant de 80 000 dollars servira à offrir
u n cours d'introduction aux étudiants inscrits au
diplôme postsecondaire en sciences. L e cours qui
a duré trente jours en 1973-1974 sera prolongé à
huit semaines durant les trois années subséquentes.
C e cours, ouvert à 130 étudiants, permettra de
diminuer le nombre d'échecs constatés chez les
élèves de sciences de l ' U B L S . U n e deuxième
subvention, échelonnée sur sept ans, permettra
d'octroyer des bourses de formation à 336 étudiants
répartis également entre les trois pays. Les bourses
d'une durée de quatre ans, et d'une valeur maximale de 1 000 dollars par étudiant seront réservées
aux étudiants de premier cycle dans les domaines
de l'administration, de l'économie, de l'éducation,
des mathématiques et des sciences, de l'agriculture
et de l'enseignement.
R e n c o n t r e d e la S ID (Society for International
Development). Plus de 600 experts en développement
international se sont réunis à Abidjan (Côte-d'Ivoire),
du 11 au 16 août 1974, pour discuter des dangers de
la confrontation entre les pays riches et les pays
pauvres.
L a conférence avait été organisée par la Société
internationale pour le développement, qui réunit des
experts de pays développés aussi bien que de pays
en voie de développement. Les participants ont
travaillé en ateliers sur des sujets tels que : la crise
de l'énergie ; les attitudes psychologiques face a u
développement ; le problème mondial de la population ; de nouvelles perspectives en matière de développement rural et régional ; l'éducation et la formation dans u n m o n d e changeant et interdépendant ;
la coopération géographique et sectorielle entre pays
en développement.
Banque œcuménique pour le développement.
U n e trentaine d'investisseurs ont promis plus d'un
million de dollars pour financer la création d'une
« société coopérative pour le développement » mise
en avant par le Conseil œcuménique des Églises.
E n gestation depuis u n an, ce projet de « banque
œcuménique » a été relancé par le conseil lors de la
réunion de son comité central tenue à Berlin-Ouest
du 11 au 18 août 1974.
L e but de cette nouvelle société coopérative serait
de « promouvoir la croissance économique, la justice
sociale et la possibilité de se suffire à soi-même dans
les communautés pauvres d u m o n d e , et cela en
accord avec les principes moraux et sociaux d u
Conseil œcuménique des Églises ».
I53
Notes et comptes rendus
Livres reçus
A K H U R S T , B . A . L'évaluation de l'aptitude intellectuelle.
H O N O R É , Serge. Les parents et l'école : comment colNeuchâtel (Suisse), Delachaux & Niestlé, 1973.
laborer. Paris, L e Centurion, 1974. 18 francs.
162 p . , diagr. (Version originale : Assessign intel(Parents et enfants.)
lectual ability, Londres, Teach Yourself Books,
K O U R G A N O F F , Vladimir. La face cachée de l'université.
1970.)
Paris, Presses Universitaires de France, 1972.
B E C H E L O N N I , Giovanni. Política cultúrale et regioni : 305 p . , index. 32 francs.
Intervento pubblico e sociología del campo cultúrale.
L A D D , Dwight R . Change in educational policy:
Milan, Edizioni di Communitá, 1972. 296 p .
self-studies in selected colleges and universities. N e
3 200 lires (Centro Studi della Fondazione Adriano
York, M c G r a w Hill, 1970. Vlll+231 p . , index.
Olivetti, Quaderni di studi regionali, 2.)
5,95 dollars (Carnegie Commission on Higher
B E R S E T , Augustin. Pour une orientation morale non
Education.)
directive des grands adolescents. Paris, L e Centurion, L A W L O R , John (ed.). Higher education: Patterns of
1974. 174 p . , bibliogr. 19 francs. (Éduquer auchange in the 1970s. Londres, Routledge & Kegan
jourd'hui.)
Paul, 1972. Index. 2,25 livres.
B I S S O N I E R , Henri. Quand l'amour a manqué. Paris,
O B A D I A , M.;et al. Grammaire : les chemins de l'expresÉditions Fleuras, 1974. 393 p . (Pédagogie psychosion (5). Paris, Librairie Hachette, 1974. 188 p . ,
sociale, 22.)
illus. 17 francs.
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BONS DE LIVRES DE L'UNESCO
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Revue internationale
de pédagogie
Institut de l'Unesco pour l'éducation, H a m b o u r g
Numéro spécial
Vol. XX, jV° 4,1974
LIFELONG E D U C A T I O N
A N D LEARNING STRATEGIES
edited by R . H . Dave (Unesco Institute)
and P . Lengrand (France)
Main articles:
T h e changing goals of education in the perspective of lifelong
learning (C. O . Houle)
D e l'enseignement à l'apprentissage (R. H . Dave et
P . Lengrand)
Learning styles and lifelong education (R. Wroczynski)
Media et matériels pédagogiques dans le contexte de
l'éducation permanente (F. M . de Sanctis)
Reorientation of teacher education in the framework of
lifelong education (G. Agoston and J. Nagy)
Communications:
Reinforcement in lifelong socialization and learning
(J. Shaffer)
Humanistic education for lifelong learning (H. C . Lyon)
Trends and problems in the development of recurrent
education in Sweden (J. Bengtsson)
Community colleges in the United K i n g d o m (A. K . Stock)
Book reviews and Bibliography
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Martinus Nijhoff
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La Haye
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Dans les numéros précédents
Vol. IV, n° 2, été 1974
Malcolm S. Adiseshiah L'éducation et le travail
productif en Inde
William Douglas Wall L'apport de la psychologie
de l'enfant aux sciences de l'éducation
POSITIONS/CONTROVERSES
Gérald Antoine U n e formation continue à l'usage
des professeurs d'université
Asher Deleon « Apprendre à être » : Pont-ils bien lu ?
Alain Girard L'immigration dans les pays
industrialisés
Hélène Gratiot Alphandéry U n cadre pour la
recherche
Alexandre Castanheira et Niangané Ladji D e u x
travailleurs migrants parlent...
Monica Boye-Meller Cercles d'études pour les
familles en Suède
Sitki Bilmen L'organisation de classes spéciales
expérimentales
Patricia Heffernan-Cabrera Programme d'éducation
bilingue en Californie
OUVERTURE D ' U N DOSSIER :
L'AIDE INTERNATIONALE POUR
LE DÉVELOPPEMENT
DE L'ÉDUCATION
René Maheu Crise ou mutation de l'aide
internationale ?
Tibor Mende L'aide dans son contexte
Juan Gomez Millas L'éthique du développement
John Hilliard Vers une stratégie de l'AID en
matière d'éducation
D e la crise des systèmes éducatifs
à la réorientation de l'aide (Journées d'études
de la Société internationale pour le
développement)
Lars-Olof Edström Perspectives Scandinaves
de l'aide à l'éducation
Oto Denes L a coopération pour le développement
de l'éducation : la contribution yougoslave
William J. Platt L e développement de
l'éducation et le système des Nations Unies
TENDANCES ET CAS
Jean Thomas L a rénovation de l'enseignement de la
langue maternelle en France
N. M . Mechkov Tendances actuelles de
l'enseignement supérieur en Biélorussie
Bakari Kamian Éducation et culture en Afrique.
Contribution à la révision des objectifs
d'Addis-Abeba
T E N D A N C E S ET CAS
Jean Livescu L e développement de l'université
en Roumanie
Jöran Mueller L a photocopie dans les écoles de Suède
Kenneth Robinson L a fabrication du papier
dans les écoles d u Cameroun
POSITIONS/CONTROVERSES
Darcy Ribeiro Repenser l'université en Amérique
latine
Louis Emmerij A propos d'une conférence de
l'Unesco : quels sont les liens entre
l'enseignement secondaire, la formation et
l'emploi ?
PIÈCES POUR U N DOSSIER :
PRATIQUE DE L'INNOVATION EN ÉDUCATION
Présentation
Nicolas Bodart L e développement : contrainte ou
cadre pour l'éducation
Michel Debeauvais L e succès de la notion
d'innovation — un essai d'interprétation
des textes
Uladislao Gàmez Solano, Carlos E. Oliveira Costa
Rica : Plan national de développement de
l'éducation
Budd L. Hall République-Unie de Tanzanie :
l'éducation des adultes c o m m e priorité nationale
Abderrahmane Remili Algérie : les instituts de
technologie
Anne Corbett Angleterre : un réseau national
d'institutions pour l'innovation
A P E I D : u n exemple de stratégie régionale
Sylvain Lourié Éducation et société : une
problématique d u changement
PIÈCES POUR UN DOSSIER :
où EN EST L'ÉDUCATION
DES TRAVAILLEURS MIGRANTS ?
Amadou-Mahtar
M'Bow
Problèmes et perspectives
Francis Blanchard Panorama mondial des
mouvements migratoires
T E N D A N C E S ET C A S
Martine Mauriras-Bousquet U n e technique
pédagogique d'avenir : les jeux de simulation
Norman W. Beswick D e nouveaux rôles pour
les bibliothèques scolaires en Grande-Bretagne
Jean-Pierre Clerc L a radio éducative rurale au Sénégal
Vol. IV, n° 3, automne 1974
Mikhail A. Prokofiev Vers l'enseignement
secondaire généralisé en U R S S
Victor L. Urquidi Les ressources humaines des pays
en voie de développement
Vol. I V , n° 4 , hiver 1974
Amadou Mahtar M'Bovi Message à Perspectives
Helmut Klein L a recherche psychopédagogique et
les décisions de politique éducative
Musari Al-Rawi Politique de l'éducation pour le
développement national
POSITIONS/CONTROVERSES
André Salifou Contre la balkanisation de
l'université en Afrique
Enrique Gonzales Torres et al. Quelle éducation
périscolaire ? A propos du rapport C o o m b s
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