Notes sur diverses traductions de quelques vers de

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N O TES SUR D IV ERSES TRA D UCTIO N S
D E Q U EL Q U ES V ER S D E D EC H EP A R E
Dechepare a été traduit à quelques vers près en français par
Archu 1, par Dodgson 2 (traduction inachevée), par Van Eys
(quelques vers seulement) 3 et enfin par Stempf en allemand 4 .
Quelques passages de cette dernière version ont donné lieu à
des critiques pénétrantes de M. Hugo Schuchardt dans cette
Revue (V, 445-450). Depuis l’apparition de cet article, nous
avons retrouvé un exemplaire de la traduction de Stempf corrigé à la main par l’auteur lui-même. Ces corrections, fort nombreuses, consistent pour la plupart dans la transposition des
verbes actifs en passifs — (on sait que Stempf était partisan de la
« théorie passive » — et donnent ainsi une plus grande littéralité à la traduction; mais par endroits la rédaction en général est
améliorée, et même quelques contresens ont été corrigés. Dans
certains cas, nous avons cru remarquer que c’est en partie la lecture de la version française de Dodgson qui a suggéré ces
rectifications. Et ce qui nous confirme dans cette idée, c’est que
nous tenons de la main même de Stempf une copie manuscrite
de cette version. — Quoi qu’il en soit, notre but n’est pas de
reprendre vers par vers toutes les poésies de Dechepare et
d’examiner les deux interprétations que Stempf a données de la
plupart d’entre eux, car cela donnerait lieu à un long article
hors de proportion avec l’importance du sujet traité. Nous désirerions simplement reprendre quelques passages sur lesquels
M. Schuchardt a fait des remarques et nous dirons quelques
1. Dans les Actes de l’Académie royale des Sciences, Belles-lettres et Arts de Bordeaux,
(9 e année, premier trimestre 1847, pages 81-158) avec tirage à part.
2. Dans les Etudes historiques et religieuses due diocèse de Bayonne, 1 re année (1892,
p. 367-370; 2e année (1893), p. 97-100, 321-326, 3 année (1894), p. 142-145 et 674-678 et
4 e année (1895), p. 300-304 et 476-480.
3. Dans l’Euskara de Berlin, p. 27-28, 44-45 (1888-1889); cette traduction est accompagnée de commentaires.
4. Rev. de ling. (1887-1889).
G. Lacombe. —
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mots, à l’occasion, de la façon dont Archu, van Eys et Dodgson les ont compris.
5, 12. Iangoycoac beharluque guc veçanbat valia.
St. avait traduit : « Der Höchste hätte anzusprechen, dass
wir ein Gleiches leisten. » M. Sch. corrige avec raison :
« Gott müsste ebensoviel gelten wie wir »; St. (ms.) a : « Vom
Höchsten würde es nöthig gehabt, dass wir ein Gleiches leisten. » C’est meilleur que la première leçon, mais I a n g o y c o a c
correspond mieux à « Gott » qu’au superlatif « der Höchste »
et « das wir ein Gleiches leisten » ne traduit pas guc veçanbat
valia. Archu a : « Le Seigneur d’en haut doit être aussi exigeant. » Mais behar luque signifie « devrait », guc n’est pas
traduit et « être exigeant » n’est pas tout à fait l’équivalent de
valia. M. Van Eys (Eusk., p. 27) propose de remplacer l u q u e
guc par leikegu, mais nous ne croyons pas son augmentation.
convaincante : cette nouvelle leçon le fait traduire : « Dieu
devrait avoir autant de prix pour nous ». Enfin M. Dodgson a : « Dieu exigerait que nous méritions autant », ce qui est,
croyons-nous, un contresens. La difficulté qu’il y a à bien saisir le sens de ce vers gît tout entière dans les nombreuses significations du verbe valia.
8, 2. Othoy iauna enguztaçu lagun çure Saynduyac.
Ici St. s’est borné à rendre sa phrase passive : « Herr, von
Euch seien uns Euere Heiligen in Gnaden zu Hilfe gegeben. »
Dans son ms. ne, se trouve pas la correction de « uns » en
« mir », mais cela n’a pas grande importance. Pour le commentaire de enguztaçu, je me borne à renvoyer à l’article de
M. Sch. (p. 445). Archu, après avoir cavalièrement remplacé
enguztaçu par le très barbare *emanztaçu, a « De grâce, Seigneur! donnez-moi vos saints pour protecteurs. » Il a beau jeu
à traduire emanztaçu par « donnez-moi ». Dodgson a : « Je prie,
Seigneur, donnez-nous vos saints en aide. » Le -çu de e n g u z taçu a dû faire traduire ici à tort donnez-nous. Et si l’on tenait
à employer le verbe prier pour rendre othoi, il valait mieux
mettre « Je (vous en) prie ».
25, 1. Amorebat nahi nuque liadutanic eguia.
St. a substitué à l’active une tournure passive : « . . . . .die
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von mir gehabt wird » et a préféré « haben » à « erstreben ». Il
paraît avoir entrevu que liadutan est une flexion du verbe iduki,
ainsi que M. Schuchardt l’a établi. La leçon d’Archu « Franchement je voudrais me consacrer à un amour » est hautement fantaisiste.
26, 21. Elas amoros gaixoa hire enganatuya.
Ici St. a conservé sa rédaction primitive. M. Sch. propose de
lire hi ere, et en effet l’on trouve bien souvent en poésie re pour
ere et la forme abrégée s’emploie fréquemment aussi dans le
langage courant. Dechepare a dû naturellement se servir de
re p o u r q u e s o n vers eùt les quinze pieds réglementaires.
Archu met astucieusement gaiztoa « méchant » à la place de
gaixoa « pauvre » et traduit pourtant avec assez d’exactitude:
« Hélas, pauvre amoureux, quelle est ton erreur! » Il se pourrait, il est vrai que gaiztoa fût le fait de Gustave Brunet, mais
c’est bien peu probable.
37, 21. Nic eztaquit cerden vana estamendu verridu.
St. (imp.) : « Ich Weiss [es] nicht, was es ist, aber den Liebeskummer hat es erneut »; ms. : « Von mir ist es nicht gewusst,
was es ist, aber der Liebeskummer er ist erneut worden ».
M. Sch. montre que estamendu ne signifie pas « Liebeskummer », et puis « verri » ne saurait correspondre à « erneut »,
c’est « neu » qui est son équivalent. « Erneut » rendrait verritu.
(Il serait intéressant de se demander à ce sujet si dans les vers
Españan da gizon bat
Bear deguna maita
du poète guipuzcoan, maita pour maitatu n’est pas une forme
tout à fait exceptionnelle.) — Archu a : « Elle m’a été ravie je ne
sais comment », ce qui n’a qu’un très lointain rapport avec le
texte basque.
41, 14. Eguiara vaciniaqui vrricarinanguidiçu.
St. s’est borné à mettre sous une forme passive les deus
phrases de sa traduction. Archu : « Si vous les connaissiez, vous
auriez pitié de moi. » (!) M. Sch. suppose que dans e g u i a r a
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le r est destiné, comme en salazarais, à éviter l’hiatus. L’explication est plausible, mais ne pourrait-on pas aussi bien conjecturer que eguiara est un erratum pour eguiare (eguia ere)?
42, 17. Gendec yrrigarri guerta ezquiten.
Pas de modification au texte imprimé dans le manuscrit de
Stempf. On ne s’explique pas très bien la traduction de Stempf:
« Dass wir von den lachlustig(en) Leuten nicht bemerkt werd e n » , car où dans le vers basque l’idée correspondante à
« bemerkt » est-elle exprimée? Archu dit : « Ne faisons pas
rire à nos dépens », traduction excellente.
44, 1. Horlaceco erançutez vci naçaçu.
St. imp.: « Wit solchen Zurechtweisungen verschonet mich. »
St. ms.: « Mit solchen Zurechtweisungen möge ich von Euch
verschont werden. » Phrase passivée. Archu traduit inexactement erançute par « souvenir ».
46, 17. Çuhaur nahi bacirade ni fegretu nuqueçu.
St. a simplement remplacé « ich würde verschwiegen sein »
par « . . . ich würde von Euch verschwiegen gehabt sein, »
Archu : « Si vous voulez être discrète, je le serai aussi. » Le
vers pourrait isolément signifier cela, mais l’examen du contexte fait préférer la version de M. Sch. (p. 448).
47, 13. Iauna guerthuz hic daducat porfidia handia.
St. a corrigé à tort, ainsi que le montre M. Sch., porfidia e n
perfidia. Il paraît ici avoir suivi Brunet-Archu. Dans son ms. il
a mué sa phrase active en une passive. Archu a : « Mon bon
Monsieur, tu veux, je le vois, user de ruse. » Ici « mon bon »
est de trop. et, au surplus, le reste n’est. qu’une paraphrase
inexacte.
47, 21. Egundano yçan daya ni baydichatacoric.
Dans son ms., St. traduit e g u n d a n o par « bis heute » alors
que l’imprimé porte jemals. « Bis heute » est certainement plus
littéral. Avec sa désinvolture habituelle, Archu a remplacé b a y -
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dichatacoric par l’inexistant *baydienetacoric et traduit excellemment : « Y a-t-il jamais eu un malheureux tel que moi? »
48, 8. Bategatic farri niro diren oroz arnega..
Archu : « Une seule donc me force à renoncer à toutes. »
Arnega niro ne saurait signifier « je suis forcé à renoncer »,
mias « je pourrais renoncer, ou « je renoncerais. »
48, 17. Gaycez lagola, ençun nuyen bana nicez oguenic.
Archu avait déjà corrigé nic ez, leçon à laquelle ne s’est pas,
à tort, rallié Stempf. M. Sch. montre qu’il faut bien nic ez. A s .
traduit : « On m’avait bien dit qu’il ne m’aimait pas, mais à
qui la faute? » II n’y a pas là de contresens à proprement parler, bien que le texte ne soit pas serré de près.
51, 16. Quiry fayluyari, etc.
Archu, ne comprenant pas quiry, l’a bravement traduit par
« papillon ». Stempf a reproduit cette traduction. Mais M. Sch.
a établi qu’il s’agit de quirifaylu « lampe », ici « mèche. »
51, 52. Eztaçala gayzeriztez damna heure buruya.
Au lieu de eztaçala on dit aujourd’hui etzakala d’une façon
courante. Archu : « Fais taire ta haine, de peur de te damner. »
Traduction excellente. Peut-être les traductions de Stempf et de
M. Schuchardt « Möge er. . . » et « Mögest du. . . » forcentelles un pelit peu le sens de la phrase basque: eztaçala donne à
l’adjectif verbal qu’il précède le sens d’un simple impératif.
52, 5. Eta hartan eztaquidic efcufaric valia.
Archu : « C’est là le sort qui t’est réservé. » Aucun rapport
avec le texte basque.
Si l’on lit de près l’ensemble des poésies de Dechepare, on
peut constater qu’elles sont plus aisément intelligibles à quelqu’un qui connaît grammaticalement le basque, qu’à un Basque
qui parle et même écrit sa langue sans l’avoir étudiée, car le
cizain a quelque peu évolué depuis le X V Ie siècle.
Georges LA C O M B E .
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