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Perez importante.Evolucion del retrato del rey

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LES RIDES D'APOLLON : L'ÉVOLUTION DES PORTRAITS DE LOUIS
XIV
Stanis Perez
Belin | « Revue d’histoire moderne & contemporaine »
2003/3 no50-3 | pages 62 à 95
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-etcontemporaine-2003-3-page-62.htm
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Stanis Perez, « Les rides d'Apollon : l'évolution des portraits de Louis XIV », Revue
d’histoire moderne & contemporaine 2003/3 (no50-3), p. 62-95.
DOI 10.3917/rhmc.503.0062
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ISSN 0048-8003
ISBN 2701134331
La monarchie française
Les rides d’Apollon :
l’évolution des portraits de Louis XIV
Stanis PEREZ
L’anecdote est rapportée par l’abbé Mazière de Monville. Alors que le roi
scrute le portrait que Mignard vient de faire de lui, le monarque fait cette
réflexion :
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Vrai, faux ou transformé, ce bref échange entre le peintre et son modèle
pose bon nombre de questions touchant à la représentation du roi. Non que
le sujet soit des plus neufs : de nombreuses analyses, souvent de qualité, ont
traqué les mécanismes de la représentation de la monarchie jusqu’à ses
recoins métalliques. Mais le dispositif mytho-historique de la représentation
(le roi est Apollon, Mars, Hercule, le roi est toujours vainqueur sur les
champs de bataille) ne saurait totalement éluder le problème de l’évolution
des portraits en relation simplement avec la vie biologique du roi, celle-là
même qu’il s’agit avant tout de représenter2. Ce n’est donc pas la symbolique
des portraits qu’on veut étudier ici comme rhétorique de l’information et de
la louange ni une hypothétique falsification du corps mortel, mais au-delà,
l’adaptation complexe des formes à l’histoire biologique du roi (croissance,
maladies, vieillesse).
La représentation du roi est l’un des dispositifs les plus complexes du système
monarchique, il passe par des portraits plus ou moins officiels, des monnaies,
1. Abbé MAZIERE DE MONVILLE, La Vie de Pierre Mignard, premier peintre du Roy, avec le poëme
de Moliere sur les Peintures du Val-de-Grace, Paris, J. Boudot, J. Guerin, 1730, p. 174. Quelle est l’œuvre
en question ? Peut-être le portrait équestre devant Namur. Le roi n’apparaît pas très ridé mais son
regard est vide, comme celui d’un soldat épuisé (MV [inventaire des peintures de Versailles] 2032). Voir
le site du ministère de la Culture (http://www.culture.fr/documentation /joconde/pres.htm).
2. Gérard SABATIER, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999 ; Alain GUÉRY, « Versailles,
le phantasme de l’absolutisme (note critique) », Annales HSS, 56/2, 2001, p. 507-517 et Joël CORNETTE,
Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté monarchique dans le Grand Siècle, Paris, Payot, 1993.
REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
50-3, juillet-septembre 2003.
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« Vous me trouvez vieilli, disoit ce prince à son Premier peintre, qui le regardoit avec un
extrême attention. “Il est vrai, Sire, que je vois quelques campagnes de plus tracées sur le
front de Votre Majesté”. On peut juger par la réponse de Mignard, que les rides du front
n’avoient point passé jusqu’à l’esprit »1.
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jetons et médailles, des monuments (statues équestres ou non, arcs de
triomphes, constructions éphémères des fêtes et entrées…) censés donner à
voir le roi absent ou redoubler en sa présence l’incarnation du pouvoir3. On
peut discuter la notion de représentation comme résultat d’un « manque de roi »,
qui serait compensé par son effigie, un peu comme dans les exécutions utilisant
des mannequins quand le condamné reste introuvable4. La fonction politique
du portrait semble indéniable, mais peut-être pas au point jusqu’où allait Louis
Marin, voyant dans le portrait du monarque le seul vrai roi qui soit, un peu
comme si la monarchie se limitait à n’être qu’un jeu d’images et de reflets trompeurs, circulant entre les esprits et les objets pour faire vivre un roi de théâtre5.
Quant à l’idée de représentation compensant l’absence physique du roi, une
étude d’envergure se fait toujours attendre et dans l’optique de la théorie des
deux corps du roi, la place exacte des images du corps mortel reste à définir6.
On se limitera par souci de cohérence et de brièveté aux portraits de
Louis XIV, non pas parce que ses images sont plus intéressantes que celles des
autres souverains, mais parce que la longévité de son règne a multiplié les
œuvres, et ce, en référence à un corps soumis bientôt au poids des ans. Il s’agit
de voir comment a évolué le visage du roi, de sa prime enfance jusqu’à ses dernières années, tout en constatant que l’idéalisation n’a pas toujours été de mise
et pas toujours là où l’on pourrait l’attendre. Par souci de clarté, précisons
d’entrée l’idée que nous souhaitons développer : les représentations du roi ne
travestissent pas son apparence corporelle. Elle est parfois retouchée mais
moins dans l’intention de mentir aux sujets que de respecter des conventions
iconographiques propres au genre du portrait et à la glorification indistincte
des stratégies et de la personne royales.
Difficulté à noter : le nombre des portraits et leur éparpillement. Les portraits de Louis XIV sont innombrables et tout catalogage exhaustif s’avère
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3. Peter BURKE, Louis XIV, les stratégies de la gloire (1992), trad. fr., Paris, Le Seuil, 1995.
4. Pour les médailles et jetons, l’ouvrage de référence demeure celui de Josèphe JACQUIOT,
Médailles et jetons de Louis XIV d’après les manuscrits de Londres ADD 31908, Paris, Imprimerie nationale/Klincksieck, 1968. Sur l’entreprise monarchique qu’est le Cabinet des médailles, voir Thierry
SARMANT, Le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale (1661-1848), Paris/Genève, École des
Chartes/Droz, 1994.
5. « (…) l’effet de représentation, fait le roi, en ce sens que tout le monde croit que le roi et
l’homme ne font qu’un, ou que le portrait du roi est seulement l’image du roi. Personne ne sait qu’à
l’inverse le roi est seulement son image et que, derrière ou au-delà du portrait, il n’y a pas le roi, mais
un homme. Personne ne sait ce secret et le roi moins que tous les autres, peut-être » : Louis MARIN,
Le Portrait du roi, Paris, Minuit, 1981, p. 267. Idée suivie par G. SABATIER, op. cit., p. 566-568.
6. On essaiera ici d’échapper à la tentation de décrypter les œuvres en fonction de leur prétendue symbolique ou message caché. Non pas qu’il s’agisse d’images par opposition à des textes, mais
la lecture des images est un jeu historiographique délicat dans la mesure où les images, parce qu’elles
sont des images, ne se lisent pas, elles se regardent pour elles-mêmes à moins qu’elles ne viennent
expressément remplacer ou prolonger idées, mots ou phrases. L’image s’interprète, elle ne se lit pas.
Sur le rapport écrit-image : Jean-Claude SCHMITT, « Écriture et image : les avatars médiévaux du modèle
grégorien », in Le Corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 2002,
p. 98-133, surtout p. 102. Quant à l’aller-retour entre l’image et le texte que propose G. SABATIER,
on notera simplement que les sources normatives ne sont pas toujours les plus pertinentes pour étudier des processus psychologiques et politiques mis en place autour des représentations. (op. cit., p. 42).
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LES RIDES D’APOLLON
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REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
impossible tant les copies, reproductions et œuvres perdues sont légion.
Ajoutons qu’il faut impérativement tenir compte des portraits numismatiques, des sculptures et pourquoi pas des descriptions littéraires qui, elles
aussi, offrent une image à part entière du souverain7.
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Plusieurs œuvres représentent le roi dans ses premières années, voire ses
premiers mois. Face au cliché du vieux roi debout en costume de sacre devant
son trône légué par le portrait de Rigaud, celui plus tendre du roi-bébé
emmailloté et tenu par sa nourrice multiplie les interrogations. L’image du
roi-enfant est-elle encore celle d’un roi ? Quel est le rapport entre le corps
mortel et le corps immortel ? Y a-t-il un risque à représenter le futur roi
comme un petit être fragile qui, loin de toute mythologie, soulève le voile de la
représentation ?
Le portrait de Mme de La Giraudière (doc. 1, p. 90), l’une des nourrices
du roi, nous montre un poupon joufflu solidement emmailloté comme de
coutume à son âge.8 Sa haute extraction n’est révélée que par la présence du
cordon du Saint-Esprit ; pour le reste, il est un bébé comme les autres, bonnet
en tête, à l’image de celui qui dort dans l’Adoration des bergers peinte par La
Tour.9 La fonction de ce tableau rectifie l’idée qu’on pourrait se faire d’une
œuvre ignorant toute idéalisation et toute instrumentalisation politique, en
montrant le futur roi dans l’état qui était le sien dans ses premiers mois, dans
les bras d’une nourrice montrant son sein : le regard satisfait de la dame
montre bien qui est le personnage principal du tableau. C’est elle et non le
Dauphin, client de choix qui autorise l’allaitante de poser pour la postérité
comme la photographie d’un pêcheur goguenard tenant son gros poisson. Ce
n’est pas un portrait officiel, c’est un portrait de la nourrice la plus chanceuse
du royaume parce qu’elle allaite le futur roi. La circulation de cette image fut
7. La tentative existe néanmoins : Charles MAUMENÉ, Louis D’HARCOURT, « Iconographie des
rois de France, 2e partie » dans Archives de l’art français, Paris 1931, t. XVI. Voir aussi Visages du Grand
siècle. Le portrait français sous le règne de Louis XIV, Nantes/Paris, Somogy, 1997. Nicole FERRIER-CAVERIVIÈRE, L’Image de Louis XIV dans la littérature française de 1660 à 1715, Paris, PUF, 1981. Ouvrage
complété à sa manière par Pierre ZOBERMAN, Les Panégyriques du roi à l’Académie française, Paris,
Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1995.
8. Huile sur toile, 84 x 68 cm, château de Versailles, MV 5272. La Giraudière était l’épouse d’un
officier du trésor royal d’Orléans. Sur sa nomination à la charge de nourrice, voir Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents, France, 830, fol. 90. Fr. Mauriceau justifie cette
pratique en écrivant à l’attention de tout bébé « qu’il doit être emmailloté afin de donner à son petit
corps la figure droite, qui est la plus décente, et la plus convenable à l’homme, et pour l’accoutumer
à se tenir sur ses deux pieds » : Les Maladies des femmes grosses et accouchées, Paris, Henault, d’Houry,
Coignard, 1668, p. 454.
9. Reçu des mains de son père quelques jours après sa naissance selon le R. P. Anselme de SainteMarie repris dans M. DU FOURNY, Histoire généalogique et chronologique de la Maison de France (…),
Paris, 1733, IX, p. 181. Conservée au Louvre (RF 2555). Voir aussi son Nouveau né à Toronto (Art
Gallery of Ontario, Inventaire 91/415) et à Rennes (INV 794.2.6).
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« LE ROI N’EST JAMAIS ENFANT » OU LE PARADOXE DES IMAGES
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sans nul doute des plus restreintes. Il s’agit, à notre connaissance, du seul portrait peint montrant le Dauphin emmailloté. Laissons de côté les rares gravures le montrant dans la même posture près d’Anne d’Autriche, il n’y est pas
aussi visible10.
Quelques années plus tard, on retrouve le petit enfant vêtu d’une robe fleurdelisée et tenant deux fleurs à la main (ce ne sont pas des lys) ; cf. doc. 2, p. 91. Il
a environ quatre ans (on ne porte la robe que jusqu’à l’âge de cinq ans traditionnellement), il se tient debout, porte un bonnet blanc (on le porte jusqu’à sept ans)
et a un visage étrangement similaire à celui du portrait emmailloté11. Une expression assez indéfinissable mêlant sourire et joie hébétée caractérise le tableau, peutêtre le premier portrait officiel du Dauphin, parce qu’il est représenté seul et dans
une posture très significative. Marque de la petite enfance, le bonnet blanc a aussi
une fonction hygiénique dans l’esprit des pédagogues et des médecins de
l’époque : il couvre la tête en aspirant ses effluves12. Ici la fonction monarchique
apparaît par l’entremise de la robe (presque un costume de sacre taillé sur
mesure), du décor (une lourde tenture flotte au second plan, comme dans les portraits officiels) et de ces fleurs, intruses à moins d’y voir un futur sceptre.
Le costume, quoique seyant, semble ridicule. Tout comme l’atmosphère
de l’œuvre. On croirait une peinture satirique grimant un bébé en roi adulte :
ce malaise du spectateur contemporain tient tant de la représentation que du
système politique en question. Si le roi (le vrai, Louis XIII) vient à mourir,
voilà qui sera son successeur et personne ne saurait y faire grand-chose, sauf les
Grands, mal inspirés peut-être. La fragilité extrême de l’édifice monarchique,
liée plus qu’on ne le pense au corps mortel du roi, éclate dans cette allégorie de
la monarchie puérile. La fleur-sceptre est autant signe du destin du roi que le
symbole – involontaire ? – de la fragilité tant du corps du petit enfant (il n’y a
pas de grosse différence entre la mortalité des jeunes princes et celle des enfants
moins illustres) que de la fonction qu’il est censé incarner bientôt13.
La question n’est pas de savoir si un roi peut être enfant, mais de savoir
comment l’imagerie royale s’accommode d’un corps âgé de quelques années.
Faut-il vieillir artificiellement le visage de l’enfant ? Faut-il faire comme si de
10. Voir La Naissance de Mgr le Dauphin (BnF, Estampes, Henin, 2727 et 2728) et La Ioye de la
France par A. Bosse (Henin, 2729).
11. MV 8499. Comment ne pas songer en le voyant au portrait placide de l’Infant Philippe
Prosper que Vélasquez peint à quelques années d’intervalles en 1659 ? Huile sur toile, 128,5 x 99,5 cm,
Kulturhistorische Museum de Vienne.
12. « Secondement qu’il y aye tousiours une coeisfe de laine bien blanche et delicate laquelle attirera toutes les humiditez et saltes que la teste de SAR pourra produire par la corruption de la chaleur naturelle destenue du bonet. », Maximes d’Éducation et Direction puerile Des devotions meurs actions,
occupations, divertissmens, jeux et petit estude de Monseigneur le Daufin jusques a l’aage de sept ans, BnF,
ms. fr. 19043, f. 28 r°. Sur le sens de cet usage, Georges VIGARELLO, Le Propre et le sale. L’hygiène du
corps depuis le Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 1985, p. 69-72.
13. Notons au passage que la toute première saignée pratiquée sur le roi est intervenue alors
qu’il n’avait que… onze mois, le 20 mai 1639. C’est Bontemps père qui s’en charge. : « Le 20e de ce
mois, Monseigneur le Daufin fut saigné par le sieur Bontemps premier Chirurgien du Roy, et s’en
porte fort bien », Gazette de France, n° 64, p. 283-284.
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LES RIDES D’APOLLON
REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
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rien n’était, en suivant les voies habituelles de la figuration monarchique ? Cela
renvoie inexorablement à la notion de circulation des images royales : qui les
commande ? Pour quel usage particulier ? Avec quel cahier des charges ?
Prenons un autre exemple : le portrait de Mme de Lansac, gouvernante des
enfants de France14. La toile anonyme présente Françoise de Souvré près d’un
trône aux dimensions d’une banquette (!) sur lequel ont pris place Louis XIV et
son frère. L’œuvre doit dater de 1642 puisque c’est Mme de Senecey qui la remplace alors. Or, la mention peinte dans un cartouche en haut à droite mentionne
« Louis XIIII » : son père serait par conséquent déjà mort au moment de la réalisation du tableau. L’œuvre pourrait-elle être plus tardive ? Le titre de
Monsieur nommé « Philippe d’Orléans » la placerait au détour des années 1660,
mais il s’agirait en conséquence d’une représentation du roi enfant alors qu’il
aurait été adulte au moment de la composition. De toute évidence, le cartouche
a été peint plus tard, même si les portraits rétrospectifs ne sont pas impossibles :
l’histoire métallique le prouve de manière indéniable. Cette apparition au
deuxième plan n’est-elle pas la première représentation du roi en tant que tel ?
Sous un dais de brocart rouge, on distingue le symbole solaire, les armes de la
Couronne, des fleurs de lys, bref tout ce qu’il faut pour identifier à coup sûr la
fonction du petit garçon qui regarde le spectateur. Il porte un manteau fleurdelisé et l’éternel cordon du Saint-Esprit mais sous les conventions de la représentation pointent les signes bien visibles de l’enfance : mèche longue (comme sur
les monnaies), bonnet brodé, robe blanche et petits souliers à bout plat. Pas de
doute, c’est le Dauphin dans sa troisième ou quatrième année. Un lys traîne à
ses pieds, un pseudo-sceptre ou un rappel de sa conception « miraculeuse »15…
Mettons en série les deux images de la nourrice et de la gouvernante : elles
montrent toutes deux des proches du Dauphin dont la proximité tient du privilège16. La nourrice et la gouvernante exhibent toutes deux le petit Louis d’une
manière rappelant les portraits d’orfèvres ou de changeurs tenant en main une
aiguière en vermeil ou quelques espèces sonnantes et trébuchantes, l’attribut principal de ces métiers entrant de plein droit dans le tableau, il désigne la fonction au
cas où le spectateur ne comprendrait pas bien le sens de l’œuvre. Cette proximité
avec le Dauphin ou le roi se borne au domaine de la figuration, le spectateur ne
14. Huile sur toile, 2,50 x 1,96 m, MV 3370. À son propos, W. WELLS, « Pictures in the collection : a royal portrait from the Hôtel de La Ferté », Leeds Arts Calendar, vol. 5, n° 18, printemps 1952,
p. 69-72.
15. On retrouve un lys sur un portrait anonyme mentionné dans L’Inventaire des tableaux du roy
rédigé en 1709 et 1710 par Nicolas Bailly : « (…) portrait du Roy dans sa jeunesse, assis sur un carreau, tenant un lis dans sa main, s’appuyant sur un globe où il y a des fleurs de lis ; figure comme
nature ; ayant de hauteur 2 pieds 3 pouces sur 23 pouces de large (…) »: F. Engerand (publ.), Paris,
E. Leroux, 1899, p. 602.
16. La proximité tient du privilège comme le don de son portrait par le roi. Et pourtant… Si le
roi régale certains sujets étrangers de son portrait on peut s’interroger sur la confusion facile entre
valeur symbolique et valeur marchande. Un exemple : les ambassadeurs vénitiens ont l’habitude de
recevoir une chaîne en or pesant cent onces avec un petit portrait du roi en médaillon : voir Armand
BASCHET, Histoire de la chancellerie secrète. Les Archives de Venise, Paris, Plon, 1870, p. 356.
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pouvant que s’extasier devant sa présence, mais au bénéfice particulier du commanditaire, dont la fierté pointe inexorablement. Ces deux toiles semblent dire :
« Regardez qui est là, j’ai travaillé pour le futur roi, je suis proche de lui, vous qui
me regardez, vous n’en revenez pas ». En un mot, le Dauphin sert de faire-valoir.
Ces œuvres rappelleront plus tard la gloire passée d’une nourrice ou d’une gouvernante et contribueront au prestige de la mémoire familiale. Pourtant, si cette
présence était à ce point fondamentale, combien de portraits d’officiers voire de
ministres proches du roi n’intégreraient pas volontiers son image ?
Ici en l’occurrence, il est question de portraits présentant un très jeune
enfant, mais tout un chacun peut voir Louis XIV au même âge par l’intermédiaire de la monnaie. Quoique très jeune, le roi est pleinement souverain sur
l’avers des monnaies et médailles, aux yeux de tous les Français fouillant dans
leurs poches. Quelques exemples semblent révélateurs. Les louis, demi-louis
ou double louis d’or gravés par Jean Warin et frappés à partir de 1643 ainsi que
les écus d’argent frappés jusqu’à la fin des années 1650 montrent le petit roi
joufflu, la bouche parfois entrouverte, les lèvres épaisses dénotant un léger
mais indéniable prognathisme et une mèche tantôt longue, tantôt courte17.
La légende appelle « roi » celui qui n’est qu’un prince mineur à tout point
de vue, mais ceci est justifié par le fait que les monnaies acquièrent leur valeur
symbolique grâce au portrait royal restituant une deuxième valeur faciale.18
La puérilité du visage s’efface imparfaitement devant la fonction et le costume,
puisque l’âge du personnage est la première chose que l’on remarque.
L’enfant-roi est légèrement prognathe (par le sang Habsbourg qui coule en ses
veines, n’oublions pas que Philippe III est son grand-père) mais pour l’instant,
personne ne songe vraiment à corriger ce détail peu dérangeant.
C’est bien le visage du roi, petit garçon de cinq ans, qui incarne la vieille
monarchie malgré son profil poupon. On souligne sur le métal précieux que
c’est bien du roi dont il s’agit et ce par les accessoires et le costume : on place
l’ordre du Saint-Esprit, on le drape à l’antique, on laisse pendre ses mèches et
l’on n’oublie pas les lauriers tout comme sur les dernières monnaies de
17. Frédéric DROULERS, Répertoire général des monnaies de Louis XIII à Louis XVI (1610-1792),
Paris, Copernic, 1987, Droulers 203 à 206 (désormais Dr.). Par exemple, Dr. 270 pour la mèche
courte et Dr. 275 pour la mèche longue. Cette dernière frappe montre le roi particulièrement prognathe. Notons au passage que la jeunesse du visage est à ce point secondaire que la réactualisation
des portraits est peu fréquente. La chose est commune : sur les demi-francs de Louis XIII au col fraisé
(Dr. 26), le visage du roi reste identique du début de l’émission (en 1610) jusqu’en 1627. Alors que
le roi a vingt-six ans, des monnaies le figurent sous les traits d’un enfant de neuf ans… Il semble que
la monarchie française se soit assez peu préoccupée de l’apparence du roi dans les portraits métalliques. Chez les Habsbourg, il en allait autrement et l’empereur Maximilien veillait à ce que son portrait sur les médailles soit ressemblant, voir Jahrbuch der Kunstsammlung des Allerhöchsten Kaiserhauses,
vol. 2, n° 1308, cité dans Martin WARNKE, L’Artiste et la Cour. Aux origines de l’artiste moderne, trad.
fr., Paris, Éditions de la MSH, 1989, p. 242.
18. C’est ce qu’explique BOIZARD dans son Traité des Monoyes : « Le terme Monoye, tire son origine du mot latin Monere, qui signifie avertir. Ce nom a été donné aux espèces à cause que leur
matiere, leur poids, leur emprainte et leur nom marquent leur valeur, font connoître celuy qui les a
fait fabriquer, et conservent la memoire des Princes et de leurs actions les plus remarquables » : Paris,
J. Le Febvre, 1711, p. 1.
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LES RIDES D’APOLLON
REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
Louis XIII19. En un mot, on frappe sur des monnaies qui se répandront dans
toute la France et au-delà ce que Sarrazin coule dans le bronze, à savoir un
petit empereur romain du XVIIe siècle ayant déjà le regard d’Auguste.20 Le roimineur est rendu majeur dans les représentations, ou par les attributs, ou par
le regard, quel que soit son âge.21
Autre exemple, celui des deux gravures de Daret gravées en 1640 et en
1643 (doc. 5 et 6, p. 94-95).22 La première « Monseigneur le Dauphin » montre
le garçonnet particulièrement joufflu (Warin n’a donc pas exagéré sur son
coin), bonnet et plume en tête, une branche d’olivier à la main, la couronne
n’est pas loin, il faut encore attendre23… Trois ans après, le graveur a succombé
à la tentation de la facilité : le sceptre a remplacé la branche d’olivier, la couronne vient par-dessus la coiffure habituelle. Il n’y a plus qu’à changer le titre et
inscrire sous le portrait « Louys XIV par la grâce de Dieu ». Le visage n’a pas
changé d’un iota, l’expression est la même, la puérilité aussi, il est peut-être trop
tôt pour donner à cet enfant l’air qui sera le sien sa vie durant.
Une œuvre méconnue du musée de Blois semble franchir d’un coup le
stade de l’enfance du corps pour représenter le roi dans une posture qui sera la
sienne durant des décennies. Debout, en robe (il semble trop âgé pour la
porter vraiment), avec un habit plus complexe que dans le tableau à la fleur (il
arbore déjà la cravate), il est solidement campé sur une grande lance, le poignet au côté dans une attitude mi-guerrière, mi-stoïque. Le regard, très profond, semble tout dire au profane sur l’identité du personnage.
Le peintre parvient à dépasser la pseudo-contradiction entre l’enfance du
monarque et sa condition, en éclairant cette médiocre toile d’un regard étonnamment stoïque, digne non d’un enfant (même si par convention on les représente toujours sérieux dans les toiles du temps24) mais d’un adulte à part
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19. À l’exception du Saint-Esprit toutefois. Dr. 62 notamment.
20. Ce magnifique buste daterait de 1643 et aurait peut-être servi de maquette pour le monument
du Pont-au-Change à Paris. Le roi ne porte pas de collier du Saint-Esprit mais le reste des antiques
attributs y est. H. 47 cm, musée du Louvre, voir Victor BEYER, Au Musée du Louvre, La Sculpture française du XVIIe siècle, Gorle-Gergamo, Grafica Gutenberg, 1977, fig. 34 ; Marthe DIGARD, Jacques Sarrazin,
son œuvre, son influence, Paris, E. Leroux, 1934, p. 152. Le sculpteur a réalisé un autre buste du roi âgé
de sept ans, les joues sont encore plus grosses mais le regard n’a plus rien de classique.
21. Dans le groupe pour le Pont-au-Change par Simon Guillain peut-être de 1647, le jeune roi
est en costume royal tout comme son père, curieusement présent, et sa mère. MR 3232. La chose est
des plus étranges et il est difficile de trouver d’autres témoignages de la présence conjuguée du père
et du fils dans leur posture royale. On rattachera à cette curieuse mise en scène une pièce d’hommage
de la taille d’un écu portant les deux effigies de Louis XIII et Louis XIV avec leur titulature normale.
Droulers la situe aux alentours de 1643 (op. cit., PH 32). L’autre exemple, conservé au Cabinet des
médailles, lui aussi relevé par Droulers, semble plus suspect de par la faible qualité de la frappe, l’incongruité du poids (celui d’un pseudo-liard) et surtout la titulature en français (PH 40).
22. BnF, Cabinet des Estampes, N. 2 (Collection des portraits alphabétiques).
23. Sur cette coiffure que l’on retrouve dans plusieurs œuvres, voir par exemple Bernard DORIVAL,
« Un portrait de Louis XIV par Philippe de Champaigne », Revue du Louvre et des musées de France,
21e année, n° 2, 1971, p. 67-80.
24. Exemple parmi d’autres, celui des Enfants du duc de Bouillon par Mignard. Huile sur toile,
89 x 119 cm, Honolulu, Academy of Arts, 4293.1, reproduit dans La Peinture française du XVIIe siècle dans
les collections américaines, catalogue de l’exposition, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1982, p. 194.
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LES RIDES D’APOLLON
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25. 1,32 x 1,05 m. Reproduction de l’œuvre bien difficile à trouver, on peut au moins en avoir
une idée dans Dr CABANES, Mœurs intimes du passé, septième série, Enfances royales, Paris, Albin Michel,
1949, p. 419, figure.
26. « Des plumes incarnates et des rubans de la même couleur achevoient sa parure ; mais les
beaux traits de son visage, la douceur de ses yeux jointe à la gravité, la blancheur et la vivacité de son
teint avec ses cheveux qui alors étoient fort blonds, le pâroient encore davantage que son habit. (…)
Il étoit grave, et dans ses yeux on voyait un air sérieux qui marquoit sa dignité » ; un peu plus loin
enfin, « J’ai souvent remarqué avec étonnement que, dans ses jeux et dans ses divertissements, ce prince
ne rioit guère » : Mme de MOTTEVILLE, Mémoires, Paris, Albin Michel, 1925, p. 146-147, 163 et 166167. Portrait à comparer avec le charmant visage d’une peinture anonyme le montrant vêtu à l’antique mais où l’expression n’a rien de royale et demeure celle d’un petit garçon de cinq ans – ou
plus – posant pour la postérité (MV 3439).
27. « Sur ses traits apparaissent la gravité et la tristesse. Il accomplit toute chose avec inclination
et grandeur. La mélancolie l’envahit dans une large mesure, et à l’excès à un âge où l’on est vif à l’ordinaire, à tel point que maintes gens redoutent que dans ses années adultes ne s’insinue dans son
esprit, à travers le feu des pensées sombres, la réserve ou la cruauté, l’une et l’autre abhorrées par la
nation.» (G.-B. Nani en 1648). Les ambassadeurs vénitiens 1525-1792, G. Comisso (publ.), trad. fr.
S. Aghion et Ch. Paoloni, Paris, Le Promeneur, 1989, p. 246. Les ambassadeurs A. Grimani et
A. Sagredo feront un constat identique dans les années 1660-1665.
28. Voir notamment les théories de la physiognomonie dont la bibliographie n’est pas à faire ici.
Signalons cependant l’œuvre très aristotélicienne de Marin CUREAU DE LA CHAMBRE, L’Art de connoistre
les hommes où sont contenus les discours preliminaires qui servent d’introduction à cette Science, 3e éd.,
Paris, J. d’Allin, 1667, p. 44 sq. et, plus probantes peut-être, les idées de Louis XIV lui-même sur le
sujet dans ses Mémoires pour l’instruction du Dauphin, J. Longnon (éd.), Paris, Le Club français du
Livre, notamment p. 236. Le roi fait le roi non comme un acteur qui reprendrait sa vraie vie après
le spectacle, mais comme un personnage qui doit être sans cesse à la hauteur de sa fonction.
29. C’est sans détour que LOMAZZO l’indique dans son célèbre Trattato dell’arte della pittura, scoltura, e architettura (Milan, P. G. Pontio, 1585), « Il decoro artificiale, é che quando il prudente pittore
dipingendo uno Imperatore, o un Rè, fà il ritratto loro grave, e pieno di maestà, ancora che per aventuro, egli naturalmente non l’habia (…). » (p. 30). L’art classique est en équilibre constant entre artifice et sublimation : la représentation d’un roi doit être grave même si le roi ne l’est pas, moins par
supercherie que par respect d’un genre, celui du portrait des puissants dans le temporel ou le spirituel.
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entière25. Dissimulation de l’enfance du roi ou traduction d’un caractère réel du
jeune Louis ? Il est vrai que Madame de Motteville remarquait un je-ne-sais-quoi
de majestueux dans ses yeux encore enfants, et ce à plusieurs reprises26. Mieux,
un ambassadeur vénitien note cette étrange mélancolie vers l’âge de onze ans27.
Le portrait invente peut-être au roi un regard qu’il n’avait pas ou pas tout à
fait, mais l’important n’est pas tant dans la ressemblance que dans l’évocation de
la majesté, et précisément le peintre a fait le choix qui convenait en privilégiant
les yeux. La thématique du visage, du regard et du contrôle de son expression est
centrale dans la culture corporelle de l’époque, qu’elle soit destinée aux nobles
des campagnes ou aux courtisans28. Un visage impassible, un regard profond et
un tantinet mélancolique sont signes de grandeur, de réflexion comme de maîtrise de soi ; en doter le portrait du petit roi est lui offrir la marque de la supériorité qui lui revient de droit : c’est en même temps un code de représentation sans
âge (on ne représente pas officiellement un roi hilare). Le roi est sérieux, parce
que sa fonction est sérieuse, donc le petit roi sera sérieux dans ses portraits
quand bien même il ne le serait pas dans la réalité. C’est là un des principes du
portrait depuis la Renaissance : il n’y pas d’opposition entre la fonction figurée et
l’apparence observée, cette dernière est à la rigueur secondaire29. Il a beau être
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REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
très jeune, le miracle de la fonction monarchique fait le nécessaire sur le visage du
prince. Quand il doit faire le roi, il le fait à la perfection30.
Il y a un va-et-vient permanent entre le corps du souverain, son apparence
habituelle et sa représentation, puisqu’il s’agit d’incarner quelque chose d’immense et de pesant dans un corps qui a priori n’est pas aux dimensions. Cela
ne se limite d’ailleurs pas aux œuvres figuratives où le sérieux se lit sur un
visage ou dans une attitude. Il faut peindre le visage sérieux parce que
dépouillé des regalia et autres ustensiles symboliques, le corps royal doit rester
royal à part entière. Qu’est-ce qu’un corps royal ? Comment le définir ?
Panégyrique et autres morceaux de circonstance apportent des éléments de
réponse :
« L’on iuge dans le visage des Roys, ce qu’ils sont au dedans, et l’image de leurs yeux est
tousiours la parfaite idée de leurs vertus. Ainsi lors qu’elle est mal gravée, elle diminuë la
gloire du Prince, et les siècles suivans qui la voyent, (…) ne se peuvent persuader qu’il y ayt
eu tant de vertu, de generosité, et de courage dans une ame, dont le corps n’avoit pas toutes
ses perfections et toutes ses beautez »31.
« Sire, ce qu’on voit dans vos yeux,
Et ce beau feu qui les enflame,
Trouble les sens, interdit l’ame
De qui veut imiter le Miracle des Cieux.
L’Art s’en estonne, et cède à la Nature,
Tous ses Efforts sont vains, et pour votre figure
Elle n’a ny pinceau, ny burin, ny compas :
On sçait graver un beau visage,
On sçait mesler la gloire avecque les appas,
On sçait faire encor davantage,
Mais tout ce que l’on fait ne vous ressemble pas »32.
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Alors que le premier texte souligne la mission historique du graveur, qui
doit par son habileté, et en insistant sur le visage et le regard du roi, léguer à la
postérité un portrait des vertus – supposées – du Prince, le second revient sur
30. À propos du lit de justice de 1655 rappelé par VOLTAIRE (Siècle de Louis XIV, chap. XXV)
lorsque le roi fait son premier coup de majesté en habit de chasse, voir L. MARIN, op. cit., Paris, Minuit,
p. 20.
31. MERCIER, Panegyrique royal de Louys quatorze, Paris, Vve A. Coulon, 1649, p. 3. Le thème du
beau Prince est fort ancien depuis la beauté d’Achille et d’Hector dans l’Iliade. Sans remonter si loin, relisons ce qu’écrit Jean LIEBAULT dans ses Trois livres de l’embellissement et ornement du corps humain (Paris,
J. du Puys, 1582) : seuls les hommes bien faits sont « comme dit Aristote en ses Politiques, dignes de commander et imperer aux autres, à l’imitation des Indiens et Aethiopiens, qui n’elisoient autres que pour
leurs Roys, que de beaux personnages : mesme les Lacedemoniens qui condamnerent leur Roy Archidamus
à une grande amande pour avoir espousé une laide et petite femme : se complaignans que d’elle ne pourroient naistre que Roitelets et enfans difformes, non grands et beaux tels qui doivent commander aux
Republiques, Empires, et Royaumes magnifiques. » (p. 3).
32. François DE BRETAIGNE, Le Roy mineur ou panegyrique sur la personne et l’education de Louis XIV.
Dieu-donné roy de France et de Navarre, dédié à Mgr le maréchal de Villeroy, Paris, J. Henault, 1651, préface.
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Un autre texte inaugurant un panégyrique assez célèbre reprend le thème
en le modifiant :
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le regard mais en évoquant au passage la limite des représentations33. En un
sens, les deux textes sont contradictoires et ne le sont pas. Tout deux sont des
panégyriques à leur manière, en demandant aux artistes de souligner par tous
les moyens que le corps physique du roi renvoie forcément à ses vertus, lisibles
d’une manière immédiate sur le visage.34 Et en montrant que les artistes ne
sauraient rivaliser par leurs créations avec l’original, ce qui est un lieu commun
des panégyriques et autres œuvres de louange, le modèle surpassant toujours
la copie.
Les deux panégyriques parlent du regard du roi et des portraits qu’on
peut en brosser, ils justifient par là, la représentation du corps tel qu’il est réellement, celui d’un enfant. L’enfance n’est pas effacée par la mimesis monarchique mais elle donne lieu à la réaffirmation du principe selon lequel la
souveraineté s’incarne dans et par un corps quel que soit son âge. Il n’y a pas
de phantasme monarchique vouant la personne royale à une forme de désincarnation corporelle dans une négation ou une dissimulation absolue de son
apparence physique (âge, maladie, etc.), mais en l’occurrence une théorie justifiant politiquement le principe de l’hérédité susceptible de donner la
Couronne à des rois-nourissons. Le roi doit se montrer pour figurer l’État
quelle que soit sa complexion physique. Costumes, postures et environnement
allégorique ne lui appartiennent guère, ses prédécesseurs en ont déjà fait usage
avant lui.
Une gravure de Moncornet, des années 1655-1660, représente le roi adolescent dans un portrait ovale où il porte tous les attributs du pouvoir, regalia, symboles monarchiques et bien sûr visage et regard marqués d’un air « majestueux »
(mais plus noble que royal, car dans le portrait de Monsieur du même graveur, le
regard est en tout point identique). Il y a parenté de regard parce qu’il y a parenté
proche et que Monsieur est après tout un roi en puissance35. Un poème accompagne le portrait dont on ne retiendra que le dernier vers : « Les rois ne sont jamais
enfants »36. Cette phrase doit être comprise dans les deux sens : les rois ne sont
jamais vraiment mineurs (malgré les régences qui sont des périodes de transition
n’excluant pas les coups de majesté et la soumission relative des Grands) et la
fonction monarchique transcende le corps physique sans le renier (il n’y a qu’un
33. Autre exemple sous la plume de Benserade :
« C’est de l’original le crayon imparfait ;
Il y respire un air de tout ce qu’il a fait ;
Gennes humiliée, Alger, les deux Mers jointes,
Tant d’Actes merveilleux brillent dans ses regards : (…) »
« Sur le portrait de Sa Majesté », dans Œuvres de monsieur Benserade, Paris, Ch. De Sercy, 1697, p. 25.
34. Cet élément n’est pas sans rappeler l’anecdote sur le regard impressionnant d’Auguste dans la
Vie des douze Césars. Voir Auguste, LXXIX. On y retrouve même la métaphore solaire.
35. Ce dernier s’en rend totalement compte lors de la périlleuse maladie de son frère en juillet 1658.
Voir le récit de Bruzen DE LA MARTINIÈRE dans son Histoire de la vie et du regne de Louis le Grand enrichie de médailles, II, La Haye, J. Van Duren, 1741, p. 430.
36. « Louys, qui promet le calme après l’Orage,/ Ioint desia des Lauriers à ses Lys Triomphans,/
Et par ses actions plus grandes que son aage,/ Nous apprend que les Roys ne sont jamais enfans. »
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LES RIDES D’APOLLON
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seul corps habité par la fonction royale dans un rapport d’identité)37. À la rigueur,
cet état infantile peut renforcer la personnalisation du roi, échappant aux représentations stéréotypées où tous les rois ont le même visage, la même apparence38.
Ce qui pouvait passer pour l’envers de la monarchie, le fait qu’elle soit un
régime héréditaire par conséquent soumis à mille contingences d’ordre biologique, devient un argument supplémentaire dans le discours de justificationcélébration du système. La monarchie serait-elle un régime fragile portant au
trône des enfants ? Non, dit le poète, puisque les rois ne sont jamais enfants : ce
n’est ni l’âge, ni le corps qui importent, la fonction, le nom seul de « roi » prévaut et dépasse les vicissitudes de l’apparence physique. Dans la réalité, les
choses sont plus compliquées mais la glorification, un des dispositifs majeurs
de la monarchie, s’applique à n’importe quel corps. Il s’agit en un sens de proclamer haut et fort que l’enfance du souverain n’est pas un problème d’ordre
politique et que le gouvernement du royaume sera assuré par le successeur du
roi défunt, les conventions des représentations officielles étant suffisamment
rodées pour faire le reste.
L’idéalisation fonctionnelle, celle qui fait dire que les rois ne sont pas des
enfants (au sens d’in fans, sans parole, sans pouvoir), ne rechigne aucunement
à les montrer comme tels mais avec le minimum de glorification nécessaire. Le
roi n’est en rien caché : en 1659, l’almanach de l’année le montre dans son lit
de convalescent (il a failli mourir à Calais en juillet 1658), bonnet de nuit en
tête, loin des compositions mythologiques ou des postures stoïques39.
Les représentations du roi, ses portraits, sous toutes leurs formes, opèrent
la délicate synthèse entre le corps physique et le corps souverain, entre l’enfant
emmailloté puis adolescent et le jeune roi. Les costumes, les accessoires, les
attitudes, les expressions du visage renforcent ce que le spectateur sait déjà,
c’est le portrait du roi. Dès lors, l’opération de figuration du corps royal dissimule moins qu’elle ne montre abritée derrière l’évidence : la personne physique et la personne royale ne font qu’un sous les traits du portraitiste. La
glorification de l’un rejaillit toujours sur l’autre.
En montrant le corps du jeune roi, on assure les acheteurs d’almanachs et de
gravures de quatre sous que leur souverain détient ce qu’il faut de majesté naturelle pour être roi. On rassure davantage la population qu’on ne lui fait croire à
un mensonge sur l’apparence physique du roi ou sa capacité à gouverner. Ce
37. Cette incarnation est presque une réincarnation : « Il ne faut pas dire que nostre Roy Louys
XIII de mémoire immortelle soit mort, mais comme un vray Phoenix il a voulu prendre nouvelle vie en
sa cendre : car nous voyons à présent comme un autre luy mesme devant nos yeux Louys XIV », Histoire
de Louys XIV roy de France et de Navarre et de la reine mère régente, Paris, M. Collet, 1646, II, p. 756.
38. La série de portraits gravée par De l’Armessin intitulée Les Augustes representations de tous les
roys de France depuis Pharamond jusqu’à Louys XV, Paris, F. Hurand, 1714 (sic) est un bon exemple.
Le costume, la présence d’une barbe ou d’une moustache font seulement la différence. Cela n’empêche pas le sens commun d’y voir une pure convention : voir CATHERINOT, Traité de la Peinture,
Bourges, 1687, p. 11 (à propos du promptuaire des médailles).
39. Passionnante représentation que cet almanach au titre hyperbolique comme de coutume en
pareille occasion : « la France ressucitée (sic) » (BnF, Estampes, coll. Henin, 3907).
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LES RIDES D’APOLLON
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que chacun souhaite voir, c’est un roi, peu importe sa complexion physique
dans la mesure où l’ensemble demeure crédible et suscite un minimum de respect pour la monarchie40.
LE COMPLEXE DE NARCISSE
Le roi est l’un des plus beaux hommes de son royaume. C’est normal
puisque c’est le roi : la beauté fait partie des vertus que les panégyristes et les
courtisans compilent dans leurs textes. Scarron le dit aussi et il n’est pas le premier à le faire :
« Le plus aimable Roi de tous les Rois du monde
Si charmant et si beau, qu’entre tous ses sujets,
S’il s’en peut rencontrer qui soient assez bien faits
Pour avoir de son air, je veux que l’on me tonde »41.
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40. C’est en ce sens qu’il faut sans doute interpréter les médailles frappées en Suède par Éric
XIV en 1560. Au revers de celles-ci apparaît le portrait idéalisé de son père Gustave Vasa : la ressemblance entre les deux est exagérée, seule la taille de la barbe diffère ! Voir Kurt JOHANESSON « Le
portrait du prince comme genre rhétorique », dans A. ELLENIUS (dir.), Iconographie, propagande et légitimation, Paris, PUF, 2001, notamment p. 22-23.
41. Paul SCARRON, « Le Roi », dans Œuvres complètes, Paris, J.-F. Bastien, 1786, rééd. Slatkine
reprint, Genève, 1970, p. 327.
42. Sur l’attribution de cette belle œuvre conservé à Aix au musée Granet, les avis divergent. Au
début du siècle, L. Gonse y voit avec enthousiasme un portrait de jeunesse de Louis XIV alors que le
catalogue de 1882 parle du « buste d’un inconnu » (M. GIBERT, Le Musée d’Aix-en-Provence, Aix, A. Makaire
impr., rééd. 1882, 1re partie, n° 609, p. 280). Toujours selon Gonse, il s’agirait d’une réplique du buste
aujourd’hui disparu que Puget sculpta effectivement en 1658 pour l’hôtel de ville de Toulon. La taille de
l’œuvre et l’épannelage au dos semblent en faire un double de la sculpture de Toulon achevée au moins
en 1659 si l’on considère le prix-fait (Klaus HERDING, Pierre Puget, das Bildnerische Werk, Berlin, 1970,
p. 144-145 et Louis GONSE, Les Chefs-d’œuvres des musées de France, Paris, Librairie de l’Art ancien et
moderne, 1904, p. 22-24 avec un intéressant cliché montrant le buste de profil). En 1972, Fr. Souchal
refuse d’y reconnaître le roi et y voit le propre frère de Puget, François. Mais ce sans nier la ressemblance
avec un buste de Louis XIV non attribué (sinon à Puget !) et techniquement et esthétiquement comparable (INV 1889, h : 0,75 cm) (voir François SOUCHAL, « À propos des portraits de Louis XIV sculptés
par Puget », dans Provence historique, XXII, fasc. 88, avril-juin 1972, p. 31-41, fig. 10 et 12). Dernière attribution en date, ce buste serait droit sorti de l’atelier de Veyrier et il s’agirait d’un inconnu ou de François
Puget (Pierre Puget, peintre, sculpteur, architecte, 1620-1694, Marseille, RMN, catalogue de l’exposition de
Marseille, 1994-1995, fig. 165). Nous suivrons les avis de Gonse et Herding : l’œuvre est techniquement
similaire au buste de Versailles (boucles des cheveux, profil malgré une différence d’âge notable entre les
« modèles », regard pompeux et surtout le fait que Puget à cette date n’a pas encore vu Louis XIV ce qui
ne l’a pas empêché de le sculpter pour Toulon !).
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Un suiveur de Pierre Puget – à moins qu’il ne s’agisse du maître lui-même42 –
sculpte vers 1659, le buste du roi dans sa vingtième année avec les cheveux milongs, mais son visage est tout à fait méconnaissable pour qui ne se souvient que
des œuvres de Rigaud, Le Brun et Mignard. Chevelure naturelle abondante, visage
carré, nez très droit et fin, yeux fins, lèvres fines font de ce buste, drapé à l’antique
avec le manteau attaché comme le paludamentum romain, une parfaite réplique
d’Alexandre le Grand ou Auguste, ce qui était peut-être l’objectif du sculpteur. La
belle chevelure sera éphémère car, en cette même année, le roi en perd une partie
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à la suite de la terrible fièvre typhoïde qu’il contracte à Mardick en juillet43. Il se
fera raser et portera ensuite la perruque jusqu’à la fin de sa vie.
Le sculpteur aurait-il transformé le visage du roi ? L’a-t-il simplement
inventé d’après gravure ou témoignage si l’on retient notre attribution ? Si l’on
observe à la même époque ce que grave Warin sur le métal précieux, on peut
difficilement en douter. Les écus, notamment du Béarn, frappés à partir de
1663 offrent un portrait du roi totalement différent, menton proéminent et
tête prognathe, nez épais très bourbonien44. Or, s’il y a une différence entre
l’œil du sculpteur et celui du graveur, il peut aussi y avoir contradiction entre
les monnaies frappées. Les louis d’or juvéniles à la tête nue, petites mèches sur
la nuque, frappés à partir de 1668 par Jean puis François Warin, présentent un
roi proche du buste hellénisant et plus du tout des anciennes frappes. L’âge ici
n’y est pour rien, l’idéalisation (qui est une stylisation car le visage n’est jamais
totalement stéréotypé dans les monnaies royales) est flagrante, le roi a dorénavant un nez parfaitement droit, un œil plus fin, des lèvres menues, un petit
menton qui lui donne un profil carré, tout ce qu’il y a d’antique45.
C’est un roi-Apollon qui est représenté au moment même où l’École française de Rome fait ses débuts, où l’art français prend un sérieux tournant classique et où le thème apollinien devient un programme décoratif pour le
Louvre et Versailles. Les Warin ont-ils adapté le portrait du roi à cette nouvelle
mode ? La demande émane-t-elle du roi lui-même ? Rien à notre connaissance
ne permet de répondre à ces questions. Les graveurs ont une certaine latitude
d’action. Néanmoins, toutes les monnaies n’appliquent pas ce canon à la lettre,
et les deux visages du roi, le fils d’une Habsbourg et le profil rayonnant
d’Apollon, circulent dans les mêmes bourses46.
On aurait bien des scrupules à rechercher, ici ou là, le vrai visage du roi
dans la mesure où toute représentation est interprétation et transformation.
Il est néanmoins exclu d’y voir un hasard. La métamorphose du portrait du
roi en Apollon, alors qu’il semble bien que jusqu’à présent on se contentait
de montrer la bonhomie du visage royal un peu bouffi, prognathe et en un
mot Habsbourg, est sans doute l’effet d’une intention délibérée. Celui que
l’on compare à Alexandre doit ressembler à Alexandre, comme le disent les
panégyriques cités précédemment, l’artiste doit montrer ce qui fait que le roi
est digne d’une comparaison avec les plus grands personnages de l’Histoire.
43. Parlant de la reine, Mazarin écrit à Colbert, de Bergues, le 1er août 1658 : « Elle me mande
que la flatterie va au point que presque tout le monde prend sa perruque ; et je ne m’en estonne pas,
car je me souviens d’avoir leu que Tibere estant chauve, chacun se faisoit raser pour luy plaire. » BnF,
Mélanges Colbert, 52A, f. 49 v°.
44. Dr. 292, 298, 302 et 306.
45. Dr. 216, 217, 218 et 220.
46. L’intention est délibérée même si le roi n’a pas fait retirer les autres pièces de la circulation,
ce qui aurait pu se faire sous le simple prétexte d’une réformation par exemple. À cet égard, on doit
souligner le peu de sacralité du portrait royal sur les monnaies étant donnée la piètre qualité des réformations (frappe non sur un flan neuf mais sur une monnaie ayant déjà circulé) où le visage du roi
est souvent malmené.
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LES RIDES D’APOLLON
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« Toutes les estampes et tous les portraits que l’on a faits du Roi dans ces dernières
années lui donnent l’air fort vieux ; et c’est à tort, à mon avis. Il a le visage plein, il est frais, il
a l’air de santé et boit et mange d’un bon appétit, comme je l’ai vu de mes yeux.
Certainement c’est lui faire tort. Peut-être est-ce encore quelque chose de pis. C’est le compliment le plus bas dont les François aient pu se rendre coupables envers Monseigneur ; et
c’est dans un tout autre sens que parlent maintes inscriptions dont Paris est rempli. Voyez
plutôt la description de Paris où on les a recueillies. Les Romains sous Auguste, le premier
qui ait été leur maître absolu comme ce roi l’est de son peuple, s’exprimoient avec bien plus
de délicatesse quand ils s’écrioient : De nostris annis tibi Jupiter augent annos ! » 47.
Vieillir le visage du roi reviendrait à dire : « Prenons notre mal en patience,
l’échéance est proche ! » Reconnaissons que l’idée est audacieuse mais peut-on
y souscrire et songer que le roi laisse son visage servir les intérêts d’une propagande aussi larvée qu’irrévérencieuse ? Il est impossible de savoir quels sont les
portraits que l’auteur a pu voir durant son séjour parisien. Les gravures étaient
peut-être de mauvaise qualité et les portraits peints de vulgaires copies d’atelier réalisées à partir d’œuvres célèbres. Voulant reproduire qui un regard
sévère, qui une attitude majestueuse, n’importe quel peintre mal habile aura
involontairement accru la décrépitude du roi sexagénaire48.
47. Martin LISTER, Voyage de Lister à Paris en 1698 (…), Paris, éd. E. Bonnaffé, 1873, p. 197.
48. Cette seule année 1698, de l’atelier de Rigaud sortent huit copies du portrait du roi (sans
doute celui de 1694, aujourd’hui au Prado). Voir Le Livre de raison du peintre H. Rigaud, J. ROMAN
(publ.), Paris, H. Laurens, 1919, p. 67-68.
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De la même manière que la représentation repose sur un rapport de ressemblance, la ressemblance repose aussi sur un rapport d’identité. Identité qui
n’est pas que physique. Le roi est victorieux, donc il ressemble à Alexandre,
César ou Auguste, ou plutôt, il est susceptible d’être comparé à ces noms en
vertu de motifs variés. Les portraits sont censés le montrer sans trop dénaturer
le modèle. On montre le roi à son avantage parce que sa gloire est prétexte
supposé à consensus. Et comme les portraits seront vus plus tard, ils gardent
en réserve, tels des archives de la gloire du roi, de quoi faciliter la comparaison
entre Louis XIV et les plus célèbres conquérants de l’Antiquité.
On pourrait crier au mensonge et invoquer la naïveté ou l’intérêt des
artistes fabriquant pour le premier mécène de France un masque d’éternité à
la mode des Anciens. Ne croyons pas pour autant que ces portraits soient de
plates légitimations de la monarchie et qu’ils seraient des sources de pouvoir.
C’est plutôt l’inverse. Le système n’est pas stable ou performant parce que le
roi ressemble à Apollon sur quelques pièces et médailles – ce que chacun peut
vérifier et corriger en sa présence – mais bien l’inverse. Lorsque le médecin
anglais Lister visite Paris, il est frappé par la différence entre le visage du roi tel
qu’il l’a vu et celui que reproduisent les estampes du temps. On aurait tendance à croire que les gravures avantagent le roi vieillissant ; pas du tout dit
Lister, le roi paraît bien plus jeune dans la réalité ! Le passage réserve bien
d’autres surprises :
REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
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Les représentations, sauf exceptions évidentes comme les images satiriques,
ne font que proclamer la gloire du roi, elles disent ce qui s’est passé dans la vie du
roi bien plus que ce qui doit être réalisé dans le royaume. Elles ne mettent pas en
ordre le monde, l’État ou les sujets même si elles divulguent une partie infime de
cet ordre mytho-historique des hommes et des choses. On dirait aujourd’hui que
ces représentations ne sont pas contractuelles. Elles célèbrent la gloire présumée
du roi : c’est moins un programme de gouvernement qu’un bilan, bien sûr imaginaire, de ce règne. Pas de stratégies de la gloire donc, mais la glorification des
stratégies du roi : il ne s’agit pas d’apporter un regain de gloire au roi, il est supposé en avoir à revendre, il faut simplement la faire apparaître, la prolifération
de ses manifestations plus ou moins monumentales servant au passage à renforcer le consensus gratuit qui gravite autour de sa personne. La proclamation
de la gloire du roi remplace un peu l’acclamation des empereurs romains, ici la
rhétorique et le goût du clinquant a contaminé ce qui n’est qu’un plébiscite
comme un autre du système en place. C’est pour cela que les satires prendront
les mêmes voies que celles de la glorification officielle (monnaies, médailles49 et
jetons satiriques outre-Rhin50, gravures51, peintures, pamphlets, fresques historiques qui sont des panégyriques à l’envers).
Enfin, il ne faut pas seulement regarder ces portraits avec les yeux des
sujets, mais aussi avec ceux du roi-commanditaire. Comment Louis XIV pouvait-il réagir face à ces portraits flatteurs ? Pouvait-il vraiment se convaincre
d’être un nouvel Alexandre ou un roi idéal à la fois beau, victorieux et puissant52 ? Mais le roi n’est pas seul à s’observer.
L’aventurier mondain Primi Visconti n’hésite pas, dans ses mémoires, à
remettre en question la beauté du roi : « Le Roi n’est pas beau, mais il a les
traits réguliers, le visage marqué par la petite vérole ; les yeux comme vous
voudrez, majestueux, vifs, espiègles, voluptueux, tendres et grands, enfin il a
de la prestance et comme on dit un air vraiment royal»53. Laissons de côté le
regard et soulignons l’élément inattendu : la petite vérole.
49. Celles de Johannes Smeltzing notamment, un étonnant graveur d’origine hollandaise : il grave
plusieurs portraits du roi (voir Cabinet des médailles, Série royale, n° 1005) mais sans rencontrer le
succès escompté. Il retourne alors dans son pays et continue à prendre Louis XIV comme sujet d’inspiration mais dans le sens inverse de son activité parisienne. Du roi de gloire, Smeltzing passe au roi
sordide et le représente en train de déféquer et de vomir sur une médaille reproduite dans les contrefaçons de l’Histoire du roy Louis le Grand par les médailles du Père Ménestrier (Paris, J.-B. Nolin, 1691).
50. Dans l’intimité du cabinet des médailles de Le Nôtre, elles divertissent le roi (M. LISTER,
op. cit., p. 48), dans le public, elles sont interdites, saisies et percées (voir la lettre de Pontchartrain à
Le Camus du 24 avril 1696, dans Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, II, (éd.)
DEPPING, Paris, Imprimerie nationale, 1851, n° 57, p. 619-620.)
51. Beaux exemples dans Romein DE HOOGHE, Aesopus in Europa, Gravange, Fr. Moselange, 1738.
52. Des contemporains relevaient ce caractère idéal et ce sans succomber toujours à la flatterie.
Cela confirme ce qu’en dit L. MARIN, ici plus convaincant : « Le Roi imite seulement son portrait
comme le portrait imite le roi (…) », La Parole mangée et autres essais théologico-politiques, Paris,
Klincksieck, 1986, p. 195. Le portrait ne fait pas qu’imiter le roi, il donne au roi un modèle de luimême à suivre et à incarner.
53. Primi VISCONTI, Mémoires sur la Cour de Louis XIV, 1673-1681, Paris, Perrin, 1988, p. 115.
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76
LES RIDES D’APOLLON
77
Faisons marche arrière. Jusqu’à présent, les doutes sur la sincérité des
représentations physiques n’étaient que formels. Cette petite vérole, contractée
en 1647, n’apparaît sur aucun buste et dans aucune peinture ou dessin. Elle est
bien décrite par Mme de Motteville54, que confirment la Gazette de France55 et
le premier médecin d’alors, Antoine Vallot56. Malgré les fortes fièvres liées au
mal, le roi s’en remet, conservant quelques bouffissures tenaces au visage.
Elles marquèrent sans doute l’image qu’il avait de lui-même. Très peu d’auteurs mentionnent l’anecdote : ce visage vérolé devait fortement complexer le
roi. Simon de Riencourt fait partie de ceux-là :
Si l’auteur dit vrai, le visage du roi a du lourdement subir les servitudes de
la maladie et l’on serait tenté de considérer avec un regard neuf les portraits
monétaires de Warin datant des années 1660, au moins pour y retrouver les
« traits grossis » rapportés par l’indiscret historien.
D’autres détails du royal visage, et des plus précis, nous sont connus grâce
à Chantelou et à son récit du voyage du Bernin en France. Observant le roi
avec la précision que sa fonction imposait, il a laissé force remarques qui tiendraient de l’anecdote futile si on ne les mettait en relation avec le thème de la
représentation du visage royal.
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« Le Cavalier a dit qu’il a observé ces deux jours le visage du roi avec grande exactitude,
et avait trouvé qu’il a la moitié de la bouche d’une façon et l’autre d’une autre, un œil différent aussi de l’autre, et même les joues différentes ; ce qui aiderait à la ressemblance ; que la
beauté du Roi était une beauté mêlée, qui ne consistait pas en certaines délicatesses de teint
comme fait celle de beaucoup d’autres, que la tête du Roi avait de celle d’Alexandre, particulièrement le front et l’air du visage (…) »58.
54. Mme de MOTTEVILLE, op. cit., p. 164-165.
55. Gazette de France, n° 142, p. 1124 et n° 144 « L’Heureuse convalescence du Roy : avec l’histoire de sa maladie », p. 1137 sq.
56. Remarques sur la santé du Roy, BnF, ms. fr. 6998, ff. 16-18 « Relation exacte de la petite verole
du roy du 11 novembre 1647 ».
57. Simon DE RIENCOURT, Histoire de la Monarchie françoise sous le regne de Louis le Grand contenant ce qui s’y est passé de plus remarquable depuis 1643 jusqu’en 1696, 4e éd., Paris, M. Brunel, 1697, I,
p. 202-203. Description largement confirmée par le portrait du roi dans la Galerie des peintures ou recueil
des portraits et eloges en vers et en prose (Paris, Ch. De Sercy, 1663), dédiée à Mlle de Montpensier : « Son
visage, sur lequel la petite verole a laissé quelques legeres marques de la puissance que les maladies exercent sans distinction sur toute sorte de sujets, n’a rien emporté de la vivacité de son teint (…) et n’a
servy qu’à fortifier des traits qui eussent peut-estre esté trop délicats pour un courage si masle (…) »,
p. 10-11.
58. Paul FREART DE CHANTELOU, Journal du Cavalier Bernin en France, Paris, L. Lalanne, (éd.),
Gazette des Beaux-Arts, p. 99.
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« Au mois de Novembre, le Roi fut attaqué d’une Maladie, que l’on connut être la petite
verole. Elle mit sa Majesté en péril ; ce qui obligea de faire des prieres de quarante heures
dans toutes les Églises de Paris ; mais Dieu dissipa bien tôt nôtre tristesse, en redonnant la
santé à ce Monarque, pour la conservation duquel on faisoit des vœux continuels. Les Poëtes
du temps dirent fort agreablement, que bien que la petite verole eût grossi les traits du visage
du Roi, et qu’elle en eût un peu diminué l’éclat et la grande beauté, ce prince n’avoit rien
perdu par cette disgrace, puis qu’il n’avoit quitté la ressemblance du Dieu d’Amour, que
pour prendre celle du Dieu Mars »57.
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REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
On retiendra les défauts du visage imputables à la petite vérole mais sans
pouvoir en être tout à fait sûr, au regard des portraits du roi de la même
période. Mais un peintre oserait-il marquer le souvenir de cette maladie ?
Testelin n’y songe sans doute pas lorsqu’il peint le portrait du roi en 164859.
Ceci est tout à fait indépendant d’une quelconque censure officielle qui
contraindrait les peintres et les graveurs à « oublier » les tares physiques de leur
modèle. L’idéalisation et l’hellénisme qui ont tous deux cours dans la peinture,
sauvent les apparences parce que l’idée d’un réalisme clinique dans les portraits n’a aucun sens60. On retiendra aussi la ressemblance du buste du Bernin
avec ceux d’Alexandre61. D’autres défauts du visage sont remarqués et
deviennent sujet à débat avec les courtisans62. On voit bien que le travail du
sculpteur est double : considérer avec un optimum d’exactitude le visage du
roi, mais sans oublier de trouver (ou d’inventer) une prétendue ressemblance
avec des œuvres antiques. L’équation de la ressemblance est ainsi posée. Mais
c’est aussi celle du style propre à tout sculpteur.
Pour ce qui est des défauts eux-mêmes, le roi n’aurait pas consenti à les
laisser apparaître, pas plus qu’une barbe naissante :
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Mais ne faisons pas du Bernin un sculpteur réaliste parce qu’il souhaite tracer
trois poils sur le menton du roi. L’anecdote révèle seulement une chose : la représentation est forcément objet de négociation entre le modèle et l’artiste64. La
notion même de ressemblance se négocie (de la même manière qu’il y a des
degrés dans celle-ci) et alors que le buste fait partie des pièces les plus singulières
qui ont été sculptées à l’effigie du roi, nombreux sont les courtisans à admirer,
59. Huile sur toile, 205 x 105 cm, 1648 (la toile est datée), MV 102.
60. CATHERINOT explique que « dans les portraits, on doit le (le modèle) faire tel qu’il est ; mais
hors cela, on ne le doit faire que d’après la belle nature et la belle antique » : op. cit., p. 4.
61. « (…) il croyait que le Cavalier avait trop déchargé du front, qu’il n’y pourrait pas remettre
du marbre. Je l’ai assuré que non et que son intention était de faire cette partie du front, au-dessus
des yeux, fort relevée, l’étant dans le naturel, outre qu’on le voit de cette sorte dans toutes les belles
têtes antiques ; que nous en avions discouru dès le commencement, le Cavalier et moi. (…) Il regardait (…) le buste du Roi et m’a dit qu’il lui semblait qu’il avait beaucoup de ces belles têtes de Jupiter. »
CHANTELOU, op. cit., p. 107-170.
62. Ibidem, p. 107 et 151. Ces passages concernent tous le nez du roi, apparemment irrégulier
et que le modèle lui-même ne remarquera que grâce à la sculpture.
63. Ibidem., p. 152.
64. La chose n’est pas nouvelle et, en 1545, le Titien avait lui aussi négocié avec Charles Quint
au sujet de la ressemblance de son portrait. L’empereur demanda au peintre de refaire son nez. Voir
Annie CLOULAS, « Documents concernant Titien conservés aux Archives de Simancas » dans Mélanges
de la Casa Vélasquez, vol. 3, 1967, p. 205-207.
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« Le Cavalier s’étant mis à travailler, le Roi a remarqué qu’il changeait une marque que
Sa majesté a proche de la bouche, et lui en a demandé la raison. Il a réparti que c’était pour
la refaire mieux ; ayant ensuite marqué quelques poils au bas de la bouche. Sa majesté a dit
qu’Elle n’en avait pas en ce lieu-là la dernière fois, et qu’Elle se ferait raser, quand Elle
reviendrait, et que ce poil ne se verrait point. (…) Le Cavalier a ajouté que, quand on s’est
fait raser, cette fraîcheur ne dure que deux ou trois heures ; que la plupart du temps on paraît
avec du poil ; qu’il faut chercher à représenter l’état auquel on est le plus souvent »63.
79
comme de coutume, la qualité du travail de l’artiste, ceci sans doute par intérêt65. On peut le soupçonner à la lecture d’un avis différent sinon contraire, celui
de Charles Perrault. Il reproche au Bernin « d’avoir fait le front trop creux, le nez
trop serré, et diminué quelque chose de la belle physionomie de l’original »66. Le
sculpteur a-t-il laissé apparaître quelques traces de petite vérole, comme cette
marque qu’il refait ? A-t-elle disparu du visage de marbre sur décision du roi qui
aurait peut-être voulu qu’elle ne fût jamais là où elle était 67 ?
Dans son chef-d’œuvre, Le Bernin a d’ailleurs réussi à détourner l’attention
du spectateur sur le visage du roi, encadré qu’il est entre sa chevelure complexe
et sa draperie tourmentée. Ceux qui ont vu un rapport aux marbres antiques ont
vu bien sûr ce qu’ils voulaient voir, un portrait d’Alexandre-Louis XIV le
Grand. En ce sens, le buste était ressemblant pour qui voulait y croire.
Les portraits du roi nous mentent-ils et mentaient-ils aux sujets ? Ils ne
pouvaient mentir aux courtisans, qui avaient l’original sous les yeux et pouvaient, surtout à Versailles, faire cent fois par jour la comparaison68. Effacer
quelques traits et donner un air hellénisant à l’ensemble n’équivaut pourtant
pas à tromper le spectateur sur la personne représentée. D’ailleurs, quelle
importance ? Il n’y a pas de fonction politique directe (comme action sur le
comportement des sujets) exercée par les portraits au point de vue de leur
représentativité. Les scènes triomphales de bataille, de rencontre avec des divinités et des allégories renforcent la distance entre le roi et les sujets, ce qui est
l’inverse de la propagande qui installe le dictateur au milieu des foules en donnant l’illusion d’une éphémère proximité. On ne voit jamais Louis XIV
embrasser de jeunes enfants ou se joindre aux travaux des champs. Tous les
théoriciens du XVIIe siècle reconnaissent que le vrai public de la peinture est
celui de la postérité69. Dans la pratique, tout le monde consent à ce que le
maître du royaume fasse un peu l’étalage de ses richesses et de sa gloire.
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65. CHANTELOU, op.cit., p. 151 et 187. Ce dernier passage mérite d’être cité : « Avant dîner,
M. Roze, secrétaire de Cabinet, est venu avec son fils et ont admiré la ressemblance du buste, disant
que personne n’était arrivé à donner au roi cette noblesse et grandeur. Le Cavalier a répondu que,
véritablement, la première fois qu’il vit le roi, il remarqua qu’aucun des portraits qu’il avait vus ne lui
ressemblait bien et que son fils fut aussi de cet avis ».
66. Charles PERRAULT, Mémoires de ma vie, P. Bonnefon (éd.), Paris, Renouard, 1909, p. 49.
67. Françoise FOUQUET conseillait l’application de lait d’ânesse quatre à cinq fois par jour ou
de la moëlle de mouton frottée avec une plume dans Recueil de Receptes choisises experimentées et approuvées contre quantité de maux fort communs tant internes qu’externes inveterés, et difficiles à guérir,
Villefranche, P. Grandsaigne, 1675, respectivement p. 236 et 233.
68. La Palatine, avec le mordant qu’on lui connaît, note le 9 mai 1694 : « Notre Roi, cela est vrai,
a très bonne mine encore, quand Sa Majesté le veut ; mais il se laisse aller trop souvent. Alors le Roi
s’affaisse, il paraît fort gros et vieux, c’est comme si Sa Majesté était devenue plus petite. Le visage est
singulièrement changé ; à peine s’il est reconnaissable, journellement il se ride davantage ». Correspondance
de Madame, E. Jaeglé (trad. et notes), Paris, Bouillon, 1890, I, p. 102. On est loin du portrait idéalisé
que brosse Saint-Simon à l’égard de son ancien maître non dans les Mémoires mais dans le Parallèle
des trois rois Bourbons, Y. Coirault (éd.), Paris, Gallimard, Pléiade, p. 1076.
69. André FELIBIEN l’affirme sans détour, « le principal titre de gloire de la peinture est de rendre
immortels les grands hommes en laissant leur image à la postérité. » (Entretiens, Paris, 1666, 2e entretien, p. 82). C’est une manière métaphorique d’élever la considération due à la peinture. La grande
peinture, celle des commandes et des académiciens, est une mémoire esthétique, voilà pourquoi la
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LES RIDES D’APOLLON
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peinture d’histoire et les portraits constituent les deux types de sujet les plus fréquents parmi les œuvres
de réception à l’Académie. Voir les données statistiques établies par Nathalie HEINICH dans Du peintre
à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, Minuit, 1993, annexe 8, p. 260. On retrouve
les peintures d’histoire à concurrence de 44% et les portraits de 21%. Signalons que les sujets voire
les dimensions et, en tout cas, les délais d’exécution, sont fixés par les membres de l’Académie et surtout le chancelier. Si l’on se réfère aux procès-verbaux de l’Académie, on constate néanmoins que le
cahier des charges est assez peu contraignant au niveau formel. En 1663, les aspirants doivent peindre
l’achat de Dunkerque : « (…) Sur le haut du tableau sera représanté le Roy, sous la forme de Jupiter,
accompagné de son aygle, tenant en sa main sa foudre, et de l’autre semblera presser une nuée de
laquelle tumbera (sic) une pluie d’or (…) » : Procès-verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture 1648-1792), A. de Montaiglon (publ.), Paris, J. Baur, 1875, I, p. 221. Le gagnant du premier prix
gagne une médaille en or représentant… le roi !
70. Consulter la thèse de P. CIVIL, « Recherches sur le portrait en Espagne sous les règnes de
Philippe II et Philippe III (Madrid et Tolède). Aspects culturels et idéologiques », Université Paris III,
1992. Pour mémoire, voir ou revoir les affreux portraits de Charles II, notamment celui par Claudio
Coello conservé au Prado. Même si le roi est très laid, dans la mesure où sa supériorité le permet, il
conservera son apparence au moins par indifférence pour les spectateurs tatillons. Voir la parabole,
rapportée par Pline, du roi Antigone le Borgne se faisant portraiturer par Apelle uniquement de profil (PLINE, Histoire naturelle, XXXV : 36, 90).
71. Pour une critique épistémologique de la notion de propagande par l’image, voir Paul VEYNE,
« Propagande expression roi, image, idole, oracle », article reproduit dans La Société romaine, Paris, Le
Seuil, 1991, notamment p. 335 sq. Idées développées et précisées dans « Lisibilité des images, propagande et apparat monarchique dans l’Empire romain », Revue historique, n° 304, 2002, 1, p. 3-30.
72. Cet étrange graveur d’origine italienne, proche de Fouquet, a réalisé un médaillon du roi
(qu’il prétend n’avoir jamais vu et qui est cependant fort ressemblante) signé BERTINET EX IDEA
(Série royale du Cabinet des médailles, n° 3182, bronze, 165 mm). Voir les commentaires de
J. JACQUIOT dans La Médaille au temps de Louis XIV, catalogue de l’exposition, Paris, Imprimerie nationale, 1970, p. 253-255 ; médaillon reproduit, fig. 351, p. 257.
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La position exceptionnelle du roi dans la société fait de lui une sorte de
vedette hors du commun dont l’image serait omniprésente et dont l’existence
serait un roman vrai. Il vit des choses qui le mettent à part et cette distanciation est soulignée par la fréquentation des divinités, au moins en image. Que
son corps apparaisse la plupart du temps tel qu’il est n’empêche pas de le
retrouver sur un char à la place d’Apollon, puisque sa supériorité de droit le
protège de toute insinuation. On s’offusquerait bien davantage si le roi ne
consentait pas à se démarquer des Grands par un peu de clinquant et de
pompe. À cet égard, le cas espagnol est assez révélateur : les portraits sont
sobres jusqu’au pathétique, mais cela n’interdit pas aux souverains de goûter
aux fastes grandiloquents des grandes cérémonies70.
Les portraits officiels sont des représentants avant d’être des représentations. L’important n’est pas la moustache du roi ou ses joues bouffies, c’est
l’objet-tableau ou l’objet-sculpture lui-même. C’est sa présence en tant qu’objet de substitution qui importe, l’image est secondaire et ne joue quasiment
aucun rôle. C’est tellement évident que les artistes peuvent représenter un roi
qu’ils n’ont jamais vu autrement qu’en image. Ainsi le buste par Puget, alors
que ce dernier ne l’a jamais vu71. Ainsi les portraits sur les médaillons de
Bertinetti réalisés ex idea72.
C’est la raison pour laquelle les festivités en l’honneur du roi s’organisent
souvent autour de son image, et non pour cet objet factice qu’un artiste
médiocre vient peut-être tout juste de terminer. Certes, on réservera une place
LES RIDES D’APOLLON
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73. P. BURKE pense l’inverse (op. cit., p. 19) en s’appuyant sur Courtin dont il ne cite pas le texte.
Et pour cause : « Il y en a même qui aiant appris le rafinement de la civilité dans quelque païs étranger, n’osent en compagnie ni ne se couvrir, ni s’asseoir le dos tourné au portrait de quelque personne
de qualité éminente » : Antoine DE COURTIN, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi
les honnestes gens, Paris, J. Josse et C. Robustel, 1728, p. 47. Si le roi fait effectivement partie des personnes de qualité éminente, on ne saurait y voir une sacralisation peu compatible avec la multitude des
personnes dignes de cette canonisation subite. L’auteur a peut-être été influencé par l’article d’Orest
RANUM dans lequel est cité le cas d’un président du Parlement de Toulouse faisant la révérence devant
un portrait du roi reçu au cours d’une cérémonie (« Courtesy, Absolutism and the Rise of the French
State, 1630-1660 », dans Journal of Modern History, t.52, 1980, p. 426-451, notamment p. 441). Il ne
faut y voir qu’un témoignage théâtral de fidélité à l’égard du pouvoir central représenté à ce moment
très précis par un simple objet.
74. P. ZOBERMAN, « Généalogie d’une image : l’éloge spéculaire », XVIIe siècle, n° 146, janvier-mars
1985, p. 79-91 (notamment p. 85 sq.) trace les premières étapes d’une interprétation des louanges à
l’égard du roi comme un modèle à suivre plus qu’une analyse pompeuse et fictive de la réalité.
75. Lister, encore lui, critique le projet de statue équestre du roi qu’il voit chez Girardon. Mais
laissons parler le sens commun : « Le roi est en costume d’empereur romain, sans selle ni étriers, et sur
sa tête la grande perruque à la mode. Pourquoi ces grandes libertés que se donne la sculpture, c’est ce
qui me reste à apprendre. Qu’en bâtissant on suive avec précision les règles et la simplicité antiques, il
n’est rien de mieux, car ces ordres d’architectures sont tous fondés sur des principes mathématiques ;
mais le vêtement d’un empereur n’est que le fruit des vaines fantaisies de son peuple. Louis le Grand
paroissant à la tête de son armée dans le costume qu’on lui a prêté donneroit fort à rire à présent. Quel
besoin de se mettre en quête d’emblèmes quand on peut avoir la vérité ? (…) Maintenant, je demande
à tout le monde, quand il s’agit de représenter un prince encore vivant, ces jambes et ces bras nus sontils décens, et cela ne nous reporte-t-il pas vers les siècles de barbarie d’une façon fort déplaisante » ? (op.
cit., p. 39-40).
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de choix au portrait du roi, parfois au centre du dispositif, mais cette mise en
scène est des plus banales et tient autant de la propagande que donner la
meilleure place à un invité de marque, à l’occasion d’un repas de fête. D’ailleurs,
personne ne s’incline ni ne se découvre habituellement devant le portrait du roi,
ce n’est pas une icône sacrée et cette imagerie royale, qui tend parfois à
reprendre les motifs de l’imagerie religieuse, distille les informations sur la
monarchie sans impliquer de dévotion particulière73. On ne prie pas devant une
image royale, on ne demande rien au roi par l’intermédiaire de son portrait, il
n’existe pas d’ex-voto demandant à Louis XIV de guérir un malade ou le remerciant de l’avoir fait. Le roi n’est pas un intercesseur, il n’y a pas de reliques
royales (une fois mort, on se débarrasse rapidement de l’encombrant cadavre).
Malgré la pseudo-propagande qu’ici ou là on croit rencontrer parce qu’un
homme comme les autres s’entoure d’allégories et de divinités antiques, il n’y a
jamais eu d’hagiographie de Louis XIV, même si la tentation a pu être grande.
Quant à la prétendue rhétorique des images, elle renvoie, tout comme les
panégyriques, à un au-delà du quotidien, du banal et de l’ordinaire74. Le roi de
France devient ainsi empereur romain ou acquiert quelque ressemblance avec
Apollon mais cette comparaison est une invitation à la ressemblance plutôt
qu’une reconstitution de la réalité. Le roi se trouve obligé d’imiter le portrait
indépendamment de sa forme et des conventions stylistiques qui vont de pair.
Grimé en Auguste, on lui suggère implicitement que les écrits des Anciens
constituent un réservoir de bonne conduite et de sage gouvernement. Mais
personne ne croit vraiment que Louis XIV est un nouvel Alexandre75.
REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
D’ailleurs, les portraits du roi sont-ils plus prisés que les autres peintures? Qui
en fait l’achat et en orne son intérieur en dehors de Versailles? Parmi toutes les
sources utilisables, les inventaires après décès sont en bonne place. Ils permettent
de mesurer la diffusion des portraits du roi dans les intérieurs ainsi que leur valeur
marchande. Il apparaît, au travers d’un dépouillement très partiel mais relativement représentatif, que les portraits peints du roi sont assez rares dans les intérieurs parisiens: la figure de l’auguste Louis XIV ne tient pas la comparaison avec
les peintures religieuses, les paysages et les scènes mythologiques plus ou moins
légères. On acquiert plus volontiers un Renaud et Armide ou une Vénus et Adonis
qu’un portrait du roi. Dans l’estimation des tableaux, un portrait de Louis XIV ne
vaut pas plus qu’un portrait de Monsieur voire même qu’un paysage76.
Et pourtant, les portraits sont souvent flatteurs. Mais parce que la flatterie
implique toujours une réponse adaptée pour « être à la hauteur ». C’est presque
la fable du Corbeau et du Renard. On célébrera la générosité du Prince avant
même qu’il ne consente à la mettre en pratique, validant, rétroactivement, les
louanges qui lui ont été adressées. Voltaire ne dit pas autre chose dans son
Siècle de Louis XIV à propos des flatteries dont on abreuve le roi. La louange
suppose un contrat tacite entre celui qui flatte et celui qui est flatté. Personne
ne croirait un instant, et surtout dans le cadre de production des œuvres à l’âge
classique, à une attitude désintéressée du peintre qui exprimerait gratuitement
sa fidélité au roi. La surenchère des flatteurs est d’ailleurs justifiée, donc en
partie neutralisée, par le modèle antique et par la volonté d’attirer coûte que
coûte la royale attention par militantisme académique ou arrivisme courtisan.
S’adresser au roi, dans la préface d’un livre, dans un discours ou un poème,
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76. Quelques exemples précis sont nécessaires. Marianne Houzez, épouse de Louis Desrais, possédait trois portraits du roi et un de Monsieur estimés 10 livres pièce, alors que trois paysages obtenaient 20 livres (Archives nationales (désormais AN), Paris, Minutier central des notaires (désormais
MC), IV, 353, 17 mai 1710) ; dans l’inventaire du conjoint, une Espagnole s’élève à 35 livres (dont 6
livres pour la toile), un portrait du roi à 40 livres (dont 9 pour la toile) (AN, MC, IV, 357, 1er février
1711). Il n’y a pas de différence entre les personnages de la cour : on donne 10 livres pour un portrait du roi et autant pour celui de Monsieur ou de Madame dans l’inventaire de l’épouse de Jean
Nocret (AN, MC, LXVIII, 268, 11 octobre 1700). On peut tomber encore plus bas dans les estimations, avec, dans l’inventaire de Marie-Madeleine Lefèvre, épouse de J. Dupouch, un portrait peint
n’atteignant que 25 sols! (AN, MC, IV, 366, 24 janvier 1713). La noblesse d’office semble apprécier
les portraits officiels, témoignage combiné de la fidélité à la monarchie et de la promotion sociale grâce
au service du roi : on retrouve ainsi dans l’inventaire de Marie-Anne Clerx et E. Porlier, conseiller et
secrétaire du roi, une copie d’après Rigaud du portrait du roi (AN, MC, X, 349, 14 septembre 1720) ;
dans celui d’Edme Robert, conseiller secrétaire du roi et trésorier général de Mademoiselle, deux portraits dont celui par Van der Meulen, estimé 30 livres. Dans le contrat de mariage du traitant Raphaël
Sauvin est mentionnée une copie ovale du portrait en pied de Rigaud estimée 80 livres (l’œuvre est
sans doute de grande qualité à moins d’avoir été volontairement surestimée) (AN, MC, XXXVI, 350,
24 juillet 1714). À un niveau supérieur, les Grands possèdent tous une image du roi : le duc de Luynes,
Charles-Honoré d’Albert en détient deux dans son hôtel particulier parmi les 21 portraits de membres
de la famille royale (AN, MC, VIII, 896, 8 novembre 1711) ; Louvois avait un portrait du roi dans
presque toutes ses résidences (AN, MC, CXIII, 269). Il est certain qu’une étude d’envergure serait
fort utile pour affiner ou corriger ces observations qui ne tiennent pas compte de l’état de conservation des toiles au moment de leur estimation, ni de leur qualité picturale. Voir Documents du Minutier
central concernant l’histoire de l’art 1700-1750, Paris, SEVPEN, M. Rambaud (éd.), s.d., 2 vol.
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revêt toujours la forme d’une supplique censée attirer son attention et, de
manière détournée, ses écus. Le portrait flatteur terminé, le Corbeau est censé
lâcher son fromage : dédiant sa Felsina Pittrice au roi, le comte Malvasia reçoit
en présent un portrait miniature de Louis XIV serti de nombreux diamants77.
Il y a enfin le désir de démultiplier les signes de prestige et de gloire, dont
Elias a bien vu l’importance dans un passage très wébérien de La Société de
Cour78. On peut comprendre cette recherche du reflet prestigieux dans le
contexte courtois et arriviste, d’une manière différente. En cultivant les apparences, les courtisans imitent leur roi et apprennent une forme de souci de soi.
De manière naïve, ils espèrent capter un peu de la gloire du roi et après avoir
singé ses postures, ils voudront avoir leur propre portrait, si possible par
Rigaud.
D’autre part, la théologie de l’époque, celle notamment de Port-Royal, fait
du portrait un miroir des vanités et des vertus, c’est-à-dire autre chose qu’un
simple cliché, mais bien davantage un sujet de réflexion et d’exercice spirituel79.
Le portrait, pour fonctionner comme miroir des vanités, n’a pas obligation de
comporter un élément renvoyant à la mort, au temps ou à la futilité des plaisirs
terrestres80. En figeant le temps qui s’écoule, toute image de soi est reflet trompeur, donc signe de la brièveté des jours. En nous montrant sous notre meilleur
jour, elle sera plus tard prétexte à nostalgie puis à méditation sur le lendemain.
Les proclamations au moment des grandes guérisons vont dans le même
sens. Une fois sauvé, on chante l’immortalité du bon roi, non pas parce qu’on
y croit une seule seconde, mais parce que ce stratagème inoffensif se révèle
être la meilleure manière de célébrer simultanément la fonction incarnée par le
roi et sa convalescence plus ou moins inattendue. C’est la monarchie qui est
immortelle et non son usufruitier éphémère… Mais, par la grâce de Dieu et
des médecins, le roi se porte bien. Que demander de plus ? Tout le monde est
rassuré. Le roi n’a plus qu’à se montrer et tout rentrera dans l’ordre.
On saisit mieux l’obsession des images à Versailles et pas seulement pour
les courtisans, circulant sous les plafonds peu visibles de la galerie des Glaces,
mais aussi pour le roi exposé à deux types de reflets, celui des peintures et
77. Carlo Cesare MALVASIA, Felsina Pittrice, vite de pittori bolognesi, alla Maesta christianissima di
Luigi XIIII, Bologne, Erede di D. Barbieri, 1678. Voir le portrait et la lettre du roi dans M. FUMAROLI,
L’École du silence. Le sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1994, p. 220, fig. 94.
Ajoutons qu’il s’agit du présent habituel donné aux artistes : ayant obtenu le sien, Le Brun n’omet pas
de l’arborer sur l’autoportrait qu’il peint pour le Grand Duc de Toscane, Cosme III (Florence, Offices,
n° 1858). Voir le récit de GUILLET DE SAINT-GEORGES dans Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages
des membres de l’Académie royale de peinture et sculpture, Dussieux, Soulié, Chennevières, Mantz, de
Montaiglon (publ.), F. de Nobele, réimpr. 1968 (éd. orig., Paris, 1854), I, p. 26.
78. Norbert ELIAS, La Société de Cour (1969), trad. fr., Paris, Flammarion, rééd., 1985, p. 138
sq. La monarchie courtisane est tributaire d’un certain pouvoir charismatique.
79. Analyse très fine de L. MARIN à ce sujet et à laquelle on ne peut que souscrire dans Philippe
de Champaigne ou la présence cachée, Paris, Hazan, 1995, p. 106-108.
80. « Tous les Rois se doivent regarder continuellement, parce qu’ils sont regardez sans cesse : il
faut qu’ils s’étudient, puisqu’on les étudie (…) » : Jean PUGET DE LA SERRE, Les Maximes politiques
de Tacite, ou la conduite des gens de cour, Paris, J. Ribou, 1664, I, p. 25.
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LES RIDES D’APOLLON
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celui des miroirs81. Il est sans doute celui qui regarde le plus ses représentations même s’il n’est pas l’unique destinataire, comme on s’en doute.
Le travail sur soi intimé par les portraits du roi, images-reflets aussi complaisantes que contraignantes, apparaît peut-être davantage dans les dernières
œuvres et notamment celle de Rigaud.
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Le portrait de Rigaud manifeste quelque chose d’impressionnant, au point
d’ailleurs que les copies se sont multipliées et que les manuels scolaires, comme
l’imagerie du XIXe siècle, l’ont hissé au rang d’icône de l’histoire de France.
Le roi est debout, en costume de sacre, regalia en place, posant sur le spectateur un regard serein qu’on attribue à son grand âge, à son expérience ou à sa
satisfaction d’être le grand roi qu’il pense être. Le portrait semble avoir été destiné à Philippe V mais serait finalement resté à Versailles. Rigaud en aurait fait
une copie82.
Plusieurs remarques s’imposent : c’est un des rares portraits où le roi est
debout en costume de sacre (presque cinquante ans après la cérémonie), c’est
aussi un portrait où le spectateur attentif décèle sans mal la différence entre le
visage âgé du roi et les jambes, plutôt robustes, qui occupent un bon tiers du
tableau.
On a dit beaucoup de choses sur la position des pieds : Louis Marin, que
Peter Burke suivra involontairement en relisant Blunt, y voyait un pas de danse,
une figure de quatrième position, marquant une pause dans le mouvement,
comme si le roi avait interrompu son mouvement pour prendre la pose83.
Comme le roi ne danse plus depuis 1670, il s’agirait d’une sorte de rappel discret
des anciens triomphes du roi-danseur. La chose est loin d’être crédible. Tout
d’abord, ce n’est pas le seul portrait où les pieds du roi ont cette position formant
un angle droit84. Quant à la pose, la main sur le côté, appuyé sur son sceptre, elle
81. La galerie des Glaces fut le plus grand miroir d’Europe et le château en contenait près de cinq
cents si l’on en croit l’Inventaire général du mobilier de la couronne sous Louis XIV (1663-1715), J. GUIFFREY
(publ.), Paris, J. Rouan, 1885, I.
82. Le livre de compte de Rigaud mentionne la somme de 26 000 livres pour le portrait de Louis XIV
et 13 000 livres pour celui de Philippe V. Or, cette première somme est le prix de deux et non pas d’un
seul portrait en pied du roi de France. On le constate à la lecture de l’ordre de paiement (partiel) publié
par J. GUIFFREY : « Au sieur Rigault, peintre ordinaire du Roy, pour deux grands portraits du Roy en pied,
avec l’esquisse en petit desdits portraits, comme aussy du portrait en pied du Roy d’Espagne, qu’il a faits
pendant la présente année 10,000 ll. » : Comptes des bâtiments du roi sous le règne de Louis XIV, Paris,
Imprimerie nationale, 1881, IV, col. 827.
Pourquoi avoir cru que Rigaud ait fait une copie destinée à Philippe V? À cause du récit de DANGEAU :
«(…) il (le roi) se fit peindre l’après-dînée par Rigaud pour envoyer son portrait au roi d’Espagne, à qui
il l’a promis». (Journal, Soulié, Dussieux (éd.), Paris, Didot, 1856, VIII, p. 53, 10 mars 1701).
83. Le roi marquerait ainsi « une pause dans la pose », L. MARIN, La Parole mangée, op. cit., p. 211212.
84. Cette position rappelle de toute évidence celle qu’il adopte dans le dessin de son costume de
danseur et que l’on peut retrouver dans l’almanach de 1682 intitulé « Bal à la françoise » où le roi danse
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LES JAMBES D’APOLLON
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est vraisemblablement reprise d’un portrait de Charles Ier à la chasse, peint par Van
Dyck entre 1632 et 1641, que Rigaud connaissait sans doute par une gravure85.
Le vrai paradoxe de la représentation est lié à la station debout du roi, harcelé
par la goutte depuis 1686 et contraint plus d’une fois à rester dans ses appartements d’où il entend la messe de son lit, à se faire transporter en chaise dans le
château et sur le champ de bataille86 ou encore à user de sa fameuse « roulette »
(un fauteuil roulant) dans les jardins87. La goutte n’interdisait pas au peintre de
représenter le roi debout mais la beauté des jambes a du faire ricaner plus d’un
courtisan mal intentionné88.
Cette curieuse manière de représenter le corps du roi plus vigoureux et en
meilleure santé qu’il ne l’était en réalité n’a pas échappé à W. Thackeray au
XIXe siècle. Un célèbre dessin satirique intitulé « Ludovicus. An historical study »
décompose le tableau de Rigaud89.
À gauche, un costume de sacre vide, perruque comprise ; au centre un
vieillard chauve et décrépi appuyé sur sa canne, à droite, la somme des deux, à
savoir le tableau de Rigaud, le roi en costume de sacre90. Cette caricature de
Louis XIV a beaucoup intéressé L. Marin qui y voyait une analyse effectivement
historique séparant les deux corps du roi, celui de la vieillesse de Louis
Dieudonné, accessoirement roi de France tirant sur la fin de son règne, et celui de
la monarchie, un costume un peu kitsch, une attitude majestueuse, un ensemble
d’apparat, une cérémonie perpétuelle. D’un côté, le corps mortel et de l’autre, un
déguisement de roi.
Ce découpage, réalisé par Thackeray qui rajoute des pointillés horizontaux
pour bien montrer que le corps du roi est plus petit que son costume, n’a pas l’objectivité que son sous-titre suggère. L’étude n’est pas historique mais politique.
Elle décompose le système monarchique à partir d’un point de vue extérieur,
celui de la démocratie parlementaire anglaise du XIXe siècle. La dénonciation du
mensonge monarchique (le roi serait un vieillard caché aux yeux de tous sous un
un menuet composé par Charpentier. Pourtant, pareille position n’est pas rare dans les représentations
de nobles et de puissants personnages, elle indique une forme raffinée de maintien qui implique de tenir
son dos droit jusqu’à la cambrure. Bien des gravures de Le Paultre l’illustrent avec précision à l’exemple
de celle intitulée Homme en habit despée dont les pieds forment un parfait angle droit (Cabinet des
estampes, Ed 42 e, p. 154). Un exemple parmi d’autres, celui du portrait en pied de La Tour d’Auvergne
par Juste d’Egmont (MV 3515). Enfin, que dire de la parfaite similitude de la position des pieds de
Philippe V ?
85. Le tableau de Van Dyck comporte de multiples points communs avec celui de Rigaud :
266 x 207 cm, musée du Louvre, INV 1236. Rappelons que le roi possédait plusieurs toiles du peintre
dans ses collections. Nous suivons donc ici l’opinion de P. BURKE (op. cit., p. 42).
86. Voir le plaisant passage sur les derniers exploits du roi en 1692 dans M. REBOULET, Histoire du
regne de Loüis XIV. Surnommé le Grand, Roy de France, Avignon, Fr. Girard, 1744, II, p. 473.
87. Plusieurs vues du jardin, par P.-D. Martin, montrent nettement le curieux convoi. Voir Le Bassin
d’Apollon, 260 x 184 cm, MV 757.
88. D’autant plus que le roi est perclus de goutte au moment où il pose pour le peintre, les 10 et
11 mars. Voir DANGEAU, op. cit., VIII, p. 53.
89. Ce dessin constitue le frontispice de The Paris Sketchbook, publié en 1840.
90. Le hasard a voulu que Thackeray ait raison sur la réalisation matérielle du tableau puisque le
portrait a été intégré dans la toile peinte en atelier par ailleurs.
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LES RIDES D’APOLLON
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lourd manteau d’hermine) n’apprend rien que nous ne sachions déjà et que les
sujets savaient eux aussi. La souveraineté légitime serait un pouvoir qui se représente et non un corps qui se dissimule en trompant les sujets-spectateurs91. Il y a
ici un problème de psychologie politique : l’évocation de la nature mortelle du roi
limitait-elle la souveraineté monarchique, par ailleurs sacrée ? La vieillesse du roi
– et aussi son extrême jeunesse, comme on l’a vu plus haut – constituait-elle un
problème dans la mesure où le monarque est physiquement affaibli ? Sans doute
et ce qui est évident comme critique démocratique du système monarchique, une
souveraineté confisquée à vie par un individu choisi par le hasard de la naissance,
ne l’est pas historiquement parlant.
Enfin, le découpage corps/costume n’est pas adéquat dans le portrait de
Rigaud: on lui préférera la division visage/jambes puisque ce sont les seules parties
visibles du corps en tant que tel (laissons les mains de côté). On a l’impression que
le visage du roi a été ajouté au reste du tableau. On a surtout le sentiment que le
résultat pèche par un excès d’artifice jusque-là inégalé. Pourtant, l’œuvre soulève la
question de la composition et de l’inspiration plutôt que de la dissimulation
machiavélique d’une vieillesse dont tout le monde est au courant. Retenons ces
deux éléments, la position debout et la visibilité des jambes. Au-delà de l’influence
supposée de Van Dyck92, le peintre n’a fait que reprendre la station debout et la
position des pieds d’un précédent portrait du roi, datant de 1694 et conservé
aujourd’hui au Prado. Cette œuvre marquant le début de la reconnaissance du
peintre, il est normal qu’il ait réutilisé et amélioré la formule qui avait fait sa fortune
grâce à de nombreuses commandes93. D’autre part, de nombreuses représentations reprennent le motif de la jambe du roi exposée avec nonchalance94. Le plus
bel exemple est sans doute celui d’un portrait de jeunesse où le roi lève un coin de
son manteau d’hermine pour exposer ses jambes d’adolescent au regard du spectateur (doc. 3)95. Un autre portrait, toujours de Testelin, laisse apparaître au
deuxième plan une statue antique dont on ne voit que les jambes totalement nues96.
91. À l’analyse littérale de KANTOROWICZ (Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au
Moyen Âge, trad. fr., Paris, Gallimard, 1989, p. 305), on préférera celle, autrement subtile, de Marianna
JENKINS, « The State Portrait », dans Monographs on archeology and fine arts (…), Londres, College Art
Association, Study n° 3, 1947.
92. Indéniable notamment pour le portrait équestre par Houasse de la fin des années 1670 (MV
2109).
93. Le nombre des commandes en témoigne incontestablement : alors qu’en 1691, Rigaud livre la
copie d’un portrait inconnu du roi (qu’il n’a sans doute pas réalisé lui-même), l’année de la réalisation du
portrait en armure, ce ne sont pas moins de dix-sept copies qu’exécute son atelier pour les Grands ou
des personnages comme Fagon (P. BURKE, op. cit., p. 40-41). Ces copies sont difficiles à suivre car le livre
de raison les mentionne sans aucune précision formelle mis à part les formats ovales de temps à autre. À
partir de cette date, l’atelier de Rigaud produit entre trois et huit portraits du roi chaque année, sans doute
en faisant varier les dimensions car les prix sont très aléatoires. L’année des trois portraits, l’engouement
s’accentue de manière considérable : ce sont vingt copies qui sont exécutées en 1701 et vingt-huit en 1702
(p. 89 sq.).
94. Intéressante analyse de Sergio BERTELLI, « La gamba del re », dans Florilegium, scritti di storia
dell’arte in onore di Carlo Bertelli, Milan, Electa, 1995, p. 160-169.
95. 150 x 97 cm, MV 3475.
96. 205 x 152 cm, MV 102.
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De là, une œuvre finalement peu originale parce que composite et qui
réutilise des poncifs. Rigaud aurait donc élaboré une œuvre promise par
avance au succès parce qu’elle résume toute la série des portraits de
Louis XIV. Du raccourci pictural a émergé le paradoxe d’une reconstruction
du corps du roi. L’œuvre échappe au temps (en cela, elle remplit son rôle pour
la postérité) tout en intégrant, au plein sens du terme, l’incompressible pesanteur d’un regard mélancolique (en cela, l’œuvre ne ment à personne, pas
même au roi goutteux).
La servitude de l’âge n’était d’ailleurs aucunement cachée. Les promenades en roulette dans les jardins de Versailles, Marly et Fontainebleau ou les
frappes monétaires, des années 1690 jusqu’à la fin du règne, se révèlent des
plus significatives à cet égard. Les louis et double-louis d’or à l’écu gravés par
Joseph Röettiers montrent un visage émacié où pend un triple menton97. Les
écus de Norbert Röettiers, à partir de 1709, ne sont pas plus tendres avec le
portrait du roi, les joues dénotent un appétit excessif, les paupières tombent,
bref, tout renvoie à l’expression saisissante d’une souffrance contenue98.
Il n’y a pas d’entreprise de dissimulation de la réalité, ni de l’apparence, ni
de la santé du roi : qui s’offusquerait que l’Apollon d’hier soit aujourd’hui un
vieil Argan ? Le roi s’offre même un portrait en cire par le spécialiste de
l’époque, Antoine Benoist, où l’on remarque même une barbe de deux
jours99. Mieux encore, le roi fait graver une histoire métallique en séries uniformes décomposée en huit étapes signalées par le changement de portrait,
de l’âge de dix à soixante ans100. L’ensemble restitue une histoire dont la
chronologie est ponctuée non par les événements mais par les portraits du
souverain. C’est l’histoire de sa vie pour la postérité et non des événements
dont il a été le témoin ou l’acteur au cours de son existence. La collection
complète des médailles compose un destin qui relie une fois pour toutes, dans
un bilan exagérément optimiste, l’aventure politico-militaire du règne et
l’évolution physique de l’individu. En banalisant ce vieillissement du roi, la
série des médailles démontre l’acceptation du système : le roi, malgré son âge
avancé, malgré son déclin inexorable, restera roi jusqu’à son dernier souffle.
Au fur et à mesure qu’il se rapproche du trépas, il démontre aux yeux de tous
qu’un système transcendant de pouvoir le dépasse. En prenant ses distances
avec les représentations mythologiques, il se prépare à prendre place dans
97. Dr. 236, 238 et surtout 243 dont les portraits sont souvent rendus plus expressifs par les
réformations.
98. Dr. 378 et 381.
99. Ce portrait en cire colorée, réalisé aux alentours de 1710, montre le roi de profil avec un
réalisme saisissant. L’auteur est entré à l’Académie royale de Peinture en 1681. Voir Eudore SOULIE,
Louis XIV, médaillon en cire, Versailles, 1856 ; A. DUTILLEUX, « Antoine Benoist, premier sculpteur en
cire du roi Louis XIV (1632-1717) », Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1905, p. 8197. Exceptionnellement, le roi aurait pris la pose pour le sculpteur qualifié d’« unique sculpteur en cire
coloriée » du roi dans son testament (MC, IV, 385, 13 décembre 1714).
100. J. JACQUIOT, « Les Portraits de Louis XIV, gravés sur les médailles des séries métalliques uniformes » extrait du Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1967, p. 185-201, planches.
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LES RIDES D’APOLLON
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l’Histoire avec encore plus d’assurance, comme le héros meurtri par plusieurs
décennies de règne101.
Tout le monde sait très bien que le roi n’est qu’un homme comme les
autres, mais que son destin est rendu exceptionnel par le prestige de sa fonction. Les portraits ne disent rien d’autre. Pascal, dans un très beau texte pédagogique, n’a garde de souligner cette évidence :
« Un homme est jeté par la tempête dans une île inconnue, dont les habitants étaient en
peine de trouver leur roi, qui s’était perdu ; et, ayant beaucoup de ressemblance de corps et
de visage avec ce roi, il est pris pour lui, et reconnu en cette qualité par tout le peuple »102.
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L’évolution des portraits de Louis XIV est avant tout celle d’un corps dont
les permanences sont aussi nombreuses que les transformations. On n’hésite
pas à montrer le Dauphin dans ses premières années comme on n’hésite pas à
montrer le roi fatigué dans ses dernières années. Par l’image ou le texte, les
« deux corps du roi » n’en forment plus qu’un mais pour deux usages distincts.
Concluons ici par deux hypothèses sur les usages des portraits royaux.
On aurait tout d’abord l’usage domestique dans lequel le portrait a une
fonction de miroir destiné au roi qui se reconnaît comme un nouvel Apollon,
découvrant dans ses représentations élogieuses un modèle à suivre dans la
quête de son identité ou un rappel de ses succès (qui pourra servir de miroir à
ses descendants). Cet usage domestique participe lui-même de l’élaboration
d’un héritage iconographique qui sera transmis à ses successeurs. Il est aussi
un objet de convoitise, prisé par les courtisans ou les récipiendaires des largesses royales. Posséder le portrait du roi donne du lustre à la collection d’un
fidèle serviteur de la monarchie, l’idéal étant de paraître aux côtés du souverain lui-même.
On pourrait distinguer en second lieu un usage cérémoniel destiné à l’information officielle, à l’apparat et aux fastes auxquels courtisans et sujets participent au cours des nombreuses célébrations qui exposent l’image du roi,
non comme une icône mais comme un objet privilégié du cérémonial103. Le
101. À la fin du règne, on abandonne progressivement les références tirées de la mythologie et
de l’histoire épique gréco-romaine : Chantal GRELL, Christian MICHEL, L’École des Princes ou Alexandre
disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste, Paris, Les Belles Lettres, 1988,
1re partie.
102. PASCAL, Trois discours sur la condition des Grands (vers 1660), Paris, Gallimard, la Pléiade,
1950, p. 387. Le texte est parfois attribué à Nicole. Le sosie du roi est pris pour le roi, quelle importance si ce n’est pas le vrai roi tant qu’il lui ressemble ? Le reste n’est que protocole. Interprétation
littérale dans G. SABATIER, op. cit., p. 567.
103. On peut, à juste titre, contester cette division entre le domestique et le cérémoniel dans
l’usage des images du roi étant données les particularités du système de cour. Entre les deux se glisserait la catégorie du patrimonial. Les peintures de Versailles, maison du roi et siège du gouvernement,
participent tour à tour de chacun d’eux.
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LES RIDES D’APOLLON
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portrait du roi est, dans ce cas précis, objet d’illustration (monnaies et
médailles), de mise en scène (fêtes), de description (devises et inscriptions) et
de circulation (présents à vocation plus ou moins diplomatique).
Dans ces deux usages aux interactions variées, la figuration du corps se
plie aux maigres exigences des codes de représentation et la ressemblance, au
sens anachronique où nous entendons le terme, n’est pas obligatoire : il n’y a
pas de dissimulation outrancière du corps physique puisqu’il est toujours intégré dans un dispositif qui le rend finalement secondaire. Se greffent ensuite les
modes, l’idée du Beau et le modèle classique. Les figurations mythologiques ne
sont que des mensonges à demi avoués. Elles ne renvoient ni à une division du
corps du roi en deux éléments distanciés, ni à un système machiavélique qui
chercherait à persuader tout un chacun de l’immortalité du souverain. Dès
lors, les peintres ne courent aucun risque à laisser apparaître les rides
d’Apollon.
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Stanis PEREZ
Lycée Charles de Gaulle
77230 Longperrier
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REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
DOCUMENT 1
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Louis XIV bébé, représenté en maillot dans les bras
de sa nourrice Marie de Longuet de la Giraudière.
Beaubrun Henri (1603-1677) ; Beaubrun Charles (1604-1692) huile sur toile XVIIe siècle,
Époque Louis XIV. Photo RMN
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LOUIS XIV ET L’UNE DE SES NOURRICES
LES RIDES D’APOLLON
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DOCUMENT 2
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Portait de Louis XIV (1638-1715) enfant, en pied, revêtu d’un manteau royal,
représenté en dauphin vers 1640.
École française, huile sur toile, XVIIe siècle. Photo RMN
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PORTRAIT ENFANT EN BONNET
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REVUE D’HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
DOCUMENT 3
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Portrait en pied de Louis XIV, âgé d’une dizaine d’années, représenté portant le manteau royal
et un bâton de commandement.
Testelin Henri (1616-1675). Photo RMN.
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PORTRAIT PAR TESTELIN EN 1658
LES RIDES D’APOLLON
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DOCUMENT 4
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Vue du bassin d’Apollon et du grand canal de Versailles en 1713, au premier plan :
Louis XIV à la promenade.
Martin Pierre Denis (1663-1672) vers 1713, huile sur toile, XVIIe siècle. Photo RMN.
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BASSIN D’APOLLON PAR P. D. MARTIN
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DOCUMENT 5
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École française du XVIIe siècle. Portrait du futur Louis XIV,
encore dauphin. 1640. Gravure de Daret. Paris. Cabinet des Estampes. © BnF, Paris.
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MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
LES RIDES D’APOLLON
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DOCUMENT 6
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École française du XVIIe siècle. Portrait de Louis XIV, 1643. Gravure de Daret.
Paris. Cabinet des Estampes. © BnF, Paris.
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LOUIS XIV PAR LA GRÂCE DE DIEU
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