Les représentations du rôle de beau-père dans les familles recomposées suivies en protection de la jeunesse : des contextes et des liens Claudine Parent, Marie-Christine Fortin, Caroline Robitaille Dans Journal du droit des jeunes 2012/5 (N° 315), pages 25 à 32 Éditions Association jeunesse et droit © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2012-5-page-25.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour Association jeunesse et droit. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) ISSN 2114-2068 DOI 10.3917/jdj.315.0025 Une étude qualitative réalisée auprès de mères, de jeunes et de beaux-pères Les représentations du rôle de beau-père dans les familles recomposées suivies en protection de la jeunesse : des contextes et des liens par Claudine Parent* , Marie-Christine Fortin et Caroline Robitaille* * © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Peu d’études ont porté spécifiquement sur la question de l’engagement parental des hommes qui vivent avec une mère et ses enfants (5). De plus, ces études ont souvent mis l’accent sur les risques accrus pour les enfants de vivre avec un père substitut, que ce soit en termes de négligence (6), de mauvais traitements (7) ou d’abus sexuels (8). Par contre, certaines recherches ont aussi souligné que la présence de ces hommes dans la famille pouvait comporter des bénéfices dont ceux reliés à la diminution des problèmes de comportement chez les enfants (9). Ces résultats montrent que la présence d’un beaupère peut avoir des effets négatifs, mais également des effets positifs pour les familles dans lesquelles il y a des enfants suivis par les centres jeunesse. Une étude qualitative réalisée auprès de mères, de jeunes et de beaux-pères vivant en famille recomposée et recevant des services d’un centre jeunesse de la région de Québec visait à mieux comprendre le rôle joué par les beaux-pères dans ces familles. Parmi les questions examinées, une sera spécifiquement abordée dans cet article : comment les mères, les jeunes et les beaux-pères se représentent-ils le rôle des beaux-pères? Le but est d’examiner comment les représentations influencent l’engagement des beaux-pères dans la famille. représentations sociales développé par Moscovici (10). La représentation * Claudine Parent est travailleuse sociale et professeur à l’École de service social de l’Université Laval. Elle est également chercheuse au Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR) de l’Université Laval à Québec (Canada). Elle est titulaire d’un Doctorat en Service social de l’Université Laval à Québec (Canada). Elle a réalisé un post-doctorat de l’Institut national de recherche scientifique de Montréal (INRS), avec l’anthropologue Françoise-Romaine Ouellette, au cours duquel elle a effectué un stage de perfectionnement au Laboratoire de Psychologie sociale de l’École des Hautes études en sciences sociales de Paris, avec Élisabeth Lage. Cette étude a été financée par le Fonds québécois de recherche société et la culture (FQRSC). ** Marie-Christine Fortin et Caroline Robitaille sont professionnelles de recherche au Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR) de l’Université Laval à Québec (Canada). Elles sont titulaires d’une Maîtrise en Service social. (1) Les centres jeunesse regroupent à la fois l’équivalent des services de l’ASE, de la Protection judiciaire de la jeunesse et des services gérant les adoptions. Pour en savoir plus sur leurs missions, consultez le site internet de l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ) : http://www.acjq.qc.ca/. Cadre théorique et d’analyse Les centres jeunesse interviennent dans le cadre des lois suivantes: la loi sur la protection de la jeunesse (modifiée en 2006; cette loi traite aussi de l’adoption); la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (modifiée en 2002); la loi sur les services de santé et les services sociaux (modifiée en 2012). (2) La présente étude qualitative s’inscrit dans une programmation de recherche plus large qui utilise le modèle des sociale est définie comme une vision fonctionnelle du monde, qui permet à Pour une comparaison entre la loi française réformant la protection de l’enfance et la loi québécoise sur la protection de la jeunesse, voir le tableau en annexe des Actes de la Journée franco-québécoise de l’Oned «Quels référentiels pour le pilotage des politiques de protection de l’enfance ?», organisée le 11 octobre 2010 à Paris. JDJ n° 315 - mai 2012 25 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Au Québec, les centres jeunesse (1) sont des établissements qui ont le mandat d’offrir des services aux familles dans lesquelles la sécurité ou le développement d’un enfant est compromis (2). Des recherches québécoises réalisées auprès de la clientèle (3) des centres jeunesse suggèrent que le nombre de familles recomposées y serait trois fois plus élevé que dans la population générale (4). En outre, ces familles seraient le plus souvent composées d’une mère, ses enfants et un beau-père. Les mères issues de ces milieux vivent souvent de l’instabilité conjugale © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Dans l’étude de cet univers, il est essentiel de tenir compte du contexte où la représentation s’inscrit. L’environnement immédiat dans lequel les individus évoluent, les valeurs et les idéologies communes à leur groupe d’appartenance influencent les représentations des individus. C’est pourquoi différents groupes de personnes issues de milieux socioéconomiques et culturels différents sont rencontrés dans le cadre de cette programmation de recherche (12). Cette étude s’intéresse à l’engagement beau-paternel dans un contexte familial où des jeunes reçoivent des services des centres jeunesse. Dans ce milieu, des membres de la famille peuvent avoir vécu de la violence, des abus de différentes natures, des expériences de rejet ou de la marginalisation. Ces conditions de vie font en sorte que les pères/beaux-pères ont parfois eu moins d’occasions de développer leur identité paternelle et leurs compétences parentales (13). De plus, les mères issues de ces milieux vivent souvent de l’instabilité conjugale (14). Il est donc possible qu’aux yeux de ces mères, le beau-père n’ait pas de rôle parental à jouer auprès de leurs enfants. En outre, les jeunes peuvent avoir vécu plusieurs recompositions familiales, ce qui pourrait affecter leur conception du rôle beau-paternel. L’analyse du discours des participants porte attention à ces caractéristiques pour tenter de mieux comprendre comment elles influencent la conception des rôles familiaux et l’engagement beau-paternel. L’instrument de mesure Pour répondre à nos questions de recherche, un guide d’entretien comprenant deux sections distinctes a été développé. La première section du guide vise à identifier les représentations ou images que les participants associent au mot 26 beau-père. Une technique d’association libre a été utilisée à cette fin. Cette technique consiste à demander aux participants de dire tous les mots ou expressions qui leur viennent spontanément à l’esprit lorsque l’intervieweur prononce le terme «beau-père». Les participants ont ensuite été invités à mettre par ordre de pertinence les expressions ou mots produits. Il a ainsi été possible d’identifier ce qui est au cœur de leur représentation de ce qu’est un beau-père. La seconde section du guide consiste à réaliser un entretien semi-dirigé. D’une part, cet entretien vise à préciser comment ces représentations ou images à propos du beau-père se construisent chez les participants. Les répondants ont alors été invités à raconter l’histoire de leur famille, de la formation du couple initial (15) à aujourd’hui. D’autre part, l’entretien a pour but de mieux comprendre comment les expériences de la vie quotidienne influencent les représentations du rôle et le niveau d’engagement des beaux-pères dans la famille et auprès des enfants. Pour examiner ces questions, un modèle d’activités paternelles (MAP) développée par Vivian Gadsden et ses collaborateurs (16) a été utilisé afin de cibler les dimensions dans lesquelles les beaux-pères étaient engagés. Le tableau page suivante décrit les différentes dimensions du modèle. (3) Ce terme est employé au Québec pour désigner aussi les usagers des services sociaux, sans pour autant renvoyer à une de relation de nature commerciale. (4) M.-C. SAINT-JACQUES, R. CLOUTIER, R. PAUZÉ, M. SIMARD, M.-H. GAGNÉ et G. LESSARD, La spécificité de la problématique des jeunes suivis en centre jeunesse provenant de familles recomposées, Québec, Centre de recherche sur les services communautaires, 2001. (5) H. DUBOWITZ, «Commentary of fathers and children and maltreatment», Child Maltreatment, 14(3), 2009, 291-293. (6) J. CHARBONNEAU et J. OXMAN-MARTINEZ, «Abus sexuels et négligence : mêmes causes, mêmes effets, même traitement», 1996, Santé mentale au Québec, 24, 249-270. (7) L. BERGER, C. PAXON et J. WALDFOGEL, «Mothers, Men and Child Protective services involvement», Child Maltreatment, 14(3), 2009, 263-276; A. RADHAKRISHNA, I. E. BOU-SAADA, W. M. HUNTER, D. J. CATELLIER et J. B. KOTCH, «Are father surrogates a risk factor for child maltreatment?», Child Maltreatment, 6, 2001, 281-289; M.-C. SAINT-JACQUES, S. DRAPEAU, C. PARENT, M.-E. ROUSSEAU, E. GODBOUT, M.-C. FORTIN et T. KOURGIANTAKIS, «Que nous ont appris les années 2000 au sujet des impacts de la vie en famille recomposée?», Actes du colloque conjoint de la Fédération des associations de juristes d’expression française de Common law et l’Association internationale francophone des intervenants auprès des familles séparées, Évolution et révolution de la justice familiale, Ottawa, 2010. (8) E. POULIOT et M.-C. SAINT-JACQUES, Recomposition familiale et abus sexuel, Intervention, 117, 2002, 77-90. (9)- D. B. MARSHALL, D. J. ENGLISH et A. J. STEWART, «The effect of fathers or father figures on child behavioral problems in families referred to child protective services», Child Maltreatment, 6, 2001, 290-299; M.-C. SAINT-JACQUES, R. CLOUTIER, R. PAUZÉ, M. SIMARD, M.-H. GAGNÉ et G. LESSARD, La spécificité de la problématique des jeunes suivis en centre jeunesse provenant de familles recomposées, Québec, Centre de recherche sur les services communautaires, 2001. (10) S. MOSCOVICI, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1976. (11) J.-C. Abric, Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF, 1994. (12) C. PARENT, M.-C. SAINT-JACQUES, M. BEAUDRY et C. ROBITAILLE, «Stepfather involvement in social interventions made by youth protection services in stepfamilies», Child et Family Social Work, 12(3), 2007, 229-238; C. PARENT, M. BEAUDRY, M.-C. SAINT-JACQUES et D. TURCOTTE, «L’implication parentale du beau-père en famille recomposée», Enfances, Familles, Générations, 8, 2008,154-171, www.efg.inrs.ca; C. PARENT, M.-C., FORTIN, et C. ROBITAILLE (en cours), «The role of the stepfather in the families followed in youth centers». (13) K. A. KOST, «The function of fathers : What poor men say about fatherhood?», Families in Society, 82(5), 2001, 499-508. (14) MARSHALL et al. (2001); PARENT et al. (2007); SAINT-JACQUES et al. (2001). (15) Il s’agit du couple qui a donné naissance à l’enfant. Au cours de ce récit, les personnes interrogées ont évoqué ce couple, le divorce qui a suivi, le nombre d’unions précédant l’union actuelle, la rencontre du beau-père et enfin leur vie familiale jusqu’à aujourd’hui. (16) V. L. GADSDEN et collaborateurs, The Fathering Indicator Framework : A tool for quantitative and qualitative analysis, Philadelphia (PA), National Center of Fathers and Families, University of Pennsylvania, 2001.V. L. GADSDEN et collaborateurs, «Fathering indicators for practice and evaluation : the fathering indicators framework», dans R. D. DAY et Michael E. LAMB (éd.), Conceptualizing and measuring father involvement (pp. 385-415). Mahwah, N.J, Lawrence Erlbaum, 2004. JDJ n° 315 - mai 2012 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites, et de comprendre la réalité, à travers son propre système de références, donc de s’y adapter, de s’y définir une place (11) (p. 13). © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Dimension Définition Relation entre le beau-père et l’enfant La nature et la qualité de la relation que le beau-père entretient avec l’enfant. Cette dimension comprend autant la qualité des interactions entre le beau-père et l’enfant que le lien d’attachement entre les deux. Éducation (transmission des valeurs et discipline) Comportements dénotant la transmission de valeurs du beau-père à l’enfant ainsi que l’application de la discipline. Cette dimension comprend aussi ceux indiquant que le beau-père est un modèle pour l’enfant. Soutien et échange à caractère affectif Soutien affectif apporté à l’enfant par le beau-père. Cette dimension comprend les échanges à caractère personnel et les manifestations d’affection envers le jeune (verbales et non verbales). Jeux et loisirs Interactions directes entre l’enfant et le beau-père dans des activités ludiques ou dans le cadre de loisirs. Prise en charge des soins de l’enfant Tous les aspects de la routine familiale touchant le développement de l’enfant. Cette dimension comprend les soins physiques nécessaires pour les enfants en bas âge, tels que changer la couche, donner le bain, habiller l’enfant, etc. Touche aussi les tâches ménagères et celles liées à la santé de l’enfant et à la planification des soins et de la routine (par exemple, les rendez-vous chez le médecin). Y est aussi inclus le transport des enfants à la garderie, à l’école, à des activités parascolaires, chez des amis, etc. Promotion des compétences sociales et de la réussite scolaire de l’enfant Façon dont le beau-père favorise et encourage les comportements prosociaux et la réussite scolaire. Cette dimension comprend la façon dont le beau-père s’investit auprès de l’enfant afin de développer et d’améliorer les compétences sociales et scolaires de ce dernier. Cela peut se traduire par des conseils sur la façon de régler ses conflits avec ses amis et/ou la participation aux rencontres scolaires. Coopération parentale Établissement d’une relation de coopération et de soutien entre les parents et beaux-parents dans l’objectif d’assurer le développement optimal de l’enfant. Cette dimension comprend aussi les modalités que les parents et beaux-parents choisissent ensemble pour prendre soin de l’enfant. Contribution financière et matérielle Engagement dans des activités qui fournissent un soutien matériel et financier à la famille. Cette dimension comprend aussi la façon dont sont réparties les dépenses du ménage entre le beau-père et la mère. La population à l’étude et l’échantillon La population à l’étude est formée de familles recomposées qui incluent un beau-père et dont au moins un enfant reçoit des services du Centre jeunesse de Québec – Institut universitaire (CJQIU (17)). Cet enfant doit avoir moins de 18 ans et vivre minimalement deux jours par semaine auprès de sa mère et son conjoint. Trois groupes de personnes ont été ciblés : 1) les mères cohabitant avec un homme qui n’est pas le père biologique d’au moins un de ses enfants; 2) les beaux-pères; 3) les jeunes de douze ans et plus. Pour des raisons éthiques, il a été impossible d’entrer directement en contact avec la clientèle (18). Par conséquent, l’échantillon est composé de volontaires qui ont été informés de l’étude par l’entremise des intervenants sociaux du Centre jeunesse de Québec – Institut universitaire. Une recherche antérieure avait montré que les intervenants ont leur propre représentation du rôle beau-paternel (19). De ce fait, ils peuvent avoir écarté certains beaux-pères, simplement parce qu’ils ne correspondaient pas à l’image qu’ils pouvaient en avoir. Cette particularité est donc considérée comme étant une limite méthodologique de l’étude. L’échantillon total est composé de 30 participants : 10 mères, 10 beaux-pères (17) Au Québec, certains centres jeunesse, comme le CJQ-IU (affilié à l’Université Laval), sont adossés à l’université et ont ainsi un double statut : centre jeunesse et institut universitaire. (18) Ce terme est employé au Québec pour désigner aussi les usagers des services sociaux, sans pour autant renvoyer à une de relation de nature commerciale. (19) PARENT et al. (2007). JDJ n° 315 - mai 2012 27 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Tableau 1 : Modèle d’activités paternelles Il semble que les pères soient peu présents ou carrément absents © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Dans toutes les autres situations, au moins un des deux partenaires en était à sa deuxième ou à sa troisième expérience. Ces données s’accordent avec les études soulignant l’existence d’une plus grande instabilité conjugale dans les familles suivies par les centres jeunesse (20). Le participant adulte typique de cet échantillon est âgé de 36 ans, a une scolarité correspondant à douze années d’étude ou moins, gagne entre 20 000 $ et 29 999 $ (21) par année et vit la recomposition de sa famille depuis cinq ans ou moins. Concernant plus spécifiquement les beaux-pères, deux d’entre eux sont beaux-pères uniquement, six ont eu des enfants d’une précédente union (22) et deux sont devenus pères dans leur union actuelle. Pour leur part, les jeunes vivent en famille recomposée depuis sept ans en moyenne. Quatre d’entre eux avaient déjà vécu cette expérience auparavant. Sept des jeunes vivent avec leur mère, un est en garde partagée (23) et deux vivent dans une «ressource intermédiaire» durant la semaine (24) et avec leur famille la fin de semaine. Les jeunes participants sont principalement des filles âgées en moyenne de 15 ans. Uniquement deux garçons ont pu être interrogés. Enfin, parmi les trente personnes interrogées, peu font mention de la présence du père. En fait, il semble que les pères soient peu présents ou carrément absents de la vie des familles recomposées dont sont issus les participants de cette étude. Les représentations du beau-père chez les mères, les beaux-pères et les jeunes Les résultats de l’association libre ont révélé non seulement que la plupart des 28 expressions ou termes spontanément associés au mot beau-père sont reliés à des rôles parentaux, mais également qu’ils sont ceux les plus souvent placés au premier rang en termes de pertinence. Aussi, même si quelques participants (n=2) voient le beau-père exclusivement comme le conjoint de la mère, la grande majorité reconnaît qu’il a aussi un rôle parental à jouer dans la famille. L’analyse du discours des participants a montré ensuite que cette représentation se décline en trois pôles distincts. Le premier rend compte d’une parentalité substitutive (n=12) (25). Dans ce fonctionnement, le beau-père prend souvent la place laissée vacante par un père absent ou peu présent. De plus, les chances de retrouver des beaux-pères de remplacement sont plus élevées si la recomposition familiale date de plusieurs années ou si elle a eu lieu au moment où les enfants étaient en bas âge. Le deuxième pôle réfère à une parentalité additionnelle (n=12) (26). Tout en étant très impliqués dans la famille, les beaux-pères additionnels demeurent à l’écart de certains aspects de l’éducation (p. ex. : la discipline ou le soutien scolaire). Dans ce pôle, les mères recherchent l’approbation des beaux-pères lorsqu’elles prennent des décisions, mais se réservent le droit de trancher en cas de désaccords. Enfin, un troisième pôle est associé à des beaux-pères qualifiés de périphériques (n=6) (27). C’est le cas des hommes qui répondent surtout aux besoins affectifs de la mère (28) ou qui font face au refus catégorique des jeunes de les considérer comme des personnes en autorité. Ces beaux-pères restent en marge de la vie familiale et toutes les décisions qui concernent les enfants sont assumées par la mère. Toutefois, ils ont tout de même un impact sur le fonctionnement familial, ne serait-ce que par les avis ou commentaires qu’ils émettent à la mère face à l’éducation de ses enfants. Les contextes qui influencent les représentations des participants Les représentations ou images des participants s’inscrivent dans des contextes particuliers et sont porteurs d’attentes et de valeurs dont il faut tenir compte pour comprendre les rôles qui sont adoptés. L’un de ces contextes réfère à la position occupée par les répondants dans la famille. Par exemple, le fait d’être un jeune a pour effet d’ancrer sa vision du rôle beau-paternel dans un contexte différent de celui des mères ou des beaux-pères. Ainsi, aucun jeune ne fait allusion à la dimension éducative lors de l’association libre, alors que la majorité des adultes y réfèrent. De plus, le discours de la majorité des jeunes (n=8) montre que même ceux qui acceptent les interventions de leur beaupère dans la sphère éducative croient qu’il devrait avant tout être un adulteami qui les soutient sur le plan affectif, (20) MARSHALL et al. (2001); PARENT et al. (2007); SAINT-JACQUES et al. (2001). (21) De 15 205 Euros à 22 807 Euros. Conversion tirée du site www.xe.com/ucc/fr consulté le 20 février 2012. (22) Sauf pour un père qui vit avec son fils, nos données ne nous permettent pas de dire avec précision si les autres beaux-pères/pères ont des contacts réguliers avec leurs enfants. (23) La garde partagée au Québec correspond à la résidence alternée en France, un des modes d’hébergement et d’exercice de l’autorité parentale concernant les enfants dont les parents se séparent. (24) Les ressources intermédiaires pour enfants s’adressent particulièrement à des adolescents qui peuvent profiter d’un milieu ouvert, tout en nécessitant un encadrement par des professionnels. Ces ressources favorisent la réinsertion sociale des jeunes en privilégiant les interventions dans le milieu : Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (2001). Cadre de référence sur les ressources intermédiaires : publications.msss. gouv.qc.ca/acrobat/f/.../2001/01-801-01.pdf, consulté le 25 janvier 2012. (25) Cinq beaux-pères, quatre mères et trois jeunes s’inscrivent dans ce pôle. (26) Cinq beaux-pères, trois mères et quatre jeunes s’inscrivent dans ce pôle. (27) Aucun beau-père, trois mères et trois jeunes s’inscrivent dans ce pôle. (28) Les recompositions récentes ou multiples sont celles où les beaux-pères périphériques ont été observés. JDJ n° 315 - mai 2012 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) et 10 jeunes. Soixante pour cent des participants vivent la recomposition de leur famille pour la première fois. Toutefois, on observe que seulement le quart des adultes rencontrés provient de couples dont les deux conjoints en sont à leur première expérience de recomposition familiale. © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) scolaire ou technique (p.ex. : aide en mécanique, en informatique, etc.). À l’inverse, les mères (n=5) et les beauxpères (n=6) pensent qu’il est d’abord un parent-éducateur. Il aide la mère dans son rôle parental et participe à l’éducation des enfants. En outre, même si la qualité de la relation beau-père/jeune apparaît très importante pour tous les participants, les adultes sont les seuls à considérer que le premier devoir des beaux-pères demeure celui de s’engager dans l’éducation des enfants qui vivent sous son toit. Ce qu’il faut retenir de ces divergences de vue, c’est que la position des individus dans la famille est porteuse d’attentes qui se traduisent ensuite dans les comportements qui sont adoptés. Ces comportements peuvent paraître incompréhensibles pour certains et engendrer des difficultés dans la famille. Un deuxième contexte a trait à l’expérience familiale antérieure des individus. Par exemple, un beau-père croit qu’il doit être aussi sévère que son père l’a été afin que ses beaux-enfants puissent s’en sortir aussi bien que lui dans la vie. Des jeunes (n=2) qui n’avaient pas fait le deuil de leur figure paternelle précédente voient le conjoint de leur mère comme un imposteur et refusent toutes ses tentatives pour créer une relation de qualité. Une mère ayant vécu des expériences positives avec des beaux-pères dans sa jeunesse favorise l’engagement paternel de son conjoint. Ces quelques exemples montrent que la recomposition familiale n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une trajectoire familiale qui doit être prise en compte pour comprendre les façons de voir et d’agir des membres de ces familles. Un troisième contexte est associé au milieu socioéconomique et culturel des répondants. Si le modèle de la famille biparentale intacte semble un modèle de référence généralisé à l’ensemble des répondants rencontrés dans nos études (29), il ressort que ceux provenant de la population des centres jeunesse sont plus nombreux à calquer leur fonctionnement sur ce modèle. Il faut avouer que dans les familles des participants de la présente étude les pères semblent peu présents. Sans doute que cette caractéristique joue en faveur de l’adoption d’un modèle de famille biparentale intacte. Cependant, même lorsque les pères sont présents, on observe qu’ils demeurent en marge de la vie familiale ou sont très peu consultés. Un des beaux-pères de l’étude croit même qu’il a davantage de responsabilités que le père, puisqu’il est celui qui partage la vie quotidienne des enfants. Des difficultés peuvent découler de cette attitude puisqu’elle tend à nier une partie de l’identité de l’enfant et à oublier que de son point de vue, la recomposition de la famille n’est jamais le point de départ de son histoire familiale. De plus, les hommes et les femmes rencontrés adhèrent davantage à des valeurs familiales traditionnelles que les adultes de la population générale. Sur ce point, les beaux-pères occupent le plus souvent des rôles de pourvoyeur et d’encadrement et les femmes un rôle de soutien affectif pour les enfants. Certains des jeunes semblent aussi adhérer à ces valeurs en se tournant vers la figure maternelle pour du réconfort, peu importe qu’elle soit ou non leur mère biologique. Toutefois, la plupart des jeunes disent se tourner plus naturellement vers leurs parents pour répondre à leurs besoins. L’important pour eux serait de savoir que leur beau-père est là en cas de nécessité. Cette tendance suggère que les liens biologiques gardent une signification particulière pour les jeunes. Sylviane Giampino explique : «[…] jamais un beau-parent ne sera à la même place symbolique pour l’enfant que le père ou la mère de naissance. Les fonctions paternelle et maternelle ne sont pas des fonctions biologiques en soi […] mais elles sont spécifiques à plus d’un titre. En premier lieu, il s’organise autour des fonctions parentales ce que l’on appelle la «dette de la vie» […]. De plus, le lien de filiation porte en soi la transmission de l’histoire familiale, sue et insue, des générations qui ont précédé, tout comme il s’inscrira dans la descendance d’un enfant» (30). Pourtant, si la plupart des hommes rencontrés dans la population générale pensent que les liens biologiques sont irremplaçables (31), des mères et des beaux-pères de la présente étude ont des avis plus nuancés à ce propos. «Je dirais de ne pas vouloir remplacer quelqu’un d’autre, de ne pas se sentir mal parce que les enfants disent apprécier encore leur père, tu n’es pas là pour te faire aimer plus que lui, c’est différent» (Éric (32), beau-père de la population générale) (33). «Comme je ne peux pas tout le temps être là, je pense qu’il [le beau-père] a le rôle du côté paternel, mais seulement quand je ne suis pas là et sans nécessairement empiéter sur mon rôle, sans nécessairement complètement m’effacer» (Nicolas, père de la population générale) (34). «Arrêter de dire au beau-père : «Hé, c’est pas ta fille ou c’est pas ton gars !» Pourquoi ne pas lui dire à la place : «Je te mets la vie de mon gars entre tes mains, prends-en soin, pis éduque le comme il faut»» (Marc, beau-père de la présente étude) (35). «La seule affaire c’est que mon exconjoint ne veut pas que les enfants appellent Sylvain «papa». Je lui dis : «Regarde si les enfants sont chez vous, puis ils veulent appeler ta femme «maman», ils peuvent le faire, puisqu’elle joue le rôle de mère !» (Solange, mère de la présente étude) (36). (29) PARENT et C. ROBITAILLE, «Portrait de familles recomposées : analyse du discours de conjoints et de conjointes vivant en famille recomposée», Intervention, 122, 2005, 102-111. (30) S. GIAMPINO , «Le beau-parent n’est pas un parent», interview de Sylviane Giampino, Informations sociales, 149, 2008, 84-85. (31) PARENT et al., 2008. (32) Le lecteur doit prendre note que tous les noms ont été changés. (33) Éric vit en famille recomposée depuis 10 ans et est beau-père de deux garçons de 15 et 18 ans. Le couple a aussi un garçon de 3 ans. (34) Nicolas est le père de deux enfants de 9 et 7 ans qui vivent avec leur mère et un nouveau conjoint. (35) Marc est dans une famille recomposée depuis trois ans et beau-père d’une fille de 14 ans et d’un garçon de 7 ans. (36) Solange est mère de quatre enfants de 5 à 11 ans. Elle vit en famille recomposée depuis deux ans. JDJ n° 315 - mai 2012 29 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Même lorsque les pères sont présents, on observe qu’ils demeurent en marge de la vie familiale Elle ne pouvait pas empêcher sa mère d’aimer son conjoint et de vouloir vivre avec lui 30 Les pratiques du rôle beau-paternel et les représentations Les résultats de cette étude montrent que le niveau d’engagement des beauxpères évolue constamment en fonction des liens qui se développent dans la vie quotidienne. Dans ce sens, plus l’enfant est jeune au moment de la recomposition familiale, plus il y a de chances que le beau-père s’engage auprès de lui, puisque le nombre d’années passées ensemble seront autant d’occasions de construire leurs liens et d’exprimer leur attachement. L’organisation de la garde et la présence ou non du père sont aussi des facteurs associés au temps plus ou moins important qui sera disponible pour la construction de la relation beau-père/jeune. D’un côté, la croissance de la confiance face aux capacités parentales de leur conjoint encourage les mères à partager leur pouvoir parental. De l’autre, la qualité des liens développée entre un beau-père et un jeune incite ce dernier à répondre favorablement à ses demandes. C’est ce qui explique, du moins en partie, pourquoi les beaux-pères périphériques deviennent généralement des beauxpères additionnels au fur et à mesure que le temps passe et que les liens se resserrent entre les membres de la famille (39). Par contre, même si des beaux-pères additionnels peuvent devenir des beauxpères de remplacement avec le temps, ce passage apparaît moins automatique (40). Nos données suggèrent que le beau-père fait ce passage seulement s’il «lui apparaît acceptable par rapport au système de valeurs qui est le sien» (41). En fait, dès qu’une situation permet un choix entre ce que la situation suggère (prendre la place du père) et les valeurs des individus (il est inconcevable de prendre la place du père), ce sont les valeurs qui ont préséance. La parole des jeunes Quoi qu’il en soit, il est clair que les expériences du quotidien permettent de confronter les conceptions initiales du rôle beau-paternel chez les membres de la famille et que cette confrontation aide à en préciser ses contours. Ainsi, peu d’adolescents comparent spontanément la relation avec leur beau-père à celle qu’un jeune pourrait entretenir avec son père. Malgré tout, ils estiment généralement avoir développé une relation positive avec le conjoint de leur mère. Ils soulignent à ce propos que le temps et les efforts de chacun sont nécessaires pour arriver à obtenir ce résultat. À partir de son expérience, Sonia (42) décrit l’évolution d’une relation beaupère/jeune. «Au début, je n’étais pas trop contente [de voir arriver cet homme]. J’avais un peu peur. J’étais inquiète de voir comment ça allait se passer.» Progressivement, à travers le quotidien, elle a appris à connaître son beau-père et à voir ses bons côtés : «En venant travailler sur la maison, les murs, la peinture, tout ça. Ça m’a permis de le connaître, parce que je le côtoyais plus souvent. J’ai vu qui il était et je me suis dit : «Ah bon. Finalement, c’est pas trop pire !»». Avec le temps, elle comprenait qu’elle ne pouvait pas empêcher sa mère d’aimer son conjoint et de vouloir vivre avec lui. Le cheminement personnel qu’elle a réalisé lui permet maintenant d’accepter la présence de son beau-père dans la famille : «Il n’est pas là pour prendre la place de mon père. Il est là parce que ma mère l’aime pis c’est comme ça. Je ne peux pas empêcher ma mère de l’aimer. Pis si elle l’aime, ben c’est correct, pis tu sais, t’as juste à faire avec !». (37) PARENT et al., 2007. (38) J.-C. ABRIC, «Méthodologie de recueil des représentations sociales», dans J.-C. ABRIC (éd.), Pratiques sociales et représentations (77-102), Paris, PUF, 2011. (39) PARENT et al., 2008. (40) PARENT et al., 2008; PARENT et al. en cours. (41) J.-C. ABRIC, «Pratiques sociales, représentations sociales», dans J.-C. ABRIC (dir.) (chapitre 3, pp. 73-102), Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF (p. 267), 2011. JDJ n° 315 - mai 2012 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Le milieu socioéconomique et culturel des familles rencontrées est porteur de valeurs qui apparaissent différentes de celles que l’équipe de recherche a pu observer dans la population générale. Ces valeurs orientent les comportements adoptés par les participants et soutiennent un fonctionnement familial qui n’est sans doute pas toujours bien adapté à la réalité des jeunes. En fait, ces derniers considèrent que personne ne peut remplacer complètement un père, même si généralement, ils apprécient la présence de leur beau-père. Cette façon de voir s’accorde avec celle des intervenants (37), mais diffère de celle de plusieurs des adultes interrogés. Cette contradiction montre toute l’ambiguïté qui entoure l’exercice du rôle beau-paternel et des difficultés que les beauxpères peuvent éprouver à naviguer entre le fait d’être à la fois père et non-père. En résumé, les différents contextes dans lesquelles se développent les représentations du rôle beau-paternel sont porteurs des valeurs, mais aussi des attentes des individus envers les hommes qui occupent ce rôle. À ce sujet Abric (38) souligne : «(…) [les] processus de construction ou de réappropriation de la réalité que les études de représentations sociales ont pu mettre en évidence : les activités de prédécodage de la situation, le système d’attentes et d’anticipations généré par l’existence d’une représentation, le système de catégorisation qui lui est associé, tous ces processus qui permettent à l’individu d’organiser ses expériences subjectives, qui structurent et façonnent l’interaction sociale, [ne peuvent être] laissés pour compte (…)» (p. 268). Par conséquent, la connaissance de ces contextes permet de mieux comprendre les comportements qui sont adoptés par les membres de la famille et de mieux intervenir lorsque des difficultés se présentent. Au-delà de ces contextes, la pratique quotidienne du rôle beau-paternel influence aussi les conceptions de ce rôle chez les membres de la famille. En fait, les liens qui se tissent au gré des expériences vécues façonnent en continu leur façon de voir. Les causes des difficultés persistantes dans la relation beau-père/jeune © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Si plusieurs relations beau-père/jeune semblent évoluer du négatif vers le positif, d’autres n’arrivent pas à maintenir l’harmonie. Des adultes suggèrent que la personnalité ou l’humeur de certains jeunes expliquent ces difficultés alors que des jeunes disent que ce sont les comportements de leurs beaux-pères qui en sont la cause (43). Une des explications avancées par un beau-père est que cette situation prend racine dans le passage d’une relation initialement «amicale» à une relation plus «autoritaire». Pourtant, nos observations montrent que les jeunes n’acceptent pas mieux les interventions des beaux-pères qui s’engagent peu dans la discipline que les interventions de ceux qui sont très impliqués. En fait, on observe que les jeunes apparaissent mieux accepter des interventions beaux-paternelles qui viennent appuyer celles de la mère ou qui s’inscrivent dans la tradition parentale. Ainsi, un jeune pourrait mieux accepter un beau-père strict qui appuie les interventions d’une mère déjà sévère qu’un beau-père qui a des demandes qui lui semblent éloignées des exigences habituelles de ses parents. Ce constat appuie la conception du rôle beau-paternel des jeunes qui considèrent que leurs parents devraient demeurer les premiers responsables de leur éducation. À leurs yeux, le beau-père ne devrait donc pas prendre d’initiative dans ce domaine. De plus, même lorsqu’une relation de qualité a été développée entre un beaupère et un jeune, il ressort que l’exercice de la discipline reste le «maillon faible» du rôle beau-paternel. En cas de difficultés, c’est donc dans ce domaine que les réactions des jeunes sont les plus vives. «Contrairement à quand j’étais jeune, quand je faisais mes devoirs, pis que je lui parlais de tout, je sais que ça a changé. Je sais que je le déçois. Tu sais, avec tous les bons conseils qu’il m’a donnés, je sais que je le déçois, parce que je ne fais pas toujours les bons choix […](Sophie) (44). Moi et mon beau-père, on a des super liens. On est comme inséparables. Mais il y a eu des bouts plus difficiles, quand j’ai eu ma crise d’adolescence. Je pensais haïr tout le monde. Pis dans ce temps-là, mon beau-père me parlait pis je me disais : «Il est tu tannant» (45). Pis là quand j’ai fini ma mini crise, la relation est revenue, ça a remonté (Olivier)» (46). En résumé, le discours des participants suggère que la qualité des liens familiaux est un facteur déterminant de l’engagement beau-paternel et qu’elle contribue à définir les limites du rôle des beaux-pères dans la famille et auprès des enfants. Par ailleurs, on observe qu’une relation de qualité entre un jeune et un beau-père peut se détériorer, notamment au moment de l’adolescence. Il est cependant possible qu’une fois les difficultés aplanies, la relation puisse à nouveau évoluer vers l’harmonie, comme le suggère le commentaire d’Olivier. Conclusion Comme on a pu le constater, l’analyse montre qu’il reste encore beaucoup d’ambiguïtés autour du rôle que devrait jouer un beau-père dans la famille. L’influence des différents contextes énumérés plus tôt fait que chaque situation est unique. Par conséquent, le beau-père remplaçant, l’additionnel ou le périphérique peuvent tous constituer une bonne option, si le rôle qui est finalement adopté s’ajuste au contexte particulier de la famille. Pour le professionnel qui intervient dans la famille, cela signifie qu’il est essentiel de garder en tête que la recomposition familiale s’inscrit dans une histoire familiale qui a commencé bien avant la remise en couple de la mère. À titre d’exemple, il est apparu évident que le manque d’ouverture d’une des jeunes participantes envers son beau-père était relié au décès de son père qui avait eu lieu huit ans auparavant. Faire le deuil des figures paternelles qui ont précédé est essentiel pour qu’un jeune puisse investir dans une nouvelle relation parentale. Par ailleurs, les résultats montrent que les participants de l’étude adhèrent davantage aux valeurs traditionnelles que ceux provenant de la population générale et qu’ils sont plus nombreux à fonctionner comme une famille biparentale intacte. Ce constat appuie d’autres études réalisées dans les milieux populaires (47) qui en arrivent aux mêmes conclusions. Dans la présente étude, ces valeurs apparaissent favoriser un engagement important de la part des beaux-pères qui disent avoir le devoir moral de s’occuper des enfants de leur conjointe. Pour plusieurs de ces hommes, ce devoir se traduit par une implication importante de leur part dans la discipline. Agir de cette manière peut cependant s’avérer irritant pour certains jeunes qui croient que leurs parents doivent demeurer les premiers responsables de leur éducation, notamment dans le domaine de la discipline. Des conflits peuvent résulter de ces divergences de vue et nuire à la qualité de la relation beau-père/jeune qui est pourtant essentielle pour que ces derniers répondent favorablement aux demandes de leur beau-père. S’attaquer à changer les valeurs des beaux-pères ou des jeunes est très difficile, sinon impossible. C’est pourquoi, une façon de faire intéressante pour un intervenant serait d’amener ces derniers à voir les difficultés de cette nature non pas comme des comportements à changer chez l’un ou chez l’autre, mais comme un problème qu’ils ont en commun. En procédant de la sorte, l’intervenant permet aux beaux-pères et aux jeunes de jeter un regard neutre sur la situation. De (42) Sonia est une jeune fille de 15 ans qui vit avec sa mère et son beau-père depuis quatre ans et demi. (43) Rappelons que les familles de cet échantillon vivent de graves difficultés et que ces difficultés peuvent expliquer, du moins en partie, les problèmes relationnels vécus entre un jeune et son beau-père. (44) Sophie est une jeune fille de 17 ans qui vit avec sa mère et son beau-père depuis 11 ans. (45) Expression québécoise signifiant «exaspérant». (46) Olivier est un adolescent de 13 ans qui vit avec sa mère et son beau-père depuis 2 ans. JDJ n° 315 - mai 2012 31 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Il ressort que l’exercice de la discipline reste le «maillon faible» du rôle beau-paternel plus, il ouvre la porte au dialogue en permettant à chacun d’exprimer les raisons qui le poussent à agir. La compréhension mutuelle qui en résulte favorise la résolution des difficultés. © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Par ailleurs, les résultats de l’étude montrent que la qualité des liens doit se développer simultanément et au prix des efforts constants de tous les membres de la famille. En outre, la qualité de la relation beau-père/jeune ne doit jamais être considérée comme acquise. La période de l’adolescence serait d’ailleurs une période particulièrement propice à l’émergence de difficultés susceptibles de détériorer cette relation. Pour l’intervention, cela veut dire qu’il pourrait s’avérer judicieux pour un beau-père de passer d’un rôle de remplacement à un rôle d’addition et même à un rôle périphérique si la situation l’exigeait. De fait, les jeunes apparaissent toujours mieux accepter les interventions de leurs parents que celles de leur beau-père. Le niveau d’engagement du beau-père dans la famille résulte d’un exercice de haute voltige où contextes et liens s’entremêlent. C’est à travers cet exercice que se construit son identité beaupaternelle, en même temps que son rôle parental y trouve ses limites et évolue. À cela s’ajoutent les valeurs et croyances des beaux-pères qui contribuent à donner une couleur unique à leur présence au sein des constellations familiales étudiées. Références J.-C. ABRIC, Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF, 1994. J.-C. ABRIC, «Méthodologie de recueil des représentations sociales», dans J.-C. ABRIC (Ed.), Pratiques sociales et représentations (77-102), Paris, PUF, 2011. J.-C. ABRIC, «Pratiques sociales, représentations sociales», dans J.-C. ABRIC (dir.) (chapitre 3, pp. 73-102), Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF (p. 267), 2011. L. BERGER, C. PAXON et J. WALDFOGEL, «Mothers, Men and Child Protective services involvement», Child Maltreat- 32 ment, 14(3), 2009, 263-276. J. CHARBONNEAU et J. OXMAN-MARTINEZ, «Abus sexuels et négligence : mêmes causes, mêmes effets, même traitement», 1996, Santé mentale au Québec, 24, 249-270. H. DUBOWITZ, «Commentary of fathers and children and maltreatment», Child Maltreatment, 14(3), 2009, 291-293. V. L. GADSDEN et collaborateurs, The Fathering Indicator Framework : A tool for quantitative and qualitative analysis, Philadelphia (PA), National Center of Fathers and Families, University of Pennsylvania, 2001. V. L. GADSDEN et collaborateurs, «Fathering indicators for practice and evaluation : the fathering indicators framework», dans R. D. DAY et Michael E. LAMB (Eds.), Conceptualizing and measuring father involvement (pp. 385-415). Mahwah, N.J, Lawrence Erlbaum, 2004. K. A. KOST, «The function of fathers : What poor men say about fatherhood?» Families in Society, 82(5), 2001, 499508. D. B. MARSHALL, D. J. ENGLISH et A. J. STEWART, «The effect of fathers or father figures on child behavioral problems in families referred to child protective services», Child Maltreatment, 6, 2001, 290-299. Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, «Cadre de référence sur les ressources intermédiaires», 2001, dans publications.msss.gouv. qc.ca/acrobat/f/.../2001/01-801-01.pdf, consulté le 25 janvier 2012. S. MOSCOVICI, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1976. M.-C. LE PAPE, «Être parent dans les milieux populaires : entre valeurs familiales traditionnelles et nouvelles normes éducatives», Informations sociales, 154(4), 2009, 88-95. C. PARENT, M. BEAUDRY, M.-C. SAINTJACQUES et D. TURCOTTE, «L’implication parentale du beau-père en famille recomposée», Enfances, Familles, Générations, 8, 2008,154-171, www.efg.inrs.ca. C. PARENT, C. ROBITAILLE, «Portrait de familles recomposées : analyse du discours de conjoints et de conjointes vivant en famille recomposée», Intervention, 122, 2005, 102-111. C. PARENT, M.-C. SAINT-JACQUES, M. BEAUDRY et C. ROBITAILLE, «Stepfather involvement in social interventions made by youth protection services in stepfamilies», Child et Family Social Work, 12(3), 2007, 229-238. E. POULIOT, M.-C. SAINT-JACQUES, Recomposition familiale et abus sexuel, Intervention, 117, 2002, 77-90. A. RADHAKRISHNA, I. E. BOU-SAADA, W. M. HUNTER, D. J. CATELLIER et J. B. KOTCH, «Are father surrogates a risk factor for child maltreatment?», Child Maltreatment, 6, 2001, 281-289. M.-C. SAINT-JACQUES, S. DRAPEAU, C. PARENT, M.-E. ROUSSEAU, E. GODBOUT, M.-C. FORTIN et T. KOURGIANTAKIS, «Que nous ont appris les années 2000 au sujet des impacts de la vie en famille recomposée?», Actes du colloque conjoint de la Fédération des associations de juristes d’expression française de Common law et l’Association internationale francophone des intervenants auprès des familles séparées, Évolution et révolution de la justice familiale, Ottawa, 2010. M.-C. SAINT-JACQUES, R. CLOUTIER, R. PAUZÉ, M. SIMARD, M.-H. GAGNÉ et G. LESSARD, La spécificité de la problématique des jeunes suivis en centre jeunesse provenant de familles recomposées, Québec, Centre de recherche sur les services communautaires, 2001. (47) M.-C. LE PAPE, «Être parent dans les milieux populaires : entre valeurs familiales traditionnelles et nouvelles normes éducatives», Informations sociales, 154(4), 2009, 88-95. JDJ n° 315 - mai 2012 © Association jeunesse et droit | Téléchargé le 31/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 181.66.151.115) Passer d’un rôle de remplacement à un rôle d’addition