La légitimité et la méthodologie de la mesure de la

Anuncio
La légitimité et la méthodologie de la mesure de la diversité des
expressions culturelles
Françoise Benhamou
Professeur des Universités
1. INTRODUCTION
Amartya Sen, dans sa contribution au rapport du Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), intitulé « La liberté culturelle dans un monde diversifié », nous
incite à étudier les liens entre diversité et liberté ; il s’inquiète du « risque de l'enfermement
dans la prison d'une tradition » : « la valeur de la diversité culturelle repose sur la relation
1
positive qu’elle entretient, comme c’est souvent le cas, avec la liberté culturelle » (p.24).
Le rapport rappelle que plus de cent cinquante pays comptent des groupes minoritaires
représentant au moins 10% de la population, et que pour cent pays, ces minorités
2
comptent plus de 25% de la population. De même, comme le note Daniel Cohen , plaider
en faveur de la diversité culturelle au seul motif qu'elle est l'héritage des différents groupes
d'individus ne suffit pas à en établir la légitimité ; l’économiste se réfère à une étude de
William Easterly et Ross Levine, qui avancent qu’une part significative de la pauvreté
africaine résulte de la diversité des Etats du continent, dont l’extrême fragmentation ethnique
a contribué à la faiblesse du niveau d'éducation ainsi que du niveau des infrastructures.
3
Ajoutons que les éventuelles dérives liées à la promotion des cultures locales,
transformations des cultures en autant de folklores aussi séduisants qu’exotiques,
muséification de certains lieux de culture, replis identitaires, sont un danger récurrent, et
que la diversité revêt sur ce point une ambiguïté originelle : la diversité est tout à la fois le
fondement de la protection et de la promotion des produits locaux, et elle doit être conçue
comme la possibilité de l’accès à la plus large variété de produits, incitant de ce fait à
l’ouverture et aux échanges.
C’est la conscience de cette complexité qui incite à bâtir des outils de connaissance et
d’évaluation de la diversité des expressions culturelles. En 2007 à Montréal, puis en 2008 à
Barcelone, l’UNESCO a tenu deux réunions d’experts sur la mesure de la diversité des
expressions culturelles. L’ensemble des experts s’est accordé immédiatement sur
l’importance de ces indicateurs, dès lors que des menaces pouvaient peser sur la
diversité : il importe en effet de connaître la dynamique de la diversité, ses déterminants,
l’ampleur de ces menaces, la réalité des phénomènes de réduction ou d’accroissement de la
diversité, mais aussi d’évaluer les effets des politiques destinées à contrer ou à accentuer
ces tendances.
1
Sen A. La liberté culturelle et le développement humain, in Fukuda-Parr S., La liberté culturelle
dans un monde diversifié, Rapport mondial sur le développement humain, Paris : Economica, 2004,
p.24.
2
Cohen D. « Les chemins escarpés du multiculturalisme », Le Monde, septembre 2004.
3
Easterly W. et Levin R., « Africa's Growth Tragedy: Policies and Ethnic Division », Quarterly
Journal of Economics, novembre 1997.
1
Plusieurs projets d’analyses empiriques de la diversité ont émergé des discussions :
-
Analyse dynamique et comparée de la diversité dans le secteur cinématographique
à partir de la base de données UIS de l’UNESCO
-
Analyse de la diversité dans le secteur télévisuel, sur la base d’une comparaison
entre secteur public et secteur privé de télévision, au Royaume-Uni et en France
-
Analyse des marchés culturels locaux, implications en matière de politiques de
soutien à la diversité (approche bottom-up de construction d’indicateurs
sur la base des besoins effectivement constatés)
-
Etude des aspects sociaux de la diversité
-
Etudes qualitatives, notamment sur le spectacle vivant.
L’accent fut mis sur les présentations des données existantes. L’esquisse d’une
matrice qui pourrait servir de cadre commun à la mesure de la diversité fut élaborée
et discutée.
Ce rapport s’inscrit dans la continuité du travail de ce groupe d’experts et des
premières analyses menées par divers chercheurs. Il propose un cadre général
de réflexion sur la nécessité de l’élaboration d’indicateurs pertinents de mesure de
la diversité des expressions culturelles (2ème partie), ainsi que sur la forme qu’ils
pourraient revêtir ; il discute de l’usage possible et souhaitable de tels indicateurs
(3ème partie). Ce rapport se propose enfin de montrer, à partir de quelques
exemples, les applications possibles d’un cadre commun de mesure de la diversité
des expressions culturelles (4ème partie). En conclusion, il évoque quelques
recommandations.
2. LA NECESSITE D’ELABORER DES INDICATEURS
2.1.
La diversité, un concept en devenir qui requiert des outils d’évaluation
La Convention sur la diversité des expressions culturelles revêt un aspect normatif
(définir des normes permettant d’identifier le concept de diversité et ses contours) et
un aspect positif (repérer les éventuelles atteintes à la diversité, identifier et
proposer un catalogue de bonnes pratiques). Elle doit être lue comme un cadre, mais
aussi comme un processus appelé à s’enrichir. En effet, son champ d’application et
ses objectifs, de même que le nombre des pays qui l’ont rejointe, n’ont cessé de
s’étendre.
Dès lors que l’on se réfère à l’idée de processus, il convient d’adopter une
interprétation large des enjeux couverts par la Convention. La diversité des
expressions culturelles renvoie à la production de biens culturels matériels et
immatériels, parmi lesquels les langues tiennent une place centrale. On verra plus loin
que les études de la diversité des expressions culturelles prennent fréquemment en
compte la variété des langues.
2
La diversité des expressions culturelles a trait à des traditions et à des savoir-faire,
ainsi qu’à des modes d’expression musicaux, littéraires, cinématographiques, etc. Elle
est aussi celle des hommes et des femmes, celle des publics, des auteurs et de
tous les acteurs de la vie culturelle. Le terme désigne encore la variété des
opinions, des origines, des genres, des races et des religions. Il renvoie aux produits,
aux services, aux titres, aux formes artistiques.
Pour appréhender correctement la diversité des expressions culturelles, il faut
prendre aussi en considération la variété des structures marchandes et non
marchandes productrices de biens et de services culturels, et celle des forces du
marché en jeu dans les industries culturelles.
La diversité est enfin un concept en tension, puisqu’elle implique tout à la fois la
protection des cultures et l’échange entre cultures, à condition que cet échange ne
mène pas à la destruction des expressions culturelles les plus fragiles. D’un côté, le
soutien à diversité des expressions culturelles sous la forme de protections ne doit
pas mener à des formes d’enfermement dans la tradition, et d’un autre côté
l’ouverture aux échanges culturels ne saurait se conjuguer avec la perte d’une part de
l’identité culturelle. Pour paraphraser un titre d’un roman de l’écrivain français André
Gide, ‘la porte est étroite’ entre les aspirations de plus en plus fortes à la
reconnaissance des identités locales, régionales ou nationales, et le désir d’accès
à des biens uniformisés, vécus comme signaux de développement ou de modernité.
Dans ces conditions, il faut concevoir la diversité comme un objectif qui se conquiert
et se protège.
Evoquer l’idée de protection conduit à la question de la politique culturelle. En effet, si
la diversité n’est pas une donnée, elle n’est pas non plus le résultat d’un simple
processus mécanique. Le processus de « destruction créatrice » induit par la
globalisation doit être accompagné, chaque fois que nécessaire, par des mesures ad
hoc, soit pour en inverser le cours, soit plus modestement pour le freiner ou en
compenser certains effets.
Il est légitime de réfléchir à la mise en œuvre de mesures destinées à protéger les
expressions culturelles les plus menacées. Il est de même légitime d’accompagner la
production et la diffusion des biens culturels. Mais dès lors qu’il y a intervention
publique, s’impose une évaluation de la pertinence des moyens dégagés et de
l’efficacité des mesures adoptées. Cette évaluation requiert la mise en place
d’indicateurs susceptibles de fournir un socle objectivable à des interprétations parfois
disparates et inégalement fondées.
Plusieurs lectures possibles peuvent donc être faites de la Convention. Elles ne se
concurrencent pas mais se complètent. Elles ont en commun de déboucher sur une
réflexion et des préconisations de politique culturelle. La diversité inclut non
seulement un programme de politique culturelle mais encore des mesures
économiques, centrées sur la protection et le soutien à la production. Elle vise à
mettre les interventions publiques à l’abri des éventuelles accusations de concurrence
déloyale. Elle appelle de ce fait l’élaboration d’un programme de recherche et de
construction d’indicateurs qui mettent à jour des critères d’évaluation des politiques
culturelles en regard de leurs objectifs.
3
2.2.
Quels fondements pour des indicateurs de diversité ?
Le bien-fondé de la production d’indicateurs est énoncé dans les articles 9 et 14 de la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles. L’article 9 intitulé Partage de l’information et transparence fait
état de plusieurs engagements :
-
Les parties fournissent tous les quatre ans, dans leurs rapports à
l’UNESCO, l’information appropriée sur les mesures prises en vue de
protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur
territoire et au niveau international ;
-
elles désignent un point de contact chargé du partage de l’information relative à
la Convention ;
-
elles partagent et échangent l’information relative à la protection et à la
promotion de la diversité des expressions culturelles.
L’article 14 revient sur la question de l’information en mettant l’accent sur la
coopération pour le développement durable et la réduction de la pauvreté,
particulièrement pour ce qui est des besoins spécifiques des pays en développement,
en vue de favoriser l’émergence d’un secteur culturel dynamique. Parmi les
moyens évoqués4, on note « le renforcement des capacités par l’échange
d’information, d’expérience et d’expertise ».
Mesurer la diversité apparait comme un objectif clairement établi. Mais c’est aussi une
gageure. En effet, certaines des dimensions de la diversité des expressions
culturelles se prêtent aisément à une analyse quantitative [cf. infra] ; mais d’autres
résistent à la mesure ; elles ne peuvent être que décrites et étudiées qu’en termes
qualitatifs. D’autres enfin peuvent être approchées par des indicateurs qui demeurent
partiels.
La question – certes récurrente – de l’élaboration et de l’usage d’indicateurs
statistiques pertinents, qui ne prennent pas seulement en compte la croissance du
PIB mais aussi le bien- être social, a été posée notamment à l’occasion de la mise en
place d’une Commission, présidée par Joseph Stiglitz et Armatya Sen en France.
4
On note aussi le renforcement des industries culturelles des pays en développement (en créant et
en renforçant les capacités de production et de distribution culturelles dans les pays en
développement, en facilitant l’accès de leurs activités, biens et services culturels au marché mondial
et aux circuits de distribution internationaux, en permettant l’émergence de marchés locaux et
régionaux viables, en adoptant, chaque fois que possible, des mesures appropriées dans les pays
développés en vue de faciliter l’accès à leur territoire des activités, biens et services culturels des
pays en développement, en soutenant le travail créatif et en facilitant la mobilité des artistes, en
encourageant une collaboration avec les pays développés, notamment dans les domaines de la
musique et du film ); le transfert de technologies et de savoir-faire par la mise en place de mesures
incitatives, le soutien financier (via l’établissement d’un Fonds international pour la diversité culturelle,
l’octroi d’une aide publique au développement, y compris une assistance technique destinée à stimuler
et soutenir la créativité).
4
On lit dans le rapport final5 que les indicateurs statistiques sont importants afin de
concevoir et d’évaluer les politiques visant à assurer le progrès des sociétés, ainsi
que pour évaluer le fonctionnement des marchés et influer sur celui-ci. L’accès
aux données statistiques, en devenant de plus en plus aisé, aide à la prise de
décisions. Il convient toutefois de construire des indicateurs fiables, pertinents, assez
simples de sorte que leur interprétation puisse conduire à la sélection de
bonnes pratiques et de bonnes mesures de politique économique. Comme le notent
les auteurs du rapport, « si nos mesures des performances sont faussées, il peut
en aller de même des conclusions de politique économique que nous en tirons ».
En d’autres termes, il n’est pas inutile de définir les objectifs avec précision afin de
disposer des bons outils pour faire un état des lieux satisfaisant et mesurer les
évolutions.
Cette réflexion sur la qualité et les usages des indicateurs fut l’objet de même, de
façon plus modeste, des débats entre experts lors des rencontres de Montréal et de
Barcelone. Ces débats avaient conduit à préconiser des indices proches de celui de
Stirling [cf. infra], lui-même inspiré des recherches menées dans le champ de la
biodiversité.
2.3.
Les parentés avec la biodiversité et leurs limites
Dès le départ, le concept de diversité culturelle est utilisé dans un sens lié à celui de
la biodiversité, avec la mise en avant de la nécessité de préserver la diversité des
« écosystèmes culturels » ; les textes qui se rapportent à la Convention précisent
que la diversité culturelle est une condition essentielle pour un développement
durable. Le parallèle est fort entre la perception de la diversité des expressions
culturelles comme source et résultat des échanges, comme élément moteur pour
l’innovation et la créativité, mais aussi comme un mode de préservation contre la
menace de standardisation des biens et d’appauvrissement des cultures.
La diversité des expressions culturelles est aussi nécessaire à l’homme que l’est la
biodiversité dans l’ordre du vivant. Il n’est pas rare en effet de voir évoquée la
biodiversité, de même que la diversité des expressions culturelles, comme un
élément du patrimoine commun de l’humanité, comme un bien public global dont la
préservation engage l’avenir des générations présentes et des générations futures6.
Cette analogie avec la biodiversité conduit à mettre en avant un certain nombre d’hypothèses.
Si l’on transpose à la culture les définitions proposées par exemple lors de la conférence
Biodiversité : science et gouvernance (Paris, 28 Janvier 2005), on conçoit la diversité
comme :
5
Sen A., Stiglitz J., et al., Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du
progrès social, Paris, 2009
6
Notons qu’on retrouve cette parenté entre diversité culturelle et biodiversité dans les textes
européens. Catherine Lalumière, Députée française au Parlement européen, écrit : « on parle
d'ailleurs de plus en plus souvent non pas d'exception culturelle (l'expression est trop négative et
restrictive), mais de diversité culturelle, l'objectif étant d'éviter l'uniformisation du monde en préservant
la diversité des cultures comme on le fait en défendant la biodiversité pour conserver la diversité
des espèces. » Source : « La bataille de la diversité culturelle », Label France, 38, Janvier 2000.
5
-
une ressource vitale pour l’humanité, mal évaluée,
-
une ressource menacée de destruction,
-
une ressource exigeant en conséquence des actions urgentes et significatives
pour la conserver, l’utiliser de façon durable et en partager équitablement les
profits.
Les risques d’érosion de la diversité culturelle impliquent des mesures conservatoires,
dont la teneur passe par une définition précise de ce qu’il convient de protéger, et par
des indicateurs pour l’élaboration desquels l’analogie avec la biodiversité apporte un
éclairage pertinent. Si on se réfère au cadre que les chercheurs ont construit afin
d’évaluer les évolutions de la biodiversité et d’apprécier les dangers qui menacent
la survie de certaines espèces7, on constate que dans le domaine de l’agriculture
par exemple, l’analyse renvoie au dilemme entre concentration sur un petit nombre
de variétés avec des rendements élevés et préservation de la variété la plus large8. Il
est aisé de transposer cette observation au champ des biens culturels. La tension entre
star system et distribution de la consommation sur un nombre élevé de titres est une
caractéristique récurrente des consommations culturelles. Le risque est fort de
standardisation des biens et de généralisation d’une qualité moyenne sensée
répondre aux goûts du plus grand nombre d’individus.
La préservation de la biodiversité comprend la diversité au sein des espèces et entre
espèces, ainsi que celle des écosystèmes ; là aussi, la parenté est grande : la
diversité des expressions culturelles appelle des logiques de préservation de ces
expressions, de cohabitation entre différentes formes culturelles, et de préservation des
équilibres et des complémentarités entre ces formes. Il s’agit par exemple de garantir la
liberté de créer, de préserver la variété des formes artistiques et des expressions
culturelles, et de soutenir l’existence d’écosystèmes culturels viables, ouverts à la
globalisation mais respectueux de la solidité de structures indépendantes de production
et de distribution des biens culturels.
Mais comme pour la biodiversité, notre connaissance de la diversité des expressions
culturelles demeure fragmentaire, surtout lorsque l’on souhaite en saisir l’évolution.
Pour progresser dans la réflexion sur la diversité, il est utile d’observer que sa
conceptualisation déborde les cadres de la biodiversité et de la culture. Andie Stirling9
remarque que le terme « diversité » apparaît fréquemment dans le champ de la
physique, des sciences de l’information, de la sociologie, de l’économie et de la
politique.. Les problématiques de la diversité jouent de même un rôle majeur dans le domaine
10
des sciences et technologies
7
Cf. Odum, E., 1953, Philadelphia, PASaunders.
Cf. Weitzman (On diversity, Quarterly Journal of Economics, 107: 363-406, 1992, What to preserve?
An application of diversity to crane conservation, Quarterly Journal of Economics, 102: 157-183,
1993, et The Noah’s Ark Problem, Econometrica, 66(6): 1279-1298, 1998.
9
Stirling A., 2007, A general framework for analysing diversity in science, technology and society, J. R.
Soc. Interface (2007) 4, 707–719.
10
Cf. Shevchenko et al., 2006, Structural diversity in binary nanoparticle superlattices, Nature 439, pp.
55–59, Kauffman, S., 1993, The origins of order: self organization and selection in evolution, New York,
NY: Oxford University Press, Grabher, G. et Stark, D., 1997, Organizing diversity: evolutionary theory,
network analysis and postsocialism, Reg. Stud. 31, 533–544, Gillett, S. 2003, In praise of policy diversity,
Oxford, UK: Oxford Internet Institute, Nowotny, et al., 2001, Re-thinking science: knowledge and the public
in an age of uncertainty, London, UK: Polity Press.
8
6
Quelques références académiques sur la diversité des produits culturels
Un grand nombre de travaux portent sur la diversité des produits dans les industries culturelles.
Une première approche essentiellement théorique, s’inscrivant dans la lignée des modèles de
concurrence spatiale (Hotelling, 1929), analyse les incidences du mode de financement de l'industrie
sur la diversité des produits (voir notamment Gabszewicz et al. [2002] pour la presse,
Waterman [1990] et Gabszewicz et al. [2004] pour la télévision) 11. Ces modèles montrent qu’un
financement publicitaire est néfaste à la diversité dans les marchés à deux faces (two sidedmarkets), qui s’adressent à des consommateurs de programmes et à des annonceurs publicitaires,
comme dans les cas de la presse, de la télévision, et même d’internet. Dans ces travaux, le profil
d’une chaîne de télévision est défini par la proportion des programmes de flux (sports, variétés…)
en regard d’autres programmes plus culturels (musique classique, pièces de théâtre, etc.). Le
positionnement d’un journal est appréhendé par la diversité des opinions politiques exprimées12.
Les effets de la concentration du marché sur la diversité des produits ont fait l’objet de
nombreux travaux, initiés dans la télévision par Steiner (1952) et étendus notamment par
Rothenberg (1962) et Beebe (1977). Les études empiriques conduisent à des résultats contrastés.
Certains travaux (Peterson et Berger, 1975, Rothenbuhler et Dimmick, 1982, pour l'industrie de la
musique, Rogers et Woodbury, 1996, pour la programmation radiophonique, Iosifidis, 1999, pour
la presse, Grant, 1994, pour la programmation télévisuelle13) démontrent que le lien entre
diversité et concentration est négatif. Les imprécisions liées au concept de diversité et les
choix méthodologiques ont conduit d’autres recherches à des conclusions plus nuancées. C’est
le cas de Burnett (1992) et Lopes (1992) pour l'industrie du disque, Lacy (1989) pour la presse, ou
encore de Lin (1995), Van der Wurff (2004), Van der Wurff et Van Cuilenburg (2001) et Li et Chiang
(2001) pour la programmation télévisuelle14.
11
Hotelling H., 1929, Stability in Competition, Economic Journal , 39: 41 –57, Gabszewicz J., D.
Laussel and N. Sonnac, 2002, Press Advertising and the Political Differentiation of Newspapers, Journal
of Public Economic Theory, 4(3): 317-334, Gabszewicz J., D. Laussel and N. Sonnac, 2004,
Programming and Advertising Competition in the Broadcasting Industry, Journal of Economics &
Management Strategy, 13 (4): 657-669.
12
A cette dimension horizontale de la différenciation des produits, certains modèles ajoutent une
dimension verticale : la qualité des programmes télévisés s’accroîtrait avec les montants investis dans la
production.
13
Steiner P.O., 1952, Program Patterns and Preferences, and the Workability of Competition
in Radio Broadcasting, Quarterly Journal of Economics, 66: 194-223; Rothenberg J., 1962, Consumer
Sovereignty and the Economics of Television Programming, Studies in Public Communication 4:
45-54; Beebe J.H., 1977, Institutional Structure and Program Choice in Television Markets, Quarterly
Journal of Economics, 91: 15-37; Rothenbuhler E.W. and Dimmick J., 1982, Popular Music:
Concentration and Diversity in the industry, 1974-1980, Journal of Communication, 32(1): 143-149;
Rogers R.P. and J.R. Woodbury, 1996, Market Structure, Program Diversity, and Radio Audience Size,
Contemporary Economic Policy, 14: 81- 91; Iosifidis P., 1999, Diversity versus Concentration in the
Deregulated Mass Media Domain, Journalism and Mass Communication Quarterly, 76: 152-162; Grant
A.E., 1994, The Promise Fulfilled? An Empirical Analysis of Program Diversity on television, Journal of
Media Economics, 7(1): 51-64.
14
Burnett R., 1992, The Implications of Ownership Changes on Concentration and Diversity in the
Phonogram Industry, Communication Research, 19: 749-769; Lacy S., 1989, A Model of Demand for
News : Impact of Competition on Newspaper Content, Journalism Quarterly, 66: 40-48; Lin C.A., 1995,
Diversity of Network Prime-Time Program Formats during the 1980s, Journal of Media Economics, 8(4):
17-28; Li S.C. and C.C. Chiang, 2001, Market Competition and Programming Diversity: a Study on the TV
market in Taiwan, Journal of Media Economics, 14: 105-120; Lopes P.D., 1992, Innovation and Diversity
in the Popular Music Industry, 1969 to 1990, American Sociological Review, 57(1): 56-71; Van der Wurff
R. and J. Van Cuilenburg, 2001, Impact of Moderate and Ruinous Competition on Diversity: the Dutch
Television Market, Journal of Media Economics, 14: 213-229.; Van der Wurff R., 2004, Supplying and
Viewing Diversity: The Role of Competition and Viewer Choice in Dutch Broadcasting, European Journal
of Communication, 19: 215- 237. Pour plus de details, cf. Benhamou F., Peltier S., “How Should
Cultural Diversity be Measured? An Application using the French Publishing Industry”, Journal of
Cultural Economics, avril 2007: 85-107.
7
3. LES CARACTERISTIQUES ET LA CONSTRUCTION DES INDICATEURS
3.1.
Un concept pluridimensionnel
S’inspirant des définitions qui prévalent en biodiversité et en particulier du modèle
proposé par Martin Weitzman de mesure de la diversité environnementale optimale15,
Stirling propose un indicateur synthétique.
Trois dimensions sont prises en compte : la variété, au sens du nombre des «
espèces » (c'est- à-dire, par exemple, des titres produits), l’équilibre, au sens de la
présence en nombre sensiblement proche de chaque type d’espèce (ou de chaque
genre d’expression culturelle), et la disparité, au sens de la différenciation des
contenus. L’indicateur de Stirling combine ces trois dimensions.
La variété
La diversité peut être approchée très simplement par le nombre des titres parus ou
produits, quelle que soit la quantité d’innovation qu’ils incorporent. Tout changement
mineur est alors interprété comme un changement de qualité. Deux émissions
d’apprentis-vedettes (StarAcademy et PopStars) vaudraient ainsi mieux qu’une. Deux
livres de cuisine sur la soupe apporteraient plus de diversité qu’un seul. Toute
publication additionnelle remplirait une fonction d’accroissement de la diversité
culturelle. Prétendre le contraire serait entrer dans un système d’évaluation qui ne
saurait constituer un fondement pour une politique culturelle raisonnée.
L’accroissement du nombre des titres nouveaux est d’ailleurs, en règle générale,
présenté comme positif, et cette conception a le mérite de la clarté.
La disparité
La diversité ne peut se résumer au nombre des titres produits et distribués. Elle ne
peut être appréhendée à travers de simples indicateurs comptabilisant un nombre
d’unités (nombre de titres, de films, de disques nouveaux), sans regard sur la part de
nouveauté que ces biens incorporent. Se contenter de la diversité au sens de la
variété, serait en effet faire l’économie de la question essentielle de la
standardisation ou au contraire de l’étendue des formes artistiques. Nous
désignerons la question du degré de standardisation des biens par le terme de
disparité, empruntant une fois encore notre vocabulaire au champ de la
biodiversité : plus grande est la disparité entre les produits, plus la diversité des
expressions culturelles est représentée sur le marché.
L’équilibre
Pourquoi se référer à l’équilibre en matière de culture ? L’hypothèse est la
suivante : les produits rares sont toujours menacés de disparition. La notion est
toutefois à manier avec prudence.
Supposons que 5 catégories de biens soient produites. Dans la situation (S1), la
proportion de chacun de ces biens au sein de la production totale est grosso
modo équilibrée.
15
Weitzman M.L., 1992, “On diversity”, Quarterly Journal of Economics, 107, pp. 363-406.
8
Dans la situation (S2), elle est nettement plus déséquilibrée. En soi, il n’y a pas de
raison de penser que la situation (S1) supérieure, du point de vue du bien-être
collectif, à la situation (S2).
Pays A ou situation (S1)
Pays B ou situation (S2)
5%
25%
5%
15%
1
20%
20%
1
10%
40%
2
2
3
3
4
4
5
20%
5
40%
Pour donner un exemple concret, imaginons 5 genres de musiques : jazz (1), pop (2),
rock (3), classique (4), folklore (5). Les deux schémas peuvent correspondre, par
exemple dans deux pays différents, à la répartition des productions musicales
nationales entre ces cinq genres. Cette répartition peut résulter des traditions
musicales, des penchants des artistes, de l’hétérogénéité des goûts des amateurs de
musique. On peut néanmoins avancer, sans y adjoindre de jugement de valeur, que
la diversité des expressions culturelles est plus forte, toutes choses égales par
ailleurs, dans le pays A où chaque genre est bien représenté que dans le pays B, où
la production se concentre sur deux genres, les autres étant bien plus marginaux.
Si, au lieu de considérer qu’il s’agit de deux pays distincts, on considère que
ces deux schémas représentent deux situations distinctes pour un même pays,
l’interprétation de la notion d’équilibre change radicalement : le passage de la
situation S1 à la situation S2 traduit la marginalisation de certains genres qui
semblent menacés de disparition.
Cela s’explique simplement : le déséquilibre entre les genres conduit
mécaniquement à une moindre visibilité des biens correspondant aux genres les
moins produits : produits de niche, genres difficiles, créations qui s’adressent à des
minorités. Se pose la question des conditions nécessaires à l’accès des
consommateurs à ces biens : certains distributeurs peuvent choisir, pour des
raisons commerciales sans doute rationnelles, de ne pas distribuer ces biens, ou de
leur offrir des espaces peu accessibles (les présentoirs mal placés par exemple).
Le risque de marginalisation de ces biens est évident. Il peut se traduire par le
passage de la situation S2 à une situation S3 : entre S2 et S3, le genre « folklore » a
disparu.
9
0%
3%
7%
45%
1
2
3
Situation S3
45%
4
5
Une application de la méthode de Stirling au cas de l’édition
de livres
Dans le domaine du livre, il est possible d’analyser trois catégories, les titres, les genres (au
sens des partitions que l’on peut opérer entre les genres de livres), et la langue d’origine,
et d’étudier pour chacune la variété, l’équilibre, et la disparité.
- La variété correspond au nombre des titres ou des langues
traduites.
- L’introduction de l’équilibre suppose qu’une situation dans laquelle un genre de livres –le
roman historique, la littérature de gare- est surdimensionné en regard des autres est moins
souhaitable, du point de vue de la diversité, qu’une situation dans laquelle chaque genre
serait grosso modo également représenté.
- La notion de disparité traduit enfin la distance qui peut exister entre les titres ou les
genres : elle a trait au degré d’innovation des biens ; elle rebondit sur la question
essentielle de l’ouverture sur d’autres langues et d’autres cultures.
3. 2. Une double approche par l’offre culturelle et par la
demande
Le modèle de Stirling mérite d’être complété. La diversité ne doit pas être seulement
pensée comme relevant de la défense de la variété des offres culturelles ; elle
renvoie à la question de la réception, de la demande, de l’appropriation de l’offre
par ‘ses’ publics, et donc à la question de l’accès.
Les modèles économiques supposent une préférence du consommateur pour la
diversité. Le bien-être individuel et social s’accroît avec l’arrivée sur le marché de
produits ayant des spécifications diverses. Avinash Dixit et Joseph Stiglitz16 montrent
que le consommateur qui peut choisir entre deux paniers de biens confère une
utilité supérieure, toutes choses égales par ailleurs, à celui qui se compose du
plus grand nombre de biens. En d’autres termes, l’utilité ou le plaisir du
« consommateur » ne dérive pas seulement de la quantité ou de la qualité du bien
consommé, mais du nombre des biens disponibles.
16
Lancaster K. Variety, Equity and Efficiency, Oxford : Basil Blackwell, 1979., et Dixit A. et
Stiglitz J. « Monopolistic Competition and Optimum Product Diversity », American Economic Review,
67 (3), 1977, pp. 297-308.
10
Ce résultat est essentiel. En effet, il montre que même si les consommateurs se
concentrent sur un petit segment de l’offre, ils demeurent sensibles à la variété des
produits offerts.
Selon ce cadre d’analyse, la diversité renvoie tout à la fois à l’hétérogénéité des
consommateurs et à la variété de leurs goûts, ainsi qu’à la préférence individuelle
pour le nombre. Les deux ordres d’interprétations ne sont pas identiques, et ont des
incidences très distinctes :
-
Par les expressions ‘hétérogénéité des consommateurs’ et ‘variété de leurs
goûts’, on désigne l’importance des différences entre individus ou entre
groupes sociaux. Ces différences impliquent qu’une variété de produits soit
disponible ;
-
la préférence individuelle pour le nombre se comprend comme la préférence de
chacun pour une large gamme de produits, un large « menu de choix »,
pour reprendre la terminologie adoptée dans nombre de travaux de recherche,
quitte, in fine, à opter pour des biens peu variés.
Les politiques de la diversité supposent de surcroît qu’il existe une préférence
pour les produits locaux ou nationaux, mais que la consommation de ces
produits ne suffit pas à couvrir leurs coûts. Rejoindre cette acception revient à
préconiser une politique de la variété jointe à une politique de préférence locale.
On voit que des variations des indices de diversité consommée peuvent conduire à la
mise en place d’outils d’intervention publique.
3.3.
La pluralité des indicateurs
L’indice de Stirling a toutefois constitué pour le groupe des experts un indice assez
fiable de mesure de la diversité culturelle. Les experts se sont accordés sur la
pertinence de cet indice afin d’identifier les bonnes pratiques et sur la nécessité de le
mettre en application dans des domaines concrets pour lesquels des statistiques sont
disponibles. L’enrichissement de cet indice par la prise en compte de variables ayant
trait à la demande permet d’approcher plus complètement le niveau de la diversité
[cf. supra].
Des chercheurs ont tenté l’exercice empirique de l’application de ce cadre d’analyse
au domaine du film de cinéma17. L’approfondissement de la méthode et son
application à d’autres domaines ont conduit à démontrer le caractère
multidimensionnel de la diversité, et à proposer des indicateurs complémentaires pour
sa mesure18.
Toutefois, un indicateur synthétique ne saurait résumer l’ensemble des dimensions de
la diversité, d’autant qu’on ne peut accroître la quantité de diversité sous tous ses
aspects simultanément. Adopter la diversité comme concept opérationnel de
définition de la politique culturelle requiert alors infiniment de doigté. Selon les
acceptions auxquelles on se réfère, les outils varient.
17
Moreau F. et S. Peltier, 2004, Cultural Diversity in the Movie Industry: A Cross-National Study»,
Journal of Media Economics, 17(2): 123-143.
18
Benhamou F. et Peltier S. « Propositions pour l’élaboration d’indicateurs de diversité
culturelle. Une application à l’édition de livres en France », in Ministère de la Culture, Création et
diversité des industries culturelles, Paris : 2006.
11
Le décideur public est éventuellement amené à établir une hiérarchie parmi les formes de la
diversité. Il pourra décider la promotion de certaines littératures par une politique de
traduction, de soutenir les biens culturels les plus populaires, d’aider le réseau des salles
d’art et d’essai pour permettre la distribution de films financés par des producteurs
indépendants, ou de viser le simple développement de l’offre de premiers films en
supposant qu’elle incorpore nécessairement de l’innovation.
A ces mesures de la diversité on peut adjoindre des indicateurs qui mesurent le degré de
globalisation des pays19. Parmi les signaux de la globalisation, des chercheurs relèvent
la ‘proximité culturelle’, définie par des variables comme le nombre de chansons en Anglais
parmi les hits ou le nombre de films hollywoodiens programmés dans les cinémas. Ces
variables constituent des signaux de la globalisation, comprise comme la diffusion
des produits américains en dehors des Etats-Unis. Cette approche, réductrice, est
fréquemment employée ; elle se concentre pour l’essentiel sur la polarisation entre
produits d’origine américaine et autres produits. De même des études se contentent de
retenir la part des livres importés et exportés afin d’évaluer le niveau des échanges
culturels. Cette méthode est assez fréquente : elle suppose que le commerce de livres
reflète la manière dont les croyances et les valeurs se déplacent au-delà des frontières
nationales.
4. QUELQUES EXEMPLES D’INDICATEURS
PRATIQUES
AU SERVICE
DE BONNES
Plusieurs domaines peuvent être évoqués ; nous avons choisi de traiter ici trois exemples :
le cinéma, le livre, le spectacle vivant20. Nous nous refusons en effet à envisager
l’élaboration d’un indice unique : un pays peut être avancé dans le domaine du livre et
moins en matière musicale, ou encore très ouvert aux échanges et très apte à la promotion
de la création la plus diverse, tandis que tel autre peut sembler plus fermé et moins créatif.
La diversité est un concept qui appelle la diversité des approches et des méthodologies21.
4.1.
Le cas du cinéma
Lors de la 2ème réunion d’experts, Lydia Deloumeaux (UNESCO) avait présenté la base de
données UIS sur le cinéma. Depuis lors une étude sur la qualité de ces données et leur
pertinence afin de tester le modèle de Stirling a été menée par Benhamou et Peltier22.
Les conclusions qui se dégageaient renvoyaient à trois questions :
-
La pertinence des données en vue de l’appréhension de la diversité culturelle
-
La pluralité des dimensions de la diversité
-
La qualité de l’indice et la possibilité de l’enrichir
19
Voir notamment Dreher, Axel, Noel Gaston and Pim Martens (2008), Measuring Globalisation – Gauging its
Consequences, New York: Springer.
20
D’autres études de cas sont intéressantes. Cf. notamment: Bennett T., Differing diversities. Transversal
study on the theme of cultural policy and cultural diversity, Cultural Policy and Action Department,
Council of Europe Publishing, 2001.
21
Flôres R.G., 2006, The diversity of diversity: further methodological considerations on the use of the
concept in cultural economics. Ensaios Econômicos n° 626, Rio de Janeiro: EPGE/Fundação Getulio Vargas.
22
Benhamou F., Peltier S., The Stirling model on assessing diversity using UIS cinema data, Rapport pour
l’UNESCO, Montréal, 2009.
12
L’étude croise les trois dimensions de la diversité et leur expression au niveau de l’offre
et de la demande. Le tableau 1 ci-après résume cette approche. Les données n’ont
pas permis d’évaluer la disparité, montrant qu’on ne peut couvrir la totalité des
dimensions de la diversité, mais seulement répondre à un certain nombre de questions
en fonction des données statistiques disponibles. Celles-ci portaient sur la production,
le degré d’indépendance économique, et les langues.
Il est intéressant d’aller plus loin et de tenter une interprétation de chacune de ces
variables (Tableau 1, dernière colonne). On peut alors s’interroger sur les
mesures de politique culturelle qui peuvent être envisagées en fonction de l’évolution
des variables étudiées et de la volonté politique de les infléchir dans le sens de la
promotion de la diversité des expressions culturelles. Le tableau 1 bis explore cette
question. Par exemple, à la variable ouverture linguistique et culturelle comme
élément de diversité des expressions culturelles, nous faisons correspondre une
mesure assez simple d’aide au sous-titrage et/ou au doublage.
Tableau 1 – Critères de mesure de la diversité culturelle dans l’industrie du film à partir
de la base UIS feature film survey
Titres
Production
Distribution
Variété
Nombre de films
produits
Nombre de
cinémas/
1 000 habitants
Nombre d’entrées
par cinéma
Equilibre
Part de marché des
3 plus grosses
sociétés
de distribution
Interprétation
Vitalité de l’industrie
Possibilités offertes au
consommateur en matière
d’accès
Répartition de la
fréquentation
% de multiplexes
Nombre de sociétés
de distribution
Consommation
Langue
Production
Pays
d’origine
Production
Distribution
Degré de concentration de la
distribution et de
l’exploitation
cinématographiques
Niveau de la fréquentation
Nombre d’entrées
par habitant
Nombre de langues
Ouverture linguistique et
différentes dans
culturelle
lesquelles les films
sont tournés
Nombre de films
% de films 100%
Capacité de l’industrie à
coproduits
produits
coopérer
nationalement
Indépendance
% de compagnies de
Indépendance
distribution
contrôlées
nationalement
13
Tableau 1bis. Soutenir la diversité culturelle dans l’industrie du cinéma. Quelques
exemples résultant de l’analyse des indicateurs et des variables proposés
Interprétation
Vitalité de l’industrie
Possibilités offertes au consommateur en
matière d’accès
Répartition de la fréquentation
Degré de concentration de la distribution et
de l’exploitation cinématographiques
Niveau de la fréquentation
Mesures
Soutien à la production. Ex. Prélèvement d’une taxe
sur le prix du billet reversée à la production
Aide à la construction de salles en zones rurales
Obligation de programmation des films produits par
des indépendants
Carte d’entrée pour les jeunes subventionnée par les
pouvoirs publics
Ouverture linguistique et culturelle
Aide au sous-titrage et/ou au doublage
Capacité de l’industrie à coopérer
*Indépendance
Soutien aux premiers films après avis d’une
commission de personnalités indépendantes
4.2.
Le cas du livre
La méthodologie adoptée pour le cinéma peut être aisément transposée au domaine
du livre et de la lecture. Toutefois, le nombre des titres offerts, la place des
traductions, le rôle du livre dans le système éducatif poussent à faire évoluer la liste
des indicateurs et les catégories sélectionnées.
Le tableau 2 ci-dessous propose un cadre d’analyse de la diversité éditoriale. On
retrouve les trois dimensions de la diversité déclinées côté offre et côté demande, et
la dernière colonne avance quelques éléments d’interprétation de ces variables.
14
Tableau 2. Tableau des variables et données pour l’étude de la diversité éditoriale
Titres
Genre
Variété
Titres nouveaux
et nouvelles
éditions
Tirage moyen
Equilibre
Part des 5
groupes les plus
puissants dans le
total des titres
produits
Consommation
Nombre
d’exemplaires
vendus
Part des dix
meilleures ventes
romans et essais
dans le Top50
Production
Nombre moyen
d’exemplaires par
genre
Distribution des
nouveaux titres
et nouvelles
éditions selon les
genres
Distribution des
exemplaires
vendus selon les
genres
Distribution du
total des titres
acquis et des
titres de
littérature par
origine
linguistique
Production
Consommation
Langue
d’origine
des titres
Production
Nombre des titres
acquis selon leur
origine
linguistique
Consommation Nombre des titres
traduits dans les
listes de bestsellers
Distribution des
ventes de romans
du Top50 selon
l’origine
linguistique
Disparité
Interprétation
Nombre de
Indices de la vitalité
nouveaux auteurs créative du secteur,
de sa confiance dans
le marché, mais aussi
de la concentration
industrielle
Concentration
Etat de la demande,
des auteurs dans phénomènes de bestles ventes de
sellerisation, capacité
best-sellers
du marché à faire
Taux de
émerger de nouveaux
persistance des
auteurs
auteurs du Top
50
Approche
Capacité des éditeurs
qualitative
à produire des livres
de différents genres
Approche
qualitative
Réactivité du marché
à la diversité
produite
Approche par
Ouverture vers de
des indices de
nouvelles cultures
distance entre les (éventuellement très
langues et les
différentes) via les
cultures
langues, variété des
langues et de leur
présence sur le
marché
Mondialisation du
marché des best
sellers, variété des
œuvres y compris
pour les best-sellers
A chacune des variables on peut associer des outils d’intervention publique destinés
au soutien à la diversité des expressions culturelles. La distribution des exemplaires vendus
selon les genres est un indice de la variété des consommations ; elle peut tenir aux
conditions de l’accès et à la qualité de l’information sur la production éditoriale. Des
émissions littéraires sur les chaînes publiques de télévision peuvent concourir à
l’amélioration de cette information. De plus, l’analyse de l’évolution des variables (toutes
choses égales par ailleurs), avant l’octroi de subventions ou l’adoption d’une
réglementation, et après l’application de ces mesures, aide à juger de leur pertinence
(tableau 2bis).
15
Un point supplémentaire mérite d’être souligné. L’hypothèse de la « longue
traîne »23, c’est-à- dire les nouvelles opportunités de vente et d’amortissement des
publications à écoulement lent (livres traduits depuis des langues rares, petits
tirages) qui seraient offertes par les librairies en ligne, a été avancée. L’idée est
que les livres qui sont l’objet d’une demande faible et dispersée peuvent être
commercialisés et amortis sur les réseaux grâce à la levée de la contrainte de
distribution physique qu’ils permettent. Cette hypothèse, mal vérifiée à ce jour, peut
se confirmer à l’avenir. Elle ouvre une perspective intéressante pour la promotion
de la diversité des expressions culturelles, quel qu’en soit le champ d’activité24.
Tableau 2 Bis. Quelques exemples de politique culturelle résultant de l’analyse des
indicateurs et des variables proposés
Interprétation
Indices de la vitalité créative du secteur, de sa confiance
dans le marché, mais aussi de la concentration
industrielle
Mesures
*Aide à la création d’entreprises
* Surveillance de la concentration
industrielle
Etat de la demande, phénomènes de best-sellerisation, *Soutien aux auteurs : résidences, bourses
capacité du marché à faire émerger de nouveaux auteurs
Capacité des éditeurs à produire des livres de différents
genres(théâtre, poésie)
*Subvention aux genres menacés
Réactivité du marché à la diversité produite
*Aide aux librairies (subventions, encadrement du
prix, interdiction du discount)
Ouverture vers de nouvelles cultures (éventuellement
très différentes) via les langues, variété des langues
et de leur présence sur le marché
*Aide à la traduction des langues rares
Mondialisation du marché des best-sellers, variété
des œuvres y compris pour les best-sellers
*Aide aux salons du livre nationaux et internationaux
Politique éducative
23
Dans son livre The Long Tail. Why the Future of Business is Selling Less of More,
(Hyperion, New York, 2006), Chris Anderson avance qu’Internet permet la résurrection des titres
délaissés mais qui auraient mérité mieux, et une vraie vie pour les petits tirages, dont le public
existe, est assez important pour que les produits s’avèrent rentables, mais est trop épars pour
qu’aucun détaillant ne puisse les proposer durablement. Internet permet en effet de «
rassembler » des publics dispersés géographiquement et d’atteindre ainsi des un niveau de
ventes suffisant afin d’amortir les petits tirages.
24
Benghozi P.J., Benhamou F., “The long tail: myth or reality?”, International Journal of Art
Management, forthcoming, 2010.
16
4.3.
Le spectacle vivant
Le domaine de l’immatériel est encore plus difficile à cerner sue celui des biens
tangibles : on peut se référer au nombre de festivals, à leur fréquentation, à la part
des productions locales et à celle des spectacles importés, au nombre d’artistes
professionnels et amateurs, etc. Toutes ces variables doivent être interprétées
avec prudence. La taille des festivals, leur notoriété, leur attractivité varient
considérablement. De surcroît, la partition entre amateurs et professionnels obéit à
des critères distincts selon les pays. Le tableau 3 avance néanmoins quelques
pistes pour la sélection de variables décrivant le niveau de la diversité.
Tableau 3. Une approche de la diversité dans le spectacle vivant
Festivals
Offre
Demande
Variété
Nombre de
festivals
Nombre de
spectacles par
festival
Nombre de
festivals
créés en 5 ans
Nombre de festivals
/1000 habitants
Equilibre
% de festivals dans
Interprétation
Vitalité du secteur
un ensemble de
genres (danse,
musique, cirque,
etc.)
Proportion de
spectacles importés
Fréquentation par
genre
Ouverture vers d’autres
cultures
Fréquentation par
festival
Artistes
Possibilités offertes aux
consommateurs en termes
d’accès
Répartition de la fréquentation
Nombre d’artistes
Amateurs
Proportion par
genre de spectacles
Attrait des carrières
culturelles
Nombre d’artistes
professionnels
Proportion
d’artistes étrangers
passant plus d’un
mois dans le pays
Attractivité à l’international
Tableau 3bis. Quelles politiques culturelles pour le spectacle vivant
Interprétation
Vitalité du
secteur
Ouverture vers d’autres
Possibilités offertes au consommateur en matière
d’accès
Répartition de la fréquentation
Attrait des carrières
culturelles
Mesures de politique culturelle
Subvention aux festivals, aide à la
production
Aide pour les formalités
Discrimination par les prix
Aide aux déplacements vers les lieux de festival
Soutien ciblé, protection
sociale
17
5. RECOMMANDATIONS
Plusieurs recommandations émergent de cette
étude.
1. De même que l’on s’oriente vers l’établissement de bulletins de
santé de la biodiversité mondiale, il convient de disposer d’indicateurs de
la diversité des expressions culturelles, même si ceux-ci ne sauraient décrire
la totalité des paysages culturels nationaux.
2. Ces indicateurs doivent être simples, disponibles, fiables.
3. Ils doivent prendre en compte des variables d’offre et de demande.
4. La résorption de la fracture numérique, en particulier avec les pays sousdéveloppés, doit permettre de mieux diffuser la culture. De plus, les
nouvelles technologies sont des outils de la diffusion et de la rentabilité des
biens culturels à écoulement lent. Les indicateurs doivent donc prendre en
compte les nouvelles formes d’accès permises par Internet.
5. Les différences de définition ou de méthode de collecte des informations
peuvent conduire à l’élaboration d’indicateurs imparfaitement comparables
dans le temps et dans l’espace. Cette question ne doit pas faire obstacle à la
constitution d’un corpus de données. Il convient que chaque partie précise
avec soin la pertinence et les limites des comparaisons possibles.
6. Il faut plus particulièrement mettre en place une structure de veille sur les
expressions culturelles menacées
(langues,
folklores,
éléments
patrimoniaux).
7. Inverser les menaces qui pèsent sur la diversité des expressions culturelles
requiert l’identification de quelques mesures simples, et l’évaluation des
incidences de ces mesures sur la base d’indicateurs stables.
8. L’analyse des indicateurs ne doit pas perdre de vue qu’il s’agit de préserver
des écosystèmes culturels, pas des productions isolées.
9. Le travail de sensibilisation est essentiel : sensibilisation des chercheurs à
l’intérêt de la démarche de l’Unesco, sensibilisation des décideurs à la
question cruciale de l’évaluation, sensibilisation des acteurs de la vie
culturelle à l’approche socio- économique de leur activité. Des campagnes
d’information doivent y aider.
18
Descargar