OCCASIONAL PAPER NO. 27 ISSN 0854-9818 Feb. 2000 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin CENTER FOR INTERNATIONAL FORESTRY RESEARCH Adresse: Jalan CIFOR, Situ Gede, Sindang Barang, Bogor 16680, Indonesia Adresse postale: P.O. Box 6596 JKPWB, Jakarta 10065, Indonesia Tél.: +62 (251) 622622; Fax: +62 (251) 622100 E-mail: [email protected] Site Internet: http://www.cgiar.org/cifor Le réseau CGIAR Le groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) est une association libre de donateurs des secteurs publics et privés, créée en 1971. Il appuie un réseau de 16 instituts internationaux de recherche agricole, dont le dernier en date est le CIFOR. Les Centres CGIAR constituent un réseau mondial de recherche agricole qui met à contribution les capacités scientifiques internationales pour trouver des solutions aux problèmes des populations défavorisées du globe. CIFOR Le centre de recherche forestière internationale (CIFOR) est un institut de recherche international indépendant, dont le rôle est de mettre la science au service des forêts tropicales et des populations qui y vivent. CIFOR a été créé en 1993 par le CGIAR en réponse aux préoccupations mondiales sur les conséquences sociales, écologiques et économiques de la destruction et de la dégradation des forêts. Il agit en partenariat décentralisé avec des institutions ou des chercheurs, tant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés, avec les administrations nationales, les universités, les ONG et les instituts de recherche du secteur privé ou para-publique. La nature et la durée de ces partenariats dépendent des problèmes de recherche particuliers à traiter. Le programme de recherche est révisé périodiquement en prenant en compte les facteurs de changement et l'émergence de circonstances nouvelles. Table des matières Remerciements iii Résumé 1 1. Introduction 1 2. Hypothèses à tester 3 3. Approche méthodologique 4 4. Résultats de l’étude 6 4.1 Changements dans l’allocation des ressources entre cultures de rente et cultures vivrières 6 4.2 Changements dans la division sexuelle du travail 8 4.3 Augmentation de la commercialisation des cultures vivrières 9 4.4 Dépendance à l’égard des Produits Forestiers Non-Ligneux (PFNL) 11 4.5 Incidences sur le couvert forestier 11 5. Résumé des résultats, implications de l’étude et recherches à envisager dans le futur 13 5.1. Résumé des résultats 13 5.2. Implications de l’étude 13 5.3 Recherches pour le futur 14 Bibliographie 15 Liste des tableaux Tableau 1. Changements dans les superficies allouées au plantain et aux autres cultures vivrières en relation avec le changement des superficies de cacao, 1985-1993 et 1993-1997 8 Tableau 2. Occupation des chefs de ménage par type d’activité agricole : planteur (producteur de cacao et de café) ou cultivateur (producteur de produits vivriers) 9 Tableau 3. Division du travail entre l’homme et la femme dans 54 villages des provinces du Centre, du Sud et de l’Est (Nombre et pourcentage des 54 villages) 10 Tableau 4. Stratégie de vente des cultures vivrières 10 Tableau 5. Changements dans le défrichement des superficies allouées aux cultures vivrières et de rente selon la distance du répondant par rapport à Yaoundé 12 Liste des figures Figure 1. Figure 2. Figure 3. Figure 4. Figure 5. Carte des 54 villages étudiés dans la zone forestière humide du Cameroun 4 Changement des superficies allouées aux différentes cultures ; comparaison entre 1985 et 1993 et entre 1993 et 1997 6 Changement de la production des différentes cultures entre 1985 et 1993 et entre 1993 et 1997 7 Changement des revenus de la vente des différentes cultures entre 1985 et 1993 et entre 1993 et 1997 8 Comparaison des occupations des chefs de ménage entre 1974-1975 et 1997-1998 9 Remerciements Le centre de recherche forestière internationale (CIFOR) remercie le département pour le développement international (DFID) de la Grande Bretagne pour son soutien financier pendant la période allant d’avril 1997 à mars 1999. Le CIFOR a également bénéficié du support financier du programme régional de l’Afrique Centrale pour l’environnement (CARPE), projet administré par le programme d’appui à la biodiversité (BSP) de janvier 1998 à mars 1999. Le BSP est un consortium financé par l’agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID). Les auteurs remercient Awono Abdon, Ndongo Leopold, Ngo Yegba Noel Solange, Anong Ayangma, Ndje-Toue Paul, Awono Patrice et Owona Henri pour la collecte et la saisie des données de l’enquête. Les auteurs remercient également Chimère Diaw, Sandrine Dury et Jim Gockowski pour leurs précieux commentaires. Les idées exprimées dans ce rapport n’engagent que les auteurs. . L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Henriette Bikié*, Ousseynou Ndoye** et William D. Sunderlin*** Résumé Une étude basée sur un échantillon aléatoire de 648 ménages a été effectuée en 1998 dans 54 villages de la zone forestière humide du Cameroun. L’étude avait pour objectif majeur de mieux comprendre les effets de la crise économique qui a débuté en 1986, et la dévaluation du Franc CFA survenue en janvier 1994, sur les pratiques agricoles des petits paysans et les effets de ces pratiques sur les changements du couvert forestier. Quatre hypothèses ont été testées concernant : l’équilibre entre la production des cultures de rente et les cultures vivrières ; le degré de commercialisation de production vivrière ; la division sexuelle du travail ; et le degré de dépendance des populations rurales vis-à-vis des produits forestiers non-ligneux. Les résultats de l’étude ont montré que : (1) les superficies allouées à la production du cacao ont stagné alors que les superficies allouées au café, au plantain et aux autres cultures vivrières ont augmenté ; (2) les cultures vivrières sont beaucoup plus commercialisées que par le passé ; (3) les hommes sont beaucoup plus impliqués dans la production des cultures vivrières comparé au passé ; (4) un plus grand nombre de ménages collectent les produits forestiers non-ligneux comparativement au passé ; et (5) plusieurs de ces changements se sont traduits en général par une augmentation des défrichements par les petits agriculteurs. L’étude conclut que la crise économique et les politiques macro-économiques peuvent avoir des effets significatifs et inattendus sur l’utilisation des terres et des ressources de la forêt. Les politiques ayant pour objectifs la conservation et la gestion des forêts doivent tenir compte des effets de la crise économique et des politiques macro-économiques. 1. Introduction Au Cameroun la déforestation et les problèmes auxquels elle est liée ont fait l’objet de beaucoup de recherche au cours de ces dernières années. Il a été estimé que le taux annuel de déforestation varie entre 0,5 et 1,2 pour cent (Schmidt 1990 ; Myers 1991 cités par Van Soest 1996). En termes absolus, les estimations de la déforestation annuelle varient entre 80.000 et 200.000 hectares (voir Ndoye et Kaimowitz 1998 : 39). Le taux annuel de déforestation au Cameroun (estimé comme pourcentage du total) est parmi les plus élevés des pays de l’Afrique Centrale (FAO 1997 : 186). Ceci devrait être apprécié au vu du fait que la forêt camerounaise possède une faune qui est parmi les plus riches et les plus diversifiées d’Afrique au Sud du Sahara (Tchoungui et al. 1995 : 1314). Le Cameroun est classé au deuxième rang en Afrique de l’Ouest et Centrale après la République Démocratique du Congo (ex-Zaire) en terme de richesse de biodiversité végétale (Okigbo 1994). Une déforestation aurait ainsi des conséquences négatives sur la biodiversité animale et végétale de la forêt camerounaise. Comme indiqué dans un rapport de la FAO (1993, p. 14), les produits alimentaires issus de la forêt sont une assurance contre la malnutrition ou la famine pendant les périodes de pénurie alimentaire saisonnière. Une perte importante du couvert forestier supprimerait ces opportunités pour les populations rurales. Parmi les causes de la déforestation et la dégradation des forêts en Afrique, on peut noter l’augmentation du taux de croissance de la population (WRI 1993 : 2 ; CIRAD, 1993 : 61 ; FAO 1996 : xv), l’agriculture itinérante sur brûlis (Coulter 1992 : 38 ; UNEP 1997 : 28), l’exploitation forestière (BSP 1993 : 37), la construction des chemins (ATIBT/FAO 1999), et la collecte du bois de feu (Cleaver et Schreiber 1994 : 61). Plusieurs auteurs ont identifié ces mêmes causes pour le Cameroun. On peut citer Toornstra et al. (1994 : 3) pour la croissance du taux de la population, Amelung et Diehl (1992 : 118) et Tchoungui et al. (1995 : 91) pour l’agriculture itinérante sur brûlis, Amelung et Diehl (1992 : 25) et Thiel et * Coordinatrice pour le Cameroun du programme Global Forest Watch, World Resources Institute, s/c WWF, BP 6776 Yaoundé, Cameroun. Tél : (237) 219710. ** Center for International Forestry Research (CIFOR), IITA Humid Forest Station, B.P. 2008 (Messa) Yaoundé, Cameroun. E-mail : [email protected] *** Center for International Forestry Research (CIFOR), P.O. Box 6596, JKPWB, Jakarta 10065, Indonésie. Tél : +62 (251) 622.622. Fax : +62 (251) 622.100. E-mail : [email protected] 2 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Wiebelt (1994 : 163) pour l’exploitation forestière, Mamingi et al. (1996) pour la construction des routes, et (Demenou 1996 : 5) pour la collecte du bois de feu. De plus, les plantations agro-industrielles jouent un rôle important dans la conversion des forêts dans les provinces du Centre, du Sud-Ouest, et du Littoral. Ce rapport examine le rôle des petits agriculteurs dans les changements du couvert forestier de la zone forestière humide du Cameroun, ce dans le contexte de la crise économique sans précédent qui a frappé le Cameroun en 1986 et des politiques qui ont été adoptées par la suite pour sortir le pays de la crise. Entre 1960 et 1978, l’agriculture a été le pilier de l’économie camerounaise, avec un taux de croissance annuel du Produit Intérieur Brut (PIB) de 4,8 % en terme réel au cours de cette période (Ntangsi 1991 : 1). Après la découverte du pétrole en 1978, le taux de croissance du PIB progressait fortement, se maintenant à un taux moyen annuel de 8,2 % jusqu’à la fin du boom pétrolier en 1986 (Ntangsi 1991 : 1). En 1986, le Cameroun plonge dans le marasme économique, à la suite d’une combinaison de facteurs externes et internes (Amin 1996 : 3). Les facteurs externes sont la dépréciation du dollar et la chute brutale des cours du cacao, du café et du pétrole sur le marché international. Quant aux causes internes de la crise, elles sont largement tributaires de la mauvaise gestion du secteur public (Ntangsi 1991 : 1 ; Jua 1991 : 162). En 1989, le Cameroun adopte les politiques d’ajustement structurel (PAS) sous l’incitation de la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International pour résorber les causes externes et internes de la crise économique. Au début des années 1990, il y a eu un accroissement des migrations de retour des villes vers les campagnes à cause de l’augmentation de la pauvreté dans les zones urbaines (Sunderlin et Pokam 1998). Entre 1990 et 1993, le gouvernement du Cameroun réduit sensiblement puis élimine les subventions accordées pour les intrants, et supprime la SODECAO1 dont les objectifs étaient de promouvoir le développement de la culture du cacao : régénération des plantations, octroi de plants sé1ectionnés, encadrement technique des producteurs. Les activités menées par la dite structure étaient généralement bénéfiques aux populations rurales. Le Franc CFA est dévalué de 50 % en janvier 1994 pour restaurer le niveau de compétitivité des pays africains ayant le CFA comme monnaie commune. La dévaluation a comme conséquence l’augmentation de la compétitivité du cacao et du café.2 Les recherches menées récemment en utilisant les séries temporelles des images par satellite montrent que le taux annuel de déforestation nette3 dans la zone forestière humide du Cameroun a beaucoup augmenté dans la décennie après la crise comparativement à la période avant celle-ci. Sur une superficie de 42.000 ha dans la zone périurbaine de Yaoundé, Laporte (1999) a trouvé que les superficies agricoles ont doublé au cours de la période 1987-1995 comparée à celle de 1973-1988. Sur une superficie de 110.000 ha à Bertoua dans la province de l’Est, Mertens et Lambin (1999) ont trouvé que le taux annuel de déforestation nette a doublé au cours de la période 1986-1996 comparée à celle de 1973-1986. Sur une superficie de 70.000 ha dans la zone de Ndélélé dans la province de l’Est, à la frontière entre le Cameroun et la République Centre Africaine (RCA), Mertens et al. (1999) ont trouvé que le taux annuel de déforestation nette a augmenté de plus de quatre fois au cours de la période 1986-1996 comparée à celle de 1973-1986.4 Tout en reconnaissant que les pratiques agricoles des petits agriculteurs jouent un rôle important dans la déforestation au Cameroun, l’objectif de ce projet de recherche était de comprendre les changements survenus au moment de la crise qui pouvaient expliquer l’augmentation aussi notoire de la déforestation nette. Nous avons émis l’hypothèse que les effets des pratiques agricoles des petits agriculteurs sur le couvert forestier pouvaient être perçus grâce aux éléments spécifiques de leurs systèmes de production à savoir : la division sexuelle du travail ; les quantités de produits vendues ; et l’exploitation des PFNL. Dans la mesure où la déforestation est perçue comme un phénomène néfaste par les autorités camerounaises, ce type de recherche pourrait leur apporter des éléments utiles leur permettant de résoudre ce problème. 1 La SODECAO (Société de Développement du Cacao) était une institution étatique. 2 Depuis la dévaluation, il y a eu une amélioration de la situation économique au Cameroun, mais on parle toujours – à tort ou à raison – d’un pays en état de crise. 3 Nous avons défini "la déforestation nette" comme la différence entre "la déforestation brute" (c’est-à-dire toute la superficie de forêt défrichée) et les superficies en jachère qui sont retournées à la forêt secondaire. Nous reconnaissons qu’une portion de forêt défrichée par les petits agriculteurs peut retourner éventuellement à la forêt secondaire. La déforestation nette augmente dans la mesure où la pression démographique, les systèmes de production et l’exploitation forestière (parmi les causes possibles) ne permettent pas le retour à la forêt secondaire. 4 Nous croyons que l’augmentation "additionnelle" de la déforestation nette dans la zone de Ndélélé (augmentation par un facteur de plus de quatre fois au lieu de deux) s’explique par le fait que cette zone de la province de l’Est a connu des taux d’immigration élevés à cause de sa faible densité de population et ses grandes superficies encore inexploitées. Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin Le thème des effets de la crise économique sur les systèmes de production et les effets de ces systèmes sur l’évolution du couvert forestier au Cameroun est important. Cependant à ce jour très peu de recherches leur ont été consacrées. Les quelques rares études qui ont été effectuées sur le sujet ont montré que la crise économique et la dévaluation ont augmenté le taux de déforestation causé par l’agriculture et l’exploitation forestière (Ndoye et Kaimowitz 1998). Sunderlin et Pokam (1998) soutiennent que la crise économique et la dévaluation ont augmenté le rythme des migrations de retour, ont introduit des changements dans l’utilisation des terres et ont augmenté le taux de déforestation causé par l’agriculture. L’objectif principal de ce rapport est d’approfondir nos connaissances sur la relation entre les phénomènes macroéconomiques, les systèmes de production, et les changements du couvert forestier par le biais des enquêtes menées dans 54 villages dans les provinces du Centre, du Sud, et de l’Est du Cameroun. Le document est subdivisé en 5 sections comprenant l’introduction, les hypothèses de l’étude, la méthodologie, et les résultats de l’étude. La dernière section présente un résumé des résultats, examine leurs implications, et fait des propositions pour des recherches à mener dans le futur. 2. Hypothèses à tester L’étude se propose de tester les hypothèses suivantes : (1) Depuis la crise économique en 1986, le cacao et le café ont stagné, surtout en terme de superficie. Les agriculteurs ont comblé ce manque à gagner en augmentant la production des cultures vivrières, plus particulièrement à travers le plantain, qui est habituellement cultivé dans les champs de forêt (essep). Cette hypothèse décrit une stratégie d’adaptation à la crise économique par la diversification des revenus des planteurs et le changement de l’allocation des ressources (terre, travail) dans les systèmes de production. Les résultats de plusieurs études permettent de justifier les fondements de cette hypothèse de façon préliminaire. Utilisant un modèle de simulation basé sur un échantillon de 4.906 ménages enquêtés de 1984 à 1989, Gockowski (1997) a estimé une augmentation de 3.600 hectares des superficies cultivées en plantain dans les provinces du Centre et du Sud suite à la baisse des prix du cacao survenue en 1989. Sieffert et Truong (sans date : 7) lient l’intérêt accru des chefs de ménage et des jeunes agriculteurs pour les cultures vivrières, ainsi que leur tendance “à créer de grandes plantations de bananier plantain de près d’un hectare sur les terres vierges de forêt,” aux problèmes qui affectent les cultures d’exportation à partir de 1988. Selon Temple et Achard CIFOR Occasional Paper No. 27 3 (1995 : 5), 63 pour cent des champs de plantain de la province du Sud-Ouest seraient établis après avoir défriché la forêt. Une enquête de 60 planteurs révèle qu’avant 1989, 83 pour cent d’entre eux accordaient une priorité à la culture du café, par contre en 1992, 65 pour cent des mêmes planteurs accordaient une priorité aux cultures vivrières et maraîchères (Tchouamo 1994 : 346). Cette hypothèse scinde le concept de produits vivriers entre “plantain” et "autres cultures vivrières" à cause de l’importance exceptionnelle du plantain dans les thèmes majeurs abordés par l’étude. Le plantain est un produit vivrier prisé dans la zone forestière humide du Cameroun. Il est important en terme de production et de consommation et il a tendance à être cultivé dans les superficies nouvellement défrichées. (2) Suite à la chute des prix du cacao et du café, la division sexuelle du travail au sein des ménages est modifiée de façon significative au profit d’une implication accrue des hommes dans les cultures vivrières. Cette hypothèse est basée surtout sur des observations de terrain. Par exemple, selon Tchouamo (1994 : 349) l’homme s’est engagé de plus en plus dans les cultures vivrières remettant ainsi en cause l’ancienne division sexuelle des tâches, spécialisant les femmes dans les cultures vivrières et le petit élevage, et les hommes dans les cultures de rente. Mais en général, la littérature décrivant la division du travail dans les systèmes de production au Cameroun pendant la période de la crise économique ne nous aide que de façon limitée à comprendre ce possible changement. Cette littérature nous donne des aperçus sur la situation pendant la crise, mais pas auparavant. Par exemple, soixante-dix pour cent des hommes enquêtés en 1996 dans le village de Nkométou classent la production vivrière et maraîchère destinée à la vente comme principale activité (Endama et Sonwa 1998 : 29). Ngala (1997 : 128) montre que les revenus provenant de la vente des produits vivriers par les hommes dans trois villages de la province du Centre Cameroun représentaient 35 pour cent, alors que les revenus procurés par la vente du cacao et du café représentaient 14 et 15 pour cent respectivement. (3) La production des cultures vivrières est beaucoup plus orientée vers le marché (c’est-à-dire est plus commercialisée). Comme les hypothèses antérieures, celle-ci découle également de la littérature. On suppose que l’augmentation de la commercialisation de produits vivriers a été faite pour pallier à la baisse de revenus du 4 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun cacao et du café. Selon Tiayon (1998 : 4), les produits vivriers sont de plus en plus commercialisés par les ménages ruraux. En outre, selon Sieffert et Truong (sans date : 10), les revenus issus des cultures vivrières couvrent une grande partie des dépenses des ménages, surtout depuis la baisse drastique des revenus des cultures d’exportation. Dans le village de Nkometou, CentreCameroun, les cultures vivrières fournissent 49 pour cent des revenus en 1996, alors que le cacao et les fruitiers ne contribuent qu’à 17 pour cent des revenus des ménages (Endama et Sonwa 1998 : 28). Une enquête de 183 ménages produisant du café robusta dans les provinces du Littoral et de l’Est révèle que le pourcentage du revenu provenant de la vente des produits vivriers a augmenté de 1 pour cent en 1987 à 28 pour cent en 1992 (Fadani 1993 : 26). Dans une enquête menée dans trois villages de la province du Centre-Cameroun, Ngala (1997 : 132) montre que 41 pour cent des revenus des ménages proviennent de la vente des cultures vivrières contre 23 pour cent seulement pour le cacao et le café réunis. (4) A cause de la crise économique, les populations rurales exploitent plus les Produits Forestiers NonLigneux (PFNL) que par le passé. Cette hypothèse découle de la tendance des ménages ruraux et urbains à diversifier leurs revenus suite à la crise économique, à substituer les produits pharmaceutiques par les plantes médicinales, la bière et le whisky par le vin de palme et le whisky local. Selon Ndoye et al. (1998a), la dévaluation du Franc CFA a augmenté le prix de la bière et du whisky et a renchéri la demande du vin de palme et du whisky local. La dévaluation du Franc CFA a également augmenté les prix des produits pharmaceutiques, ce qui a provoqué un engouement marqué des populations pour les plantes médicinales. 3. Approche méthodologique Les quatre hypothèses de l’étude ont été testées à travers une enquête menée en 1998 auprès de 648 ménages choisis au hasard dans 54 villages de la province du Centre, du Sud et de l’Est du Cameroun (figure 1). Les enquêtes ont été menées pendant la période allant de mars à mai 1998. Les données de l’enquête ont été obtenues à l’aide d’un questionnaire soumis aux deux conjoints et, dans le cas échéant, au chef de famille célibataire, veuf/ veuve, ou divorcé/divorcée des ménages sélectionnés. L’échantillonnage en entonnoir a été effectué de la manière suivante. Dans chacun des 10 départements de la province du Centre, dans chacun des 4 départements de la province du Sud et dans chacun des 4 départements Figure 1. Carte des 54 villages étudiés dans la zone forestière humide du Cameroun. é é É Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin de la province de l’Est, trois arrondissements ont été choisis au hasard. Dans chaque arrondissement, un village a été choisi au hasard, soit au total 54 villages répartis comme suit : 30 villages sont situés dans la province du Centre, 12 villages dans la province du Sud et 12 villages dans la province de l’Est. Dans chaque village, douze ménages ont été choisis au hasard , soit au total 648 ménages enquêtés. Une des faiblesses de l’échantillonnage utilisé est qu’il n’a pu inclure que 3 provinces parmi les 5 que compte la zone forestière humide du Cameroun. Nous nous sommes limités aux 3 provinces du Centre, du Sud et de l’Est à cause des contraintes de temps, et de ressources financières. Cependant il faudrait noter que les provinces du Centre, du Sud et de l’Est couvrent approximativement 78 pour cent des forêts de production, des réserves forestières et des forêts de protection de la zone forestière humide du Cameroun (Gartlan 1989 : 31-32) et 54 pour cent de la population totale des 5 provinces (Pokam 1997 : 36). Le questionnaire posait des questions sur : les caractéristiques socio-économiques du ménage ; les types d’intrants utilisés ; et les changements dans le temps des superficies cultivées, de la production agricole, des revenus, et le degré de commercialisation du cacao, du café, du plantain et des autres cultures vivrières. Il a aussi été question : des changements dans le temps des niches écologiques où le plantain est récolté ; des superficies de forêt défrichées en 1996 et en 1997 estimées selon le nombre de champs créés ou agrandis, l’utilisation ou non de la tronçonneuse et le lieu de défrichement (forêt primaire ou forêt secondaire) ; les changements de la durée des jachères ; et les changements dans l’accès aux PFNL. En ce qui concerne ces derniers, le questionnaire portait également sur les niches, les quantités collectées et consommées, et les revenus tirés des différents types de PFNL. CIFOR Occasional Paper No. 27 5 (Garcinia kola) et n’incluent pas les espèces animales, la viande boucanée et le bois de feu5 . La partie du questionnaire portant sur les changements dans le temps a mis l’accent sur trois années particulières : 1985, année qui précède le début de la crise économique ; 1993, année qui précède la dévaluation du Franc CFA ; 1997, trois années après la dévaluation et une année avant l’enquête. Les informations obtenues pour chacune de ces années ont constitué la base sur laquelle nous avons mesuré l’ampleur des phénomènes macro-économiques en considérant les intervalles entre ces années. Notre méthodologie de recherche dépendait étroitement de la capacité des répondants à se rappeler du passé. Bien que cette méthode ait des insuffisances, nous avons été très satisfaits de cette approche en raison des considérations suivantes. D’abord, nous étions sûrs de poser des questions assez générales dont il serait facile de se rappeler. Par exemple, nous avons demandé si la superficie allouée à une culture donnée était plus grande, la même, ou plus petite en 1997 qu’en 1993 ; nous n’avons pas demandé aux répondants de spécifier les superficies concernées pour ces deux années. Ensuite, conscients que les questions générales faisant appel à la mémoire des répondants ne peuvent pas toujours avoir de réponse, nous avons introduit la modalité “répondant ne connaît pas.” Cette modalité a été utilisée dans les cas où le répondant disait qu’il ne connaissait pas la réponse ou dans le cas où l’enquêteur se rendait compte que le répondant n’était pas sûr et de ce fait a imaginé la réponse donnée. Outre ce questionnaire, nous avons eu recours également à un questionnaire qualitatif destiné à chacun des 54 villages. Ce questionnaire avait pour objectif d’appréhender le degré de changement dans la division sexuelle des responsabilités liées à diverses cultures (cacao, café, plantain, autres cultures vivrières) entre 1985, 1993 et 1997. Les villageois devaient arriver à un consensus pour donner une réponse reflétant le point de vue du village. Dans l’enquête qualitative, l’unité d’observation était le village et non plus le ménage. Dans notre analyse, nous avons incorporé la variable “distance par rapport à Yaoundé” pour classifier les 54 villages en trois blocs : (1) les villages qui sont dans les départements les plus proches de Yaoundé (Lékié, Mfoundi, Mefou-et-Afamba, Mefou-et-Akono) ont été classifiés comme étant “proches de Yaoundé” ; (2) les villages qui sont dans les départements du Mbam-etInoubou, du Mbam-et-Kim, de la Haute Sanaga, du Nyong et Mfoumou, du Nyong et So, du Nyong et Kelle dans la province du Centre et dans les départements du Dja-et-Lobo, de la Mvila, de l’Océan, et de la Vallée du Ntem dans la province du Sud, ont été classifiés comme étant à “moyenne distance par rapport à Yaoundé” ; (3) les villages situés dans les départements de Boumba-etNgoko, du Haut-Nyong, de la Kadey et du Lom-et- Dans notre étude, les PFNL sont constitués des espèces végétales comme les fruits et les amandes de mangue sauvage (Irvingia gabonensis), le njansang (Ricinodendron heudelotii), la noix de cola (Cola acuminata), le safoutier (Dacryodes edulis), l’okok (Gnetum africanum), le vin de palme (sève de Elaeis guineensis), et la cola amère 5 Nous nous sommes limités à ces PFNL à cause de la longueur du questionnaire et la peur de déranger davantage les répondants, ce qui pourrait avoir une incidence sur la fiabilité des réponses obtenues. Les espèces végétales considérées dans l’étude sont les plus importantes dans la zone forestière humide du Cameroun du point de vue de la commercialisation et la consommation. L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Djerem dans la province de l’Est ont été classifiés comme étant “éloignés de Yaoundé”. Cette variable distance est très importante car elle nous permet de distinguer les effets liés à la forte densité de la population, aux possibilités plus grandes de commercialisation, à la rareté des terres agricoles, et à la diminution du couvert forestier au fur et à mesure que l’on se rapproche de Yaoundé. Dans ce document nous faisons une distinction conceptuelle entre “le défrichage de la forêt”(ou “abattage de la forêt”) et “la déforestation”. “Le défrichage de la forêt” se réfère à la forêt abattue dans une période de temps donnée. Ce concept n’est pas similaire à celui de “déforestation,” qui implique une diminution permanente du couvert forestier. Une partie de la forêt défrichée par les paysans retourne le plus souvent à la forêt secondaire après plusieurs années de jachère. La déforestation “nette” doit donc tenir compte des superficies de forêt défrichées, soustraction faite des superficies en jachère qui sont retournées à la forêt secondaire. Figure 2. Changement des superficies allouées aux différentes cultures ; comparaison entre 1985 et 1993 et entre 1993 et 1997. A. La superficie en 1993 de votre cacao / café / plantain / autres cultures était-elle plus grande / la même / plus petite qu'en 1985 ? 70 Pourcentage de ménages 6 58,9% 60 57,2% 53,2% 50 39,5% 40 34,1% 30 32,2% 32,1% 28,6% 26,4% 20 14,6% 14,2% 8,9% 10 0 Cacao Café Plantain La même Plus grande Autres c.v Plus petite B. La superficie en 1997 de votre cacao / café / plantain / autres cultures vivrières était-elle plus grande / la même / plus petite qu'en 1993 ? 70 63,4% 57,3% 60 48,8% 50 42,4% 40 30 41,7% 34% 33,4% 26,4% 24,2% 20 9,5% 10 10,2% 8,7% 0 Cacao Café Plus grande Plantain La même Autres c.v Plus petite 4. Résultats de l’étude Dans cette partie nous présentons les résultats de l’étude selon la séquence des quatre hypothèses de recherche énumérées dans la partie 2. La cinquième partie discute les implications des résultats de recherche sur les changements du couvert forestier. 4.1 Changements dans l’allocation des ressources entre cultures de rente et cultures vivrières La première hypothèse stipule que depuis la crise économique en 1986, le cacao et le café ont stagné surtout en terme de superficie. Les agriculteurs ont comblé ce manque à gagner en augmentant la production des cultures vivrières, plus particulièrement à travers le plantain, qui est habituellement cultivé dans les champs de forêt (essep). Les questions posées aux ménages interviewés avaient pour but de savoir si les superficies allouées au cacao, au café, au plantain et aux autres cultures vivrières étaient plus grandes, les mêmes, ou plus petites en 1985 par rapport à 1993 d’une part, et en 1993 par rapport à 1997 d’autre part.6 Les résultats obtenus montrent une tendance à l’accroissement des superficies allouées aux différentes cultures mais avec des différences importantes entre les cultures et entre les périodes observées (figure 2). D’une manière générale, notre hypothèse est vérifiée par les résultats obtenus, mais avec une exception importante. En effet, la superficie du cacao et du café ne change pas pour à peu près la moitié des ménages produisant ces cultures. En comparant l’augmentation et la diminution de la superficie du cacao dans une période donnée, on constate que la superficie du cacao augmente légèrement. La superficie des cultures vivrières (y compris le plantain et les autres cultures vivrières) augmente dans plus de la moitié des ménages produisant ces cultures. L’exception à notre hypothèse est que en dépit de la stabilité de la superficie du café pour la plupart des producteurs de cette culture, celle-ce a nettement augmenté et de façon très prononcée pendant les deux périodes. Cependant, l’effet de cette croissance sur le couvert forestier est peut-être négligeable car les producteurs de café ne sont pas nombreux (26 % des ménages). Les paragraphes suivants discutent avec plus de détails les résultats. La figure 2 montre que les superficies de cacao et de café sont restées inchangées au cours des deux périodes 6 En posant cette question nous étions conscients du fait que fréquemment ces cultures ne sont pas séparées. Par exemple, le plantain et le cacao sont souvent plantés en association, le plantain produisant au début, le cacao par la suite. Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin CIFOR Occasional Paper No. 27 7 La baisse de la production des cultures de rente est peutêtre causée en partie par l’incapacité des planteurs à maintenir l’utilisation des intrants qui leur permettaient d’intensifier la production du cacao et du café, suite au désengagement de l’État. On peut noter que le pourcentage des ménages utilisant les fongicides est passé de 71,4 % en 1985 à 64,7 % en 1993 et a atteint 54,3 % en 1997. Le pourcentage des ménages ayant utilisé les insecticides est passé de 33,7 % en 1985, à 18,5 % en 1993, et à 13,8 % en 1997. Le pourcentage des ménages ayant utilisé les engrais chimiques est passé de 5,8 % en 1985 et 1993, à 5,9 % en 1997. observées (c’est-à-dire 1985-1993 et 1993-1997) pour près de la moitié des ménages de l’échantillon. Par contre les superficies allouées au plantain et aux autres cultures vivrières ont été volatiles au lieu d’être stables. Les superficies allouées à ces cultures sont restées inchangées pour 10 à 15 pour cent des ménages seulement et il y a aussi une tendance à la fois à l’augmentation et à la baisse des superficies allouées à ces cultures. Cependant la tendance à l’augmentation est le phénomène le plus dominant avec deux fois plus de ménages ayant augmenté leurs superficies comparés à ceux qui les ont réduites. La tendance à l’augmentation des superficies est plus élevée au cours de la période 1993-1997 par rapport à 1985-1993. Pour ce qui est des revenus issus de la commercialisation du café et du cacao, les résultats de l’étude montrent une discontinuité frappante avec les données sur le volume de la production. Près de 70 % des ménages produisant du cacao ou du café ont indiqué une baisse des revenus issus de ces spéculations entre 1985 et 1993 (figure 4A). La baisse de ces revenus est à mettre en parallèle avec la baisse de la production. Cependant au cours de la période suivante (1993-1997), le nombre de répondants indiquant une hausse de leurs revenus est proportionnellement beaucoup plus élevé que pour ce qui est de la production (figures 3A et 3B). Le rapport entre production et revenus, pour le cacao et le café, est presque du simple au double pour la période 1993-1997 (figure 4B). Il est Figure 3. Changement de la production des différentes cultures entre 1985 et 1993 et entre 1993 et 1997. vrai que récemment la production des cultures de rente a été affectée par A. La production en 1993 de votre cacao / café / plantain / autres cultures l’absence d’intrants, et peut-être par le vivrières était-elle plus grande / la même / plus petite qu'en 1985 ? 60 56,1 manque de main d’œuvre lié à 55,3 54,1 49,8 50 l’engouement marqué à l’égard des 41,2 40,4 cultures vivrières, mais cela n’a pas 36,8 40 33,5 empêché les revenus des cultures de 30 rente d’augmenter grâce à l’existence 20 de prix rémunérateurs. 11,2 L’évolution de la production des quatre cultures est plus ou moins ce à quoi on s’attendait si l’on tient compte de la stabilité des superficies de cacao et de café pour la moitié des producteurs de ces deux cultures, et la volatilité et le dynamisme de la superficie du plantain et des autres cultures vivrières. Au cours des deux périodes, la proportion des ménages dont la production (de cacao et de café) a diminué est supérieure à celle dont la production a augmenté (figure 3). Par contre pour le plantain et les autres cultures vivrières, la production a augmenté au cours des deux périodes. 10 9 7,1 0 5,5 Cacao Café Plantain Plus grande Autres c.v Plus petite La même B. La production en 1997 de votre cacao / café / plantain / autres cultures vivrières était-elle plus grande / la même / plus petite qu'en 1993 ? 70 60% 60 52% 49,4% 50 49,7% 42,9% 40 38,8% 35,6% 33% 30 20 10 0 15% 9,2% 7,4% Cacao Café Plus grande 7% Plantain La même Plus petite Les revenus issus de la vente du cacao et du café ont en effet stagné pendant la période de 1985 à 1993, mais ils ont augmenté pendant la période suivant la dévaluation (1994-1997) (figure 4). Le contraste entre l’évolution des superficies et des revenus durant ces deux périodes semble indiquer que, bien qu’une partie des planteurs ait réduit ou arrêté la récolte du cacao et du café suite à la baisse de moitié des prix au producteur, l’espoir d’une amélioration des prix de ces produits dans le futur les aurait peut-être amenés à maintenir leurs plantations. Autres c.v Toujours dans l’esprit de cette hypothèse, des tests statistiques 8 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Figure 4. Changement des revenus de la vente des différentes cultures entre 1985 et 1993 et entre 1993 et 1997. A. Les revenus en 1993 de la vente du cacao / café / autres cultures vivrières (y compris le plantain) était-elle plus grande / la même / plus petite qu'en 1985 ? 80 71,9% 69,4% 70 60 48,2% 50 35,8% 40 30 27,8% 24,2% 16% 20 10 3,9% 2,8% Cacao Café 0 Autres c.v La même Plus grande Plus petite B. Les revenus en 1997 de la vente du cacao / café / autres cultures vivrières (y compris le plantain) était-elle plus grande / la même / plus petite qu'en 1993 ? 80 70 68,6% 60,5% 58,5% 60 50 40 30 28,5% 28,7% 24,6% 20 10 6.8% 10,8% 13% Café Autres c.v l’augmentation des superficies des cultures vivrières était plus forte au cours de la période 1993-1997 par rapport à celle de 1985-1993. Cependant il y a lieu de souligner que contrairement à ce que l’hypothèse pourrait insinuer, il n’y a pas de relation inverse entre les superficies de cacao et des cultures vivrières. Les superficies des cultures vivrières ont eu tendance à augmenter dans les ménages où les superficies de cacao ont augmenté ; les superficies des cultures vivrières ont également eu tendance à diminuer dans les ménages où les superficies de cacao ont diminué (tableau 1). Cela ne contredit en aucun cas l’argument selon lequel avec la stagnation des revenus des cultures de rente (cacao, café), les agriculteurs ont comblé le manque à gagner en augmentant la production des cultures vivrières. Dans les cas où les agriculteurs ont augmenté à la fois les superficies des cultures de rente et des cultures vivrières, il est fort probable que l’augmentation des cultures vivrières a été faite pour réduire le risque d’une instabilité future des prix du cacao et du café. 0 Cacao Plus grande La même Plus petite (méthodes des scores) ont montré qu’en moyenne, les ménages pour lesquels les superficies de cacao sont restées inchangées pendant la crise économique étaient ceux dont les superficies de plantain et des autres cultures vivrières avaient augmenté ou étaient restées inchangées (tableau 1). Et pour ces ménages, la tendance à Tableau 1. Changements dans les superficies allouées au plantain et aux autres cultures vivrières en relation avec le changement des superficies de cacao, 1985-1993 et 1993-1997. Superficie de cacao Superficie du plantain Score Nombre de cas 1993 comparée à celle de 1985 Ayant augmenté 2,49 2,09 Étant restée la même 1,88 Ayant diminué Superficie des autres cultures vivrières Score Nombre de cas 126 137 98 2,54 2,17 1,98 127 143 98 150 188 104 2,52 2,33 1,99 148 191 110 1997 comparée à celle de 1993 Ayant augmenté Étant restée la même Ayant diminué 2,34 2,22 1,77 L’échelle des valeurs attribuées à chaque ménage : 3 = la superficie du plantain ou autres cultures vivrières a augmenté. 2 = la superficie du plantain ou autres cultures vivrières a stagné. 1 = la superficie du plantain ou autres cultures vivrières a baissé. Le score est la moyenne de tous les cas de ménages applicables. 4.2 Changements dans la division sexuelle du travail La deuxième hypothèse stipule que : suite à la chute des prix du cacao et du café, la division sexuelle du travail au sein des ménages est modifiée de façon significative au profit d’une implication accrue des hommes dans les cultures vivrières. Cette hypothèse est entièrement vérifiée par les résultats obtenus. Déjà en 1974-75, une enquête auprès de 2.479 ménages dans 38 villages dans les provinces du Centre et du Sud a montré que 83,7 % des chefs de ménages (dont la majorité sont des hommes) étaient des planteurs contre 6,7 % de cultivateurs (Franqueville 1987 : 138) [tableau 2]. En 1997, Sunderlin et Pokam (1998) ont fait la même analyse sur un échantillon de 4.078 ménages dans les mêmes 38 villages. Les résultats obtenus par Sunderlin et Pokam (1998) ont montré que 27,1 % des chefs de ménages étaient des planteurs et 32,8 % étaient des cultivateurs. La présente étude montre qu’en 1998, 38,6 % des chefs de ménages sont des planteurs et 50,9 % sont des cultivateurs de produits vivriers.7 Il y a une contradiction apparente entre ces résultats sur les changements des activités agricoles des chefs de 7 La plus grande diminution du pourcentage de planteurs et de cultivateurs (c’est-à-dire des agriculteurs en général) dans l’étude de Sunderlin et Pokam (1998) s’explique par le fait qu’une bonne partie de la population étudiée était concentrée dans la zone périurbaine de Yaoundé où plusieurs ménages possèdent des emplois non agricoles. Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin CIFOR Occasional Paper No. 27 9 Tableau 2. Occupation des chefs de ménage par type d’activité agricole : planteur (producteur de cacao et de café) ou cultivateur (producteur des produits vivriers). Année et zone d’étude Planteurs 1974/75 provinces du Centre et du Sud (Franqueville 1987) 2.074 (83,7%) 162 (6,5%) 164 (6,6%) 79 (3,2%) 2.479 (100%) 1997 provinces du Centre et du Sud (Sunderlin et Pokam, 1998) 1.104 (27,1%) 1.336 (32,8%) 1.395 (34,2%) 243 (6,0%) 4.078 (100%) 1998 provinces du Centre, Sud et Est (enquêtes CIFOR, 1998) 250 (38,6%) 330 (50,9%) 60 (9,3%) 8 (1,2%) 648 (100%) ménages à travers le temps (tableau 2, figure 5) et ceux obtenus sur les changements dans les superficies allouées aux cultures de rente à travers le temps (figure 2). Comment peut-on concilier la baisse considérable du pourcentage des planteurs avec le constat que les superficies de cacao et de café ont eu tendance à stagner (ou même à augmenter pour le cas du café) au lieu de diminuer ? La réponse est que les paysans ont cessé de s’identifier à des "planteurs" lorsque les revenus du cacao et du café ont chuté, mais ils ont maintenu leurs plantations dans l’espoir que le cacao et le café seront plus profitables dans le futur. Figure 5. Comparaison des occupations des chefs de ménage entre 1974-1975 et 1997-1998. 1974/75 provinces du Centre et du Sud (Franqueville 1987) Cultivateurs 7% Autres 7% Non actifs 3% Planteurs 83% 1997 provinces du Centre et du Sud (Sunderlin et Pokam 1998) Non actifs 6% Autres 34% Planteurs 27% Cultivateurs 33% 1998 provinces du Centre, Sud et Est (Enquêtes CIFOR, 1998). Autres 9% Cultivateurs 51% Non actifs 1% Planteurs 39% Cultivateurs Autres Non actifs Total Les résultats obtenus dans les 54 villages en ce qui concerne les responsabilités entre les hommes et les femmes, montrent une certaine permanence dans la division du travail, malgré la crise économique : les cultures de rente sont dominées par les hommes, tandis que les femmes gèrent le domaine des cultures vivrières. Néanmoins, on note que les hommes sont plus impliqués dans les cultures vivrières depuis 1985 (tableau 3). Ces résultats proviennent de l’enquête qualitative menée dans les 54 villages où l’unité d’observation était le village et non le ménage. 4.3 Augmentation de la commercialisation des cultures vivrières La troisième hypothèse stipule que la production des cultures vivrières est beaucoup plus orientée vers le marché (c’est-à-dire est plus commercialisée). Cette hypothèse est vérifiée, mais pas fortement. Les résultats de l’étude montrent une évolution significative de l’augmentation de la commercialisation des cultures vivrières dans le temps, mais on ne peut pas dire que la production est " beaucoup " plus orientée vers le marché. Parmi les ménages enquêtés, 24,4 % ont vendu au moins la moitié ou plus de leur production de plantain en 1985, 27,5 % en 1993, et 30,4 % en 1997. Pour les autres cultures vivrières, 23,4 % des ménages ont vendu au moins la moitié ou plus de leur production en 1985, 26,3 % en 1993, et 26,2 % en 1997 (tableau 4). Il est fort probable que l’augmentation de la commercialisation des cultures vivrières soit le résultat d’une volonté des ménages de pallier à la baisse des revenus du cacao et du café au cours de la période 19851993. Elle peut aussi être stimulée par la réduction des importations de vivres, et la croissance du marché national des produits vivriers, surtout à l’intérieur et autour des zones urbaines. Cependant il n’est pas tout à fait clair que l’augmentation actuelle de la commercialisation des cultures vivrières ait pour objectif de compenser la diminution des revenus 10 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Tableau 3. Division du travail entre l’homme et la femme dans 54 villages des provinces du Centre, du Sud et de l’Est (Nombre et pourcentage des 54 villages). Produits agricoles 1985 Responsabilité 1993 1997 N % N % N % 1- Homme seul 2- Majorité homme 3- Egalité homme/femme 4- Majorité femme 5- Femme seule Total** 31 20 51 60,8 39,2 100,0 34 17 66,7 33,3 29 20 59,2 40,8 51 100,0 49 100,0 1- Homme seul 2- Majorité homme 3- Egalité homme/femme 4- Majorité femme 5- Femme seule Total** 14 8 22 63,6 36,4 100,0 14 9 60,9 39,1 14 9 60,9 39,1 23 100,0 23 100,0 PLANTAIN 1- Homme seul 2- Majorité homme 3- Egalité homme/femme 4- Majorité femme 5- Femme seule Total 11 8 13 19 3 54 20,4 14,8 24,1 35,2 5,5 100,0 10 9 19 13 3 54 18,5 16,7 35,2 24,1 5,5 100,0 7 10 21 15 1 54 13,0 18,5 38,9 27,8 1,8 100,0 AUTRES CULTURES VIVRIÈRES 1- Homme seul 2- Majorité homme 3- Egalité homme/femme 4- Majorité femme 5- Femme seule Total 1 5 28 20 54 1,8 9,3 51,9 37,0 100,0 12 28 14 54 22,2 51,9 25,9 100,0 12 31 11 54 22,2 57,4 20,4 100,0 CACAO CAFÉ *Le tableau résume les résultats de l’enquête qualitative. Chaque village devrait arriver à un consensus pour déterminer laquelle des 5 réponses reflétait les pratiques dans le village, pour chaque culture et pour chacune des années mentionnées. **Le nombre de villages est inférieur à 54 pour le cacao et le café car ces cultures ne sont pas pratiquées dans tous les villages étudiés. Tableau 4. Stratégie de vente des cultures vivrières. Cultures Proportion 1985 Plantain 1. Aucune partie 100 % 15,4 121 % 27,3 179 % 30,1 2. Moins de la moitié 39,5 N 1993 N 1997 N 195 50,0 200 45,1 23,5 3. La moitié 20 5,1 24 5,4 40 6,7 4. Plus de la moitié 74 19,0 97 21,9 137 23,0 5. Toute la production La moitié et plus (3+4+5) Autres 1. Aucune partie cultures 2. Moins de la moitié vivrières 3. La moitié 4. Plus de la moitié 5. Toute la production La moitié et plus(3+4+5) 1 0,3 1 0,2 4 0,7 95 24,4 122 27,5 181 30,4 77 18,3 86 18,1 136 21,3 245 58,3 265 55,7 335 52,5 33 7,9 39 8,2 53 8,3 65 15,5 86 18,1 114 17,9 0 0,0 0 0,0 0 0,0 98 23,4 125 26,3 167 26,2 du cacao et du café. Il faut se rappeler que bien que la production du cacao et du café ait continué à chuter depuis le début de la crise, une partie des ménages a indiqué que leurs revenus provenant de la vente du cacao et du café ont augmenté depuis la dévaluation du Franc CFA. La hausse de la commercialisation des produits vivriers au cours de la période 1993-1997 reflète probablement un certain nombre de facteurs, notamment l’existence de prix rémunérateurs et la croissance des marchés, l’augmentation de la main d’œuvre familiale en relation avec les migrations de retour, et le souci de diversifier les sources de revenus. Compte tenu de la mauvaise expérience vécue par beaucoup de planteurs à cause de leur dépendance démesurée envers les cultures de rente Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin au moment où la crise a frappé, produire à la fois les cultures vivrières et les cultures de rente devenait un impératif pour permettre aux paysans de réduire le risque engendré par les fluctuations de prix. 4.4 Dépendance à l’égard des Produits Forestiers Non-Ligneux (PFNL) La quatrième hypothèse stipule qu’à cause de la crise économique, les populations rurales exploitent plus les Produits Forestiers Non-Ligneux (PFNL) que par le passé. La dépendance telle qu’envisagée par la présente hypothèse ne signifie pas que les revenus issus de la commercialisation des PFNL par les populations rurales aient nécessairement augmenté, mais plutôt qu’un plus grand nombre de ménages ruraux collectent, consomment et commercialisent les PFNL depuis la crise économique. Les résultats obtenus montrent une tendance à une dépendance dans le temps plus accrue des ménages ruraux vis-à-vis des PFNL. Les résultats montrent qu’en 1985, 370 ménages (57,1 %) collectaient les PFNL, alors qu’en 1997, 574 ménages (88,6 %) collectaient les PFNL. Il faut cependant souligner que le gibier et le bois de feu ne sont pas pris en compte dans l’étude. 4.5 Incidences sur le couvert forestier Sur la base de nos résultats et ceux obtenus par d’autres études récentes, nous pouvons conclure que le taux de défrichement des forêts par les paysans a augmenté pendant la crise. Une analyse d’une série temporelle d’images par satellite dans 33 villages de la province de l’Est du Cameroun montre que le taux moyen annuel de la déforestation par village était quatre fois plus élevé pendant la période de la crise (1986-1996) par rapport à la période avant celle-ci (1973-1986) (Mertens et al. 1999 : 16). Une analyse d’une série temporelle d’images par satellite dans six villages de la zone périurbaine de Yaoundé montre que la conversion de la forêt à l’agriculture est devenue plus rapide dans la période 1987-1995 par rapport à la période 1973-1988.8 Il y a sept facteurs qui, dans leur ensemble, expliquent le taux de défrichement plus élevé pendant la période de la crise : 1. La croissance de la population dans les villages du Centre et du Sud découlant en partie des migrations de retour des villes vers les campagnes qui ont commencé au début des années 1990 (Sunderlin et Pokam 1998). 2. Actuellement, il y a plus de chefs de ménages impliqués dans l’agriculture dans les provinces du Centre et du Sud qu’en 1974-75, malgré le fait que les CIFOR Occasional Paper No. 27 3. 4. 5. 6. 7. 11 activités agricoles aient connu une baisse relative dans l’ensemble (Sunderlin et Pokam 1998). Le degré d’intensification des cultures de rente a baissé à cause de la suppression par le gouvernement des subventions pour l’engrais et les pesticides suite à l’adoption par le Cameroun de politiques d’ajustement structurel. Le pourcentage du revenu des ménages provenant de la vente des produits vivriers a augmenté de façon substantielle (Courade et Alary 1994 : 193-194). Les cultures vivrières exigent plus de couvert forestier (forêt primaire ou secondaire) par unité de superficie cultivée que le cacao et le café. En plus des superficies actuellement cultivées, les cultures vivrières exigent des superficies importantes de jachère (Ndoye et Kaimowitz 1998). Le fait qu’une partie des producteurs ont maintenu leurs plantations de cacao et de café signifie que l’expansion des superficies cultivées pour les cultures vivrières n’a pas eu lieu sur des surfaces précédemment occupées par le cacao et le café, mais plutôt au dépend du couvert forestier. La dévaluation du Franc CFA survenue en 1994 a encouragé l’exploitation plus accrue du bois d’œuvre, surtout dans la province de l’Est. Ceci a facilité à son tour la conquête de nouvelles superficies de forêt par les petits agriculteurs. Il est important de noter qu’aucun de ces facteurs ne peut à lui seul expliquer la croissance du taux de défrichement ; la croissance s’explique en considérant l’ensemble de ces facteurs. Trois points méritent d’être soulignés. Premièrement, une partie des planteurs ont maintenu les superficies de cacao et de café dans l’espoir que les prix seront plus avantageux dans le futur au lieu de les convertir à d’autres fins. C’est donc pour cette raison que les défrichements ont probablement été effectués en dehors des superficies déjà cultivées (voir no. 5 en haut), surtout au cours de la période 1991-1993. L’augmentation de la production des cultures vivrières coïncide avec la suppression par le gouvernement des subventions octroyées aux cultures de rente. En 1994, la dévaluation du Franc CFA restaure en partie la profitabilité du cacao et du café, mais on note que les superficies des cultures vivrières ont continué à augmenter même après 1994. Il est certain que beaucoup de producteurs ont opté pour la diversification de leur production afin de minimiser les risques (Sunderlin et Pokam 1998). Il est également probable que les migrations de retour ont en partie facilité cette diversification (Sunderlin et Pokam 1998). 8 Communication avec Nadine Laporte, 6 juin 1999. 12 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun Deuxièmement, la direction de la relation entre l’augmentation du nombre de ménages qui exploitent les PFNL et la modification du taux de défrichement n’est pas connue avec certitude. Sur le plan théorique, une augmentation accrue de l’exploitation de certains PFNL peut soit accroître soit alléger (Ndoye et al. 1998b) la dégradation des forêts environnantes. Troisièmement, nos données montrent que le taux de défrichement de la forêt augmente dans la zone la plus éloignée de Yaoundé. Sur les 648 ménages enquêtés dans les 54 villages, 248 (43,8 %) ont défriché la forêt en 1997. L’analyse selon la distance par rapport à Yaoundé permet d’observer que 38,9 % des ménages qui sont dans les villages proches de Yaoundé, 37,5 % de ceux qui sont dans les villages à moyenne distance par rapport à Yaoundé, et 51,0 % des ménages qui sont dans les villages loin de Yaoundé, ont défriché la forêt en 1997 (tableau 4). En 1997, 232 ménages ont défriché en moyenne 1,69 hectare de forêt par ménage. En classifiant les villages selon la distance par rapport à Yaoundé, on note que les superficies de forêt défrichées sont de 1,58 ha par ménage pour les villages proches de Yaoundé, 1,47 ha par ménage pour les villages à moyenne distance par rapport à Yaoundé, et 1,86 ha pour les villages éloignés de Yaoundé. Les superficies défrichées dans la forêt primaire sont en moyenne de 2,67 ha par ménage pour les villages proches de Yaoundé, 1,28 ha par ménage pour les villages situés à moyenne distance par rapport à Yaoundé et 1,93 ha par ménage pour les villages éloignés de Yaoundé. Il existe probablement une relation entre le taux élevé de défrichement de la forêt pour les villages éloignés de Yaoundé, d’une part, et une tendance à une croissance relativement élevée des superficies de plantain et des autres cultures vivrières au fur et à mesure que l’on s’éloigne de Yaoundé, d’autre part (tableau 5). L’analyse du changement des superficies des cultures vivrières montre que le pourcentage des ménages dont les superficies de plantain étaient plus grandes en 1997 par rapport à 1993 est de 50 % pour les villages proches de Yaoundé, de 53,9 % pour les villages à moyenne distance de Yaoundé, et de 66,3 % pour les villages éloignés de Yaoundé. Il faut noter que les ménages qui ont augmenté leurs superficies de plantain et les autres cultures vivrières sont de loin plus nombreux (350 et 404 ménages respectivement) que les ménages qui ont augmenté leurs superficies de cacao et de café (152 et 70 ménages respectivement). Tableau 5. Changements dans le défrichement des superficies allouées aux cultures vivrières et de rente selon la distance du répondant par rapport à Yaoundé. Distance par rapport à Yaoundé Catégories Proche de Yaoundé Moyenne distance par rapport à Yaoundé Loin de Yaoundé Total % des ménages à l’intérieur des catégories répertoriées ayant défriché la forêt en 1997 38,9% (n = 56) 37,5% (n = 81) 51,0% (n = 147) 44,8% (n = 284) Moyenne des superficies de forêt défrichées par ménage en 1997 1,58 ha (n = 47) 1,47 ha (n = 66) 1,86 ha (n = 119) 1,69 ha (n = 232) Moyenne des superficies de forêt défrichées dans la forêt primaire en 1997 2,67 ha (n = 12) 1,28 ha (n = 40) 1,93 ha (n = 82) 1,80 ha (n = 134) % des ménages dont les superficies des cacaoyères étaient plus grandes en 1997 qu'en 1993 31,4% (n = 32) 37,3% (n = 59) 31,3% (n = 61) 33,6% (n = 152) % des ménages dont les superficies de café étaient plus grandes en 1997 qu'en 1993 77,8% (n = 7) 45,5% (n = 30) 35,5% (n = 33) 44,0% (n = 70) % des ménages dont les superficies de plantain étaient plus grandes en 1997 qu'en 1993 50,0% (n = 68) 53,9% (n = 110) 63,5% (n = 172) 57,9% (n = 350) % des ménages dont les superficies des autres cultures vivrières étaient plus grandes en 1997 qu'en 1993 56,0% (n = 79) 64,5% (n = 136) 66,3% (n = 189) 63,7% (n = 404) Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin 5. Résumé des résultats, implications de l’étude et recherches à envisager dans le futur 5.1. Résumé des résultats Une étude d’une grande envergure couvrant trois provinces et 648 ménages dans la zone forestière humide du Cameroun a été réalisée par le CIFOR au cours de l’année 1998. L’objectif de l’étude était surtout d’appréhender la réaction des agriculteurs face à la crise économique qui a commencé en 1986 et la dévaluation du Franc CFA en janvier 1994. En particulier l’étude se proposait d’informer sur les changements dans les pratiques paysannes depuis le début de la crise économique et les effets de ces changements sur l’utilisation des terres et des ressources de la forêt. L’étude a montré que : • Les superficies allouées à la production de cacao ont plus ou moins stagné alors que les surfaces allouées au café, au plantain et aux autres cultures vivrières ont augmenté. • Les cultures vivrières sont plus commercialisées par rapport au passé pour augmenter les revenus du ménage, suite à la baisse des revenus des cultures traditionnelles de rente comme le cacao et le café. Les cultures de rente et les cultures vivrières sont devenues complémentaires au niveau des revenus du ménage. • Les hommes sont beaucoup plus impliqués dans la production des cultures vivrières par rapport au passé, ce qui laisse entrevoir une plus grande souplesse (c’està-dire moins de rigidité) dans la division sexuelle du travail agricole à l’intérieur des ménages ruraux comparativement au passé. Ces changements, ainsi que d’autres comme l’augmentation de la population rurale engendrée par la crise, la diminution de l’appui gouvernemental pour l’intensification agricole, les aspects agronomiques des cultures vivrières comparés aux cultures de rente, le défrichage des forêts pour l’expansion des cultures vivrières, et l’augmentation plus accrue de l’exploitation du bois d’œuvre, expliquent dans l’ensemble de façon plausible la croissance du taux de déforestation nette au cours de la crise comparée à la période avant celle-ci. De plus, l’étude a montré qu’un plus grand nombre de ménages ruraux collectent, consomment et vendent les PFNL comparé à la période avant la crise économique. L’implication de ce résultat sur le couvert forestier n’est pas tout à fait claire. CIFOR Occasional Paper No. 27 13 5.2. Implications de l’étude Une compréhension des effets des politiques macroéconomiques et sectorielles sur le couvert forestier est nécessaire si l’on veut que les politiques visant à conserver et à gérer les forêts de façon durable aient des chances de réussir. Comme l’ont souligné Sunderlin et Pokam (1998), ainsi que Ndoye et Kaimowitz (1998), toute politique visant à réduire la pression sur les forêts et le défrichement provoqué par l’agriculture doit impérativement tenir compte des politiques macro-économiques et sectorielles. Avant le désengagement de l’Etat dans la distribution des intrants, suite à l’adoption par le Cameroun de politiques d’ajustement structurel, les producteurs de la zone forestière humide bénéficiaient des intrants à des prix subventionnés, ce qui leur permettait d’intensifier leur production. Etant donné que la distribution des intrants est privatisée à l’heure actuelle, et compte tenu de la hausse des prix des intrants depuis la dévaluation du Franc CFA, réduisant leur accessibilité aux planteurs, il est nécessaire d’intégrer le marché des produits et celui des intrants. Des mécanismes sont à envisager pour permettre aux opérateurs privés de fournir aux planteurs des intrants sous forme de crédits de campagne remboursables pendant l’écoulement de la production. L’Etat pourrait intervenir indirectement pour préserver le respect des contrats et le rapport de confiance entre les opérateurs privés et les planteurs. Ceci permettrait de minimiser les coûts de transaction d’éventuels comportements opportunistes des parties impliquées. La dichotomie entre cultures vivrières et cultures de rente devrait être révisée. Comme les résultats de l’étude l’ont montré, les cultures vivrières sont plus commercialisées comparées à la période avant la crise économique. De ce fait les cultures vivrières sont aussi devenues des cultures de rente. Une implication immédiate est que l’intensification de ces cultures doit être envisagée afin d’atténuer l’extension des superficies cultivées, en augmentant sensiblement les rendements par unité de surface. Nous ne voulons pas dire que l’intensification est une solution miracle contre la déforestation agricole, mais cette option devrait être évaluée en considérant qu’elle pourrait aider à réduire le rythme de déforestation des forêts au Cameroun. Les résultats de l’étude ont montré que les cultures vivrières et les cultures de rente sont complémentaires au niveau des revenus des ménages ruraux. Toute politique agricole visant à améliorer le bien-être des populations rurales doit se faire de façon stratégique et globalisante en tenant compte entre autres des cultures de rente, des cultures vivrières et des PFNL. 14 L’Impact de la Crise Économique sur les Systèmes Agricoles et le Changement du Couvert Forestier dans la Zone Forestière Humide du Cameroun 5.3 Recherches pour le futur Dans l’avenir, les études sur les systèmes de production et le changement du couvert forestier au Cameroun devraient tenir compte des éléments suivants qui n’ont pas été pris en compte dans la présente étude : • Les études ultérieures devraient englober l’ensemble des cinq provinces de la zone forestière humide du Cameroun et no pas seulement trois provinces comme c’est le cas dans la présente étude. Les provinces du Sud-Ouest et du Littoral, non inclues dans cette étude, possèdent de grandes superficies allouées aux plantations industrielles. L’impact des plantations agroindustrielles dans le processus de déforestation devrait être mieux appréhendé au Cameroun. • Les activités liées à la chasse, à la pêche, à la collecte du bois de feu doivent être incorporées dans les études ultérieures sur les systèmes de production pour mieux appréhender le revenu total des ménages ruraux. Ceci permettrait de mieux évaluer la rémunération de la force de travail des ménages ruraux et de comparer les revenus agricoles par rapport aux autres revenus tirés des systèmes de production. • Les études ultérieures devraient étudier la relation entre le bien-être et les changements du couvert forestier. Peut-on dire que les ménages les plus aisés auront tendance à moins défricher la forêt que les ménages les plus pauvres ? Ou serait-ce l’inverse ? L’étude que nous avons menée permet de savoir que l’agriculture paysanne est une cause importante de la déforestation. Mais elle ne permet pas de savoir qui des paysans les plus riches ou des paysans pauvres (ou les deux groupes) sont les principaux responsables de la déforestation causée par l’agriculture paysanne. Cela permettrait d’approfondir nos connaissances sur la relation entre le niveau de vie et la déforestation. Henriette Bikié, Ousseynou Ndoye et William D. Sunderlin CIFOR Occasional Paper No. 27 15 Bibliographie ATIBT/FAO. 1999. Infrastructures routières dans les forêts tropicales : Voies de développement ou voies de destruction ? Paris : Association Technique Internationale des Bois Tropicaux ; Rome : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. Ajab Amin, A. 1996. The Effects of Exchange Rate Policy on Cameroon’s Agricultural Competitiveness, AERC research paper 42, Nairobi, Kenya, March. Amelung, Torsten et Markus Diehl. 1992. Deforestation of Tropical Rainforest: Economic Causes and Impact on Development. Tubingen: J.C.B. Mohr. 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