Sur la standardisation constitutionnelle

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IXe Congrès Mondial de l’AIDC
LES DEFIS CONSTITUTIONNELS: GLOBAUX ET LOCAUX
16-20 juin 2014, Oslo.
Proposition pour l’Atelier n° 5
Sur la standardisation constitutionnelle
Jérémy Mercier1
« What’s past is prologue »
Shakespeare, The Tempest
0. Prémisse……………………………………………………………………………………....p.1
1. La justification de la standardisation constitutionnelle……………………………………...p.3
1.1. La réception internationale des droits fondamentaux…………………………………....p.4
1.2. Qu’est-ce qu’un standard ?................................................................................................p.5
1.3. L’incorporation des standards...........................................................................................p.7
1.4. Une standardisation constitutionnelle « en génération »………………………………...p.8
1.5. Les droits fondamentaux comme standard et paramètre de constitutionnalité dans la
jurisprudence de la Cour italienne……………………………………………………….p.9
1.6. La standardisation par la « transcription »……………………………………………..p.10
1.7. Le recours à la doctrine étrangère……………………………………………………...p.12
2. La standardisation comme moyen de justification du dialogue des juges…………………..p.14
2.1. L’argument rhétorique de la proportionnalité………………………………………….p.14
2.2. La proportionnalité comme paramètre fondamental du constitutionnalisme contemporain :
le standard et la standardisation des cultures constitutionnelles…………………….....p.15
2.3. Exemple d’un standard transconstitutionnel : la sécurité juridique…………………....p.16
2.4. La sécurité juridique : un standard performatif………………………………………...p.17
2.5. Un argument de relative autorité régulatrice...................................................................p.18
0. Prémisse
Serions-nous entrés dans un monde de standards ?2 Et pourrait-on, si tel était le cas, en dire
autant en ce qui concerne le droit constitutionnel ? Les mutations du droit constitutionnel
contemporain semblent fort correspondre à un tel mouvement. Il en va ainsi du courant
1
[email protected] | Doctorant en droit public, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER).
Centre de Théorie et Analyse du Droit, Université Paris Ouest Nanterre (France). Thèse en cours sur le
néoconstitutionnalisme sous la direction du Professeur Pierre BRUNET (France) et Pierluigi CHIASSONI
(Italie).
2
BRUNSSON, Nils & JACOBSSON, Bengt, A World of Standards, Oxford, Oxford University Press, 2002.
1
contemporain que l’on qualifie de « néoconstitutionnalisme » (de l’italien
« neocostituzionalismo » 3 , de l’espagnol « neoconstitucionalismo » 4 et de l’anglais « new
constitutionalism » en dépit d’une acception plus large du terme5) en ce qu’il consiste en une
nouvelle théorie constitutionnelle justifiant la coopération entre juridictions et le dialogue des
juges 6 , sous la forme d’un « cercle constitutionnel commun » 7 à protéger reposant sur un
ordre de valeurs fondamentales 8 . Ce dernier est ainsi composé de principes 9 et de droits
3
Le terme italien « neocostituzionalismo », traduit en français par « néoconstitutionnalisme », fut forgé par
l’École de Gênes, et notamment Mauro Barberis, Paolo Comanducci et Susanna Pozzolo, lors de son
intervention au XVIIIè Congreso Mundial de Filosofia juridica y Social, Buenos Aires-La Plata (Argentine), 1015 août 1997. Lire : Neoconstitucionalismo y especificidad de la interpretación constitucional, in « Doxa », 21,
1998, pp. 339-353 et Neocostituzionalismo e positivismo giuridico, Torino, Giappichelli, 2001. Du point
doctrinal, le “neocostituzionalismo” fait référence au noyau commun, dans les trois dernières décennies, aux
travaux notamment de Ronald Dworkin, Robert Alexy, Carlos Santiago Nino, Luigi Ferrajoli et notamment
Gustavo Zagrebelsky. Ce courant, et cette liste non exhaustive d’auteurs, est considéré comme l’expression d’un
« constitutionnalisme contemporain » ou d’un « nouveau constitutionnalisme » ; PRIETO SANCHIS, Luis,
« Neocostituzionalismo e ponderazione giudiziale », in Ragion Pratica, 10, 18, 2002, pp. 169-200 ; BARBERIS,
Mauro, « Neocostituzionalismo , democrazia e imperialismo della morale », in Ragion Pratica, 7, 14, 2000, pp.
147-162 ; SCHIAVELLO, Aldo, « Neocostituzionalismo o neocostituzionalismi ? », in “Diritto e questioni
publiche”, n°3, 2003.
4
CARBONELL, Miguel, (ed.), Neoconstitucionalismo(s), Madrid, Trotta, 2003, 286 pages ; Id., Teoria del
neoconstitucionalismo. Ensayos escogidos, Madrid, Trotta, 2007, 336 pages & Id. (ed.), El canon
neoconstitucional, Bogotá, Universidad Externado de Colombia, 2010, 660 pages.
5
STONE SWEET, Alec, Governing with judges. Constitutional politics in Europe, Oxford, Oxford University
Press, 2000 ; HIRSCHL, Ran, Hirschl, Towards Juristocracy. The origins and consequences of new
constitutionalism, Cambridge, Harvard University Press, 2004, selon lequel le « new constitutionalism »: « can
be more productively analyzed in terms of an interest-based hegemonic preservation approach – that is judicial
empowerment through the constitutionalization of rights and the establishment of judicial review is often a
conscious strategy undertaken by threatened political elites seeking to preserve or enhance their hegemony by
insulating policy-making form popular political pressures, and supported by economic and judicial elites with
compatible interests…. » (p.99).
6
L’expression se trouve déjà dans les conclusions du Président Bruno GENEVOIS sous l’arrêt d’Assemblée du
Conseil d’État, « Ministère de l’intérieur c/ Cohn-Bendit », 6 décembre 1978 ; DE GOUTTES, Régis, « Le
dialogue des juges », Colloque du cinquantenaire du Conseil Constitutionnel, 3 Novembre 2008 ;
SLAUGHTER, Anne-Marie « A Typology of Transjudicial Communication », University of Richmond Law
Review, vol. 29, 1994, p.99 ; DE VERGOTTINI, Giuseppe, Au-delà du dialogue entre les cours. Juges, droit
étranger, comparaison, trad. de l’italien et présenté par Jean-Jacques Pardini, Paris, Dalloz, coll. “Rivages du
droit”, 2013, p.59 : « c’est dans ce contexte que s’est affirmé le thème du dialogue entre les juges » ;
ROSENFELD, Michel « Repenser l’ordonnancement constitutionnel à l’ère du pluralisme juridique et du
pluralisme idéologique », in RUIZ FABRI, Hélène & ROSENFELD, Michel (dir.), Repenser le
constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, Paris, Société de législation comparée,
« coll. de l’UMR de droit comparé de Paris (Université de Paris 1 / CNRS – UMR 8103) », vol. 23, 2010, p. 106.
7
ZAGREBELSKY, Gustavo, “Jueces constitucionales”, in CARBONELL, Miguel, Teoria del
neoconstitucionalismo, cit., p. 91-92.
8
Trait caractéristique du constitutionnalisme contemporain, cette vocation est mise en évidence par Pierre
BRUNET, «La constitutionnalisation des valeurs par le droit», in HENNETTE-VAUCHEZ, Stéphanie &
SOREL Jean-Marc (dir.), Les droits de l'homme ont-ils «constitutionnalisé le monde» ?, De Boeck, 2011, pp.
283-302 ; Luc HEUSCHLING, « La Constitution formelle », in TROPER, Michel, CHAGNOLLAUD,
Dominique (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Dalloz,
Paris, 2012, p.292.
9
On reprend ici le sens général des « principes » expliqué par Riccardo GUASTINI sous leur trois acceptions :
1) comme « norme qui caractérise le système juridique en question », 2) comme « norme qui donne un
fondement axiologique (une justification éthico-politique) à une pluralité d’autres normes appartenant au même
système » et 3) comme « norme qui n’exige à son tour aucun fondement, aucune justification éthico-politique,
car elle est conçue, dans la culture juridique existante, comme une sorte d’ « axiome », c’est-à-dire une norme
évidemment « juste » ou « correcte » » : GUASTINI, Riccardo, « Les principes de droit en tant que source de
perplexité théorique », in Les principes en droit, sous la direction de Sylvie Caudal, Economica, Paris, 2008,
pp.114-115.
2
fondamentaux qui servent à favoriser la convergence dans l’interprétation des normes
constitutionnelles par les juges 10 , mais qui sont aussi utiles, en un second temps, pour
permettre une standardisation progressive des normes constitutionnelles. Ces mutations
contemporaines impliquent donc une progressive dénationalisation du droit constitutionnel11
au profit d’un constitutionnalisme transnational 12 fait d’influences 13 et de recours au droit
comparé. D’un même mouvement, ce nouveau constitutionnalisme entend refléter, dans ses
articulations doctrinales, le processus de réception interne des standards internationaux en
matière de droits fondamentaux14. A ce titre, par un tel processus de redynamisation de l’État
constitutionnel de droit15 et du rôle du juge constitutionnel, c’est bien le dialogue16 ou, pour
reprendre une analyse du professeur Christopher McCrudden, la conversation des juges17 qui
joue un rôle fondamental comme justification d’une certaine standardisation constitutionnelle
(I) qui est aussi un moyen de justification notamment autour d’un standard commun
d’interprétation (la proportionnalité) et de décision (la sécurité juridique) (II).
1. La justification de la standardisation constitutionnelle
10
ZAGREBELSKY, Gustavo, La giustizia costituzionale, Bologna, Il Mulino, 1988, pp. 36-37 : “La justice
constitutionnelle (...) constitue l’indice le plus significatif de la formation progressive d’un “idem sentire
costituzionale”, d’un droit constitutionnel commun dont les jurisprduences de la Cour internationale de justice,
comme celles de la Cour eurpoéenne des droits de l’homme et de la Communauté européenne sont souvent
l’expression. Si ce phénomène est la conséquence de la communauté des conditions politiques, économiques et
culturelles fondamentales de nombreux pays, surtout sur le continent européen et dans l’Amérique
septentrionale, il est indéniable que la diffusion de la justice constitutionnelle ait contribué à son tour à la
convergence dans la façon d’aborder et de résoudre juridiquement dans de tels contextes les problèmes les plus
élevés de la vie en commun sociale et politique”.
11
ZUMBANSEN, Peer, « Carving out typologies and accounting for differences across systems : towards a
methodology of transnational constitutionalism », in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras, The Oxford
Handbook of comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, pp. 75-97.
12
JACKSON, Vicki C., Constitutional engagement in a Transnational Era, not. chap. 2 « Convergence with the
transnational », New York, Oxford University Press, 2010, pp.39-70 ; ROSENFELD, Michel, « Repenser
l’ordonnancement constitutionnel à l’ère du pluralisme juridique et du pluralisme idéologique », in RUIZ
FABRI, Hélène & ROSENFELD, Michel (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et
de la privatisation, cit., p.137, s’agissant de l’affaire CEDH Handyside c. Royaume Uni, req. n°5493/72, 7 déc.
1976 : « conformément à cet état des choses, un outil d’ordonnancement constitutionnel qui accomoderait un
degré signifiant de dissonance et de non-conformités entre parties constituantes d’un ordre constitutionnel
transnational superposé ne serait pas seulement acceptable : il serait en réalité préférable, tant pour des raisons
pluralistes que pour des raisons pragmatiques. », mais encore p.142 à propos de « l’arène constitutionnelle
transnationale ».
13
GROPPI, Tania & PONTHOREAU, Marie-Claire, The use of foreign precedents by constitutional judges,
Oxford-Portland, Hart Publishing, 2013 ; ROSENFELD, Michel & SAJO, Andras, The Oxford Handbook of
comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.14.
14
L’arrêt du Tribunal fédéral de Suisse du 26 juillet 1999, 1A. 178/1998, 1A. 208/1998, A. c. Ministère public
fédéral, Département fédéral de justice et police et Conseil fédéral, relatif à un conflit entre des dispositions de
la loi fédérale d’organisation judiciaire et les exigences de la CEDH en est une illustration.
15
ZAGREBELSKY, Gustavo, Fragilità e forza dello Stato costituzionale, Napoli, Editoriale scientifica, 2006.
16
SOREL, Jean-Marc, « La constitutionnalisation du droit international : conflits et concurrence des sources du
droit? : fausse querelle, mais vraies questions », in RUIZ FABRI, Hélène & ROSENFELD, Michel, Repenser le
constitutionnalisme à l’ âge de la mondialisation et de la privatisation, Paris, Société de législation comparée,
2011, p.32 ; L’HEUREUX-DUBE, Claire, « The Importance of Dialogue : Globalization and the International
Impact of the Rehnquist Court », Tulsa Law Journal, vol.34, 1998, p.17, montre en particulier comment les juges
participent activement à ce dialogue.
17
MCCRUDDEN, Christopher, « Common Law of Human Rights? Transnational Judicial Conversations on
Constitutional Rights », in Oxford Journal of Legal Studies, vol 20, n°4, 2000, p. 499-532.
3
1.1. La réception internationale des droits fondamentaux
Pour veiller à la protection des droits, le courant du constitutionnalisme contemporain
revalorise l’idée et la notion de constitution à l’aune de principes internationalement reconnus
en matière de droits fondamentaux18. Un processus de déhiérarchisation, de dénationalisation
et de perte du sens normatif des constitutions au niveau interne (que Paolo Grossi nomme, par
exemple, la crise du « monopole juridique de l’État »19), est alors compensé par un processus
de réception internationale 20 de certaines normes considérées comme supérieures,
fondamentales et donc indérogeables : les droits fondamentaux21, c’est-à-dire les droits de
l’homme 22 . Ces derniers doivent être inclus dans les constitutions selon un idéal-type
universel, en tant que principes 23 qui sont, selon l’impératif de l’État constitutionnel déjà
formulé par Peter Häberle, de véritables valeurs directrices24. Pour pouvoir être à leur niveau
optimum de protection et de garantie contemporaine des droits fondamentaux, les États
doivent enchâsser leurs constitutions dans des impératifs établis par les conventions
internationales, ce que l’on nomme aussi l’exigence de « l’État constitutionnel coopératif »25.
Ils doivent donc accueillir les standards internationaux reconnus – l’expression est par ailleurs
utilisée à très juste titre par la Commission de Venise pour la démocratie par le droit - afin que
leur droit constitutionnel corresponde au droit contenu dans les conventions internationales
sous au moins deux entrées : 1) la référence aux droits fondamentaux et 2) la réciprocité
transnationale en matière d’interprétation. A titre d’exemple, la Cour constitutionnelle
italienne, dans son arrêt n°388, §2-1, du 13 octobre 1999, n’a pas manqué de rappeler que les
droits de l’homme protégés par la constitution et garantis par les conventions internationales
18
VON BOGDANDY, Armin « Comparative constitutional law : a contested domain », in ROSENFELD,
Michel & SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, cit., 2012, p.31 : « The
opening of national legal orders to supra- and international law, especially the law of the European Union and
perhaps also the ECHR, has triggered a process of change, not only in national constitutional law, but also in its
scholarship. Many believe that national constitutional law has even entered a new era ».
19
GROSSI, Paolo, « Globalizzazione, diritto, scienza giuridica », in GROSSI, Paolo, Societa, Diritto, Stato. Un
recupero per il diritto, Milano, Giuffrè, 2006, §5, p. 288.
20
PFERSMANN, Otto, in La science du droit dans la globalisation, sous la direction de Jean-Yves Chérot et
Benoît Frydman, Bruxelles, Bruylant, coll. « Penser le Droit », 2012.
21
PECES-BARBA, Gregorio, Théorie générale des droits fondamentaux, Droit et société, vol.38, 2003 ;
CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, « La théorie générale de l’État est aussi une théorie des libertés
fondamentales », revue Jus Politicum, n°8, 2012.
22
L’exemple d’une telle diffusion jurisprudentielle est mis en évidence dans PONTHOREAU, Marie-Claire,
Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris, Economica, 2010.
23
DWORKIN, Ronald, A Matter of Principle, Cambridge (Mass.) - London, Harvard University Press, 1985 ;
Pour un examen théorique : FERRAJOLI, Luigi, Principia Iuris. Teoria del diritto e della democrazia, 2 vol.,
Roma-Bari, Laterza, 2007 (vol.1, « Teoria del diritto », 1021 pages – vol.2, « Teoria della democrazia », 713
pages) & CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, « Production et sens des principes: relecture analytique », in
Diritto e questioni pubbliche, n°11/2011, pp.38-57.
24
HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, texte traduit par Marielle Roffi, révisé et édité par Constance Grewe,
Paris, Economica, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, coll. « Droit public positif », en particulier p. 158-159
sur les « valeurs directrices ». Mais aussi en Italie pour reprendre un thème fameux à Antonio BALDASSARE,
« Costituzione e teoria dei valori », in Politica del diritto, 1991, pp. 639 et ss.; « Interpretazione e
argomentazione
nel
diritto
costituzionale »,
in
Costituzionalismo.it.
(http://www.costituzionalismo.it/docs/Interpretazione-Baldassarre.pdf). On ne peut que se référer aux excellentes
critiques qu’en ont fait Riccardo GUASTINI (« Sostiene Baldassare », in Giurisprudenza costituzionale, 2007, 2,
pp. 1373-1383) autant que Aljs VIGNUDELLI, « Valori fuori controllo? Per un’analisi costi/benefici d’un topos
della letteratura costituzionalistica contemporanea », Lo Stato, n. 1 (2013), pp. 71-116.
25
HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, cit., pp.63-69.
4
doivent être interprétés à la lumière des interprétations établies en matière européenne. Car,
comme le précise l’arrêt, « au-delà des catalogues de tels droits, les diverses formules qui les
expriment s’intègrent en se complétant réciproquement dans l’interprétation »26. Cet élément
de réciprocité dans l’interprétation permet de comprendre, par exemple, la justification selon
laquelle le droit doit être interprété à la lumière des standards européens et/ou internationaux.
De son côté, la Cour constitutionnelle de Colombie, très active, si ce n’est la plus active
encore aujourd’hui en matière de protection des droits fondamentaux, n’a pas manqué de
signaler, dans son arrêt n° T-426/92 en quoi il existe un « noyau essentiel des droits
fondamentaux » 27 si fortement ancré dans la Constitution qu’il en représente un ordre de
valeurs effectivement essentielles. Les droits fondamentaux sont devenus des standards
constitutionnels reçus du droit international et des conventions. Ils doivent non seulement être
réceptionnés dans les ordres constitutionnels internes mais encore promus comme des moyens
venant à l’appui de la justification d’un constitutionnalisme contemporain global.
1.2. Qu’est-ce qu’un standard ?
Mais en quel sens justement parle-t-on de “standard” et/ou de “standardisation”
constitutionnelle ? L’usage de ce terme mis en valeur par les travaux de Roscoe Pound28,
Ronald Dworkin29, Jerzy Wroblewski30, Neil MacCormick, Herbert L.A. Hart31, le fut aussi
en France dans la célèbre thèse du professeur Stéphane Rials. Ce terme sert à désigner
l’utilisation d’éléments de références tant comme des modèles à suivre – et tel est le cas
précisément en matière de droits fondamentaux et de leurs « buts éducatifs »32 – que comme
norme adoptée par l’usage selon des exigences de justice ou d’équité33 indépendamment des
26
Cour constitutionnelle italienne, sent. n°388, 13 octobre 1999, et notamment §2-1 : « Indipendentemente dal
valore da attribuire alle norme pattizie, che non si collocano di per se stesse a livello costituzionale (tra le molte
sentenze n. 188 del 1980 e n. 315 del 1990), mentre spetta al legislatore dare ad esse attuazione (sentenza n. 172
del 1987), è da rilevare che i diritti umani, garantiti anche da convenzioni universali o regionali sottoscritte
dall’Italia, trovano espressione, e non meno intensa garanzia, nella Costituzione (cfr. sentenza n. 399 del 1998):
non solo per il valore da attribuire al generale riconoscimento dei diritti inviolabili dell’uomo fatto dall’art. 2
della Costituzione, sempre più avvertiti dalla coscienza contemporanea come coessenziali alla dignità della
persona (cfr. sentenza n. 167 del 1999), ma anche perché, al di là della coincidenza nei cataloghi di tali diritti, le
diverse formule che li esprimono si integrano, completandosi reciprocamente nella interpretazione”.
27
« La interpretación y aplicación de la teoría del núcleo esencial de los derechos fundamentales está
indisolublemente
vinculada
al
orden
de
valores
consagrado
en
la
Constitución ».
(http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/1992/T-426-92.htm)
28
POUND, Roscoe, communication au congrès de l’American Bar Association, 1919. Cf. André TURC,
« Standards juridiques et unification du droit », in Revue internationale de droit comparé, vol. 22 n°2, avril-juin
1970, p. 248.
29
DWORKIN, Ronald, Taking Rights Seriously, ….trad. française, Prendre les droits au sérieux, pp. 70-105 ; on
retrouve cette idée abordée par Luc HEUSCHLING, « La Constitution formelle », in TROPER, Michel,
CHAGNOLLAUD, Dominique (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la
Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p.287
30
WROBLEWSKI, Jerzy, « Les standards juridiques : problèmes théoriques de la législation et de l’application
du droit ».
31
LETURCQ, Shirley, Standards et droits fondamentaux devant le Conseil constitutionnel français et la Cour
Européenne des Droits de l’Homme, préface de Thierry S. Renoux, L.G.D.J., p. 109, note 478.
32
HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, cit., p.155 « Objectifs éducatifs (droits de l’homme en tant que buts
éducatifs), « pédagogie constitutionnelle » et valeurs directrices ».
33
C’est ainsi que, par exemple, Frédéric SUDRE conçoit à son tour ce terme, in la Convention européenne des
droits de l’homme, PUF, 2004, p.47 : « la jurisprudence européenne traduit la recherche d’un délicat équilibre
5
spécificités propres aux ordres juridiques internes 34 . A son tour, Michel Rosenfeld utilise
justement le terme « standard », dans ses nombreuses études de droit comparé, pour désigner
un principe de résolution de conflits constitutionnels 35 mais encore un outil permettant de
mieux comprendre l’universalisme constitutionnel36. Les standards constitutionnels viennent
donc, à première vue, d’une constitutionnalisation des droits fondamentaux impliquant une
mutation du constitutionnalisme suivant d’intenses relations entre des ordres juridiques
différents37 ou selon une synergie constitutionnelle38, à savoir une relation coordonnée entre
deux ordres juridiques. Plus largement, le paradigme de la standardisation constitutionnelle
peut être décrit sous les diverses acceptions que l’on retient à propos de ce terme même de
« standard » : 1) élément de modèle et d’harmonisation ; 2) règle ou norme adoptée par
l’usage ; 3) principe de résolution universel de conflits et donc de régulation du système
constitutionnel. Ainsi, ce que l’on nomme la « standardisation constitutionnelle » correspond
donc à une réalité sous ces trois entrées, qui témoigne tant de la relation que de la
coordination jurisprudentielle. En effet, comme l’a notamment souligné le professeur Rials, la
standardisation permet de servir de référence à une conduite normative 39 en assurant plus
particulièrement une mission de légitimation du discours du juge pour réguler un système
donné. En effet,
Le standard présente trois caractéristiques fonctionnelles essentielles dont il n’a d’ailleurs pas
nécessairement l’exclusivité :
- Il opère en fait sinon en droit un transfert du pouvoir créateur de droit de l’autorité qui
l’édicte à l’autorité qui l’applique ou si ces deux missions sont assumées par la même autorité,
il contribute à réserver le pouvoir de cette dernière;
- Il assure trois missions rhétoriques liées de persuasion, de légitimation et de généralisation;
- Il permet une régularisation permanente du système juridique.40
entre la définition d’une norme commune en matière de droits de l’homme (d’un « standard commun ») et la
préservation des particularismes étatiques ».
34
Sur la spécificité de l’ordre juridique et la hiérarchie des normes, cf. BRUNET, Pierre, MILLARD, Eric &
MERCIER, Jérémy (dir.), La fabrique de l’ordre juridique. Les juristes et la hiérarchie des normes, Ljubljana,
Klub Revus, 2014, 303 pages.
35
ROSENFELD, Michel, « Repenser l’ordonnancement constitutionnel à l’ère du pluralisme juridique et du
pluralisme idéologique », in RUIZ FABRI, H. & ROSENFELD, M. (dir.), Repenser le constitutionnalisme à
l’âge de la mondialisation et de la privatisation, cit., p.139 à propos du standard de proportionnalité.
36
ROSENFELD, Michel, “Comparative Constitutional Analysis in United States Adjudication and Scholarship”,
in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, Oxford,
Oxford University Press, 2012, p.41.
37
RUGGERI, Antonio, “Rapporti tra Corte costituzionale e Corti Europee, Bilanciamenti interodinamentali e
“controlimiti” mobili, a garanzia dei diritti fondamentali”, in Rivista tellematica giuridica dell’Associazione
italiana dei costituzionalisti, n°1, 1er mars, 2011, pp.7-8.
38
BILANCIA, Paola, Possibili conflittualità e sinergie nella tutela dei diritti fondamentali ai diversi
livelli
istituzionali :
http://www.giuripol.unimi.it/persone/Curriculum/BILANCIA/Conflittualita%20e%20sinergie%20tutela%20dei
%20dritti.pdf
39
RIALS, Stéphane, Le juge administratif français et la technique du standard. Essai sur le traitement
juridictionnel de l’idée de normalité, préface de Prosper Weil, Paris, LGDJ, 1980, p. 47 : “d’un point de vue
matériel, le standard est un concept indéterminé, ayant trait aux valeurs fondamentales de la société et ayant pour
objet l’analyse des comportements des acteurs juridiques par référence à un type moyen de conduite. Ce peut
être aussi un outil plus complexe au service du juge, à l’aide duquel celui-ci, dans une saisie d’ensemble des
situations juridiques, essaye d’apporter des solutions raisonnables aux litiges à lui soumis (…). D’un point de
vue organique, le standard est un procédé plutôt, mais pas exclusivement, jurisprudentiel.”.
40
RIALS, Stéphane, Le juge administratif français et la technique du standard. Essai sur le traitement
juridictionnel de l’idée de normalité, préface de Prosper Weil, Paris, LGDJ, 1980, p.120.
6
Le standard constitutionnel peut, sous cette forme, être tout à fait utilisé avec profit, selon ces
trois acceptions, pour penser le constitutionnalisme contemporain et la protection des droits
fondamentaux.
1.3. L’incorporation des standards
En ce sens, la standardisation constitutionnelle est donc bien à la fois une opération de
coordination et un modèle de légitimation de la « bienveillance envers les droits de
l’homme »41 dans l’État constitutionnel. Elle assure la réception et la justification des droits
fondamentaux pour faire gagner en normativité les constitutions actuelles selon une
convergence42, une conversation constitutionnelle43 ou mieux encore une conciliation44 entre
différents ordres de protection des droits selon des enjeux globaux45. On peut utiliser encore
l’expression « scénario d’incorporation » (“the “incorportation” scenario”), forgée par Ran
Hirschl, pour décrire précisément un tel mouvement de constitutionnalisation effective des
droits fondamentaux, du droit international et des principes en matière de protection des droits
de l’homme46. Les droits fondamentaux sont alors considérés comme des standards universels
que les États doivent incorporer. Cette « incorporation » se fait de façon d’autant plus légitime
qu’elle participe d’un mouvement d’internationalisation de la norme aboutissant pour cette
raison à en renforcer l’objectivité47. En effet, par l’intermédiaire d’une telle pénétration des
droits fondamentaux et du droit international dans les constitutions, accompagnées d’un
mouvement de discussion entre les juges constitutionnels, les constitutions peuvent alors être
considérées sous un nouvel angle, bien plus dynamique que le constitutionnalisme classique,
en mouvement continu, selon l’universalisation des droits fondamentaux dans l’actualité48.
Une telle politique des standards et de la réception et/ou constitutionnalisation des droits
41
HÄBERLE, Peter, L’État constitutionnel, cit., p.153 : « Venons ensuite aux principes qui se présentent comme
des variations du thème de la bienveillance envers les droits de l’homme (Menschenrechtsfreundlichkeit). Les
catalogues nationaux des droits fondamentaux, même lorsqu’ils garantissent des droits du citoyen et des droits de
l’homme, doivent être interprétés conformément aux droits de l’homme. »
42
Il en va de même, bien entendu, en ce qui concerne le juge administratif et sa convergence ou « imitation »
avec les modèles étrangers. Cf. MELLERAY, Fabrice, « L’imitation des modèles étrangers en droit
administratif », AJDA 2004, p.1224 ; CONNIL, Damien, L’office du juge administratif et le temps, préface de
Denys de Béchillon, Paris, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de Thèses », 2012, p. 1.
43
PONTHOREAU, Marie-Claire, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris, Economica, 2010
44
Pour reprendre une expression utilisée dans une opinion dissidente, Cour constitutionnelle de Lituanie, 8/2012,
On the prohibition for a person, who was removed from office under procedure for impeachment proceedings, to
stand in elections for a Member of the Seima, 8/2012, 5 septembre 2012.
45
TUSHNET, Mark, « The inevitable globalization of Constitutional Law », in Virginia Journal of International
Law, vol. 49, 4, 2009, pp.985-1006.
46
HIRSCHL, Ran, Towards Juristocracy. The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Harvard
University Press, 2004, pp. 6-8.
47
FONTAINE, Laureline, « La « dynamique » constitutionnelle en Europe », communication au Congrès de
l'Association internationale de droit constitutionnel, Mexico, Décembre 2010 (Atelier n° 15, l'impact du droit
international sur le droit constitutionnel).
48
Même si ce mouvement pourrait être considéré comme plus ancien si l’on s’en réfère au cours de l’Académie
de droit international de La Haye par Paul de Visscher sur les tendances internationales des constitutions
modernes : VISSCHER de, Paul, « Les tendances internationales des constitutions modernes », R.C.A.D.I.,
1952/I, tome 80, p.515.
7
fondamentaux repose donc sur un tel “impératif démocratique contemporain” 49 qui vise à
l’établissement le plus large possible de l’État de droit ou État constitutionnel de droit 50
qu’une convergence dans l’interprétation de ces droits ne saurait être que plus activement
nécessaire. C’est la raison pour laquelle la protection constitutionnelle selon les standards
incorporés est notamment liée à l’impossibilité fondamentale, pour un État, « de se soustraire
à des obligations qui lui incombent en vertu du droit international ou des traités en
vigueur »51. Comme le soulignent les professeurs Michel Rosenfeld, Andras Sajo ou encore
Sujit Choundhry, cette protection est aussi un instrument de justification très intéressant
lorsqu’elle s’effectue, par le recours au droit comparé, lors de l’élaboration des nouvelles
constitutions 52 . Le scénario de l’incorporation, qui consiste en une réception dans l’ordre
juridique interne des droits fondamentaux dans les constitutions, est donc bien un trait
novateur du constitutionnalisme contemporain (« néoconstitutionnalisme ») : il consiste en
l’incorporation d’« obligations objectives » en matière de garantie des droits de l’homme.
Pour reprendre une expression tirée de l’arrêt Irlande contre Royaume-Uni du 18 janvier 1978
de la Cour Européenne des Droits de l’Homme c’est justement parce que ces droits
fondamentaux sont des obligations objectives et non pas relatives qu’ils doivent bénéficier
« d’une garantie collective » 53. L’incorporation dans les constitutions de ces standards que
sont ces droits fondamentaux à « obligations objectives » illustre parfaitement les évolutions
même de cette standardisation.
1. 4. Une standardisation constitutionnelle « en génération »
En reprenant ici volontairement l’expression bien connue de Norberto Bobbio sur les
droits de l’homme « en génération »54, on peut mieux décrire la façon dont la standardisation
constitutionnelle est justifiée par les acteurs juridiques. Cette justification est précisément « en
génération » parce qu’elle s’est faite de façon progressive. Une telle progression qui, bien
évidemment, débute à partir de la jurisprudence Lüth de la Tribunal constitutionnel fédéral
allemand en 1958 – standardisation progressive des valeurs constitutionnelles – et se
développe, de façon transnationale et concomitamment à partir de la jurisprudence Costa c.
E.N.E.L. rendue par la Cour de Luxembourg le 15 janvier 196455 , relative à l’application
49
BOUTROS GHALI, Boutros, Conférence inaugurale de l’Académie Internationale de Droit Constitutionnel,
Constitution et Droit International, Recueil des Cours 8, Centre de Publication Universitaire, Tunis, 2000, p. 19.
50
ROSENFELD, Michel, “The Rule of Law and the Legitimacy of Constitutional Democracy”, in Southern
California Law Review, voL. 74, 2001, pp.1307-1351.
51
Cour Permanente de Justice Internationale, affaire « Traitement des nationaux polonais et des autres personnes
d’origine ou de langue polonaise dans le territoire de Dantzig », série A/B, n°44, p.24.
52
ROSENFELD, Michel & SAJO, Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law,
“Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.9 ; CHOUDHRY, Sujit, “Globalization in Search of
Justification: Towards a Theory of Comparative Constitutional Interpretation”, Indiana Law Journal 74 (3),
1999, pp. 819-892.
53
Cour Européenne des Droits de l’Homme, décision Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, Req.
n°5310/71, §239.
54
CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique, Norberto Bobbio : pourquoi la démocratie ?, Paris, Michel Houdiard,
2008.
55
C.J.C.E., affaire 6/64, Costa c. E.N.E.L., Recueil 1964, p.1141 : « la force exécutive du droit communautaire
ne saurait en effet varier d’un État membre à l’autre à la faveur des législations internes ultérieures sans mettre
en péril la réalisation des buts du traité ». On renvoie ici à BREWER, Mark Killian, « The European Union and
legitimacy: time for a European Constitution », in Cornell International Law Journal, Cornell University, 2001,
8
uniforme et à la force exécutive du droit communautaire. D’un côté, en effet, la
standardisation des droits fondamentaux s’effectue État par État, sous influence et impulsions
de l’activité jurisprudentielle de la Cour allemande. De l’autre, elle se généralise de façon
transnationale, en rendant les systèmes étatiques de moins en moins imperméables les uns aux
autres, en cherchant progressivement, par influence du droit communautaire, un droit
constitutionnel commun. Cet argument de l’identité conventionnelle du nouveau
constitutionnalisme en matière de droits fondamentaux, c’est-à-dire la réception standardisée
de ces derniers dans les constitutions nationales sur fond d’un droit qui est donc
transnational56, illustre encore en quoi l’activité des juges devient de plus en plus une activité
d’emprunts et de conversations non seulement juridictionnelles entre États mais encore extrajuridictionnelles, entre États et institutions internationales. A titre d’illustration, quatre arrêts
de la Cour constitutionnelle italienne pourraient semble-t-il mettre en évidence cette
progression vers l’identité conventionnelle du nouveau constitutionnalisme.
1.5. Les droits fondamentaux comme standard et paramètre de
constitutionnalité dans la jurisprudence de la Cour italienne.
Premièrement, intéressons-nous à l’arrêt n°376 (2000) du 12 juillet 2000 relatif à une
situation d’expulsion du conjoint d’une femme enceinte. Dans cet arrêt, les juges
constitutionnels italiens s’appuient, alinéa 6, sur cette nécessaire synergie dans la réception
conventionnelle des droits fondamentaux (et dans leur protection constitutionnelle) : ils
mettent précisément l’accent sur l’existence des droits de l’homme, garantis par la
constitution italienne (not. arts. 2 et 10) en tant qu’ils se conforment aux normes
internationales 57 , mais encore ils rappellent la nécessaire interprétation conventionnelle
(CEDH, Pactes de l’ONU, Convention de New York) exemple s’il en est de la nécessaire
imbrication des ordres juridiques entre eux afin d’assurer une « convivialité démocratique »,
pour reprendre l’expression du professeur Zagrebelsky58. Deuxièmement, les arrêts n°347 et
348 du 22 octobre 2007 de la Cour italienne témoignent à leur tour du caractère cette fois-ci
« impératif » du respect des droits fondamentaux, au sens au non pas seulement d’« une
norme communautaire suggérée aux États membres » mais bien plutôt d’une « directive »
obligatoire59 de ces derniers qui ne sauraient, en aucun cas, ne pas être protégés60. En cet
pp.559: « In the early 1960s, the Court established the foundation for neoconstitutionalism that has come to
characterize the Communities by establishing the concept of supremacy of Community law its landmark 1964
case Costa v. ENEL. ».
56
JACKSON, Vicki C., « Comparative constitutional law : methodologies », in ROSENFELD, Michel, SAJO,
Andras, The Oxford Handbook of comparative constitutional law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.59.
57
Cort. cost., sentenza n°376/2000, 12 juillet 2000, §1 : « Secondo il rimettente l'art. 2 Cost. riconosce anche
allo straniero i diritti inviolabili dell'uomo, sia come singolo sia nelle formazioni sociali ove si svolge la sua
personalità, mentre l'art. 10 Cost. gli riconosce i diritti derivanti dalle norme e dai trattati internazionali; il diritto
di formare una famiglia e di mantenere l'unità del nucleo familiare, previsti dall'art. 12 della Convenzione
europea per la salvaguardia dei diritti dell'uomo e delle libertà fondamentali, sottoscritta a Roma il 4 novembre
1950 e ratificata dall'Italia con la legge 4 agosto 1955, n. 848, così come tutti i diritti e le potestà di cui agli artt.
29 e 30 Cost., dovrebbero perciò essere garantiti allo straniero come al cittadino ».
58
ZAGREBELSKY, Gustavo, Le droit en douceur ; Id., La legge e la sua giustizia. XX.
59
Cort. cost., sentenze n°347 e n°348/2007, 22 octobre 2007, §1-5 : « Non sembra infatti sostenibile la tesi
dell’avvenuta «comunitarizzazione» della CEDU, ai sensi del par. 2 dell’art. 6 del Trattato di Maastricht del 7
febbraio 1992, in quanto il rispetto dei diritti fondamentali, riconosciuti dalla Convenzione, costituisce una
direttiva per le istituzioni comunitarie e «non una norma comunitaria rivolta agli Stati membri».
9
autre sens, la Cour constitutionnelle italienne ne fait pas autre chose que de confirmer que les
droits fondamentaux contenus dans les Conventions, en l’espèce, dans la CEDH, trouvent leur
expression dans la constitution. Ils jouent ainsi un rôle de standard dans l’interprétation et
l’application de la jurisprudence sur les lois et l’on peut justement penser que de telles normes
internationales intègrent le paramètre de constitutionnalité61. Ce processus de standardisation
peut ainsi être considéré comme un nouvel enjeu dans les sources du droit dans la mesure où
le droit international et le droit conventionnel garantissant les droits fondamentaux
s’appliquent alors de façon « constitutionnalisée » en promouvant des standards qui limitent
les États62, au niveau national et international. Enfin, l’arrêt italien n°277 du 24 juin 201063
rappelle à quel point l’État doit se conformer aux décisions cadres du Conseil de l’Europe.
C’est ainsi qu’une telle exigence se comprend aussi à la lumière des interprétations
réciproques et des conversations des juges constitutionnels devant faire preuve d’une
« technique d’interprétation harmonisante » 64 avec l’ordre de valeurs de ces standards en
matière de droits fondamentaux.
1.6. La standardisation par la « transcription »
De surcroît, comme le soutiennent pour l’Amérique latine les tenants d’un
néoconstitutionnalisme très normatif, les professeurs Carlos Bernal Pulido et Miguel
Carbonell, un nouveau paradigme constitutionnel s’est justement mis en place au Mexique ou
en Colombie avec les standards reçus dans les constitutions par l’inclusion d’instruments de
garanties internationales des droits de l’homme. Ainsi, qu’il s’agisse de la Commission des
Droits de l’Homme des Nations-Unies, des Cours Européennes ou bien de la Cour
Interaméricaine des Droits de l’Homme65, les droits substantiels reconnus dans les traités et
conventions internationales sont devenus très rapidement les fondements constitutionnels de
la validité du nouveau droit constitutionnel66. On peut ainsi parler, comme Robert Alexy, de
60
NANIA, Roberto (ed.), L’evoluzione costituzionale delle libertà e dei diritti fondamentali. Saggi e casi di
studio, Giappichelli, Torino, 2012.
61
GIUPPONI, Tommaso F., « Corte costituzionale, obblighi internazionali e “controlimiti allargati”:
che tutto cambi perché tutto rimanga uguale? », in Forum di Quaderni Costituzionali,
62
DE SENA, Pasquale, « Giustizia internazionale », in JURA GENTIUM, Revue de philosophie du droit
international et de la politique globale, pp. 1-36.
63
Cour constitutionnelle italienne, arrêt n°277, 24 juin 2010, http://www.giurcost.org/decisioni/2010/0227s10.html
64
SCHEFOLD, Dian, « L’osservanza dei diritti dell’uomo garantiti nei trattati internazionali
da parte del giudice italiano », in Forum di Quaderni Costituzionali, 2007.
65
BERNAL PULIDO, Carlos, « La metafisica de los derechos humanos », in Revista Derecho del Estado, n°25,
décembre 2010, Bogotà, Departamento de Derecho Constitucional-Universidad Externado de Colombia, p. 118
et p. 124 et ss. sur « la inclusion del derecho en los instrumentos internacionales sobre derechos humanos ».
66
BERNAL PULIDO, Carlos, « Los derechos fundamentales en la jurisprudencia del Tribunal Electoral del
Poder Judicial de la Federacion », México, Tribunal Electoral del Poder Judicial de la Federación, Serie Temas
Selectos de Derecho Electoral, 2009, p.28 : « Esto implicaría que los derechos humanos o fundamentales
protegidos por normas internacionales o supranacionales no tendrían dentro del Estado, estrictamente, el carácter
de derechos fundamentales. Esta consecuencia parece incompatible con la práctica actual de los estados
europeos, en los cuales los derechos fundamentales protegidos por el derecho europeo tienen este estatus
también en el orden interno, así como también lo tienen los derechos humanos que están protegidos por el
sistema europeo de derechos humanos. Dicha consecuencia también es incompatible con la práctica
constitucional de ciertos estados latinoamericanos —como Colombia y como México (artículo 133 de la
Constitución), por ejemplo— cuyas constituciones confieren validez en el orden interno a los tratados
internacionales sobre derechos humanos suscritos en debida forma. »
10
conception substantielle des droits constitutionnels67. L’arrêt 799/2003 du Cuarto Tribunal
Colegiado du Mexique en date du 21 avril 2004 a rappelé, il y a tout juste 10 ans, un tel
fondement substantiel pour le nouveau droit :
conformément à l’article 133 de la Constitution (…) tous les traités (…) seront la loi
suprême de toute l’Union. Dès lors, quand les traités internationaux règlementent et
amplifient les droits fondamentaux protégés par la Carta Magna, ils doivent
s’appliquer sur les lois fédérales qui n’y parviennent pas68
Certes, dira-t-on, dans un autre arrêt n°344/2008 en date du 10 juillet 2008, la Suprema Corte
de Justicia de la Nación a néanmoins précisé que les traités internationaux, bien qu’au-dessus
des lois, n’en étaient pas moins au-dessous de la Constitution du Mexique 69 . Mais cela
n’interfère aucunement, selon l’illustration française de la jurisprudence IVG, avec le
paradigme de « l’internationalisation des Constitutions nationales », aujourd’hui à l’œuvre
dans le monde entier, et en Amérique latine en particulier. En effet, les utilisations de
méthodes convergentes peuvent être plurielles : elles consistent précisément en une
standardisation par l’emprunt des jurisprudences ou méthodes étrangères. La force étonnante
des standards que sont les droits fondamentaux leur permet d’attribuer un niveau hiérarchique
très élevé aux droits reconnus au niveau international 70 . La Cour constitutionnelle de
Colombie, exemplaire en matière de constitutionnalisme contemporain, dans son arrêt C225/95 du 18 mai 1995 71 , a reconnu par exemple que les normes dérivées du droit
international humanitaire tenaient un rang hiérarchiquement si élevé par rapport à d’autres
normes que leur protection dans le « bloc constitutionnel » (les juges colombiens citant à
l’appui de leur justification le Doyen Favoreu) devait être « impérative » :
67
ALEXY, Robert, « Rights and Liberties as Concepts », in ROSENFELD, Michel, SAJO, Andras (Eds.), The
Oxford Handbook of comparative constitutional law, “Introduction”, Oxford, Oxford University Press, 2012,
p.289.
68
Cuarto Tribunal Colegiado en materia administrativa del primer circuito, en el amparo en revisión 799/2003
(Ismael González Sánchez y otros, 21 de abril de 2004. Unanimidad de votos. Ponente: Hilario Bárcenas Chávez.
Secretaria: Mariza Arellano Pompa) : « Conforme al artículo 133 constitucional, la propia Constitución, las leyes
del Congreso de la Unión que emanen de ella y todos los tratados que estén de acuerdo con la misma, celebrados
y que se celebren por el presidente de la República, con aprobación del Senado, serán la ley suprema de toda la
Unión. Ahora bien, cuando los tratados internacionales reglamentan y amplían los derechos fundamentales
tutelados por la Carta Magna, deben aplicarse sobre las leyes federales que no lo hacen (…) ».
(http://ius.scjn.gob.mx/Documentos/Tesis/180/180431.pdf)
69
Semanario Judicial de la Federación y su Gaceta, XXVIII, agosto de 2008, Materia(s): Común, Tesis:
I.7o.C.46 K, p. 1083. A su vez, debe indicarse que la tesis de rubro: “TRATADOS INTERNACIONALES. SE
UBICAN JERÁRQUICAMENTE POR ENCIMA DE LAS LEYES FEDERALES Y EN UN SEGUNDO
PLANO RESPECTO DE LA Constitución FEDERAL.” citada, aparece publicada con el número P. LXXVII/99
en el Semanario Judicial de la Federación y su Gaceta, Novena Época, Tomo X, noviembre de 1999, p. 46 :
« Por su parte, la Suprema Corte de Justicia de la Nación ubicó a los tratados internacionales por encima de las
leyes federales y por debajo de la Constitución, según la tesis del rubro: “Tratados internacionales. se ubican
jerárquicamente por encima de las leyes federales y en un segundo plano respecto de la Constitución federal.”
(IUS 192867). De ahí que si en el amparo es posible conocer de actos o leyes violatorios de garantías
individuales establecidas constitucionalmente, también pueden analizarse los actos y leyes contrarios a los
tratados internacionales suscritos por México, por formar parte de la Ley Suprema de toda la Unión en el nivel
que los ubicó la Corte. Por lo tanto, pueden ser invocados al resolver sobre la violación de garantías individuales
que involucren la de los derechos humanos reconocidos en los tratados internacionales suscritos por México. »
70
DONDÉ MATUTE, Javier, « El derecho internacional y su relevancia en el sistema jurídico mexicano. Una
perspectiva jurisprudencial », in Anuario Mexicano de Derecho Internacional, vol. IX, 2009, pp. 191-217.
71
http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/1995/c-225-95.htm
11
le caractère impératif des normes humanitaires et leur intégration dans le bloc de
constitutionnalité implique que l’État colombien adapte les normes de rang inférieur de l’ordre
juridique interne au contenu du droit international humanitaire, afin de maximiser la réalisation
matérielle de telles valeurs72
Ainsi, la standardisation constitutionnelle passe donc par une « transcription »
interne de ce que Luigi Ferrajoli nomme des « limites externes et non plus seulement
internes aux pouvoirs publics »74. Les standards que sont les droits fondamentaux, comme,
selon notre définition initiale 1) éléments de modèle et d’harmonisation ; 2) règles ou normes
adoptées par l’usage ; 3) principes de résolution universel de conflits et donc de régulation
du système constitutionnel permettent donc de défendre un modèle constitutionnel commun
de garantie contre l’arbitraire. Mais il reste encore un autre type de conversation
constitutionnelle illustrée par la standardisation : le recours aux doctrines étrangères. Cette
standardisation n’est donc plus calquée sur le modèle de l’interprétation « harmonisante » ou
encore de la conversation juridictionnelle, à l’image, fort bien décrite par Ronny Abraham,
d’un « processus par lequel la juridiction nationale et la juridiction internationale contribuent
ensemble à fixer l’interprétation, d’une norme de droit international, dont l’une et l’autre, la
juridiction interne et la juridiction internationale, sont appelées à peu près concomitamment à
faire application »75. Plus encore, la standardisation peut aussi consister en une conversation
extra-juridictionnelle, notamment par le recours à la doctrine.
73
1.7. Le recours à la doctrine étrangère
Outre la référence au Doyen Favoreu dans l’arrêt colombien susmentionné, l’arrêt n°
72
Cour constitutionnelle de Colombie, arrêt n°C-225/95, 18 mai 1995, II, §12 : « la imperatividad de las normas
humanitarias y su integración en el bloque de constitucionalidad implica que el Estado colombiano debe adaptar
las normas de inferior jerarquía del orden jurídico interno a los contenidos del derecho internacional
humanitario, con el fin de potenciar la realización material de tales valores. » précédé d’un examen de la notion
de « bloc de constitutionnalité » renvoyant à la conception de Louis Favoreu : « La Corte considera que la
noción de "bloque de constitucionalidad", proveniente del derecho francés pero que ha hecho carrera en el
derecho constitucional comparado, permite armonizar los principios y mandatos aparentemente en contradicción
de los artículos 4º y 93 de nuestra Carta. Este concepto tiene su origen en la práctica del Consejo Constitucional
Francés, el cual considera que, como el Preámbulo de la Constitución de ese país hace referencia al Preámbulo
de la Constitución derogada de 1946 y a la Declaración de Derechos del Hombre y del Ciudadano de 1789, esos
textos son también normas y principios de valor constitucional que condicionan la validez de las leyes. Según la
doctrina francesa, estos textos forman entonces un bloque con el articulado de la Constitución, de suerte que la
infracción por una ley de las normas incluidas en el bloque de constitucionalidad comporta la inexequibilidad de
la disposición legal controlada. Con tal criterio, en la decisión del 16 de julio de 1971, el Consejo Constitucional
anuló una disposición legislativa por ser contraria a uno de los "principios fundamentales de la República" a que
hace referencia el Preámbulo de 1946. »
73
COMBACAU, Jean, « Sources internationales et européennes du droit constitutionnel », in TROPER, Michel,
CHAGNOLLAUD, Dominique (sous la dir. de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la
Constitution, Dalloz, Paris, 2012, p.430.
74
FERRAJOLI, Luigi, « Diritti fondamentali », in Teoria Politica, XVI, 2, 1998, p.8 ; « Fundamental rights », in
International Journal for the Semiotics of Law, 2001, Volume 14, Issue 1.
75
ABRAHAM Ronny, « Le juge administratif et le droit international et européen. Le dialogue des juges », in
BONNET Baptiste (dir.), Regards de la communauté juridique sur le contentieux administratif : Hommage à
Daniel Chabanol, Actes du colloque organisé le 3 déc. 2005 par le CERAPSE, Presses universitaires de SaintEtienne, 2009, p.34.
12
1710-2010 de la Cour constitutionnelle du Chili 76 est tout à fait emblématique de cette
méthode par le recours non plus seulement au droit comparé ou aux jurisprudences étrangères
mais par le recours aux doctrines étrangères, en l’occurrence celle de Robert Alexy relative
aux droits fondamentaux et à la pondération. Les juges chiliens, le 6 août 2010, à l’occasion
de l’examen de la constitutionnalité de l’article 38 ter de la Loi Nº 18.933 ont eu à confronter
des principes entre eux. Ils ont retenu que l’appui sur la doctrine étrangère, en l’occurrence la
théorie des droits fondamentaux de Robert Alexy, permettait notamment de distinguer
« principes » et « règles ». D’un autre côté, les juges brésiliens de la Cour Suprême Fédérale
dans un arrêt ADI 2.240 du 9 mai 200777 firent usage relativement abondant des idées de
André de Laubadère 78 , Léon Duguit 79 avant de citer Georg Jellinek ou plus loin encore
Maurice Hauriou80.
De tels usages de la doctrine étrangère, ici résumés, viennent précisément consolider
l’idée selon laquelle une autre étape de la standardisation constitutionnelle passe par
l’influence ou la « conversation » juridictionnelle avec la doctrine. S’il va de soi que de tels
standards puisés dans la doctrine peuvent correspondre aussi à une « pénétration (des
dispositions du droit international des droits de l’homme) au cœur même du sanctuaire de la
souveraineté »81, il s’agit surtout de composer des jurisprudences modelées sur des critères
assurant aux juges constitutionnels, qui cherchent à résoudre des conflits relatifs à « de
nouveaux secteurs appartenant à tous les champs juridiques »82, la protection des principes
matériels communs, du « patrimoine commun des Etats membres »83 que sont les droits de
l’homme. Et cette protection ne se trouve semble-t-il pas mieux assurée que lorsqu’elle
76
Cour constitutionnelle du Chili, arrêt n° 1710-2010, 6 août 2010 : « Es lo que Robert Alexy denomina relación
entre los conceptos de norma de derecho fundamental y derecho fundamental: “Siempre que alguien posee un
derecho fundamental, existe una norma válida de derecho fundamental que le otorga ese derecho. Es dudoso que
valga lo inverso”. Esta diferencia debe acompañarse de otra distinción propuesta por el autor, la existente entre
principios y reglas, siendo los principios “aquellas normas que ordenan que algo sea realizado en la mayor
medida posible, dentro de las posibilidades jurídicas y reales posibles”, o sea entendidas como “mandatos de
optimización”, mientras que “las reglas son normas que pueden ser cumplidas o no. Si la regla es válida,
entonces de (sic) hacerse exactamente lo que ella exige, ni más ni menos. Por lo tanto, las reglas contienen
determinaciones en el ámbito de lo fáctica y jurídicamente posible”, concluyendo: “Esto significa que la
diferencia entre reglas y principios es cualitativa y no de grado. Toda norma es o bien una regla o un principio”
(Robert Alexy: Teoría de los Derechos Fundamentales, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid,
2002, pp. 47, 86-87) » et plus loin : « NONAGESIMOTERCERO: Que los derechos consagrados en las
disposiciones constitucionales que se estimaron vulneradas por la aplicación concreta del artículo 38 ter en las
sentencias de inaplicabilidad que dan sustento al proceso de autos, esto es, aquellos que aseguran a toda persona
los numerales 2°, 9° y 18° del artículo 19 de la Constitución, son: a) fundamentales, apegándose a los citados
criterios entregados por la doctrina, y b) corresponden a lo que Alexy denomina normas de principios, esto es,
mandatos de optimización, cuya dilucidación en caso de conflicto debe ser abordada con el criterio de la
ponderación ». (http://www.tribunalconstitucional.cl/wp/ver.php?id=1479).
77
Cour Suprême Fédérale du Brésil, 9 mai 2007, ADI 2.240 : http://www.stf.jus.br/imprensa/pdf/adi2240.pdf
78
Au §6, dans son Traité élémentaire de droit administratif, 4éme. ed. LGDJ, Paris, 1.967, p. 17.
79
Au §6 aussi, dans son Traité de droit constitutionnel, 2éme edition, t. I, Ancienne Librairie Fontemoing &
Cie., Paris, 1.921, p. 254-255.
80
Au § 11, dans ses Notes d'arrêts sur décisions du Conseil d'État et du Tribunal des Conflits (tome troisième,
Sirey, Paris, 1.929, pág. 173) : « MAURICE HAURIOU menciona “... cette idée très juste que les lois ne sont
faites que pour un certain état normal de la société, et que, si cet état normal est modifié, il est naturel que les lois
et leurs garanties soient suspendus”. E prossegue: “C’est très joli, les lois; mais il faut avoir le temps de les faire,
et il s’agit de ne pas être mort avant qu’elles ne soient faites”.
81
VIRALLY, Michel, Cours général de Droit international public, RCADI, 1983, t. 183, p.124.
82
CERDA-GUZMAN, Carolina, op.cit., p.454.
83
SUDRE, Frédéric, « Constitutions et protection internationale des droits de l’homme », in Constitution et
Droit international, Académie internationale de droit constitutionnel, Recueil des cours VIII, 2000, p. 257.
13
devient un moyen de justification pour cette figure centrale qu’est devenu le juge 84 . En
Europe ou dans le reste du monde, c’est donc par l’intermédiaire de la standardisation de
normes perçues comme fondamentales85 que le juge constitutionnel peut aussi construire un
moyen de justification rhétorique pour assurer l’impérativité de la protection des droits de
l’homme. Pour un tel objectif, le recours à l’argument de la proportionnalité et la justification
du principe de sécurité juridique permettent de justifier la standardisation d’un modèle
d’interprétation et de décision.
2. La standardisation comme moyen de justification du dialogue des juges
Le plus souvent à l’appui de l’argument de préservation du principe de « sécurité
juridique », la référence au principe de « proportionnalité » comme garant, dans
l’interprétation constitutionnelle, des droits de l’homme dans l’État constitutionnel de droit,
n’est pas dépourvue d’intérêt. De récents arrêts de Cours constitutionnelles en témoignent.
D’une part, en mettant clairement en évidence la convergence dans l’utilisation commune de
ce principe. D’autre part, en soulignant la pertinence de l’usage d’un tel principe pour
protéger de façon optimale les standards en matière de droits fondamentaux qui viendraient à
être restreints lors d’un conflit à résoudre.
2.1. L’argument rhétorique de la proportionnalité
Le 2 novembre 2004, la Cour constitutionnelle d’Ukraine, dans un arrêt concernant
l’inconstitutionnalité d’un article du Code pénal de ce pays interdisant aux juges de prononcer
une peine plus clémente que la peine plancher prévue par la loi en cas d’infractions mineures,
n’a pas manqué de relever le caractère fondamental du principe de proportionnalité en matière
d’atteinte portée à l’effectivité de certains droits constitutionnels. De même que les juges de la
Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne qui, près de dix ans plus tard, dans un arrêt 2
BvR 2122/11 du 6 février 2013 ont rappelé que le contrôle et critère « strict de
proportionnalité » (strikten Verhältnismäßigkeitsprüfung) 86 permet de déterminer les
conditions les plus justifiées d’un placement en détention rétroactif d’une personne
condamnée ayant déjà purgé sa peine après internement psychiatrique, de même ce caractère
fondamental du principe de proportionnalité intervient toujours comme un argument
rhétorique pour concilier 1) sécurité juridique, 2) droits fondamentaux et 3) justification de la
peine, tout en s’appuyant sur les intérêts légitimes aux cas d’espèces.
De la même façon, l’arrêt Saskatchewan (H.R.C.) v. Whatcott du 27 février 2013 de la
Cour suprême du Canada87 met en évidence cette réception du standard constitutionnel de la
proportionnalité en matière d’interprétation. En l’espèce, pour mesurer l’avantage lié quant à
84
PONTHOREAU, Marie-Claire, « L’argument fondé sur la comparaison dans le raisonnement juridique », in
LEGRAND, P., (dir.), Comparer les droits, résolument, PUF, coll. « Les voies du droit », Paris, 2009, p.542.
85
SUDRE, Frédéric, La convention européenne des droits de l’homme, PUF, 2004, p.5 ; Loizidou c/ Turquie, 23
mars 1995, GACEDH, n°1, §75 ; PONTHOREAU, Marie-Claire, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Paris,
Economica, 2010, p.265-266 sur ce paradigme constitutionnalisme / droits fondamentaux / juristocratie.
86
Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, Deuxième Sénat, 6 février 2013, 2 BvR 2122/11, 2 BvR
2705/11, § IV, B-I : https://www.bundesverfassungsgericht.de/entscheidungen/rs20130206_2bvr212211.html.
87
Cour suprême du Canada, 27 février 2013, Saskatchewan (Human Rights Commission) v. Whatcott, 2013 SCC
11 : http://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/en/item/12876/index.do
14
la suppression, dans l’espace public, d’un discours haineux (incitation à la haine contre des
personnes en raison de leur orientation sexuelle) relativement à l’inconvénient des effets
d’une limitation du principe de liberté d’expression. Dans cet autre cas, le recours à
l’argument de la proportionnalité permet de justifier la protection fondamentale de la dignité
humaine, par l’élimination directe de toute forme de discours haineux. Les juges canadiens
opèrent à leur tour, comme les juges ukrainiens ou allemands, un calcul en matière de droits
fondamentaux. Le résultat étant toujours justifié par le moyen ayant permis de le réaliser : le
recours à la proportionnalité.
Un mois plus tard, les juges du Tribunal constitutionnel du Portugal, dans un arrêt du 5
avril 2013 88 , ont d’ailleurs utilisé ce moyen rhétorique pour empêcher la suspension du
versement du mois de salaire complémentaire pour les agents de la fonction publique.
L’argument de la proportionnalité leur permettant de s’appuyer notamment, dans un contexte
économique délicat, sur les intérêts supérieurs de la fonction publique et de la solidarité.
2.2 La proportionnalité comme paramètre fondamental du constitutionnalisme
contemporain : le standard et la standardisation des cultures constitutionnelles.
De tels exemples nourrissent avec profit l’idée selon laquelle, comme l’établit
clairement le juge et professeur Aharon Barak, « la proportionnalité a été largement reçue.
Elle fait maintenant partie de nombreux systèmes juridiques. C’est une manifestation de la
migration ou de la transplantation des droits. Car nous vivons aujourd’hui à l’ère de la
proportionnalité »89. En effet, la circulation de ce principe permet de lui conférer son caractère
de standard, ce qui est également pensé par les professeurs Alec Stone Sweet90 ou Bernard
Schlink91 au titre de paramètre fondamental du constitutionnalisme contemporain. C’est en ce
sens qu’il nous est permis d’induire que le recours à ce principe par les juges constitutionnels
témoigne non seulement de l’usage d’un standard et encore d’un moyen de standardisation
des cultures constitutionnelles92. Mais un tel argument, dont les implications pratiques sont
assez fortes en terme de protection des droits de l’homme et de préservation des intérêts de la
88
Tribunal
constitutionnel
du
Portugal,
5
avril
2013,
Acórdão
N.o
187/2013 :
http://www.europeanrights.eu/public/sentenze/Portogallo-5aprile2013-187.2013.pdf
89
BARAK, Aharon, Proportionality. Constitutional Rights and their Limitations, transl. from the hebrew by
Doron Kalir, New York, Cambridge University Press, 2012, p.457.
90
STONE SWEET, Alec & MATHEWS, Jude, « Proportionality Balancing and Global Constitutionalism »,
Columbia Journal of Transnational Law, 68, 2008, pp.73-165, not. p. 80 comme « standard constitutionnel
global ».
91
SCHLINK, Bernard, « Proportionality (I) », in Michel Rosenfeld, Andras Sajo (ed.), The Oxford Handbook of
Comparative Constitutional Law,cit., pp. 731-735 : « With the far-reaching constitutional protection of rights
and freedoms, the principle of proportionality spread across Europe, into the Commonwealth, to Israel, Central
and South America, and beyond. In European countries lacking constitutionality protected rights and freedoms
or constitutional review, implementation of the European Convention on Human Rights into the national legal
system leads also to implementation of the principle of <p.731> proportionality in the national jurisprudence.
The European Court of Justice, the European Court of Human Rights, and the Panels and the Appellate Body of
the World Trade Organization all operate under the principle of proportionality. » (p.732).
92
SCHLINK, Bernard, « Proportionality (I) », in Michel Rosenfeld, Andras Sajo (ed.), The Oxford Handbook of
Comparative Constitutional Law,cit., p.736 : « Application of the principle has had and will have a standardizing
effect on different constitutional cultures. Constitutional cultures with a doctrinal tradition will progressively be
transformed in the direction of a culture of a case law (…) Another way of viewing this is that the principle of
proportionality does not have a standardizing effect on different constitutional cultures, but rather that it is a
standard that constitutional cultures share and that they become more and more aware of ».
15
société ne repose-t-il pas, avant tout, sur une fiction de l’interprète qui y recourt ? Ainsi,
particulièrement typique du nouveau constitutionnalisme 93 , ce recours au standard de la
proportionnalité n’en reste pas moins, bien que théorisé avec une même netteté par Robert
Alexy94 ou Carlos Bernal Pulido95, tributaire d’une certaine interprétation discrétionnaire liée
au recours à une échelle de valeurs96. Si en effet le principe de proportionnalité s’est répandu
sous la forme d’un standard dans l’interprétation constitutionnelle, comment toutefois ne pas
percevoir que cet usage ne repose pas néanmoins sur une formalisation claire mais sur une
justification par degré d’affectation et de préférence, donc sur une justification plutôt d’ordre
axiologique97. L’argument de la proportionnalité dans les décisions constitutionnelles semble
donc bien un outil rhétorique permettant aux juges de justifier une « optimisation » des droits
fondamentaux98 sans qu’il n’y ait de doute quant à la pertinence d’un tel recours. Et il vrai
qu’un tel standard permet justement de justifier, comme un canon interprétatif,
l’interprétation constitutionnelle et l’illusion d’un « dialogue des juges » qui repose toutefois
sur l’usage de mêmes standards communs. Cela étant, d’autres principes témoignent de cette
standardisation constitutionnelle, non plus seulement pour la méthode d’interprétation du
droit, mais dans la structure du droit lui-même : il en va en particulier du recours au principe
de sécurité juridique.
2.3. Exemple d’un standard transconstitutionnel : la sécurité juridique
Comme nous le rappelle le professeur Guillaume Tusseau dans une contribution sur
les dialogues transconstitutionnels99, un arrêt du Tribunal Suprême de Justice du Venezuela,
du 17 octobre 2011, convoque l’argument de « standards pour résoudre le conflit entre les
93
POZZOLO, Susanna, Uno sguardo distaccato (e disincantato) sul neocostituzionalismo (manuscrit inédit).
ALEXY, Robert, Teoria dei diritti fondamentali, trad. italienne, Bologna, Il Mulino, 2012 ; Id., “Grundrechte,
Abwägung Rationalität”, in Ars Interpretandi. Yearbook of Legal Hermeneutics, n°7, 2002 (trad. espagnole, D.
García Pazos & A. Oehling de los Reyes, “Derechos fundamentales, ponderación y racionalidad”, in
CARBONELL, Miguel, El canon neoconstitucional, p. 104.
95
BERNAL PULIDO, Carlos, El principio de proporcionalidad y los derechos fundamentales, Madrid, 2003.
96
GUASTINI, Riccardo, Distinguendo. Studi di teoria e metateoria del diritto, Torino, Giappichelli, 1996, pp.
115-145; Id., Leçons de théorie constitutionnelle, cit., p. 235.
97
GARCIA AMADO, J.A., “Neoconstitucionalismo, ponderaciones y respuestas mas o menos correctas.
Acotaciones a Dworkin y Alexy”, in Carbonell, M., El canon neoconstitucional, cit., p. 391 : “Una norma
constitucional, que llameremos N1, dice que “Todos tienen derecho a la libertad de expresión”; otra norma
constitucional, N2, dispone que “Todos tienen derecho al honor”. ¿ Qué ocurre si un conciudadano mío, afirma
en una reunión publica que sabe con total certeza que yo practico el bestialismo con gallinas? Si, por el
momento, damos por sentado sin discusión que una afirmación asi supone una mancha para mi honor, entendido
aquí como reputación o estima publica, y puesto que es indudable en el caso que ese ciudadano se ha expresado
libremente, tendríamos que mi conciudadano tanto ha ejercido su libertad de expresión como ha danado mi
honor, el honor que, según N2, yo tengo derecho a que se mantenga incólume. En otros términos, la acción de X
consistente en proferir tal afirmación en la mencionada reunión publica tanto es subsumible bajo N1, y entonces
es una acción permitida, puro ejercicio de un derecho de X, como es subsumible bajo N2, pues dana ese honor al
que yo tengo derecho pleno. ¿ Estamos, pues, ante una antinomia? Y sea antinomia o no, ¿ como se decide un
caso asi derecho en mano?”
98
SCHLINK, Bernhard, « Proportionality (1) », pp.719-737 ; BARAK, Aharon, « Proportionality (2) », in
Michel Rosenfeld, Andras Sajo (ed.), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, pp.738-755.
99
TUSSEAU, Guillaume, « « Irregulare aliquod et (tantum non) monstro simile » : remarques sur les heurs et
malheurs des dialogues juridictionnels transconstitutionnels », à paraître, Mare & Marin, 2014.
94
16
principes et les normes »100. La sécurité juridique fait justement partie de ces standards qui
permettent aux juges de se donner la conviction d’un dialogue qui pourtant se fait dans
l’application silencieuse des standards.
2.4. La sécurité juridique : un standard performatif
Évidemment, ces standards servent le dialogue juridictionnel transconstitutionnel en ce
qu’ils permettent bien aux interprètes de lire la Constitution à la lumière de principes réputés
intangibles, garantis tant en l’espèce, dans l’arrêt vénézuélien susmentionné, par les
conventions internationales et interaméricaine que par le juge national. Dans cet arrêt, les
juges de la Cour de Caracas avaient en outre retenu la prévisibilité et la certitude du droit, au
sens de la « sécurité juridique » comme un élément précis de standard constitutionnel101. En
ce sens, autant dire qu’au-delà même du seul principe selon lequel, dans nos démocraties
contemporaines, il revient à la justice constitutionnelle de « préserver la démocratie et la
justice au-delà des contingences »102 , des standards jurisprudentiels ont vu le jour afin de
mettre en ordre cette exigence : le standard de « sécurité juridique » 103 de « certitude du
droit » comme « standard minimum de protection » 104 pour les États. Cet élément se veut,
bien sûr, être un point d’appui fondamental dans l’interprétation constitutionnelle, permettant,
en reprenant notre distinction préalable, de jouer le rôle d’1) élément d’harmonisation ; 2) de
norme adoptée par l’usage et ; 3) de principe de résolution universel de conflits et donc de
régulation du système constitutionnel. Par cette dernière acception il faut bien entendre que le
recours à la sécurité juridique permet d’assurer, par sa force là encore rhétorique, l’illusion
d’un fonctionnement normal du système constitutionnel.
Dans son arrêt 334/2013 du 26 juin 2013, la Cour constitutionnelle de Roumanie va
précisément utiliser ce recours au standard de sécurité juridique lors de l’examen de la
constitutionnalité de nouvelles règles portant amendement de la loi sur le quota minimum de
participation des électeurs à un référendum. La « sécurité juridique » et la « stabilité
juridique » viennent justement convaincre, à l’appui de la décision des juges roumains, de la
100
Tribunal Suprême de Justice du Venezuela, Chambre constitutionnelle, Expediente n° 11-1130 du 17 octobre
2011, § VII Motivaciones para decidir : « los estándares para dirimir el conflicto entre los principios y las
normas deben ser compatibles con el proyecto político de la Constitución (Estado Democrático y Social de
Derecho y de Justicia) y no deben afectar la vigencia de dicho proyecto con elecciones interpretativas
ideológicas que privilegien los derechos individuales a ultranza o que acojan la primacía del orden jurídico
internacional
sobre
el
derecho
nacional
en
detrimento
de
la
soberanía
del
Estado. » (http://www.tsj.gov.ve/decisiones/scon/octubre/1547-171011-2011-11-1130.html)
101
Tribunal Suprême de Justice du Venezuela, Chambre constitutionnelle, Expediente n° 11-1130 du 17 octobre
2011, § II Contenido de la decisión : « (...) el estándar de previsibilidad o certeza de la norma. En efecto, el ´test
de previsibilidad` implica constatar que la norma delimite de manera clara el alcance de la discrecionalidad que
puede ejercer la autoridad y se definan las circunstancias en las que puede ser ejercida con el fin de establecer las
garantías adecuadas para evitar abusos ».
102
MEZZETTI, Luca (a cura di), Sistemi e modelli di giustizia costituzionale, Padova, CEDAM, 2009, p.85.
103
Cour constitutionnelle d’Albanie, du 6 février 2013, 1/2013 ; Cour constitutionnelle d’Allemagne, 6 février
2013, BvR 2122/11, 2 BvR 2705/11 et 5 mars 2013, 1 BvR 2457/08 ; Cour suprême fédérale du Brésil, 15 mars
2012 ; Cour constitutionnelle de Croatie, 7 novembre 2012, U-I-2414/2011, U-I-3890/2011, U-I-4720/2012 ;
Cour constitutionnelle de Hongrie, 21 février 2013, 4/2013 ; Cour constitutionnelle de Roumanie, 26 juin 2013,
334/2013.
104
DI MANNO, Thierry, « Les divergences de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et les juridictions
ordinaires suprêmes », in Les divergences de jurisprudence, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003,
p. 203.
17
pertinence quant au rôle qu’est le leur d’assurer une législation mieux contrôlée. Le standard
n’est plus alors simplement interprétatif, comme dans le cas du recours à l’argument de la
proportionnalité, mais il est ici directement performatif : nul balancement ou pondération
n’est à faire, la sécurité juridique est un argument qui doit s’appliquer directement. Il joue
alors le rôle d’un standard comme principe de résolution de conflits et comme élément
d’harmonisation.
Quelques semaines auparavant, dans un arrêt 4/2013 du 21 février 2013, la Cour
constitutionnelle de Hongrie avait justement utilisé ce principe pour résoudre un conflit entre
la liberté d’expression et la protection de l’ordre public. L’argument de la « sécurité
juridique » avait joué son rôle de standard permettant, de façon fort surprenante - pour qui ne
croirait pas à l’usage rhétorique qui en est fait - de déclarer inconstitutionnelle l’interdiction
de l’usage des symboles des régimes totalitaires (« svastika », sigle SS, croix fléchée, étoile
rouge à cinq points, marteau et faucille), établie par les dispositions de l’article 269/B du
Code pénal hongrois, au profit d’un large respect de la liberté d’expression. Quoiqu’il puisse
sembler particulièrement étonnant que le juge hongrois privilégie à ce titre la liberté
d’expression, dans un contexte délicat, l’usage qu’il fît alors du standard de sécurité juridique
était précisément venu à l’appui d’une démarche visant à valider la légalité du port de
symboles significatifs du totalitarisme et de la dictature nazie.
2.5. Un argument de relative autorité régulatrice
Cette utilisation du standard qu’est ce principe de sécurité juridique ou de certitude du
droit trouve d’ailleurs, plus pacifiquement, une application poussée au Brésil et en Argentine
par exemple, à l’appui de conflits qui permettent aux juges d’utiliser ce principe comme un
argument de relative autorité régulatrice. En Argentine, c’est ce que fait notamment la Cour
Suprême de Justice de la Nation dans un récent arrêt du 11 février 2014, Asociación
Trabajadores del Estado cl Fisco de la Provincia de Buenos Aires 105. En effet, les juges
argentins, de façon assez lapidaire, ont utilisé le recours au principe de sécurité juridique pour
résoudre un conflit et en tirer une exigence de protection des droits. De leur côté, l’utilisation
de ce même principe par les juges de la Cour Suprême Fédérale du Brésil, plus prolixes, a
permis, dans l’arrêt ADI 2.240 du 9 mai 2007 106 , d’expliquer en quoi ce « princípio da
segurança jurídica », à l’appui des théories de André de Laubadère107 ou Georg Jellinek108,
devait être « préservé ».
105
Cour Suprême de Justice de la Nation d’Argentine, 11 février 2014, Asociación Trabajadores del Estado cl
Fisco
de
la
Provincia
de
Buenos
Aires :
http://www.csjn.gov.ar/confal/ConsultaCompletaFallos.do?method=verDocumentos&id=708389 :
« por razones de seguridad jurídica fundadas en el principio de perentoriedad de los términos, esta Corte no
admite presentaciones posteriores al "plazo de gracia" previsto en el arto 124 del Código Procesal Civil y
Comercial de la Nación, ni siquiera cuando la demora es de pocos minutos (Fallos: 316: 246; 319:2446 y
329:326, entre otros). »
106
Cour Suprême Fédérale du Brésil, 9 mai 2007, ADI 2.240 : http://www.stf.jus.br/imprensa/pdf/adi2240.pdf
107
Au §6 de l’arrêt, dans son Traité élémentaire de droit administratif, 4éme. ed. LGDJ, Paris, 1.967, p. 17.
108
Au §6 de l’arrêt, dans son Teoría General del Estado, 2a ed., trad. espagnole de Fernando de Los Ríos, Fondo
de Cultura Económica, México, 2.000, pp. 319 et ss.
18
Au fond, s’il est possible d’induire une conclusion provisoire de tels raisonnements et
usages, nous pourrions avancer que le recours au standard de sécurité juridique, comme le
recours à celui de la proportionnalité semble donc permettre à plusieurs titres d’illustrer en
quoi un standard constitutionnel, au-delà de chaque cas d’espèce concerné, assure toujours
une même fonction : préserver un ordre juridique particulier c’est-à-dire préserver des valeurs
particulières, tout en donnant l’illusion de faire dériver ces valeurs du standard en question.
C’est bien là toute la force illusoire du standard en matière d’interprétation et de décision :
plus son recours semble évident pour les juges, plus le dialogue des juges s’éloigne et plus le
standard joue alors un rôle rhétorique dissimulant une idéologie.
19
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