La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 0. En dépit des kilomètres d’ouvrages consacrés à la formation des mots, le rapport sémantique des adjectifs de couleur1 avec les verbes qui en découlent n’a été étudié jusqu’ici que de façon très succincte2 et peu méthodique3. À notre connaissance, jusqu’à présent, aucune étude cohérente n’aborde à ce sujet. Toutefois, cette question donne matière à une analyse plus poussée, vu que la transposition d’adjectif en verbe n’est pas possible dans tous les contextes. Si [1a] la maison est blanche est susceptible d’être verbalisé en 1 Pour les adjectifs de couleur, cf. le volumineux travail de Grossmann 1988 portant sur le catalan, l’espagnol, l’italien, le roumain, le latin et le hongrois. 2 Échappe à la règle la vaste monographie de Kristol 1978 qui, adoptant une perspective interromane, tient compte des principaux verbes de couleur. Coseriu 1967a:48, dans le cadre de sa conception essentiellement sémantique de la formation des mots, classifie la verbalisation des adjectifs de couleur tels que blanco blanquear sous la catégorie du développement. Il entend par développement «le rapport entre des lexèmes identiques exprimés par des catégories verbales différentes; sa formule est, par conséquent: ‹lexème A + Substantif › – ‹lexème A + Verbe › – ‹lexème A + Adjectif › – ‹lexème A + Adverbe› (non nécessairement dans cet ordre); p.ex. esp. ‹blanco › – ‹blancura › – ‹blanquear › – ‹blancamente› (Coseriu 1967a:48).À l’intérieur du développement,Coseriu 1967a:48 distingue deux types, à savoir la conversion et la transposition: «la ‹conversion› est un développement . . . sans dégradation (généralisation) sémantique (p.ex. esp. ‹bello› – ‹lo bello›, ‹leer› – ‹el leer›); la transposition est un développement . . . avec dégradation (généralisation) sémantique (p.ex. all. ‹Freund› – X – ‹Freundschaft›,‹Freundlich›,– ‹Freundschaftlich›,‹Freundlichkeit›).» De quelle catégorie les verbes de couleur participent-ils? À en croire Coseriu 1983:147, ces verbes rentrent dans la catégorie de la conversion. Il s’avérera, au contraire, que le critère du changement catégoriel (de la classe du mot) est bien loin de fournir une description suffisante pour la verbalisation des adjectifs de couleur. Nous avons à revenir sur cette question à la fin de notre contribution (cf. N70). 3 Néanmoins, nous disposons de renseignements plus ou moins vastes sur leur formation, leur morphologie et leurs implications syntaxiques. Cf., à titre d’exemple pour le français, Corbin 1987 (sur dérougir cf. p. 621 et 625; sur blanchir voir p. 234, 434, 479, 483 et 539 et pour noircir voir p. 393, 401, 538 et 539), Thiele 1993:136 et 139 et Wandruszka 1976:82s.; pour l’espagnol, cf. Rainer 1993:460s. et 465s. qui propose aussi quelques considérations d’ordre sémantique ainsi que Thiele 1992:186 et finalement, pour ce qui est de l’italien, voir Dardano 1978. Plusieurs travaux, très précieux à nos fins, se consacrent exclusivement aux verbes parasynthétiques: cf., pour le français et l’espagnol, Gather 1999 et, pour l’espagnol, Serrano Dolader 1995. Noter également l’étude comparatiste de Reinheimer-Rîpeanu 1974 concernant le français, l’espagnol, l’italien et le roumain. 2 Jörg Timmermann [1b] parce qu’on a blanchi la maison il n’en va pas de même pour [2a] la maison est rouge étant donné que [2b] *parce qu’on a rougi la maison n’est pas acceptable. Le présent article se propose donc d’étudier, à partir d’un vaste corpus d’exemples, les conditions sémantiques dans lesquelles la verbalisation des adjectifs de couleur peut se faire ou bien est exclue, question sur laquelle les dictionnaires nous laissent le plus souvent sur notre soif (cf. Timmermann 2002b). Il s’agira par la suite de parvenir, sur cette base, à une description sémantique plus heureuse des verbes de couleur tels que rougir par rapport aux définitions lexicographiques. Par cette visée métalexicographique, notre article englobera en même temps une perspective pratique. Ceci dit, nous avons à tenir compte également de la multiplicité des formes que présentent grand nombre de ces verbes (cf., à titre d’exemple, it. bianchire, imbianchire, biancicare, biancare, imbiancare, biancheggiare). La question qui nous préoccupera ici est de savoir dans quelle mesure il y a isomorphie entre formes et fonctions. En d’autres mots: ces divergences d’ordre formel impliquent-elles aussi des distinctions sémantiques (cf. 4.)? 1. Commençons par un rapide survol de la morphologie des verbes de couleur. 1.1 Pour le français, l’inventaire4 des formes est encore assez modeste5: 4 Cet inventaire ainsi que les tableaux suivants relatifs à l’espagnol et à l’italien reposent essentiellement sur les dictionnaires indiqués dans la bibliographie. Dans cet ordre d’idées, il serait intéressant de savoir dans quelle mesure la norme du français permettrait de combler les lacunes présentées dans la grille selon la même structure. Est-il possible, par exemple, de former le mot rebrunir, en français, même si les dictionnaires ne l’attestent pas? D’après des natives speakers francophones, tous les adjectifs de couleur figurant dans la grille peuvent entrer dans la structure re--ir, excepté rougir (pour des raisons d’euphonie). Cette question donne suite à une analyse encore plus poussée qui dépasserait le cadre de la présente contribution. 5 Ne font pas l’objet de cette analyse les verbes qui ne dénotent pas une couleur mais un degré de luminosité, comme par exemple éclaircir, assombrir, obscurcir etc. Sont exclus également les verbes de couleur qui, pour être hyponymiques par rapport à d’autres verbes de couleur, occupent une place plutôt marginale dans le paradigme en question. Que l’on pense à roser et rosir qui se définissent par rapport aux verbes respectifs issus de rouge ou bien à roussir dont le lexème de base se définit par rapport à orange (cf. PR s. roux: «D’une couleur orangée plus ou moins vive»). La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien -(T)ER BLANC BLOND BLEU bleuter BRUN GRIS NOIR ROUGE VERT DE--IR jaunir noircir déjaunir dénoircir rougir verdir dérougir RE--IR -AILLER -ONNER grisailler grisonner reblanchir -OYER blanchoyer blondoyer débleuir débrunir6 griser JAUNE ORANGE -IR blanchir blondir bleuir brunir 3 renoircir oranger reverdir rougeoyer verdoyer Relevons rapidement les aspects les plus essentiels de leur formation: (1) À l’exception de gris et orange, chaque adjectif de couleur permet de former un verbe en -ir7. – Le fait que gris ne permet pas la verbalisation en -ir est-il dû à la rencontre potentielle de deux [i] dans *grisir? – Par rapport aux autres adjectifs de couleur, qui sont tous monosyllabiques, orange est un adjectif à deux syllabes. Éventuellement, l’on pourrait mettre à profit cette observation pour expliquer sa verbalisation exceptionnelle en -er. Pour analyser les raisons qui éloignent cette lexie en -er des autres verbes en -ir, il est peut-être révélateur également que oranger de même que son homologue adjectival orange évoquent la couleur d’un objet bien précis de la réalité extralinguistique, c’est-à-dire la couleur de l’orange en tant que fruit. En cela, oranger diffère des verbes de couleur en -ir qui dérivent tous d’adjectifs primaires. C’est ainsi qu’il faut loger oranger à la même enseigne que dorer et argenter dont les sémantismes sont également en corrélation directe avec la couleur du référent désigné par leur base nominale (cf. argent8 argenter, or dorer, orange oranger etc.). 6 Cette lexie qui n’est même pas lemmatisée dans les dictionnaires de très grand format (GLLF, GR, TLF) figure chez Corbin 1987:600. 7 Cette série des verbes de couleur en -ir est-elle due à la conversion ou la dérivation? Cette question est loin de faire l’unanimité parmi les linguistes. Si p.ex. Corbin 1987:234, 434, 479 et 539 range blanchir (comme pars pro toto) parmi la conversion, Wandruszka 1976:82 subsume les verbes de couleur tels blanchir, rougir, verdir, jaunir etc. sous la suffixation. Quant à nous, si la position de Corbin nous paraît de loin préférable, c’est que -ir ne représente nullement un suffixe; il s’agit là évidemment d’une désinence (qui entre dans le paradigme grammatical d’un même mot). Cf., pour la différence entre affixe et désinence, Martinet 1960:136s., Rainer 1993:35s. et Wandruszka 1976:14s. lui-même. Quant à la place de la conversion par rapport à la formation des mots, voir Timmermann 2001 et 2002a. 8 Les capitales signalent les référents (au niveau de la réalité extralinguistique). 4 Jörg Timmermann Enfin, oranger représente une formation assez récente datant du xixe siècle9. À cette époque, la terminaison -ir n’est plus productrice10. Toutefois, cette explication, avouons-le, ne répond pas aux exigences d’une perspective synchronique qu’adopte cette étude. (2) Les verbes bleuter, blanchoyer, blondoyer, grisonner, grisailler, oranger, rougeoyer et verdoyer représentent des éléments non seulement morphologiquement mais également sémantiquement particuliers qu’il s’agira d’analyser au paragraphe 4. (3) À moins que le masculin et le féminin ne se distinguent au niveau de la phonie, la formation des verbes se fait toujours à partir de la forme féminine de l’adjectif: blanche blanchir, blanchoyer; blonde (avec [d] final au niveau phonétique) blondir, blondoyer; brune [bryn] brunir, grise [gri:z] grisailler, grisonner et griser (cf. Wandruszka 1976:83) . (4) La verbalisation demande une consonne sonore de la base adjectivale. Si la consonne finale de la base est sourde (cf. le [t] final de verte) celle-ci se vocalise. (5) La verbalisation de noir en noircir demande un <c>/[s] intercalaire11. Cf. le GR et le TLF s. oranger. Seuls amerrir, atterrir et alunir échappent à cette règle (cf. Rickard 1974:135). Noter que cette interprétation est en contradiction avec Thiele 1993:173 qui y voit un suffixe verbal productif. 11 Cette interprétation qui s’inspire de Corbin 1987:392s. nous semble largement préférable à celle de Wandruszka 1976:82s. qui, à son tour, part de deux morphèmes verbaux indépendants l’un de l’autre, à savoir de -ir et -cir. Comme Wandruszka ne semble pas faire la différence entre «morphème verbal» et «suffixe» – d’un côté, il parle, en l’occurrence, d’un morphème verbal et de l’autre il range ce propos dans le chapitre intitulé «Suffigierung» (suffixation) – son interprétation prête d’autant plus à la critique: C’est que le terme de suffixe s’applique difficilement à -ir (cf. N7). Les raisons en sont explicitées dans Corbin 1987:124-29 qui, fait bizzare, parle d’affixe d’infinitif. Cette terminologie nous semble bizarre (affixe représente, on le sait, le terme générique recouvrant et les suffixes et les préfixes): au lieu d’avoir recours au terme d’affixe d’infinitif, il nous semble préférable de parler de morphèmes ou encore mieux d’allomorphes d’infinitif. Gather 1999:87s. donne un résumé de l’argumentation de Corbin. 9 10 La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 5 1.2 Pour l’espagnol, le catalogue des formes sort même du cadre d’un seul tableau12 -AR A--AR EN--AR SON--AR amarillear azulear blanquear AMARILLO AZUL azular BLANCO NARANJO VERDE RE1- -EAR -EAR SON--EAR emblanquear negrear negreguear pardear PARDO RUBIO EM/EN- anaranjar NEGRO ROJO (-EGU)EAR arrojar14 enrojar sonrorojear jar15 enrubiar renegrear13 sonrojear verdear verdeguear Dans les grandes lignes, ce tableau se résume en ces points: (1) Pour verbaliser un adjectif de couleur, l’espagnol connaît deux séries presque pertinentes: 12 De même que pour le français, nous ne tenons pas compte des verbes qui ne dénotent pas une couleur mais un degré de luminosité, à savoir: aclarar, clarear, enclarar, enclarecer et esclarecer; descolorar; enlobreguecer, entenebrar, entenebrecer; o(b)scurecer etc. Nous laissons également de côté les verbes qu’on peut interpréter comme hyponymes par rapport à d’autres verbes de couleur, c.-à-d. añilar (de añil ‘indigo’) par rapport à azular de même que embermejear, embermejecer (de bermejo ‘vermeille’); empurpurecer (de púrpura ‘pourpre’); sonrosar et sonrosear (de rosa ‘rose’) par rapport aux verbes respectifs issus de rojo etc. Ne font pas non plus partie de nos recherches les verbes tirés de mots diaphasiquement marqués, p.ex. albear et enalbar (de albo literario [cf. Salamanca] ‘blanc’). 13 Noter que le préfixe re- dans renegrear et reverdecer correspond à deux acceptions différentes (cf., pour re1- et re2-, p.ex. Thiele 1992:212): il marque respectivement soit l’intensité (cf. re1-), soit la répétition (cf. re2-). Cf. à titre d’exemple renegrear «Negrear intensamente» (Seco) [mise en relief J.T.] et reverdecer «Ponerse verde de nuevo . . . » (Seco) [mise en relief J.T.]. Leur combinatoire avec des terminaisons verbales différentes (infixes + allomorphes d’infinitif), soit respectivement avec -ear et -ecer, est-elle attribuable aux sémantismes divergents inhérents à re1- et re2-? 14 Cette forme que nous n’avons rencontrée que chez Serrano Dolader 1995:103 ne fera plus l’objet de nos études suivantes. Il est pourtant intéressant de constater que le schéma a + adjectif + ar qui est le plus fréquent parmi tous les verbes parasynthétiques désadjectivaux de l’espagnol (cf. Serrano Dolader 1995:84s.) est pratiquement absent dans les verbes de couleur. 15 Le préfixe son- (qui remonte étymologiquement au préfixe latin sub- ([cf. Serrano Dolader 1995:151]) est très rare en espagnol. Cf., à ce sujet, Serrano Dolader 1995:152: «El alomorfo son- aparece en pocos ejemplos: sonrosar, sonrosear, sonrojar, sonrojear.» En plus, celui-ci a perdu sa motivation (Thiele 1992:192). 6 Jörg Timmermann AMARILLO -ECER amarillecer EM/EN--ECER blanquecer emblanquecer negrecer ennegrecer empardecer enrojecer verdecer enverdecer DE--ECER RE--ECER DE--IR EN--IR en(a)marillecer16 AZUL BLANCO NARANJO NEGRO PARDO ROJO denegrecer17 denegrir18 RUBIO VERDE reverdecer enverdir – adjectif + -e- (infixe) + -ar (allomorphe d’infinitif) (= dérivation) – em-/en- (préfixe) + adjectif + -ec- (infixe) + -er (allomorphe d’infinitif) (= formation parasynthétique). Seuls rubio et naranjo ne permettent pas la verbalisation en -ear; quant à la verbalisation en em/en--ecer, il n’y a que azul et une fois de plus rubio et naranjo qui s’y opposent. (2) La position marginale de rubio trouve, selon Serrano Dolader 1995:87, son explication au niveau de sa phonie exceptionnelle: si dans les autres adjectifs de couleur le lexème se termine à chaque fois par une consonne (cf., à titre d’exemple, [amarriλ] – le [o] indique le genre) rubio, quant à lui, se termine en semi-consonne [j]19. (3) Quant aux variantes préfixales em/en- leur combinatoire dépend de la consonne initiale de la base: les initiales bilabiales se combinent avec des préfixes se ter16 Pour enamarillecer et enmarillecer cf. Serrano Dolader 1995:84 N67: «También existe hoy la forma sí parasintética enamarillecer, que incluso se ha reducido a un extraño enmarillecerse, cuyo tema es un inexistente *marill-. Razones de tipo fonético pueden haber influido en esta reducción. La situación es prácticamente exacta en portugués, donde junto a la forma amarelecer se ha desarrollado la variante emarelecer (cf. Allen 1981:87).» Enamarillecer et enmarillecer sont d’ailleurs lemmatisés dans le DRAE et chez Moliner. 17 Noter que denegrecer et denegrir ne signifient pas ‘rendre moins noir’ (comme fr. dénoircir le suggère). Ces verbes sont, en revanche, synonymes de ennegrecer[se] (cf. Moliner s. denegrecer et denegrir). Ici, le préfixe espagnol de- fait fonction d’intensificateur (cf. Thiele 1992:209), fonction que le préfixe français dé- ne connaît pas (cf. Thiele 1993:164). Nous sommes ici en présence de faux amis imputables à la formation des mots. 18 Si, du point de vue étymologique, denegrir remonte au lat. de + nigrere, cette lexie est tout à fait analysable et formable, du point de vue de la synchronie actuelle, à partir de negro si bien qu’elle fera l’objet de notre étude. 19 Cf. Serrano Dolader 1995:87: «Muchos de los ejemplos presentados ofrecen otra peculiaridad fónica que parece dificultar una derivación verbal en -ecer. Nótese que tienen la terminación de la palabra base en -io (-ío) lacio, recio, rancio, sucio . . . Podemos añadir otros ejemplos: frío > enfriar, mustio > enmustiar, rubio > enrubiar, serio > enseriar, tibio > entibiar, turbio > enturbiar. . . . Una vez más, las posibles formaciones en –ecer que tienen como base este tipo de palabras carecen de evidente vitalidad sincrónica (entibiecer).» La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 7 minant également en bilabiale (cf. em-blanquear, em-blanquecer et em-pardecer) – en revanche, les alvéolaires et les vélaires sont toujours précédées d’une nasale alvéolaire (cf. en-negrecer, en-rojecer, en-verdecer). Ici, nous sommes en présence d’un phénomène bien connu sous la dénomination d’assimilation régressive20. 1.3 L’italien, quant à lui, dispose également d’un répertoire assez complexe21: AZZURRO BIANCO -ARE azzurrare biancare A --ARE BIONDO BRUNO22 abbrunare GIALLO GRIGIO annerare arrossare NERO ROSSO rossarsi IM/IN--ARE inazzurrare imbiancare imbiondare imbrunare ingiallare ingrigiare innerare VERDE -IRE A --IRE RI--IRE -EGGIARE azzurreggiare biancheggiare biondeggiare bruneggiare gialleggiare nereggiare rosseggiare verdeggiare IM/IN--IRE -ICARE RI--EGGIARE riverdeggiare RI--ICARE AZZURRO BIANCO BIONDO bianchire biondire abbrunire BRUNO GIALLO giallire GRIGIO annerire arrossire NERO ROSSO VERDE verdire ribiondire ribrunire imbianchire biancicare imbiondire imbrunire ingiallire ingrigire nericare rossicare inverdire verdicare riverdicare 20 Enmarillecer fait exception. Vu que cette lexie repose sur enamarillecer, il est probable que l’omission du [a] est de date récente et que l’assimilation régressive ne tardera plus longtemps à se produire. 21 Conformément à notre démarche relative au français et à l’espagnol, nous n’inventorions ici ni les verbes relatifs à la luminosité (tels que scurire) ni les verbes interprétables comme hyponymes par rapport à d’autres verbes de couleur (tels que rosare, rosire et roseggiare [qui se définissent par rapport aux verbes formés à partir de rosso]). 22 L’italien connaît également le verbe brunire de même que l’espagnol dispose de bruñir. Noter que ces verbes ne signifient pas ‘rendre brun, teindre en brun, devenir brun, prendre une teinte’ (PR) comme fr. brunir. Il s’agit là, dans l’optique du français, d’un faux ami. Cependant les trois mots se correspondent en ce qui concerne la signification ‘Procéder au brunissage de (un métal, une pièce mécanique)’. Cf. esp. bruñir ‘Dar brillo a una cosa, particularmente de metal’ (Moliner) et it. brunire ‘1. Sottoporre una superficie metallica a uno speciale trattamento chi- 8 Jörg Timmermann Ce tableau permet d’observer les régularités suivantes: (1) La verbalisation des adjectifs de couleur s’opère essentiellement selon trois principes: A) lexèmeadjectif de couleur + eggiare, B) im/in + lexèmeadjectif de couleur + are et C) im/in + lexèmeadjectif de couleur + ire. (Pour une éventuelle différenciation sémantique des séries en -eggiare et im/in--are/ire cf. 4.4). (2) Suivant la norme espagnole, l’assimilation régressive des préfixes im-/in- vaut également pour l’italien: cf. in-giallare, in-giallire, in-grigiare, in-grigire, in-nerare, in-verdire23 vs im-biancare, im-biondare, imbrunare, imbrunire. – Le préfixe as’ajoute aux adjectifs commençant par [n], [r] et [br] dont les initiales, à leur tour, subissent un allongement (cf. abbrunare, abbrunire, annerare, annerire, arrossare, arrossire). (3) Les verbes restants occupent, à l’intérieur du paradigme italien, une position marginale, que ce soit sur le plan morphologique ou stylistique (cf. 4.1). 1.4 Concluons: s’il est vrai que, pour verbaliser les adjectifs de couleur, chaque série morphologique est plus ou moins lacuneuse (ne s’appliquant pas à tous les adjectifs concernés)24, il n’en est pas moins vrai que chaque langue dispose de séries morphologiques privilégiées (comme -ir en français, -ear et em/en--ecer en espagnol ainsi que -eggiare25, im/in--are et im/in--ire en italien)26. mico per proteggerla da ossidazione. 2. Rendere lucido e levigato un metallo: . . .’ (VIT). Ici nous sommes en droit de parler, à l’instar de Parkes/Cornell 1992:6, d’une zone de bons amis (angl. true fiends area) à l’intérieur de la zone sémantique des faux amis partiels (angl. partial false friends). 23 Cf. également inazzurrare. 24 Pour l’enseignement des langues romanes comme langues étrangères, ce phénomène constitue une véritable entrave. 25 Pour l’italien, Dardano 1978:34 met l’accent sur la corrélation entre la sémantique des adjectifs de couleur et leur verbalisation en -eggiare: «Spesso la base è costituita dagli aggettivi di colore . . . » 26 La correspondance entre sémantique (qua appartenance à certains champs lexicaux) et séries morphologiques n’est-elle pas un principe omniprésent dans nos langues? Quant au français, cette hypothèse est en contradiction flagrante avec Wandruszka 1976:82 selon qui la seule corrélation observable entre les allomorphes d’infinitif et la sémantique de leurs bases adjectivales est précisément celle entre -ir et les adjectifs de couleur. Dans cette même lignée, pour l’espagnol considéré dans son ensemble, cette hypothèse se trouverait en désaccord avec Serrano Dolader 1995:88s.: «El español ofrece un elevado grado de libertad a la hora de seleccionar el esquema derivativo para la constitución de un verbo parasintético deadjetival. Obsérvese, por ejemplo, cómo bases que presentan una estrecha relación significativa (por pertenecer a un determinado campo semántico común) pueden ser verbalizadas, sin embargo, a través de procesos distintos: chico > achicar, pequeño > empequeñecer, canijo > encanijar, delgado > adelgazar, flaco > enflaquecer, gordo > engordar. En gran medida, la elección de esquemas verbalizadores no depende de restricciones sistemáticas sino de preferencias particulares de la norma». Cf. également Serrano Dolader 1995:102: «No existe tampoco una clara relación entre las características léxicas de la base y la selección de una u otra posibilidad derivativa». La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 9 À noter également que la plupart des adjectifs de couleur dénominaux tels lilas, mauve, marron etc. ainsi que l’adjectif primaire beige ne se prêtent pas à la verbalisation. 2. Si grand nombre de contextes sont loin de permettre la verbalisation des adjectifs de couleur selon le patron la maison est blanche on a blanchi la maison (cf. 0.), les raisons en restent pourtant à l’obscurité. Le plus souvent, les dictionnaires se limitent à présenter des définitions du type «Devenir/Rendre rouge» et à citer l’une ou l’autre phrase modèle. Pour nous approcher encore davantage du sémantisme inhérent auxdits verbes, nous nous proposons 1) de rassembler, à partir des dictionnaires, un nombre assez vaste de contextes, 2) de catégoriser les exemples inventoriés du point de vue sémantique et 3) de comparer les verbes de couleur par rapport aux catégories de leurs emplois. En procédant de cette manière, il s’avérera que, pour chaque verbe, ces catégories sont dans une très large mesure récurrentes et comparables. Ceci nous porte à croire que les sémantismes inhérents aux verbes en question sont en principe homologues. Au début de nos analyses sémantiques, nous avançons déjà notre hypothèse principale qu’il s’agira de vérifier au cours de ce chapitre: Les verbes de couleur se réfèrent prototypiquement à une couleur naturelle, c’est-à-dire à une source naturelle de couleur: [lumière], [feu], [chaleur] etc. ou bien à un animé: [être humain], [animal], [plante] ou bien à une entité naturelle: [eau], [pierre] etc. ou encore à une [coloration non-intentionnelle]. En définissant leur sémantisme ex negativo, on arrive à conclure qu’ils sont beaucoup moins disposés à dénoter une couleur artificielle, c’est-à-dire une couleur de production industrielle. La notion de prototypicalité27 met déjà en relief que ce sémantisme n’est pas une vérité incontestable mais qu’il accuse uniquement une tendance où l’exception confirme la règle. Exempla docent28: 2.1 BLANC 2.1.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. Les cheveux qui blanchissent, les mouvements qui se ralentissent, les rides même ne sont que des signes fort incertains de la vieillesse. (Délécluze) (TLF s. blanchir) 27 Koch 1996:225 distingue quatre types de prototypicalité. Parmi ces quatre types, c’est le premier, c.-à-d. «la prototypicalité de certains référents par rapport à une catégorie conceptuelle donnée au niveau du désigné . . . » qui est en cause ici. Toutefois, à notre point de vue, la notion de prototypicalité ne concerne pas seulement ici le niveau référentiel des verbes de couleur mais elle touche également leur sémantique. 28 Ne feront l’objet de notre examen que les emplois verbaux désignant une couleur correspondant à celle de la signification primaire de l’adjectif de couleur en question. Il s’ensuit que les emplois métaphoriques (cf. p.ex. blanchir l’argent de la drogue) sont exclus de notre étude. 10 Jörg Timmermann esp. Al tío le blanquean29 las sienes con los años. (Salamanca s. blanquear) esp. Yo era muy rubia; luego se me oscureció bastante el pelo. Se oscurece con los años. – A mí se me blanqueo, ya ves. (Solís) (Seco s. blanquear) it. I suoi capelli cominciavano a biancheggiare. (VIT s. biancheggiare) it. L’età gli ha imbiancato i capelli. (VIT s. imbiancare) it. Vedo che cominci già a imbiancare. (VIT s. imbiancare) fr. blanchir de rage, de peur (PR s. blanchir) esp. Existe un medio muy sencillo y excelente para blanquear los dientes. (Seco s. blanquear) esp. Los morenos quieren blanquearse y los blancos quieren ponerse morenos. (Seco s. blanquear) – [animal] fr. Il y avait toujours dans notre jardin inculte, sous les broussailles d’orangers et de gardénias, des coquilles qui séchaient, des coraux qui blanchissaient au soleil, mêlant leur ramure compliquée aux herbes et aux pervenches roses. (Loti) (TLF s. blanchir) it. L’importuna lumaca ovunque passa, biancheggiando il cammin dopo le piogge. (Alamanni) (VIT s. biancheggiare) – [plante] fr. it. it. . . . son teint [qui] avait l’aspect des plantes qui ont poussé sous les feuilles mortes, ou celui des légumes qu’on a fait blanchir à la cave. (RAMUZ) (TLF s. blanchir) Quali fioretti . . . poi che’l sol li’mbianca. (Dante)30 (VIT s. imbiancare) Le piantine, allevate al buio imbiancano. (VIT s. imbiancare) – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] fr. fr. it. it. it. fr. La neige blanchit les sommets. (PR s. blanchir) L’hiver blanchit les monts où le milan séjourne. (Hugo) (PR s. blanchir) La neve ha imbiancato tutta la campagna. (VIT s. imbiancare) Lo villanello vede la campagna biancheggiar tutta. (Dante) (VIT s. biancheggiare) al bianchir de’ colli (Dante) (VIT s. bianchire) Sur un côté seulement ils [les arbres] s’espaçaient un peu, et l’on voyait blanchoyer au travers l’eau écumeuse d’une rivière. (Genevoix) (TLF s. blanchoyer) fr. De courtes tempêtes levaient la mer, blanchissaient au loin la pointe du Raz . . . (Queffélec) (TLF s. blanchir) it. Sotto il maestrale urla e biancheggia il mar. (Caducci) (VIT s. biancheggiare) esp. El verdín de la piedra, que las cigüeñas, delastrándose, blanquecen. (Seco s. blanquecer) 2.1.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. À peine la lumière blanchissait le fond du vallon . . . (Bernardin de Saint-Pierre) (GR s. blanchir) fr. L’aube blanchit le ciel. (PR s. blanchir) fr. Regardez ce pan de mur qui blanchoie là-haut dans la demi-obscurité. (TLF s. blanchoyer) esp. El cielo se levantaba, se ensanchaba, blanqueciéndose. (Seco s. blanquecer) it. Il cielo s’imbianca. (VIT s. imbiancare) Dans cette acception, blanquear se traduit en français par blanchir et par grisonner. Il est très intéressant d’observer que le sémantisme des verbes de couleur tel que nous l’avons présenté dans notre formule initiale (cf. 2.) ne vaut pas seulement pour l’italien contemporain mais que la même synchronie comprend également les siècles précédents. En est-il de même pour le français et l’espagnol? 29 30 La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien it. it. it. it. it. 11 Dall’altra parte tosto vedrete il cielo imbiancar novamente, e sorger l’alba. (Leopardi) (VIT s. imbiancare) Lucifero, che ancora luceva nella biancheggiante aurora (Boccaccio) (VIT s. biancheggiare) lo splendido viale biancheggiante fra i colli e gli oliveti (VIT s. biancheggiare) Biancica, in terra, qua e là, la strada.(Pascoli) (VIT s. biancicare) Fumano le lontane ville ancor biancicanti. (Foscolo) (VIT s. biancicare) – [plante/animal] esp. El verdín de la piedra, que las cigüeñas, delastrándose, blanquecen. (Seco s. blanquecer) – [entité naturelle] fr. blanchir un mur à la chaux (chauler) (PR et GR s. blanchir) it. imbiancare le pareti di una stanza, la facciata d’un edificio ‘dare il bianco di calce o in genere una tinta chiara’ (VIT s. imbiancare) it. pareti imbiancate; sepolcri imbiancati (VIT s. imbiancare) esp. Han blanquedo la fachada del edificio. (Salamanca s. blanquear) esp. En los pueblos andaluces se blanquean las casas todos los años. (Salamanca s. blanquear) esp. Asistía a las misas que decía José Vados . . . en aquel viejo granero blanqueado por el mismo José. (Laforet) (Seco s. blanquear) 2.1.3 [coloration non-intentionnelle (sous l’effet du vieillissement)] esp. Los pantalones ya blanquean en las rodilleras. (Salamanca s. blanquear) 2.1.4 Contre-exemples31 esp. En diversos procesos industriales muchos productos se blanquean como el papel o el azúcar. (Salamanca s. blanquear) 2.2 BLOND 2.2.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. Elle a blondi. (PR s. blondir) it. Al mare i capelli gli si sono imbionditi. (VIT s. imbiondire) it. imbiondire i capelli con l’acqua ossigenata (VIT s. imbiondire) – [plante]32 fr. it. it. it. it. Les foins blondissaient, prêts a mûrir. (Fromentin) (PR s. blondir) Il sole imbionda . . . la viva lana. (D’ANNUNZIO) (VIT s. imbiondare) Non s’imbiondan per me spighe feconde. (Redi) (VIT s. imbiondare) Intanto però cominciavano que’ benedetti campi a imbiondire. (Manzoni) (VIT s. imbiondire) Le messi imbiondiscono al sole. (VIT s. imbiondire) – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] it. Dove fertil pian Cerere imbionda. (Chiabrera) (VIT s. imbiondare) 31 Cf. également le phraséolexème blanchir une page ‘en augmenter les blancs, les interlignes, les marges’ et son antonyme noircir du papier. 32 Cf. également faire blondir les oignons ‘les faire revenir jusqu’au moment où ils prennent couleur’. 12 Jörg Timmermann 2.2.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. Le soleil blondit les cheveux. (PR s. blondir) it. Il sole imbionda . . . la viva lana. (D’Annunzio) (VIT s. imbiondare) 2.3 BLEU 2.3.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. Le froid lui bleuit le visage. (PR s. bleuir) fr. bleuir de froid (PR s. bleuir) fr. Et pourtant ses vingt-neuf ans avaient fait, d’un homme en jupes, l’homme qui se trouvait en face de lui, avec la racine de la barbe bleuissant légèrement les joues rasées. (Druon) (TLF s. bleuir) esp. Su barba y su bigote rasurados azuleaban. (Seco s. azulear) – [animal] esp. carne con tendencia a enrojecer, pardear o amarillear (Seco s. pardear) – [plante] fr. Le tournesol bleuit sous l’action d’une base. (PR s. bleuir) fr. La haie bleuit sous les mûres. (R. Martin du Gard) (TLF s. bleuir) it. l’erba novella che inazzurravano l’ombre de’. . . colonnati (D’Annunzio) (VIT s. inazzurrare) – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] fr. La côte bleuissait au loin. (PR s. bleuir) fr. La mer, plate, dure et blanche semblait une piste de patinage déserte. Tout à l’heure, elle bleuirait . . . (Sartre) (GR s. bleuir) it. Il mare instancabile si muove azzurreggiando. (Pascoli) (VIT s. azzurreggiare) esp. A lo lejos azulean las montañas en el horizonte. (Salamanca s. azulear) it. I monti s’inazzurravano nella lontananza. (VIT s. inazzurrare) esp. El café es bueno, pero la leche de cabra azulea, pues está bautizada como Dios manda. (Seco s. azulear) 2.3.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. Après deux jours, le ciel bleuit; la mer se calme; l’air tiédit. (Gide) (GR s. bleuir) it. S’inazzurrava il cielo. (VIT s. inazzurrare) fr. Le soir, il voyait à quelque cent mètres, par-dessus la rivière, la lune bleuir les jardins du harem . . . (H. Barrès) (GR s. bleuir) fr. Ici la flamme des tisons rougeoya et bleuit, et les faces des routiers bleuirent et rougeoyèrent. (Bertrand) (TLF s. bleuir) fr. Il ne reste plus qu’à àttendre la nuit. Elle sera bientôt là: le ciel est vert, les nues légères, tout à l’heure rosées, bleuissent doucement . . . (Giono) (TLF s. bleuir) esp. Azulea el pueblo con la luz del amanecer. (Salamanca s. azulear) – [feu] esp. A medida que avanzaba la noche, el humo del tabaco iba azulando la atmósfera del casino (Seco s. azular) La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 13 2.3.3 [coloration non-intentionnelle] esp. El pantalón vaquero destiñó y azuló toda la colada. (Clave s. azular). 2.3.4 Contre-exemples esp. En este pueblo existe la costumbre de azular el zócalo de las paredes de las casas. (Salamanca s. azular) fr. On bleute le linge de corps pour faire disparaître la couleur jaunâtre qu’il acquiert par le blanchissage. (Nouv. Lar. Ill./Lar. 20e) (TLF s. bleuter) 2.4 BRUN33 2.4.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. Le soleil brunit la peau. (PR s. brunir) it. Il sole abbrunisce la pelle. (VIT s. abbrunire) fr. Ses cheveux ont bruni. (GR s. brunir) – [animal] esp. carne con tendencia a enrojecer, pardear o amarillear – [plante] fr. Les chardons commençant à brunir. (Rollinat) (TLF s. brunir) it. quando l’uva imbruna (Dante) (VIT s. imbrunare) – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] esp. La tierra pardea en el otoño en Castilla. (Salamanca s. pardear) esp. Pardean en la falda de la montaña los campos recién laborados. (Moliner s. pardear) 2.4.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. Dans la chambre, la nuit commençait de brunir la lumière. (TLF s. brunir) it. Già tutta l’aria imbruna. (Leopardi) (VIT s. imbrunare) it. Spariscon l’ombre, ed una oscurità la valle e il monte imbruna. (Leopardi) (VIT s. imbrunare) [fumée] fr. de grandes armoires de chêne, brunies par la fumée (Nerval) (TLF s. brunir) [plante] fr. brunir une boiserie au brou de noix (PR s. brunir) 2.4.3 [coloration intrinsèque naturelle (sous l’effet du vieillissement)] fr. des meubles de bois brunis par l’âge (GR s. brunir) esp. Se cubrían con gorrillas de visera . . . con camisa empardecida, con descolorido chaleco abierto. (Seco s. empardecerse) [on sous-entend que la chemise est brunie par souillure] 33 Cf. également brunir de l’acier, de l’or, de l’argent, des couverts. Cette expression ne se range pourtant pas dans la catégorie des contre-exemples puisqu’elle ne correspond pas à ‘rendre brun’ mais à ‘rendre la surface d’un métal lisse et brillant par le poli’ (cf. PR s. brunir). 14 Jörg Timmermann 2.5 GRIS 2.5.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. it. it. it. Ses cheveux grisonnent prématurément. (Romains) (GR s. grisonner) Poteva avere quaranta o quarantacinque anni, e incominciava a ingrigire. (VIT s. ingrigire) L’ho trovato ingrigito e stanco. (VIT s. ingrigire) scoprendo il ciuffo dei suoi capelli ingrigiti (Bernari) (VIT s. ingrigire) – [plante] fr. On voit . . . les verdures se grisailler de poudre. (Richepin) (TLF s. grisailler) 2.5.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. La lumière, sur la paroi [du wagon], pâlit un peu, grisonna et puis, brusquement, ce fut un éclatement. (Sartre) (TLF s. grisonner) fr. depuis l’aube qui grisonnait sa chambre . . . (Noailles) (TLF s. grisonner) fr. Le jour grisaille à travers les fumées. (Sartre) (TLF s. grisailler) fr. Le matin commençait à grisonner. (Gautier) (TLF s. grisonner) it. L’aria, il cielo ingrigiva. (VIT s. ingrigire) – [buée] fr. le halo de buée qui grisait la vitre (TLF. s. griser) 2.5.3 Contre-exemples fr. l’addition du noir, ce qui grise ou rabat la couleur (Manuel du fabricant de couleurs, 1884) (TLF s. griser) fr. grisailler un mur (TLF s. grisailler) 2.6 JAUNE 2.6.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. À le voir si voûté, l’on dirait un aïeul! Il se ride, il jaunit . . . (Sainte-Beuve) (TLF. s. jaunir) fr. doigts jauni par la nicotine (PR et GR s. jaunir) fr. dents jaunis, jaunis par le tartre (GR s. jaunir) esp. los emigrantes, dialécticos jóvenes, de barba y acento sureño, hombres de media edad, amarillecidos por el estupor de la larga aventura laboral (Seco s. amarillecer) – [animal] fr. vitres jaunies par les mouches (GR s. jaunir) esp. carne con tendencia a enrojecer, pardear o amarillear (Seco s. pardear) – [plante] fr. Je chantais l’an passé quand les feuilles jaunirent.» (Aragon) (PR s. jaunir) esp. Ya amarillean las hojas de los árboles. (Salamanca s. amarillear) esp. Soplaba fuerte el viento . . . llevándose las postreras hojas de los árboles de la Alameda, amarilleadas por un otoño prematuro. (Seco s. amarillear) esp. Al concluir el verano, poco antes de que la hoja amarilleara, desmochaba los tres chopos escuálidos. (Seco s. amarillear) La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 15 esp. el otoño ya mediado, cuando ya las hojas caídas han dejado de amarillecer y se han ablandado con las lluvias hasta pudrirse (Seco s. amarillecer) fr. L’automne a jauni les feuilles. (GR s. jaunir) it. L’autunno ingiallisce le foglie. (VIT s. ingiallire) it. Le foglie cominciano a gialleggiare. (VIT s. gialleggiare) fr. gazon jauni par le soleil (GR s. jaunir) fr. Le blé jaunit à maturité. (PR s. jaunir) esp. En la falda del monte amarillean los rastrojos. (Moliner s. amarillear) esp. Los sembrados amarillean, podridos por la lluvia. (Seco s. amarillear) esp. Amarillecen hogaño a la izquierda los rastrojos y a la derecha se alejan interminables los surcos ocres, grises, pardos, de los barbechos. (Seco s. amarillecer) it. Pendono le rosse . . . le dolci mele, e ingiallano le pere. (Pascoli) (VIT s. ingiallare) it. Le foglie delle piante si ingialliscono per macanza di acqua. (VIT s. ingiallire) – [élément de la nature: eau, pierre etc.] fr. eaux jaunies d’un fleuve esp. aguas que amarilleaban con los cabellos de su jana y que fulgían como el oro (Seco s. amarillear) fr. petite robe blanche très étriquée . . . et très-jaunie par la poussière (Sand) (TLF. s. jaunir) it. Marmi . . . che son bianchi gialleggiano e traspaiono molto. (Vasari) (VIT s. gialleggiare) 2.6.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. La lampe brûlait jaune, et jaune aussi les cierges, et la lueur glissant aux fronts voilés des vierges; jaunissait leur blancheur. (Sainte-Beuve) (TLF s. jaunir) it. Gialleggiava una lucerna nella stiva. (D’Annunzio) (VIT s. gialleggiare) – [feu/fumée] fr. Le voici sur l’escalier . . . avec sa robe trop longue qu’effrangent ses talons, son fichu Marie Antoinette, jauni par la fumée de la salle . . . (Colette) (GR s. jaunir) – [produit de couleur naturelle] fr. graisse qui jaunit les doigts du mécanicien (GR s. jaunir) 2.6.3 [coloration intrinsèque (sous l’effet du vieillissement)] fr. ivoire, nylon blanc, papier qui a jauni (PR s. jaunir) esp. Las cartas las había amarilleado el tiempo. (Seco s. amarillear) it. Col tempo la carta ingiallisce, la biancheria ingiallisce. (VIT s. ingiallire) fr. Je revois des photographies jaunissant dans les vieux albums. (Mauriac) (TLF s. jaunir) it. fotografie vecchie e ingiallite (VIT s. ingiallire) 2.6.4 [coloration non-intentionnelle (sous l’effet du vieillissement)] fr. le rideau de tulle que le temps et la poussière avaient jauni (Green) (GR s. jaunir) 2.6.5 Contre-exemples fr. jaunir un plancher, une toile (TLF s. jaunir) 2.7 NOIR 2.7.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. Le soleil noircit le teint, la peau. (TLF s. noircir) 16 Jörg Timmermann fr. Cet enfant était blond, ses cheveux ont noirci. (GR s. noircir) fr. se noircir les cheveux (TLF s. noircir) it. Ogni unzione annerisce i peli, fuorché i canuti. (Boccaccio) (VIT s. annerire) esp. Sobre su labio negreaba una repugnante pelusa. (Seco s. negrear) – [animal] fr. Le caillot sanguin [d’un animal à qui l’on a coupé la moelle épinière] reste aussi longtemps à noircir à l’air. (Cl. Bernard) (TLF s. noircir) – [plante] fr. fraise sauvage qui mûrit, noircit et tombe (PR s. noircir) esp. Las espigas se combaban, cabeceando, con las argayas cargadas de escarcha, y algunas empezaban ya a negrear. (Seco s. negrear) esp. Llegó la vendemia .. y la oliva que ya renegrea. (Seco s. renegrear) it. isola che . . . di selve nereggia (Pindemonte) (VIT s. nereggiare) it. un colle nereggiante di cipressi; una nereggiante pineta (VIT s. nereggiare) fr. Les raisins, qui commençaient à noircir, promettaient une belle vendange. (Theuriet) (TLF s. noircir) it. L’uva in quel po’ di vigna cominciava a nereggiare. (Panzini) (VIT s. nereggiare) fr. Le poirier et le hêtre noirci continuent à imiter l’ébène pour les meubles modestes. (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 162) (noircir s. TLF) – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] fr. Une pluie chaude noircissait ce matin d’août et tombait droite sur les trois platanes. (Colette) (GR s. noircir) fr. Le charbon a noirci les mains. (PR s. noircir) it. Gli annerirono il viso col carbone. (VIT s. annerire) 2.7.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. le soir, quand le ciel est pur et que la nuit tarde à noircir (Duhamel) (TLF s. noircir) esp. La noche empezó a negrear. (Salamanca s. negrear) esp. Las nubes ennegrecieron el cielo. [= absence de lumière solaire] (Salamanca s. ennegrecer) esp. Un aire opaco y como percudido de ceniza . . . ennegrecia aún más la noche. (Salamanca s. ennegrecer) esp. La tormenta ennegreció la ciudad. (Serrano Dolader 1995:89) esp. El inglés se destaca en medio del humo que ennegrece Londres. (Selgas) (Cuervo s. ennegrecer) it. Accese il lume, e lo depose sulla grande tavola di quercia che nereggiava in fondo alla stanza. (Deledda) (VIT s. nereggiare) it. Nereggiavano i nembi nel cielo. (Devoto/Oli s. nereggiare) – [chaleur] fr. Laisser le rôti, les alouettes noircir dans le four. (GR s. noircir) – [feu] fr. La fumée a noirci les murs. (PR et GR s. noircir) esp. Una mañana, Raúl advirtió una gran humareda que cegaba la falda del Tibidabo, y al día siguiente pudo ver la huella del incendio negreando una vaguada todavía humeante, como braseada. (Seco s. negrear) esp. El incendio había ennegrecido el techo de la casa. (Salamanca s. ennegrecer) esp. Las paredes se ennegrecían con el humo. (Salamanca s. ennegrecer) it. pareti annerite dal fumo (VIT s. annerire) La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 17 2.7.3 [coloration intrinsèque naturelle (sous l’effet du vieillissement)] fr. Ce tableau a noirci en vieillissant. (GR s. noircir) fr. [en parlant d’un tableau ou de ses couleurs] ‘foncer en vieillissant’ La couleur de cette magistrale peinture a noirci surtout dans les ombres, mais n’a rien perdu de son harmonie. (Gautier) (TLF s. noircir) fr. Les grosses et basses colonnes en pierre gris bleu qui les soutiennent. Au dehors, elles sont noircies par le temps. (Michelet) (TLF s. noircir) fr. Il vit là désormais, sur le haut de son aire,dans le donjon moussu, qu’ont noirci tour à tour les hivers, les étés, la pluie et le tonnerre. (Leconte de Lisle) (GR s. noircir) it. Certi metalli esposti all’umidità (s’)anneriscono a poco a poco. (VIT s. annerire) esp. Producen [los rayos catódicos] efectos químicos; ennegrecen las placas fotográficas. (Seco s. ennegrecer) 2.7.4 Contre-exemples fr. noircir des poutres, du chêne (GR s. noircir) esp. ¿Quién ennegreció el oro? (Seco s. ennegrecer) 2.8 ORANGE 2.8.1 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. champs de neige dorés, orangés par le soleil, ou d’un bleu profond et froid (Daudet, Tartarin Alpes, 1885:95) (TLF s. oranger) 2.9 ROUGE 2.9.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. rougir et peler après un coup de soleil (PR s. rougir) it. La lunga esposizione al sole gli aveva arrossato la pelle; pelle arrossata (VIT s. arrossare) fr. un gros vieux homme ardent, essoufflé, qui rougeoyait comme une forge (GR s. rougeoyer) fr. rougir facilement; Elle rougissait comme une jeune fille. (Zola) (PR s. rougir) fr. loc. rougir jusqu’aux yeux, jusqu’au blanc des yeux, jusqu’aux oreilles (PR s. rougir) fr. rougir brusquement (PR s. rougir) fr. rougir de colère, de honte, de confusion, d’orgueil, de plaisir (PR s. rougir) esp. Andrés enrojeció de colera. (Seco s. enrojecer) it. arrossire dalla vergogna; arossire per modestia, per pudore, per l’emozione, ecc. (VIT s. arrossire) fr. Le premier malheur est sans doute de rougir de soi-même. (Beaumarchais) (PR s. rougir) it. Ond’io sovente arrosso e disfavillo. (Dante) (VIT s. arrossare) it. Udendo così dire al marito, tutta di vergogna arrossò. (Boccaccio) (VIT s. arrossare) esp. Es muy pequeñita y enrojece de timidez. (Salamanca s. enrojecer) esp. El rostro se le enrojeció de vergüenza. (Salamanca s. enrojecer) esp. Estas últimas palabras hicieron enrojecer a Serrano. (Seco s. enrojecer) it. Le tue lodi mi fanno arrossire; è uno sfrontato, incapace di arrossire; non arrossisce di nulla. (VIT s. arrossire) fr. rougir la terre de son sang (PR s. rougir) esp. Aún se enrojece el cielo y la campiña con las póstumas gotas de su sangre. (Diego) (Cuervo s. enrojecer) it. Alcune gocce di sangue arrossavano la neve. (VIT s. arrossare) 18 Jörg Timmermann it. Del proprio sangue rosseggiar la sabbia . . . e al fin venir si mira. (Ariosto) (VIT s. rosseggiare) fr. Les yeux rougissent après avoir pleuré. (GR s. rougir) it. Aveva gli occhi arrossati per il lungo piangere. (VIT s. arrossare) esp. El frío te ha enrojecido la nariz. (Salamanca s. enrojecer) esp. Las manos se me han enrojecido de tanto aplaudir. (Salamanca s. enrojecer) esp. disciplinantes que se enrojecían los lomos con azotes despiadados (Sarmiento) (Cuervo s. enrojecer) esp. La blanca piel del pecho lampiño se le enrojecía en el cuello. (Aldecoa) (Cuervo s. enrojecer) it. Nel viso s’arrossì l’angel beato. (Ariosto) (VIT s. arrossire) – [animal] fr. Les écrevisses, les homards rougissent à la cuisson. (PR s. rougir) esp. carne con tendencia a enrojecer, pardear o amarillear (Seco s. pardear) esp. Seguíanlo en grupos los toros . . . adormilados los ojos, que enrojece, con repentino fuego, la furia. (Rivera) (Cuervo s. enrojecer) – [plante] fr. Le premier automne commençait à rougir et à détacher quelques feuilles. (Chateaubriand) (TLF s. rougir) fr. Les fraises, les fruits, les vignes rougissent. (TLF s. rougir) esp. Rojean las amapolas entre el trigo. (Moliner s. rojear) esp. Los ácidos son compuestos que . . . enrojecen la tintura azul de tornasol. (Seco s. enrojecer). – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] fr. pierrerie qui rougeoie (TLF s. rougeoyer) fr. La pierre [l’escarboucle] pouvait changer de couleur! Noire au début, elle rougissait ensuite, jaunissait avant de trouver la véritable blancheur. (Caron) (TLF s. rougir) 2.9.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. Le donjon [d’Ellbagen] rougissait du dernier rayon de soleil, lorsque je l’aperçus du grand chemin. (Chateaubriand) (TLF s. rougir). fr. La lumière du couchant rougit la campagne. (PR s. rougir) esp. Le parecía que el cielo, al clarear, se enrojecía. (Seco s. enrojecer) it. Il tramonto arrossava le cime dei monti. (VIT s. arrossare) fr. ciel couchant qui rougeoie (TLF s. rougeoyer) it. Il cielo rosseggiava a levante. (VIT s. rosseggiare) it. Il baglior della funerea lava, che di lontan per l’ombre rosseggia. (Leopardi) (VIT s. rosseggiare) it. Dal Libano trema e rosseggia su’l mare la fresca mattina. (Carducci) (VIT s. rosseggiare) esp. Y se alegran luego, y saltan sobre el fuego, que ya la noche va enrojeciendo, y cantan. (Jiménez) (Cuervo s. enrojecer) esp. El disco de la Luna se enrojece. (Zorrilla) (Cuervo s. enrojecer) esp. Amos y siervos ya, no vencedores y vencidos, llegaron a la ribera del Gambia, cuyas ondas enrojecían las últimas llamaradas del incendio. (Isaacs) (Cuervo s. enrojecer) esp. Anochece; el hilo de la bombilla se enrojece, luego brilla, resplandece, poco más que una cerilla. (Machado) (Cuervo s. enrojecer) esp. . . . y, lentamente, el astro, inmenso como una cúpula, ante el asombro del toro y la fiera, rodó por las llanuras enrojeciéndose antes de ascender al azul. (Rivera) (Cuervo s. enrojecer) La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 19 – [chaleur] esp. No atices más la estufa, que ha enrojecido toda la placa y hace mucho calor. (Salamanca s. enrojecer) esp. A 150 grados el café verde enrojece; a doscientos, se vuelve marrón. (Seco s. enrojecer) – [feu] fr. métal qui rougit au feu (PR s. rougir) fr. rougir une barre de fer au feu (PR s. rougir) fr. D’autres halos d’incendie rougeoyaient de-ci de-là.( (Mart. du G.) (PR s. rougeoyer) esp. Un incendio enrojeció anoche el cielo de Madrid. (Salamanca s. enrojecer) fr. . . . feu, incendie . . . torche qui rougeoie (TLF s. rougeoyer) fr. La flamme des tisons rougeoya et bleuit et les faces des routiers bleuirent et rougeoyèrent. (Bertrand) (TLF s. rougeoyer) – [boisson de couleur naturelle] fr. Il suffit d’une goutte de vin pour rougir tout un verre d’eau . . . (Hugo) (GR s. rougir) 2.9.3 Contre-exemples esp. Enrojeció sus labios con carmín. (Clave s. enrojecer) 2.10 VERT 2.10.1 [couleur s’appliquant aux animés et aux entités naturelles] – [être humain] fr. Je vous jure, vous verdiriez, à la pensée de seulement entr’ouvrir la bouche! (Courteline) (PR s. verdir) it. Mi pare ch’egli inverdisca ogni giorni di più. (VIT s. inverdire) – [plante] fr. fr. fr. fr. fr. fr. dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs (Verlaine) (PR s. verdir) Des taches mouvantes de feuilles verdissaient les visages colorés.( (Zola) (PR s. verdir) Les feuilles verdoyaient aux branches des arbres. (Bourget) (PR s. verdoyer) . . . les taillis verdoient sur l’emplacement des forêts anéanties. (TLF. s. verdoyer) Si cette herbe est séchée, elle reverdira un jour. (PR s. reverdir) Purée de pois secs . . . au moment de servir, vous la verdirez avec un vert d’épinards. (Viard) (TLF s. verdir) esp. Los árboles empezarán a verdear dentro de poco. (Salamanca s. verdear) esp. La loma de la izquierda, según se entra por el carril, verdea por lo alto. (Seco s. verdear) esp. Los montes verdeguean más que de costumbre (Seco s. verdeguear) [annotation: on sousentend que c’est la végétation de la montagne qui verdit] esp. En España, las plantas empiezan a verdecer a finales de febrero. (Salamanca s. verdecer) esp. Sus sucesores comenzaron a levantar estos castillos, mitad pabellones de caza, mitad lugares de reposo, que nos asombraron hoy, en medio de este desierto que las lluvias abundantes de las últimas semanas han hecho verdecer. (Seco s. verdecer) esp. Las primeras lluvias reverdecerán los campos. (Salamanca s. reverdecer) esp. Queda [el guillomo] sin hojas durante el invierno y enverdece de nuevo al empezar la primavera. (Seco s. enverdecer) esp. Espejos verdes. Son los arrozales . . . los gráciles tallos que brotan lo enverdecen todo (Seco s. enverdecer) esp. El paisaje reverdece con la primavera. (Seco s. reverdecer) esp. Llovió tanto aquel invierno que . . . algun[o] de los hincos secos que limitaban la finca con alambre de espino enverdeció. (Seco s. enverdecer) 20 Jörg Timmermann it. it. it. it. it. it. In primavera, la natura inverdisce le piante/la campagna comincia a inverdire. (VIT s. inverdire) tuberi di patata inverditi (VIT s. inverdire) La campagna comincia a verdeggiare, gli alberi già verdeggiano quando il sol fa verdeggiare i poggi. (Petrarca). Di sotto a questi [alberi] verdeggiava un prato, nel qual sempre fioriva primavera. (Berni) Su la via che fra gli alberi Suburbana verdeggia. (Parini) (VIT s. verdeggiare) Anco il ciel de la terra s’innamora; Come già fece allor che’ primi rami Verdeggiâr. (Petraca) (VIT s. verdeggiare) Nelle porche uguali, come un velluto verdicava il grano. (Pascoli) (VIT s. verdicare) un rampollo di quercia viva sentir verdire (D’Annunzio) (VIT s. verdire) – [élément de la nature/du paysage: eau, pierre] fr. un fleuve . . . d’acier bleu, qui verdit à l’occasion et tourne au glauque (Arnoux) (TLF. s. verdir) fr. La mer . . . verdoie à l’infini comme un immense pré. (Heredia) (TLF s. verdoyer) 2.10.2 [source naturelle de la couleur] – [lumière] fr. Le ciel verdit. (TLF s. verdir) it. quando il sol fa verdeggiare i poggi (Petrarca) (Devoto/Oli s. verdeggiare) esp. El padre era más bajo que la señora; a aquella luz su sotana verdeaba. (Seco s. verdear) esp. La mar está iluminada por un sol grande cuya luz verdea las aguas. (Seco s. verdear) 2.10.3 [coloration intrinsèque] esp. Este amarillo verdea demasiado para mi gusto. (Salamanca s. verdear) 2.10.4 [coloration non-intentionnelle (sous l’effet du vieillissement)] fr. La soutane verdie et rapiécée. (Jouhand.) (PR s. verdir) fr. Il était vêtu d’une veste de panne verdie par de longs usages . . . (Châteaubriant) (TLF s. verdir) it. Indossava una tonaca stinta e inverdita. (VIT s. inverdire) fr. ces ponts, dont les toits verdissaient à l’œil, moisis avant l’âge par les vapeurs de l’eau (Hugo) (TLF s. verdir) esp. La pared va verdeando a causa de la humedad. (Salamanca s. verdear) it. Pentole di rame e tegami . . . verdicavano di solfato ormai. (Sciascia) (Devoto/Oli s. verdicare) 3. Les contre-exemples inventoriés ci-dessus méritent qu’on s’y arrête encore. Ne font-ils pas voler en éclats le bien-fondé de la formule de [couleur naturelle]? À cela, nous objectons les réflexions suivantes: Primo, les contre-exemples sont très loin d’être nombreux. Secundo, ces contre-exemples peuvent être rangés principalement dans deux catégories sémantiques qui, à leur tour, sont en relation étroite avec deux sous-catégories coiffées, quant à elles, par la notion de [couleur naturelle]. Il s’agit là notamment (1) d’emplois qui s’appliquent à la peinture [des maisons,bâtiments,murs,parois etc.]: – fr. 34 Un matin, Alain était allé chez un voisin blanchir le plafond de la cuisine.34 (TLF s. blanchir) Il s’agit là d’un extrait de Van der Meersch Invasion 14, 1935:160. La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 21 – esp. En este pueblo existe la costumbre de azular el zócalo de las paredes de las casas. (Salamanca s. azular) Ces emplois plongent, à nos yeux, leurs racines dans des expressions telles que blanchir un mur à la chaux (cf. PR et GR s. blanchir) et esp. blanquearon la pared con cal (Vox), expressions qui, quant à elles, évoquent l’idée de la chaux35, c’est-àdire d’une couleur naturelle. (2) d’emplois qui confèrent aux humains une couleur artificielle (soit par maquillage, soit par teinture des cheveux): – esp. esp. Enrojeció sus labios con carmín. (Clave s. enrojecer) Toutefois, les couleurs du maquillage ne sont pas forcément tapageuses et voyantes. S’il est vrai que les couleurs criardes avivent la monotonie des rues, il n’en est pas moins vrai que les femmes sont nombreuses à préférer des couleurs qui leur confèrent un aspect naturel. Dans ce cas-là, les exemples du type (2) s’inscrivent parfaitement dans l’idée de [couleur naturelle]. Toujours dans cette optique, mais cette fois-ci d’un point de vue historique, il est significatif de se rappeler qu’à l’origine les produits de toilette, bien avant de devenir industriels, étaient tirés directement de la nature. On est donc en droit d’avancer l’hypothèse selon laquelle ce serait justement à cette époque-là que la combinatoire syntaxique des verbes de couleur avec des substantifs référant aux produits de toilette serait passée dans l’usage. Par la suite, au fur et à mesure que l’industrialisation des produits de toilette va de pair avec un effet de plus en plus artificiel des couleurs de maquillage, cet usage se serait déjà irréversiblement inscrit dans la langue. De même, le soleil se lève encore de nos jours dans (toutes) les langues du monde qui perpétuent ainsi l’ancienne conception du monde géocentrique infligeant en même temps implicitement un démenti à la théorie héliocentrique aujourd’hui universellement admise. 3.1 Considérées dans la perspective que nous avons adoptée dans 3., les deux catégories de [couleur artificielle] ne manifestent qu’un élargissement partiel du concept de [couleur naturelle]. Conformément à la sémantique des prototypes cette observation se résume en ces mots: si les emplois obéissant à la notion de [couleur naturelle] correspondent, métaphoriquement parlant, au centre de sémantique des verbes de couleur, les emplois conformes à la notion de [couleur artificielle] se situent à leur périphérie36. 35 Cf. également fr. chauler ‘enduire de chaux, blanchir à la chaux’, chauler un mur (PR); esp. encalar ‘dar ‹una persona› cal a [una cosa]’: Encaló las paredes de la habitación. (Salamanca). 36 Soit dit en passant que les notions de centre et de périphérie qui, de nos jours, font partie intégrante de la théorie des prototypes, remontent à leur tour à l’école de Prague (cf. à titre d’exemple Dane 1966). 22 Jörg Timmermann 3.2 On n’est d’ailleurs pas sans constater une corrélation très marquante entre la marginalité morphologique et l’irrégularité sémantique. Que l’on pense, quant au français, à -er et aill-er (cf. respectivement les contre-exemples de bleuter (2.3.4), griser et grisailler (2.5.3). 4. Après avoir mis en évidence, dans le paragraphe précédent, la base sémantique et cognitive commune aux verbes de couleur, le moment est venu d’intervertir la perspective: en quoi les synonymes se distinguent-ils sémantiquement? Toutefois, vu la richesse de leur morphologie, ce serait une tâche beaucoup trop épineuse que de vouloir arriver à une différenciation complète de tous les synonymes en question. Par conséquent, il ne peut s’agir, en l’occurrence, que de jeter la lumière sur quelques structures-clé: 4.1 Du point de vue stylistique, les verbes de couleur ne se situent pas au même niveau: si leur majorité appartient à la langue standard, les verbes qui relèvent d’un niveau stylistiquement marqué sont loin d’être absents. Le plus souvent, nous sommes en présence d’une corrélation entre forme et fonction: 4.1.1 Pour commencer, en français, tous les verbes de couleur en -ir appartiennent à la langue standard. Les verbes en -oyer, en revanche, ne sont pas homogènes: si verdoyer reflète (plus ou moins) la langue standard, blanchoyer, blondoyer et rougeoyer sont marqués que ce soit au niveau diachronique (cf. TLF s. blanchoyer: «Vieilli») ou diaphasique (cf. TLF s. rougeoyer: «Littér.»; cf. GR et TLF s. blondoyer: «Littér.» et «Rare»). Dans leur ensemble, à l’exception de grisonner, les verbes en -er ne sont pas conformes à la langue standard: grisailler est placé, dans le PR, sous la catégorie «vx» (= vieux). – Bleuter représente une lexie «Rare et techn.» (TLF) ou «Techn.» (GR). – Si griser – dans l’acception ‘rendre gris’ – n’est marqué ni dans le GR ni dans le TLF, l’absence de ladite acception dans le PR nous invite à y voir également une lexie rare37. Sur oranger les dictionnaires ne sont pas unanimes: si le GR le classe comme «Rare», ce lemme n’est accompagné d’aucune marque dans le TLF. 4.1.2 L’homogénéité synchronique et symphasique des verbes français en -ir trouve son équivalent en espagnol dans les verbes parasynthétiques en [em/en + adjectif + ecer] qui relèvent, à une exception près (cf. en(a)marillecer)38, de la langue standard. – En revanche, en dehors de negrecer39, les verbes en -ecer sans 37 À cela s’ajoute que l’acception ‘devenir gris’, présentée uniquement dans le GR, y est considérée comme vieille. 38 Cf. Moliner: la mise en italique de la définition de ce lemme indique qu’il s’agit là d’une unité «no usual». 39 Toutefois, l’absence de negrecer dans le Salamanca est un premier indice pour sa position marginale par rapport à la langue standard. La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 23 préfixation sont tous marqués diaphasiquement: amarillecer [(raro) Seco], blanquecer [RESTRINGIDO Salamanca], verdecer [RESTRINGIDO Salamanca]40. À l’intérieur de la série en -ear nous rencontrons – à côté des verbes appartenant à la langue standard tels que amarillear, azulear, blanchear, pardear et verdear – deux verbes d’usage restreint, à savoir negrear [RESTRINGIDO Salamanca] et rojear [RESTRINGIDO Salamanca]. Le seul verbe en -ar, soit azular, est, lui aussi, flanqué de cette dernière marque et le seul verbe en en+adjectif+ir, soit enverdir, est pourvu de la marque (ant.) (cf. Moliner)41. On notera ici l’heureuse interdépendence entre périphérie morphologique et marginalité stylistique. Pour ce qui est des verbes en en + adjectif + ar (cf.enrojar et enrubiar),leur niveau stylistique est également en correlation étroite avec des paramètres morphophonologiques:Au dire de Serrano Dolader 1995:86s., cette série privilégie entre autres les bases en -io (cf. rubio). Pour cette raison, enrubiar est bien intégré dans ce paradigme (c.-à-d. sans marque d’ordre diasystématique) tandis que enrojar se trouve, à son tour,substitué par enrojecer.Les dictionnaires qui,en règle générale,n’attestent presque aucune trace de enrojar42, confirment cette dernière observation. 4.1.3 Étant donné qu’en italien la correspondance entre forme et niveau stylistique (fonction) est beaucoup plus notoire qu’en français et en espagnol, nous sommes dans une situation très privilégiée: appartient à la langue standard toute la série des verbes formés 1) à partir de -eggiare et 2) à partir de im/in + adjectif + ire, 3) les trois représentants en a + adjectif + ire (abbrunire, annerire et arrossire) et 4) les trois exemplaires en a + adjectif + are (abbrunare, annerare et arrossare43). – En revanche, tous les verbes en -icare et -ire relèvent, selon le VIT44, d’un style littéraire (soit biancicare [lett.], rossicare [lett. o raro], verdicare [ant. o poet.] – bianchire [ant.], verdire [ant. o poet.]). – Il y a hétérogénéité parmi les séries en -are et in/im + adjectif + are (azzurrare vs biancare [ant.] – inazzurare, imbiancare vs im40 Ces résultats se trouvent en conformité avec Serrano Dolader 1995:83: «Es cierto que este tipo de formaciones [i.e. blanquecer, verdecer, clarecer et negrecer] también es poco frecuente en el español actual, que prefiere otras posibilidades derivativas (blanquear, aclarar, añilar, ennegrecer, enrojecer) . . . » 41 Cette caractérisation correspond à celle de Serrano Dolader 1995:100. 42 Noter que enrojar est lemmatisé chez Moliner. 43 Pour différencier arrossare d’arrossire Dardano 1978:37 invoque des paramètres stylistiques (qui, à en croire le VIT, ne jouent pas ici) et référentiels sans préciser lesquels il veut faire intervenir: «Si possono tuttavia ritrovare differenze relative al campo di applicazione, e al livello stilistico. In tal senso agiscono anche differenze di coniugazione: arrossare – arrossire, ammollare – ammollire». 44 Pour ce qui est du marquage diasystématique des verbes de couleur dans le GDIU, il est curieux que ce nouveau dictionnaire fasse preuve ici d’une parcimonie poussée jusqu’à l’extrême: parmi la quarantaine de verbes de couleur qu’il lemmatise, il n’y a que rossicare et riverdicare qui sont accompagnés d’une marque diasystématique («lett.»). En conséquence, il nous semble préférable de nous baser exclusivement sur les données du VIT. Malheureusement, cette voie ne nous permet pas de tenir compte ici des verbes de couleur uniquement inventoriés dans le GDIU (à savoir rossarsi, ingrigiare, innerare, biondeggiare, bruneggiare, biondire, giallire et nericare). 24 Jörg Timmermann biondare [forma letter. e poco com. per imbiondire], ingiallare [forma ant. e letter. per ingiallire]). 4.2 Au niveau syntaxique, à la lumière de la distinction entre transitif et intransitif, nous arrivons à délimiter plusieurs verbes, voire des séries tout entières. 4.2.1 Si, en français, la plupart des verbes se prêtent aussi bien à la transitivité qu’à l’intransitivité – c’est le cas pour toute la série en -ir (cf. Wandruszka 1976:82)45 de même que pour grisailler et grisonner – la série des verbes en -oyer est exclusivement intransitive. – En revanche, bleuter, griser et oranger ne s’emploient que transitivement. 4.2.2 Conformément au français, l’italien accuse également une isomorphie très salutaire entre séries morphologiques et emploi syntaxique46: Sont exclusivement intransitifs les verbes en -icare. Les verbes en -eggiare connaissent sans exception un emploi intransitif47. – En revanche, les verbes en -are impliquent nécessairement la transitivité. – Toute la série en im/in + adjectif + ire s’applique à son tour aussi bien à la transitivité qu’à l’intransitivité48 et les verbes en in + adjectif + are ont tendance à permettre également les emplois transitif et intransitif (à l’exception de inazzurrare et innerare [verbes transitifs] et ingrigiare [verbe intransitif])49. Le peu de verbes restants échappent à toute régularité. 4.2.3 Contrairement au français et à l’italien, l’espagnol ne permet pas d’observer une corrélation constante entre les séries formelles d’un côté et les traits ‘transitivité’ et ‘intransitivité’ de l’autre (Pena 1993:244; pour les verbes en -ear cf. Thiele 1993:186)50. Ainsi, à en croire les lexicographes51, dans la série des verbes 45 Si, toutefois, Wandruszka n’impute à blondir qu’un emploi exclusivement intransitif, le PR, pour ne citer qu’un seul dictionnaire, réfute cette interprétation. 46 Nos données reposent sur le GDIU et le VIT. 47 Ce qui ne veut nullement dire qu’ils s’emploient, à l’instar des verbes en -icare, exclusivement comme verbes intransitifs. Selon le GDIU, biancheggiare, nereggiare, rosseggiare et verdeggiare connaissent également un emploi transitif. À noter que ces données réfutent (du moins en partie) Dardano 1978:34 (cf. N48). 48 À la lumière de ces résultats et de notre caractérisation des verbes en -eggiare (cf. N47), nous tenons à contredire Dardano 1978:34: «Non raramente dalla stessa base si ha un V -eggiare e un parasintetico: biondeggiare – imbiondire . . . Il primo termine della coppia ha i tratti [+ eventivo] e [– fattitivo]; il secondo ha i tratti opposti (corrispondentemente si ha l’opposizione intr./tr.)». 49 C’est dire que l’opposition ‘transitif’ – ‘intransitif’ («[+ fattitivo]» – «[+ eventivo]») que Dardano 1978:37 prétend rencontrer dans les couples du type imbiancare – biancheggiare est également chimérique. 50 Si, dans cette optique, pour Serrano Dolader 1995:95 les verbes non préfixés en -ecer accusent une tendance à l’intransitivité – comme contre-exemple qui permet également la transitivité il ne cite que blanquecer – son analyse qui part du DRAE trouve encore un démenti: amarillecer tr. et intr. (cf. Seco). Ne restent donc plus, dans cette série, que deux verbes exclusivement intransitifs, soit negrecer et verdecer. 51 Ici, nous nous sommes basés sur Moliner et Seco. La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 25 en -ear, nombre de verbes s’emploient et transitivement et intransitivement (à savoir amarillear, blanquear, negrear et verdear) tandis que d’autres connaissent uniquement un emploi intransitif (à savoir azulear, pardear et rojear). Toutefois, à la lumière de la distinction entre ‘transitif’ et ‘intransitif’, apparaissent les oppositions suivantes: azular (tr.) vs azulear (intr.); blanquecer (intr. + tr.) vs emblanquear/ blanquecer/emblanquecer (tous tr.)52; negrear (intr. + tr.) vs negrecer + negreguear (intr.) vs ennegrecer (tr.); pardear (intr.) vs empardecer (intr. + tr.); rojear (intr.) vs enrojecer (intr. + tr.); amarillear (tr.) vs amarillecer (intr. + tr.) vs enmarillecer (intr.). 4.3 Toutefois, la corrélation entre séries formelles et fonction va en augmentant lorsque, à l’instar de Pena 1993:243s., deux critères supplémentaires entrent en jeu. Il s’agit là des paramètres ‘état’ et ‘phase imminente’. En fait, ces deux critères sont exclusivement inhérents aux verbes en -ear. Pour ne citer qu’un exemple: amarillear est susceptible d’être paraphrasé en «tener o mostrar color amarillo» (= ‘état’) ou en «tirar a amarillo» (= ‘phase imminente’). 4.4 Sur le plan sémantique, une frontière assez nette, semble-t-il, sépare les verbes «suffixés» (ou, selon notre terminologie: infixés et convertis) des verbes parasynthétiques, c’est-à-dire les séries espagnoles en -ar/-ear de celles en em/en + adjectif + ecer ainsi qu’en italien -eggiare de a/im/in + adjectif + are/ire. Cette opposition que nous empruntons à Reinheimer-Rîpeanu 1974:87 reposerait sur les critères [– éventif] vs [+ éventif] que l’auteur définit comme suit: Il existe des langues romanes où les dénominatifs suffixés s’opposent aux parasynthétiques formés à partir du même radical par ce que les premiers expriment l’état, la permanence d’un certain état, d’une certaine qualité, tandis que les seconds désignent le devenir, la modification de l’état, de la qualité. (Reinheimer-Rîpeanu 1974:87) Parmi les verbes de couleur, Reinheimer-Rîpeanu 1974:87 cite comme exemple: a) pour l’italien: «biancheggiare ‘apparire bianco alla vista, essere d’aspetto bianco, biancastro’ / imbiancare, imbianchire; rosseggiare ‘recare segni o reflessi tendenti a un color rosso vivo’ / arrossare ‘colorire di rosso, far diventare rosso’ ; biondeggiare / imbiondire . . . » et 52 Quant à l’exclusivité de la transitivité que les dictionnaires signalent à propos de emblanquecer et de ennegrecer, la méfiance est de mise: À signaler que Serrano Dolader a établi une loi de corrélation selon laquelle en principe tout verbe déadjectival transitif (causatif) est transposable à l’intransitif (inchoatif).Toutefois, dans le sens inverse (intransitif transitif) la loi n’est pas opératoire. Cf. Serrano Dolader 1995:94: « . . . dada la existencia de un verbo causativo deadjetival, es siempre posible expresar a través de ese mismo verbo (sea en su forma no pronominal, sea a través de una pronominalización) un proceso de valor incoativo. Lo dicho es válido sólo en la dirección señalada y no en la inversa». 26 Jörg Timmermann b) quant à l’espagnol: «negrear ‘mostrar una cosa la negrura que en sí tiene’ / ennegrecer; bermejear ‘mostrar una cosa color bermeja’, ‘tirar a bermejo’ / embermejar, embermejecer ‘ponerse bermejo’; blanquear / emblanquecer . . . »53. 4.4.1 Pour notre corpus, l’épreuve de la commutation nous signale que, dans la majorité des cas, cette opposition est bien placée: [– éventif]: Rojean Muestran color rojo las amapolas entre el trigo (Moliner s. rojear) [+ éventif]: A 150 grados el café enrojece se vuelve rojo a doscientos, se vueleve marrón (Seco s. enrojecer) 4.4.2 Cependant, les contre-exemples sont loin d’être absents: [+ éventif] au lieu de [– éventif]54: A medida que avanzaba la noche, el humo del tabaco iba azulando la atmósfera del casino. (Seco s. azular) Los árboles empezarán a verdear dentro de poco. (Salamanca s. verdear) La noche empezó a negrear.55 (Salamanca s. negrear) 4.4.3 Nous devons nous rendre à l’évidence: si Reinheimer-Rîpeanu s’est engagée sur une bonne piste, elle risque en même temps, avec la généralisation par trop rapide des traits [+ éventif] et [– éventif], de s’écarter outre mesure de la réalité linguistique56. Par rapport à Reinheimer-Rîpeanu, la caractérisation des verbes en 53 On notera que le trait [+ éventif] dans les verbes du type emblanquecer et imbianchire est en étroite corrélation avec leur morphologie. Primo, le préfixe in- marque la direction d’un mouvement et cadre, de ce fait, bien avec l’idée d’un devenir ou d’une modification. Secundo, le suffixe inchoatif du latin -esc- servant à marquer le début (d’une action) a laissé ses traces dans les verbes en -ecer et -ire (cf. esp. emblanquecer et it. imbianchisce). Si pourtant en espagnol, cette fonction inchoative est encore vivante, elle a fini par s’estomper en italien (comme d’ailleurs en français, cf. nous finissons) (cf. Lausberg 1972:268s.). En résumé, il n’y a rien d’étonnant à ce que lesdits verbes soient prédisposés au trait [+ éventif]. 54 Les exemples suivants correspondent au critère de la ‘phase imminente’, d’après Pena 1993:244s. 55 Dans cet ordre d’idées, il est peut-être révélateur que dans plusieurs contre-exemples les verbes que Reinheimer-Rîpeanu impute au trait [– éventif] se combinent avec des verba adiecta marquant le début (d’une action) et impliquant ainsi le trait [+ éventif]. Ces derniers confèrentils ce trait à l’ensemble de la périphrase? 56 C’est dire que les théorèmes de cette envergure exigent impérativement un corpus suffisamment important. Reinheimer-Rîpeanu 1974:86s. qui se base essentiellement sur les dictionnaires reconnaît cette problématique elle-même: «Vu que les dictionnaires ne donnent pas toujours une interprétation explicite des significations de tels verbes, il serait possible de les analyser également en fonction de l’opposition [+ action] – [– action].» Ainsi, à la lumière de cette distinction, le trait [+ action] serait inhérent aux verbes parasynthétiques tandis que [– action] caractériserait les verbes non-parasynthétiques. Cette distinction nous semble d’autant plus énigmatique qu’elle La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 27 -ear proposée par Pena 1993:243ss. fournit donc une description beaucoup plus adéquate. C’est que Pena dépasse, à juste titre, l’interprétation statique57 de ce paradigme verbal en lui attribuant, à l’aide du critère de la «phase imminente», également une composante dynamique. Cette finesse de description sémantique tient tout particulièrement au fait qu’il n’essaie pas, à l’instar de ReinheimerRîpeanu, de décrire d’emblée un ensemble trop vaste d’unités lexicales, c’est-àdire tous les verbes de couleur non-parasynthétiques à l’aide d’un seul paramètre mais qu’il se limite, au contraire, aux corrélations réellement décelables, même si celles-ci ne concernent qu’un seul paradigme verbal. 4.5 Rares sont les cas où les verbes de couleur se distinguent en fonction de leur extension (sémantique ou réferentielle). S’il est vrai que la plupart de ces verbes sont disposés à désigner toute couleur qui rentre dans la catégorie de [couleur naturelle], ceux dont l’aire de référence est encore plus rétrécie sont également de la partie. La conception des solidarités lexicales (cf. Coseriu 1967b) fournit une approche très favorable de leur description sémantique. Dans cet ordre d’idées, il est intéressant de noter que les solidarités lexicales répertoriées impliquent presque à l’exclusivité les concepts ‘rouge’ et ‘visage’58. Elles se réfèrent donc à la rougeur de la peau humaine. C’est le cas pour esp.59 enrubiar 60, sonrojar 61, sonrojear 62 et it. arrossire 63. – En revanche, esp. rojear 64 et enrojar 65 s’appliquent exclusivement aux choses. subsume sous le trait de [-action] un critère emprunté à Marchand 1969:156, critère qui, à notre avis, marque l’action, à savoir: «‘zum – machen’ «Subjekt macht Objekt zu dem [sic] was in dem Adjektiv ausgedrückt ist» (‘le sujet confère à l’objet ce que l’adjectif exprime’) (cf. ReinheimerRîpeanu 1974:64). D’après cette interprétation, il faudrait, pour ne citer qu’un exemple, ranger enrojecer (cf. El frío te ha enrojecido la nariz) sous les verbes caractérisés par le trait [– action]. Pourtant, cette caractérisation va à l’encontre de ce que Reinheimer-Rîpeanu 1974 expose à la page 87. 57 Cf. Pena 1993:244: «Pero hay dos rasgos aspectuales que tiene -e-a- y que no comparte con los demás derivados. Son los definidos como ‹tener o mostrar el color X› y ‹tirar al color X›. La primera definición es fácilmente identificable aspectualmente: indica un estado; la segunda, un poco más difícil de captar, se puede delimitar e identificar si se contrasta con la noción de estado . . . » [mise en relief: J.T.]. 58 Deuxièmement, nous rencontrons des solidarités lexicales verbales qui impliquent la pâleur du visage humain tels fr. pâlir, blêmir, esp. empalidecer et it. impallidire. Toutefois, ces verbes ne sont pas sur une seule et même balance avec les verbes cités ci-dessus. Plutôt que de dénoter une couleur, ils expriment l’absence de carnation. 59 Du point de vue onomasiologique, il faudrait placer parmi ces verbes déadjectivaux le verbe dénominal ruborizar, formé à partir de rubor. Cf. Moliner s. ruborizar: «1 tr. Causar rubor a alguien. prnl. Ponerse rojo por la vergüenza. 2 tr. y prnl. Avergonzar[se]». 60 Cf. Moliner: «Poner[se] rubio algo, particularmente el pelo». 61 Cf. Moliner: «tr. Hacer que una persona se ruborice . . . Ruborizar . . . prnl. Ruborizarse. Ponerse con la cara roja por efecto de la vergüenza. . . . tr. y prnl. *Avergonzar[se]». 62 Cf. Moliner: «tr. y prnl. Sonrojar[se]». 63 Cf. le VIT: «Diventare rosso in viso . . . per estens., sentire vergogna, aver pudore . . . ». 64 Cf. Moliner: «1 intr.Aparecer a la vista una cosa roja. 2 Tender una cosa al color rojo» [mise en relief: J.T.]. 65 Cf. Moliner: «tr. Poner roja una cosa». 28 Jörg Timmermann 5. En guise de conclusion, relevons d’abord que les verbes de couleur des trois langues romanes analysées ici se situent, sur le plan sémantique, dans la même lignée. Notre analyse a montré que leur sémantique se laisse subsumer grosso modo sous la formule de [couleur naturelle]. Ce résultat est loin de constituer une fin en soi. Étant donné sa concision, cette formule est d’une portée très didactique aussi bien pour la lexicographie66 que pour l’apprentissage et l’enseignement des langues étrangères. S’il est pourtant vrai qu’on rencontre plus d’un exemple qui entre difficilement dans la catégorie de [couleur naturelle], il est d’autant plus vrai que ce headword couvre la quasi-totalité de leurs emplois. Cette notion-clé permet d’en prédire la combinatoire syntagmatique de façon la suivante67: 1) L’emploi d’un verbe de couleur est toujours possible s’il désigne une couleur naturelle. Parmi ces verbes, il faut pourtant apprendre les restrictions de la combinatoire dues à des solidarités lexicales (cf. 4.5). 2) Si le verbe de couleur ne dénote pas une couleur naturelle, aucune généralisation n’est opératoire. Avec la règle 1) nous entrons dans le domaine de ce que nous proposons d’appeler «grammaire de la signification» (cf. Timmermann 2000b)68. Sous forme de synopse, 1) et 2) peuvent être représentés comme suit69: champ lexical champs de référence couleur naturelle VERBES DE COULEUR couleur artificielle Avec cette corrélation, le champ lexical des verbes de couleur se trouve en opposition avec le champ adjectival de la couleur dont les membres servent à désigner 66 Ceci est d’autant plus vrai que la plupart des dictionnaires ne signalent aucunement que les verbes de couleur s’appliquent de préférence aux couleurs naturelles. Citons à titre d’exemple la définition de rojear dans Moliner: «1 Aparecer a la vista una cosa roja . . . 2 Tender una cosa al color rojo». Pour une analyse détaillée de la lexicographie des verbes de couleur, cf. Timmermann 2002b. 67 À la lumière des résultats acquis dans le domaine du français, de l’espagnol et de l’italien, il serait intéressant d’étudier les verbes de couleurs en fonction de leurs champs de référence pour d’autres langues (cf. angl. to redden – to turn to red; all. röten – erröten – rot werden). 68 Dans cet ordre d’idées, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à d’autres travaux de l’auteur qui se rangent dans la même lignée (cf. Timmermann 1997, 2000a et 2000c). 69 Les flèches ininterrompue et interrompue symbolisent respectivement la constance et l’inconstance avec laquelle les verbes de couleur se prêtent à la référence d’un élément dudit champ de référence. La verbalisation des adjectifs de couleur en français, espagnol et italien 29 une couleur aussi bien naturelle qu’artificielle: fruits rouges – une voiture rouge; herbe verte – un chapeau vert etc.70 champ lexical champ de référence couleur naturelle ADJECTIFS DE COULEUR couleur artificielle La relation entre adjectif (jaune) et substantif (jaunissement) est-elle structurée d’une manière analogue? À l’évidence, dans le domaine des couleurs, rien n’est bonnet blanc et blanc bonnet (ou jus vert et vert jus). Une mer de couleurs, une mer de questions! Mais ne voyons pas rouge. Et ne broyons surtout pas du noir. Au travail! Münster Jörg Timmermann Bibliographie Études: Allen, A.S. 1981: «The Development of Prefixal and Parasynthetic Verbs in Latin and Romance. 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Les problèmes du centre et de la périphérie du système de la langue, Prague/Paris 70 Pour revenir à Coseriu: de quelle catégorie du développement les verbes de couleur participent-ils? Apparemment, il n’y a pas uniquement changement catégoriel (cf. conversion) comme Coseriu 1983:147 veut nous le faire croire. Il n’y a en aucun cas généralisation sémantique; c’est au contraire bien la direction inverse qui est en jeu ici d’après la formule suivante: adjectifs [couleur (naturelle + artificielle)] > verbes [couleur naturelle (et artificielle)]. À côté de la conversion et de la transposition, Coseriu devrait donc inscrire une troisième catégorie dans le cadre du «développement», catégorie que nous proposons d’appeler transposition à extension rétrécie (en opposition avec la transposition proprement dite que nous proposons d’appeler transposition à extension élargie) (cf. Timmermann 2002a:327). 30 Jörg Timmermann Dardano, M. 1978: La formazione delle parole nell’italiano di oggi (primi materiali e proposte), Roma Gather, A. 1999: «Die morphologische Struktur französischer und spanischer verbaler Parasynthetika», ZRPh. 115:79-116 Grossmann, M. 1988: Colori e lessico. Studi sulla struttura semantica degli aggettivi di colore in catalano, castigliano, italiano, romeno, latino ed ungherese, Tübingen Koch, P. 1996: «La sémantique du prototype: sémasiologie ou onomasiologie?», ZFSL 106:223-40 Kristol, A.M. 1978: Color. 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