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Entre farsa et barzelletta jeux de cart

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The Playing-Card Volume 37, Number 2
Thierry Depaulis
Entre farsa et barzelletta :
jeux de cartes italiens autours de 1500
E
n 1988, il y a vingt ans, Franco Pratesi publiait dans sa mémorable série « Italian
cards : New discoveries » un bref article, le septième, intitulé « Venetian
tarot in the 16th century : evidence from specific literature »1 . Il y présentait
deux textes vénitiens : les « tarocchi appropriati » de Troilo Pomeran (1534) et
une Barzeletta anonyme du XVIe siècle, connue en plusieurs éditions, dont l’une,
la seule datée, de 1553. L’ambition était de « réhabiliter » Venise, sèchement
écartée de l’histoire du tarot par Michael Dummett dans son monumental The
Game of Tarot (1980). Oui, disait Pratesi, Venise a connu le tarot, même si c’est
modestement et dans l’orbite de Ferrare. Témoins irréfutables ces Triomphi…
composti sopra li terrocchi in laude delle famose gentil donne di Vinegia de Troilo
Pomeran. Témoin aussi cette Barzelletta noua qual tratta del gioco, imprimée par
Paulo Danza, imprimeur vénitien actif entre 1521 et 1542, que Pratesi propose
de dater vers 1528, et que Mattheo Pagan(o) réimprime dans la même ville en
1553. Une troisième édition, plus ou moins réactualisée, paraît à Bologne chez
Vittorio Benacci dans les dernières années du XVIe siècle. Cette Barzelletta – en
italien « facétie » – est une sorte de chanson ou de complainte humoristique où
le refrain – « Maladetto sia il giocare » – débute chaque couplet – il y en a 28.
Les deux premières versions, vénitiennes, offrent un couplet sur le tarot qui
se lit ainsi (ici dans la transcription que Pratesi donne de l’édition c. 1528) :
Maladetto sia il giocar.
Si a tarocho ho gia iocato
Mai me vien el bagatella
Mai el mondo, mancho el mato
Ne giustitia mischinella
Langiol mai con soa favella
Non mi viene a visitar.
Maudit soit le jeu.
Si au tarot j’ai déjà joué
jamais ne me vient le bateleur [I]
jamais le monde [XXI], il manque le fou ;
ni la justice mesquine
[ni] jamais l’ange, avec sa parole2 ,
ne me vien[nen]t visiter.
Nous sommes apparemment dans l’orbite ferraraise. Comme Franco Pratesi
l’a bien vu, les atouts mentionnés sont bagatella, mondo, matto, giustitia, l’angel,
soit les plus importants dans le tarot ferrarais : le monde, la justice et l’ange (le
The Playing-Card, vol. XVII, n° 2, nov. 1988, p. 58-65.
Allusion possible à une sentence dans une banderole, telle celle affichant FAMA
VOLAT sur le Jugement du minchiate. Celui du tarot Visconti di Modrone porte aussi
en haut une inscription en lettres d’or : « Sur | gite ad Judicium ».
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jugement [dernier]) sont les trois plus hauts, en ordre décroissant ; le bagatella,
c’est-à-dire le I d’atout (le bateleur), et le matto, ou fou (excuse), sont deux cartes
fortes. Seul l’ordre B (Ferrare) explique ce choix, car ni l’ordre A (Bologne,
Florence) ni l’ordre C (Milan) ne placent la justice au sommet. Celle-ci n’y joue
aucun rôle. (Et quand le texte est adapté à une édition bolonaise, vers 1600, la
Justice disparaît…3 ) Peut-être faut-il voir ici une allusion discrète aux bergigole ou
versicole, c’est-à-dire au réunions d’atouts, hauts ou bas, telles qu’on les rencontre
ici et là4 . A eux seuls, monde+bagatella+matto forment une bergigola.
D’une Barzelletta à l’autre
Il est possible aujourd’hui d’ajouter à la liste de Pratesi deux autres éditions
de cette même Barzelletta.
L’une, totalement inédite, m’a été communiquée par Manfred Zollinger. Elle
se trouve à la Biblioteca Apostolica Vaticana, à Rome, et se présente ainsi :
• Incomencia vna Barcelletta del Giocare:
s.l. [Venise ?], s.d. [entre c.1510 et c.1520 ?]
4 ff. n. ch. ; 20 cm. ; car. ital. ; titre en car. goth. ; lettrine M au début du texte ;
texte sur 2 col. ; 33 vers par col.
Rome, BAV, Stamp. Ferr. IV.9985 (15)
Ici, le « Sonetto sopra il gioco » initial manque et la barzelletta ne comprend
que 22 couplets, au lieu de 28 dans les autres versions. A la fin, le mot finis est
suivi d’une frottola (Frottula : Orsu cosi ua el mondo).
Six couplets sont absents et la fin est un peu différente des autres éditions.
Celle-ci ne peut être l’original car on lit « Kaus » pour Raus. Parmi les mots clés,
on note les graphies bagatello (bagatella dans toutes les autres versions), taroco,
langel, chrichetta, etc.
Voici, par exemple, le couplet sur le tarot :
maladetto sia il giocare.
Si a taroco ho gia giocato
mai mi uien el bagatello
mai el mondo, manco il matto
ne giustitia meschinella
langel mai con sua fauella
non mi uien a uisitare.
Pratesi, p. 63.
« Les quatre hautes ou les quatre basses de triomphes », selon M. de Marolles, Regles
dv iev des tarots, [Nevers], [1637].
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Plus loin, ce couplet :
Maladetto sia il giocare.
Se a Ronfa o gia giocato
rare uolte mi uien asso,
e se a trappola ho gia fatto
le lunette mhanno casso
ruinato son al basso,
non mi gioua lamentare.
La composition en italique est typiquement vénitienne. Je la situerais après
1510 quand ces caractères, mis en service pour la première fois par Alde Manuce
à Venise en 1501, ont commencé à se populariser, échappant à leur inventeur
et à ses revendications de propriété. Mais la présence d’un titre en caractères
gothiques, de type rotunda, ne peut nous entraîner bien au-delà de 1535. Enfin,
la forme du titre Incomencia vna Barcelletta est assez archaïque. Elle renvoie au
temps où les livres n’avaient pas de page de titre, suivant en cela un modèle hérité
du livre manuscrit. Nombre d’incunables commencent en effet directement par
cette formule : Incomincia…, Incomencia…, ou tout autre variation orthographique.
(Le français dit alors : « Cy commence… ») On l’a compris, cet archaïsme pourrait
lui aussi permettre de dater ce petit imprimé. Mais un sondage fait dans le
catalogue collectif italien des éditions du XVIe siècle (ICCU - EDIT 16) montre
qu’on imprime encore des livres débutant par Incomincia… en 1593 ! L’accès
facile à cette ressource a permis toutefois de constituer un petit échantillon d’une
soixantaine de livres qui révèle une nette majorité de titres semblables entre
1500 et 1520 (pour nous en tenir au seul XVIe siècle), avec une concentration
autour de 1515. Cela autorise sans doute à resserrer l’écart de dates entre c.1510
et c.1520. La Barcelletta del Giocare serait donc un peu plus ancienne que celle
datée par Pratesi vers 1528.
L’autre version est d’un intérêt encore plus grand. Contrairement à la
précédente, elle a été repérée par les compilateurs d’incunables (D. Reichling,
Appendices ad Hainii…, Munich, 1905-14) et d’imprimés illustrés anciens (M.
Sander, Le livre à figures italien, depuis 1467 jusqu’à 1530, Milan, 1941-1943). Sa
chance est en effet, comme l’édition de Paulo Danza vers 1528, d’avoir une image
gravée en tête. C’est pourquoi Carlo Pasero, Le xilografie dei libri bresciani, Brescia,
1928, la signalait sous le n° XCI. C’est pourquoi encore cette version réputée
incunable a figuré dans une exposition du Castello Sforzesco à Milan en 19425 .
Luigi Sorrento, éd., Stampe popolari e libri figurati del Rinascimento lombardo : mostra al
Castello sforzesco, Milan, 1942, p. 49, n° 1.
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Voici sa description la plus autorisée :
• BARZELETTA NVOVA, || qual tratta del gioco, del qual ne || uiene
insuportabili uitii, a chi || seguita ditto stile gion- || ge a increpabil ||
morte.
Au-dessous, xylographie avec légende : [hi]s docet exemplis nato [sic] mala vita
parentvm6 . (Deux hommes et un enfant contemplent un jeu de cartes et des dés
sur une table.)
A la fin, verso f. 4 : il fine.
Brescia : Bernardino Misinta, [c. 1502].
8° ; 4 ff. n. ch. ; car. rom. ; texte sur 2 col. ; 30 vers par col.
Parme, Biblioteca Palatina, Inc. 893/4
¶ D. Reichling, Appendices ad Hainii…, Munich, 1905-14, 1136 ; C. Pasero, Le
xilografie dei libri bresciani, Brescia, 1928, XCI ; L. Sorrento, éd., Stampe popolari e
libri figurati del Rinascimento lombardo, Milan, 1942, p. 49, n° 1 ; M. Sander, Le livre à
figures italien, II, Milan, 1942, n° 3155 ; E. Sandal, La stampa a Brescia nel Cinquecento.
Notizie storiche e annali tipografici (1501-1553), Baden-Baden, 1999, n° 9
La date, « c. 1502 », est donnée par Sandal qui corrige ainsi une datation
plus ancienne (Sorrento, Sander) plaçant l’imprimé autour de 1500 et faisant
de lui, selon la définition traditionnelle, un « incunable ». Or le texte en est
rigoureusement identique aux deux éditions vénitiennes signalées par Pratesi
! Seules d’infimes variations orthographiques la distinguent, parmi lesquelles
le mot tocca dillo (toccadiglo, une variété de trictrac), qui est estropié dans
les versions ultérieures en toccadita ou tocca dito. Toutefois, malgré la qualité
évidente de cette première Barzeletta nuova, on ne peut la tenir pour l’original
car il manque un vers dans un couplet (ligne 179), une lacune que les éditions
suivantes ne présentent pas.
Deux réflexions viennent immédiatement à l’esprit : 1) cette édition est
bien plus ancienne que celle de Paulo Danza à Venise (c.1528) ; 2) elle n’est pas
vénitienne… Les conséquences de cette situation sont multiples7 .
Que cette Barzeletta nuova, imprimée à Brescia, ne soit pas vénitienne n’est pas
le plus important. Nous venons de voir que cette édition dépend d’un original :
rien n’interdit de penser que Bernardino Misinta ait copié une impression venue
de Venise. En outre, ce typographe paraît avoir été assez itinérant. Libraire et
éditeur à Pavie, il se fait imprimeur à Brescia, puis, brièvement, à Crémone et à
Vérone, où il travaille tantôt seul tantôt en société. Revenu à Brescia en 1501, il
Comme on peut le voir sur la photo de la page de titre, le texte de la légende est
précédé par un s, probable fin d’un démonstratif his ou is. (Cela, aucun bibliographe
ne l’a vu.) Il s’agit en fait d’une citation de Juvénal (Satires, XIV) : His docet exemplis
natos mala vita parentum, « La mauvaise vie des parents instruit les enfants par ces
exemples » (où l’on voit que nato est ici fautif).
7
Outre les reproductions de ces pages inédites, dues à Lucio Rossi (Foto R.C.R.,
Parme), on trouvera en annexe un extrait substantiel de cette Barzeletta nuova de
Brescia.
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Page de titre et deux pages intérieures de Barzeletta nuova, qual tratta del gioco…, Brescia, Bernardino
Misinta, s.d. [c. 1502] (Parme, Biblioteca Palatina ; photos Lucio Rossi, Foto R.C.R., Parme)
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exerce jusqu’en 1509 (dernier livre daté connu). Si l’aire d’activité de Bernardino
Misinta n’est clairement pas Venise ni son arrière-pays, on n’oubliera pas que,
depuis la paix de Lodi (1454), Brescia et Bergame font partie du territoire de la
République et que Vérone est depuis longtemps vénitienne.
C’est la date qui fait frémir. En effet, la Barzelletta égrène un certain nombre de
jeux qui n’étaient pas connus aussi tôt. Si les jeux de cartes ronfa, cricca, bassetta,
trentuno sont mentionnés déjà au XVe siècle, si le sbaraglino, jeu du tablier, fait
figure de « vétéran », la trappola n’est attestée que depuis 1501 et le (les) trionfetti
ne sont longtemps restés connus que par le dialogue de l’Arétin, Le Carte parlanti
(1543). Franco Pratesi avait souligné à bon droit l’antériorité de la Barzelletta de
Paulo Danza, c. 1528. Avec celle de Bernardino Misinta nous faisons un bond
de presque trente ans dans le temps !
Que dire alors du tarot ? Il est vrai que les archives de Ferrare nous ont livré
deux occurrences de tarocchi en 15058 – mais notre Barzelletta serait donc de trois
ans antérieure, battant ainsi le record récemment établi et se qualifiant comme
l’attestation la plus ancienne du mot tarocco.
Plus impressionnante est la date du jeu de primiera, qu’on ne soupçonnait
pas si précoce. La date la plus haute se situait en 1517 dans un rapport de
l’ambassadeur vénitien Marino Zorzi observant le pape Léon X, gros joueur
de primiera9 . Ici, nous gagnons quinze ans, ce qui n’est pas rien. Deux autres
jeux progressent eux aussi sur l’échelle des datations : le raus – sans doute le
jeu allemand Rausch(en) bien documenté dans la vallée du Rhin aux XVe et
XVIe siècles – ne nous était révélé par que la première édition vénitienne de la
Barzelletta, vers 1528, et la criccetta, variante évidente de la cricca, qui n’est citée
que dans ce texte.
La présence d’un jeu clairement venu de l’aire germanophone, le raus, cité
par Zdekauer d’après un document vénitien de 1548 (« a zuogo de raus »)10 et
inclus dans sa liste de jeux par Alessandro Citolini, encyclopédiste protestant
originaire de Serravalle11 en Vénétie, dans sa Tipocosmia (1561), source de La
piazza universale de Tommaso Garzoni (1585) et, par là, de plusieurs autres
auteurs (Aldrovandi, Florio, Oudin, etc.), serait peut-être une bonne indication
du caractère résolument vénitien de la Barzelletta qui nous préoccupe12 .
Adriano Franceschini, « Quando si inizia a parlare di tarocco: Ferrara 1505 », Ludica,
10, 2004, p. 199.
9
Fanti e denari : sei secoli di giochi d’azzardo, Venise, 1989, p. 33, citant Relazioni degli
ambasciatori veneti, II, 3, p. 57.
10
L. Zdekauer, « Il giuoco a Venezia sulla fine del secolo XVI », Archivio Veneto, t.
XXVIII, 1884, p. 132-146, ici p. 135, n. 1.
11
Ajourd’hui Vittorio Veneto (depuis 1866).
12
Mais la présence du raus dans la Farsa satyra morale de Venturino Venturini, auteur
non-vénitien, laisse supposer une diffusion plus large du jeu. Cf. infra.
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Venturino Venturini
Ces dates si hautes font réfléchir. Certes, Ennio Sandal, responsable de cette
datation autour de 1502, n’a pas de preuve absolue, mais il n’a pu se tromper
que de quelques années. Si le tarot, la primiera et d’autres jeux sont plus anciens
que prévus – désormais on peut sans rougir les placer « vers 1500 » – on est
plus à l’aise pour accepter une autre datation haute fournie par le même Sandal
pour un imprimé milanais sans date, lui aussi porteur d’une liste de jeux qu’on
hésitait à placer si tôt.
Il s’agit d’une brève comédie d’un auteur peu connu, Venturino Venturini, de
Pesaro, intitulée Farsa satyra morale del strenuo cavallero Venturino Pisauro. Comme
pour le document précédent, celui-ci porte lieu et nom d’imprimeur, mais pas
de date. A la fin, on lit : « In Milano : per Ioanne da Castione ».
• FARSA SATYRA MORALE DIL || STRENVO CAVALLERO ||
VENTVRINO || PISAVRO.
Colophon : ¶ Impresso in Milano per Joanne da Castione.
Milan : Zanotto da Castiglione, s.d. [c. 1510].
4° ; car. rom. ; [42] f.
Considérée comme un des premiers textes de comédie italienne, la Farsa satyra
morale de Venturini avait été repérée dès le XIXe siècle. Le grand bibliographe
français Jacques-Charles Brunet en son Manuel du libraire et de l’amateur de livres
(1860-1880) commentait l’ouvrage ainsi :
VENTURINO pisauro
Sforza [sic !], satyra morale. Milano, Joanne de Castione (senz’ anno), pet.
in-4. [14949]
Opuscule rare, qui doit être de l’année 1521, au plus tard, le nom de
Castione ne se trouvant plus après cette époque.
L’autorité de Brunet était telle que nombre d’auteurs l’ont suivi. Les historiens
du théâtre, qui ne croisent guère ceux du livre, continuent de se référer à
cette date. Ici encore, l’érudition d’Ennio Sandal a apporté ses lumières sur
l’imprimeur13 . Giovanni, dit Zanotto, Castiglione fut brièvement actif à Milan
(1505) puis à Turin en 1506-1507, enfin à nouveau à Milan jusqu’en 1523. Il est
mort en 1524. L’analyse de sa production révèle un peu plus d’une quinzaine
de titres, dont un tiers environ en latin et le reste en italien. Le catalogue de
Castiglione inclut des œuvres de Pulci, Ange Politien, Boccace et celles de notre
Venturino Venturini, comme la Farsa satyra morale, une réimpression d’une
œuvre de 1511, Opera noua : Renouatione del mondo & altre cose facete novamente
Ennio Sandal, Editori e tipografi a Milano nel Cinquecento, Vol. 3, Baden-Baden, 1981,
n° 518 ; Marco Menato, Ennio Sandal, Giuseppina Zappela (dir.), Dizionario dei tipografi
e degli editori italiani : Il Cinquecento, Volume 1, A-F, Milan, 1997 (Castiglione, Giovanni
detto Zanotto).
13
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composte per il caualiero Venturino Pisauro, elle aussi sans date (1520 ?), et ce qui
ressemble à une réédition augmentée : Opera nova dil strenuo cavaliero Venturino
Pisauro, comprenant outre la farce précédemment imprimée (Falsa [sic] satyra),
la Renovatione del mondo & altre cose facete de 1511 et, pour finir, un sonnet et une
églogue.
• Opera nova dil strenuo cavaliero Venturino Pisauro. Falsa [sic] satyra. Renovatione
del mondo & altre cose facete. Sonetto. Egloga
(Impresso in Milano : per Ioanne da Castione, [?1520]).
Compte tenu de ce qui vient d’être dit, il n’est pas interdit de placer la date
de ce livre un peu plus tard, à moins qu’il ne faille remonter légèrement celle
de la Renouatione del mondo « première édition ».
Un exemplaire se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal14 , à Paris, qui n’est
mentionné dans aucune bibliographie. C’est là que j’ai lu le texte de la Farsa
satyra morale. Pour être sûr qu’il correspondait à celui de la première impression,
j’ai contrôlé son contenu avec la version qu’en donne Lorenzo Stoppato dans La
commedia popolare in Italia, Padoue, 1887 (réimp. Sala Bolognese, 1980), p. 193-217,
d’après l’original, et que je reproduis ici.
(Sp. = Spampana ; As. = Asuero)
p. 206-207
Sp.
Pigliala come voi : o a dadi o a carte.
Son tutti i giochi per chi vince boni.
As.
Tu me perdonarai, non è mia arte.
(…)
Sp.
Con dadi a passa dece: a sanza: al sozzo:
A darli la man larga e ben distesa ;
Minoretto: sbaraglio: ad urta gozzo,
A trichetrac: e a torna galea:
Vedi se come un pipion15 te ingozzo.
(…)
O voi alla crichetta: o alla fluxata:
A rompha: a fluxo: et a le due nascose:
Primera: al trenta: et alla condannata:
A rauso: a cresce el monte. hor apre gli occhi :
Che tua o mia sara questa giornata.
14
15
BnF, Arsenal, 4- BL- 2672 (1).
pipione, pippione = piccione : pigeon.
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As.
Mancava anchora el gioco de tarocchi,
Chesser mi par tuo pasto : e un altro anchora
Minchion, sminchiata volse dir da sciocchi.
Hor prende qual tu voi, chel fugge lhora.
Altro non intendo io, che quel de scacchi.
Si l’on a quelques données sur l’imprimeur-éditeur, on n’a pas beaucoup
mieux, hélas, sur l’auteur. Issu d’une famille de Bergame installée à Pesaro,
Venturino Venturini fut d’abord soldat sous les ordres du capitaine Pocointesta,
au service du tyran de Sienne Pandolfo Petrucci (1452-1512)16 . Il enseigna le
droit à Sienne et à Macerata, indique la notice de l’ICCU, qui ajoute qu’il était
un ami du poète, chanteur et musicien Serafino Aquilano, c’est-à-dire Serafino
Ciminelli (1466-1500). Venturino Pisauro (de Pesaro), comme il se nomme parfois
lui-même, est donc un homme du XVe siècle avant de se manifester au XVIe
par ses écrits. Simone Albonico note que le recueil de poèmes El Cavaliero, paru
à Milan en 1530, “était encore lié à la poésie de cour de la première et de la
deuxième décennies du [XVIe] siècle”17 .
Matteo Bandello (1485-1561) en fait le narrateur d’une de ses célèbres Novelle,
la novella LIII de la Seconda parte, située à Milan entre 1512 et 1515. « Messer
Venturino da Pesaro […] che de la lingua volgare si diletta » – il était donc
soucieux de s’exprimer en italien plutôt qu’en latin ou en grec – est chargé
d’exposer le récit chez Alessandro Bentivoglio et sa femme Ippolita Sforza, lors de
la venue de Galeazzo Sforza de Pesaro18 , à qui d’ailleurs l’œuvre est dédiée19 .
En 1504, nous dit Stoppato, Venturino glisse un sonnet dans un recueil publié
pour la mort de Serafino Aquilano. En 1507, nouvelle participation à un ouvrage
collectif, lui aussi imprimé à Venise. L’année suivante, il donne une Narrazione
Georges Ulysse, « Les guerres d’Italie et leur image théâtrale », dans U.E.R. des
langues romanes et de l’Amérique latine [de l’Université de Provence], Hommage
à Madame le Professeur Maryse Jeuland à l’occasion de son départ à la retraite, Aix-enProvence, 1983, p. 157, n32 citant Francesco Saverio Quadrio, Della storia e ragione di
ogni poesia, Bologne, 1739-52 où je n’ai rien trouvé de la sorte. Quadrio distribue les
éléments sur « Venturino de’ Venturini » en plusieurs endroits des sept tomes de son
monument (heureusement muni d’un copieux Indice universale). La seule indication
biographique se trouve au tome II, p. 218, et concerne l’amitié de Venturini pour
Serafino Aquilano !
17
S. Albonico, « Ippolita Clara », dans Veronica Gambara e la poesia del suo tempo
nell’Italia settentrionale : atti del convegno (Brescia-Correggio, 17-19 ottobre 1985) ; éd. C.
Bozzetti, P. Gibellini, E. Sandal, Florence, 1989, p. 347.
18
Fils naturel de Costanzo Sforza (1447-1483) et, partant, petit-fils d’Alessandro Sforza,
seigneur de Pesaro (1409-1473), Galeazzo avait épousé la fille d’Ercole Bentivoglio,
Ginevra. Comme son demi-frère Giovanni, il a dû naître vers 1470. Dernier Sforza
seigneur de Pesaro, il est mort, disent mes rares sources unanimes, en 1519.
19
Albonico, loc. cit., p. 347 n. 99.
16
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di una disfida tra Italiani e Spagnuoli nel 1508 in Siena, puis fait imprimer à Pesaro
deux ans plus tard une Evocatione de l’empereur romain Maximien qu’il signe
Perpaulo Venturino da Pesaro. La Farsa satyra morale daterait elle aussi de 1510. En
1511 paraît à Milan, chez Vulpino da Caponago cette Renovatione del mondo et altre
cose facete novamente qui sera réimprimée ensuite par deux fois chez Giovanni /
Zanotto Castiglione. La dernière œuvre publiée de Venturino Venturini est
un recueil de poèmes intitulé El cavaliero : Le varie rime del armiggero cavaliero e
fecondo poeta Venturino Pisauro (Milan, Gottardo da Ponte, 1530). Après quoi, le
poète-soldat, ami des derniers Sforza, ne donne plus signe de vie. Né peut-être
vers 1470, il aurait pu mourir vers 1535.
Arrêtons-nous maintenant sur les jeux énumérés par le Spampana de
Venturini : passa dece, sanza, sozzo (jeux de dés), minoretto, sbaraglio, urta
gozzo (?)20 , trichetrac, tornagalea (jeux du tablier), criccetta, flussata, ronfa,
flusso, due nascose, primera, trenta, condannata, rauso, cresce el monte (jeux
de cartes), tarocchi, sminchiata, scacchi…
On y reconnaît facilement plusieurs classiques du XVe-XVIe siècle, tels,
parmi les jeux de dés, le passa dece – ou passa dieci, en français passe-dix –, le
sanza, le sozzo, ou, parmi les jeux du tablier, le minoretto, le sbaraglio, le trichetrac
et la tornagalea. Le sozo, le minoretto et le sbaraglio sont fréquemment vilipendés
par Bernardin de Sienne dans ses sermons contre le jeu (1424, 1425, 1430-36).
Au siècle suivant, Francesco Berni cite plusieurs jeux du tablier dans le Capitolo
del gioco della primiera… (1526) : « el sbaraglino è un brutto, un traditore et un
maladetto gioco; dico che el toccadiglia [sic], tornagalea, el minoretto, e li altri
simili, fino a scaricalasino, che è el più diserto che ci sia... » J’ignore en quoi
consiste la tornagalea. De tous ces représentants de la famille, on note toutefois
la présence très précoce du trichetrac, qui n’était attesté jusque-là que dans une
lettre de Machiavel du 10 décembre 151321 .
Sauf le due nascose et le cresce el monte, que je n’ai pas rencontrés ailleurs, tous
les jeux de cartes sont bien connus à l’époque. La condennata est citée dès 1404,
sûrement un des plus anciens jeux de cartes nommés, et le ludus de triginta (it.
trenta) est mentionné dans un document milanais de 1420. La ronfa émerge au
milieu du XVe siècle, le flusso, quelques décennies plus tard (mais la flussata
n’était pas représentée avant 1538). Pour le tarot, on a vu que sa date d’apparition,
documentée en 1505, devait être vieillie avec la Barzeletta de 1502. Du coup, il
est logique de trouver aussi la primiera, ici primera, à une date si haute. Le rauso
– ou raus – ne surprend plus. (Et sa présence chez un auteur non-vénitien laisse
supposer une diffusion au-delà de la Vénétie.) On note enfin la sminchiata, qui
Un jeu totalement inconnu.
Opere di Niccolò Machiavelli, III : Lettere, éd. Franco Gaeta, Turin, 1984 (Classici
Italiani), lettre 224, p. 426 : « io m’ingaglioffo per tutto dì giuocando a cricca, a trichetach… »
20
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semble comme un synonyme de minchion (crétin, idiot), « volse dir da sciocchi »,
« qui veut dire ‘d’imbécile’ ». Cette expression fait écho à la forme « da tarocco »
que rapporte John Florio en son dictionnaire joliment intitulé A Worlde of Wordes
(1598, 1611) : « Da tarocco, gulish, wayward, peeuish.22 » Or Tommaso Garzoni,
dans une autre œuvre, Ospidale de’ pazzi, Venise, 1589, consacre tout un chapitre,
le Discorso XIII, à traiter « De’ pazzi dispettosi o da tarocco ». Bref, il existait une
expression da tarocco, qui désignait un fou furieux. Elle fait clairement référence
à un sens ancien et durable, quoique peu attesté, de tarocco « crétin, abruti ».
Le Grande dizionario della lingua italiana (GDLI), en son tome XX (« Squi-Tog »,
Turin, 2000), en fait le 4e sens, « vieilli et argotique », de Tarocco1 : « 4. Agg.
Gerg. sciocco, stupido; pazzo », avec référence à Berni (1526), puis… à Pier-Paolo
Pasolini (dans Una vita violenta, roman de 1950). On pourrait ajouter d’autres
exemples anciens et modernes, tel celui que donne Fernando Ravaro, Dizionario
romanesco, Rome, 1994 : « taròcco - Bestemmia, imprecazione; personna sciocca,
ignorante, grossolana. » Plus loin, sous la même entrée, le GDLI indique : « —
Matto da tarocco, sciocco come un tarocco: totalmente folle, irremediabilmente
stupido. Garzoni, 7-242 » où le mystérieux code « Garzoni, 7-242 » est celui de
l’Ospidale de’ pazzi, 1589, déjà cité.
Ici, Venturino Venturini a choisi de jouer sur les mots, et s’il ne s’attarde pas
sur « el gioco de tarocchi », il nous laisse entendre que minchion et sminchiata
sont plus ou moins la même chose et que tous deux renvoient à quelque forme
d’imbécillité, un attribut que l’on accolle volontiers aussi au mot tarocco. Si tout
ceci a bien été imprimé vers 1510, nous avons là des attestions fort précoces
que complètent la Barzelletta examinée plus haut et d’autres sources, telle cette
réglementation sur les jeux à Fabriano, du 12 octobre 1507, qui prescrit : « ad
ioco chiamato le smenchiate ad li quali iochi per tucto de dì et de nocte se possa
iocare con le qualità specificate »23 . Ici aussi, « le jeu appelé smenchiate », comme
« il giuocho delle minchiate » à Florence en 147724 , est autorisé sous certaines
conditions.
English summary
Two early Italian printed texts, a Barzelletta, which Franco Pratesi had already
made know, but for which a much earlier edition, printed in Brescia c. 1502, is
here used, and a comedy (a “farsa”) by Venturino Venturini, also datable to the
gullish = simple d’esprit, écervelé, idiot ; wayward = capricieux, rebelle et peevish =
querelleur, obstiné, désagréable.
23
Romualdo Sassi, « Appunti sul giuoco delle carte a Fabriano nei secoli XV e XVI »,
Deputazione di Storia Patria per le Marche, Atti e Memorie, ser. VII, vol. III, 1948, p. 137153, doc. p. 150.
24
Franco Pratesi, « Italian cards – New discoveries. Carte da gioco a Firenze : il primo
secolo (1377-1477) », The Playing-Card, vol. XIX, n° 1, août 1990, p. 7-17.
22
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first decade of the 16th century, offer interesting lists of card and dice games.
Most of these games were known in the preceding century but some make their
first appearance, particularly trionfetti, tarocco and primiera all mentioned in
the Barzelletta of c. 1502, the last two being also quoted by Venturino Venturini
(c. 1510).
Annexe
BARZELETTA NVOVA, qual tratta del gioco, del qual ne uiene insuportabili
uitii, a chi seguita ditto stile gionge a increpabil morte.
Brescia : Bernardino Misinta, [c. 1502].
Parme, Biblioteca Palatina, Inc. 893/4
(extrait) Maladetto sia il giocar.
Hor intendist’ sta altra parte
Se intender te diletta,
Se giocar i uoglio a carte
Dico a raus alla bassetta
Chiamo re, mi uien lunetta
Per ben farmi desperar.
Maladetto sia il giocar.
Si a tarocho ho gia giocato
Mai mi uien el bagatella,
mai el mondo, mãco el matto
Ne giustitia meschinella,
Langiol mai con sua fauella
Non mi uien a uisitar.
Maladetto sia il giocar.
Vna volta in una sala
Io giocaua alla baletta
Per mia sorte e hora mala
Persi tutta mia moneta
Mi spalai la spalla dritta
Per la balla ribecar.
Maladetto sia il giocar.
Se a ronfa ho gia giocato
Rare uolte mi uien asso
E si a trapola ho gia fato
Le lunette me hanno casso
Rouinato son al basso
Non mi gioua lamentar,
Maladetto sia il giocar.
Se per sorte un carlino
100
45
50
55
60
65
70
The Playing-Card Volume 37, Number 2
Per disgratia ho guadagnato
Ho poi perso un fiorino
Quãto in borsa me o trouato
Tal ch’io sono disperato
Quando al gioco i uo pensar,
Maladetto sia il giocar.
Ho giocato a trionfeti
dico a quelli della uentura
doue gioca frati e preti
Senza hauer nissun paura,
Io meschin per mia sciagura
aliudeo me han fatto andar.
Maladetto sia il giocar.
I ho giocato al trenta uno
A primiera non te dico,
Cosi ne fusse io degiuno
Che romasto son mendico
Non me trouo piu un crico
per uolermi sostentar,
Maladetto sia il giocar.
S’io t’hauesse qui narrato
Tutti i giochi in sto confino
Seria troppo el mio trattato
perche fin da piccolino
Cominciai ahime meschino
Molti giochi a imparar
Maladetto sia il giocar.
Questa e pur una gran cossa
De sto gioco maladetto
Che nissun laudar si possa
Credo el Diauol in effetto
Tal dinari in un sachetto
All’inferno habbi a portar,
Maladetto sia il giocar.
A crichetta ho gia giocato
Crica grande e la mezana
Ogni gioco i haggio fatto,
E a sequentia* soprana
Tal ch’io li lasciai la lana
per sto gioco seguitar
Maladetto sia il giocar.
I mi son poi ricordato
Che alli scachi molte uolte
75
80
85
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110
115
101
In mia uita ho gia giocato
Bon e fu mai me ricolte
Scacomatto molte uolte
Me tocca per mal guidar.
Maladetto sia il giocar.
Ho giocato a tauoliero
Tocca dillo e Sbaraglino,
Altro gioco assai piu fiero
Eccellente auditor fino
Si uo terno el uien diuino
Mai non posso guadagnar
120
125
New issues (continued)
Slovenski tarok
I recently found a Piatnik
54-card “Slovenski tarok”
on sale for 18.30 Euro in the
tourist office at Ribčev Laz
in Slovenia.The pack came
with a booklet including, in
both English and Slovene,
notes about the designs and
the rules of play.
The court cards and Škis are
identical at their two ends
but the remaining trumps
have different pictures at
their two ends. The figures
are from both Slovene
history and Slovene folklore.
The XXI, for example, shows
on one end a Duke of Carinthia being installed on the Prince’s Stone. The stone
itself is shown on the 2 eurocent coin. Ancient dukes ruled both sides of the
modern Austrian border, and the stone survives in Klagenfurt.
This pack seems to differ only in size from a pack I bought in Ljubljana in 1997.
That was of Kaffeehaus tarock size, this the normal size for a 54-card Austrian
tarock (reviewed in The Playing-Card Vol. XXVI No. 3, p. 104). But despite the
pack’s size and the inclusion of the rules, the shop assistant told me that, although
the game was spreading in popularity among young people, and she herself
played, they did not use expensive souvenir packs for play.
(Reviewed by Anthony Smith)
(New Issues continued on page 124)
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