Henry Miller - art

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Henry Miller - Sexus
... Je la rencontrai un jeudi soir dans un dancing, et nous passâmes la nuit ensemble,
Mais le lendemain, au bureau, j'avais l'air d'un somnambule, j'étais
Dans les nuages toute la journée, le soir venu, je fus heureux d'entrer chez moi.
Je m'endormis sans demander mon reste. Seulement après le repos, le diable est venu
Me rendre visite, m'invitant à la revoir impérativement, coute que coute.
J'avais prévu pour cela une ouverture, je devais lui donner un livre dont je lui avais parlé
Et l'idée me vint d'y adjoindre un bouquet de fleurs.
J'avais trente-trois ans et j'avais tout échoué dans la vie. J'étais ce qu'on appelle un nul.
C'était donc un samedi matin et j'étais loin de me douter de ce qui allait m'arriver :
Sept années de bonheur. Le chiffre sept est important, pas une seconde je n'ai songé
Aux conséquences de cette rencontre. Je la désirai et ne voulais pas la perdre.
Je me mis à lui écrire une longue lettre après lui avoir envoyé
Le livre et le bouquet par un messager, je lui disais que l'on pourrait se retrouver
Au dancing dès que possible et donc je lui téléphonerai ce soir même.
J'étais terriblement agité, fiévreux d'impatience.
Attendre encore était un supplice, je n'en pouvais plus.
Je me rendis au parc d'à côté de chez moi, la tête vide comme un zombie.
Les enfants jouaient au bord du bassin avec leurs petits bateaux,
J'entendais la musique du manège, le vent de l'air frappa mon visage,
Me réveilla un peu de ma torpeur et des images de mon enfance me sont revenues,
Quelques nostalgies, quelques regrets aussi. Combien d'hommes de mon âge, pensais-je,
Ont déjà commencé leur grande oeuvre, alors que moi, mes ambitions mortes,
Je n'avais qu'un désir, la retrouver. Je voulais entendre à nouveau sa voix me rassurer,
Savoir qu'elle pense à moi comme je pense à elle. Désormais, je voulais la voir
Tous les jours de ma vie, je serais ainsi illuminé par sa présence.
N'en pouvant plus, je lui téléphonais, mais elle n'était pas là.
J'essayai de savoir à quelle heure elle rentrerait, on me raccrocha au nez,
Le ciel me tombait sur la tête. De désespoir, je téléphonai à ma femme pour lui annoncer
Que je ne dinerai pas à la maison, alors en pensée j'entendis sa réplique :
" Tu peux crever, espèce de sale con ! "
Et moi de lui répondre : " Je me fiche bien de toi, morte ou vive, je m'en fous ! "
J'entrais dans le bus, m'installant comme jadis à l'école au fond de la classe.
J'allais de terminus en terminus, passant ainsi une bonne partie de la journée
À essayer de calmer les tentions internes me bouffant toute l'énergie nécessaire
Pour quelques actions bienveillantes à l'égard de mon prochain.
À la vue d'un marchand de glace installé au bord de l'eau, je descendis du bus
Je marchais pas à pas jusqu'au quai, j'avais encore du temps à perdre
Avant l'ouverture du dancing. Je n'avais rien à faire de la journée, pourtant j'étais vidé,
Sans ressource, sauf cette volonté tenace. Je trouvai un peu de force pour repartir,
Mais sans conviction, j'étais un fantôme errant dans un vide absolu.
Être ou ne pas être, pensais-je bêtement, fumer peut-être ?
Tout cela n'était qu'une seule et même chose. Si je tombais raide mort là maintenant,
Qui viendrait à mon secours ? Personne. Le monde ne va nulle part,
Il bouge aveuglément. Partout, ça entre, ça sort, des mouches, des moustiques,
Ils se nourrissent comme des chiens, ces gueux, ces messieurs aux chapeaux de travers,
Ces cadres de mes deux ... Dans une prochaine vie, je serai un autre,
Un cannibale, un vautour se repaissant de ces charognes, morts ou vifs,
J'irai sur leurs tombes cracher, je vous le dis, j'irai cracher sur leurs tombes. Pour l'heure,
Les choses s'arrangent, le moral remonte à mesure que l'on approche de l'heure fatidique
De toutes mes concupiscences. Elle me fera un sourire de Joconde et
Je sentirai autour de mon cou, la chaleur de ses bras.
Fier, je rentre dans l'arène du bal des initiés.
Des humains, toujours eux, dansent, bougent, gesticulent pour oublier je ne sais quoi,
Le bruit des pin-pon dehors ou les sons fous sortants de ce piano désaccordé.
Elle n'est pas sur la piste, et alors ? Qu'elle fasse ce qu'elle veut,
Pourvu que je ne sois pas là dans ses moments de grandes excitations
Axés sur ces hommes bien foutus, bien montés dont j'ai horreur.
Tout cela est d'un tel convenu, stéréotypé au point d'en vomir
La gueule ouverte dans le caniveau. Il faut être dégénéré pour aimer cette folle,
Mais sans elle je me sens inéxister. Partout, je demande si on l'a vu,
Une nana peut me donner des infos, mais faut casquer et danser avec,
Alors j'accepte et n'ai en retour que son corps trempé de sueur à l'eau de rose
Version jardin des tropiques, un pur bonheur, histoire de changer.
J'en approche une autre, fraîche comme un géranium ayant convoité tout l'après-midi
Avec des lycéens en mal d'amour. La soirée commence bien !
J'apprends qu'elle viendra, je patiente, mais à minuit je m'en vais
Pour ne pas louper le dernier métro, je veux rester en bonne santé,
Dormir tôt et ne pas me soucier des autres en dehors de moi...
Nonobstant ces bonnes résolutions, je dois regarder les choses en face, je souffre,
J'ai le mal d'amour, je suis un chien en chaleur, en rut, au coin d'une rue
Prêt à sauter sur la première pute venue.
Avec ces pensées agitées, je me jette au lit pour dormir, rêver peut-être !
Rien d'intéressant ne vient là non plus, à quoi ça sert tout ça ?
Dimanche matin, j'irai à la première heure chez elle la réveiller,
La sortir de ses rêves opaques pour qu'elle m'aime, je veux qu'elle m'aime,
Me prenne dans ses bras, cette chienne, baisons, baisons avant la messe,
Feu de Dieu, crachons l'eau bénite dans l'bénitier, prends-moi, je n'en puis plus,
Je suis un désespéré de l'amour, avec toi je veux aller au bout du monde
Et s'il faut y amener ta mère, on la prendra. Vois comme je suis lorsque j'aime,
Je prends tout, même les mamans.
Allons viens, partons à la recherche de tes origines,
Oh ma vierge, je suis ton Saint-Esprit, vient petite, sinon je suis perdu.
J'ouvre les yeux et que vois-je, la ville où j'habite, rien ne rappelle la nature, pas même
Une vache à laquelle m'accrocher comme Dubillard l'a fait chez son ami le peintre.
Et l'avenir là-dedans, il est où ? Pourquoi ai-je trimé dans la compromission
Tel un banquier, un agent de change, sans me poser les questions fondamentales
Que tout le monde devrait se poser pour les avoir eus au moins une fois en tête,
Est-il nécessaire pour cela de connaître Shakespeare, Racine ou Beckett ?
Pourquoi irais-je croire que tout va changer soudain si j'avais cette pute dans mon lit ?
Dans la rue je croise une femme, je la regarde, elle me regarde,
Je n'ai aucune envie d'en savoir plus, sa gueule m'a suffi.
C'est dimanche matin et je sonne à sa porte...
À peine ai-je sonné à la porte de chez elle, qu'un mec, fait comme un diable
Se présente et me demande de quoi je veux lui causer, je lui demande si elle est là,
Son regard me transperce de haut en bas, elle n'est pas là, que lui voulez-vous ?
Vlan, la porte se ferme, je reste heureux de ne pas l'avoir reçu sur la poire,
De bon matin c'est plutôt désagréable ! Mais c'est qui ce con, il me connait pas,
J'ai une carabine dans ma cave et une hache dans mon grenier,
Mon petit bonhomme, prend garde si je te croise une seconde fois.
Je la cherche partout, où est-elle donc passée cette salope, avec qui
Est-elle en train de fricoter encore sans moi, va falloir la mater cette petite,
Elle a trop la tête en l'air et évidemment les gens en profitent puisqu'en elle
Il y a cette matière première dont tout le monde rêve d'avoir entre ses jambes...
Je passe mon dimanche avec des gens normaux, la famille, ça me fait chier,
Je voudrais la voir maintenant, mais maintenant on sert la tarte aux pommes
Sortie du four, le café et les chocolats venant de Paris. Je m'ennuie.
Comment peut-elle rester ainsi sans me donner signe de vie après ce qu'on a vécu
Pendant une nuit entière à ne faire que ça comme des chiens, comme des fauves.
Lorsque ma femme sera couchée, dans un coin, j'irai lui écrire une lettre,
Un roman intégral pour lui dire ce que je ressens sans elle dans cet appartement
Devenu sordide avec le temps dans ce quartier de bourgeois pourris,
La présence de ma femme dans une autre pièce me bloque pour écrire,
Je devine sa tristesse, elle traverse les murs et me contamine en profondeur.
Un jour je fus gravement malade. Je voulus profiter de l'occasion pour souffrir
Le plus possible sans me soigner et ainsi vivre ce que tout artiste doit expérimenter :
L'approche de la mort, toucher la limite... Dans cette situation extrême,
Je réappris à respirer, explorant chacune des pièces de là où je vivais
Avec un oeil neuf, mais la cuisine était ma préférée. J'y restais de longues heures
Et c'est là que m'est venue l'idée de partir, de m'évader d'ici, de rompre avec
Ce confort débile m'aliénant au point de faire de moi un homme serpillère
Sans ressource pour rebondir, ne serait-ce que pour aller la chercher
Dans les bas-fonds de la ville. C'est dans la cuisine que j'ai pu trouver de quoi écrire,
Entre la vaisselle sale de la veille et les photos de souvenirs de notre couple
Aujourd'hui en déroute, des lettres folles pouvant injecter du peps
À un vieillard mourant, j'usais ma plume jusqu'à plus soif, mes cahiers d'écolier
De la première à la dernière page. J'essayais d'aller où bon me semblait,
Toutes les routes étaient bonnes, même si le résultat n'était pas concluant, je voulais
Entrer dans les méandres inexplorés de mon âme par l'écriture, par les mots.
Après ces exercices, tels quels, je les envoyais à cette conne comme si je les adressai
À une maison d'édition, sans trop y croire, seule la pulsion gérait mes actions
Et me calmait un peu, après quoi, je pouvais aller rejoindre ma femme
Dans notre lit conjugal. Étant près à tout, à tout sauf à vivre sans elle,
Son refus m'apparut impossible, dans ce cas j'aurai donné mon sang, tout mon sang
Généreusement à une association de la Croix-Rouge, juste avant de mourir d'amour.
Je retournai au dancing, elle y avait laissé un message, elle voulait bien me voir
Le lendemain à minuit. L'hypocrisie chez la femme est une seconde nature,
Au rendez-vous, elle me fit fête comme si de rien n'était. J'allais perdre la vie
À cause d'elle, et là voilà à me faire des bisous partout comme si j'étais
Son petit ami attitré exclusif. Où allons-nous ? me fit-elle, étais-je en état
De faire un quelconque choix devant cette fille que je voulais baiser
Tout de suite sans plus attendre, là sur place je me fous de tout, je la veux,
En chair et en os, un point c'est tout. Je vous passe le taxi pris, l'endroit
Où nous allions passer des heures à boire et à manger, à planer de bonheur
Sans raison particulière sauf qu'elle était là, bien vivante, près de moi.
Seulement tout cela a un prix qu'il me fallait payer puisque c'est encore la norme
Dans nos sociétés de machos, la note était salée, il me fallait un chèque
Et je n'avais pas mon chéquier, pas d'argent, pas de chéquier,
Nous retrouvions la réalité de la vie dans ce qu'elle a de plus trivial :
J'étais sans le sou, donc un pauvre mec, un pauvre con.
Il me fallait remonter la pente, ne pas me laisser griser par le désespoir
De ne pas avoir un sou en poche en ce moment si particulier où,
J'étais accompagné de la plus belle fille du coin, dans une boîte de nuit
Où le prix des consommations est autre que celui d'un Mac Donald,
Et encore moins cher chez moi, à la rigueur chez elle. Une idée me vint à l'esprit
Pour me sortir de cette fâcheuse situation. Je téléphonais à un ami travaillant la nuit
Et lui demandais de m'envoyer par courrier spécial
Un billet de cinquante dollars pour me sortir d'une mauvaise passe
Qui trouverait son dénuement dans la journée et ainsi, je serais en mesure
De lui rendre cette somme le soir même. Rapidement un homme se présenta
À l'entrée du lieu où j'étais avec ce billet tant attendu. Mais cet homme
Je le connaissais depuis longtemps et pour lui j'étais une sorte de Bon Dieu,
Il me savait être écrivain, un artiste, alors me voyant là à moitié soul
Il me proposa vingt-cinq dollars de sa poche et de bon coeur. Comment refuser
Une telle marque de confiance ? J'acceptai et le remerciai vivement.
Ouf, j'étais sauvé puisqu'en mesure maintenant de payer la note de nos boissons
Et un pourboire de riches au serveur et à la dame du vestiaire. Dans le taxi,
Excitée à mort, la belle Mara me sauta dessus pour libérer ses pulsions
Et comme une femme en manque, y alla violemment sans se soucier ni du chauffeur,
Ni de moi non plus, bref, elle se rassasia juste au moment où nous arrivions
Sur une place gardée par un flic. J'étais épuisé par cet acte d'une telle virulence,
Mais j'essayai tant bien que mal d'être à la hauteur de sa demande.
Enfin, elle lâcha prise et se laissa choir toute débraillée dans son coin,
Belle comme une Joconde, elle m'attirait plus que jamais, je m'approchai
Pour l'embrasser encore et encore sur ses lèvres, dans son cou.
À nouveau elle s'agrippa à moi telle une louve en furie, son corps s'offrait,
Non seulement à son amant mais au monde entier. Plus rien n'avait d'importance
Sinon ce moment où toutes les parties de nos corps se fondaient par la chaleur,
Nous étions dans une tornade nous foudroyant de toute part.
Nous eûmes des spasmes et des spasmes à répétition,
Et sans vouloir faire de jaloux, je peux avancer qu'il s'est agît d'un moment
Exceptionnel dans la vie d'un homme, et aussi d'une femme,
Puisque nous étions deux dans cette affaire.
Je la sentis après comme une biche, me souriant, douce, aimante,
Au bout d'un instant, elle se ressaisit tout à coup pour se refaire le visage
Avec poudre et rimmel qu'elle avait sorti de son sac, et regardant par la vitre arrière
Elle me dit : " On nous suit ! ". Boff, lorsqu'on est bien on n'imagine pas le pire,
" Laisse tomber ma belle et regarde ailleurs " ai-je pensé, innocent.
Seulement, prenant cela au sérieux elle ordonna au taxi d'aller plus vite
Car sa vie était en danger, il fallait échapper à cette poursuite à tout prix.
... Mais le chauffeur aussi aimable était-il, ne pouvait aller plus vite que la musique,
Et ma belle craignant la fin du monde lui courir aux fesses,
S'accrocha à moi dans ce taxi nous menant n'importe où pourvu qu'il calmât
Cette peur terrifiante éprouvée par Mara. À coup sûr, elle réagissait violemment
À la prise d'une drogue, mais le doute en moi s'installa, peut-être en effet
Y avait-il des gens lui voulant du mal, lui faire la peau,
D'ailleurs elle ne cessait de le répéter comme une malade. Alors,
Je me demandais sur qui j'étais tombé, cette poulette me rendant fou d'amour
Était peut-être l'élément majeur d'un système mafieux des plus effrayant de la terre.
À la première occasion, il faudra m'en défaire, sauter à pieds joints
Au prochain feu rouge, la planter là, j'en ai ras le bol de ces histoires,
Je ne suis ni l'Abbé Pierre, ni l'Armée du Salut, merde alors ! Et puis si j'accepte
De donner un doigt, le bras y passera et jamais plus je ne pourrais m'en débarrasser.
Je connais trop la comédie, avec ces trucs de travers mettant notre vie en lambeaux.
Stop, j'arrête cette fille, elle est trop belle pour moi,
Je dois trouver une nana normale, une maitresse d'école ou je ne sais quoi,
Une caissière de supermarché. Mais non, mais non, je mange pas de ce pain-là,
J'veux la crème de l'emmerde et à ce jeu je tape toujours dans le mille,
Il n'y a qu'à regarder dans quelle merde je suis maintenant avec cette glue,
Elle me colle partout et son corps, je ne vois que lui, je le veux encore et encore,
Je l'ai dans la peau cette conne et je suis un parfait con, quel beau couple
On fait tous les deux, là assis dans ce taxi. La drogue passée, détendue, épanouie,
Plus belle que jamais, je la regarde, ses lèvres s'entrouvrent pour me dire
Qu'on ne la suivait plus, qu'elle pouvait respirer enfin, elle s'empressa
De m'embrasser comme une folle n'ayant pas fait l'amour depuis un an.
Je suis dans une galère et je le sais, le Titanic coule, je suis Léonardo DiCaprio
Et elle Kate Winslet. L'amour c'est toujours le même bordel, à chaque fois
On se fait prendre tel un puceau à la sortie de l'école, seulement à aucun prix
Je ne lâcherai le morceau, quitte à en perdre la vie, la fin du monde peut arriver,
Je m'en fous, je ne veux rien espérer d'autre de meilleur que ce corps,
Je le veux avec l'âme dedans, je le veux tout entier, tout le temps,
Qu'elle me quitte, je la tue.
Ses mains sentant mes pensées en désordre en profitent pour se jeter sur mes jambes,
Les caresser, en alarmer les sens et les rendre digne de sa beauté.
Ils ne sont plus là, dit-elle, ouf, tout va bien.
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