J. Gernet Brisson J. Carlier A.: Recel-Laurentin: )ivination et Rationalité Recherches anthropologiques sous la direction de Remo Guidierl aux Éditions du Seuil; PÜili DIVINATION ET RATIONALITÉ JEAN-PIERRE VERNANT Parole et signes muets Autant que du bon sensdont parle Descartes, on pourrait dire de la divination 'qu'elle est la chose du monde la mieux partagée. Nulle société,au long de l'histoire humaine,qui ne l'ait à sa façon connue et pratiquée. En invitant des historiens des grandes civilisations du passéà confronter les techniques oraculaires, utilisées ici ou là?pour s'interroger en commun sur les formes qu'a pu revêtir l'intelligence divinatoire, ne prenait-on pas le risque de répéter un travail de docu- mentation que d'autres avaient déjà mené à bien :? En réalité, notre projet était à la fois moins vaste et plus ambitieux. Nous ne prétendions pas présenter à notre tour un tableau presque exhaustif des normes de divination que les spécialistesont pu répertorier dans les diverses civilisations. Nous voulions tenter de répondre, à partir de quelquescas topiques et par leur comparaison, aux deux problèmes fondamentaux que la divination nous paraissait soulever, ëïèslors qu'on l'envisage dans sa double dimension d'attitude mentale et d'institution sociale : quelle est, d'une part, la nature des opérations intellectuelles impliquées dans le déroulement de la consultation ora- culaire, en quoi consiste la logique du système mis en œuvre par le devin pour déchiRrer l'invisible et répondre à la demande des consul' tants; en bref. quel type de rationalité s'exprime dans lejeu desprocédures divinatoires, l'appareil des techniques et des symbolismes oraculaires,les cadresde classiôcationutilisés par le devin pour trier, ordonner, manipuler et interpréter les informations sur lesquelles se fonde sa compétence? Quellessont, d'autre part, la place et la fonction de ce savoir oraculaire dans une société donnée : puisque la scienceprophétique s'exerceà l'occasion de choix, et de choix impor- tants, qu'elle détermine des décisionstant publiques que privées, jusqu'où s'étend son champ d'application, quels sont les domaines de la vie socialesoumis à son autorité, et comment se situent, sur ces plans, les rapports du devin avec les autres personnages qui disposent, 1. Nous pensonsen particulier à la série d'études rassembléesen deux volumes par MM. Caquot et LeibovÎci, sous le titre : /a .Z)ïvi/zarïo/z,Paris, 1968. 9 -} JEAN'PIERRE VERNANT PAROLE ET SIGNES MUETS à leur niveau, d'un pouvoir de décision, comme le roi, le prêtre, mental qui les sous-tend ont pu imposer leur rationalité sur le plan intellectuelcommeleur légitimité sur le plan social. le juge g :? Entre ces deux types de questions,on pouvait supposera priori une certaine solidarité. Dans les sociétésoù la divination ne revêt pas, comme dans la nôtre, le caractère d'un phénomène marginal, voire aberrant, où elle constitue une procédure normale, régulière, souvent Dans cette perspective, on pouvait se demander si les hellénistes étaient les mieux placés, les mieux armés pour faire démarrer la rechercheet proposer un programme d'enquête. Le statut de la divination en Grègeancienne apparaît à tous égards incertain et ambigu. Si les formes de consultation oraculaire pratiquées ici ou là ont été même obligatoire, la logique des sytèmesoraculaires n'est pas plus étrangèreà l'esprit du public que n'est contestablela fonction du devin. La rationalité divinatoire ne forme pas, dans ces civilisations, un secteur à part, une mentalité isolée, s'opposant aux modes de raisonnement qui règlent la pratique du droit, de l'administration, fort variées, nous ne disposons pas cependant de documents compa- de la politique, de la médecineou de la vie quotidienne; elle s'insère rables,par le nombre et la précision,à ceux qu'oÆrentpar exemple les mondes chinois et mésopotamien. Surtout, nous n'avons pas à dans ses démarchesintellectuelles à des normes analogues, tout de dans des traités. Nous ne savons même pas au juste comment fonc- de façon cohérente dans l'ensemble de la pensée sociale, elle obéit faire à des systèmes organisés, à un corps de doctrines consignées tionnait l'oracle par excellence,celui dont le renom, le prestigeéclipsaient tous les autres et dont l'autorité, à partir du Vile Siècle,s'est imposée à l'ensemble du monde hellénique : l'oracle de Delphes. Les questions y étaient-ellespréparéeset remises à l'avance ou for- même que le statut du devin apparaît très rigoureusementarticulé, dans la hiérarchie des fonctions, sur ceux des autres agents sociaux responsables de la vie du groupe. Sanscette double intégration de l'intelligence divinatoire dans la mentalité commune et des fonctions du devin dans l'organisation sociale, la divination serait incapable de remplir le rôle que lui ont reconnules anthropologuesde l'école fonctionaliste : celui d'une instance oMcielle de légitimation proposant, dans le cas de choix lourds de conséquences pour l'équilibre des groupes, des décisions socialement <<objectives )}, c'est-à-dire indépendantesdes désirs des parties en cause et bénéûciant, de la mulées sur-le-champ au moment même de la consultation? Etaient- elles toujours expriméessous forme d'alternative, de choix entre deux solutions, comme il semble avoir été de règle à Dodone, ou pouvaientelles revêtir suivant les cas des formes diÆérentes? En quel sens, d'autre q part'du corpssocial,d'un consensus généralqui placece genrede de transe, les sons, les mots, qu'elle proférait dans son déli re devaient, pour être intelligibles, faire l'objet d'une traduction de la part d'un collège de prêtres, d'un corps de <( prophètes >>,auxquels incombait la charge d'interpréter et de rédiger la réponse de l'oracle. Si la Pythie réponses au-dessus des contestations * Notre proposétait donc de rechercher,là où ellesselaissentvoir le plus clairement, les raisons de ce consensus,de montrer, en nous appuyant sur certaines des civilisations où l'emprise de la divination estla plus forte tant par sonétendueque par son haut degréd'élaboration, comment les opérations symboliques du devin et le système part, la Pythe était-elleinspirée? Si elle vaticinait en véritable état t répondait au contraire directement au consultant, on doit supposer qu'elle parlait de sang-froid et que la présencedu dieu dont le soude l'inspirait se manifestait en elle sans pour autant égarer sa bouche ni son esprit. Ses réponses étaient-elles données en prose ou en vers, consignées par écrit ou transmises oralement? 1. Tel est bien l'ordre de questionsque posent,de leur côté, A. Adler.et A. Ze!!pleni dans leur enquêterécemmentpubliée sur la divination chez les Moundang d! Tchad. Ils écrivent : « . .. Il s'agit de se demander quelle est la nature de la démarche intellectuelle qu'e]]e [la divination] implique et ce qu'il en est.du. savoir qX'ell? mlt en ouvre... Comme elle est avant roui une institution sociale destinée à guider les choix, tant des individus que de la collectivité, pour arrêter toutes sortes de décisions... il faut examiner l ses rapports avec les pouvoirspolitiques et.religieux », /e .Bé/o/z de Z'aPeæg/e..Dïvfnar/o/z, malaâiè et pouvoir chez ïes Moündang. du Tchad,Pax\s: \91'2,.D. \.2. " 2. Cy: E. E. Evans-Pritchard, WaïfcÆcrclHï,' Oracles anà'JI/agie amolzg file.Jzandu, Oxford. 1937: G. Park, <<Divination and its social çontexts», Jouræa/of fÆeRoJ,aJ V: W. Turnes, TBe Drzïmi afll#îïcfiaiz, .4lzïÆropologica/ /nsfff /e, 1963, 93, 2, p. 195-209; Oxford, 1963; TËe .4//aca/îozz of rexpoæiab//fry, ed. by Max Gluckman, Manchester, 1972 10 Étaient-elles précises et claires, comme certains documents le laissent supposer, ou énigma- l tiques et ambiguës comme l'afü'me toute ,la tradition littéraire? Puisqu'il sembleenân incontestable que la cléromancie n'a pas cessé d'avoir sa place à Delphes, comment s'associaient la consultation par les sorts et la divination inspirée? S'agissait-il de deux techniques indépendantes,servies par un personnel distinct, ou de deux moments, deux niveaux d'une même pratique oraculaire, la Pythie commençant par <<secouer>>et consulter les sorts avant de prophétiser à haute voix, de la mêmefaçon que certainesvoyantesafricaines,possédées elles aussi par les esprits (comme la zzasa ïwa so qu'évoque dans son étude 11 PAROLE ET SIGNES MUETS JEAN-PIERRE VERNANT M"e Retel-Laurentie), A l'époque classique, sous d'autres formes, œs aspects flottants appuient sur des procédures<< mécaniques >> ou <(aléatoires >>les révélations qu 'elles transmettent et à certainségardsmarginauxde la divination ne sont pas moins ensuite en paroles? Autant de questions auxquelles les hellénistes ne peuvent aujourd'huî marqués. Sous le régime de la cité, toutes les décisions importantes pour la communauté, qu'elles concernent le domaine politique etsoient encore répondre avec une entière assuranceet qui engagent toute Il y a plus. Les faiblessesde notre information tiennent, au moins prises dans les'assemblées, qu'elles s'appliquent à l'administration du droit et soient adoptéesdans l'enceinte des tribunaux, mettent désormais en jeu une technique de choix analogue : les options entre les- que dans d'autres civilisations. Dans le monde homérique, organisé opposés dont chacun, pour l'emporter, doit réussir à convaincre un homme de métier, un cœmïourgosqu'on appelle chez soi quand on en a besoin au même titre que le charpentier, le médecin ou l'aède de discussion qui relèventd'une rationalitéqu'on pourraitdire l'interprétation que nous pouvons proposer du scénario oraculaire delphique et de ses composantes intellectuelles ï. en partie, au fait que la place du devin n'est pas aussi rigoureusement fixée ni l'autorité de la divination aussi fermement établie en Grège quellesil faut trancherfont l'objet, au cours d'un débat public et contradictoire,d'une confrontation explicite sousforme de discours autour de grandesfamilles nobles,de maisonsroyales,le devin est l'auditoire par l'argumentation et la réfutation de !a thèseadverse. Les prises de décisionsreposent ainsi sur des procéduresverbales et qui met comme eux à la disposition du public sa compétence technique z. A l'intérieur de la maison, où il demeure pour un temps rhétorique ou dialectique, d'une logique de la persuasionargumentée dont les principes et l'esprit sont entièrementétrangers à la mentalité jamais tout à fait intégréau groupefamilial. Marginauxdansla sphère à titre privé ou à l'occasion de certaines fonctions omcielles, ne peut que, un corps organisé avec sesstructures institutionnelles et sesnormes à cet égard que l'activité oraculaire setrouve, dans la Grègeclassique, concentrée pour l'essentiel autour de grands sanctuaires que leur en service, il reste d'une certaine façon un étranger, un hôte qui n'est divinatoire. Dans le cadre de la po/fs, la divination, qu'elle s'exerce de la vie domestique, les devins ne forment pas non plus, à l'âge archaï- plus avoir qu'un rôle mineur et accessoire.Il est bien significatif propres. Même s'il existe des fané, des lignées de devins, comme de chanteurs, ils ne sont pas groupés en des confréries dont le statut, caractère panhellénique place en marge de la cité, en dehors du cadre institutionnel qui définit la communauté civique et qui fait de chacun dansl'échelle desfonctions et des honneurs,serait déôni de façon de ses membresun citoyen participant de plein droit, par la libre claire et univoque. Leur compétence, analogue à celle de tous les autres démiurges, est au reste limitée. Ils ne détiennent pas le privilège d'un P savoir qui leur conférerait dans le groupe une sorte de monopole intellectuel en faisant d'eux les dépositaires d'un vaste système de Ce que les États attendent de l'oracle quand ils lui dépêchentune délégation de théores chargés de le consulter à titre oHiciel, c'est connaissances,inaccessible au commun des hommes et indispensable à la vie collective. Sur le terrain même de leur habileté, ils sont assez proches d'autres personnagespour que la démarcation des rôles entre les uns et les autres ne soit pas toujours bien nette : par certains aspects, ils touchent au prêtre qui, dans l'accomplissement de sestâches sacri- ôcielles, doit prendre lui-même en charge l'interprétation des signes présentéspar la flamme, la fumée, les entrailles; quand ils exercent leur art à des üns de guérison, en décelant pour les purifier des fautes anciennes dissimulées dans le passé,ils s'avancent dans un domaine où ils se trouvent confrontés au médecin; comme eux enûn, les aèdes, sous l'eŒet d'une inspiration divine, ont la capacité de voir, au-delà desapparences,l'invisible, de chantercomme s'il était présent tout œ qui a été et tout ce qui sera. L. Cf. 'P. )mmanùry,La Mantique apoïïinienne à Deïphes. Essai sur ïe fonctionnement de /'Drac/e,Paris, 1950; M. Delcourt, .L'Orge/ede .De/pÀe.î, Paris, 1955. 2. Hombre, Odes.çée,17, 382-5. 12 discussion et le vote, à tous les processus de décision concernant les alaires publiques. ( dansla quasitotalité descas desconseilsou desprescriptionsd'ordre religieux : fondation de cultes, divins et héroïques; réglementation de sacriûces,d'oŒrandes,de dédicaces;gestionde domainessacrés; procéduresde puriûcation en cas de meurtres,de suicides,de sacri' logesou de souillures majeures;mesuresà prendre, rituels à instituer en expiation d'une calamité naturelle ou d'une épidémie; éventuellement, enfin, consécration, à travers l'assentiment de l'oracle, d'une réforme institutionnelle ou législative. Quelles qu'aient pu être à divers moments les interférences entre la divination et la politique (par exemple quand des recueils d'oracles, réels ou actifs, ont été utiliséspar les rois de Sparteou les tyrans d'Athènes commeinstruments de leurs projets personnelset de leurs ambitions), elles appartiennent à des plans diÆérentsde la pratique sociale et le clivage en elles est trop net, l'opposition des types de rationalité auxquelselles se réfèrent trop marquée pour que le Gobait ne se soit pas ouvertement 13 'Y' PAROLE ET SIGNES MUETS JEAN-PIERRE VERNANT problèmes, exprimé dans la réflexion de ceux qui, par leur activité intellectuelle, encore qu'elles les abordent sous des angles diŒérents. Pour l'une, il s'agit de déûnir le statut de la divination chez un penseur comme Platon, qui incarne à la fois le triomphe de la nouvelle ratio- entraient sur le terrain même du savoir en compétition plus ou moins directe avec oracles et devins : sophistes et philosophes d'abord, bien nalité philosophique et ce que Louis Gernet appelait <<un impérialime sûr, mais aussi historiens, médecins, savants. En faisant profession de l'intellectuel 1», convaincu que sa science fait de lui un élu, un /Aefos d'enseigner un art rhétorique qui, sur toute question débattue, donnait le pouvoir d'emporter la décision, que prétendaient ûnalement anar, un homme divin, appelé à redonner vie, sous une autre forme, les sophistes,sinon substituer aux procéduresde type oraculaire une technique profane, tout autre mais égalementefficaceet qui, dans les secteursoù elle trouvait à s'appliquer, .répondait à une ûnalité ana- au personnagemythique du Roi-Magicien, que sa maîtrise de secrets religieux, sa possessionde facultés supérieureshabilitant à gouverner Ce n'est donc pas seulementau niveau des institutions, dans les condamnée, écartéedu pouvoirpar la démarchemêmequi l'exclut divination a été mise en cause et comme refoulée par la po/iÿ,' elle a où la divination est une techniqueprétendantappliquer la raison humaine à l'interprétation de signesenvoyéspar les dieux, elle souverainement ses semblables. De ce point de vue, il semblerait que la divination n'ait plus sa place,qu'elle se trouve sur tous les plans e bogue? règ[es d'exercice du pouvoir et d'administration du savoir. Les choses sont cependant moins simples. Dans la mesure de ]a justice, que ]a fait l'objet d'une contestationd'ordre théoriqueau nom de formes est pour Platon illusion et erreur; les politiques n'ont que faire de ces de penséediÆérentes,élaborées par ces nouveaux types d'intellectuels qu'on voit surgir en Grège du Vle au Ve siècle et qui, au IVe, en fondant des écoles où ils dispensent leur enseignement, sont conduits charlataneries.Mais, dans la mesureoù elle ne porte pas sur des signes ni ne met en œuvre l'intelligence, où elle est parole tout.entière [ livrée à l'inspiration, elle implique une prise en chargede l'homme par les dieux : elle serévèle alors déraisonet folie cerf:s, mais folie divine qui, à défaut de ce savoir véritable que seul le philosophe peut apporter aux dirigeants, permet d'enraciner en quelque façon.la politique dans l'au-delà, de l'ancrer dans un aune..univers que celui de l'existence sensible et des intérêts matériels. S'il est un domaine à revendiquer pour eux-mêmes, leurs disciples, le public savant auquel ils s'adressent, le privilège d'accéder à la connaissance véritable, certains d'entre eux en tirant ]a conclusion qu'ils sont, au moins en droit, les seulsqualités pour conseillerles gouvernantsou même pour prendre leur place et diriger en personne les alaires de l'État. Ces confits de compétences,ces a#rontements de rationalité au que respectele rationalisme conquérant du philosophe, où il se montre sein d'une même culture, s'i]s broui]]ent, dans ]e tableau qu'en présente scrupuleusementconservateur, parce qu'il y voit comme la trace laisséedans l'irrationnel par l'univers des formes idéales, c'est celui la Grège,l'image de la divination telle qu'elle apparaît en clair là où les paroles de l'oracle s'imposent sans contestation, ont cependant des pratiques religieuses, dont la divination précisément fait partie. l'avantaged'attirer notre attention sur un aspectdu problèmele plus souventméconnu : dans sesformesoMciellesetinstitutionnalisées, la divination supposetoujours une appropriationplus ou moins pousséedu savoir -- et d'un savoir dont les dieux eux-mêmessont garants -- par un groupe restreint de spécialistes.Quelle est alors l'attitude du corps social à l'égard de ces détenteurs d'une connaissancequi, à la limite, seveut omniscience?Quelle place, dans le jeu des { r Il ne suit donc pas à Platon de disqualiôer la divination sur le plan de la connaissance rationnelle ni de lui substituer la philosophie sur le plan de l'exercice du pouvoir; il lui faut aussi la récupérer,la réinsérer dans son systèmeanthropologique et politique, en la canalisant, en lui faisant surtout subir un déplacementpour la rattacher à ce domaine de réalité <<intermédiaire >>qui, n'étant ni celui de l'intel- De quelles façons leur compétencese trouve-t-elle, suivant les cas, ligible ni celui du sensible,ne relèvepas de la vérité sansappartenir pour autant àl'erreur. utilisée par ceux qui disposent d'un autre type de prestige et d'autorité ? au ivê sièclede notre ère, dont il est traité plus loin, est en quelque dans les sociétés <<traditionnelles )>, anciennes ou archaïques, que contraint de ménagerune place, dans le tableau de la cité idéale où seul le Savoir qualifie pour la souveraineté,à une divination influences et la compétition des pouvoirs, leur est-elle ménagée? plus ou moins limitée, canaliséedans certains secteurs,soumiseet ' Le problème de la répression de la divination dans l'Empire romain Au fond, c'est la question des rapports entre Savoirs et Pouvoirs sorte inverse. Nous n'avons plus à faire au personnage du philosophe, soulève,lorsqu 'elle est orientée comme la nôtre, une enquête sur la divination. Deux études, dans ce volume, concernent plus précisément ces 14 1. .,4nr&ropo/agiede Za Grâce a/zfïgæe,Paris, 1968, p. 428 15 PAROLE ET SIGNES MUETS Ç JEAN-PIERRE VERNANT qu'il lui a fallu pourtant exclurede la connaissancevéritable: nous sommesen présenced'un empereurdont le pouvoir, total et absolu voient une façon d'écarter la menaceque constituerait pour leur ordre social une appropriation trop complète du savoir. <(La société.Moun- comme celui du philosophe-roi, se veut lui aussi, mais d'une autre façon, garanti par les dieux, inscrit dans l'ordre cosmique. Si l'Empire pourchasse et interdit la divination sous toutes ses'formes, l'assi- dang, écrivent-ils, conjure ainsi un Savoir dont l'extension illimitée postulerait un Sujet omniscient, omnipotent, servi par.une classede rattache à l'irrationnel, mais en raison des périls que, par son eMcacité même, elle comporte pour l'État, parce qu'elle relève du même type dang ait jugé utile de se prémunir contre un Savoir qui se prévaudrait milant à la magie, ce n'est pas pour sa fausseténi parce qu'elle se de rationalité qu'invoque le pouvoir pour fonder et conôrmer sa légitimité, qu'elle interfère donc dangereusementavec lui en chaque occasion, même mineure, où elle se manifeste. Platon condamnait la divination privée et ne l'acceptait que dans la mesure où, s'exerçant à titre public, elle se déroulait dans le cadre, sousle contrôle et dans l'intérêt d'un État dont l'organisation et la ônalité étaient axées par la Raison. L'Empire réprime dansla divination une entreprise d'autant plus pernicieusequ'elle tient de plus près à l'intérêt public. S'il interdit ônalement la consultation la plus anodine, eŒectuée à titre purement personnelet privé, s'il en fàt un crime contre l'État, un délit de lèse-majesté, c'est que la procéduredivinatoire, par ses principeset son orientation, s'exercesur un terrain qui touche aux prêtreset de savantsprétendants'arroger une partie de cette.omniscience et de cette omnipotence... Il semble bien que la société Moun- du privilègede la vérité pour lui dire ce que sesdécisionsdoivent être l » Connaissance des événements singuliers, des carrières de vie indi- viduelle et aspiration au savoir total 2 -- c'est cette double ambition qui anime l'intelligence divinatoire et qui donne à ses démarchesun caractère paradoxal. La divination a pour objet des séquences.de faits particuliers sur lesquels on consulte précisément.parce qu'ils sont d'ordre aléatoire; or, à travers les procéduresqu'elle leur appui' que, elle les traite selon une logique générale qui conduit.à. exclure le hasard de la trame des événements, à supprimer l'aléatoire en interprétant les rapports de successiondans le temps, avec la marge fondements du pouvoir. Scruter l'avenir, déchiRrer les signes célestes, d'imprévisibilité qu'ils comportent, sur le modèle de relations.struc- ûgurent de tout temps écrites, la vie et la mort di l'empereur, la destinéemêmede l'Empire. La répressionde la divination dans le code théodosien n'est pas due pour l'essentiel à des motifs d'ordre dans un segment d'espace. Pour déchiŒrer ces configurations spatiales, c'est accéderà cette zone secrète,où l'on peut lire, parce qu'elles y religieux, à une influence chrétienne, puisqu'elle avait déjà été engagée par lesempereurspaïens.Elle obéit aux impératifs de la raison d'État. C'est le caractèretotalitaire du pouvoir qui lui rend intolérable l'organisation d'une forme de connaissance portant, non sur des turelles d'homologie et de correspondance, inscrites et repérables la divination retient' et isole certains objets auxquels elle accorde une valeur symbolique de microcosme : écailles de tortues, .viscères des animaux sacriûés, ûgures tracées au hasard sur le sable, étendues délimitées et orientées selon des règles, parties visibles du ciel, aspects du visage et du corps, combinaisons de dés, de coquilles, de cartes ; Et, à partir de l'agenœment interne de cesobjets ou collections d'objets, abstractions, mais sur le cours réel des événements,et que sa logique qui lui apparaissent comme des rejets à' petite .échelle de l'ordre total. Le christianisme ocre seulementà la répression d'État une justiâcation supplémentaire en lui apportant le secours d'une religion redoutée par le consultant, est toujours par définition .au.départ interne pousse à se constituer elle-même,face au pouvoir, en savoir qui rejette en bloc du côté du Malin les pratiques oraculaires, et qui condamnedans la divination une <<curfoiï/ax)>impie à l'égard d'un avenir dont Dieu règle solitairement les voies providentielles. On sera tenté d'évoquer sur ce point, dans un esprit comparatif. les conclusions de l'enquête menée, dans un contexte à vrai dire tout diŒérent,par A. Adler et A. Zemplénisur la divination chez les Moundang du Tchad. S'interrogeant sur les formes particulières que les Moundang ont données,pour en limiter la portée, aux pro- cédures oraculaires du Kindani, empruntées à la géomancie, ils y 16 cosmiquetotal, elle infère des conclusionsassuréesconcernantdes événementsdont l'éventualité, qu'elle soit souhaitéeou qu'elle soit incertaine. L'omniscience à laquelle prétend le devin, si elle était pleinement réalisée, ferait disparaître, avec le caractère hasardeux des événements, la fonction même de la divination, sa ônalité pratique, car le consultantn'attend pas de l'oracle qu'il lui prédiseun avenir 1. 0P. cïr.,P. 213. .. .. .. '. '..'... 2. c7: les';Làarques de R. Bastide sur la divination combe sciencedes!Tènements: @$œœ lÉgalE i3 doctrines », Jouir a/ de .psycho/ogië,1948, P. 299-325. 17 =;'i=:i;: : JEAN-PIERRE VERNANT PAROLE ET SIGNES MUETS déjà inexorablement âxé mais.qu'il lui indique, dans un cas précis, ce qu'il doit fore ou ne pas faire pour que les choses tournent'à soi avantage et que. se réalisent les éventualités les plus favorables. Les systèmesdivinatoires s'établissentainsi sur des'équilibres, plus il voue à la publicité et met sous le regard de tous des aspectsdu savoir que la parole réservait à des groupes fermés et privilégiés. Le dévelop- t pement de la littérature écrite, remplaçant les formes traditionnelles d'expression orale, va de pair, dans le monde grec, avec les progrès ou moins stables,entre des pôles opposés, dans une sorte de constante de la penséepolitique, historique, médicale,philosophque, scienti' tique, progrès qui consacrentla rupture avec la mentalité divinatoire. D'une certainefaçon, la divination elle-mêmese trouve alors attirée dans le champ de la nouvelle rationalité du discours.Contrairement à l'interprétation dessignesou aux procéduresde la divination tech' nique, qui exigent les servicesd'un devin spécialisé,la parole oracu- tension entre d'une part le cadre formel, les structures logiques, la grammaire qu'ils mettent en œuvre en vue d'une codiÊcation complète et rigoureuse de l'événement, du fait singulier, et d'autre part la multiplicité des situations concrètes,toujours diverseset mouvantes, sur lesquelles.on vient interroger l'oracle et que sa réponse doit permeïltre de modiôerdansle senssouhaitépar le consultants t Sur ce plan aussi, le cas grec, par sesparticularités et peut-être par sesfaiblesses? sesinsufHsances du point'de vue de la logique divinatoire,.est éclairant. Les Grecs ont valorisé la divination orale; aux techniquesd'interprétationdes signes,aux procéduresde type laire du dieu, une fois formulée,est, commetoute autre parole, accessible à chacun; pour la comprendre, nul besoin d'une compétence particulière en matière de divination; il suent, à quiconque vient pieusement consulter l'oracle, des mêmes qualités de saine réâexion, de pondération et de juste mesure qui font le bon citoyen et, quand aléatoirecommele jet de dés,qu'ils ont consi'dérées commedes s'y associent astuce et pénétration d'esprit, le fin politique. La réponse e.smineures, ils ont préféré ce que R. CI'ahay appelle le dialogue oraculaire peut même faire l'objet, dans les exégèsesdiversesqui en du consultant. Cette proéminence dela parole comme moyen'de com- assemblées et tribunaux. Nul texte n'est à cet égard plus parlant oraculaire, où la parole. du dieu répond directement aux questions sont proposées, du même type de débat argumenté que connaissent munication avec l'au-delà s'accorde avec le caractère foncièrement oral d'une civilisation où l'écriture n'est pas seulement,par rapport au Proche-Orient et à la Chine, un phénomène récent, mais où, par son caractère entièrement phonétique, e]]e pro]onge ]a langue parlée, s'inscrit dans la même ligne puisqu'elle en reproduit les sons au lieu de donner à voir par des signes graphiques les réalités mêmes que le récit du<< mur de bois >>tel que le raconte Hérodote l Devant l'invasion des arméespersesde Xerxès, les Athéniens envoient des théores consulter à Delphes. Avant qu'ils aient rien demandé, la Pythie leur annonce des catastrophes. Consternés, les théoresdécident de solliciter une nouvelle consultation et d'implorer, + en qualité de suppliants,une réponseplus favorable, souspeine de que vise de son côté et à sa façon le discours. Dans ce contexte. l écrit acquiert une portée tout à fait nouvelle. Il n'est plus la spécialité d'une catégorie de <<savants >>,disposant grâce à lui d'un moyen d'accès privilégié à la connaissance du réel, d'une technique permet- demeurer sur place dans le temple jusqu'à leur mort. La Pythie accepte alors de prophétiserdenouveau : << Zeusaccorde à Tritogénie(Athéna), t tant à la fois d'exprimer symboliquementles chosesdans ce qu'elles ont d'essentiel et de déchiffrer l;univers; il devient un inst;ument de divulgation au service d'une culture rendue désormais commune; }' déclare-t-elle, qu'un rempart de bois soit seul inexpugnable, qui sau' vera et toi et tes enfants. Ne va pas attendre sans bouger la cavalerie et l'armée de terre qui arrivent en foule du continent; recule, tourne le dos; un jour viendra bien encoreoù tu pourras tenir tête-. >>A ces paroles de réconfort, la Pythie ajoute une allusion à Salaminesur laquelle nous aurons, avec Hérodote, l'occasion de revenir. Les théores rédigent soigneusementla réponse qu'ils ont reçue avant de rentrer à Athènes. Et voici comment l'hstorien grec présente la suite de cette alaire d'oraclequi est aussiune araire d'État <<Lorsqu'ils furent de retour et firent leur rapport à l'assemblée du peuple, beaucoup d'opinions furent exprimées pour expliquer l'oracle; et celles-ci surtout s'opposèrent : quelques vieillards disaient qu'à leur avis le dieu précisait que l'Acropole échapperait au désastre; '4 1. Hérodote, Vl1, 140-145 18 19 + JEAN'PIERRE VERNANT car autrefois l'Acropole d'Athènes était fortiâée d'une palissade; ils supposaient donc que c'était là la ' muraille de bois '; les autres au contraire disaient que c'étaient les vaisseauxque le dieu voulait désigner; ils engageaientà les équiper en abandonnant tout le reste. Or ceux qui soutenaient que les vaisseaux étaient la ' muraille de bois' étaient mis dans l'embarras par les deux derniers vers qu'avait prononcés la Pythie : ' O divine Salamine, tu perdras, toi, les enfants des femmes,que ce soit à quelquemoment où le don de Déméter est répandu ou bien est recueilli. ' L'opinion de ceux qui identifiaient vaisseauxet ' mur de bois ' était fortement contestéeen raisonde ces PAROLE ET SIGNES MUETS moins ûgure, face à l'homme politique, de spécialistesen interprétation de textes oraculaires. Si les chresmologues sont finalement vaincus, c'est que la discussionau sujet de l'oracle ne se déroule pas seulementau grand jour, en public, comme l'exige un problème d'intérêt commun, mais qu'elle fait appel au même ordre d'argumentation que toute autre question dont on débat à l'Assemblée et que la décision, qui marque le terme de la consultation oraculaire à Delphes, sa conclusion pratique, est fixée en dernière instance par un vote majoritaire des citoyens. Cette convergenceentre la parole du dieu dans l'oracle et la parole deux vers, parce que les chresmologues prenaient ces mots en ce sens humaine à l'Assemblée, toutes deux relevant d'un même type vaincus dans les eaux de Salamine. Or il y avait à Athènes un homme l'analogie des formules utilisées pour poser les questions à l'oracle Thémistocle, Thémistocle ûls de Néoclès. Cet homme contesta que l'interprétation des chresmologues fût de tout point exacte; si vraiment, observait-il, la prophétie était à l'adresse des Athéniens, voie qui paraît la bonne, pour savoir si elle est libre ou interdite et, au que, si les Grecs se disposaient à un combat naval, ils devaient être nouvellement parvenu au rang des premiers citoyens; il avait nom le dieu, à son avis, n'y aurait pas fait usage, comme il le faisait, d'un mot plein de douceur : ' Infortunée Salaïüne ', aurait-il dit, et non ' divine Salamine ' si les habitants avaient dû périr dans les eaux de cette île; mais, pour quiconque interprétait bien l'oracle,c'étaient les ennemis que le dieu avait en vue, et non les Athéniens. Thémistocle conseillait donc de se préparer pour un combat naval, comprenant en ce sensce qu'était la muraille de bois. Les Athéniens, quand il leur exposa cet avis, le jugèrent préférable pour eux à celui des chres- mologues,qui ne voulaient pas qu'on songeâtà un combat naval, ni même, pour tout dire d'un mot, qu'on fît aucune résistance, mais conseillaient qu'on abandonnâtl'Attique pour s'établir dans un autre pays.)> Hérodote ajoute qu'auparavant déjà, dans une circonstanceoù il ne s'agissait pas d'interpréter un oracle mais d'utiliser au mieux les fonds publics provenantdesminesd'argent du Laurion, Thémistocle avait su à la fois faire triompher son opinion à l'assemblée et orienter la politique athénienne dans la voie qui devait lui assurer la victoire, celle de la suprématie maritime. C'est le même type d'intel- ligence politique, la même astuce clairvoyante que l'homme d'État met en œuvre pour déchiŒrerla parole obscure de l'oracle, concevoir une stratégie adaptée aux circonstances et trouver des arguments propres à convaincre le c#mospour qu'il décide en sa faveur. Il est bien signiôcatif que Thémistocle, au dire d'Hérodote, ait eu contre lui d'intelligibilité, s'exprime de façon particulièrement frappante dans et pour rédigerïes décisionsd'ordre circonstancieldécrétéespar le peupleà l'Assemblée.On ne demandepas à l'oracle de prédire le futur, d'énoncerl'avenir; on l'interroge,avant de s'engagerdansla casoù elle serait interdite, sur ce qu'il convient de faire pour avoir deschancesde s'en ouvrir l'accès.On attend donc du dieu, non une prédiction qui rendrait l'événement en quelque sorte réel avant même qu'il se soit produit, mais une caution, un engagementattestant,au seuil d'une entreprise, qu'elle ne va pas à l'encontre de l'ordre invisible institué par les puissancessurnaturelles. Pour préciser autant que faire se peut son objet, cette enquête concernant ce que les dieux permettent ou conseillent à l'occasion d'un projet défini tend tout iïaturellement à se formuler en termes de comparaison entre deux options contraires,soumisesau dieu pour qu'il décide,entre l'une et l'autre, celle qui garantit le plus d'avantages.On lui demandedans lequel des deux cas envisagéson se trouvera le mieux, on obtiendra le meilleur. On attend donc de l'oracle qu'il ûxe en tenant compte, dans son appréciation, des facteurs que l'intelligence humaine est incapable d'évaluer, un ordre de préférence entre possibles. La situation est analogue dans les débats de l'Assemblée. Là encore il s'agit, dans une situation donnée, d'estimer, devant deux points de vue opposés,les avantagesqu'on peut vraisemblablement escompter de chacun, de juger ainsi celui des deux auquel il apparaît raisonnable d'accorder sur l'autre la préférence.Les décretsne disent pas : <<La cité arrête ou ordonne que... >>,mais : <<Il a plu au Conseil et au peuple >>,c'est-àdire : <( le Conseil et le peuple ont estimé meilleur, il leur a semblé l'opinion des chresmologues, personnages qui, sans être des devins préférable de... >>Et c'est encore la même formule qu'emploie Hérodote au sujet de la controverse opposant Thémistocle aux ch.esmologuessur la double interprétation de l'oracle du<<rempart de bois >>: les Athé- 20 21 ni non plussansdoutedesexégètes oMcielsde l'État, n'en font pas r JEAN-PIERRE VERNANT mens jugèrent son avis <( préférable >> à celui de ses adversaires. Dans la pratique oraculaire, telle qu'elle s'exerçait eŒectivement à l'époque classique,la réponsedu dieu semblebien s'être elle-même coulée dans le modèle binaire que lui suggérait la question. Elle tranche un dilemme, elle indique clairement celle des options proposéesqui doit apporter le meilleur, se révéler la plus utile. Sur ce terrain du <(préférable )>et dans le domaine des conseils pratiques, des prescrip- tions de caractèrele plus souventreligieux, que nous avons défini comme le champ de compétenceordinaire de la divination, nulle trace dans la réponse d'équivoque ou d'ambiguïté. Mais il existe un autre <<modèle >>de la divination, attesté dans toute la littérature écrite, d'Hérodote aux philosophesen passantpar les Tragiques et qu'on ne saurait d'autant moins considérer comme une création artificielle qu'elle trouve sansdoute son origine dans une tradition orale véhiculéedèsl'âge archaïquejusque dans les milieux populairesï. Dans cette représentation<<théorique >>que la Cité paraît s'être très tôt faite de l'activité divinatoire, la parole du prophète inspiré et celle de l'oracle n'ont plus valeur seulement de conseil, d'engagement ou de mise en garde au seuil de l'action : elles impli- quent une véritable omniscience,fondée sur un don de double vue, un contact direct avec l'invisible et l'au-delà; ce savoir suprahumain confère à qui le possède le pouvoir d'embrasser à chaque moment la totalité du temps et de voir, comme s'il se trouvait sous les yeux, tout ce qui a étéet tout ce qui sera.Ainsi conçue,la divination vise l'événement à venir (ou parfois l'événement passé, ignoré lui aussi des vivants, quand ses conséquences pèsent encore sur l'existence d'aujourd'hui et de demain); elle est, au senspropre, pré-diction du futur, formulation du destin pour les individus et pour les groupes- Elle apparaît ainsi solidaire d'une conception de la destinée, déjà savanteà sa façon, et dont lesphilosophesauront pour tâchede démê- ler toutes les implications quant aux rapports du temps humain et de l'omniscience divine. Dans la perspectivede cette divination prédictive, le destin s'inscrit et se joue sur deux plans diŒérentsà la fois. Au niveau de l'existence humaine, il se découvre peu à peu, au fur et à mesure qu'il se fait, à travers les vicissitudes d'événements dont la succession,incohérente en apparence, ne prend un sens et ne devient intelligible qu'à son terme, quand tout est déûnitivement accompli; au niveau des dieux, c'est l'inverse : le destin de chacun se trouve au départ scellé, irrémédiablement établi dès avant la nais- sance puisque aussi bien ce sensultime que seul l'achèvement de la 1. Cy: P. Amandry, <<Oracles,littérature et politique )>, Rev e des ér des ancien/zei, 61, 1-2, 1959, P. 400413. 22 PAROLE ET SIGNES MUETS mort confère à une existenced'homme lui appartenait, aux yeux des dieux, de tout temps et se trouvait dès l'origine inclus en elle et ûxé pour toujours. C'est cette signiôcation secrètedu destin, écrite du point de vue desdieux dèsla naissance, accessible du point de vue deshommes seulementaprès la mort, que la parole de l'oracle est censéerévéler dans le cours même de la vie. Dans sa fonction prophé- tique la divination représentedonc comme une irruption de l'immu- tabilité et de l'omnisciencedivines dansle ûux inconstantde l'existence humaine. Mais, si l'oracle possédait eŒectivementle pouvoir d'énoncer l'avenir, de révéler le destin aussi clairement qu'il dispense, dans la pratique, conseilset mises en garde, ce qui disparaîtrait c'est cette ignorance radicale du futur qui déûnit la condition humaine et la distingue de celle des dieux. C'est pouf'quoi, comme l'indique la formule fameused'Héraclite, l'oracle en réalité ne dit pas plus le destin qu'il ne le cache; il le signifie seulement rxëmzafneiJ.Il le donne à voir en le dissimulant, il le laisse deviner par le moyen d'une parole énigmatique, d'un <<dit >>qui fonctionne comme un signe, mais un signe obscur, aussi diMcile à décrypter pour l'intelligence des hommes que les événements mêmes au sujet desquels ils sont venus consulter. L'ambiguïté de la parole oraculaire réintroduit, dans le temps des mortels, cette opacité foncière, ce caractère nécessairementhasardeux des prévisions et des projets, que la divination a théoriquement pour fonction d'atténuer, sinon d'abolir. Dans le cadre d'un dialogue oraculaire comme celui que les Grecs ont connu, la parole divinatoire sembleainsi diverger selonqu'on se tourne vers la pratique concrète des consultations ou qu'on examine la théorie, plus ou moins explicite, par laquelle cette sociétéa prétendu justifier sa pratique divinatoire, la théologie qu'elle a édifiée de la fonction prophétique. Dans la mesureoù la parole de l'oracle est claire, où elle tranche sans équivoque un dilemme, elle vient étayer les entrepriseshumaines en déterminant, de concert avec les consultants, l'ordre des préférencesdans le champ des possibles;dansla mesure où elle révèle à l'avance l'avenir, posé comme irrémédiable, elle est au contraire obscure et ambiguë; on ne la comprend en gêné' ral que trop tard, quand l'événement lui-même s'est chargé, hélas, de vous éclairer. D'un côté, comme technique adjuvants de décision, elle fonctionne selonune logique binaire de choix entre deux options,analoguesur un autre plan à celle qu'appliquentsophisteset rhéteursquand ils s'aRrontent en parole pour gagnerà leurs thèsesl'oreille du tribunal et de l'Assemblée.De l'autre, commeformulation à l'avanced'un destin irrévocable, elle acquiert valeur de signe, à la façon d'un 23 JEAN-PIERRE VERNANT présage,mais de signeénigmatiqueet, à la limite, aussiimpénétrable que l'avenir lui'même. Dans aucun des deux cas la divination, dans sa forme orale, n'a débouchésur une réflexion suivie et méthodique concernant ]e signe (la place est ainsi restéelibre pour les philosophes), sur l'élaboration d'un code de déchiRrement,d'un corps de tech- niques de décryptage permettant un travail d'interprétation systématique des diŒërentes classes de signes (pour les Grecs, la réflexion sur les signesa été, pour l'essentiel,menéeà partir et enfonction du langage). Ce constat d'absence nous a conduit à interroger, en contre- épreuve, les historiens des sociétés anciennes qui, par opposition à la Grâce, peuvent être caractériséescomme de grandes civilisations de l'écrit. Sur les exemples,à tant d'égards diŒérents,de la Chine et de la Mésopotamie, ils apportent des conclusions parallèles. Ils mon' trent les liens qui unissent, en une étroite solidarité, l'invention du signegraphique, son extrême valorisation commeinstrument intellectuel réservé à un corps de spécialistes <<savants >>,son emprise comme outil social de codification au service du pouvoir, et le puissant déve- loppement d'une penséedivinatoire qui fonctionne comme une véritable sémeiologie,une sciencegénéraledes signes.En interprétant les présages sur le modèle d'un déchiÆrement des signes d'écriture idéo- graphiqueou pictographique,la divination n'a passeulementl'ambition de prédire l'avenir; elle prétend décrypterl'univers comme s'il s'agissait d'un texte où se trouverait inscrit l'ordre du monde, d'une tablette sur laquelle les dieux auraient tracé les destins. En contraste avec [e fait grec où ]a divination est surtout ora]e et où ]a science Y' PAROLE ET SIGNES MUETS vent en ayant recours, de façon bien plus systématique que les Grecs, à des pratiques d'interrogation te]]es que ]a réponse ne peut qu'obéir à une stricte logique de l'alternative : les bois frottés se soulèventou non, les cendres, les poudres collent ou ne collent pas, la hache tombe d'un côté ou de l'autre; ïl n'y a jamais de troisième terme. L'art du devin ne consiste donc pas à déchi#rer des signes,ni à interpréter des paroles plus ou moins obscures; il lui faut d'abord maîtriser les techniquessacréesqui font parler ïwa sans la moindre ambiguïté; ensuite, être capable de mener l'interrogatoire à son terme, de ques- tionner le dieu à fond et dans les règles.La compétencedu devin supposequ'il connaît le répertoire des questions permettant d'inventorier l'ensemble des forces invisibles qui risquent de perturber le cours normal de la vie humaine. Son rôle est d'ausculter la situation du consultant jusque dans ses moindres détails, son diagnostic se fondant sur une chaîne de réponsesen oui ou non. Il procède donc à la façon du médecin examinant son malade de la tête aux pieds et recher- chant, pour chaquepartie du corps, si elle présenteou non les symptômes répertoriés par la sciencemédicale dont il est dépositaire. Cette logique divinatoire, notera-t-on, est conforme, dans sa rigoureuse binarité, à la mentalité des Nzakara qui, à tous les niveaux et moments de la vie sociale, procèdent dans leurs démarches intellectuelles en chaînes d'antinomies. Mais nous ne saurions résumer ni commenter les analyser d'afri- canistes ou de sinologuescomme ceux qu'on va lire ici, et il n'y a s'oppose d'emblée à la mentalité divinatoire, l'attention portée, dans rien à ajouter à l'étude de M. JeanBottéro sur la divination babylonienne : par son ampleur, sa précision, sa nouveauté, elle constitue une mise au point complète qui aurait justifié une publication en volume. Nous ne pouvons que remercier les auteurs d'une collabora- et jusqu'aux démarchesde la sciencedans la voie mêmequ'avait niques >>dans les formes diversesde rationalité divinatoire. C'est la les grandes civilisations scripturaires, aux combinaisons graphiques, aux conûgurations symboliques, oriente les progrès de la rationalité ouvertela divination. La diŒérencen'est pas moins frappante avec les formes de rationa' luté propres aux procédures de divination technique utilisées par les Nzakara de la Républiquecentre-africaine,dont traite le dernier des essais qu'on va lire. En formulant leurs questions en termes de dilemme, les Grecs, nous l'avons vu, s'e#orçaient d'obtenir de l'oracle des réponses aussi univoques qu'on peut en espérer d'un mode d'expression orale, afin de déterminer le plus clairement possible l'option qu'il faut choisir de préférenceà une autre. Les devins des Nzakara, les ôa la ïwa, pour éclairer les consultants, engagenteuxmêmesle dialogue avec ïwa, la puissance oraculaire, et ils le poursui24 tion sanslaquelle nous n'aurions pu même entreprendre cette enquête comparative sur le rôle de la parole, de l'écrit, des techniques <<méca- qualité de cescontributions qui fait la valeur de notre ouvrage.Aux remerciements que nous adressons aux auteurs nous voudrions asso- cier tous ceux,très nombreux, qui nous ont fait l'amitié de participer, d'une façon ou d'une autre, à notre eRort de commune recherche l 1. 0nt collaboré à notre enquêteen présentant des rapports et en participant aux discussions : A. Adler, <<La divination chez les Moundang >>; P. Amandry, <<La divi- nation en Grèce .: le consultant devant l'oracle »: R. Bastide, <<Problèmes de divination : connaissancede l'événement >>:J.-P. Boisson. « La divination dans le monde romain >>; M. Cartry « Le systèmedivinatoire chezles Gourmantché »; R. Jaulin, <<Problèmesde géomancie » ; J. hii aître, « Astrologie et société dans la Frange contemporaine »; D. Sabba- tucci, « La divination africaine : problèmeset perspectives»; R. Schilling, <<La divina- tion à Robe. Traditionalismeet rationalité »; P. Verger,<<Systèmede divination par lsa chez les Yoruba >>. 11 LION VANDERMEERSCH De la tortue à l'achillée Chine La pratique de la divination a toujours .été extrêmement répandue en Chine ainsi que dans tous les pays sinisés,.et.le demeure encore Pour une mentalité telle que la mentalité chinoise, dans laquelle le principe de l'ordre des choses joue le .rôle d'une cat:gode fondamentale, les notions de cause et d'eŒet, qui conduisent à l'idée de relations unilinéaires, segmentaireset pauvres en référencestotalisantes,.semblent beaucoup moins pertinentes que celles d agencement.et d'organisation, qui, mises en ouvre dans d'innombrables dispositions orientées 'et cl;ssi6cations hiérarchiques, se superposant ou se recoupant de multiples façons, aboutissent à des séries sans.doute moins,forte- ment cohérentes,mais représentant pour la satisfaction de l'esprit la supériorité de se répondre toutes par une identité de structure rêvé: matricede l unité ordonnée de l'univers. A travers ces correspondances inépuisables, les phénomènes n'apparaissent pas .facilement chacun en particulier comme la conséquencede.ses antécédents,mais très aisément, par contre, tous comme signer les uns des autres. L'augu- ration desévénements futurs à partir de symbolesqui les reflètent déjà dans le présentest donc toujours possible,et d'autant plus tentante pour une sorte d'intuition immédiate de .l'avenir dans. la réalité actuelle, que l'eRacement du lien de consécution au prout des relations de symétrie rend homogènesles conôgurations temporelles et"spatiales : de même que les quatre .saisons correspondent .aux quatre points cardinaux, et que .le?.dix-huit derniers jours. de l'été sont considérés comme le centre de l'année, de même la carrière d.un individu correspondaux marquesde son corps, et l'histoire d'un paysàsa topographie géomantique. . . , . '.-. Le sage,qui lit dans l'univers, peut ainsi tout prevoïr en loHaant onostiçs sur les signes naturels .les plus variés : météores, con onctions astrales,incidents tel que le saut d'un.poisson dans une barque, et bien sûr, songes. Mais.l'interprétation.des .signes naturels n'est pas facile. Aussi de véritablestechniquesde.divination expo rimentale ont-elles apparu, résultant de la rationalisation empïnque 29 LION VANDERMEERSCH DE LA TORTUE A L'ACHILLÉE plus ou moins élaboréed'un systèmede symbolessigniôcatifsdont cette découverte, non seulement le sens et la portée.de .la.chélonio- trop difbciles à déchiŒrer,peut être provoquée artificiellement. Ces également, dans ]a perspective des pratiques divinatoires antérieures, l'émergent, au milieu de l'ensemble confus des signes spontanés mancie sont devenus beaucoup plus clairs, .mais l'achilléomancie techniques,dont la sommeconstituel'art divinatoire, se sont multipliées au cours des âges, et leur examen exhaustif requerrait des bénéôcied'un éclairage nouveau; ce qui permet de tenter l'esquisse d une histoire de la divination dans la haute antiquité chinoise. études considérables. Citons par exemple les diverses modalités d'écriture automatique, déjà pratiquées sous les Han; le jet de coquilles,en usagesous les Tang, ou le jet de piècesde monnaie, usité sous les Song; l'écoute au miroir, attestéesousles Ming, et qui consisteà sortir de chez soi dans la nuit du nouvel an. un miroir à la Puisquece sont les inscriptions Yin qui constituent la clé de la.divination dans la Chine archaïque, peut'être n'est-il pas mauvais de commencer par rappeler d'un mot le bilan des fouilles d'Anyang. main, dans la direction indiquée par l'eau qui déborde d'une marmite Elles ont permis de recueillir un nombre de pièœs inscrites, malheureu- pleine où l'on a enfoncé une cuillère, pour recueillir la première parole entendue d'un passant comme présage de l'an nouveau; le sement fragmentaires pour la plupart, chiÆré à environ 100 000 selon l'évaluation la plus modeste(Ding Zuobin).. La moitié s'en trouve en Chine populaire, dans des collections aujourd'hui toutes natïo tirage au sort de fiches de bambou portant la bonne aventure, la plus populaire aujourd'hui de toutes les pratiques divinatoires, et qui date nages; un quart a été évacué à Formose, composé des pièces les plus au moins de l'époque des Cinq Dynasties. De tels procédés, dont il serait possible de poursuivre intéressantes, principalement celles qui furent exhumées de 1928 à 1936 aa cours des 15 campagnes scientiôques organisées par 1''4ca- presque indéôniment l'énumération, ne sont que les avatarstardifs et grossiers demlaSïlzïca;un dixièmea passéau Japon,dont la majeureparlée forme la collection de l'lnsfïfz// dessciences/fumainei de l'université d'une techniquede divination bien plus perfectionnée,dont les ori- gines se confondent avec celles de la civilisation chinoise elle-même, de Kyoto; le reste est dispersé, à raison de quelques milliers, notamment dans des collections américaines et européennes. L! chibre des et dans le développementde laquelle transparaîtla genèsede cette mentalité typique, privilégiant les rapports de signiûant à signiôé pièces aujourd'hui sur ceux de cause à enet, qui caractérise à maints égards la démarche de la réflexion dans la penséetraditionnelle en Chine. considérabledes inédits ne paraît composéeque d'une multiplicité Deux étapes ont marqué ce développement.La plus récente, qui défraie depuis longtemps la sinologue,est celle de la divination par l'achillée, qu'on nous permettra de dénommerplus commodément sinon plus élégamment acÆf//coma/zcfe,elle fut particulièrement en faveur durant la dynastie Zhou (qui commence en 111 av. J.-C., selon la chronologiede Dong Zuobin, et se maintientjusqu'en 256 ap. J.'C.). La plus ancienneest celle desdivinations par l'écaille de tortue, ou, dansune forme encoreplus archaïque,par les os de divers quadrupèdes,que, pour plus de commodité également,nous appellerons l'une cÆë/o/ziomancfe et l'autre osféoma/scie. Appartenantà la protohistoire chinoise,celles-cisont restéesplus mal connuesjusqu'à la publiées? dans 64 recueils, s'élève à 42 0(x), compte non tenu des doubles publications trop diMciles à ventiler; la.masse de fragments peuinportants. . . . ., u... L'absencede piècesdu mêmegenredans les sites aepo$u:.baou F (à une exception près, découverte en 1956 à Fangdui,,dans le Shanxi, et qui date du VDesiècle)s'explique sans doute par l'usage nouveau, signalépar les commentateursdu rituel de œtte dynastie(a l article z&anrendu ZÆoæ/ï), de transcrire les formules divinatoires sur des registres ad Aoc au lieu de les .inscrire directement.sur. les écailles de tortue; ce qui ôt perdre à celles-cileur valeur d'archives.La ché: loniomancie resta néanmoins .en usage, encore. Sue .l;a pratiqf:. aït découverte, en 1899, des premières pièces d'une documentation archéo- logique, qui s'est accrue considérablementpar la quite, d'os et d'écailles inscrits datant de la dernière période de la dynastie des Shang (établie au XVMe siècle dans le bassin du fleuve Jaune), dite période Yin (1339'1112 selonla chronologiede Ding Zuobin), du nom de la dernière capitale de cette dynastie, située au voisinage de l'actuelle Anyang d'où provient la quasi-totalité de ces documents.Grâce à 30 corroborée par les caractéristiques matérielles.des pièces d'Anyang, que nous connaissons assezbien la technique de la divination par la tortue dans son dernier état. Les principales sourceslittéraires de notre information sont d'une part les articles consacrésaux fonctions des devins dans le ZAoz//ï,sorte de code de l'administration royale réputé fondé sur la législation de Zhou gong Dan(xl' 31 siècle), mais qui LION VANDERMEERSCH DE LA TORTUE À L'ACHILLÉE fut compilé sans doute vers le Ve siècleet profondément remanié au ler siècleav. J.-C.; d'autre part, un traité de chéloniomanciequi a pris la place du 128echapitre des .A/émofrei/zis/origz/etde Sima Qian, où il .fut interpolépar Chu Shaosun(le' siècleai,. J.-C.). Voici les données essentielles que rapportent ces textes. La capture des tortues, qui se pratiquait au ïïlet, devait être eÆec- s'agit d'un chibre mystique. En fait, sur les carapacesd'Anyang, qui mesurent de 13 à 28 cm dans leur plus grande longueur et de 8 à 17 cm dans leur plus grande largeur, mais dont la préparation est souvent lacunaire, le nombre des cavités généralement disposéestrois par trois, varie beaucoup,et peut dépassercent f»g. ï,). tuée en automne, saison de la pleine maturité de tous les êtres; mais elles n'étaient tuées et apprêtées qu'au pJ'intemps, saison où la dessi- cation était censéeabolir leurs souÆrances. On en distinguait plusieurs espèces, non pas zoologiquement, mais par rapport à leur emploi dans la divination, selon la forme de l'animal, sa couleur, son attitude, à savoir le penchant qu'il avait à tendre la tête plutôt vers le haut ou le bas,la droite ou la gauche.Le traité de Chu Shaosunénumère huit espèces,dénommées celle de la Grande Ourse (boréale), celle du Pôle austral, celle des Cinq Planètes,celle de la Rose des Vents, celle du Zodiaque, celle du Soleil et de la Lune, celle des Neuf Conti- nents et celle du Jade. D'autres classifications, moins inspirées par l'astrologie, figurent dans diÆérentsclassiques.Plusieurs rites étaient accomplis, d'onction, du sangd'une victime spécialementsacriûée, et de purification, avant qu'un jour faste, placée au milieu de l'autel, la tortue ne soit miseà mort par sciagede sacarapaceà l'endroit des deux sutures latérales, de manière à détacher la partie ventrale, seule utilisée normalement, de la parie dorsale, qui en principe ne servait pas à la divination. L'intérieur de l'écaille était alors nettoyé des chairs, et l'extérieur de la pellicule cartilagineusesuperâcielle.La matière ossiôée était ensuite émincée et aplanie par grattage des deux côtés, puis polie jusqu'à prendre un beau lustre. Ainsi apprêtées, les carapaces étaient l'objet d'une préparation spécialeplus directementliée à la techniqueproprementdite de la chéloniohancie. Il s'agissait de favoriser l'apparition de petites assures biûdes au moment décisif du brûlage, eÆectuépar le contact d'un tison. A cet eŒet, l'écaille était régulièrement creusée, sur sa face interne, d'une série de cavités composées,formées chacune d'un évidement ellipsoïdal ('zao) pratiqué dans le sens de la longueur, et d'un évidementsphérique('zz/a/zJ, qui recoupaitle premieren son milieu et le débordaitd'un seul côté, généralementvers la ligne médiane de la carapaœ. La carapace entière pouvait être saturée 0 C'Q 9 q Æx. l (d'après Dong Zuobin). Pour l'opération de divination elle-même,assortie de nombreux rites, et qui pouvait être répétéejusqu'à 10 fois en vue d'une seule auguration, on se servait d'un tison appelé gï, préalablement enflammé sur un réchaud alimenté d'un combustible spécial, et qui, selon un commentateur, avait été allumé au feu solaire. L'extrémité brûlante du tison était placéeun instant dans une cavité, ce qui provoquait, au fond, là où l'écaille était la plus mince, une fissuration bien visible sur l'autre face, et qui se dédoublait selonles deux axesde l'évidement composé,pour former une sorte de T couché(#g. n). La.graphie de ces cavités, régulièrementrépartiessur les 9 écaillescomposant sa structure morphologique, indépendammentdes 12 secteursdessinés superûciellement sur sa face externe par des rayures d'ailleurs archaïque du mot chinois dïvïnafïa/z=.'1ou P n'est autre que le dessin plus ou moins eHacées à la suite du grattage. IJn passage du ZAzzangzï f }HafwuôianJ fait état de 72 points de divination par carapace.Il Selon le Z/zou/f, la responsabilité de ces manipulations nombreuses et complexes était, à la Cour, répartie entre plusieurs services : celui 32 33 de la assurebifide ainsi produite. La prononciationdu mot, bû (pron. : pou), pourrait être elle-mêmel'onomatopéedu craquement qui se faisait entendre au moment de l'opération. LION DE LA TORTIJEÀ L'ACHILLEE VANDERMEERSCH de l'approvisionnementet de l'apprêt descarapacesétait dirigé par deux préparateursd'un rang inférieur. Deux préposésau combus- laines circonstances,aux noblesde tout rang. C'est ainsi qu'il nous tout ce qui concernait le feu. Les opérations de divination propre- d'un gentilhomme. Comme nous ne possédonsaucune autre illustra- tible, également d'un rang inférieur, s'occupaient avec leurs aides de ment dites étaient de la compétenced'oMciers de rang plus élevé, gra/z(ümaîtres et nzaî/lesde dzv/maria/z, instruits des traités divinatoires, et qui procédaienteux-mêmesou par l'intermédiaire de leurs subalternes,selonl'importance des alaires, à l'application du tison sur l'écaille, après avoir déterminé quelle partie devait en être utilisée, on disait <<p]acéeen haut », en fonction notamment de ]a saison, et avoir solennellement énoncél'objet de l'auguration par la formule dite du mandat mùg. EnÊn, les augures, versés dans les canons ora- culaires, dégageaientpar l'examen des assures le sens de l'oracle. Mais ceux-ci étaient de petits fonctionnaires qui n'avaient, semble- t-il, qu'un rôle d'expert. En eÆet,le Z/zozo/ï stipule que l'auguration sur la considération des aspectsmajeurs de la assure était réservée au prince, sur la considérationdes aspectsmoins importants, aux grands oMciers et aux annalistes, enfin sur la considération des aspects mineurs,aux maîtresde divination. Dans les inscriptions d'Anyang de haute époque, elle est toujours le fait du roi. Il entrait aussi dans les fonctions des augures,selon le Z/loz{/ï,d'enregistrer les oracles et de conserver les écailles utilisées. Celles-ci étaient réputées, sous les Han, posséderdes propriétés médicamenteuses,ce qui contribuerait à expliquer leur disparition. assure divinatoire bord extérieur de la carapace des rites chéloniomantiques d'augu- ration de la nature faste ou néfaste du jour envisagé pour les funérailles tion aussi détaillée d'un cérémonial de divination par la tortue, peutêtre vaut-il la peine de la présenter ici ïn ex/ansa, malgré la sécheresse avec laquelle le ritualiste détaille minutieusement la cérémonie. Pour l'auguration du jour desfunérailles, aprèsle rite matinal de la déploration, tout le monde retourne se placer au-dehor?. Le devin va d'abord déposer la carapace de tortue dans le vestibule du côté ouest, sur une natte, et la tête orientée vers le sud. Puis il place le tison sur les braises,le tout à l'est de la carapace. Le responsable de la divination, qui est le chef du clan, et le ëlhefde famille,vêtusde noirlce qui n'est pas la couleur du deuil], se placent debout à l'ouest de la porte d'entrée, se tournent vers l'est, et gravissent le seuil du côté sud. Les trois augures [chacun d'eux étant spécialisted'une des trois méthodes d'auguration], qui se tenaient au sud des précédents, gravissent le seuil du côté nord. Le devin et les aides qui portent [es braises [avec [e tison] ainsi que ]a natte [avec [a carapace], se placent à ]'ouest. On ferme le vantail de l'est, et l'épouse du maître de maison se place debout du côté intérieur du vantai]. La natte]avec ]a carapace] est placée à l'ouest du montant central de la porte, à l'extérieur du seuil. Le chefde famille déclarealors que tout estprêt. Le maître de maison,face au nord, et qui a quitté le bandeaude deuil, bord de suturation de J'écaille reste, dans le yï/f, une description est à la gauche du chef de famille et l'étreint. Le responsable rayure extérieure su .e de la divination, s'étant placé à l'est de la porte, fait face à l'ouest. Le devin saisit ]a carapace, ]es braises [avec ]e tison] sont avancées,puis la carapace est déposée la tête tournée vers l'ouest, tandis que les braisessont placéesau nord de la carapace.Alors le chef de famille reçoit la carapacedu devin, et annoncela partie à placeren haut [œlle où seraopéréela divination]. Le responsable de la divination la reçoit à son tour, face infel'ne Æx. iï (d'après Ding face elle?ne contrôle l;annonœ, et rend la pièce. Le chef de famille se retourne, recule un peu, et reçoit la formule divinatoire. Celle' Zuobin). termes A l'époque Zhou, la divination par la tortue n'était plus réservée aux alaires royales.Les rituels en prescriventl'exécution, dans cer34 ci est énoncée [par ]e responsable de ]a divinations en ces 'Un tel, fils en deuil, augurede tel jour prochainpour les funéraillesde son père,de tel nom posthume,de sorte que ni 35 r LION VANDERMEERSCH l'âme supérieureni l'âme inférieurene reviennentà proximité desvivantspour les tourmenter,et quel'une et l'autre soient consentantes.' DE LA TORTUE À L'ACHILLÉE divination, qui est le dépositaire de l'autorité cultuelle dans le cadre du (üzông, de la famille large. L'épouse du âls du défunt demeure elle-mêmeà l'écart, et toutes les autres personnesqui prennent part Le chef de famille ne répètepas la formule, se retourne, et, aprèss'être placé près de la natte]avec la carapace]face à au deuil restent au-dehors. Autrement dit, c'est un schéma simplMé la formule divinatoire à la carapace. Ensuite, il serelève, donne visent la construction artificielle d'une conûguration limitée corres- l'ouest, il s'agenouille et s'assied sur ses talons, puis adresse la carapaceau devin, et s'adosseau vantail du côté est. Le devin s'agenouille et s'assiedsur sestalons, procède aux opérations divinatoiressur la carapace,et se relève.Le chef de famille reçoit la carapace, et annonce ce qu'il en est au respon- sablede la divination, lequel la reçoit à son tour, contrôle cetteannonceet rend la pièce.Le chef de famille se recule, fait face à l'est, tandis que les auguresétablissentl'oracle. Lorsqu 'ils ont fini, [le chef de fami]]e], sans fâcher ]a carapace, proclame l'oracle au responsable de la divination et au maître de maison en ces termes : 'Tel jour convient.' Puis il remet la carapaceau devin, et va faire la proclamation de l'oracle à l'épouse du maître de maison, qui pleure, ainsi qu'aux dignitaires de divers rangs [présents à la cérémonie], puis i] dépêche desenvoyéspour faire la proclamationà tous ceux qui pren- nent part au deuil [mais sont absents]. Le devin retire ]a carapace, et le chef de famille proclame la ôn de la cérémonie. Le maître de maison remet le bandeaude deuil, rentre dans la demeure, et reprend la déploration comme cela se fait lors de la divination par l'achillée pour l'auguration du site du tombeau. Quand sortent ceux qui participent au deuil, il prend congé d'eux en les saluant des deux mains. Si l'oracle stipule que le jour n'est pas convenable,on choisit un autre jour et on recommence toute la divination sur ce choix avec le même cérémonial. ll ressort clairement de cette description que la divination n'était nullement le privilège thaumaturgique de sorciers possédésou de des attaches personnelles du défunt qui est mis en place. De même les actes rituels, qui sont essentiellement des prises de positions orientées, pondant à celle qui serait l'ordre général des chosesau,jour des.funé- railles. La formule divinatoire qui est un mïng, un ordre, donné, non par le devin, mais par le dépositaire de l'autorité dans le clan, repré'l sentant mandaté diï roi, qui l'a inféodé et qui est lui-même mandaté par le Ciel, établit précisément cet ordre général des. choses, dont l'écaille, mise en contact avec le feu, c'est-à-dire avec le dynamisme de la nature, révèle les inconnues par le signe de sesassures. La divi- nation ne sert pas à <{deviner >>par sortilège un imprévisible hasard, mais à dévoiler expérimentalementla nécessitéprévisible de l'ordre des choses. Et, si le résultat de l'expérience n'est pas conforme aux espoirs, c'est-à-dire, en l'occurrence, si le jour choisi pour les fumé' raillés est néfaste,à savoir n'est pas propice, faute d'un concours favorable des donnéesgénéralesde la situation cosmiqueà cette date, à la réintégration normale des deux âmes du défunt dans leurs milieux respectifsouranien et chtonien, il est inutile de se livrer à de vainesconjurations, il sufHt de refaire l'expériencesur une autre date. Telles sont, dans ]eurs grandes dignes, ]es formes et ]a signiôcation de la chéloniomancie sous les Zhou. Pour mieux en comprendre l'esprit, il faut maintenanttenter d'en retrouver l'origine, aôn de reconnaître le sensde son évolution. Les premièrestraces de pratiques divinatoires en Clone remontent bien au-delà de l'époque Yin, jusqu'au néolithique. C'est ainsi qu'à Chengziya, dans le Shandong, ont été découve;ts en 1930'1931, sur un site de la culture de Longshan, 16 fragmentsd'os portant les marquescaractéristiquesd'un traite' Le devin et lesauguresnejouent ici aucunrôle, et font leur service ment ostéomantique : brûlages et assures.Certains de ces fragments avaient été traités préalablement par fraisage de cavités composées: certains ne portaient que des cavités simples, certains ?voient été soumis simplement au brûlage, sans fraisage préalable. Des décou- à la cérémoniesont ceuxqui ont avecle défunt un lien de parenté Jaune, sur des sites de la culture de Qijia, non seulement à Qijia même, c'est-à-dire le dépositaire de l'autorité cultuelle dans le cadre du xïôozông, de la famille restreinte, et le chef de clan, responsable de la d'une dizainede fragïnentsont été retrouvés,dont l'un porte les marquesde 24 brûlages.Il s'agit surtout d'os de moutons; avecéga- 36 37 magiciens capables de double vue, ni même araire de recettes éso- tériques, mais procédure expérimentaleméthodiquement organisée. en simples auxiliaires techniques. Les seuls véritables participants vertes semblablesont été faites dans le bassin supérieurdu fleuve particulièrement important mais aussi à Longkou, dans le Shànxi(1955). A Dahezhuang plus : son ûls, le chef de famille ou zôngrëiz, LEON VANDERMEERSCH DE LA TORTUEÀ L'ACHILLÉE lement des os de.porcs et de bovidés, qui en général ont été soumis au brûlage sans fraisage préalable: .En' outre, à ]a différence des pièces d'époque .Yin, les pièces néolithiques, parmi lesquelles on ne trouve pa! d'écaille:, ne portent jamais d'inscriptions. .. Il résulte de ces documents que la chéloniomancie a été précédée d'une ostéomancieprimitive. Celle-cin'a d'ailleurs' pas disparu par la suite, le matériel Yin comprenant encore une grande quantité d'os de .divers quadrupèdestraités et utilisés exactement'comme les écailles : on peut. supposer que l'approvisionnement en carapaces de tortues était très loin de sufhre aux besoins, 'espècepi'mcipalement employée,Zes/z/doanyangeniiÿ,ayant été pourchasséeà'peu pr?.!.jusqu'à extinction, et que' cette insufbsance fut constamment palliée par un appoint d'os 'ordinaires, principalement les'os plats de bovidésl d'ovidés et deporcins. Néanmoins,il est capital de remarquer que l'ostéomancie est la forme pj'imitive de ]a chéloniomancie. qu eHese pratiquait originellementsur des os bruts(non ftaisés), et sur des os de quadrupèdes dont les espèces sont celle; des victimes des sacrificesreligieux, ab?!damment signaléescomme telles, d'ail- leurs, dans les inscriptions Yin.. Si l'on ajoute que, dans les sacri6œs, les parties de la üëtime traditionnellement' considéréescomme les morœaux de choix pour les oŒrandes étaient les parties osseuses r'Z'zyï? /z'rongé,il.est diïHcile de douter que la divination, en Chine, recueilli après coup dans les restes du sacriïlce, mais destiné d'avance à servir à l'auguration, de simple indice il devenait signechoisi. Dès lors, toute l'histoire de la divination est celle de cette sorte de séméiologie expérimentale qui s'élabore en rafbnant tout à la fois, et de manière indissociable, ma/érïe//emenfses instruments, ï/nag/nafïveme/zf sa symbolique, et /ogfguenzen/les corrélations qu'elle met en œuvre. Ainsi naissent et se fortifient les structures d'une penséedivinatoire, surtout empirique d'abord, mais qui devient de plus en plus purement théorétique, et sous l'emprise de laquelle la conception du monde originellement religieuse des proto'Chinois s'infléchit progressivement dans ]e sens du rationalisme spécifique de la tradition ritualiste ulté- rieure. C'est dans le courant de ce rationalisme que surgissent, en Chine, d'abord l'écriture et par-delàla littérature, avecla chéloniomancie proprement dite; puis l'arithmologie avecl'achilléomancie. et par-delà la science, Le premier eRort de rationalisation de la divination a consistéà simplifier les opérarfonsqu'elle nécessitait,réduites à un brûlage au tison, tel que les piècesnéolithiques les plus anciennesen portent trace. Sans doute s'agissait-il avant tout d'en faciliter l'exécution, de manière à pouvoir la multiplier autant que le demandait l'intérêt croissant qu'elle inspirait. Cependant, il en résulta également une plus grande lisibilité des fissures ostéomantiques, qui apparurent désormais non plus sous forme de marques confuses sur des pièces à demi calcinées,mais comme des graphismesnets. L'apprêt des os, naturelles! et sans doute principalement aux mânes des défunts. avaient dû prendre l'habitude de scruter les résidus de l'holocauste et d'interpréter les tracesde feu sur les ossementscalcinésdes victimes comme des indices -- selon que les pièces étaient bien ou mal consumées-- de l'acceptation ou du rejet par les esprits transcendants de l'oÆrandequi leur était .adressée;selon les marques du feu sur les ossements,il devenait possible d'escompter la bienveillant ou l hostilité des dieux dans.l'entrepriseen vue de laquelle on avait tenté de se concilier ceux-ci par le sacriâce, et ainsi d;en pronostiquer l'issue. Le souci de l'avenir, surtout dans une région fertile en calamités naturelles,. notamment du fait des débordements 'du neuve Jaune, entraîna si loin dans la recherche de pronostics que le rapport du sacriôce et de l'auguration subséquente unirent par se renverser : d'accessoire: la quête du présage devint le but essentiel d'une liturgie divinatoire .indépendante, où le sacrifice, inversement, n'était plus que le moyen de faire parler les os de la victime. A partir du moment où l'os divinatoire 38 '' " -'' ' n'était plus seulement grattés et polis, révèle que cette netteté fut aussi délibérément recher- chée. Mais ces progrès techniques entraînèrent l'apparition d'un certain écart, qui ne fera que s'élargir par la suite, entre la divination elle-mêmeet le sacriôceduquel elle dépendait encore. Le support du signedivinatoire devait être toujours l'os d'une victime préalablement oÆerte aux dieux; pourtant, cet os, prélevéavant l'holocauste,subissait une préparation particulière en vue seulement de la divination, et celle-ci s'opérait ultérieurement, avec ses modalités propres le besoin, d'origine rationnelle, de rendre le signe plus clair, l'avait emporté sur l'exigence, de nature religieuse, de le laisser dans le contexte immédiat du sacrifice. L'opération, il est vrai, continuait de se faire par le moyen du feu. Mais si le feu, qui s'élève vers le ciel, est proche des dieux par nature, il n'a jamais été déifié en Chine à la manière des montagnes, des fleuves ou des étoiles. Il est donc légitime de penserque lorsqu'on le ût agir par le tison du devin et non plus surl'auteldu prêtre,à l'intérieurdu symbolequ'il concrétisant, la représentation d'un dynamisme immanent commença d'interférer avec celle de la volonté divine transcendante. 39 r LION DE LA TORTUEÀ L'ACHILLEE VANDERMEERSCH Le fraisage des cavités représenteun progrès considérable de l'ostéo- mancie.Il a d'abord pour but de réduire l'épaisseurde l'os au point de contact avecle tison, aôn de favoriserla ûssuration. Mais, après une période durant laquelle les piècesne portent que des cavités simples, sphériques ou ellipsoïdales, l'apparition du double fraisage en cavités composées, destiné à orienter la propagation de l'éclatement provoqué par la chaleur dans des directions déterminées. résulte de la déânition de certaines normes imposées aux conûgurations ostéo- mantiques.Cette normalisation supposeun eRort de classementet de systématisation,qui n'a pu se faire qu'à partir de ]a constitution de collections. De fait, le perfectionnement du fraisage coïncide avec une accumulation sans précédentdes piècesdivinatoires : alors que celles-ci dépassentrarement la dizaine dans les sites néolithiques, à Erligang, près de Zhengzhou, dans un contextearchéologiquedatant de la période qui précède immédiatement celle d'Anyang, elles ont été exhuméesau nombre de 375 en 1952.Les cavitésne sont pas encore les cavités composées,typiquement Yin, mais elles sont déjà profondes et parfaitement régulières.Les fouilles ont d'ailleurs mis à jour un des outils de bronze qui servaient à les fraiser, encore ûché dans la pièce sur laquelle il était employé. L'époque de Zhengzhou ,est en eÆet celle des débuts de l'âge du bronze, dont la technologie avancéeest ainsi contemporaine des progrès que marque dans la divination l'avè- nement d'une systématisationdes lignes ostéomantiques,désormais hautement élaboréeset propres à se prêter à des comparaisons et l'un des quatre animaux mystiques; en outre, l'image de quatre.tortues supportant la Terre à chacun de sesquatre coins en fHt indubi- tablemélit un symbole cosmologique.Enferméedans sa carapaœ, ne représente-t-elle pas l'œuf cosmique,et par là la totalité du monde spatial? De plus, sa'longévité proverbiale en fait également l'emblème de la totalitidu temps. La tortue est donc le signe global de tout l'uni' vers spatio-temporel. La carapace, dans sa partie dorsale, est ronde comme le ciel. Sa partie ventrale est plate, et même carrée par la forme de sesdeux épaulementslatéraux, ainsi que les Chinois imaginent la Terre ; composée de neuf écailles, elle reproduit les neuf.continents de la géographie mythologique. Y reporter les Êgures divinatoires, c'était replacer les événements symbolisés par celles'ci dans le contexte général du monde, les intégrer à l'.ordre universel: Cependant,les Chinois n'ont jamais pratiqué de sacriûcede la tortue, ni avant ni aprèsen avoir fait la médiatricepar excellencede l'auguration. Voir, comme Shirakawa Shizuka, dans la substitution de l'écai]]e aux os divinatoires, ]a consécration de la tortue comme messagère privilégiée des hommes vers les dieux, est donc fausser complète' ment les perspectives qu'ouvre cette innovation. En réalité, le passage de l'ostéÔmalicie à la chéloniomancie achève de renverser les rapports de la religion et de la divination. Jusque-là, le devin demandait aux dieux d'inscrire sur les os des victimes qui ]eur étaient oŒertes]es que quelques indications trop vagues : étude de l'épaisseur des fissures, lignes de leurs desseins;sur la carapacede tortue, ce n'est plus.un arbitraire divin qui s'inscrit, mais la raison cosmologique des événements, y compris les agissementsdes dieux, intégrés eux aussi à l'ensemble du cosmos. Si la tortue, sans être elle même oŒerteen sacriûce, demeure cependant l'objet d'une consécration religieuse, La normalisation des ligures ostéomantiqueset le progrès de l'art la vouer aux puissancessurnaturelles,-- car alors il faudrait ensuite des analyses méthodiques, relevant d'un véritable calcul des formes, sur lequel la tradition ultérieure ne nous a malheureusementconservé des angles qu'elles forment, des bavures qui les frangent. divinatoire dans sesméthodes s'accompagnent d'un' enrichssement notamment par l'onction du sang d'autres victimes, ce n'est .paspour la sacriûer --, mais pour l'élever elle-même au rang de ces puissances, r?marquable de la symbo/ïgœegôzéra/e da sys/ème. L'époque de Zheng- pour la conûrmer dans sa qualité d'être mystique, participant desdeux des os de bovidés, d'ovidés, de cervidéset de porcins, se trouvent 9 écailles de tortues, les premières du genre, avec une écaille provenant de Heigudui(Henan) et une autre l)rovenant d'Anshangcun nullement une invocation aux dieux. zhou est en eŒetcelle d'une amorce de la chéloniomancie : parmi les 375 pièces découvertes à Erligang et constituées principalement par (Shandong) sans doute à peu près contemporaines. Or il ne peut y avoir d'autre raison au remplacementdesos de quadrupèdespar des carapacescomme support desfissuresdivinatoires que la richessedu symbolisme qui, en Chine, s'attache à la tortue, ainsi que l'a remarqué ShirakawaShizuka.La tortue joue dansle bestiairechinois tradition- nel un rôle remarquable : c'est avec la licorne, le phœnix et le dragon, 40 natures d'en bas et d'en haut, capable donc d'exprimer l'ordre universe[.La liturgie ché]oniomantiquete]]e que l'a conservéela tradition desritualistesZhou comporte d'ailleurs une incantation de la formule divinatoire qui s'adresseà la tortue elle'même,et n'est Désormais, la divination n'est plus seulement indépendante du sacrifice,elle en régit l'exécution. Les inscriptions oraculairesYin révèlent en eŒet que tous les sacrifices, aussi bien ceux qui s'adressent aux divinités que ceux qui s'adressentaux ancêtres,sont systématiquement soumis à la divination préalable. Il va de soi.que cette.subor- dination de la liturgie sacrificielleà la liturgie divinatoire conduit à une 41 r Hl'! LEON lrANDERMEERSCH DE LA TORTUE À L'ACHILLËE profonde dénaturation du sensdu sacriôcelui-même : primitivement destiné à infléchir l'arbitraire divin, il n'intervient plus, dans le cadre inflexible d'une nécessitédégagéepar divination, que comme symbole de /'ordre généra/ des rapports des hommes et des esprits. Non qu'il cessepour autant d'être efficace, mais d'une efficacité progressi- vement changée -- en même temps que la religion, peu à peu évacuée de ]a spéculation cosmologique par le rationalisme divinatoire, se transforme en rites. Le sacrifiée religieux harmonisait ]es actes humains avecla volontédivine dont il médiatisaitla transcendance par le cu[te qu'inspirait ]e réa]isme de ]a foi; ]e sacrifice ritue] ]es harmonise avec [e dynamisme profond de ['univers, dont i] médiatise ]e mystère par [a liturgie signe symbo]ique qu 'inspire ]a recherche divinatoire du gramme !g (é[ément significatif : ## , associant ]e couteau à ]a phonétique qle), qui évoque l'acte de graver et nullement celui de brû- ler, serait plutôt décevante..Elle a conduit lesétymologistesà admettre que le brûlage des écailles était appelé du nom de gravure par assimilation des fissures à des lignes gravées. C'est en réalité l'inverse qui s'est produit, l'écriture ayant été assimilée aux lignes divinatoires. Si l'idéo- gramme du mot gî, qui n'est attesté par aucune inscription, ne retient que l'idée de graver,.c'est qu'il est de formation tardive, et date d'une époque où le sens dérivé d'inscrire en gravant était devenu le sens principal, tandis que le sensprimitif de brûler l'écaille était devenu exceptionnel. Liëtymologie du mot wôz <<graphie )>,corrobore d'ailleurs celle qui vient d'être proposéedu mot gî; car il est incontestableque wë/z Lorsque l'art des devins atteint son plus haut degré d'élaboration technique et de développementsymbolique, brusquement surgit l'écrifœre, qui couvre les pièces d'Anyang d'inscriptions oraculaires. Or la philologie permet d'établir un rapport certain entre l'écriture etla divination. Le mot le plus ancien qui désigneen chinois un document écrit, cè 7W- <<charte >>,désigne étymologiquement une liasse de pièces divinatoires, comme l'a démontré .Dong Zuobin. La forme archaïque de la graphie cê est celle-ci : 'i# , qui âgure une série de pièces iné- gales, car les os ou les écaillesétaient de taille irrégulière, réuniespar un lien. En dehors des os et des écailles,l'excipient de textes écrits le plus ancien, mis à part les documents épigraphiques de nature particulière comme ]es vasesritue]s, qui ne peuvent d'ai]]eurs évidemment pas être enliassés,est la ache de bambou. Mais la graphie du mot cê ne peut figurer une liassede âcres de bambous,quoi qu'on ait dit, entre autres raisons parce qu'ultérieurement, lorsque les Chinois se sont mis à écrire sur bambou, le.radical .diacritique du bambou lui a été surajouté, dans ]a forme désignés indistinctementpar le mot gi. Cettefois, l'analyse de l'idéo- .® , ce qui n'aurait aucun sens si déjà, étymologiquement,le terme s'appliquait à des bambous inscrits. D'ai]]eurs i] existe dans ]es inscriptions oraculairesun dérivé du mot cè, ]e mot dz'an, dont ]a graphie qÿ représente une liasse placée sur un. autel, et qui désignele registre des sacriôcesancestrauxdu cyclerégulier, lequel registre faisait l'objet d'une présentation rituelle au début de chaque cycle. Or quelques fragments de tels registres ont désignetoute espècede dessin,mais particulièrementcelui des fissuresde l'écaille de tortue, avant de désignerl'écriture. Sur les piècesdivinatoires, d'ailleurs, les inscriptions sont postérieuresà la réalisation des assures, et alignées le long de celles-ci dont elles épousent les lignes. C'est qu'elles proviennent de l'adjonction, après coup, de sous-titres, en quelque sorte, aux configurations divinatoires, et nullement, comme on pourrait le croire, de la gravure préalable sur l'écaille des questionsauxquellesrépondra la tortue. Aussi la formule oraculairene prend-ellejamais la forme interrogative.Bien plus, lorsquela question a la nature d'une alternative, par exempledu type <<aller à la chasseou non )>.la divination est exécutéedistinctement pour chaque branche de l'alternative, et donne lieu à deux sériesde assures diRérentes -- en général situées symétriquement de part et d'autre de ]a ligne médiane'de la carapace--, dont les sous-titres inscrits sont indépendants.Autrement dit, le rôle de l'écriture primitive n'est pas de transposersur l'écaille la questionénoncéepar le maître de l'auguration, mais de transposer les configurations divinatoires linéaires, elles-mêmessymboles de configurations d'événements, en notations graphiques.Celles-cipermettront d'articuler beaucoup plus facilement tous les symboles divinatoires, et les événements qu'ils représentent, les uns avec les autres, dans les recueils de pièces témoins, devenus canons de divination, première ébauche de la litté- rature chinoise. Tous les canons de la chéloniomanciementionnés dans le ZAoz//i sont entièrement perdus; mais il nous en reste un de étéretrouvés, qui sont tous fragments d'os ou d'écaille. l'achilléomancie, le yÿf/zg,manifestementcompilé de la mêmefaçon de graphies sur un document, et le brûlage des pièces divinatoires, sées, et chacune est commentée d'une sentence évidemment dérivée Plus intéressante encore est l'homonymie qui règne entre la gravure 42 toutes les conôgurations divinatoires y sont systématiquement expo- d'une de ces anciennesformules oraculaires sous-titrant le symbole 43 r LION DE LA TORTIJEA L'ACHILLÉE VANDERMEERSCH d'un événement, parfois historique (ainsi la 3e ligne du 63e hexa- l'époque Yin, règle méthodiquement tous les aspectsde la vie. De la gramme est notée comme symbolisant l'expédition victorieuse de Gaozong, a/ïas Wuding, contre le pays des Gui), parfois banal (ainsi vie sociale, faut-il dire plus exactement, car seul le roi, représentant saison du brouillard). à ]a divination par la tortue : c'est que le roi, grand-maître de la divi- la lre ligne du 2e hexagramme symbolise l'arrivée des gelées après la de l'ethnie, et peut-être quelques personnages importants de sa parenté encoreque ceci demeurediscuté,avait pouvoir de faire procéder Le rapport génétiquequi existeen Chine entre divination et écriture permet de rendre compte de la soudainetéavec laquelle y est apparu le langage écrit. L'écriture utilisée pour les inscriptions d'Anyang seprésenteen eÆetdès la lre période dans un état d'élaboration exceptionnel,avec un lexique comprenant déjà plusieurs milliers de graphies, parmi lesquelles un bon nombre de formation savante; ce qui a fait courir la supposition d'une proto-écriture disparue sans laisser de traces. Mais comment expliquer, alors, que les piècesde Zhengzhou,qui présententtous les caractèresde l'état nation, conservele privilège exclusif du roi grand-prêtre du sacrifice. Était donc soumis à la procédure chéloniomantique tout ce qui inscrites dans le style de cette proto-écriture supposée, bien que trois de chacun de ses proches, hauts dignitaires, épouses, et pour celles-ci l'hypothèsed'une proto-écriture n'a aucuneassisedans les faits et relevait des conditions généralesdes multiples entreprises de l'ethnie, touchait à la vie religieuse,à savoir les manifestationsdu culte des dieux et des ancêtres;tout ce qui touchait à la vie politique, la guerre d'abord, mais aussi la nomination des agents de la royauté dans leurs fonctions, leur convocation à la Cour, leurs missions diverses, et encorela construction descités; tout ce qui touchait à la vie économique, principalement la campagne agricole, et surtout le labourage et ]a moisson, mais également la chasse; de même tout ce qui touchait la qui a précédé immédiatement celui des pièces d'Anyang, ne soient pas personne du roi, sesmaladies, sesvoyages, ses rêves, ou la personne d'entre ellesportent des graphiesisolées,déjà du style Yin? En vérité, p[us spécialement]a survenanced'enfant; de mêmeenôn tout ce qui elle est superflue. L'écriture, notamment la nature favorable ou défavorable du temps à venir, méthodiquement augurée le dernier jour de chaque décade pour en Chine, a pu être, et a été eHective- ment, inventée d'un seul coup, parce qu'elle est elle du graphisme divinatoire, lequel avait été porté dÿà, durant une très longue période de réïïexion, à un rare degré d'élaboration. De même, Iles lbronzes chinois archaïques naissent dans une perfection presque achevée, parce qu'ils ont été précédésd'un développementinégalé des techniques de la céramique. Et, comme la typologie des vases de bronze reflète exactement celle des vases de céramique, l'écriture chinoise tient son principe idéographiquede la divination. C'est l'habitude de transposer dans des structures de lignes abstraites des idées de situations, de faits, d'actes, de réalités misesen question, qui a conduit tout naturellement à l'idéogramme, jusque auquel, si importants que puissent paraître les éléments pictographiques entrant dans sa compo- sition, jamais il n'eût été possiblede s'éleverà partir du simplepictogramme.Puis c'est l'emploi quasi exclusif de cette écriture comme algorithme des ôgures divinatoires pendant deux sièclesencore, qui l'a fait résister victorieusement à une tendance spontanée vers la phonographîe, dont ]a pression sedécèledans une fréquente confusion des graphies homophones. toute la décadesuivante,et souventle matin pour le soir, c'est-àdire pour la nuit ainsi que la météorologie,particulièrementcelle de la pluie ou de la sécheresseet celle des vents. Par l'étendue de $on emprise, par la fréquence des recours auxquels elle donne lieu, la divination apparaît sous les Yin non pas comme un moyen plus ou moins exceptionnel de parer aux risques dans des occasions particulièrement hasardeuses,mais comme l'instrument systématiquementmis en œuvre d'une organisation des activités sociales,voire plus généralementd'une rationalisation des rapports de l'homme, de la nature et de la surnature. Pourtant, vers la ûn de la dynastie, son domaine se restreint peu à peu. Les inscriptions oraculaires qui portent sur les cérémonies du culte, les expéditions militaires, les voyages et les chasses du roi, la décade à venir ou la nuit prochaine, existent toujours, mais en nombre plus réduit; quant à ce[[es qui concernaient ]es phénomènes météoro]ogiques, ]es réco]tes, les maladies et la mort, les enfantements, les rêves, elles disparaissent complètement. Cette situation nouvelle est significative non pas, l'eÆet d'une mutation soudaine de la pensée symbolique qui, au terme comme on l'a dit, d'une conversion de la mentalité, mais au contraire du progrès de la rationalisation divinatoire, considérablement accéléré d'une longue évolution guidéepar la raison divinatoire, extrait de graphismesinarticulésles principesd'un langage.Elle porte d'abord à son apogéel'art de la divination qui, pendant la lre période de par l'emploi de l'écriture, et qui peu à peu transformela divination d'ar/ eznpïrfgue eæï/zéarïepureme/zïspécuZaïfve, dont l'une despremières conquêtes est un calendrier remarquablement exact. Cette 44 45 L'écriture chinoise apparaît donc sur les piècesoraculaires comme 11' { r LION VANDERMEERSCH DE LA TORTUEÀ L'ACHILLÉE évolution se répercutesur ]a re]igion, dont ]a ]iturgie achèvede se ritualiser en même temps que tombent en désuétude certaines cérémo- nies de caractèrespécifiquement obsécratoiredénomméesgào -# (diŒérentes des cérémonies Zhou de même nom) et gàï q-Elle abou- tit à un ultime perfectionnement de la divination qui, avec l'achilléo-: mande, passedes symboles graphiques aux symboles numériques. L'origine de cette arithmétique divinatoire demeure conjecturale. Mais il paraît au moins possibled'afbrmer sa filiation à la chéloniomancie pour deux raisons. La première est une tradition qui porte son invention au crédit d'un certain Wu Xian (:© ,@ ou :4B= ÿ), dont le nom est attesté par les inscriptions oraculaires, et dont l'existence remonte à la pleine période de la divination sur os ou sur écaille (la légendeen fait un ministredu 14eroi Shang,treizegénérationsavant l'époque Yin). La seconde,beaucoupplus convaincante, est la pratique de numéroter les fissures successivement obtenues au cours de ]a série des brûlages eŒectuésen vue d'une même auguration. Dans un esprit qu'on peut qualifier de critique, en eŒet,il était d'usage, lors- qu'on augurait d'un événement,de répéter la divination jusqu'à cinq fois de suite sur une mêmeécaille,voire dix fois en utilisant deux écailles diÆérentes. Ceci étant acquis, voici comment il serait possible, hypothétique- ment, d'expliquerla formation d'une méthodedivinatoire numérique. Après la codificationdes types de configurationschéloniomantiques, dont le Z/zou// rapporte qu'ils avaient été classés en 120 espèceset 1 200 variétés, chaque conûguratiQn typique devait porter, dans le code, un numéro, ne serait-ce que parce qu'elle en portait déjà un sur l'écaille témoin à partir de laquelle elle avait été péalisée. Dès lors, il a pu paraître expédient, .dans des circonstances jugées relativement anodines, de remplacer le brûlage eŒectifd'une écaillepar le tirage au sort du numérod'un type du code,servant à établir directementla formule oraculaire,au lieu de la déterminer indirectement e.n comparant les fissures réellement provoquées sur une écaille divinatoire, avec les fissures codifiées. Telle fut, peut-on croire, la forme primitive de l'achilléomancie,au moment où elle se greŒasur la chéloniomancie. De là vient que les formules oraculaires de celle-ci aient passé, selon toute apparence, telles quelles dans celle-là. La nouvelle méthode se mit à diverger de l'ancienne lorsque les numérostirés au sort, au lieu de servir de simplesrenvois à des symboles graphiques, pri rené la place de ceux-ci, en devenant eux- mêmessymbolesdivinatoires. Au cours de cette substitution, tout 46 le systèmedes corrélations symboliques fut profondément remanié par la spéculation;mais celle-ci ne s'en est pas moins eÆorcée de retrouver, dans la structure arithmétique dessymbolesnumériques, l'archétype de la structure linéaire.des symboles graphiques. Ainsi, de même que toute ôgure chéloniomantique est fondamentalement constituée par deux fissures, longitudinale et transversale, tout nombre achilléomantique est considéré comme fondamentalement constitué par la combinaisonde deux valeurs,l'impair et le pair. Commetel, i[ est nomméyao, d'un mot dont ]a graphie # (avecune variante ancienne g ) -- qui, par l'élément est censée figurer un croisement (celui de l'impair et du pair) -- a peut-être été inspirée par celle du mot bu l' représentant les assures de l'écaille de tortue. L'impair et le pair, originellement l et 2, engendrant ensuite tous les nombres, eui-mêmessymbolesde toutes:les réalités, sont assimilésrespectivementau principe mâleet au principefemelle,lesquelssont notés le premier par le signe--, qui n'est autre que la graphie du chibre l, et le secondpar le signe -- --, qui n'est autre, semble-t-il, que la graphie du chiffre 2 (habituellement :;) modifiée de manière; que les deux traits qui la composentsoient ici juxtaposés, et non superposés,pour :éviter qu'elle soit confondue avec un redoublement du signe impairmâle dans les graphiques achilléomantiques ôù les signes sont disposés les uns au-dessus des autres= Dans le système classique, seuls soûl -utilisés comme symboles divinatoires les nombres 6, 7, 8 et 9. Les nombres qui les précèdent, tenuspour l'impair et le pair à l'état pur ou à peinecroisés,sont en eŒetrapportés exclusivement aux, fonctions cosmiques primordiales; quant aux nombres qui les suivent, ils deviennent trop complexes pour représenter les données fondamentales d'un événement. La technique opératoire permettant la construction par divination de l'un des quatre symboles numériques normalisés part du nombre cosmique, homologue, en achilléomancie, de la tortue cosmique en chéloniomancie. Ce nombre, résultat de l'addition des cinq premiers nombres pairs et des cinq premiers nombres impairs, est exactement 55; mais on l'arrondissait à 50. Il était matérialisé par 50 tiges d'achillée, choisies, semble-t-il, seulement pour des raisons techniques de maniabilité, que le devin manipulait en exécutant les opérations suivantes 1. il enlevait une.tige, pour disposer d'une masse de 49 unités; 2. il divisait cette masseen 2 lots, au jugé et sansdécompte; 3. opérant d'abord sur l'un des lots, il enlevait encore une tige, puis faisait le décompte du restant, 4 par 4, de manièreà dégagersoit une dernière fraction exacte.de 4 tiges, soit un reste de 3, 2 ou l tiges, 47 LÉON VANDERMEERSCH qu'il plaçait entre deux de sesdoigts non opposablespour les y rete- nir jusqu'à la ûn de sesmanipulations; r l nombre de tiges retirées de la massequi ne pouvait se chiRrer qu'à 4 ou 8. En eŒet,les décomptes par 4 ayant porté sur un total de 48 tiges, ou bien chaquelot s'était fortuitement trouvé composé d'un nombre de tiges multiple de 4, et le devin avait retenu chaquefois la dernière fraction de 4 tiges, donc 8 tiges en tout; ou bien dans chaque lot avait été dégagéun reste qui ne pouvait être que le complément par rapport à 4 du restede l'autre lot, auquelcasla retenuetotale était de 4 tiges.Cette première séried'opérations avait abouti à réduire le nombre primitif des tiges, à savoir 50, compte tenu des 2 tiges enlevées et des retenues, à une nouvelle masse de 44 ou de 40 tiges, selon les cas, qui étaient remises en jeu pour une seconde série d'opé' rations : division en 2 lots, décomptepar 4 et nouvelle retenue dans chacun de ces deux lots. Cette secondesérie d'opérations laissait de nouveau en jeu un nombre de tiges encore réduit, qui, selon les cas, ne pouvait se chiRrer qu'à 40, 36 ou 32. Une troisième et dernière séried'opérations était alors eŒectuée sur cette massede 40, 36 ou 32 tiges, consistant toujours en division, décomptes par 4 et retenues. Finalement, le devin avait les six intervalles entre doigts non oppo' sablesde sesdeux mains entièrementgarnis par six retenues,totali- sant 12, 16, 20 ou 24 tiges, et, 2 tiges ayant été enlevéesau début des manipulations, il avait en face de lui un reste déânitif de 36, 32, 28 ou 24 tiges, nombres considéréscomme les puissancespar quadruplica' bon de 9, 8, 7 ou 6. blissement, en vue d'une seule auguration, d'un, ou éventuellement deux pentagrammes, composés de cinq symboles graphiques issus chacun de la combinaison de deux fissures. Le système moderne, qui était lë reflet arithmétique assez fidèle du précédent, donnait 4. il procédait à un semblable décompte sur l'autre lot, mais cettefois sansavoir fMt la soustractionpréalabled'une tige, de manière à dégagerde même4, 3, 2 ou l tiges, et à les placer aussi entre deux doigts non opposables(vraisemblablement de l'autre main) pour les y retenir égalementjusqu'à la ôn desmanipulations. A ce stadede la procédure,le devin retenait entre sesdoigts un DE LA TORTUE À L'ACHILLÉE lieu, pour une seuleauguration, à l'établissementd'un, ou éventuellement deux hexagrammes, composés de six symboles numériques, censémentissus chacun de la combinaison du pair et de l'impair. l Pour la notation deshexagrammes, on ne retenait que la valeur paire ou impaire de chaquepaie, notéechaquefois par le signedu pair -ou de l'impair ---, formant le monogramme de chaque synTZ)o/e dïpinafoire ydo. Ces six signes monogrammatiques venaient se superposer les uns aux autres à mesure de leur détermination par le devin. Les hexagrammesainsi formés.étaient en nombre fini, à savoir au nombre de 64, le premier étant g , le second i:, ... et le dernier E Le monogramme impair, ou mâle; --, correspondait aussi bien à la base 7 qu'à la base 9, et le monogramme pair,. ou femelle, - --, correspondait aussi bien à ]a base 6 qu'à la base 8. Cependant,alors que 7 était considéré comme le principe mâle jeune, ne pouvant que se développer jusqu'à 9, 9 était considéré comme le principe mâle vieilli, prêt à se muer dansle principe femelle8. De même,8 était considéré comme le principe femelle jeune, ne pouvant que seconcen- trer jusqu'à 6, alors que 6 était considérécommele principe femelle vieilli, prêt à se muer dans le principe mâle 7. Il s'ensuivaitque le monogramme mâle --, selon qu'il correspondait à la paie 7 ou à la base9, était considérécommeconstant ou mutant (ce qui était noté par l'indice. 7 ou 9 inscrit à droite du monogramme);et, de même, le monogramme femelle pouvait être constant ou mutant selon qu'il correspondait à [a base 8 ou à ]a basé6 (notée éga]ementen indice). Or le nombre total de l'hexagramme, résultant de la sommation des six nombresde base,variait de 36 à 54 sansjamais atteindre le nombre cosmique exact de 55. L'écart entre chaque nombre hexagrammatique Ainsi, l'ensemble des manipulations avait pour résultat la production d'un symbole numérique, homologue du symbole graphique anciennementproduit par brûlage, et ne pouvant être que l'un des et le nombre cosmiquecréait un jeu, censéprovoquer la transformation perpétuelle des hexagrammesles uns dans .les autres, symbole mi[itaire >>).En ché]oniomancie, ]e brû]age pouvait être répétéjusqu'à cinq fois sur une même écaille, et éventuellement de nouveau cinq fois daire; d'où ]a nécessité de recourir parfois à un second hexagramme quatre nombres 9, 8, 7 ou 6, appelés baser y//zg(littéralement : <<base sur une écaille diÆérente.En achilléomancie,pour des raisons dimciles à élucider mais qui doivent relever de la spéculation arithmétique, le devin répétait systématiquementsix fois de suite l'ensemble de ses manipulations, et les reprenait éventuellement de nouveau du changementperpétuel des phénomènesde l'univers. Tout hexagrammeprimaire tendait donc à setransformer en hexagrammeseconpour augurer d'un événement, selon des principes complexesdont l'exposé risquerait d'entraîner trop loin. Pour conclure, il sucra d'ajouter que le canon achilléomantique, le yÿ/lzg, donne une formule auguratoire pour çhaque hexagramme six fois encore.Le systèmeancienpouvait donc donner lieu à l'éta; ainsi que pour chaque monogramme de chaque hexagramme; et que l'auguration se faisait par référence à ÿne ou plusieurs de cesformules 48 49 DE LA TORTUEÀ L'ACHÏLLÉE NÉON VANDERMEERSCH auguratoirls canoniques (elles-mêmes fort sibyllines), réfërenœ dictéepar la considérationsoit de l'hexagrammetotal primaire, soit de l'hexagramme total secondaire, soit de tel ou tel monogramme de l'un ou l'autre de ceshexagrammes, boit de plusieursde cesdonnées ensemble, en application de règles précises. Ce résuméesans doute un peu trop compendieux, de la technique achilléomantique, appelle encore deux remarques. La première est que, malgré le voile d'obscurité qui continue d'entourer les méthodes de l'antique divination par la tortue, il peut être amrmé, sur la base de plusieurs indices sûrs, que les méthodes de la divination moderne par !'achillée, telle que la pratiquaient les Zhou, n'en sont que le développement spéculatif. Dans l'achilléomancie, cependant, 'toute Parvenue à ce point extrême de son évolution, la divination, comme technique opératoire, cessede se développer, et même régressedans les formes abâtardies de tout genre que réinvente constamment le vulgaire. Longtemps, les institutions impériales conservent la tradi- tion de l'art divinatoire antique, et le dernier empereur de Chine rapporte dans ses mémoires qu'en 1914, encore, son précepteur Chen Baochenaugura pour lui, par l'achillée et la tortue, la perte de Yuan Shikai; mais ces procédés, qui survivent dans les rites, ne sont de véritables recours que pour les esprits faibles. En revanche, comme théorie pure, le savoir des devins acquiert sous les Zhou une fécondité nouvelle, qui continuera de faire germer la spéculation à toutes les époques. Les multiples corrélations des constituants numériques ou linéaires des hexagrammes, notamment, seront une mine inépuisable pour la réïïexion des penseursles plus raHnés. d'un mondegouvernépar la volontédivinea entièrementcédéla Mais ceux-ci se laisseront facilement prendre au piège des associations d'idées non contrôlées, qui, après leur avoir donné une parfaite de yZ, où une interprétationretrouveplutôt le nom d'une certaine monde à la limpidité sans profondeur de reïïets ne réïïéchissant plus qu'eux-mêmes, où l'espace est sans distance, le temps sans durée, et l'action même, rituelle, sans densité. tmce du lien originel entrela divination et le sacrificea disparu : l'idée place à celle de l'univers dominé par la nécessitémathématique des mutations. Le titre même du canon de l'achilléomancie, rÿüX, est traditionnellement interprété comme signiâant Canon dei Mufaffoni. A vrai dire, mz//afïonn'est probablement pas le sens étymologique catégorie de devins. Ce serait ainsi de la raison divinatoire elle-mémé maîtrise du langage des signes, les fascineront par le jeu de miroirs des symboles, prêtant l'apparence d'une pénétrante intuition du que proviendrait la conception chinoise d'un vaste métabolisme cosmique,.. substituée aux i'eprésentations religieuses primitives. Peut-être .l'étude, qui reste à faire, des graphismes divinatoires pro- prement dits et de leur numérotation, permettra-t.;elled'éclairer cette évolution à la lumière d'une meilleure connaissancede la chélonio- mancie. Quoi qu'il en soit, et ce sera ]a deuxième remarque, ]es méthodes divinatoires se sont développéesdans le sens d'une rationalisation de plus en plus poussée, selon laquelle la réflexion, puissamment entraînéepar l'imagination symbolique,en s'eŒorçantde structurer des.graphismes aberrants, découvre liopérativité des lignes abstraites, et invente l écriture,puis en s'efforçantde structurer des groupes disparates de configurations incohérentes,découvre l'opérativité des nombres,.et invente l'arithmétique. .De même que les premiers livres furent des écaillesenliassées, et le premier stylet du scribe le tison du devin, en paléographie le mot :uàn << calcul'>>, 'H représente deux mains manipulant des tiges divinatoires; l'aïïcêtl;' du' boulier chinois fut d'ailleurs une abaque où les valeurs numériques étaient matérialisées par des bâtonnets. 50 l -''' PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS JACQUES GERNET Petits écarts et grands écarts Chine Il faut soulignerla diÆérence radicalequi, en dépit d'une analogie apparente, oppose le système de divination yoruba l au système chinois de divination par les hexagrammes.On trouve dans les deux cas des combinaisons de signes binaires dont l'ensemble semble corres- pondre à la totalité des situations possibles. Chaque combinait;on renvoie à une légende dans le système yoruba, à des commentaires ésotériques dans le système chinois. Mais les combinaisons obtenues par le jet de noix de palme chez les Yoruba jouent le rôle de simples intermédiaires dans une divination qui est essentiellement ora/e. Elles Les pratiques divinatoires des populations de langue et de culture servent à numéroter les légendes.Au contraire, dans la divination chinoise par les hexagrammes,dont la technique remonte à la pre- très mal exploré. La documentation, extrêmement riche, s'étend sans discontinuité depuis le xlVe siècle avant notre ère jusqu'à nos qui font l'objet de l'analyse divinatoire. C'est leur construction chinoises constituent un vaste domaine de recherches qui est encore jours. DiRërentessuivant leurs fonctions et les milieux sociaux, variables suivant les époques,ces pratiques divinatoires ont une histoire et, en bonne méthode, on devrait exclure toute considération d'ordre général sur la divination dans le monde chinois : on y retrouve en effet presque tous les procédés connus dans les autres civilisations astrologie, interprétation des phénomènes anormaux, des rêves, des cris d'oiseaux, emploi de jetons, de coquilles, de pièces de monnaie, de plateaux tournants, recours à des médiums inspirés, écriture automatique, almanachs, observation de victimes sacrifiées ou d'animaux vivants, physiognomonie, notation de paroles surprises dans la rue ou de chansonsd'enfants, recours à des grimoires... et il n'y a guère de phénomène qui ne puisse être retenu comme présage. On trouve même, dans cette civilisation agraire, des présages végétaux : plantes dont l'apparition rarissime est considérée comme signe de bon augure, et monstres végétaux. Cette diversité et cette richesse n'ont rien de surprenantsi l'on songeà l'extensiondans le temps de notre documentation,à l'étenduegéographique du monde chinois et à la diversité des inûuences reçues par ses diŒérentesrégions au cours de l'histoire (inüuencesde la Mésopotamieancienne,de l'lran, de l'Inde, de l'Islam, despopulationsnon chinoisesde la Chineet des autres régions de l'Asse orientale). Cependant, on reconnaît dans ce foisonnement de pratiques la prédominance de certaines orientations particulières au monde chinois qui sont la marque d'une civilisation originale. Et, puisqu'il s'agit ici de recherchescomparées,on peut indiquer commentse situent, par rapport à d'autres, certaines données chinoises. mière moitié du ler millénaire, ce sont les combinaisons elles-mêmes des signes J,a/zg(lignes continues) et des signesyfn (lignes interrompues) qui est interprétée, de même qu'étaient interprétés, dans la divination plus ancienne par les os ou l'écaille de tortue, le senset la forme des craqueluresproduites par le feu, comme l'indique l'excellenteétude de M. Vantlermeersch. Les lignes continues et discontinues des hexagrammes sont les symboles des deux forces fondamentales qui sont à la base de la constitution de l'uûvers. L'hexagrammeest analogue à une cellule avec seschromosomesX et Y. Le devin analyse chaqueligne et chaquetrigramme (trigrammes inférieur et dupé' rieur ainsi que trigrammes intermédiaires). Mais il y a plus : si la divination est possible,c'est parceque l'équi- libre des forces cosmiquesque traduit l'hexagramme au moment de la divination est un équilibre instable. L'objet de la divination est de savoir dans quel sens va se transformer le système à la suite d'une modification minime; les lignes yï/z et yang symbolisent en eŒetdes réalités capables de mutation : suivant sa place dans l'hexagramme, telle ligne yîn ou yang manifestera une tendance à se transformer en son contraire (le jeune J,a/zg(chibre 9) devient vieux yang (chibre 7) apte à se transformer en jeune yïrz(chiffre 6) qui devient vieux yïn (chibre 8) et se transforme en jeune yang...). Cela explique pourquoi le plus ancien manuel de divination par les hexagrammesporte le nom de <<Mutations >>épïJ. On est fort loin des modes de divination proprement orale des civilisations sansécriture ou de celles où l'écriture n'a été introduite que tardivement et ne joue qu'un rôle secondaire. Comme le souligne M. Bottéro, à propos de l'hépatoscopie dans la Mésopotamie ancienne, il y a une relation étroite entre écriture et divination par l'analyse 1. Décrit par P. Verger, dans un séminaire au Centre de recherchescomparéessur les sociétés anciennes, 52 en 1968. 53 PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS JACQUES GERNET de signesgraphques, entre scribe et devin spécialistedes Êgures divinatoires. Et il est probable que cette relation est plus étroite encore lorsque la pictographie ou l'idéographie accusele caractère autonome de l'écriture par rapport à la parole, comme ce fut le cas aux plus hautes époques de la civilisation mésopotamienne et comme ce fut fonction de sa direction et de l'heure de la journée. L'action humaine n'est enGaGequ'à la condition d'être en accord avecle cadre général dans lequel elle se situe : la réussite est fonction et de la disposition des forces en présence rs/zi,). du moment rsÆO Si les signesne sont jamais univoques, si la gauchen'est pas tenue le cas en Chine pendant toute l'histoire. Cette permanencede l'écru/z/reiciëagrapàïque l dans le monde chi' en elle.;même pour spécialement sinistre et de mauvais augure dans le monde chinois, mais est tantôt honorable et faste, tantôt de moindre les plus originales. Tout en donnant lieu à une très riche littérature dépend du cozzfexfe.Les devins chinois ne cherchent pas à déchiffrer nomsn'est peut-être pas étrangère à certaines de ses orientations et à un remarquableeffort de systématisation, la divination déductive par l'examen des entrailles de victimes en Mésopotamie n'a pas été relayée et remplacée par d'autres modes de divination fondés sur le même principe, comme ce fut le cas en Chine où l'analyse des conû- gurations graphiquesdevint un des procédésprivilégiés de divination. La source s'est tarie au Moyen-Orient alors qu'elle est restée active en Asie orientale. La divination par les hexagrammesmarque en Chine un progrès radical par rapport à l'ancienne divination 'par le feu..Elle a permis tout à la fois d'approfondir l'analyse symbolique et de substituer à l'examen empirique des craquelures(qui avait donné naissance aussi à une véritable science divinatoire et à des écoles de devins) une formulation mathématique qui a encouragé une spécu- lation sur les nombresen tant que réalités individuelles douéesde vertus iuï generfs et en tant que principes d'organisation de l'espace et du temps. La plupart des grandes orientations de la pensée scientifique chinoise apparaissent avec le développement de la divi' nation par les hexagrammes : notion de croissance et de déclin, calculs par manipulations, prédominance de l'analyse des systèmes clos sur celle des séries linéaires, tendances algébriques des mathé- matiques chinoises... Mais c'est aussi la notion d'ordre, et l'impor- tance attribuée à une correspondance exacte entre ]es signes et les réalités, qu'on peut mettre en relation avec les spéculationsdivinatoires les plus anciennes. Le monde chinois marque une nette préférence pour les formes de divination (&ducïïve: il ne s'agit pas généralementde connaîtrela volonté des dieux, mais d'analyser des situations. C'est pourquoi la divination porte d'ordinaire sur des ensembleset des conjonctions de signes : un présage isolé est rarement signiûcatif. De même qu'il sembleque, dans les plus anciennesméthodesd'oniromancie. on tenait compte de la position des astresau moment du rêve, de même le cri du corbeau devait être interprété, dans le folklore moderne, en 1. Ce terme très inadéquat est employé à défaut d'un meilleur. 54 valeur, c'est que les dispositions rituelles sont variables et que tout les messages obscurs et ambigus d'une volonté divine, mais s'eŒorcent d'analyser une situation globale, un rapport de forces dont l'équilibre est instable, des conjonctions mouvantes comme celles des secteurs terrestreset desconstellationsqui tournent autour de l'axe polaire. Un homme rêve qu'un phénix mâle vient se poser sur sa main et s'imagine naïvement que c'est bon signe. Mais un interprète des songes le met en garde et, en eŒet,le rêveur perd sa mère dix jours plus tard. Comment expliquer cette inversion du sens d'un présage qui avait toutes les apparences d'un signe faste? <<Le phénix mâle, dit le devin, ne se pose que sur les sterculiers et ne mange que les graines du bambou >>.Or le Rïfue/ ne dit-il pas que le bâton de deuil à la mort du père doit être taillé dansun bambou et que le bâton de deuil à la mort de la mère est en sterculier? Le phénix s'est posé sur une main qui allait tenir le bâton de deuil l Ce qu'on dénomme géomanciedans le monde chinois, et qui s'y développeà partir des IVe.Vesiècles,n'est pas à proprement parler une méthode divinatoire, mais une sciencedes inâux inhérents aux configurations topographiques : le sens et la forme des plissements de terrain, la disposition des cours d'eau, l'orientation du site révèlent, à qui sait en déchiŒrer la signiôcation, générale la présence cachéede courants positifs et négatifs r)pinet yang,). Comme le corps humain ou le cosmos, les sites sont des lieux que traversent des f/1/7œx dont ]e bon équilibre est source de santé et de vie. Le géomancien tient d'ailleurs le plus grand compte de ce champ de force dominant qu'est ]e champ magnétique terrestre : il se sert d'une boussole,et c'estpar rappoi't à la directionindiquéepar la boussoleque sont interprétées les diŒérentescaractéristiques du site. Du choix d'un bon site pour une habitation ou un tombeaupeut dépendre le bonheur durable d'une famille. Inversement, une suite 1. 7bÜf/zggæa/z.gjï, clap. 279,IXiaoJi, p. 2216del'éd. Zhonghuashuju.On notera que le thème du présage faste qui serévèle néfaste.ou du bigne de mauvais augure qui se révèle de bon augure est assez fréquent. Mais il n'a pas du tout les mêmes implications que dans le monde grec : à cette ambiguïté du signe n'est associéeaucune conception tragique de la destinée humaine. 55 1 .1 JACQUES GERNET PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS d'événementsmalheureux peut avoir pour origine le choix d'un lieu d'où se dégagent des inüux néfastes. Superstition condamnéepar les milieux cultivés, la géomancie ne digère pas dans son principe des méthodesde divination les plus typiquesdu monde chinois. Toute divination semblemettre en jeu une représentation du cosmos et ]es premières conceptions cosmologiques sont issues des milieux de devins. La tortue dont la carapace ventra[e sert à ]a divination par ]e feu est une représentation du monde : ronde en haut comme le Ciel, elle est carrée à la base comme la Terre. La carapace soumise au feu porte sur sa face externe 9 écailles (9 sera le chibre du ya/zg,c'est le nombre des régions crééespar le souverain mytlüque Yu le grand) et 12 secteurssur sa face interne (12 est yî/z). Cette carapace était orientée dans le sens nord-sud au moment où l'on procédait à la divination. Les devins de la fin de l'époque des Royaumes combattants (m' s.) et de l'époque des Han (-- 206 à + 220) se servaient d'un systèmede planchettesdénommé s/zï dont l'une, carrée,figurait la Terre, et dont l'autre, circulaire, pouvait pivoter par-dessus et portait une représentation des objets célestes. D'après J. Needham, la ôgure de la Grande Ourse aurait été remplacée sous les Han par une cuillère en magnétite, autre représentation qui pouvait pivoter sur elle-mêmeet s'orienter dans la direction du pôle. Avant de se dépouiller de toute significationreligieuse,la plupart des jeux chinois (raæ/zæ,fléchettes lancées dans un vase, /fzïbo et weïqï, jeux où les adversairesdéplacentdes pions de valeur opposéesur des échiquiers, xfanggi, échecs proprement dits...) semblent avoir eu la fonction de rites divinatoires. Le weïgîest, à l'origine, un jeu royal qui servait à décider de la conduite des campagnes,des stratagèmes guerriers, des choix politiques... Une des plus anciennesformes du jeu d'échecsen Chine daterait desannées561-578et est probablement à l'origine du jeu d'échecs indien. Ses piècesreprésentaient,dit-on, la Lune, le Soleil, les étoiles, les constellations, les cinq puissances Toute ïa pratique des physiognomonistesest fondée sur une géographie ou, 'plus 'exactement, une cosmologie du corps. humain. Le visageest une carte de géographie ou une carte du ciel, orientée et divisée en une multitude de secteurs. Les mêmes éléments peuvent entrer dans des conôgurations diÆérentes, être <<lus >>diŒéremment le nezest l'une descinq planètes,l'un des cinq pics cardinaux de la géographie chinoise, l'un de cestrois éléments constitutifs de l'univers que sont le ciel, l'homme et la .Terre. Le ciel.(haut de la tête) doit erre rond et large (signe de réussite sociale), l'homme (le nez) régulier et vigoureu;l (signe de longévité), la Terre (le bas du visage) carrée et massive (signe de richesse). Le même eRort pour dégager des données de l'observation certaines structures universelles se ïètrouve dans la géomancie. Certains manuels permettent d'identifier les formes inÊnîes que peuvent. prendre les plissements de terrain, les collines et les montagnes, en les réduisant à cinq types fondamentaux en rapport avec.lescinq puissancesfondement;les'(les wz{xf/zg) : une montagne en forme de ballon révèl! son aHnité avec le métaÏJ'une montagne en forme de terrasse son aMnité avecla terre, etc. Toutes ces indications révèlent les rapports étroits qu'entretiennent dans le monde chinois divination et représentations cosmologiques et permettent de comprendre pourquoi les méthodes divinatoires recourent de préférence à des séries de symboles qui servent à.la notation du temps et de l'espace et qui peuvent à l'occasion se disposer sous forme de tableaux orientés. Ce sont -- les huit trigrammes et les 64 hexagrammes; -- les deux séries de signes cycliques(troncs célestes, ffanga/z, au nombrede dix, et branchester;estres,dzÆI,au nombre de.douze) qui Êgurent sur les plus anciens témoignage?. écrits(xîv' dont la combinaison sert à former un cycle de 60; siècle) et -- les douze animaux correspondant aux douze signes cycliques fondamentales(cellesde la terre, de l'eau, du feu, de la végétation dela série duodénaire; La ligne médiane de l'échiquier chinois a d'ailleurs conservé le nom de voie lactée r/ïanÀe,).Il semble que les pièces devaient être disposées leurs multiples; -- de façon générale, tous les ensembles cosmiques, célestes ou et des métaux), le yïæ et le J,ang, les quatre secteurs de l'espaœ, etc. avant le jeu conformémentà la situation des corps célesteset des forces cosmiques au moment même. On peut noter aussi que l'écho' quier du weigï comptait 361 intersections (19 x 19) qui sont un équivalent du nombre des jours de l'année l 1. Sur l'histoire des différents typesd'échecsen Chine et leur relation avecla tablette -- les chiures de la série décimale (l à 9), leurs combinaisons et géographiques(cinq <<éléments >> : eau: terre, feu, bois, métal; don- née; e;sentielles de la géographie chinoise; yï/z et ya/zg; ciel et terre; saisons; secteurs de l'espace ; constellations...). Des systèmes de correspondances permettent de passer d'un système à l'autre et rendent possible une sorte d'algèbre divinatoire. divinatoire des devins de l'époque des Han, l$ J. Needham, Scie ce and Cïvï/ïsafïa/z iÆ C&f/ïa, vol. IV, 1, p. 3 18 sq. 56 57 PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS JACQUES GERNET Civilisation de l'écriture, la civilisation chinoise est la seule à possé- der une infinité de signesgraphiquesqui épuisenttoutes les réalités del'univers (les « dix mille êtres>>,wa/zwzl) :. comme leshexagrammes, chacun d'eux peut être composéet décomposé,et chacun d'eux peut recéler des véritéscachées.De là un très'large emploi de l'analyse des caractèresde l'écriture dans les devinettes,les prédictions, les Fuzhen rêve d'un vieillard qui lui annonce qu'il ne sera reçu aux concours officiels qu'à la quatrième tentative. <<Le quatre rsiz/ze,), lui dit'il, est le plus propice. >>Or les deux caractères sï et zÆeservent à constituer un des noms qui lui ont été proposés(le caractères#u). Il l'adopte et la prédiction du vieillard se réalise l Un nommé Song Yu échouerégulièrement aux concours ofhciels. livres de prophéties, les tabous... Connue sous diÆérentsnoms suivant Il rêve d'un homme qui lui apprend qu'il lui est impossible de réussir les époques(pozï <<éclatement des caractères >>,cezï <<sondage des caractères )>,xïangzï <<physiognomonie des caractères >>,cÀaïzi« mise de nom personnel est formé de deux chiens à droite et à gauche du en pièces des caractères»), la devina/fonpar /'ëcrlfz/re semble être avec une montagne sur la tête. En eŒet,le caractère yzï qui lui sert caractèreya/z<<la parole >>,que surmonteune montagnersÆan,). Il devenue d'un usage courant à partir du VUe siècle 2 Quelques exemples suMront pour en faire comprendre le mécanisme : supprime de son nom cette montagne et réussit * tJn homme rêve qu'il a une couronne d'herbe sur la tête, un cou- rons de 1570qui prend pour thème le pèlerinageaux Indes du moine Xuanzang (vne siècle),le maître bouddhique est abusé par la bonne mine de monstresqui ont pris la forme d'immortels. Il accepteimprudemment leur invitation et se livre avec eux à un concours'de poésie. apprend qu'îl sera préfet de Lipu. En eŒet,le caractère/ï de Lipu est formé'à son sommetde la clef de l'herbe, d'un caractèredao teté en lui faisant épouser sur-le-champ une des dames de leur com- propres il arrive aussi que le consultant interroge le spécialistede la Song Wukong, Pourceau et Sab]on, émus de ]a disparition de leur ment arbitraire Un homme dont le père est malade interroge un devin sur le carac- Au chapitre 64 du rouage en Occfdenf r'XïyouÿO, roman des envi- Mais bientôt seshôtes veulentle forcer à rompre sesvœux de chaspagnie Par bonheur, les acolytes du religieux, le Singe surnaturel maître, arrivent à temps pour empêcherl'irréparable et pour mettre à mort les faux immortels. Visitant ensembleles lieux où's'était tenu le concours de poésie, ils comprennent que les monstres n'étaient autres que les émanations des arbres du jardin : la salle attenante portait le titre d' <(Ermitage des immortels en bois >>et les noms dont teau entre les dents et deux couteaux à chaque main. Un devin lui <<couteau >>en son milieu et de deux autres caractères dao dans sa partie inférieure ; Si ]a divination porte souventsur les noms personnelset les noms divination par l'écriture sur un caractèrechoisi de façon apparemtèreyï(<<un >>,un simpletrait horizontal). yï, dit le devin,est le dernier trait du caractère <<vivre >>f's/zengJet le premier trait du caractère <<mourir >>rxïJ : le malade n'en a plus pour longtemps. Cependant? le devin se ravise et demandel'année de naissancedu malade. Il les monstres s'étaient aRublés étaient des allusions à ces diŒérents est né l'année du bœuf f'nïzzJ.Si l'on ajoute un trait au caractère /ziæ, arbres. L'un des immortels portait le nom de Shibagong (Son excel- tant s'en tirera 4 Sansdoute y a-t-il toute une part de jeu dans ces déductions, tant il est vrai que la divination a de fortes accointancesavec les activités lenceno 18), dont les caractèresune fois réunis forment lè caractère gang,qui désignele pin. Les signessont l'essencedesêtres et les noms que l'on porte déter' minent la destinée. Un nomméDoulu Fuzhenavait étépris en aŒection par le préfet de Quzhou (Zhejiang), qui lui conseilla de changer de nom personnel aprèsun nom de famille à deux caractères(Doulu), il ne convient pas d'avoir un nom personnelqui soit composélui aussi de deux carac- tères; pour leur senset leur euphorie, le préfet propose à son ami trois caractèresentre lesquelsil lui laissele choix. Le soir même, Doulu ÿ$!BWH$,BœB';aæ,Ba#:,: 58 on obtient de nouveau le caractère s/ze/zg<<vivre >>: le père du consul- ludiques(manipulations,jets de pièces,jeux de mots...). Mais c'est aussi une conceptionrelativement originale des fonctions du signe qui se dégage des données chinoises : ce que la divination met en cause des structures mentales, dépassede beaucoup le cadre limité qu'on serait tenté de lui attribuer a priori. Le signe conçu comm! l;f/zdïce d'une réalité cachée est aussi moue/z d'acfïan sur le réel : il 1. Zaïpï g gua/zgÿï,chap. 278, .Doulu Shu, p. 2205 de l'édition Zhonghua shuju Pékin, 1961(conte du vn'-vïn' siècle). 2. 16/d., chao. 278, Song Yan, p. 2211. 3. /bïd., chap. 278, Jïangling Li ling, p. 2215. 4. Récit d'époque Song. 59 JACQUES GERNET PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS suscitela réalitéou l'événement aussibienqu'il les traduit ou les annonce. Cette double fonction du signe est admirablement illustrée par un conte d'origine chinoise recueilli dans le .Kb/!/'akumanage/arï sÆÜ,ouvrage japonais du XHe siècle : Comment une vieille femme regardait chaquejour s'il y avait du saïtg sur un stûpa. C'est maintenant du passé. Sous le règne des 'k++, de Chine, il y avait à l'endroit appelé ++# shû une grande montagne. Sur le sommet de cette montagne, il y avait un stûpa. Au pied de cette montagne, il y avait un village. ï)ans -cevillage, une vieille femmedemeurait.Son âge était d'environ quatrevingts ans. Cette vieille femme,une fois par jour sansfaute, montait jusqu'au stûpa situé sur le sommet de cette montagne et l'adorait. Comme c'était une montagne grande et haute, pour la gravir du piedjusqu'à la cime, le parcoursétait abrupt et rude, le chemin était long. Néanmoins, sans que d'obstacle il y eût, fût-ce quand la pluie tombe; sansque de cesseil y eût, fût-ce quand le vent souille; sansque de peur il y eût, fût-ce quand surviennent le tonnerre et les éclairs; lorsque l'hiver est froid et qu'il gèle ; lorsque l'été est chaud et dur à supporter; ne laissant pas passermême un jour, sansfaute elle montait et adorait ce stûpa. Il y avait des annéesqu'elle faisait ainsi. Les gens,voyant cela, n'en savaientabsolumentpas la cause. <( Elle adore le stûpa et c'est tout, sûrement >>,pensaient-ils. Cependant,une fois que l'été était extrêmementchaud, quel' quel jeunes garçons étaient montés à la cime de la montagne et prenaient le frais, installés au pied du stûpa, lorsque cette vieille femme, personne aux reins pliés en deux, appuyée sur une canne, n'arrêtant pas d'éponger sa sueur,monta jusqu'auprès du stûpaet tournant autour de ce dernier le regarda.Lors de penser : << Elle fait le tour du stûpa et c'est tout, sûrement. >> Mais à cause que cette façon de tourner autour du stûpa était étrange, ces preneurs de frais ayant, non point une fois, mais bien desfois vu la chose,dirent : <<ï)ans quelleintention cette vieille fait-elle ainsi, à grand ahan? Si elle vient aujourd'hui, nous le lui demanderons. >>Ainsi s'accordèrent.ils à dire et là-dessus,vu que c'était chose habituelle, la vieille, en se traînant traînant, monta. Les jeunes garçons, interrogeant la vieille, lui dirent : <(Vieille, 1. Traduction B Frank, .27h/o/rei gzïï so/z/ æza//zfena/z/da .parié, Paris, Gallimard: 1958,P. 94-96. 60 dans quelle intention venez-vous? Car même pour nous quï sommes jeunes, il est pénible de venir ne fût-ce que pour prendre le frais. Or, on a beau penser que vous aussi, sûrement, c'est pour prendre le frais que vous venez,il n'arrive jamais que vous le preniez et il n'y a rien non plus que vous fassiezd'autre. Aussi, qu'avec un corps âgé, vous montiez et descendiezcomme cela chaque jour est chose extrêmement étrange. Veuillez nous en faire savoir la raison. >>La vieille dit : <<Des jeunes gens de notre époque trouveront sans doute, en vérité, que c'est étrange. Venir comme cela regarder un stûpa n'est pas un fàt de notre époque. Pour moi, depuis que j'ai commencé à connaître le cœur des choses, soit depuis ces soixante-dix et quelques dernières années, chaque jour, ainsi, je monte et je regarde. >>Les garçons dirent : <<C'est de cela que nous vous demandons de nous faire savoir îa raison. >> La vieille dit : « Mon pèremourut à l'âge de centvingt. Mon aïeul mourut à l'âge de cent trente. Le père et l'aïeul, encore, de celui-cimoururent à plus de deux centsans. Disant que c'étaient eux qui la lui avaient laissée, mon père, à son tour! me laissa l'instruction que lejour où il y aurait du sang sur ce !tûpa, cette montagne s'écroulerait et deviendrait une mer profonde. Aussi, songeant que, comme une personne qui demeure en bas, si cette montagne s'écroulait je mourrais ensevelie,et résolue à m'enfuir au cas où il y aurait du sang,chaquejour, ainsi,Je regarde le stûpa. >>Les garçons, entendant cela, s.ébaudirent et se moquèrent' : <<Quelle chose eŒrayante! Quand la montagne s'écroulera,veuillez nous l'annoncer >>,dirent-ils, et de Tire. La vieille ne comprenant pas que, ce faisant, ils riaient.d'elle <<Il va sans dire. Comment se pourrait-il que je veuille vivre moi toute seule et ne l'annonce pas? >>Elle dit et, faisant le tour du stûpa, le regarda; puis elle redescendit. Après cela, les garçonsde dire :« Cette vieille ne reviendra plus auUourd'hui, sans doute. Mais demain, lorsqu'elle va de nouveau venir et regarder le stûpa, nous allons l'effrayer, la faire courir et rirons. )>Ainsi s'accordèrent-ils à dire et, setirant du sang,ils en barbouillèrent le stûpa puis, étant rentrés,œs garçons, ils parlèrent aux gens du village, di?ant : <<A cause de l'étrange façon qu'a la vieille qui demeure ici en bas, de monter et regarder chaque jour le stûpa de la cime: nous lui avons demandéquelle raison elle pouvait avoir à cela.et comme, sur ce. elle no;s a dit telle et telle choses,dans l'idée, demain, de l'enrayer et de la faire courir, nous avons barbouillé de sang le 61 E' PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS JACQUZS GERNET stûpa, et puis nous sommes descendus. )> Les gens du village, entendant cela : <(Hé bien, la montagne va s'écrouler 1» dirent- ils, et ils rirent au-delà de toute limite. Quand la vieille, le jour d'après, monta et regarda, il y avait en vertu de leur dynamismeinterne, à provoquer ]a réalité qu'ils évoquent. Il y a là une profonde vérité psychologique. Le Zuoz/manrapporte à l'année - 655 que le duc de Guo, inquiet d'un cauchemar,ôt emprisonnerson grand devin qui lui en avait de l'égarement qu'elle eut, tomba à la renverse, et elle rentra en révélé la signification funeste et ordonna à ses sujets de lui adresser des félicitations pour le rêve qu'il avait fait ï. On s'eRorce au Japon, le village et conserver vos vies. Cette montagne va dans peu des mauvais rêves en plaçant sous l'oreiller un monstre mangeur de comme cela prévenu partout à la ronde, elle rentra à sa maison, recommandé, pour obtenir des songesde bon augure, de disposer sous sur le stûpa un sang épais en abondance. La vieille voyant cela, courant, criant : <(Gens de ce village, il vous faut en hâte quitter d'instants s'écrouler et devenir une mer profonde. )> Ayant plaça sur le dos de sesenfants et petits-enfants et leur ût prendre en main des objets, et quitta le village. Tandis qu'en voyant cela, les garçons qui avaient mis le sang éclataient de rire à l'envi, sansqu'il y eût de pourquoi le mondese remplit d'une rumeur et d'un vacarme.Tandis qu'on s'étonnait : <<Est-cele vent qui se lève? Est-ce le tonnerre qui gronde? )>,l'espace devint d'une obscurité totale; c'était extraordinairement etrayant. Là'dessus, la montagne semit à bouger. Tandis qu'on vociférait à l'envi : <(Qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce que c'est? >>, la montagne d'aller s'écroulant, s'écroulant. A ce moment, tout en disant : <<Ah, la vieille avait dit vrai >>,il y eut bien par hasard des gensqui purent s'enfuit, mais ils ne savaient où étaient allés leurs parents; ils avaient perdu le chemin par où suivant une pratique d'origine chinoise, de conjurer l'apparition rêves,le yume-taBaC no baku, une sorte de tapir. Inversement,il est son oreiller une barque précieusequi porte les six dieux du bonheur 2 Mais une pratique plus significative encore consiste à transformer le néfaste en faste. Ce peut être par ]e seul énoncé de la formule fume wa saga')punie <(ce rêve signiôe le contraire de ce qu'il dit >>.Un usage attesté en Chine à l'époque contemporaine consiste à exposer au soleil levant, après un mauvais rêve, une feuille de papier où l'on a écrit ces mots :<<Le rêve néfaste de cette nuit collé sur le mur de l'ouest se transformera en rêve faste aux premiers rayons du soleil a. Les signessemblent être doués d'un pouvoir de réalisation latent. >> Si on ne parvient pas à inverser leur sens ou à les cacher, ils produisent tôt ou tard leurs eŒets Un débauchérêve qu'il est entraîné ligoté avec ses compagnons de débaucheet des courtisanes. Son épouse fait au même moment un leurs enfants avaient dû fuir. Faut'il le dire, qu'ils ne savaient point où étaient les richessesdes maisons, les objets; et qu'éle- rêve identique (thème fréquent du même songe chez des personnes avec soi sesenfants et petits-enfants, ne perdit point fût-ce un de lire des sûtra bouddhiques et de faire des dons aux communautés de religieux. Mais, voyant que la prophétie ne se réalise pas, il s'enhar-' vant la voix, ils criaient à l'envi? Seulecette vieille, entraînant objet de sa maison et, s'étant par avanceenfuie, s'installa tran- quillement dans un autre village. Ceux qui avaient ri de la chose ne parvinrent pas à s'enfuîr et, tous, ils moururent. Aussi faut-il croire les choses que des gens qui seraient âgés pourraient nous dire. Cette montagne, comme cela, s'écroula entièrementet devint une mer. Ainsi dit-on qu'il a été rapporté. Comme s'il y avait une nécessitélogique qui liait le signeà l'événement, ce qui n'était tout d'abord que simple présagedont l'appari- tion spontanéeaurait été le signeprémonitoire de la catastrophese transforme en une sorte de détonateur de la catastrophe quand il est le produit d'une intervention humaine. Le conte du .KbnÿaÆu mo/zoga- ïarï a donc l'avantage d'attirer l'attention sur lesrapports qui unissent la divination à l'expressiondesvœux et destabous : du seul fait qu'ils sont énoncéset connus, présagesnéfastesou de bon augure tendent, 62 diRérenteset parfois fort éloignéesl'une de l'autre). L'homme se réforme et mène pendant trois ans une vie pieuse et austère, ne cessant dit et commenceà se relâcher.Entraîné un jour à une partie de plaisir sur un lac par une de ses anciennes connaissances, il périt noyé avec tous ses compagnons û. Plus significativeencore est cette histoire qui relate la mise à l'épreuve d'un devin l.Jn homme vient consulter un spécialiste de l'interprétation des songeset prétend qu'il a rêvé d'un chien de paille (objet rituel). <<Vous allez festoyer », lui dit le devin. A quelque temps de là, le consultant revient et assure avoir fait de nouveau le même rêve. <<Vous tomberez de voiture et vous passerezla jambe >>,dit le devin. Troisièmerêve 1. M. Soymié dans /e.ÿ So/zge.îef /eur /n/erpré/afro/z,Paris, éd. du Seuil, 1959, p. 276-305,où l'on trouvera de précieusesindications. 2. R. Sieaert, fbfd., p. 309-323. 3. Indicationdueà M. TchangFou:jouai. 4. ZaÜÏ/z8 gœaæ.g#, chao. 276, Zhou Xuan, p. 2177 de l'édition 63 Zhonghua shuju. HI 1 JACQUES GERNET PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS identique : <(Vous serezvictime d'un incendie >>.Les trois prédictions qui fut jadis créé quand le souverain Jaune assembla les génies et les se réalisent. L'homme revient voir le devin et s'étonne de sa science « En réalité, dit-iï, je n'ai rien rêvé de tout cela et j'ai seulementvoulu vous éprouver. Comment se fait-il que vos trois prédictions sur le même rêve aient été diïïérentes et qu'elles se soient toutes réalisées? -- Pour..augurer du faste et du néfaste, lui répond le spécialiste des songes, i] suH.t que ]a pensée se soit concrétisée en paroles. >>Quant à l'interprétation des trois rêves, elle se fonde sur l'identiâcation du rêveur à l'objet de son rêve : ce qui advient au chen de paille corres' pond aux trois phases successivesdu rite dans lequel il ûgure : après le banquet, le chien de paille est jeté à terre et foulé par les roues' des voitures. Puis, quand la cérémonie est terminée, les objets rituels sont r .es IJn très beau texte sur les pouvoirs de ïa musique âgure dans le .lïa/!Aeïzi(milieu du MesiècleavantJ.-C.') : ' ' Le prince de Wei se rendant chez le prince de Jin bivouaque en cours de route sur les bords de la Puo et y entend un air étrange et mélancolique qu'il fait noter par son maître de musique. Parvenu au terme de son voyage, il veut faire entendre cet air à son hôte. Mais le maître de musique du prince de Jin en arrête ]'exécution dès ]es premi!!es notes : <{Ceci, dit-il, est la musique d'un royaume de pardi' bon. Elle fut jadis composéepour le de;nier souveraindes Shang par son maître de musique qui, lorsque tout fut perdu, sejeta dans la Puo. Elle ne peut avoir été entendue que sur les bords de œtte rivière. Tous ceux qui ôrent exécutercette musiqueont vu leur royaume amoindri. >>Mais le prince de Jin, passionnéde musique,s'entêteet exige que cet air de mauvais augure soit joué intégralement. Puis il demande s'il en existede plus mélancoliques. <{Oi;i, tel air, lui dit son maître de musique, mais seuls les princes doués d'une grande vertu ont pu l'entendre sans dommage. >>Sur les injonctions de son prince, le .maître .de musique est cependant contraint'de l'exécuter. A la pre: migre exécution,huit couples de grues noires viennent du sud se percher au-dessus des portes de la cour. A la deuxième, les grues se disposent sur deux rangs comme des danseurs.A la troisième, elles crient en allongeantleur cou et se mettentà danseren déployant leurs ailes. Toute l'assistance est en liesse. Le prince de Jin demande s'il. n'existe pas d'air plus mélancolique encore. <<Oui, lui dit son maître de musique, mais il ne convient pas de le jouer. C'est l'air 1. 7b/pïng.gæa/zgyï, clap. 279,Li Shaoyun,p. 2218. démonssur le mont Taishan... Votre vertu est trop mince et je crains qu'il n'arrive un malheur si vous entendez cet air: >>Mais le prince de Jin, passionné de musique, s'obstine. A la première exécution, des nuagessombres s'élèvent, venus du nord-ouest. A la seconde, un ouragan se déchaîneet un déluge s'abat sur le palais, déchirant les tentes,brisant les tables et les plats du banquet, arrachant les tuiles des toits. L'assistance se disperseet le prince de Jin se réfugie sous une colonnade. A partir de ce moment, le royaume de Jin est frappé d'une sécheressede trois années consécutives et le prince de Jin tombe gravement malade. Si les tabous sont l'envers des présages,c'est parce que domine une notion généralede l'ordre de l'univers d'où il résulte que toutes chosessonten correspondance. Le yue/ï/zg,ancien calendrier qui ûgure dans le Z,ÿï, rituel compilé aux Ve.IVesièclesavant J.-C., indique, pour chaque mois de l'année, la position du soleil dans le ciel, les constellations qui apparaissent au sud au crépusculeet à l'aube, les signescycliquesqui qualifient les jours de ce mois, le souverain mythique, le génie, l'espèce d.insecte, la note, le tuyau sonore, le chiffre, la saveur, l'odeur, le type de sacri- fice domestiquequi correspondentà ce mois de l'année. Il indique les phénomènes naturels qui doivent s'y produire (par exemple : .la première ûoraison des arbres fo/zg, la transformation des rats des champs en alouettes, les premiers arcs-en-ciel...). Il rappelle quelle doit être la place qu'occupe le prince dans son palais, son type de voiture, ses}anioni, la couleur de sesvêtements,la sorte de jade qu'il doit porter, ses nourritures du mois, sa vaisselle,les comporte' mente et les activités en accord avec le mois, les tabous... Si l'on met en vigueur au deuxième mois du printemps les règle- ments de l'automnes dit le Z,üsÆÏcÆu/zgïu(ÛnMe siècle avant J.-C.) où se trouve incorporé le texte du }'æe/ïng,le royaume nourrira d'inondations, les soupes du froid séviront partout et on verra surgir le brigandage et les guerres. Si l'on met en vigueur les règlements de l'été au premier mois du printemps, le vent et la pluie viendront hors de saison, les plantes et les arbres se dessécheront. En eŒet,la vertu du bois étant en pleine activité au printemps, il convient d'y manifester bienveillanceet g. rani'b.Ü.tl ':î, eK,:"i:: gh";Z;8:'æ;'ï:";œ:;,s'%ltf'!œ générosité. Si l'on applique à cette époque de l'année les règlements 64 65 de l'été (époqueoù domine la vertu du feu), la végétationsourira JACQUES GERNET PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS de cet excès hors de saison de la vertu du feu et se desséçheraavant que ne soient venus l'automne et l'hiver. De telles conceptions qui furent systématiquement .développées du =e siècleavanieJ.-C. au ler sièclede notre ère, impliquent qu'à l'inverse les anomalies et les dérèglements de la nature soient conçus comme les signes d'abus, de transgressions ou d'excès. Ils révèlent que le souverain abuse des châtiments, fât un trop grand usage des armes, ou que les mesuresde faveur et les amnisties.sont trop fréquentes, que .les concubines et les impératrices.s'immiscent dans les alaires de l'État... On peut donc considérer les chapitres des anciennes histoires officielles qui classent les présages suivant les.cinq catégories fondamentalesde la terre, de l'eau, du bois, du feu et du métal rwuxï/zgz#ïJcommeune démonstrationde la valeur des règlements saisonniersdu }'ue/ï/zg. Ce qu'on demande aux spécialistes de la .divination? ce n'est pas seulement de savoir interpréter les signes, mais à l'occasion de fournir les moyens de transmuter le néfaste en propiœ. ou de tourner la dimculté que présenteune interdiction ï. Connaître l'origine d'une anomalie ou d'un mauvais destin, c'est connaître aussi le plus souvent les remèdesà y apporter. Un conte du 7'aipfng gz/azzBI/ï 2 relate une grande sécheresseau Hunan. IJn devin en voit l'origine dans un îlot surgi dans le cours d'une rivière : cet îlot est une tortue surnaturellequi pompe les soupes de la nature. Il suit de raser cette excroissanceanormale pour que la nature retrouve son équilibre. C'est qu'en eŒet<(le ciel, la terre, les cours d'eau et les eaux stagnantescommuniquent entre eux comme les diŒérentesparties du corps humain. C'est ainsi que les saignementsde nez peuvent être guéris par .desapplications de moxa (cautérisations au moyen de poudre d'armoise) sur les pieds.». Une particularité morale qui ne se traduit pas par un trait de phy' sionomie correspondant finim par provoquer l'apparition de ce trait ; un trait de physionomiequi ne répond pasà la particularité caractérielle dont il est le signe unira par disparaître ryoü xi/z wz{ xÏaPzg, xiang sui Ring sheng; you xiang wtl xin, xïang sui xin mie a). On pourrait tirer de ces notes cursives et incomplètes quelques remarques générales. La divination apparaît liée en Chine à tout un contexte.mental qui la dépasseet permet de comprendre ses caractères originaux. Elle n'implique pas l'idée d'un devenill.qui serait sousla dépendancede puissancesdivines, bien que .des dieux? des génies ou des revenants apparaissent à l'occasion. Mais les décisions et les vœux .des puissances mwsibles sont généralement connus. En outre, la divination tend à éliminer le hasard et toute incertitude tragique. Il ne s'agit pas de choisir entre des options dont les conséquencesimprévisibles ne sont connues que des dieux et des devins inspirés : la question est.presque toujours de savoir ce qu'il convient de faire dans telle conjonction temporaire d'influx et de forces cosmiques. La nature et le destin sont déchiŒrables et l'on peut agir sur eux par desactions appropriées aux circonstanceset par un choix judicieux des noms et des signes. Le texte mentionné ci-dessus, qui met en relation une sécheresse avec l'apparition d'un îlot que le devin assimile à une tortue maglquej met en l;migre un type de raisonnementqui paraît être.prévilégié dansla penséechinoise.ïl fait appelen fret à l'exempledu moka : moxa et acuponcture mettent en évidence certaines corrélations à l'intérieur du corps humain. C'est sur ce mode, qui n'est pas celui de la consécution logique chère à la pensée occidentale, .que sont conçues les réactions et interactions qui se produisent dans la nature, le corps humain ou la société. ïl'est remarquable, comme J..Needham l'a montré, que les Chinois aient eu très tôt l'intuition de l'existence des hormones et celle du métabolisme. ïl y a une <<proto-endocrinolo- gie >>chinoise quï s'est appliquée à.la description et au traitement des maladies de 'carence, du diabète, à la prévention de la variole .par une sorte de variolisation, et à l'utilisation des hormones sexuelles. Dans le domaine des sciencesphysiques, la découverte des phénomènesmagnétiques, beaucoup plus précoce qu'en Occident, ou encore l'invention d'un sismographedès 132, s'expliquent par une orienta: bon de pensée,une façon' de concevoir les phénomènesnaturels qui est typiquement chinoise. Il y a inûux, écho, rosa/lance,,presque Jamais action mécanique. Or cette notion d'inüux est. inséparable d'une conception générale de l'ordre du Inonde et de la société: Tout est ' '?lŒlg?&€1ânœs'æ RÛJ::lg='W':ÉHln'::sn ':-.-", paru dans la revue CÀæ/zgïzl, Hong-kong, 1968. 66 araire de dosage.Le gouvernementest une sortede médecine.sociale et cosmiquefondée sur des actions en accord avec le cycle naturel et l'évolutioncosmique: le mot z/zï,qui signifiebon ordrenaturel par opposition à /ua/z, désordre, veut dire aussi gouverner, maïs 67 I JACQUES GERNET PETITS ÉCARTS ET GRANDS ÉCARTS gouverner de façon à faire régner une harmonie spontanée. Or il est tout à fait remarquable que le même mot z/zf ait aussi le sens de soigner une maladie. Et soigner, selon les conceptions médicales chinoises, c'est tenir compte des carences et des excès. On doit noter dans les pratiques divinatoires chinoises une prédilection pour l'analyse des sites, des conÊgurations graphiques et des combinaisons de signesqui forment autant de syiïèmes c/os. Or ce ne sont pas les mêmestypes de relations qui jouent à l'intérieur des systèmes clos et dans les séries linéaires. Le système clos associe des signesde valeur opposée,et c'est de l'intérieur qu'il se transforme. De là un intérêt particulier pour le problème des mutations, des conjonctionset des corrélations.Il me sembleque l'on pourrait trouver une confirmation de cet intérêt dans les mathématiques chinoises. La disposition des signes (hexagrammes ou nombres) dans les tableaux magiques ou divinatoires de l'époque des Han correspond déjà à des combinaisons mathématiques qui relèvent de l'analyse combinatoire. C'est le cas de l'arrangement des nombres en tableaux, disposésde telle façon que la somme ou le produit des nombres reste le mêmequelle que soit la façon dont on procède; soit, par exemple, le carré magique 49 2 357 816 L'intérêt ancienen Chine pour les combinaisonsde ce genrea donné naissance,à partir du xnle siècle,à une théorie des carrés magiqueset à l'énoncéde règlespour en construire(certainessont très complexes).Cela invite à insister sur les rapports évidents qui existent en Chine entre mathématiqueset divination : les termes qui s'appliquent au calcul, szlan et s#z{, ont eu anciennement le sens de deviner par des calculs. On notera aussi qu'on a eu recours en Chine pour les calculs les plus compliqués (résolution d'équations à plusieurs inconnuesen particulier) à un systèmede baguetteset d'échiquiers qui rappelle les jeux à base de jetons, pièces et échiquiers. Alors que la logique du discours vise, par une suite de propositions enchaînées les unes aux autres, à dégager des vérités ïmmuaô/es, la penséechinoise apparaît au contraire orientée tout entière vers une réflexion sur le c#azzgemenf. La célèbrethéorie du yïn, du yang et des cinq élémentsrwuxi/zgJ,qui s'est développéeà partir de la ïïn du He siècleavant l'ère chrétienne,est tout le contraire d'une théorie de la composition physique des corps. Quand les premiers missionnairesjésuites sont arrivés en Chine, aux environs de 1600, ils ont cru 68 pratiques et des conceptions divinatoires en Chine. SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES En souvenir de R. Labat (1904-1974) JEAN BOTTÉRO à Alalah ï, à Ugarit a, et surtout en Asie Mineure, chez les Hittites 3 Pour s'en tenir au propre territoire de la Mésopotamiezprenon? seulement pour critère les catalogues des <<bibliothèques >>qui.y ont été retrouvées': Celle des <<prêtres Symptômes, signes, écritures )> d'Uruk, à l'époque séleucide.4, comprenait 20 traités divinatoires sur 58 ouvrages conservés; celle de Sultan-Tépé(première moitié du ler millénaire avant notre ère), seule- ment 22 pièces sur 407 en tout s; mais œll? de Teglat-Phalassar 1(11 1.5- 1077), Il sur 24 importées de Babylone 6 et 28 sur 104 faisant partie en Mésopotamie ancienne du fonds créé par le ïoi 7. Et surtout, exemple plus convaincant parc: qu'elle a étéretrouvée plus complète 8 et. qu'elle paraît .bien avoir été A. IMPORTANCEDE LA DIVINATION Pour estimer l'i zporfa/zce de la divination en Mésopotamie ancienne, on peut rappeler, tout d'abord, qu'en Occident classique notamment, bien des pratiques divinatoires, telle l'aruspicine étrusque, ont été importées, au bout du compte, de Mésopotamie ï; que, dans ce domaine, mêmeles dépendanceslittéraires ne manquent pas, directes le produit d'un rassemblement systématique de toute la production littéraire et scientiôque alors en vogue, la fameuse .bibliothèque d'Assurbanipal (668-627),sur quelque 1 500 titres qui. s.y trouvaient représentés, en ocre plus de 300 d'ouvrages consacrés à la divination, laquelle distance ainsi de ]oin tous ]es autres genres littéraires de l'époque'. . . .. . . Si l'on veut remonter plus haut : les premiers traités divinatoires du cru qui nous ont été conservés, dès la ôh du.xvn' siècle, sont tout d'un tique 3; et qu'enfin, à l'époque hellénistique,et surtout dans l'Empire romain, les devinspar excellent, les astrologues,portaient le nom de coup si nombreux, si élaborés,et dans leur forme, et dans leur éten due et leur distribution, et dans leur vocabulaire technique, et dans leurs procédés d'analyse et d'exposition!. avec nombre de .variantes On peut également souligner que, dès le lle millénaire avant notre ère, doctrines et procédés divinatoires mésopotamiens se trouvent poser au terme d'un long travail de.tradition écrite (dont les témoignagesn'ont pas encore été retrouvés, ou sont peut-être perdus sans à travers le Proche-Orienttout entier : à l'est, à fuse s; au nord-est, reste,'les vieux Mésopotamiens gardaient eux-mêmes conscience de la ou indirectes, comme dans la littérature astrologique 2 ou oniroman- << Chaldéens 4 >>. attestés, en langue accadienne ou traduits dans les idiomes locaux, à Nuzi o; à l'ouest et au nord-ouest, à Qatna 7, à yazôr 8, à Megiddo o, Je voudrais remercier avant tout Madame J. Détienne, qui m'a beaucoup aidé, avec patience et gentillesse, au prix d'un gros travail intelligent et efhcace, à mettre au point le manuscrit de ce travail. On trouvera à la p. 194 s. la liste des abréviations de périodiques et d'ouvrages cités au cours de l'article, et, p. 197, une note sur le mode de transcription ici adoptéedes mots sémitiques, accadiens et sumériens. 1. Voir notamment J. Nougayrol, Les rapports des haruspicinesétrusque et assyro- baby[onienne..., C.R.,4/B, 1955,p. 509s.; et aussi.D]WH, p. 9,n. 7, et p. 147s. .qu'on doit les suppouv ant impliquer doctrineset écolesdiŒérentes, espoir) et orale, qui nous mène fort avant dans le He millénaire , Du très haute antiquité,' et de l'intérêt qu'ils portaient à.la.divination: et de l'élaboration des techniques divinatoires, puisqu'ils les faisaient 1. L. Woolley, ,4Za/aÆÆ, p. 250 s.; S. Smith, T/îe Sfafæeof ]drimf, P. 16 28 s. et lllblÈ:wlwiimz.ui:i:}.?üüiz,Ë;i æilî L. (:. Bezç$Ld.Vt.B(iTÙ , Re$exe astrologisciter Keiïinschriften bei griechischetl SchrVt- .s/e//et/z. 1911. 3. Voir par exempleles suggestions faites dans ..4/z/zz/aùe ./969-/970, p. 100, n. l: et p. 104 et 107, où on lira <<Bouché-Leclercq» au lieu de <<Boissier ». 4. P. Wendland, .Dïe&e//e/zf.çf/scÀ-rômùcÀe J(ù//ær...,p. 132et p. 394, n. 1; Fr. Cumont, .Lœx Perce/aa, p. 144, etc. 5. JWDP,XIV, p. 49 s. : en accadien; .R.4 14, 1917,p. 29 s. : en élamite. 6. RJ 34, 1937, P. l s.; JMO 13, 1939-1941,P. 231 s. 7. .R.d44, 1950,P. 105s. 8. J. Pritchard, Tbe.A/zc/eæz' .ZVear .Ebsz', Sz€pp/.,1969,âg. 844 et réf. p. 380. 9. ]d., Z»e .4ncïeær ]Vear .Eàs/ //z .Pfcræ/'es, 1954, ûg. 595, et réf. p. li121. 70 «$$$1$Ë'WË IËi 7. ZA&:ÏÏ:;wde :â11(12 pièce 77.ÏWliïi l:g 3: ;ï: ",. " ':«', ,;""' " . p. 16; édition française : Za ]Wësopofamïe, P.28 71 JEAN BOTTÉRO remonterau commencement de leur histoire,mot à mot : <<depuis toujours >>r'œ/ïuz{//ô)î, et plus précisémentà une révélation divine faite au roi antédiluvien de Sippar, Enmeduranki 2 ou Enmeduranna3 Sur de telles donnéespréjudicielles,mais éloquentes,il n'est point téméraired'avancerque la divination occupaitde fait, dans la civilisation mésopotamienne ancienne, depuis ]a nuit des temps, une place de premier plan, et qu'elle en constituait sansdoute un des traits essentiels et originaux. La présente étude voudrait le démontrer avec quelque détail, en faisant mieux connaître cette divination, mais surtout en recherchant comment elle s'insérait dans la mentalité et ïa rationalité propres aux Mésopotamiens d'autrefois, à leur façon de voir et d'interpréter l'univers. Ce qui pourrait être une manière de mieux comprendre et celles-ci et celle-là. SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES des allusions obliques, mais souvent précieuses. Par exemple, des lettres, de contenu administratif,, militaire ou politique, où l'on signale [a <(prise de présages >>et leur incidence, bonne ou mauvaise, sur une entreprise donnée (Me trouvant) à Sagarâtum, à l'occasion du sacriôce du mois et du sacrifice de Monseigneur, j'ai pris les présages,et, à l'examen de la Pièce-oraculaire,j'ai trouvé la partie gauche du Doigtéfendue,et le Doigt médiandu Poumon2tourné vers la gauche et brillant, (ce qui est) un présage de gloire ! Que Monseigneur s'en réjouisse '! Ou encore des documents administratifs, comme des reçus ou billets de livraisons d'animaux ou de matériel nécessairesaux opérations mantiques Reçu par les devins, le 18 du mois de TeËrît (septembre-octobre) de l'an ... du roi Samsu-iluna (env. 1749-1712) : 6 oiseaux ô, B.LE DOSSIER envoyéspar lbbî-Sîn, le scribe, et qu'un devin doit traiter pour le mêmescribelbbî'Sîn 5 Parei[[ement trouve-t-on dans ]es <<codes >>et ]es pièces juridiques Comme dans tout travail historique, il faut d'abord présenter brièvement le dossier de l'araire : les sources, documentaires surtout, de notre connaissancede la mantique mésopotamienne, en soulignant leur typologie et leur valeur de témoignage,et ce, non seulementpour délimiter d'entrée de jeu ce que nous en savonset ce que nous en ignorons encore et peut-être à jamais, mais aussi et surtout notre façon de le savoir et l'optique plus ou moins déforméeà quoi peut nous réduire l'état de notre documentation. des passagesoù, en vue de l'établissement d'une preuve légale, les parties sont renvoyées au serment probatoire ou à l'ordalie ô, lesquels, au bout du compte, .sont du ressort de la divination. Même des œuvres <<littéraires >>: épiques, morales ou religieuses, rapportent çà et là des donnéesédifiantes sur la pratique divinatoire. Voici par exemple,dans un hymne à cama!, dieu du Soleil, mais aussi des oracles, deux vers 7 En la coupe des devins-ôôrü&, grâce au bouquet (de bran- chettes?) de cèdre, C'est Toi qui renseignes le devin-iô'ï/œ 8, interprétateur des songes! 1. TÉMOIGNAGESINDIRECTS Il y a d'abord les fémoîg/cagesïndz'recès,extraits de pièces qui n'ayant, de soi, pas le moins du monde la divination pour objet, y font 1. Pour cestermestechniquesde l'anatomie et de l'aruspicine, consulter notamment yOS, XI, p. 5 s. Voir encoreici, plus loin, notamment p. 126 s. et notes. 2. lient 3. ,4.R]W. V. n' 65.29 s. 4. Sur l'usage divinatoire des oiseaux (probablement de basse-cour), voir J. Nou- 1. Voir E. F. Weidner,HK08, 1932-1933, p. 180s. : 49 s. 2..8B.R, p.116 s., n'24. 3. Th. Jacobien,ZËeSemer/an.KÏ/zg.[ïsz',p. 74 s., n. 28. Au sujet de cette tradition, on peut sereporter au texte publié par W. G. Lambert, JCS 21, 1967, p. 126 s. 72 gayrol,.R,461, 1967,p. 23 s., et aussiici plus loin, p. 105,n. 9. 5. H. Ranke,B.Erl//, n' 118. 6. Ainsi C8, $ 2; et$ ào;<<zofs>>média-asiyrfen/zei, tab]. A, $ 24,et tab]. a, $ 19,etc. 7. .BMZ,P: 128s. : 53 s. 8. Pour 'œs noms de teclmiciens de la divination, voir plus loin, p. 128 $. 73 JEAN BOTTËRO qui nous livrent des notes précieuses, touchant, et .l'appareil .et le rôle de certains devins, et l'usage combiné de plusieurs techniques divinatoires -- ici, la lécanomanciepour clarifier une donnée oniromantique. Ce type de témoignages indirects remonte assez haut dans le temps.: 11. TÉMOIGNAGES DIRECTS Il y a ensuite les rémoïgnagesdïrecfs des documents expressément jusque vers le milieu du m' millénaire :. Leur importance ne doit consacrésà !a divination. Ils remontent un peu moins haut que les au vif la divination dans l'existence et les préoccupations quotidiennes sont du début du Ue millénaire. pas être sous-estimée: explicitementou non, ils nous montrent autres : les plus antiques connus à ce jour, les <<Foies de Mari : )>, desvieux Mésopotamiens;ils nousen livrent mêmedes traits .originaux que nous ne connaîtrions point autrement; certaines mantïques, et en particulier la <<divination inspirée >>,ne sont pratiquement a. La pratique documentées que par eux Mais ils ne 'sont pas assez nombreux, à notre gré. Par exemple, Moins nombreux et moins copieux sont ceux qui intéressentla il n'y en a pas plus d'une soixantainedansles quelque.trois mille prafïgue. Tels, par exemple, des co/npfes rendus d'au/orgies à. ûn et 1760),et, pour ma part, je n'en connaispas davantage.danstout pline mantique 2. En voici deux ou trois exemples. Le premier', pièces publiées à ce jour des archives royales de Mari(entre 1830 l'ensemble ---: numériquement presque aussi important des lettres, ofHcielles ou privées, ële l'époque paléo-babylonienne (entre 1800 et 1600) : encore faut-il préciser que la plupart de ces documents évoquent, sans plus, la <<prise de présages)>,ou secontentent de mention- d'extispicine, d'astrologie, de tératomancieou de.telle autre discid'un augure, est daté de vers -- Un chevreauà manipuler (?), consacréà Marduk, a été traité, ce mois-ci, en vue de (savoir s'il faut ou non) s'engager en.une certaine entreprise. La Pièce-oraculaire comportait : .la Station ; [e Chemin; ]e Point-fort; ]e Bien-être. A droite de la Vésicule ner un devin par son nom. En outre, de tels témoignagessouffrent particulièrement du vice radical de toute documentation archaïque ils sont très inégalement répartis dans l'espace, le temps et le choix des objets qu'ils illustrent. Et, dernier défaut non moins grave, la presquetotalité fait partie d'archives oHcielles et laissedonc courammenl:hors de son horizon biliaire 4, l;Arme se trouvait hors-place(?). La partie droite de la Vésicule biliaire était normalement disposée. Le Rétrécisse- ment (?) de la Vésicule biliaire était épaissi. Le Bonnet du Poumon était détaché. En sa partie dextre, le Poumon setrou- l'zlomo gua/ungœe. vait déporté. Le Doigt médian du Poumon se détachait en Il faut donc, avecun tel dossier,se résignerà connaîtrefort mal, deux parties divergentes. Le Cœur était muni de sa Tête.(?). en Mésopotamie ancienne, l'insertion des pratiques divinatoires dans Il y avait 14 Circonvolutions-intestinales. Ce 21 du mois d'Addar (février-mars), l'an (dix) du roi Ammi-gaduqa (env. 1646-1626). la vie quotidienne, et surtout dans celle des simples sujets; !e rôle précis de la divination dans l'existence des individus, voire de l.État; 1630 l'idée même que l'on s'en faisait couramment;la place qu'occu- Le second, d'un astrologue, est de l'époque des Sargonides,autour l'on en connaît, il faut renoncerà le ranger en une synopsequi illumine également,dans un siècledonné, tous les recoins du .pays, et encore moins en une ligne d'évolution ininterrompue sur les deux millénaires et plus qu'a perduré cette haute civilisation. Le 14 du mois, une éclipse de lune a eu lieu. C'est de mauvais paient sesreprésentants,les devins, aux yeux de tous. Et le peu .que du VHesiècle avant notre ère augure pour l'clam et la Syrteô, mais excellent pour.Monsei. gneur [e roi. Que ]e cœur de Monseigneur ]e roi soit heureuxl 1. M. Rutten. Trente-deuxmodèlesde foies en argile provenant de Tell-Hæiri (Mari), R.4 35, 1938, P. 36 s! ' 2. Certains(voir p. 125 s.) sont sous forme de lettres. 3. A. Ungnad, .BaZ).y/o/zïa ca 2, 1907-1908, P. 257 s. d'ordalie judiciaire(A. Poh], Harsargonlsclïe und sarTonisc#e}l'frrsc#llflsrexfe, n" 49, et surtout 159),à dater probablementdes alentour! de 2300 : D. O. Edzard? SKmerisclïe .l?ec.b /sæ/Xamdlen des.ZZ/. JaËrïaæseædi, p. 153s., n' 98s. Mais voir encoreplus loin, p. 145s. 74 . . .. 4. Mot à mot ': « l'Â.mèœ » :'»ïœïzï. Pouleles autres termes anatomi ques, comp. p. 73, 1. Citons au moins icî, parmi les plus.anciens, des enregistrements de procédures u. ' u bien : <( pour l'est et l'ouest >> plus exactement : le sud-est et le nord-ouest (de la Babylonie) : voir P. Neugebauer et E. F. Weidner, HF0 7, 1931-1932,P. 269 s. 75 SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO le 13, 1e 14, ]e 15 ou ]e 16, ]a Lune, lampe.des cieux .brillants, L'éclipse a été vue après (la disparition de) la planète Vénus î. (va ou) non subir une éclipse,.(?tg) à la vigile du soir, à celle Je (dois surtout) avertir Monseigneur le roi que l'éclipse a eu de minuit. ou à celledu matiïi? (ïiois-je ou) non donnerdes lieu en eŒet.De Régi-ili, au servicedu roi z. ordres en conséquence?(Faudra-t-il ou) non que les habitants du pays sortent de chez eux, recherchent la Lune?.selamentent... Et celle-ci, de la même époque, à l'intention d'un tératomancien Il s'agit d'un tisseranddu nom de un-danu. Il dit : Ma truie a mis bas (un porcelet) à 8 pattes et 2 queues.Je ï'ai conservé dans du sel et mis chez moi a. se prosternent en accomplissant le rituel-funèbre de l'astre, et verrouillent leur porte î? Puis une <(interrogation >> Il nous reste également plusieurs centaines de demandesde co/zsu/- Sema!, ô Grand Seigneur, à la question que je te .pose, fais une réponse véridique! Asarh%ddon (680-669), roi d'Assur, doit-il fafïo/z oraczï/fifre ; interrogations faites, sous diverses formes, plus ou moins stéréotypées,à telle ou telle divinité, le plus souvent'cama! ou Adad 4, sur tel point précis touchant lequel l'impétrant voulait connaître l'avenir. Certaines, que l'on appelait les /amî/œ (quelque chose comme <<adresse >>,« adjuration )>), presque toutes encore inédites ô, sont d'origine babylonienneet doivent remonter au second millénaire,encorequ'elles ne nous aient été préservéesque sur des copies du ler. Dans ces copies, pour en généraliser l'usage, elles semblentavoir été dépouilléesde leurs traits individuels d'origine, notamment le nom propre et le patronyme du requérant, à la place de quoi on a inséré la formule passe-partout : <<Un-tel, ûls d'Un-tel >>. D'autres, de provenance assyrienne, sont en fait des questions posées donner ordre au général Sa-nabû-Ëummade prendre.route et de partir, avec toutes ses forces armées, à la conquête de la ville d'Amul? Une fois parti, et le camp installé devantœtte vi[[e, [devra-t-i] procéder] par combat et corps à corps; [par ],'par assaut, ou par brèches [, ou par sapes], ou par engins de siège; par bonnes paroles et Èonnâ entente: ou (?n excitant) rébellion et soulèvement, ou par une (autre) quelcf?noue de toutes les méthodes en usage pour s'empirer d'une ville '? De l'époque néo-assyrienne(l'e moitié du î" millénaire avant notre ère, jusque ;ers 600), nous avons encore quelques texte?: groupés.en par les propres monarquesd'Assur et de Ninive, et la plupart nous une façon de recueil, pouvant présenter des r($onsesdïvï/zesoracu- à ce jour ô. Une cinquantaine d'autres, égalementd'époque récente, connaître par son nom, s'adresse au' roi, par l'intermédiaire d un ont été conservéescomme telles : on en connaît environ 250 publiées ont été tournées en forme de prières et se trouvent incluses parmi les <<rituels >>de consultation oraculaire 7. On se fera une idée du genre en lisant, réduites à leur début, pour ne pas faire trop long, les deux pièces suivantes. D'abord une ïamîfæ dont l'impétrant devait être un souverain : il voulait savoir si, au cours du mois commencé, Zailes du reste assezvagues, dans lesquelles une divinité? .qui se.fait personnage, assez souvent du sexe féminin? sans que.l'on puisse savoir si ce discours vient en réponse à quelque interrogation, ou, ce qui est plus probable, constitue une intervention spontanée du dieu. En voici également un extrait Asarhaddon, roi de tous les pays, ne crains rien! Tes ennemis devait ou non se produire une éclipse de lune, aûn d'y parer en pre- rouleront sous tes pieds, comme des pommes du mois de Simân (mai-juin)! La Grand:Dame, c'esii. moi! C'est . moi, ,lltar nant les mesures de protection qui s'imposaient 8 d Arbèles, qui détruirai tes ennemis devant tes pas! Que t'ai-je cama!, seigneur-et-maître du Jugement! Adad, <seigneur-et- jamais dit à quoi tu n'aiespu te ûer? C'est moi, Iftar d'Arbèles ! Tes' ennemis, le les écorcherai et te les livrerai!. .C'est moi maître > de l'examen-oraculaire, est-ce que ce mois-ci, le 12, lltar d'Arbèles! Je marche devant toi et derrière toi! Ne crains rien... Prononcépar lltar-lâ-taliâç, d'Arbèles 3 1. 1ci .De/ebaf. nom sumérien. 2. Repos/.î, n' 273. 3. /bïd., n' 277 (transcrit dans lzbir, p. II). 4. Pour le rôle divinatoire de cesdieux, voir plus loin, p. 138. 5. Voir W. G. Lambert,dans.DIWH, p. 119s. 6. Cent-cinquante et cent dans P.R 7. Voir dans J. A. J. Aro Knudtzon, ..4.çsyrisc.be Gebefe a/z deæ Sonne/zgo r/. dans .D ]WH, p. 109 s. 7. Voir .8BR,n'' 75-101,p. 190s. 8. Voir à cesujet,notamment,E. Cassin,Z,dSp/eædeœr dïvïæe, p. 41 s. 76 ,ii# ËElglg $iigu;«.. 77 "-""«""' " SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTïÉRO Et dans les prières que je récite Et l'agneau que je consacre, Placez la Vérité l Enfin, nousconnaissonsdesdz'recïïves pour la préparationet l'exé- cution de cérémonies divinatoires, et des /ormzz/es à récïïer avant ou pendant ces cérémonies : chez les Mésopotamiens d'autrefois, encore plus que chez nous, la liturgie était faite de /egomena et de drômena ajustés les uns aux autres, pour signiâer, à la fois, et, en quelque sorte, ex opère operafo, faire réaliser aux dieux ce que désiraient leurs fidèles. De la première moitié du He millénaire, nous avons gardé quelquesunes de ces <<formules >>,prières parfois fort belles, où l'on rencontre par aventure des allusions aux manipulations rituelles qui les accompagnaient, comme on va le voir par l'extrait que voici On retrouve des textes analoguesau l'r millénaire z, mais la plupart de ces invocations ont été alors incluses dans une sorte de directoire du devin ('ôærüJ, où se trouvaient mentionnés en détail, .aussi, les gestes << sacramentels )>, les préparatifs et les manipulations qu'il devait accomplir a. Clitons-enau moins un passage Lorsque le devin se proposera d'eŒectuerun examen-oraculaire... à l'intention du ri;i, au point du jour, avant que brille le soleil, il prendra un bain d'eau-rituelle, et s'oindre d'huile- O $amag,je disposenon loin de ma bouchelesaint (rameau?de) cèdre, de-première-qualité,dans laquelle il aura jeté de .la plante ïmÆzfr-/îm;il se revêtira d'une robe propre et se puriôera avec du'tamaris et de la plante 'rÜL.î,AL.A jeun, il mastiquera.du cèdre et mâchera du grain. Il enfilera des morceaux de... Je l'entrelace (?) pour toi d'une mèchede ma chevelure! Je dispose pour toi en mon giron le faisceau (de branchettes?) de cèdre ï. J'ai lavé ma bouche et mes mains. J'ai frotté ma boucheavecle faisceau(de branchettes?) de (diverses pierres) sur de la laine-rouge... et semettra (ce.collier) J'ai entrelacé le saint (rameau? de) cèdre d'une mèche de ma l'examen-oraculaire 4 autour du cou. Au bord du Fleuve,il fera (alors) une fumigation de soufre (?) et oRrira le sacrifice. Puis il procédera à cèdre. chevelure. J'ai entouré (?) pour toi(de ma main) le faisceau(de branchettes) de cèdre ! Je suis pur et (c'est ainsi que) je m'approche de l'assemblée des dieux Pour le jugementdivinatoire! O cama!, seigneur-et-maître du Jugement!O Adad, seigneuret-maître de la prière et de l'examen oraculaires ! Dans les prières que je récite, dans le présageque je traite, Placepour moi la Vérité 2 Certaines de ces prières, également d'époque ancienne, sont dites <<nocturnes>>et s'adressent aux <{Divinités de la Nuit 3 >>,qu'elles appellent pareillement à l'aide O Dieux de la grandeNuit Soyez-moiprésents, 1. blot à mot : <(le cèdre(en branchettes?) compact>>;maisle sensexactn'estpas assuré. 2. A. Gœtze,JCS22, 1968,p. 25s. : 1-12. 3. Sansdoute les étoiles,planèteset constellations(voir L. Oppenheim,A New Plusieurs traits de cesrituels se recoupent avec ce que nous savons de l'époque ancienne; et, si l'on tient compte de ce qu'un certain immobilisme, au moins dans la forme, paraît avoir régné dans ce pays en matière de liturgie comme en bien d'autres desconsultationsmantiquesau début du lle millénaire,voire auparavant, tel qu'il nous est décrit quelque mille ou quinze cents ans plus tard a Malheureusement, même pour cette dernière époque, nous sommes loin d'avoir au complet le <<Manuel des Devins >>et de bien discerner, fût-ce en gros, les détails de leur activité. Un autre type de prescriptions rituelles touchant de près à.la pra' tique divinatoire et assezbien documenté, au moins au l'r millénaire avant notre ère ô, pouvait prendre place aprèsla consultation du devin, li ! T:ÈÜh=æœfnu'Jæs,:,û,z?' prayer to the<< Gode of the Night )>,2Harecla .Bfb/fca 12, 1959, p. 286), lesquelles, dans la théologie babylonienne, servaient de symboles et représentationsdes dieux(Re/. Baô., p. 60 s.). Un certain nombre de çes<<dieux de la Nuit >>sont parfois énumérés dans les <<prières » en question ou des contextes analogues : voir plus loin, p. 135 s. 78 domaines? on ne setrompera peut-être pas beaucoup en imaginant le cérémonial 1967,P.'l's., 273 s.; 39,'1970,P. 111s., et 40, 1971,P. 133s. 79 JEAN BOTTÉRO lorsque celle-ci laissait prévoir un avenir défavorable. On recourait alors au nambzlrbï2-- quelque chose comme <<dissolution >>,<<eRace- ment >>du mauvais sort l --, luî aussi combinaison de gestes et de formules conjuratoires, parfois longs et compliqués. En voici un des plus courts exemples,pour faire suite à un mauvais rêve Si quelqu'una fait un rêvede-méchant-augure, pour n'être point atteint par le mauvais-sort (qu'il laisse présager), avant de mettre pieds à terre (au lever), il se dira : « Ce rêve que j'ai fait, de par Sîn et Sama!, il est excellent, oui, excellent,'il doit être excellent! >>Ce disant, il rendra favorable l'énonciation oraculaire qui le concerne et < le mal > (à prévoir à la suite) de son rêve ne-lui adviendrapoint 2 En réalité, ces namôz/rôï2 se rattachent, de soi, à la conjuration et à l'exorcisme 3; mais que, dans la pensée des usagers et des spécialistes du temps, on les ait reliés à la divination, nous en trouvons la preuve dansles passages des traités divinatoiresoù le /zamburôï2 compétent a été inséré tout de suite après l'oracle contre lequel il doit assurerla défense.Une pareille possibilité, oŒerteà tout un chacun, moyennant les formuleset recettesidoines,de transformer,en quelquesorte, le sensde l'avenir prévu par les devins, est un élément de la plus haute importance pour nous aider à comprendrele propre contenu de la divination. Tous ces documents de la pratique sont donc d'un intérêt considérable; mais, mal répartis eux aussi dans le temps, l'espace et la variété desobjets,ils nous laissenttrop souventsur notre faim et ne nous permettent de restituer qu'un aperçu fort lacunaire de l'expérience mantique, et encore moins de ses développementset modifications sur tant de siècles. T SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES documentent surtout la divination populaire, ce sont en somme des fraîfës de casæùfïgue dïvïnafofre, traduisant une technique, une logique, une véritable science mantiques. Les plus anciens, une.centaine publiés à ce jour ï, sont de la ôn des temps .paréo-babyloniens, .aux alentoursde 1600avant notre ère; du ler millénaire, notammentde l'époque des Sargonides,jusqu'à celle des Séleucides,juste avant .la disparition de la'Mésopotamïe comme unité politique et culturelle, nous en avons retrouvé positivement des milliers de tablettes, dont il est impossible ici de dresser un catalogue même sommaires Des plus vieux aux plus récents, tous se présentent, pour l'essentiel, de façon identique : semblablement disposés, avec le même.vocabulaire. la même nomenclature technique, les mêmes procédés d'analyse, d'investigation et d'exposition, la même mentalité. Une pareille constancedans la forme est à mettre au compte du traditionalisme bien connu des lettrés mésopotamiens d'autrefois. Mais elle démontre également que, dès le XVHe siècle avant notre ère,. les techniciens locaux de la divination avaient acquis, et sans doute depuis au moins .quelques siècles, une pleine maîtrise de leur art et de leur science, phéno- mènequi devra retenir toute notre attention. Comment se présentent ces traités, qu'ils soient constitués d'un paragraphe de quelques lignes z, d'une seule tablette 3 ou .d'un nom- bre plus ou moins grandi+ Suivant une forme /ogigueuniverselleen Mésopotamie ancienne depuis au moins la ûn du Me .millénaires, et dans laquelle sont coulés non seulement des rituels 6, mais plus ou moins tous les traités scientifiques : de jurisprudence v, de médecine 8, voire de musicologieo, ils sont faits d'une suite de propo- :'Ë':ù næ W 11Hg#@ Foreruaner to gamma ô/zz,.HUC,4 40-41, 1969-1970, P. 87 s. 2. Ainsi. dansyOS. X, lesn'' 6, 12. b. Z,a <<fÆéorïe)>. 3. Par exemple, ïôïd., les n'; 18, 20, 23, et d'autres'. Il en va autrementde ce que j'appellerai la fÆéorfe et la docfrïne dïvïnafofres, même si, dans ce domaine également, le dossier demeure incomplet : il est incomplet, mais énorme. Car les documents les plus copieux, les plus nombreux, les plus explicites, les plus variés que les vieux Mésopotamiensnous aient laissésen matière de divination, mis à part quelquesformulaires qui 4. Tels iôid., les n'''13, 14, 15, 16, dont le colophon note qu'ils faisaient partie d'ensemblesrespectivement d'au moins dix, douze, treize et dix-sept tablettes; les tablettes n' '22, 42 et 47,sont également'désignées comme les <<premïeres » chacune d'une aü31içü$ jÆ:îny.=!:E:iËüys,Ëii&: 6. Voir par exemple IV R 55, no 2, dans .4rOr 17/1, p. 186 s., et .4S 16, p. 290 b; et iôfd., p. 291 a : .KHR26. 7. Voir à ce sujet .X/z/zz/fifre /964-7965, p. 121 s. 1. ,4.#w, p. 726 b, .ÿ. v. 2. .KHR, n' 252 : 1, 7-12, traduit dans .Dreams, p. 300 a 3. Voir .Re/..Baô.,p. 129s. type A. 8. Ty.Z).P.et ,4/z/zæa ire 7969-/970, p. 95 s. 9. O Gumey, Jraq 30, 1968, p.'229 s. La présentation des traités mathématiques est quelquepeu différente(voir p. 172et n. l). 80 81 q JEAN BOTTËRO SYMPTOMES, SIGNES, rCRITUKES que commande et laisse deviner le présage;. elle contient /'ordo/el. Les protases, et surtout les apodoses, peuvent comporter des situons immuablement composées chacune de deux parties qui, pour le grammairien, apparaissent, la première comme une <( protase >>, introduite par Xummcz: <<s'il se trouve que >>,<<posé )>ou <<supposé que >>ï, ]a seconde comme une <( apodose >>,qui lui répond a. Par U exemple variantes. Dans les recueils anciens, ou copies d'ancien, cesvariantes sont volontiers désignés comme telles par la formule JanîJ ; <<autre- Si un homme a le poil de sa poitrine retourné vers le haut -- ment >>a, et plus souvent encore la/zï2 Xu/n-Jæ.' <<autre façon de l'énoncer >>a. ])ans les manuels plus récents, où elles peuvent être nombreu' Si un homme, avec le visage congestionné, a son œil droit proé' tout au plus en les séparant au moyen des <<deux points >>(deux clous minent ponctuation en écriture cunéiforme. Ces variantes, parfois -- coïnme il deviendra ses,jusqu'à septou huit4, on les met plus simplementà la suite, esclave a. (?) -- loin de chez lui, des chiens le dévoreront obliques superposés)qui constituent pratiquement le seul signe de ' Si un homme (rêve qu'i]) fait ]e métier de lapidaire -- son fils mourra 6. dans toute tradition manuscrite -- simples reflets d'accidents de la copie ou de la transmission des manuscritsô, peuvent être contra- La protase marque donc, au <<présent >>ou au <<passé >>,un état dictoires, en particulier dans l'apodose : l'une promettant un avenir de fait, réalisé et observé. Elle donne la situation du présage, c'est- favorable, l'autre défavorable. Ceci soulignebien qu'elles incorporent à-dire l'aspect précis de l'objet supposé propre à laisser entrevoir l'avenir, à le pronostiquer. L'apodose, au <( futur ô>>, marque presque toujours ce pronostic lui-même : la portion des traditions diŒérentes, voire les doctrines d'écoles diRérentes d'interprétation du mêïne phénomène, les copistes les ajoutant alors d'avenir ' ad c0/7zp/eme/zft/nz docrr/nae .' pour que le lecteur ait sous les yeux tous ]es renseignementsconnus, un peu comme si, éditant un texte, on y alignait toutes les leçonsattestées,faute de critère assurépour choisir 1. DiŒérentesgraphies phonétiques et surtout idéographiquesse rencontrent de ce gammaselon les écoles de scribes ou les temps. On trouve aussi trD/12m :<< lorsque >>, notamment à Bogazkôy. 2. Pour mieux marquer la distinction des deux, nous les séparerons ici par un long tiret X : n' 44 44); <<d'ici deux ans )>(VAT 7525 11127, dans HFO 18, 1957-1958,p. 167); {( trois ans>>(Cr, XL, p]. 44 : 80-7-19,92+, ligne 21; ,4C, ]l' suppl. : XV 7 s.); <(six 3. VAT 7525 1 : 19 s., dans HFO 18, 1957-1958,p. 62 s. 4. C7, XX P'/77,pl. 28, face : 12 b. 5. Dreams, p. 308 (traduit fbfd., p. 263 b) : tabl. 111,face, l, II. 6. Pour les apodoses au passé, dans les <<oracles historiques », cf. p. 147 s. La plupart des apodoses, comme on le verra aux exemples cités, sont à la 3' personne; mais on en trouve aussi à la 2' personne : par ex. yOS, X : Il Il 25; 12 2; 22 6 s. etc., voire, moins fréquemment, à la 1" personne(dans ce ças, notamment, ç'est d'ordinaire le roi qui est censéparler) : par exemple, op. cîï., 11 Il 23; 17 37, 80, 93. On en rencontre même, beaucoup p]us rarement, à ]'impératif : positif. par ex. /zbz{, p. ]57 : XIV 83, et comp. Z,4 43, 1936, p. 253; ou négatif (prohibitif), par ex., l)reams, p. 316 : A face 111y + 5 (trad. p. 272 a) et p. 236 : B Rev. Il x + 12 (trad. p. 280 b) : il s'agit alors plus précisé- ans >>(lzÆ)a, p. 182 : XX, Ï 19); et même davantage : <<dix ans >>,<<vingt-six ans >>,<<trente ans>>,voire <<quatre-vingts ans>>(.4C, Adad : 11118, 22 s.; 1- suppl. : LVl11 36; Cr, XXXIX : pl. 5 54). Parfois simplement : <<un jour lointain >>,c'est-à-dire, apparemment, << unjour oul'autre >>(yOS,X : n" 11121; 17face5; 20 15etc.). 1. Aussi peut-on dire indiŒéremment <<présage» ou <<protase», d'une part; et <<oracle>>ou<<apodose >>de l'autre. 2. Par ex., K.4J?: n' 150, revers l. On trouve aussi zZ/œ (<<ou bien >>): par ex., yOS, X : n' 5 10; /zôæ, p. 121 : 10 3; CT, XXXIX : pl. 5 52; /zï (<< soit )>), seul devant la secondehypothèse(yOS, X : n' 28 11) ou répété devant chacune (i6ïd. : n' 17 54; ment de ce que l'intéressé doit faire ou ne pas faire pour ne point s'attirer le malheur Cr, XXXVlll ( yOS, X : n' et, comme le fait remarquer L. Oppenheim, -Dreaæîi,p. 272, la phraséologie se rapproche de celle des hémérologies(voir ici plus loin p. 104), et l'idée est voisine de celle des nam- 3. P. ex. yO,S, X .: R's 13 12; 14 13 etc. Voir la remarque de J. Nougayrol dans Rd 61, 1967, p. 25, n. 8. doses,notamment selon la personne mise en avant, ait son origine en des traditions ou desécoles mantiques diï:ïérentes.En revanche, considéré la proximité grammaticale bien Èamag : Vlll, qui le menaceet qui, pour une raison ou pour une autre, n'est pas autrement déûni; ôiïrôü(ci-dessus, p. 80). ]1 est possible que la différence de présentation des apo- connue des propositions verbales et des propositions nominales dans les langues sémitiques,les apodosesnominales (par exemple yOS, X : n' 22 18; 41 20 etc.), qui marquent souvent un <(diagnostic )> ou une <<explication )>(voir p. 88), ne relèvent pasforcément d'une présentationtraditionnelle diÆérente.On notera du moins qu'elles sont beaucoup plus fréquentes après l'époque ancienne, apparemment pour des raisons de brièveté, et surtout de généralisationet d'abstraction. 7. Cet avenir, il est important de le noter, n'est généralement pas précisé davantage. Mais on le trouve parfois restreint explicitement à un certain nombre de jours : trois ( rOS, X : n' 33 111 5 etc.), cinq (ïôfd., 7; etc.), ou davantage; de mois : <<dans le mois >> (/zôu, p. 193 : XXl11 15); <<dans deux mois >>(.K.4R ; n' 395 revers 25); trois ou davantage (7:BP, p]. ]] : n' 6 61, [63], 65); ou d'années : « un jour de cette année-ci >>(yOS, 82 Il : pl. 36 61), ou encore JK/zz/za, z} J/ z/na (<< (autre) hypothèse >>), seul 111 16; Cr, XLIV : pl. 28 19; .4 C, Adam : XIX 26), ou en répétant : gll i/îzcï...ihmma... devant chaque éventualité (fbïd., lgtar : Il 68 etc.). 4. Parex. dansZz6æ, p. 124: X 29'; p. 131 : XI l s.; p. 153: XIV 7 s.etc; et .XC. l s.; lgtar : Vl1 20 s.; X.X 92 s. /b/d., 'gamay : XI 84, une première variante est annoncée par deux coins superposés;une deuxième, par trois clous disposés obliquement de haut en bas et de gauche à droite. Cette multiplication doit sans doute être mise eïi rapport avec le souci d'inclure dans les textes canoniques tout le résultat d'un long travail de réflexion : interprétations variées,d'une école à l'autre, des mêmes présageset adaptation du même oracle à des sujets ou descirconstances différents(voir aussi plus loin, p. 182 s.). 5. Ainsi la-R/-fr (<<mensonger }>) et sa-g/-fr (<<retourné >>?<<détourné >>?).dans la protase(PO.B, p. 70 : XV) ; Jl-B.4-a-fl(<< chevaux gris >>)et Jï-P.4-a-fï(<< cheveux-laineux )>) dans lzbK, p. 66 : IV 1; ZX-K{/-ù (i{ net >>!?) et .ÿ.4-QCr-z/ (<<élevé >>)dans D.4, 11, p. 64, ligne 29 -- lesquels pourraient refléter des erreurs acoustiques du scribe à qui l'on dictait son texte. Cf. aussi, un peu plus loin, avec métathèse : melerïi(<< tempête de sable >>?)et /nerelff (<<plantation >>?)dans 2C, 83 ËamaË : XLII IO. 'v JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES la meilleure d'entre elles ï. Voici un exemple assez typique, où les ment et de mise en ordre de toutes sesprésentationsà l'œil de comme s'il s'agissait de prévisions complémentaires toires, même les plus anciens, des analyses d'une extraordinaire menu' variantes, bien que d'un senscontraire, sont simplementjuxtaposées, Si, sur l'épiderme de son visage, à droite, se trouve une (marque- de-naissance-appelée)umlafz{ -- il sera chanceux; (ou bien) cet homme deviendra pauvre '. ])ans la suite du traité, et selon une mise en forme tout à fait carac- téristique de la littérature scientifique mésopotamienne depuis les temps les plus reculés a, les oracles sont alignés <<en liste >>et classés, en fonction des protases, selon un ordre généralement rigoureux, et constant pour un même sujet, lequel ordre est fondé sur une analyse plus ou moins pousséede l'objet oraculaire. Si, par exemple, ce der- nier est la présentation (externe) du corps humain, on commencera l'examenpar la tête : le haut du crâne; l'occiput; le front; la cheve[ure; [es tempes; ]es sourci]s; ]es paupières; ]es yeux; ]es orei]]es; le nez; la bouche; les dents; la langue; le menton; le cou; et ainsi de suite, en descendant,jusqu'aux pieds. De chacune des parties ainsi considéréessont mises en avant toutes les situations et tous les états capablesd'en modifier le contenu omineux : sa présenceou son absence; ses dimensions et quantités : s'il est grand, très grand, petit, très petit, unique,à deux, trois, quatre, etc, exemplaî les ou subdivisions; sa disposition interne et sa position par rapport à d'autres éléments : s'il est debout, couché, penché, à l'envers, contigu, éloigné,à droite, à gauche,en haut, au milieu, en bas, devant, derrière; sa coloration : s'il est rouge, noir, blanc, vert.jaune4, l'observateur i. Il y a de la sorte, dans la plupart des traités divina- tie, qui commandentdescentaineset desmilliers de présages diHërents, chacun avec son oracle. Par exemple, dans le traité classique de physiognomonie a, une tablette entière, la seconde, est consacrée au crâne, et principalement à la chevelure, lesquels sont détaillés en 166 présagesparticuliers. Lorsque l'objet en question ou l'un de sesaspects étaient à la fois difïïçilesà décrire et facilesà représenter,il arrivait qu'un croquis, dansle texte,en précisâtla forme en vuea. Mieux encore,et surtout en matière d'aruspicine, on en faisait parfois des maquettes en argile 4 : ou dans le même dessein de préciser la silhouette oraculaire de l'objet, ou pour en rendre l'étude plus commode. Dans un climat où la chair morte se décomposait rapidement, et où il n'était pas toujours possi' ble ou utile de <( conserver dans le sel 5 >>la pièce anatomique nécessaire pour un examen ou pour un contre-examen mantiques -- les' quelspouvaientavoir lieu à distanceplus ou moins longue' --, l;idée 'd'en confectionner une réplique en terre a dû venir d'autant plus naturellement qu'un tel usage était universel dans ce pays d'argile î. Ces ôgurines ont pu servir aussi de spécimens,de 1. Ces schémas fo rment souvent des catégories récurrentes. Par exemple, chaque fois qu'une des positions est envisagée, mettoïis à droite, on.çnvisag? aussitôt après la position contraire : à gauche (exemples plus loin, p: 174 s). Chaque fois que se pose la question du nombre, on le pousse,'selon les cas, de un ou deux à sept, ou davantage (ainsi, pour les naissances de jumeaux, triplés, etc., voir plus loin, iZ=170, et n. 6). Chaque fois qu'est évoquée la ressemblance de l'objet avec un animal, il y a.toute une.liste avec parfois de plus ou moins nombreusesnuances ô; puis l'addition, d'animaux typiques,commefaite d'avance, qui peut en comporter jusqu'à une vingtaine dont il existe, par exemple pour le corps humain, une bonne quinzaine du traité de tératomancie, dans /zbæ, p. 32 s. : lignes 5 s.; la ÿ' tablette, fbïd.! p. 73 s. : lignes l s. et 90 s.; la Vll', ibld., p. 91 s. : lignes l s. etc.). L'rude d: ces <<modèles d'analyse )>serait fructueuse. Il y a des cas(voir plus loin, p. 171, n. 3) où une systématique ou la non-addition, d'éléments adventicesou de marques fortuites, de variétés, desquelles nous nous trouvons d'ailleurs bien empêchés d'identifier la plupart o. A chaque objet formellement distinct d'un type particulier de divination est ainsi adapté un schème de découpe- et qui revient,plus ou moinsdétaillée,selon les ca! (camp: par.ex. la .!" tablette analogue a été introduite pa:Ï:ï les apodtion est transcrite et traduite dans Pa.B, p. qls. << 3. Ainsi R.4 38, 1941,p. 81 : 9' Ûgne(texte commentédans R 4 40, 1943,p. 78 K 2Ô89, avec la note << !!L voIcI le dessin >> rannffzï ligne 26»); CÀafx, 1, p. 118 : ]. Ce procédé<<cumulatif >>se retrouve ailleurs dans tout le Proche-Orientancien c'est lui qui explique,par exemple,la compilationdu Yahwiste,de l'Elohisteet des autres documentsqui composentnotre Hexateuque.Voir encorele très important article de 1. Guidé, L'historiographie chezles Sémites,.R.B,1906,p. 509s. 2 C7, XIX.Vlll, pl. 29 : revers12. 3. Voir l'article <<Dictionnaire >>dans.D.Æ Z. 1, p. 360s.; et ici plus loin, p. 153. 4. Telles sont les couleurs fondamentales de la chromatique des Babyloniens, les- quels, d'autre part, pas plus que les autres Sémitesanciens,n'ont jamais distingué p. 9i, n' 547; à Ugarit et en Palestine, voir ci-dessus,lës notes 8, 9 de la p. 70 et 2 de la P. 7] 5. Voir le texte cité ci-dessus p. 76. 6. Voir par ex. .aRIa, 1 : n''40 9 s.; Il : n'' 134 6 s.; 139 10 s.; IV : n' 54, 5 ss,et VI : n' 75 8 s. etc. 7. Sansinvoquer les innombrables ûgurines céramiques retrouvées dans le pays (voir nettement entre le jaune et le vert, ni portégrande attention au bleu. Voir B. Landsberger surtout M.-Th.'Barrelet, face 25 - revers 6 du texte cité à la note 2. locale, la matière première de l'Flamme créé par les dieux(voir par exemple ap: cïr., la planche qui suit la p. 6 : Le travail de l'argile par les dieux dans les texteshistoriques dansJCS 21, 1967,p. 139s. 5. Sur ces nuances,voir ïôid., p. 142s. On en trouve onze en tout dans les lignes 6. Voir par exemplePO.B,p. 39 s. }iïgzïrf es ef Re/fÊlÉse/z ferre cafre de /a it/ësopofamïe annq e 1968), on rappellera seulement ici que l'argile est à peu près toujours, dans la mythologie et religieux), et que lei <<rituels )>prescrivent très souvent, dans un dessein <<magique >> 84 85 JEAN BOTTËRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES modèlespour l'enseignementî; on y inscrivait alors volontiers l'oracle, ou seul, ou avec la description de la maquette qui le commandait 2 c'est le cas, entre autres, pour les <(Foies de Mari )>,où le rapport ferons d'abord, ici, du point de vue de Sinus et commehors du leïnpst -- deux types de divination parfattlïïEpt. dktincts et même opposai/es : l'un où l'initiative venait de l'homme. entre l'aspect du présage et le pronostic est souligné, çà et là, au moyen d'une formule signiûcative :<( Lorsque (tel événement est arrivé), c'est ainsi que cela se présentait3 >>.Certains grands foies d'argile sont de véritables atlas de la géographie hépatoscopique : chaque était laissée à lardivinité, l'autre où elle 1. DÉFINITIONS région omineuse y est délimitée, marquée et annotée de sa <<valeur >} mantique a. Disproportionnée comme elle l'est avec ce qui nous éclaire tous les autres aspectsde la divination en Mésopotamie ancienne, cette documentation immense sur la technique et la penséedivinatoires Pour mieux comprendre cette distinction capitale, il est peut-être utile de poser quelques déûnitions liminaires. En Mésopotamie,commeailleurs, on pouvait faire appel à la divi- risque de fausserplus ou moins notre optique vis-à-vis de cet objet global : nous voyons trop la chose du côté des spécialisteset des nation pour apprendre tout ce qui échappait par soi à la connaissance humaine. Ainsi le présent et le passé, lorsqu'ils étaient, par accident, mystérieux ou humainement inaccessibles : par exemple, dans une savants, et pas assez du côté des usagers -- comme dans le domaine lettre du milieu du He millénaire,malheureusement incomplète,on religieux, pour le même pays, notre dossier nous met plus en contact avec les penseurs religieux et leur théologie qu'avec la croyance et la piété populaires. Il est vrai que, par chance, c'est précisément la divination commeicfeæcequi paraît bien constituer l'apport le plus original des vieux Mésopotamiens dans le domaine mantique -- et peut-être croit comprendre que l'intéressé, responsable de pierres précieuses appartenant à une déesse,et perdues, reçoit à trois reprises, en .songe, révélation de leur cachette'; et d'autre part, en matière judiciaire, on recourait couramment, depuis au moins le dernier tiers du IHe millénaire, à des procéduresdivinatoires, comme l'ordalie et le serment probatoire, touchant par exempleles auteurs d'un délit ou la véridicité d'un témoin, pour savoir, sinon ce qui s'était réellement .passé, au moins ce qui avaïf dû réellement se passer.Dans les traités divinatoires, de tels cas, à proprement parler, sont rares. On peut citer au intellectuel tout court; et c'est elle qui s'articule le mieux avec la rationalité propre à cesvieilles gens.Pour le présent exposéau moins, une aussi radicale déformationoptique ne devrait donc pas nous gêner beaucoup. Mais il faut en garder conscience et essayer de la corriger, surtout si l'on estime nécessaire,comme ce devrait être ici le cas, de prendre le problème en son ensemble,et de se faire d'abord moins l'oracle suivant une idée synoptiquedu phénomènedivinatoire en Mésopotamie. Si une femme a mis au monde un (bébé) géant, mâle ou femelle -- (c'est qu') un criminel l'a fécondéehors de son foyer (mot à mot : <<dans la rue >>a). C. LE SYSTÈME DIVINATOIRE Il n'en restepas moins que dans ce pays, commepartout, l'objet premieret essentielde la divination, c'était l'avenir 4,lequel échappe par définition à la connaissancede l'homme. Sur ce point, la première évidence qui saute aux yeux de quiconque a suâisamment pris connaissance du dossier, c'est qu'il y a eu, en Presque toutes les apodoses des traités ont leur verbe à la forme Mésopotamie ancienne -- les choses étant considérées, comme nous le dite <<inaccomplis >>qui, dans les langues sémitiques anciennes, et ou apotropaïque,la confection de âgurinesen argile pour servir de support aux manipu- 1. La perspectivediachronique et <<explicative >>ne sera prise icî en considération lations incantatoireset aux prières(voir par ex. op. cif., p. 110s., et içi même,p. 119, le texte cité à la n. 4). que plus loinl : à rl;irtlr de la p,,, er3. 3. /zbœ, p. 38 : 1 69. 1. J. Nougayrol, .R.462, 1968, p. 33 s. 2. /bÏd, P. 32 : 3. 3. N" 7, 10, 12, 22 s. et 29 (R.4 35, 1938, p. 42 s., 44, 47 s.). 4. Notamment89-4-26, 238dansC7',VI, pl. 1-3,avecles remarquesdeJ. Nougayrol dans .R.d38, 1941, p. 77 s. ; et BM 50494, dans .R.4 62, 1968, p. 37 s. 86 d .Baby/oæïa;zrex/s, 1919, pl. LXXXVI : n' 60. 4. Sur le vague fréquent, ou le sensplus déterminé, parfois, de cet <<avenir », .voir '+ p. 82,n. 7. Une autre précision. importante,encoreque non proprementchronologique, sera apportée plus loin,.p. .142.s.,au sens que les vieux Mésopotamiens donnaient à 1; «'avenir '»' en màltière de divination rationnelle. 87 T 11 JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES notamment en arcadien, est normalement réservéeà ce qui n'a pas par une opération du devin lui-même : c'est ce que, faute de mieux, nous qualiûeron$ de dïvï/zafïo/zc&ducïïve.Ces deux types, contradic: encore eu lieu : au futur. Un petit nombre est au <<statif)>, qui désigne l'état dans lequel se trouve le sujet Cet homme a la chance chevillée au corps ï. C'est un taciturne a. C'est iln morose a. CI'est ulî meilleur 4. toires dans leur orientation et leur déûnition mêmes, ont coexisté en Mésopotamie. On le voit bien, par exemple, en matière de songes, où se considéraient et se traitaient tout autrement les rêves courants, simple prolongement mystérieux de la vie consciente.et desquels, Dans de tels cas, c'est seulement en apparence que le résultat de la comme des rencontres de cette dernière, on pouvait c dæïrece qu'ils consultation divinatoire portait sur le présent : en réalité, ces apo- présageaient, et les rêves extraordinaires, véritables ma/limes/afin/zs -- même si ce dernier n'était point tiré explicitement. La chose est à être conquise par une opération mentale plus ou moins compliquée, doses constituaient chacune un dag/zosfïc, mais ordonné à u/zpranoifïc fmmédfares de la divinité, où la connaissancede l'avenir n'avait pas patente en matière de santé, ou de chance, où des apodoses explica' mais s'imposait du premier coup, avec une évidencetotale et indubitables tives du type <<mainmisede tel dieu 5 >>ou <<de tel être surnaturel, ou démoniaque ' >>désignent de véritables syndromes <<magiques >> ou nosologiques, laissant prévoir un déroulement assezconnu d'autre part pour qu'il ne parût point indispensable d'en poserautre chose 11. LA DIVINATION INSPIRÉE que l'énoncé 7. Et même dans ce que l'on appelle les <<oracles histo- riques >>,lorsque l'apodose prend la forme du rappel d'un événement plus ou moins fameux de quelque règne passé,avec le verbe à l' <<accompli )>-- comme l,a dvf/zarïan inspirée, az/ se/zspropre du mof, était de soi totalement C'est là le présage de Rîmug (env. 2284-2275) que ses oMciers massacrèrent a. Les q( révélations )b proprement dites. à coups de leurs sceaux-cylindres 8 --, ce qu'on voulait bel et bien marquer, c'est qu'une pareille situation allait se reproduire. Voilà pourquoi, négligeant ici par force tout ce qui est secondaire, nous ne porterons attention qu'à la mantique tournée vers l'avenir, objet essentielet premier de la divination. C'est sur la manière dont cet avenir était notifié à qui le << devinait >>, que s'introduit une distinction fondamentale dans le domaine divi, natoire. Ou bien la connaissancedu futur était communiquéepar une intervention personnelleet immédiate de l'être surnaturel censéle connaître par soi-même et qui le <<révélait >>: c'est ce que nous appellerons la dïPf/za/folkfnspfrée. Ou bien cette connaissance était acquise 1. VAT 7525 : 11130, dans H/O 18, 1957-1958,p. 62 s. 2. Æjd..1 15. passive. La connaissanœ du futur --- parfois aussi du présent et du passé -- y était censéecommuniquée spontanément et sans ïntermédiairq;par une divinité en personne : des dieux comme Dagan *, Adad a, Sama! ô, ltûr-Mêr 5; 'des déessescomme Annunît e, Bêlet' ekallim 7, Bêlet-bîri 8; parfois <(un dieu >>ou <<le dieu >>,sans autre précision, mais dont la personnalité était évidemment connue des intéressés 9 Ces divinités opéraient leur révélation, soit en la << mandant >> r3apôræ,) ïo, le mode concret d'une telle commissionn.étant point défini; ou alors -- on ne le marquepastout net, mais le lecteur com' prend sans peine entre les lignes -- en provoquant une manière de <<discours automatique >>chez leur correspondant, lequel se mettait à <<parler >>rgaôü,) n. Parfois, il est précisé que les destinataires immé1. ,4nnz/aï/z /Pô!)-/P70 3. .Lads, p. 103 s. 3. /bÏd.'. 16. 4. /bÏd.. II. plli133.si 90; 111 : n' 40; xlII 4. A 4620, dans .D]WH, p. 85. 5. .4.RÀ/. X. : n' IO. 5. Par ex.. yOS. X. : n' 42. 1 51 etc. 6. Par ex. Ô/., 11,p. 23 64 etc. 7. Camp. l'usage d'expressionsidentiques dans le domaine proprement médical 7'HDP,.p. XXll s. Voir ici, plus haut, n. 6, p. 82, le cas particulier des oracles<( de protection », à l'impératif ou au prohibitif. 8. yOS. X : n' 42. 1 5. 88 : n'' 23, 114. 6. /ôld. ; nos 6, 7, 8, et comp. 50. . . . ., . 7. /ôïd. ; n' 50(où la révélation se fait, en songe,dans le temple üe la aeesse) 8. /bfd. .: n' 51. 9. .,4.RJv. X.lll : n' 112. [O. ,4.R]U.]] : n' 90; 111: n' 40; X : n' 6; XLII 11. ..4RIU.X : n' 80: X.lll : n' 23. 89 n' 114. JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ECRIT(JRES diats du message divin le recevaient <<en extase >>: ma&ü ï, verbe qui se 11 réfère à une sorte de transport surnaturel ou de fïïieur sacrée,non autrementdéûnis ou décrits; ou alors <<en vision >>Ï'amêruJa; ou enfin, plus précisément (car amôræ peut s'entendre du songe à), <<en rêve >>rï/za Xæ/fïJ4, mode de révélation connu depuis longtemps et qui semble avoir toujours gardé dans le pays une certaine faveur'S La manifestation du messagedivin pouvait être fête, semble:t-il, au premier venu : hommes ou femmes; parfois des serviteurs8, parfois même un prêtre ('XangûSJ.Mais assez souvent ces personnages recevaient un titre : mz@&ï2ou ma&&ï2(au féminin : mzz/aé&z2/z{ :'), l l l parti apparemment du même point, s'est développé d'une tout autre façon, dans un milieu, une idéologie et un <(tempérament >>ethnique fort diRérents l Ces titres, nous ne savons pas bien s'ils marquaient une fonction et un état de vie, ou l'exercice casuel d'une activité : autrement dit, s'il y avait des <<extatiques >>ou <<prophètes >>professionnels: habilités et habitués à recevoir les messagesdes dieux a, ou bien si tout individu, choisi, au moins une fois, par un dieu pour son porteparole, devenait du même coup mzi/aÆ;zz2 ou llpî/u sans que cela ahan. gent le moins du monde son existence ou son statut social. La vérité ou l@ï/œ,ou i@/zz(aufém. i@i//æ)::, ou tel autreplusexcepà8nnellb Leur sens est assez clair : le mll/aÆ& 12 est l' << extatique )>, l'individu est probablement entre les deux : autrefois comme aujourd'hui, les psychiatresle savent,il y avait des habitudinairesde l'extase; qui serapporte aussibien à l'interlocuteur qu'au garant î4), c'est-à-dire, à moins que l'extatique ne fût par ailleurs connu et <<digne de confiance )> f'ïaÆ/æJ 3, par exemple parce que c'était un notable ou un fonctionnaire, on cherchait, à sa première intervention, à contrôler savéridicité en prenant <<la frange de son manteau >>ou <<une boucle possédé de la fureur sacrée que désigne le verbe maëü, plus haut cité i3; le second est, à la lettre, le <<répondant )> (de apë/æ .' <<répondre >>, en somme,l' <<interprète>>du dieu et, en fin de compte, son <<prophète >>,au sens étymologique de ce mot. C'est pourquoi on trouve parfois appelée prof/zérigœe cette divination inspirée : de fait, elle a des accointancesavec le prophétisme israélite, lequel toutefois, mais le dieu était libre de se choisir à l'occasion un nouveau-venu, un homme de la rue, pour truchement de son message.Voilà pourquoi, de sa chevelure i >>,substituts courants de la personne, que l'on devait soumettre à une enquête -- sans doute divinatoire -- pour tirer au net la qualité et l'authenticité de son message. 1. .,4.R]U. IX : n'' 7 et 8. 2. 1Bid. : n' lO (dans le temple!). 3. Voir C.41), A/2, p. 8 b : 6'. XLII 4. .R..4 42t.P..129; :n'sl12etl13. ..4.R]t/, XI : Bos 50, 51, 100 ' rêve au cours duquel le dieu. parle --l ' ' '' ''.' 5. Depui? .le rêve.d'Eanatum de.Lagan(env.2470;voir 1)]1/.4,p- 57), puis de Gudéa 1. La question des rapports entre le <<prophétisme >>dg Mali et celui d'lsraël a été sou;:lnt étudiée.'Voir en dernier lieu J. G. Heintz, dans He/æs7es/onze/zrz//n, sz/pp/. ]7 (1969),p. 112 s., et le complément de bibliographie du même dansB/ô/lca 52, 1971, (eny.2140; ïôjd., p. 58),et celui qui date la <<douzièmeannée)>du'règne'il;Ammi-ditana p. 554s faire confectionner et installer dans le t ample (R1..4, 11, p. 187 b : n' 223), jusqu;au songe apparemment entendue de l un au moins des ôpï/œen question, est quelque peu obscure, iôîd., p. 192 a, etc.) constamment dans les;nëssages-divins », <<il y passesa vie », pour marquer .l'occupa- de Babylgne.(env. 1670),au cours duquel le dieu lui avait montré la statue qu'il devait par lequel le dieu Sîn réclamait à Nabonide (555-539)l'oÆranded'un poignard (Perle gravéeinédite citée dans l)reams, p. 192 b); voir aussi la lettre ,{BI, l(i21.'mentionnée 6. .R2 42, p. ]29; .d.RJI,/,Il : n' 90; Xllll : n' 113. 7. JRJt/, .X : n' 10; et XLII : n' 114; une jeune fille dans X : n' 8. 8. Un <<boy >>: ,4.R.À/, XLII : n' 112; en X : R's 50 et 100 : « une servante duroi ù ï/za fêrê/l doit s'agir du même personnage. n' 51 selon le sensprécis de z'êr/æ.Si l'on prend ce dernier dans sa signiâcation originelle? semble-t-il,de <<messege(divin) >>(voirplus loin p. 160),il faut comprendre :<(il se tient ï/za fêrêfï .4dnd... [/g&êm] œ;lînîalnï<(voici ce qu'Adad [a déclarée en (ses) divins-messages >>: Mais rêr/æ est aussi l'objet matériel essentiel de là divination déductive : l'J?bjet qui sert de présage,et s'il a ce sensdans le présentpassage,on .l'entendra.de l'exercice courant 'de l'aruspicine, au cours duquel un devin, c'est-à-dire un technicien de ce type de divination déductive, a pu. recevoir par hasard une révélation directe du dieu. ' 3. R.4 42, p. 132, ligne 5i, oti il faut lira faÆ-/œet non ka/-/u(Rëperfafre .,410. HRÀ/, lll :t Xs 4050.78; et A 455 dans.Z)7WH, p. 79 s.; pour le féminin, voir n .ll= .[odJ, P. 103 s.; A 4260 dans .Z)J]/H,p. 85; .dRÀ/, X. : R's 9, 53, 81, et IXlll 12: Une gaàôafw, ou qammaflï(la lecture n'est pas certaine), dans ,4R]W, X : n' 80. Al'époque2neosassy'benne,on connaît aussi les ràggima (maso.)et raggfmfa (fëm.) 13. Comme ma/zf/sde ma/æomaï,en grec. 14. Le verbe apæZa signiûe « répondre à une question », mais aussi <Krépondre à l'attente de qlelqu'un: à ce qu'il désire», et même : « répondre à une dette», en la payant; voir C.4Z), A/2, p. 156 s. a/za/yffqKe dei fonces/'à r desHR.4/, p. 25, n' }51 s.) : c'est justement parce que le personnage est <(digne de confiance)>et'connu comme tel d'autre part, que l'on n'a pas cru devoir le soumettre à une enquête divinatoire en lui prenant (lire ë/-gë,comme dans .4RÀ/, XI : Ros3 15et 1216, à la l'' personne,et non ï&qéà la 3:' personne,qui n'aurait pas.de sensici) sa<( boucle-de-chevaux>>et sa<( frange-du-manteau)>(sur ce damier sujet, voir la note suivante). tée à la note précédenteet .4R.4/, VI : no 45; X : n" .7, 8, 50; XLII : n' '112. Et sur le sens de cet examen, se reporter à l'article de A. Finet, Les symbolesdu cheveu,du bord du vêtement et de l'ongle en.MésopotamieÏ.p: 101s. de l;auvïage cd\lectiî Eschatologie et Cosmologie, Ro 3 deél.Annalesdu Centre d'histoire des religio?ti 90 ï//anazzaz, tion essentielleet commela çbcation du 'personnage;voir dans ce sens /ôïd.,ligne 8 s >> est ambigu, compte tenu que tout.sujet était de soi <<serviteur du roi», lequel avait, d'autre part, des'domestiquesdesdeux sexes.Un <<eunuque» en' X 'l'H's 'Î et 80, oÙ'il 9. /bfd..: 2. Dans .Lads, p. 103 s., à la ligne 24 s., la proposition de t' (Jniveïsité !ibre de Bruxeïïes. 91 T JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES Ces <<prophètes >>parlaient, ordonnaient et agissaient, communé- ment, à la premièrepersonne,au nom de la propre divinité qui les inspirait et, souvent,comme elle eût été censéele faire elle-même, dans un langage sublime, véhément, emphatique et quelque peu obscur. Voici, par exemple, comment un fonctionnaire du roi de Mari, Zimri-Lim, vers 1800 avant notre ère, rend compte à son maître d'une scèned'extase dont il a été le témoin Après que j'eus célébréles sacrificesau dieu Dagan pour la vie de Monseigneur, le <<répondant >>du Dagan de la ville de Tuttul se leva et parla en ces termes : <<O Babylone, que machines-tudonc sanscessecontre Moi? Je vais te rassembler au blet-du-chasseur l Ton dieu a beau être un Burne-sauvage (?), les familles des Sept Partenaireset tous leurs biens, J'en remplirai la main de Zimri-Lim î... >> Il y a de l'apparence que si, comme on vient de le voir, !es témoins de telles <<révélations >>s'empressaient de les porter à la connaissance I de qui de droit, ce n'était pas seulementpar conviction personnelle de leur importance,mais par ordre du pouvoir central, lequel attribuait donc un certain poids politique à la connaissancede tels messages divins. ïl faut dire pourtant qu'à en juger, du moins, à ce que nous en savons, le contenu de ces derniers n'était généralement ni très précis, ni très varié. On y trouve des réclamations de sacrificeset d'oRrandes a; des ordres, ou des promesses,de caractère positif ou négatif. au sujet d'entreprises diverses,à l'ordinaire d'intérêt public a, et souvent dans le domaine de la politique extérieureet de la guerre4, parfois de la po[itique intérieure : maintien sur ]e trône ô; annonced'une rébe]]ion o, vague assurance de sollicitude et de secours ï. Je ne connais qu'un cas 11 11 où il sembles'agir desalaires privéesd'un simplesujet : une femme à qui l'on avait enlevésa ôllette et que le dieu renvoieau l'oi qui, dit-il, s'il le veut, peut la lui faire rendre o. Encore, on le voit, le sou' verain est-il impliqué dans le message.C'est que les archives qui nous ont été conservées, et qui par leur masse et leur rassemblement avaient le plus de chancesde l'être, sont des archives oïhcielles en bonne règle, dans la paperasserie du temps, laquelle était surtout administrative et d'intérêt public, la vie privée, comme telle, n'a point tellement laissé de traces. lï faut tenir compte de ce défaut radical de notre documentation,avant d'imaginer que la divination inspirée ne jouait aucun rôle dans le train-train journalier des habitants du pays : au contraire, il est fort vraisemblable qu'elle ait eu à leurs yeux une importance grande et qu'ils y aient recouru fréquemment, sous une forme ou une autre. Mais nous n'en savons à peu près rien; et peut-être l'important est-il justement, non que 11 peuple y ait cru et en ait uséou abusé,mais qu'un tel mode de divination et de communicationdivine ait été appréciéà ce point qu'on lui ait fait jouer un rôle oMciel et notable dansles alaires publiques. Il faut toutefois préciserque cette peinture d'une divination inspirée courante et d'intérêt public est tirée d'un groupe unique de documents : les archivesroyalesde Mari, et ne vaut donc, de soi, que pour le royaume de Mari à l'époque (entre 1830 et 1760), royaume où l'usage de'l'autre type de mantique,la divination déductive,était pour le moins aussi'courant, aussi prisé, et pesait aussi lourd jusque dans la conduite de l'État ï. Ailleurs qu'à Mari, et notamment en Babylonie propre, à la même époque, auparavant ou plus tard, le phénomène paraît beaucoupplus rare. Par exemple,je n'en cognais qu'un .cas, assezpeu éloquent du reste, dans les quelque 2 500 piècespubliées à ce jour des'lettres (surtout officielles) de l'époque paréo-b?bylo' miennea, alors que dans le même temps, à Mari, sur un millier de lettres éditées, plus de vingt tournent -- et avec quelle faconde! -- autour des prophètes et de leur activité. Certes,en Babylonie, le verbe ma&{2est connu 3, et, voisinant avec ma/æÆÆÜ et son féminin 4, on trouve, suivant les lieux et les temps, un' certain nombre de vocables paraissant désigner semblablement des << extatiques >> : eilebz2 5; f'w/m,) uXJ rzzô; mul/aÆÆu7; parrï2 8; 1. A ce sujet, voir A. Finet, La place du devin dans la sociétéde Mari, p. 87 s de .Z).IWH.Il est même probable, comme A. Finet le laisse du reste entendre à la p. 93, et dans son autre étude, signaléeci-dessus, p. 91, n. 4, sur « Les symboles du cheveu » ... que les révélations prophétiques, ou du moins la véridicité foncière du « prophète » pouvaient être en quelque sorte contrôlées oar un examen de divination .déductive dont la «'boucle de cheveux » et <<la frange du manteau » auraient pu être la matière 1. ,4R.À/.XLII : n' 23. 2. H.R]U,Il : n' 90; 111: n' 40; A 4620 dans .Z)iVH,p. 85 voir aussi A 455. iZ)Jd. P. 79 s.; .R.d42, p. 129 s. 3. .,4R.À/,111: n' 78: XI : n' 50: Xllll : R's 112-114. 4. .d.R]U', XI : n's 6 et 80; XLII : n' 23; et .R.d 42, p. 129 s. 5. 6. 1. 8. ..4.R]U.X : n' lO. laid : a '7. 1bid. : n %. /bfd..: n' 100. coma : 'a.l;nTanlHPZlkrîœ.:î8w?l.'H? æ'.slï?:5: 3. Réf. dans,4.#w, p. 586b, s.v. 4. Z,oc. cïl'., p. 582'b'et 583a. Par contre, ôpï/æ,etc.,. au sensmarquéplus haut, est propre à la languede Mari. 5. .Loc.cïf., p. 258a, et C.d.Z),E, p. 371. 6. Cité dansC,4.D.ïbid. 7. .,4.H'w, p. 684b. 8. Æfd., P. 834 b. 92 93 I JEAN BOTTËRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES zabbœï, et aussi raggimœ, et surtout son féminin raggfmfz{. Mais, <<oracles )>adressés par les dieux à certains rois d'Assyrie et regroupés si l'on tient compte de leur sens,de leur équivalent sumérien ou des contextes dans lesquels ils apparaissenta, ce seraient plutôt des en un recueil qui nous est parvenu, sont tous <<mis sur la bouche >>de parfois <<charmeursde serpents)>,qui pouvaient pousser leurs trans- de cesvaticinateurs sont des femmes : y verra-t-on des ancêtresde la ces raisons, le peuple réputait, sans doute, possédéspar les dieux antique tradition considérant comme un phénomènesurtout féminin A ['époqueparéo-baby]oûenne, on en voit apparaîtreçà et ]à divinationinspirée'? Quoi qu'il en soit, le moins que nous puissionsdire de cette der- personnages qui pourraient bien avoir été desfaçonsd'inspirés,plus manières de fous errants, écheveléset misérables, parfois frénétiques, ou moins comparables à ceux de Mari. Chose curieuse, la majorité ports jusqu'à s'inïiiger à eux-mêmes des blessures,et que, pour toutes fameuse <<Sibylle chaldéenne 1 >>,en laquelle aurait ainsi survécu une et respectait, comme encore aujourd'hui, en Orient notamment, les fakirs et certains derviches errants et autres<< fous de Dieu >>. l'extase, la <( possession divine >>,et la forme <( prophétique )> de la comme témoins dans les contrats a, ou comme bénéâciaires de distributions de vivres ou d'émoluments ô; certains semblent rattachés nière, dans l'état présent d'un dossier imparfait, mais dont la valeur statistique paraît assez solide, c'est que si l'on y a manifestement Lassa ô. Il n'est donc pas exclu qu'au moins tels ou tels de cesperson- directe de la connaissance divine du secret et de l'avenir, faite à l'anté' ressé lui-même (par <<vision )> ou par rêve), ou de préférence à un cru et recouru en Mésopotamie ancienne, une telle communication à une divinité ou à un templeô, et la présencede l'un d'entre eux est signaléeau cours d'une cérémonieen l'honneur de Samag,à intermédiaire plus ou moins qualifié, n'a jamais été le seul mode de divination en usagedans le pays : elle semble mêmey avoir tenu un nages aient constitué une manière d'institution. Beaucoup plus tard, à Babylone, vers 550 avant notre ère, on citait entre des notables un rôle toqours second, presque inexistant en Babylonie propre 3, plus important peut-être seulement à de certaines époques et surtout dans « chef-de-la-guilde-des-zabbu7 )>, ce qui suppose que ces derniers, au moins, composaientun corps social.D'autre part, il sepeut bien de certaines régions, en particulier -- si nous sommes bien infor-més -dans le nord-ouest (Mari) et le nord (l'Assyrie). aussi que, comme à Mari, telle ou telle de ces personnalités ait, une fois ou l'autre,joué un rôle politique; ainsi comprendrait-onmieux cette apodoseisolée d'un traité de tératomancie : <<Desfemmes- 1. P. ScXïbabel, Berossos und die babytonîsch-hetïenistische Literatur, p. '19\ et sur- extatiques f'maëÆïô/zzJs'empareront du pays 8. >>Pourtant, leurs <(prophéties>>n'ont guèretrouvé d'échosen notre documentation, tout E. Schiirer, GescÆïcÆ/e desj&dïrcÆen 'Ko/kesfm Zeïfa//et Jeiw C#r/rfï(Reprogr. 1964), Sargonides(VHesiècle avant notre ère), dans un pays et un temps où par exemple A. Lods, Z,a .Re/zlgïa/zd'Zsréze/, p. 104. 111,p. 559s. Voir plus haut, p. 77 et n. 3. 2. Alors qu'en lsraël l'évolution sembleavoir été plutôt de senscontraire : voir en dehors des archives de Mari, sauf peut-être en Assyrie, et sous les 3. On connaît, de i'époque récente(après la fin du lï' millénaire), un petit nombre de documents dont le Ütrë de <<Propiïéties », qui leur a été donné par leurs éditeurs, ne devrait pas abuser sur leur contenu réel. Voir en dernier lieu :'A. K. GraZson - l'on paraît avoir gardé,ou retrouvé, un goût certain pour les <<révélations >>divines 9 : là, on s'est apparemmentréféré plus volontiers aux vaticinations de divers extatiques, dont on a parfois tenu compte tout autant que des consultations de mantique déductive:o. Les W. G. Lambert, Akkadian Prophecies,dans JCS 18, 1964,p. 7 s.; et R: D. Biggs, More Babylonian <<Prophecies>Si, dans //aq 29, 1967,p. 117s.; ainsi que: d'autre part, R. Berger, Gott Marduk und Gott-Kônig Èulgi als Propheten : 2:wei prophetische Texte, bans .B/Or 28, 197], p. 3 s. Il s'agit tout au plus de prédictionstouchant le règne'de souverainsdont le nbm n'est jams.isprécisé. ëes prédictions sont faites dans 1. CHD, Z,p.7b. un langage qui tient de fort près à celui des apodoses des traités de divination déductive : il est même à peu près assuré,en dépit du mauvais état destablettes, que, pour certains au moins de ies ilocuments « prophétiques >>,des protases ont été conservées(voir 2. Voir notamment les passagescités (notes précédentes) du CHI), E et Z. 3. rCZ.,, ] : n' 57.20s.; X : n' 34 47. Le mot maÆ4z2 y est écrit ]es deux fois par son sumérogramme .[ C/.GC/B..B,4 : <<ce]ui qui se fève >>,q'ui<< se met >>, ou <<se tient debout >>. l'article cité de R. D. Biggs). C'est iÏonc ici quelque chose qui relève, premièrement: de la divination déductive. 'ÏbÜtefois, l'existence même de ces recueils, et précisément dans la mesureoù l'on y a supprimé les protases, et même si l'on a de bonnes raisons de croire (Pour le sens,camp. la lettre de Mari citée plus haut, p. 92, n. l). 4. 7CZ,, X. : n' 39 Il et 69 4; il s'agit alors de femmes, qui ne sont du reste peut- que quelquesprédictions on pu être faites, on ne sait dans quel but, ex .eve/zra; implique un certain intérêt endémiquepour les rêvé/af/o/z.ç touchant l'avenir et, de ce biais, trahit une mentalité plus ou moins inclinée vers la divination inspirée, domaine propre de la être qu'au service chacune d'un ma&4ü (voir Z 4 59, 1969, p. 220, note 1049). s. rcb X : n' 39 Il (à la déeÊs e Inanna de la ville de Zabalam), et 69 4 (au dieu NingiËzida, dont l'attache locale n'est point précisée). <<révélation >>comme telle. On peut également souligner, dans le même sens, que deux de ces recueils <<prophétiques >>sont mis sur la bouche d'êtres divins, détenteurs naturels de la connaissancede l'avenir : un ancien roi qui, après sa mort, semble avoir été considérécomme un personnage surnaturel, Ëulgi, deuxième souverain de la llje dynastie d'Ur (env. 2093-2046), et surtout Marduk, devenu pratiquement le dieu suprême à Babylone, 6. .HUC,4 34, 1963, p. IO, ligne 89. 7. R. P. Dougherty,Records/rom E/ecÆ, 7ïmeof ]V2zbolz/dœi, pl. IV, n' Il -- avec le duplicat VAT 8418, signalé dans HF0 2, 1924-1925,p. 108 s. -- : ligne 28. 8. /zbæ,p. 131 : tabl. XI 7. 9. Voir notamment.area/æ.s, p. 200et 249s. à la ân du Il' millénaire. 10. Voir par ex. M. Streck, .Hxsz/rôan@a/, 11,p. 120 a : Annales V 95, avec la note 7. 95 94 r ËHI JEAN BOTTËRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES pratiques divinatoires pour tout un chacun ï. Entre autres procédés b. Les pratiques annexes de la di'giration inspirée. pour connaître le futur -- sur plusieurs desquels nous aurons à reye- Il s'agit là encore de l'usage ofbçiel de la divination inspirée. Son usage privé est mal documenté. La faveur qu'ont toujours gardée, depuis la haute époque, les révélations par songes porterait à penser que l'homme de la rue avait dans ce pays un faible pour la recherche de l'avenir par un contact plus immédiat avec les dieux -- ce qui constituele trait essentielde la divination inspirée. L'impression est confirmée par deux ou trois pratiques : où subsiste la même note foncière, diversement mâtinée d'autres croyances et usages. Pour des raisons diÆérentes,elles sont assezmal connues. La première est l'ïncuba/fon. On appelle ainsi un procédé, connu ailleurs a, qui cherche à provoquer un songe révélateur, un contact onirique avec le monde surnaturel,.pour en tirer la connaissancede l'avenir. Un passagecélèbre de l'.l»épée de GÏ/gamesnous montre le héros qui, en route avecson ami Enkidu pour la Forêt desCèdres et anxieux de ce que leur réservera cette formidable entreprise, << monte au faîte d'une montagne,disposeune offrande de farine grillée >>et avant de <<se coucher >>dans un espace délimité <<en cercle >>et de se laisser prendre par <<le sommeil qui s'épand sur les hommes >>,fait cette prière : <<O Montagne, apporte-moi en songe une annonce [de réussite] >>s. Il se met donc en position d'obtenir plus immédiatement du monde divin la révélation nocturne de ce qui l'attend : la montagne, à son sommet,le rapproche des dieux; l'espacesacré dans lequel il s'enferme l'isole du reste du monde; et la prière qu'il fait devrait être efficace-- et elle l'est. C'est donc de la divination inspirée, mais pro vogzfëe.Le mêmeusagereparaît çà et là û; et qu'il ait été répandu dans le peuple, on en trouverait la preuve, au moins pour les alentours du milieu du ler millénaire avant notre ère, dans une sorte de recueil de [. Faut-i] ranger ici ]a <<vision » de ]'avenir sur des surfaces bri]]antes et po]ies, comme nos <(boules de cristal )>?C. J. Gadd rldeas ofDÎvine Rzï/efn ïàe .4lzcfeær Near Ëhsf, p. 78 s.) en a remis au jour quelquestraces, curieusementincorporées dans le grand traité {Hmmaô/œ(voirplus coin,p. 10]) dedivination déductive. 2. Pour l'Égypte ancienne, voir Sources arienra/es, 2 : 1.es ronges ef /e r ïnrer7rëra- /ïoæ,p. 40 s.; pour l'ancien lsraël, ïbfd., p. 107et E. L. Ehrlich, Der Zraœmïm .H//e/z 7es/ameær,p. 13 s.; pour ]es anciens Arabes, T. Fahd, .[a dïvï/za/ïoæa/abe, p. 363 s.; pour la Grâce et Rome, A. Tassin, Comment on rêvait dans les temples d'Esculape, dans Bœ//erfæ de /'essor/affoÆG. Bpdé,IV/3, 1960,p. 325 s.(référence amicalement communiquée par M. Détienne). 3. R. Labat dans Zes .Re/ïgïon.çdæFroc.be-Or/en/ alfa/ïqzïe, p. 172. 4. Voir peut-être ,4.R]U,i5( : n' 1007 s.; il est possible 'que la lettre de la fin du Il' millénaire publiée dans IKO IO, 1935-1936,p. 5, ligne 9, insinue que les devins pro- fessionnels, techniciens de la divination déductive, pouvaient recourir de la sorte à des songesprovoqués(çomp. ]'interprétation de L. Oppenheim, ])reams, p. 223 a; aussi fbfd., p. 187 s., etç.). 96 mr --, on conseilleà l'usagerd'adresser,avant de se mettreau lit, une prière aux Dieux de la Nuit 2 Moi, votre serviteur, faites-moi converseravecmon dieu ou ma déesse,aôn qu'ils décidenten ma faveur pour ma réussite et que, lorsque je me lèverai(?), favorable! ils m'accordent un signe Sur quoi, après avoir exécuté un certain nombre de gestes <<sacramen- tels )>congruents,on pouvait s'enaller dormir, assuréque l'on <(ver' rait le signe >>imploré 3. Il n'est pas tout à fait sûr que ce <<signe )> devait être un rêve; et, si c'en était un, il n'est pasévidentqu'il serait éloquent par lui-même et n'aurait pas besoin d'une interprétation oniromantique, c'est-à-dire de divination déductive; mais ce qui est certain, c'est qu'i] devait être .obtenu à ]a suite d'un confacf nocturne ïmmëdfar avec le dieu ou la déessede l'intéressé -- et voilà qui fait de ce geste, même vulgarisé, voire adultéré de divination exercice de divination inspirée. déductive, un On doit porter le mêmejugement sur la nécromancie.Là, ce n'était pourtant point par un appel direct aux dieux qu'on cherchaità percer l'avenir et le secret, mais par un recours aux Esprits-des-morts relemmzlû,), censés disposer de cette connaissance surnaturelle, ou par eux-mêmes, ou par leur commerce avec les divinités infernales, qui présidaient à leur royaume, dans le <( Pays-sans-retour5 ». De cette consultation divinatoire des Mânes, il nous reste des traces non équivoques, mais peu nombreuses. La plus explicite se trouve dans une lettre paléo-assyrienne(autour de 1800avant notre ère) lci, nous interrogeons devineresses-Jê'ï/ôfz/, devineresses-bôrïôrzi et Esprits-des-morts pour savoir si le dieu ASgurcontinuera à prendre soin de toi o. Il ne serait pas inimaginable que l'activité des nécromants,au moins dans le monde officiel, ait été généralementconfondue, plus 1. 11s'agit de S7r 73, étudiépar E. RainerdansJI/\rES19,1960,p: 21}. s. 2. Lignes 44 s. de S7T73 (p.'26 b et 32 s. de l'article de E. Rainer). Sur les <<Dieux dela Nuit », voir déjàp. 78 s. et n. 3, et plus loin, p. 135et n. 137. 3. Ligne 51 du même riôïaJ. 4. Sur ce mot, voir notamment C'H.D, E, p. 397 s. et .d.#w, p. 263 b s. 5. J. Bottéro: Le dialoguepessimiste'et la transcendance,dans Revue de rÀëo- !ogre et de philosophie, 99, \966,p. 23 s. 6. 7CL, IV : n' 5, 4 s. 97 E. SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO obtenus par incubation ou les<< signes >>impétrés. Le fât est: en .tout cas- que si l'on trouve, dans plusieurs traités de divination déductive l des'allusions,au bout du compte assezrares,aux egïrrï2,la clédonomancie, à notre connaissant, mise en code. semble avoir toujours échappé à la C'estle casde tout ce qui ressortità la divinationinspirée: les messages envoyés spontanément et directement par les. dieux .rele- vaient d'un mode de connaissancequi rendait inutiles, ou impossibles, et l'analyse, et la distribution en oracles répondant à des présages? ceux-cidécrits par les protases,ceux-là déduits par les apodoses,et la codification et la mise en traités. Or, si l'on en juge par la documentation qu'il nous reste à analyser, c'est manifestementce dernier type de connaissanceanalytique qui avait la préférenceen Mésopo- du futUTz. tamïe 111. LA DIVINATION DÉDUCTIVE Cette préférence pour la dïvï/zafïon dëdacfïve, centrée sur l'eŒort de l;esprit de l'homme, à qui est seul donné le présage,qu'il doit disséquer,déchiRrer, chercher à comprendre pour.en extraire.l'oracle : a large la part d'avenir qui s'y cache,est,en matière de divination, le phénomène majeur en' Mésopotamie ancienne, et probablement une des donnéesles plus importantes et les plus fécondes dans la vie <<inter: >> '..;:' '=œ::Eml:'si::ljl! #:=lÎœ:=a: lectuelle >>de ce pays.. L'ampleur ment exaucé, '(car) le dieu a entendu sa prière ' souci«.e le caractère implicite de dialogue avec le.monde .divin? de contact plus immédiat avec.lesdieux,,qui est celui de la clêQonomau' de l'exposé ci-dessous, comparé au peu de pagesqu'on vient de lire touchant la divination.inspirée, est'à l'échelle de la documentationautrement considérablequi se trouve sur cc chapitre à notre disposition : à peu.près tout ce .qu'on a classéplus haut sous le titre de TëmoÜ/cages dïrecfsressortit à la divination déductive. Il est vrai que, surtout pour les traités, mais aussi pour les observa- tions et examensdivinatoires,il s'agit ici de textes savants,écrits par et pour destechniciens.De ce biais, on risque fort de.juger mal l'état réel des chosessi l'on étend, sansautre précaution, à la popula- Ü : ligëlignn :sÂ:qEx=.. ", 98 « """ "«" tion entière ce que notre dossier exactement compris ne nous permet d'attribuer qu'à un groupe après tout restreint. Maisl pour .quece dernier ait joui d'une aussi grande inRuence,pour qu.il se soit senti poussé et comme contraint à développer si extraordinairement. .sa discipline qu'elle est devenue à la fin, statistiquement, la première dans les préoccupationsintellectuelleset littéraires du temps, ne 1. Voir les références données par L. Oppenheim, p. 54 et n. 10 de son article cité àla n. 3, p. 98. . 99 H Ë.l l l JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES faut-il pas qu'il ait été encouragépar une croyance universelle et profondes?Même si l'homme de la rue ne voyait pas du même œil que l'expert la divination déductivea, il devait donc, en Mésopo' tamis d'autrefois, la tenir plus ou moins confusémentpour quelque formes et des aspects diŒérents, de chacun desquels on pouvait tirer, par analyse, des aspects diÆërents du future Il n'est donc pas surpre- chose de très considérable. De cette divination déductive,la partie à la fois la plus originale et la plus clairement et abondamment documentéeest la théorique, la logique, disons hardiment :/aparfie ic'ïenr@gœe, qui réclame d'abord toute notre attention. Pour mieux ordonner et comprendreune aussi énorme massede documentsa, il y faut introduire une distinction liminaire fondamentale, selon la double présentationpossiblede son objet premier le présage.Ou bien œlui-ci se trouvait d'embléeà la disposition de l'homme, lequel n'avait, ni plus ni moins, qu'à l'enregistrer et l'observer, avant de l'étudier; ou bien il ne lui était d'abord pas apparent, ou pas disponible,et il devait premièrementle rec&ercÀer ou le produire -- il faudra voir dans quelles conditions. dont la variabilité est moindre par nature, comme le règne minéral, et même celui des végétaux, voire, dans une moindlle mesure, des animaux : ils ne sont pas restéshors de l'examen des devins, on va le voir, mais leur pauvreté formelle n'a point. permis qu'on leur consacrât des analyses très poussées et même de véritables traités indépendants? comme ce fut le cas d'autres objets, de l'ordre des corps célesteset surtout de l'ordre humain. On les a donc de préférence étudiés avec plus ou moins de détails, comme autant de paragraphes ou.de cha- pitres de traités dont le propos était tout autre: Le plus célèbrede ces traités, et le plus copieux, que nous aurons à citer. souvent?était une sorte d'encyclopédie divinatoire par les aléas de la vie quotidienne, centrée sur l;homme et sesconditions de vie, urbaine, sociale, familiale, de 107 tablettes, c'est-à-dire quelque chose comme une dizaine,.de Pour sauter tout de suite à une conclusion d'ensemble. dont le aux yeux de l'historien général de ce mot -- et traité en parents pauvres des ordres entiers son environnement, ses travaux et ses jours. Il comprenait plus a. La di'pination déductive de simple observation. poids devrait être considérable nant que les techniciensde la divination déductive.aient porté plus d'attention et de soin à observerles êtres les plus riches en singularités et en transformations, les plus <<mobiles )> -- au sens le plus de la pensée, la devina/ïo/zcëdacrïve de si/np/e observa/ion se présente en Mésopo- tamie anciennecomme une discipline véritablement encyclopédique: elle a cherché ses objets -- les présages -- dans tous les phénomènes observables de la nature, en tous ses ordres : céleste et terrestre, inanimé et animé, animal et humain, physiologique et psychique. Cela ne veut pas dire qu'elle ait exploré tous cesdomaines avec une égale curiosité ou simultanément avec le même intérêt. Il ne faut pas oublier, en eÆet,que la condition première du présage,c'était, non seulement son caractère anormal, qui permettait de l'identiôer comme milliers d'oracles, et portait le nom de son f/zc@ïf: g mma ô/a rï/za mêlé 3akïn) <( Si une agglomération(est idée de cette véritable <<somme >>et de la richesse de son contenu Voici donc, classéssuivant notre propos de souligner le caractère encyclopédique de la divination déductive de simple. observation, la liste des domaines qu'elle a explorés et la façon dont elle les a traités. ac.Dans ]a nature inanimée, on comptera d'abord /es affres ef /es météores : lune, soleil, planètes, étoiles et constellations, éclipses, présageô, mais sa variabilité, sa capacité de se présenter sous des 1. Toute théologiesupposeune foi et une pratique religieusecon?mœ/zes, qu'elle ne fait que mettre en accord avec une certaine façon commzïæe de voir les choses,une certaine« philosophie>> courante. 2. Ne sont considéréesici que les formes savantesde cette divination déductive. et non les formes populaires, touchant lesquelles on se reportera p. 119 s. 3. On n'oubliera pas qu'il s'agit ici d'un exposénon diachronique mais systématique. 4. Pour une raison que l'on comprendra mieux plus loin. chaque phénomène observé:et retenu commeprésage,était toujours, d'une façon' ou d'une autre, ou particulier,ou anormalet excentrique: c'est par là qu'il attirait l'attention, aven tissait l'usager de la divination de sa valeur omineuse,et incitait à l'analyse qui devait y déchi#rer et.y lire le messagetouchant l'avenir, dont sa présentation singulière ou extraordinairebhdémontrait porteur. Le nouveau-né/forma/'ne ûgure nulle part dans IA 'vî ''' IVU sire sur .une hauteur-de- terrain) >>. 'Par malchance,'Iln'en existepasencore d'édition critique et à jour, et les étudesde F. Nôtscher l peuvent tout juste donner une cité 101 11' P JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES pluies, orages, dontl'étude -- l'<< ai/ro/agie 1 >>-- attestée. encore modestement, dès la première moitié du He millénaire2, a produit une vaste compilation qui comprenait dans son état final 70 tablettes soit à peu près 7 000 oracles. On lui donnait pour titre, selon l'usage, les premiersmots par quoi elle commençait': enûma..4/zæ En/ï/. les quels introduisent une façon de prologue cosmogonique marquant le rôle imparti aux astrSlspai' les dieux créateurs du monde : <<Lorsque Anu,.Enlil (et.Ea établirent en leur conseil les plans du Ciel et de la Terre) a... >>Une partie seulement,non petite, 'de ce <( traité >> nous a été.conservée,éditéed'abord, au début de ce siècle,par Ch. Virolïeaud dans sa monumentale .4x/ra/agie c&a/cïëen/ze4, à quoi l'on a pu ajouter beaucoup depuis, comme le montrent les études plus récentes, de E. F. Weidner5 notamment.Une édition critique est en cours preparëe par Miss E. Rainer, à Chicago Le traité lui-même a été agrémenté de résumés d'extraits. de commentaires, Qe catalogues.avec toute une littérature d'observations, de rapports, de lettres tournant autour des préoccupations astroloBiques, surtout omcielles, mais aussi privées', principalement au ler millénaire,dans la seconde moitié duquel apparaissent meme Si le jour de sa disparition, disparition, la Lune : s'attarde s'attarde dans le ciel (au lieu de disparaître d'un coup) --'il y aura sécheresse-et- famine dans le pays ' Si le 29 du môi; d'Aiîar (avril-mai) se produit une éclipse du Soleil -- le roi mourra, durement châtié par cama!; mortalité générale' Si Vénus s'attarde à son zénith -- les pluies cesseront4 Si au mois de Telrît (septembre-octobre),Mercure est visible à l'est, puis à l'ouest -- bataille 5 Si l'Orage 6 gronde au mois de Simân (mai:juin) -- révolte dans le pays' Si l'éclair se dirige du sud vers l'ouest -- pluies et inondations 8 S'il pleut au mois d'l.Jlûl (août-septembre),le 8' jour -- mortalité générale'. DiRusée dans tout le Proche-Orient dès le milieu du Ue millénaire îo, cette asfro/agie est devenue au ler (avec l'hépatoscopie) une des tech- niques divinatoires les plus pousséeset les plus en faveur en Mésopo- des horoscopesv. tamie, d'où elle a continué de rayonner alentour et jusque fort loin :: Voici maintenant quelques brèves citations du traité, pour donner une idée de la matière et de son traitement tion >>est le dernier(28' ou 29') dü mois lunaire. On a pu lire plus haut un compte rendu d'observation d'éclipse. 1. Mot à mot : « le dieu »'Ïil s'agit de Sîn, dieu de la Lune; <<le jour de sa dispari2. Z.4 43 , 1936, p. 310 : lignes 5-10 (texte paléo-babylonien). 3. .4 C. gamay : VIII. 20. 4. /bfd.. Iftar : Il 16. 5. /b/d. : XX 5. Çl11gKÆ .8EH3iîl Hl:M:g :SœRœ::,glB=; 6. Mot à mot : <<Adad», dieudel'Orage. 7. ,4C, Adad : 1 3. 8. /b/d. .:XXI 24. 9. /bjd. : XXXI 30. IO. Outre ]es textesproprementbaby]oniens(]HD 14, p. 174), nous avons, de ce ÇB#llil:l$ËËI ËIËË MËiilHÜ ;Ë/,i:$ 11. Voir ci-dessus,'p. 70 s. A tenir compte, non seulementde l'accroissementdu matériel astrologique 'depuis les modestes débuts de l'époque paléo-babylonienne .:;J%:;!È::l lénaire, l;astrologie est devenue, au le', la mantique « scientiôque » la plus fameuse,la plus pratiquée et la plus répandue. On comprend mieux alors l'importance des CÀaZdaei- inachevé. P (ci-dessus,n. 2, p. 102), mais aussi de la balance, au 1" millénaire, des documentsde la pratique : allusions à des opérations d'extispiSine ou.d'astrologie: et.rapports d'examens de l'une et l'autre discipline mantique, il semblerait que, si l'hépatoscgpie !t l'extispicine ont connuleur akmê et leur période de plus grand rayonnement au Il' mil- IMO 14, 1941-1944, p. 172 s. et 308 s.; 17, 1954-1956, P. 71 s.; 22, 1968-1969, astmlogues à l'époque hellénistique et romaine (ç+-dessus.p-jO, n. 4). Il est i.ntéressant'denoter que le Secondlsaïe, témoin direct ou indirect de Babylonevers le milieu du v' siècle aval;'notre'ère, (lsaïe, XLVl1, 13) : ne lui'connaît comme <<conseillers » que des astrologues :H@@xPg;iËw$wæw.g@:: Qu'ils se lèventpour te sauver Les scrutateurs des cieux. Les observateurs des étoiles, Qui font connaître chaque mois Ce qui te doit survenir! 102 103 JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES P. Le temps lui-même, ou plutôt /e ca&ndrfer, a servi de cadre à y. Le rêglze mïnéra/, et le règne végéfa/, pour la.raison marquée une .autre mantique, la cÆronoma/scie,fondée, au bout du compte, plus haut, n'ont pas été analysésen traités indépendants et.copieux, pour telles ou telles entreprises, telles ou telles divinités s'y trouvant chapitres d'autres sur l'idée que tels ou tels momentspouvaientêtre fastesou néfa;tes plus ou moins bien disposéesenvers les hommes. Leur 'liste a été dûment élaboréeen des manières d'almanachsî. où l'on trouve des annotations de ce genre mais ûgurent seulement dans' quelques paragraphes ou <<tablettes»- reux pour le malade.Le médecinne traitera nul malade. Le devin ne.poseranulle décision-divinatoire.Cejour n'est propice pour nulle entreprises Puis, tournant les choses par un autre biais, plus résolument divinatoire, on a pris pour présagela coïncidencede tel événementou de telle activité avec tel ou tel segment du temps. Par exemple Il ne paraît pas indispensable d'en rapporter ici des extraits. 8. Pour le rêg/zeanima/, la question est plus complexe. Nous verrons plus loin par quel biais il a fourni la matière d'énormes traités: sur- tout anatomiques. Dans ïe Jzlmmaô/zi, on trouve aussi de gros chapé: tres consacrés à l'examen du comportement spontané de quantité d'animaux, domestiquésou non, qui font partie de l environnement naturel 'de l'homme : bétail, oiseaux, serpents, scorpions et lézards, insectes o. Par exemple Si, le premierjour de l'An, avant qu'un homme, quittant son lit, ait mis les piedsà terre, un serpent sort d'un trou .etregarde génerale 4 Si un homme ouvre un puits au cours du mois d'Anar l'homme, alors que personne ne l'a encore aperçu lui-même cet homme mourra au cours de l'année. Si cet homme veut (avril-mai) -- pénurie de céréales 5 traité dont le nom arcadien ïgqur demeurer en vie, il se tailladera le crâne, se rasera les joues @uX et se tiendra en pénitence pendant trois mois : alors il échappera « (S')il démolit, (s ')il construit >>,pour une fois, n'est pas tiré de son à la mort io ïncipir, mais résume deux des premiers paragraphesde l'œuvre, où les diversesactivitésou éventualitésde la vie sont classéessuivant le mois où ellessurviennent ou s'exercent, ce qui fournit autant de présageset d'oracles. Il a été parfaitement édité par R. Labat 6 1. Tabl. 3 : 2 s. (F. Nôtscher,Orle/zfalfa39-42,p. 4 s.) 2. Tabl. 61 (id., Ôrfenfa/fa 51-54, p. 212 s., 146 S.). ;l lig$izB,z$azl qx/ hsïx 2. Divinité lIIi ï29'.'(â;ï.«.J3: ;b-42, p. 55 s., ôô s.) 5. Voir par ex. op. cfr., p. 14 s. : 26 s. 7. Même tat5o :sîi s. cbfdP; voir aussi tabl. 54-55 : 40 s. (orle/ira/fa médicales .. 3. R Labatt .Hëméro&)gfe.r.:., p. 60.s. : 46-50. On peut rattacher ici, d'un peu plus sages.isolés chrgnomantiques; mais certaines indications' (voir par exemple la lettre iM )i l ii aans ù#mer 14, 194B,p. 44 s. : no 22) laissent entendre qu'on s'en préoccupait 4] 9R.. :'t?at3 P ca/«amer >>ï; parasites des maisons û; plantes.diverses b; arbres 8.; et surtout végé- Si la crue survient au mois de Nisan(mars-avril) -- mortalité un .notable d! Jum/72a (î/tz :<{ minéraux taux qui font l'objet du' travail des hommes: céréales7et palmiers8 Mois de Nisan (mars-avril)... : lge jour : Jour-de-colère. Consacré à la déesseGala a. Funeste. Surnaturellement-dange- Il en est sorti traités, en particulier cours d'eau et puits z; feux et lumières 3; et plantes : champignons- ôa6y/onf« üi 5. OP.cjr., P. 110 : $ 432. 6. C'est l'ouvrage cité à la note 4. rr"aux, dpi süæes " des «,.Ïf, ÏgÔ5, l'oracle. 104 105 51-54, p. 84 s) 11 JEAN BOTTËRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES Si un lézard grimpe sur le lit d'un malade-- sa maladie le quittera i. importante mortalité l ou terrible attaque; désastredans le pays 2 ou épidémiea; un quartier-de-la-ville se battra contre Si un cheval, entré chez quelqu'un, y mord un âne ou une per- à l'autre, et huit pattes, mais une seule colonne-vertébrale -- sera dissipée3 intestines ü S'il se rencontre en ville des fourmis noires ailées -- pluies et inondationsa. l'autre, une maison pillera l'autre 4 Si un produit-anormal sonne-- le propriétaire de la maison mourra et sa maison le pays sera plongé dans la confusion par l'eŒet de querelles' Si un chien entre dansun palaiset s'y couchesur un lit Si un produit-anormal Si un cheval cherche à s'accoupler avec un bœuf -- diminu- c. Un domaine qui fait la transition des animaux aux hommes est celui de leur apparenceau momentoù ils viennentau monde, a sa langue soudée à son nez -- révolte contre le prince en son palaisô. ce palais acquerra une possession nouvelle 4. tion du croît du bétails. est double, avec deux têtes, l'une soudée La <<littérature >>tératomantique parvenue jusqu'à nous n'est pas abondante7; on a pu en lire plus haut un extrait : un bref rapport sur la naissanced'un porcelet monstrueux. soit prématurément et par avortement, soit à terme. Dans les deux cas, ce qui fournissait à l'objet la plus grandevariabilité et intéressait donc au plus haut point les devins, c'était le << produit-anormal l'étude des devins.Cette étude elle-mêmes'est démultipliéeen lieu 7 à deux traités diRérents, qui ont été réunis plus tard en un seul, mieux, une physiognomoïtieau senslarge. >> ce que l'on appelait en arcadien l'ïzbu o. Il s'agit donc, en somme, de fërafamalzcie. L'étude desizbzzhumainset animauxavait donné intitulé Jœmmaïzôu, <(Si le produit-anormal >>,qui n'est en fait que l'ïnc@ïf de la deuxième partie, laquelle commenceà la tablette VI. Il comportait en tout au moins 24 tablettes, dont il nous reste une bonne part : pas loin de 2 000 oracles, et, grâce à E. Leichty, nous disposons maintenant d'une édition excellente et à jour 8. On y trouve des observations et déductions mantiques de ce genre Si une femme donne naissanceà un stropiat -- trouble dans le pays; la maison de l'intéressé sera dispersée9 Si une femme donne naissanceà un enfant qui aît une demicoudée(env. 10-25cm) de taille, qui soit barbu, qui parle, qui marche et qui ait des dents : ç'est ce qu'on appelle un fier//z2-1. 0rïenfa/ïa 3942, p. 173,tabl. 25 : 21. 2. /bfd., p. 211,tabl. 35 : 11. 3. Orïelzfa/fa51-54, p. 16, tabl. 41 (?) : 16. 4. 1b/d.,p. 68,tabl. 46 : 29 5. /b/d., p. 162,tabl. 72 : 25. 6. Voir'CH.D,1, p. 317s.; ,4.#w,p. 408a; /zbæ,p. 3, n. 4. L'anormalitéde l'fzbæ pouvait être due, soit à son expulsion avant terme sous forme encore plus ou moins embryonnaire, soit, s'iï était né à terme(viable ou non), à des caractères plus ou moins aberrants ou pathologiques. 7. Dès l'époque paîé6-babylonienne: voir les n'' 12 et 56 du recueil de A. Goetze, yOS, X. Pour ies textes et traductions hittites, voir ci-dessus, p. 71, n. 3.; pour ceux qui ont été trouvés à Ugarit et à fuse, voir /zbæ,p. 21. B,. lzbu. (. Il n'y a rien d'étonnant que l'/comme ait été l'objet principal de plusieurs centres d'intérêt diRérents : d'abord le corps /zumafn s, sur quoi s'est fondée une pÀyxiog/zomonïe aœse/zspi'opte,' puis le comporreme/zf Aæmaîn, objet de ce que l'on peut appeler, faute de Dès l'époque paléo-babylonienne9 sont connus des manuels qui détaillent le contenu omineux de la propre disposition du corps des individus, en lui-même, ou dans diverses <<marques >>accidentelles de naissance. Cette étude a été développée ultérieurement en un traité d'au moins douze tablettes 10. Plusieurs autres s'y sont ajoutées, qui traitent du comportement involontaire épa/momanffgue nJ ou volon1. Mot à mot : « règne de Nergal », dieu desEnfers, dont il augmentait la population en « dévorant >>les vivants. 2. Mot à mot : « il y aura un Æal&læ », nom d'une arme portée par les dieuxen certains cas, et qui symbolisait leur pouvoir destructeur : C,4.D,K, p. 296 b s. 3. Mot à mot : <<]e dieu dévorera» : voir ]a note l. 4. /zôæ,P. 39 :1 82. 5. Mot à mot : <<par soi-même>>: op. cï/., p. 86 : VI 20. 6. OP. cfr., P. 148 : Xl1 86. 7. Voir op.ciZ'.,p. 7 s. 8. Il s'agit de l'aspect extérieur de ce corps, et non de son contenu disséqué. 9. On peut citer, de cetemps-]à,]es n« 54(qui seratraduit ici, plus loin, p. 174s.! dans son intégralité) et 55 de ÿOS, X, et Si. 33, publié dans TBP, pl. 63 s., n' 62, qui traitent chacun d'une <<marque de naissance»; e{ un certain nombre de présagesépars dans VAT 7525, publié dans HHO 18, 1957-1958, p. 62 s. (voir encore ci-dessous, note 2, p. 108), lesquelstlëmontrent qu'à l'époque on s'occupait aussi,dansle pays, de physiognomonie proprement dite. ' 10. Restitué et publié par F. R. Kraus, PO.Bet 7B.P; ajouter Orle/zfa/ïan. s. 16, 1947, P. 172 s 11. Voir G. Furlani, Sur la palmomantique chez les Babyloniens et les Assyriens, dans .4rOr 17/1, 1949,p. 255 s. Camp. H. À. Duels,Beifrdgez r Zœckungs/frerafr der Okzïdelzlx zï/zdOr/eizfs, 1907-1908(réimp. 1970). 9. OP. c//., P. 37 : 1 62. 106 107 11 JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES taire î. Cette dernière étude paraît avoir été pousséeplus loin encore, et en particulier Si un homme a son œil droit qui louche quand il applique son regard -- il vivra dans la misèrel Si un homme a le poil de ses épaules bouclé -- les femmes dans le Jumma ô/æa. On y trouve, non seulement les rapports de l'homme avec son milieu physique, géographique, matériel, avec son environnement botanique et animal, mais l'examen l'aimeront z. détaillé de son comportement en d'inônies circonstancesde sa vie Si un homme a une (marque-de-naissance dite) umga/æ sur de chaquejour : son attitude au lit et pendantle sommeil,au lever, au cours de.sa toilette: sa tenue, sa démarche3; sa façon de parler, le coin de son œil, à droite -- il aura juste de quoi retourner son hydrauliquesô; ses rapports avec les dieux et ses façons de prier o; Si un homme, en parlant, a l'habitude de regarder le sol -- il bénéûce à son bailleur-de-fonds 3 de se conduire en société 4; ses divers travaux agricoles, arboricoles, Si un homme rit en dormant -- il sera gravement malade û. ses relations avec ses supérieurs 7 et ses semblables, et en particulier dit desperôdies6 Si, en parlant, il se mordille la lèvre, à droite -- on tramera (quelque mauvais coup) contre lui e. Si un homme a pour habitude de trahir les secrets-- il n'aura jamais accèsà la notabilité 7 Si un homme est aÆectueux-- il aura beaucoup d'enfants 8. Si, lorsqu'un homme a prié son dieu, un bruit-omineux-perçu- sa vie de famille B,jusqu'en sesplus intimes recoins : une tablette entière,une desdernières,fort instructive d'ailleurs mais qu'on n'a pratiquement plus étudiée depuis que son premier éditeur, A. Boissier, apparemment horriôé, ne l'a traduite que fort incomplètement et imparfaitement -- 8, tire un certain nombre de présagesdes relations sexuelles entre mari et épouse, voire entre homme et femme. Sans rapporter ici d'exemples de la littérature physiognomonique, peu et.mal connue en dehors des traités et de leurs diŒérentsextraits, fortuitement 9 lui répond aussitôt -- exaucé, (çar) le dieu a entendu sa prière. Si un homme, lorsqu'il couche avec une femme en état d' <(impureté >>,éjacule toujours trop tôt -- il mourra dans la force résumé! et catalogues îo, voici qui donnera quelque idée de la richesse de la physiognomonie, stricte et élargie, chez les antiques Mésopotamiens. de l'âge io. Si un homme a le cheveuroux -- c'est un chanceuxn. Si son visage est marqué de traits verdâtres îz -- le ûsc ïa s'em- pare!a d?. tout ce qui lui appartient, (ou) de ses (seuls)biens meubles i4 il sera promptement n. Même la vie onirique, prolongement mystérieux de la vie cons- ciente, a été explorée par les devins. Les rêves que prend pour objets omineux cette onïroma/zcïe,ce ne sont pas les révélations, <<visions >>, apparitions diurnes ou nocturnes et communications extraordinaires de la divination inspirée, qui portaient en elles-mêmes leur message, formel ou en tout cas assezimmédiatement compréhensible, mais les rêves de chaque nuit, poursuite de la vie quotidienne dans une sorte g#HFaxBnm$'acTwælœBU 2.. Voir par ex JMO 18, 1957-1958,p. 73 s. La note de H. G. Güterbock. fô/d.. d'état second,jamais clairement déûni, et dont on savait seulement ?ÿliÊiH%:.%H umj:.'æœ2œïü'#51;i#if 3. Voir par exempleIMO i8, 19S7-19i8,p. 73-75 : sections1-4. De tels rêves,que rien d'essentielne distinguait des activités et des " 4. 1bld., p. 75 s. : section 5; et les textes cités ci-dessus, à la note l Il $1USË$ 1?Hl:glÏ:;ïi' :ÿtâ?ài' 8. Id., Orfeæ/aÆa 51-54,p. 226s., tabl. <<102-105>> &ÊXgüâ=gZU fl.uni,s=?:'j,l:h.i=1:.,f:œ œ'/œ: 10. Voir l'ouvragede F. R. kraus, PO.É. 11. 7BP, pl. 6 : 60. ' i:i gi.l :; Ë::lt=i:"i=E fd'"us, 14. C7. XXVlll, pl. 29 : 11. p' 84, n. 4. qu'il permettait des expériences inusitées dans l'existence courante n. événements de chaque jour, pouvaient, comme ces derniers, servir de î. VAT 7525, 1ï 24 s., dans IHO 18, p. 65. Ce texte est paléo-babylonien 2. VAT 7525, 1 21 s. : fôfd., p. 63. Paléo-babylonien. 3. yOS, X : n' 54 15. Paléo-babylonien. Voir plus loin, p. 174. 4. VAT 7525 1 39 s., dans aFO 18, p. 64. Paréo-babylonien. 5. H/0 11,P. 223 23. 6. Æ/d. 50. 7. Z,4 43, P. 96 s. : Il 3. 8. /b/d.. 98 s. : 33. 9. Un egirra .: voir ci-dessus, p. 98. 10. C7,XXXllX,pl.44:11. 11. .,4æææaùe ./969-7970,p. 99 s. 108 109 IF JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES présageset être analysésen vue d'en extrairele contenuomineux. Cette oniromancie déductive est connue dès la fïn de la première moitié du secondmillénaire, au moins par l'analyse d'une sorte de cauchemar, que voici Si un homme, pendant qu'il dort, voit la ville lui tomber dessus et se met à crier sansque personne l'entende -- cet homme a la chance et la bonne fortune chevillées à son corps, avec, comme souvent, à la suite, la situation opposée Si, pendant qu'il dort, il voit la ville lui tomber dessuset se met à crier, et qu'on l'entend -- il a la malchancechevillée a son corps' L'oniromancie déductivea été développée,à la fin, en un traité de onze tablettes que L. Oppenheim a publié, traduit et commenté en 1956a. Ce qu'a de particulier cette compilation, dans le dernier état où nous la connaissons,au ler millénaire, c'est qu'elle setrouve entourée comme d'un étui par une tablette, en tête, et deux à la fin, qui contiennent, en fait, des nambz/rôi2propres à dissiper le funeste eŒet des mauvais rêves a, nouvelle preuve, s'il en fallait, de l'étroit rapprochement, commandé par une certaine façon de comprendre le contenu de l'analyse divinatoire, entre la déduction de l'avenir et la possibilité et la volonté de changer cet avenir prévu. Voici quelques extraits du recueil oniromantique, où l'on verra les rêves, réalistes ou fantaisistes,traités, du point de vue mantique, comme de simples actions courantes Si un homme se rêve n'arrêtant pas de voyager hors des frontières de son pays -- il sera comblé d'honneurs 4 Si un homme se rêve prenant son élan et son vol -- s'il s'agit d'un notable : son bien-être l'abandonnera; s'il s'agît d'un pauvre : sa peine (l'abandonnera); celui qui a été jeté en prison 1 11 et adapté en français par Mii' J.-M. Aynard : .[e .Rêve, .çoæ ï/z/erprë/zz//oæ da/z.ç /e Froc/ze-Orle/zf a/zcïe/z, 1959.Complété,pour la partie explicative,par l'article additionnel publié par L. Oppenheimen 1967dans /e .Rêvee/ /e.sSocïé/és.i;æma ides,p. 325s. : Rêves divinatoires dans le Proche-Orient ancien. Dans Zraq 31, 1969, p. 153 s., L. Oppenheima édité quelquesnouveauxfragmentsdu traité d'oniromancie. Pour la di6bsion de l'oniromancie babylonienne, on notera qu'une tablette -- probablement de la ûn du Il' millénaire et d'une tradition diŒérente(ilecelle du traité canonique -en a été trouvée à Suée et publiée par V. Scheil, MDP, XIV, p. 49 s.(voir déjà n. 5, p. 70).Pour la littératurehittite sur les songes,voir CTH. p. 101s. 3. Voir par exemplele texte cité p. 80 et n. 2. 4. .À41DP, XIV, P. 57 : 23 s. 110 pauvre' S'il rêve que, son urine ayant découlé, il se prosterne devant cette urine -- il engendrera un ûls qui exercera la royauté 3 S'il rêve qu'on lui remet un sceau-- il aura un Êls 4 S'il se voit, en rêve, se saisir d'un mouton -- il sera impliqué dans un procès' S'il se rêve mangeant un cadavre -- il mourra de la chute d'une poutre o Il existe également une littérature assezcopieuse tournant autour des rêves, mais ceux dont il s'y agit relèvent presque tous de la divination inspirée 7; et, quant au reste, je n'y ai rien trouvé d'assez typique ou original pourle rapporterici. b. La divination déductive « liturgique )ü Toute une autre branche de la mantique déductive a pris pour présagesdes objets qu'il ne sufbsait pas d'observer autour de soi, mais qu'il fallait aller chercher où ils se cachaient, et même produire. On aurait pourtant tort -- comme on le fait couramment -- de voir dans ce seul trait ce qui diŒérencied'abord ce type de divination déductive 8. Si l'on en considère de plus près les objets propres, tels que nous les connaissons,on s'aperçoiten eŒetqu'ils ont dû être choisis, non parce qu'il fallait les mettre au jour -- pourquoi ceux-là, et pas d'autres, parmi la multitude quasimentinônie desdécouvrables et des créables? - mais parce que leur découverte ou leur production 1. ]WDP,X]]V, P. 56 : 14 s. 2. Dreams,p. 308 : 11110 (trad. : p. 263 à). 3. /bïd., p. 310 : face 13' s. (trad.'p. 265a). Le passageest à comparerau célèbre 1. VAT 7525, 11ï, 28 s. dans JMO 18, p. 67. L. Tâteïnterpretaion of Dreamsin the Atïcient Near East, {ëïlë \çï ï)reamsll traduit sortira de prison et reverra la lumière; s'il s'agit d'un malade il mourra l Si un homme se rêve faisant le corroyeur -- il sera riche, puis rêve d'Astyage, rapporté par H.érodote,1, 107, et montre au moins l'antiquité, sinon l'origine mésopotamienne, de ce type de croyance. 4. J)reams,p. 322: B l l (trad. : p. 276b). 5. /bid., p. 326 : revers 111 14 (trad. : p. 281 a). 6. /ôïd., p. 328 : C face 85 (trad. : p. 283 a). 'i. Ci-dessus, p. 93 et n. 4. Voir les textes traduits par L. Oppenheim, .Dreams, p. 245 s. 8. 11'ason importance, du fait que, la recherche'du présage.dépendant ici du devin (alors que, dans la divination déductive de simple observation, le.présage tombait « par hasard >>dans le champ d'observation de ceux qu'i! intéressais),on pouvait, en somme. le <<recommencer », en le recherchant ou en le produisant à plus d'une reprise : c'est seulement dans ce type de mantique qu'étaient possibles les examens réitérés et contre-épreuvesauxquelsil sera fait allusion plus loin. Ailleurs, on devait, pour de tels contrôles, utiliser un autre type de divination. 11 1 T JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES coïncidaient avec un acte particulièrement important de la liturgie l. Il s'agit donc de ce qu'on peut appeler la dïvfzzarïon(&duc/ïve/f/z/rgïgæe.Telle est du moins la dénomination qui conviendrait le mieux à qu'il y a de plus exigu, l'espoir est vraiment mince d'en trouver quel- Nous verrons que, plus tard, elle a pu donner l'idée d'un autre type, étaient les animaux domestiques, surtout les plus communs d'entre D'une part, en eŒet-- et il faudra revenir sur ce point capital --, la divination, même déductive et rationnelle, est toujours demeurée, en Mésopotamie ancienne, essentiellementreligieuse. D'autre part, des quatre techniquesdivinatoires connuesle plus anciennementdu et peut-être, mais plus rarement, les bovidés. Leur sacriôce comportait que jour le ôn mot. La pratique ici la plus importante est celle que l'on a appliquée la forme la plus ancienne de ce type <<actif >>de divination déductive. aux sacriôces sanglants. Les victimes de choix de ces cérémonies où le <<jeu de hasard )>a remplacé le culte divin. eux : les ovidés et les capridés, et aussi les oiseaux de basse-cour, essentiellement deux actes principaux : la mise à mort et la dissection (pour en tirer les morceaux consommables). Chacun de. ces. deux genre que nous avons içi en vue, deux au moins ont indubitablement temps a donné lieu à une technique particulière de <<divination déductive liturgique ' )>. sacriûce : la propre victime animale du sacriôce sanglant (aruspïcfne et /zëparoscopïeaJ et la fumée aromatisée de la fumigation r/ÏZ)a/zo- -- comme on savait le faire dans la mantique de simple observation -- liturgique ' et de l'oŒrande d'aliments végétaux ô. moins réflexes au moment cræcïa/où, sous le couteau du sacriûcateur, /a vïe /es gœïffaïfz. Je ne sais comment désigner en un ou deux.mots pour objet matée'ielde leurs présages,celui-là mêmed'une forme de x. La mise à mort fournissait l'occasion de remarquer et d'étudier nza/zcïe aJ. Les deux autres ont pris -l'huile r'/ëcanomazzcie,) et la farine ra/euromancïeJ,qui Êgurent notoirement au premierplan de l'onction le comportement des animaux sacrifiés et leurs mouvements.plus ou Nous ignorons l'origine de ce mode de divination : a-t-on simple- ce procédé divinatoire, sorte de pa/mima/zfïgue sacrPcïe//e: si l.on veut; mais le fait est qu'elle a été connue dès l'époque paléo-baby' ment accommodé à la matière sacrificielle les techniques d'examen et de réüexion utilisées d'abord pour les présagesobservés,ou bien Ionienne,par destextesrelatifs tant au mouton qu'au volatile sacri- le fiés a. Voici quelques exemples des présages et des oracles tirés de ôcateurs? Après tout, la question est secondaire.Et surtout, comme c'est dès la plus haute époque, au milieu du Me millénaire, qu'elle gauche-- c'est toi qui vaincus l'ennemi par les armes. S'il -- ce qui est peut-être plus vraisemblable -- l'idée d'examiner présageet d'y rechercher l'avenir serait-elle venue d'abord aux sacri- commenceà seposero, à un moment où les témoignagessur la divination, commesur bien d'autres donnéesculturelles,sont tout ce 1. Clairement mise en valeur dès l'époque ancienne, comme dans certains textes de Mari(.4RM, Il : n' 1345 -- sur le senssaçriûcieldu mot nzilfam4er, voir .4Jïw, p. 579 b : g Kaus. 3 c --; IV : n' 54 5 : <<les présages (tirés) des sacriôëes3>; V : n. 6i 29 s. etc.; voir aussiplus loin ûn de la n. 1, p. 134), cette tradition liturgique de l'aruspicine a été conservéefort longtemps,jusqu'en Grâce et à Rome, comme en font foi quantité de témoignagesclassiques: par ex. Hérodote, VI, 82; Vl1, 134; IX, 19 etc.; Cicéron, Z)e dïvï/zafïane, 1, 13 1(ut hostiarum immolatarum inspicerentur exta.-), etc. 2. Pour l'usage du gros et surtout du menu bétail, y compris les oiseaux de basse- cour, dans les sacrifices en Mésopotamie ancienne, voir par exemple notamment p. 61 s., 79 s., 101, etc. 3. Usage cultuel de la fumigation dans le rituel : ïôïd., p. 269 s., etc. 4. Pour l'usage de l'huile dans la liturgie : ..4RJt/,Vll, p. 203 s. OJ:!ôermarerïe, 5. Usage rituel des produits céréaliers,et tout particulièrement de la farine Opfermaterie, p. 22n s. 6. Voir plusloin, p. 145.Le fait que le<<chevreau >>(MÂI) figurenon seulement dans le nom sumériendu devin(uÂê.gu.cfn.cfn;voir plus loin p. ï29 et n. 6), mais dans celui du songe(uÂ$.CE& : <<le chevreau de la nuit >>,en d'autres termes : <<le présage nocturne>>), laisserait entendreque les plus vieux présagesont bel et bien été tirés, dans le pays, de « chevreaux>>sacrifiés; autrement dit, que l'extispicine y aurait été la première technique divinatoire, en tout cas la plus réputée et la plus en usage. Voir également p. 148 et n. l. 112 l'un et de l'autre Si le mouton(,une fois égorgé,) bat de la queue de droite à bat de la queuede gaucheà droite -- c'est l'ennemi qui te vaincra par les armes4 Si le mouton (,une fois égorgé,) grince des dents -- l'épouse !e l'intéressé ô, {quelqu'un d'autre) couchera avec elle et elle quittera son foyer '. 1. Le rapprochement de ces deux techniquesest soulignépar le fait que, dans les traités de la première se rencontrent des oracles.qui.supposent déjà la dissætion de l;animal(ainsi« l'astragale percé )>de yOS, X : no 4? 65 s.). A !'extispiçlne proprement dite.'comme à un deuxième temps, beaucoup plus important, de cette dissection, semblent réservésles organes intimes et « nobles » de la victime. 2. Ce trait est peut-êtrehautementsigniûcatif.En .Mésopotamie, .à ma connais- sance.le sacïiûce sanglant est toujours représenté comme la préparation d'un.repas pour le dieu; il' estpossibleque,dansle choit du momentde la mort dela victimepour.y déchiffrer l'av(;nir, se cache une idée de l'importance cultuelle de la de.ç/ræc/fo/z de /a vie, ce qui rapprocherait le rituel mésopot?,mien du: rituel .israélite et ouest-sémitique\ 3. Pour le mouton, voir les n" 47 s. de yOS,X; pour l' <{oiseau>>(sans douteun volatile de basse-cours, voir les n" p. 73, n. 4 51-53, iôid., et R.{ 61, 1967, p. 23 s. et ci-dessus, 4. yOS. X : n' 47 40 s. 5. Ou : « d'un notable». 6. yOS, X : n' 47 13. 113 1: ÆAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNESp ÉCRITURES Et pour l'oiseau Si le larynx de l'oiseau (qu'on vient de sacrifier)se détend et crie <<ziz )>-- un lion attaquera un voyageur l utiles --: après le rapport d'extispicine cité plus haute -- pour que l'on puisse se faire une idée un peu plus réaliste de cette discipline man- tique Si le Poumonestrouge-vifà droite et à gauche-- il y aura P. Beaucoup plus développée et promise à une notoriété infiniment plus vaste2 a été la technique divinatoire tirée de la dissectionde l'animal immolé. On y trouvait desorganesinternes essentiels.comme ai ]e Do;'-' médian du Poumon est détaché sur sa droite, et que sa partie gaucheen dérobeà,la vue la partie droite -- un volutif)ns rfiré/zuJ , le rein ('Æa/fru,J , et surtout le foie rÆaba/rz/,amz2raJ, g'::î€T::.:Ë= b:\;i8'U JI'n!.!=T'.' -. examinait de près le détail de leur anatomie. Ainsi est née l'ex/ïspïc/ne, Si(la partie du Foie appelée)le PaiaT est sans ouvçi'u-ç le poumon r'ëaiz21,le cœur r/ïbbuJ, la masseintestinale en sescircon- dont l'apparencevariait d'un individu à l'autre, surtout quand on un personnage-important tuera son .Seigneur '. «.:* . . - le Me millénaire,et qui y ont pris, avecle temps,la secondepeut-être iB@ii8zuüîa ;:ïi,:= ressent l'extispicine et l'hépatoscopie, desquels un bon nombre détaille :ÿË$:'$H:W!%,:l:ü:s;îœEm avec sa parente riche l'& ba/oicopïe, en usagecourant dans le pays dès surtout, un développement inégalé dans tout le domaine divinatoire et même <<scientiôque >>.Dès l'époque paléo-babylonienne, sur une centaine de manuels ou traités découverts, plus des trois quarts inté- une analyseanatomique exil'êmement fouillée -- traités qui pouvaient comprendre jusqu'à lO, 12, 13 et même 17 tablettes, et probablement davantage encore. En outre, dès cette époque fleurissait tout un attirail annexe de rapports d'autopsie, de lettres, de maquettes, de consulta- creusé)un trou " Foie) deux:e?llcules-biliaires-- le roi tions ;, que n'a connu pour lors aucune autre technique divinatoire. La <( littérature >>aÆérente n'a fait que s'entier avec les siècles, et l'ouvrage classiqueconsacré à l'aruspicine est devenu une <{ somme >>imposante, plus encore que celle qui est consacrée à l'astrologie. Malheureusement,cette littérature n'est bien connue à ce jour que d'un ou deux spécialistes qui, s'ils ne manquent pas une occa- sion de souligner qu'ils la connaissent bien, ne semblent pas s'être souciés encore d'en préparer, ou même seulement d'en annoncer. pour le bien commun,je ne dis pas une édition critique -- travail considérable, qui nécessiterait toute une équipe --, mais du moins un modeste schéma de mise en ordre des documents. Faute de mieux, je tirerai donc des seuls traités paléo-babyloniens les quelques oracles gescÆRHe,8. 1941IP0 81 : 7. ligne avant la ûn. j. Mot à'mot : à n'a point de porte ». l .RJ 6î,.p.. 4q 1.51 ?:; à la ligne 57 du même document, les parallèles (yOS, X n" 25 8' et.70'; 26 lï.[10J; .51 s. 1116;.ainsi que 20 21; 25 47'; 26'11 30 et ïiï 43)'et le sens(voir .4Hw, p 693)invitent à considérerle ï-na/-'i-fd du texte comme une faute du scribe pour ÈXaAëï-f! .: /za'édæveut dire <<prendre garde à, se préoccuper de », ce qu'on ne peut .guère mettlF au compte.d'un.lion, et la traductionde i. Nougayrol'(lac. cff. de R.4 61) : <<inquiéter >>,est de fantaisie. ' 2. Voir ddà ci-dessusn..f s., p. 70, et, pour le monde hittite, C7'Z, p.:96 s. 3. Voir par ex. ]es références copieuses données par J.'Nougayro] ' ' dans .D]WH, p. 7 a. 9 s.; p. 8 n. l s. Exemplesci-dessusp. 73 n. 3, 5; et voir égalementplus loin. 114 6. yOS. X. : n' 23 2. 7. $.À, 40it1943, iÜ 82 : tïôes.Chemin », du canal cholédoque : .4.Hw, p. 808 a, s. v. : B. «lltlg%gl€.$?%€Ha!# XHu?:lüw8 Pain )>. 12. yOS, X : n' 31 1 47 s. 115 JEAN BOTTÉRO Si la Vésicule'biliaire est aussi ône qu'une aiguille -- un pri sonder s'évaderal y. Parmi les autres techniques <<dérivées )> de la liturgie, ou bran- chéessur elle, et pour lesquellesle présageétait, non pas à découvrir, SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES 8. D'abord. l'a/ez/rama/zcfe,qui étudiait les dessins formés par de la farine jetée, elle aussi, sur de l'eau Si la farine (,regroupée)vers l'Occident, est.intacte à droite et mais à produire, la mieux connuede nous est la /écanoma/zc/e. Elle consistaità laissertomber quelquesgouttesd'huile sur une coupe à gauche, mais coupée au milieu -- le malade en question sera que l'on interprétait pour en tirer les oracles. Par exemple et ce spectre est(celui) de <<la Main de son père >>' l'objet d 'eau : l'huile y formait des âgures variables, et ce sont ces dessins Si l'huile (jetée sur l'eau) se divise d'elle-même en deux parts -- s'il s'agit d'une campagne-militaire : les deux camps (ennemis) s'aRronteront; si la question a été posée 2au sujet d;unmalade il mourra3 Si, du centre de de l'huile l'huile (jetée (jetée sur l'eau) se détachentdeux <<ponts >>,l'un plus grand que l'autre -- l'épouse de l'intéressé mettra au monde un enfant mâle; quant au malade, il guérira 4. s'éparpille vers Si l'huile s'éparpille vers l'Orient et qu'il s'y formecinq de rumeurs (pessimistes), .mais il !esters .(en .ûn de compte) sain et sauf... Si la farine (,regroupée)veld l'Orient, se boursoufle - c'est qu'un spectre s'est emparé de l'intéressé, On ne connaît pour l'aleuromancie qu'une courte tablette, éditée J.Nougavrol',2 de la premièremoine moitié du n' millénaire,avecqua' par J.Nougayrol au H torze présages seulement ; € Puis la tibanomancie. attestée. elle aussi, à la même époque seulement, et par deux textes assez courts qu'a réédités récemment G Pettinato ô. On y tirait les présagesdes figures formées par la fumée quis'échappait del'encensoir « ponts >>-- l'intéressé est en proie à une vieille dette d'argent vis-à-vis de Sîn 5 3 lorsque tu verges(la substance aromatique) sur la braise, la fumée s'échappe (seulement) vers la droite, non vers la gauche tu l;emporteras sur ton adversaire. Si elle s'échappe(seulement) Cette discipline mantique ne semble guère avoir donné lieu à une littérature, technique ou non, importante : du moins en avons-nous, grâce à G. Pettinato, une édition récente et à jour 6 Du dossier qu'il a rassemblé, il ressort que, pratiquée plus volon- tiers.à l'époque ancienne (et connue chez les Hittites 7),la léëanomancie l'était encore au l'r millénaire 8, mais avec une autorité ofûcielle fort diminuée, peut-être au prout des bonnes gens de la rue. Tel paraît également avoir été le cas des deux autres techniques apparentées, versla gauche,non vers la droite -- ton adversairel'emportera sur toi D 1. Orle/zla/lan. s. 32, 1963,p. 384 s. : 7 s. et 19s. : apodose<(explicative >>(voir p. 87) 2. 1.oc cü.(inoteinrecédtons, Po381s' manuscritssubsistantssont du ï" millénaire lesquelles ne sont même plus attestées, dans notre'dossier, après le He millénaire. 1. Z.4 57, 1965,P. 128: 6. 2. Blot à mot : « sije fais(la manipulation))>. 4. 1bid. 4 5. Zbfd.,p.14.et 25 6. Citée Îci : ô/. 8 Apodose <<explicative >>(voir çi-dessus, p. 87). 7. Voir C7:#, p. 9S : 542. Un des textes trouvésen Mésopotamie est d'Assur, àà dater millénaire :: X,4R, .K,4R.n dater de de la la ûn ôn du du Il' Il'.millénaüe n' 151, (d/« p. 77 s.). Les trois autres, les plus copieux, soit paléo-babyloniens. i. Voir ôl., 1, p. 19 s: 116 qu'ilysoit dissous, ' 4. Libanomanzia ét le mauvais presto destin avec lui: i Babilonesi, dans. 4ïvïsr!.deg/ï p. 303 s; voir aussi R. D: Biggs dans.R.A 63, 1969, P. 73. 5. Art. citédeG. Pettinato,p. 318: 3 s. 117 . .. . . ôïz/dz ..- ' . ,. '. orle/z rail 'li, .'- ..., iyoo, SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO Si la partie haute de la fumée se regroupe comme (les branches d') un palmier, tandis que la partie inférieure demeure grêle -- un chagrin surviendra à l'intéressé l Ces trois techniques -- et peut-être, d'un peu plus loin, ce que j'ai ç. La di'giration déductivepopulaire Il n'en va pas de même pour ce que l'on peut appeler la dîvï/zaïhzz de nouveauà la méthodede la divination déductive.Dans tous les c2ëduc/ïve pope/aire ï, laquelle, peut-être très tôt a, s'est trouvée mise en parallèle et en rivale pauvre à la divination des techniciens.D'une autres présages, observés autour de soi ou recherchés parmi les de témoignages écrits : nous en avons assez, ç?ependant, pour mus en appelé la <<palmomantique sacrificielle >>-- apportaient quelque chose entrailles de la victime, le segmentd'avenir <<deviné )>, disons l'oracle, était déjà inclus, qu'il fît partie de la substancede l'olÿet omineux -- comme c'était le cas pour une tachede naissanceou la conformation d'un foie --, ou qu'îl fût donné par sa position ou son attitude au moment où il était pris pour présage.=- ainsi la situation de tel astre, la conduite de tel individu, la présentationde tel rêve. Dans tous ces cas, les choses étaient donc ce qu'elles devaient être préaZab/eme/zfà toute intervention humaine ; et, selon la <<philosophie >> théocentrique des vieux Mésopotamiens, elles l'étaient par la décision et la volonté divines. Dans la lécanomancie,l'aleuromancie et la libanomancie, au contraire, le présage ne préexistait pas à l'acte divinatoire : c'es/ /e devï/z/uf-même qziï /e créai/ d'abord. C'est-à-dire, toujours selon la même <<philosophie )}, qu'il fournissait aux dieux une façon de cadre, tracé et déûni par lui-même, pour leur intervention révélatricede leur connaissance de l'avenir : il leur oFrait le choix d'incliner le cours deschosesdansun sensou dansl'autre, et c'est le résultat de ce choix divin, à savoir ce qui se produisait en eŒetau terme d'un procès à plusieurs issues possibles, que l'on trouvait, mantiquement parlant, aussi éloquent -- parce gae du même ordre -- que la conjonction de deux astresou l'aspect plus ou moins monstrueux d'un avortons Si nous sommesbien informés, il ne semblepourtant pas que les telle forme vulgarisée, on ne peut guère s'attendre qu'iï existe beaucoup faire une petite idée. Qui dit vulgarisation, dit simpliôcation. Ce qui caractériseces procédésdivinatoires populaires, ç'est que, tout. en gardant les postulats essentiels de la divination déductive : la possibi- lité pour l'homme de connaître l'avenir à travers un objet à sa portée, ils les simpliÊent à l'extrême. On y trouve donc, parce qu'elles sont.plus. terre à terre et.ne requièrent pas l'intervention d'un technicien, des recettes selon les- quelles qui veut deviner l'avenir doit lui-même créer ses présages. Par exemple, dans le recueil classique des formules incantatoires à réciter par la femme qui veut assurer, ou fair: recouvrer,.à son partenaire en amour, la force de son désir envers elle et une puissancevirile « à la hauteurs », il lui est conseillé de soumettre à un porc deux figurines représentant les deux amoureux Si le cochon s'en approche,(cela veut dire que la défaillance est causéepar le syndrome médico-magique appelé)..<(main d'lltar >1;s'il ne s'en approchepas, c'est que le malheureux amant a été <( ensorcelé >>4 Dans le petit vade-mecumdivinatoire à l'usage du tout-venant, déjà cité à propos de l'incubation ô, il est conseillé à qui veut connaître l'avenir de prendre pour présage,par rapport à une questionprécise devins aient beaucoup apprécié cette sorte de promotion de leur rôle d'autres techniquesanaloguesen grand nombre eussentété imaginables;et pourtant nous n'en connaissonsaucune,en dehors de la lécanomancieet des deux autres, qui ait été mise au point et surtout codifiée 3 -- ce qui était la marque de la divination déductive cljîcïe//e et savante. 1. Art. cité de G. Pettinato,p. 318 : 12. 2. C'est içi que s'insère pareillementl'ordalie(ci-dessus,p 87), en dépit du pl 3. lolns pc l qu'nn appelait le /zÎJ /iZ)ôi,mot à mot le « lever du cœur », métaphore fait qu'elle recherchait non le futur mais le passédans sa relation avec le présent : quel üis4Erl$,DmaiB transp$5ln9;'C.4, Jlzcîelzr À/esoparamfaPZ Parency Incalzrarfa#s,p. 46, 3. C'est-à-dire dont la matière ait été analyséeen toutes sespossibilités, comme c'est n'5. E. Rainer, Fortune Telling in Mesopotamia, dans /NAIS 19, 1960, P. 23 S., cité était le coupable du crime commis. le cas pour tous les domaines explorés par la divination déductive(ci-dessus. 118 p. 84). p.97,n.l 119 SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO et posée à l'avance, les réactions d'un bœuf brusquement arrosé d'eau froide, en pleine nuit ï. Il en est prévu dix-sept, énumérées,comme c'est l'habitude dans les traités, par contraires ou par variantes : <<s'il s'ébroue et se met sur pieds >>ou <( s'il s'ébroue sans se mettre sur pieds 2 >>;<( si, une fois sur pieds, il s'avance droit devant soi >>,ou <(recule », ou <<se dirige vers la droite >>ou <<vers la gauche », ou <<se met à meugler 3 >>...;et toutes les réponses oraculaires sont par oui Ainsi que l'a ônement compris E. Reiner lice.n'est plus: comme dans le traité 'oniromantique, de'la qœa/ïfé de /'o6ÿeï do/znë en .rêve que dépend la connaissant' de l'avenir, .mais du iïrnp/e. don d'zz/zoÇër gtiezcowe et de la direction de ce don; et cet avenir n'est pas:jlb' mité a priori, il n'est pas ouvert à toutes les possibilités?.mais ji se trouve restreint, avant'même le rêve, à une seule alternative : .là où le <<traité )>énumère encore, dans l'état où il nous est parvenu, plus de ou par non, mises à dessein dans la forme vague et passe-partout que deux cents objets diŒérents« donnés )>en rêve, desquels chacun fournit les grands traités : <<il atteindra >>ou <<n'atteindra pas (l'objet de) son désir >>.lci, comme on le voit, c'est toujours de la divination déductive, où toutefois le<( devin >>non seulement produit ses présages, œlui de l'asfro/agie, toujours dans le même recueil de <<la divination pour tous )>.On y trouve recommandée l'adresse suivante nous rencontrons de plus en plus souvent,avecle temps,même parmi mais définit strictementpar avanceleur valeur, en ne considérant plus l'Avenir, au senslarge, ouvert et total du mot, mais un avenir restreint à ce qui se produira à propos d'une questionposée,d'un but recherché, d'un désir à réaliser. La diŒérenceest grande avec les morceaux du i mma ô/u, où était observé(et non provoqué) le compor- tement des animaux domestiqueset où l'avenir à déduire était com- mandé par ce propre comportement,et non par une manièrede un oracle particulier a, ici, une simple antithèse subi.t. Voici encore,populariséet simplifié,un autre domainemantique, Ninlil, Dame du ciel et de la terre, Mère des dieux sup:èmes;.. moi) ' Un-tel, fils d'Un-tel, pour(savoir,.$ j obtiendrai) la réalisation de mon désir, qu'une étoile(plante) prenne .sa course en partant de ma droite et en passant vers ma gauche ' Sans doute d'autres domaines ont-ils été semblablement exploités 4, touchant lesquels nos textes cunéiformes ne nous renseignent qu'à convention restrictive préétablie. peine : telle l'observation du vol des oiseaux,à quoi l'on pouvait donner un sens omïneux, comme à la trajectoire de l'étoile plante ô; restrictions analogues. Voici, toujours dans le vade-mecum populaire, ou pas du tout : par exemple cette divination. par !es <{ flèches oraculaire fpz/russï21 au moment d'entreprendre savoir ce qu'il disait' Dans le domaine de l'ozziromancïe,on trouve des distorsions et et sous le titre : <(Formule incantatoire pour obtenir une décisionun voyage 4 >>,la prière que l'on devait adresserau <<Grand'Chariot du ciel lumineux5 e secouées>>dont nous parle Ezéchiel, qui, témoin oculaire, devait Dans tous ces domaines,la codiôcation était nulle et l'intervention » O toi sansqui nul agonisantne s'en va o, nul bien portant ne semet en route, si, au cours du voyage que je vais entreprendre, je dois atteindremon but, que quelqu'un me donne quelque chose (en rêve '); si je ne dois point l'atteindre, que quelqu'un (en rêve également) reçoive de moi quelque chose 8. :Üâ$1#@®W$Üi,Ë:g!:a 1. 0p. ci/., p. 34 s. : S77', n.' 73 111110-lV 138(et voir p. 28 aô). 2. /bïd.,lignes 122 s. 3. /bïd., lignes 128-132. 4. E. Reines,Fortune Telling..., p. 33(et 27 ô) : S77',n' 73Il 76. 5. La corrélation entre le voyage à faire et le « Grand-Chariot » célesteà invoquer est transparente. 6. lci aussiune allusion est faite au « voyage» : celui du mort versle « Payssans retour ». 7. Il s'agit évidemmentd'un songeimpétré(lroir ci-dessus, p. 97), bien que le texten'en diseexplicitementrien; voir du restela traductionet l'opinion de E. Reines, !oc. cit. ,'p. 2] b. 8. ïbfd., p. 33 (et 27 aô), lignes 71-75. 120 121 JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES d'experts n'avait plus aucun sens. Encore moins dans la c/ëro»zancle, ou le tirage au sort, par jet rnadü; ga/ô'u;voire ÆarôrzzJ d'osselets fÆïfa//u ï,) ou de dés risgzz,'pï2ræa,), connus depuis longtemps, ces derniersnotammentpour la répartition deslots d'un héritage ou la nomination à de certainesfonctions publiquesa. L'utilisation mantique en est assurée,certainementparmi le peuple(les traités n'y recourentjamais et n'en font nulle mention) : une tablette du ler millénaire 4 propose, <<pour obtenir une décision-oraculaire )> [pz/russe) 5 l'usage de deux pierres -- l'une, blanche, est celle du <<désir )>,autrement dit de ce que l'on veut obtenir; l'autre, noire, du <( non-désir >>, de ce que l'on redoute. La procédure n'est pas détaillée, mais, consi- déré l'extrême dépouillementde l'appareil mis en jeu, elle devait être simple et à la portée de tous 6 On à également retrouvé, de l'époque séleucide,au moins deux exemplairesd'une façon de damier7 où l'avenir était ûguré par les signesdu zodiaque.Chaquecaseporte le nom de l'un d'entre eux, entouré d'une brève formule qui déûnit un <<sort >>conforme à ce signe -- par exemple : <<Tu auras un compagnon >>,pour les Gémeaux; {<Tu seras fort comme un lion », pour le Lion; <<(Tu seras) comme un manieur d'argent 8 >>,pour la Balance; <<(Tu seras) comme le maître du bétail >>,pour le Capricorne. Pour obtenir une de ces cases, et peut-être plusieurs, car il pouvait y avoir des combinaisons multiples, on devait se servir de dés ou d'osselets.L'orientation divina- toire du systèmen'est pas contestable.Mais, ici, le <<titre >>de la tablette attire l'attention sur un élément nouveau. Le<< damier >>en question porte en eŒetle nom de <<jeu des princes 9>},et sans doute devait-il servir au divertissement : il s'agit d'un << jeu de hasard ï' >>. Si l'on y réfléchit, la collusion de la divination avec le <<jeu de hasard >>n'a rien qui doive surprendre. Ce type de passe-tempsétait connu depuisla haute antiquité dans le paysÏ. Il y a toutefois gros à parier qu'on ne lui donnait pas une pareille qualiôcation, si éloignée de la façon qu'on y avait de compren' dre les choses,où il n'y avait pas de hasard a, mais seulementle destin (Jfm/u : ce qui a été « décidé >>par les dieux). Certes? s'y trouvait impliqué un propos de délassement, d'amusement, de plaisir, sous la forme'd'une compétitionet de la recherched'une supérioritéet d'un <(gain ». Mais l'issue de cette lutte et l'obtention de cet avantage étaient réservés à l'avenir -- objet aussi de la divination. Une pareille convergence,pourtant, ne pouvait aboutir à une ren- contre que sur le plan de la divination déductive poptï/aire. Comme les adeptes'de celle-ci, les joueurs, en manipulant les pièces du jeu (équi- valent des <<présages»), créaient eux-mêmesles conditions de leur avenir : selon une <<règle >>déônie par avance, ils préparaient eux aussi une façon de cadre dans lequel les dieux pourraient intervenir, mani- fester leur préférenceet l'imposer dansl'une des deux seulesissues possibles : ]e <<gain >>et ]a« perte >>,autrement dit, pour .parler la langue du pays he <<désir >>et le <<non-désir >>,le Oui et .le .Non 3 Tous éléments que l'on ne trouve pas réunis en dehors de la divination déductive populaire. Une certaine compromission de cette dernière avec le <( jeu de hasard >>n'indique pas nécessairement qu'elle aît été du même coup 1. Voir C,4.Z), K, p. 435b : 2. 2. /bïd., ô,. Divination populaire et Ü jeu de hasard » 1, p. 198 b s., et .,4.#w, p. 881 b s. 3. Pour les parts d'héritage, voir les textes cités, par ex., sous /sgæ,dans CH.D, /oc. cff. Pour les fonctions publiques, voir la curieuse pièce, justement én fo rme de dé, publiée dans F.J. Stephens, Ho/fveaædJ7 forica/ 7exh..., pl. XXVll, n' 73 : <<AËËur, ô grand Seigneur! Adad, ô grand Seigneur!(Ceci est) le dé (pûr ) de labalu, chef-inten- dant de Salmanassar,roi d'Assyrie(probablement Salmanâssar111: 85Ë-824)...Devant AëËuret Adad, puissemon dé fpürœ) sortir. >>(Il s'agit de la fonction de /îmü-éponyme : voir face ]11 16. ) 4. .LJ(H,n' 137; et voir J. Nougayrol dans O.LZ51, 1956,p. 41. 5. C'est le <<titre >>de la tablette en question : ligne 29. Sur pæræsia,voir plus loin, p. 140et n. 3. 6. Pour ]a cjéromanciehittite, voir C7#. p. 98 : 572; 99 : 577 s. 7. Syr/a 33, 1956,p. 17 s. et 175s.; avecles notes et corrections de B. Landsberger dans MZ.KÀ/ 56, 1960,p. 127 s. 8. Mot à mot : <<un peseur d'argent ». Dans cepays où le poids exact de la monnaie métallique n'était point garanti par'l'État, <<peser» ({aq(î/œJle métal constituait obligatoirement le premier temps de l'échange monétaire. 9. Landsberger, /oc. cï/., p. 128 s. 10. Autre jeu astrologiqueavectirage au sort dansSyria, /oc. cï/., p. 177s. 122 tenue pour quelque chose de futile et d'insigniôant -- ce.que le << jeu » n'était du reste apparemment pas, au bout du compte, dans le pays 4 L'un et l'autre mettaient en action la volonté et l'enGaGedivines : le Desfïn -- même si de telles grandes vérités n'étaient pas toujours nécessairement présentes à la pensée des joueurs et des pratiquant! de la {<divination pour tous )>.Eiïcore de nosjours, bien desgensse font des réussitesavec le vague espoir d'entrevoir, au travers, ce que 1. .Z).,47', 11,P. 547s. 2. Ce mot n'existe pasen accadien. 3. On verra plus loin, p. 188, qu'au bout du compte c'est en quelque sorte à ce <<oui » ou <<non >>que se sont réduites toutes les apodoses divinatoires. 4. Sans liante le faut-il rattacher à ce goût du « duel de prestige » et de la « rivalité noble » qui semble marquer profondément, dès.les plus vieux temps où nous.en avons une connaissance historique, la civilisation mésopotamienne, et qui se traduit aussi bien dans le domaine éëlonomique que littéraire. Voir dæ/zzyaùe/970-797/, p. 104. 123 JEAN BOTTERO l'avenir leur réserve,sanspour autant faire appel explicite à toute une métaphysique ou une théologie. Encore moins faudrait-il penser que la propre existence d'une divination déductive vulgariséeait entamé le moins du monde la haute idée que l'on s'est toujours faite, et jusqu'au bout, en Mésopo- tamie, de la divination tout court, et en particulier de la divination déductive. L'adaptation de cette dernière au tout-venant est seulement une preuve du crédit qu'on lui accordait partout et du besoin qu'en ressentait tout le monde. Même de nos jours, l'existence d'une médecine popularisée et parallèle n'a jamais ébranlé l'autorité de la méde- cine savanteni fait baisserle moins du monde les revenus des médecins -- il est vrai qu'ils y veillent... Certes, en étendant son inRuenœ, la divination a pu perdre quelque peu de sa hauteur; pourtant, son importance éclate toujours dans l'énorme massede littérature qui lui a été consacrée, jusqu'aux derniersmoments,en Mésopotamie,et dans le fait avéré que non seulement cette dernière l'a répandue autour d'elle et laisséeaprès elle comme un de sesapanagesles plus originaux et les plus riches, mais qu'elle y a mêmedécouvertasseztôt, pour elle et pour ses héritiers, les premiers linéaments d'un véritable esprit scientiûque. SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES a. Son aspect scielttjfique et technique Le premier de cestraits est le caractère d'abord technique et comme <(séculier>>,disons<<scientifique>>,de la divination déductive-- en parlant de préférenœ, comme il se doit, de ses formes hautes, et non abâtardies à l'usage du tout-venant. Cette qualité éclatedéjà dans les traités. Parmi les dizainesde milliers de présages qu'ils enregistrent, jamais les dieux n'apparaissent pour commanderdirectementou non le passagedu présage'àl'oracle. L'apodose est tirée immédiatement de la protase, parce qu'elle y était plus ou moins contenue, selon une logique qui nous échappe souvent, mais qui, à vue de pays, n'a rien de théocentrique : ce que nous pou- vons savoir des raisons du passageà l'apodose exclut l'intervention d'une cause surnaturelle, ou même extrinsèque. C'est vraiment parce que <<Vénus s'est attardée à son zénith >>qu'il faut s'attendre à l' <(ar- rêt des pluies )>;et parce que <<le premier de l'An un serpent... avant que personne l'ait aperçu, a fixé du regard un homme >>que <<cet hommedoit mourir dansl'année»; et la promessed' <<un fils >>est bel et bien impliquée dans le fait que son futur père a rêvé qu' « on lui remettait un sceau>>,de même que l'assurance d'un <<meurtre commis par un personnage-importantsur la personnede son Seigneur>>est iéritablëment extraite du fait que<<sur le Point-fort >>du Foie de la victime se trouvait marquée << une croix >>.. IV. LA PKATÏQUE DIVINATOIRE Il n'est pas question, à cette heure, de rechercher dans les textes de la pratique une idée générale de la mise en œuvre de la divination déductive. Devant la complexité de cette dernière -- ici de simple observation, et par conséquent liée à l'apparition plus ou moins casue1le du présage;là plus ou moins rattachéeà de certainsactes du culte dont on pouvait à l'aise axer le lieu et le moment; tantôt réclamant sans faute l'intervention d'experts familiers de traités compliqués; tantôt pratiquée à convenancepar à peu près n'importe La même absence de toute donnée proprement religieuse est peutêtre plus sensible dans les comptes rendus d'opérations de mantique déductive. En voici un, du XVMe siècle(archives de Mari), encore plus démonstratif que ceux qu'on a pu lire plus haut, parce qu'il n'est pas un simple procès-verbal d'autopsie, mais, beaucoup plus complet, va de la question à la réponseet englobe toute une consultation divinatoire. En outre, extrait d'une !ettre (d'un certain Erîb-Sîn, évidem' ment un devin que le roi de Mari avait chargé d'accompagnerses troupes et qui rend ici compte de son activité), il présentede cette dernière un tableau fort réaliste et vivant qui en n'importe quelle occasion, sans compter le choix possible A nouveau, une secondefois, j'ai donc procédé comme suit notre propos n'étant ici que de marquer la structure essentiellede la la battra ou la fera battre û?(Oui ou) non, la stoppera-t-il,par de techniques multiples --, on voit beaucoup mieux à quel point le dossier est insuûisant pour un tableau même approximatif. Surtout, divination, rapportéeà ]a mentalité de ses adeptes,nous n'avons à chercher encore, dans tout ce que nous savons de son exercice, que <{ Est-ce-que, (oui ou) non, l'armée de Monseigneur, qu'il a expédiée à la rencontre de Uammurabi, ce dernier la capturera, 1. Dans le texte, seule la négative est posée, comme si Erîb-Sîn préférait n'envisager les traits propres à la mieux définir en elle-mêmeet comme système. explicitement que l'avenir favorable; mais il est bien évident qu'ea réalité il posait la 124 125 questionsur lë plan alternatif. SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES JEAN BOTTÉRO des moyens hostiles ou de bonne entente? Comme ils ont passé, sainset saufs, la grand-porte de Mari, la repasseront-ils sains peut-être aussi la <<Sécurité >>et le <{ Secret 1 >>.Normalement, avait le Regard i; il y avait le Chemin; la Porte du Palais était normale a; il y avait le Secret; la Sécurité était dédoublée; le nullement, folies güo/ïei, ces valeurs omineuses.Il n'en communique et saufs? >>J'ai alors traité les présages. Dans le premier, il y si l'on en croit les traités, chaque détail signiÊcatif d'un point oraculaire constitue un présage et donne un oracle : le devin, ici 2, ne mentionne même pas le résultat anal, sans doute parce qu'il l'a trouvé conÊrmé Pied (?) était tourné vers [la Membrane (?)] du Creuset; l 'Assise du Pasteur était liée à droite [et détachée à gauche?]; il y avait le Choc-du-Front de l'Ennemi[... ] ; la partie gauche du Doigt était brisée ; l'Excroissance [...] ; ]es Parties-hautes étaient par le contre-examen.Car il procèdeaussitôt, commeGétait apparem' [.-]; le Cheminétait normal; ]a Demeurede gauche[...]; ]a façon de balance entre les éléments favorables et défavorables de ment la règle, à la vériôcatioïi épïgï/fu 3) sur une secondevictime, dont il détaille l'autopsie comme il avait fait pour la première..A la. ûn, seulement,il donne le résultat général : le roi n'a pas à s'inquiéter normales. Dans (la pièce traitée pour) mon contre-examen, pour Porte du Palais [était normale (?); ]'Assise du Pasteur (?)] était détachée à droite [et liée à gauche(?)] ; à la gauche de [... ]e/]a...] l'épreuve et de la contre-épreuve. Il est possible que le devin lui:même, grâce au détail de son examen, se soit fait une idée plus nuancée de la était fendu(e) [...] ; il y avait l'Implantation du Trône; ]e Doigt était normal; l'Excroissanceétait très renforcée(?); les Poumons étaient normaux; le Cœur était normal; les Partieshautes étaient normales. (En conséquence), Monseigneur ne doit pas s'inquiéter au sujet de son arméea. L'opération divinatoire est ici complète.Elle est faite dansun but défini, marqué en toutes lettres et mêmeavec un certain détail, au son armée. Sans doute a-t-il tiré cette conclusion. .d'une situation à venir, répondant mieux au détail du questionnaireposé en tête de l'opération; mais ce détail, il ne le précisepas ici : il se contente. en somme -- et sans doute est-ce là ce qu'avant tout l'on attendait de lui, comme d'un médecin, à qui personne ne songerait à demanderautre choseque le fïn mot du diagnosticou du pronostic de donnerau roi, en'l'occurrenœ,le <<feu vert >>,commeil aurait donné le <<feu rouge >>en cas de résultat ûnalement défavorable. début : quel sera le sort précis que réserve à l'armée de Mari sa ren- contre avec le roi de Babylone? Capture? Défaite? Par llammürabi en personne,-ousesalliés? Choc hostile, ou arrêt des hostilités par entente pacifique? Retour en bon état à Mari? Le devin <<traite 4 >>d'abord une première victime rmaërfrœ,),dont il se contente d'énumérer les sites oraculaires qu'il y a relevés,en notant leur présenceou leur état, mantiquement significatifs. Il y en a une douzaine, dont certains portent une dénominationqui paraît tirée de l'oracle essentielqu'ils contiennent : ainsi le <<Choc-du'Front de l'Ennemi >>,probablement l' <<Assise du Pasteur 5 )>,et, plus loin, l' <{ Implantation du Trône )>, 1. Sur ces termestechniques : « Regard», <<Chemin», « Porte du Palais», etc., voir déjà plus haut, p. 73, n. 1, 75, 115. Certains sont assezclairement identiâables, comme le <( Chemin >>,qui est le canal cholédoque (ci-dessus,p. 115, n. 8); d'autres restent a!. Ses techniciens En toute cetteprocédure,ni le nom desdieux n'a été prononcé une seulefois. ni leur intervention n'a été mise en cause-- et c'est justement toute la différence d'avec îa divination .inspirée. Dans l'exerciceformel et essentielde sesfonctions, le devin, au contraire de l' <<extatique >>,ne recourait pas aux dieux : il procédait comme un savant, lequel, examinant des faits, en tirait/a co/zc/zïsïon g ï e/z décozz- /aff selon'la logique interne de sa propre science.Et il n'était en vérité pas autre chose qu'un savant. Tout ce qui nous est resté par ailleurs des antiques devins de Mésopotamie nous le conûrme largement. obscurs.Quelques-uns(voir un peu plus loin) semblent tirer leur nom de leur signification omineuse. Le détail de leur identiûcation anatomique n'a ici aucune importance. 2. Mot à mot (et de mêmedansla suitedu texte,passim): <(intact(e)», c'est-à- dire sans particularité anormale et donc omineuse. 3. A 4222, publié par G. Dossin et J. Nougayrol dans ./CS 21, 1967,p. 229 s. : la partie ici traduite commence au revers 6(p. 231) et va jusqu'à la fin du document. 1. 0n trouve assez fréquemment prévues dans les. apodoses, soit la sécurité du pays fiu/mwJ.soit la trahison d'un secretd'État. rpïrflrH;; lci, le <{suret >>porte un autre nom, plus ou moins synonyme : .pæzræ, que je n'ai pas rencontré, comme tel, dans les 4.. Verbe.epêræ<<faire »; sur ce senstechnique,voir ë.4.Z),E, p. 229 a, et H.17w, apodoses. 5. Plus ou moins parallèle, sémantiquement,à l' « Implantation du Trône », si :âl note surligne p.226 b-227 a. l'on tient compte que <<Pasteur >>était en Mésopotamie une qualiûcation assez courante du souverain. 126 6. X$Hl!:i%H3Ûœ'xi$Î*î 127 Èl:;: JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, Nous connaissonsun certain nombre de qualificatifs pour désigner divination déductive ï, mais les plus notables sont gé'i/œ et surtout ôôrü. Le premier (en sumérien premier(en sumérien ENsï, marqué ces spécialistes de la EN.ME.LI D, signiôe probablement 3 << celui qui interroge », <(consulte » ou << enquête >> allusion, sansdoute, au travail de réflexion sur les présages, peut être plus précisément ceux qui étaient tirés des songes 4 Ces Xê'ï/zzsont connus depuis le début du Be millénaire, non seulement dans le monde monde paréo-babyloniens, paréo-babylonienô, mais mais aussi paréo-assyi'iene. La fréquence relative du féminin à l'époque ancienne 7 laisserait entendre que c'était alors une vocation réservéesurtout aux femmes, et peut- être relevait-elleplus ou moins, anciennement,ou localement.de la divination inspiréeô. Plus tard, les JÔ'î/u, que l'on voit recourir, èsqualités, à diverses techniques de divination déductive, comme l'oni- 1. Ainsi les dëgiJfffûrî et les Jæ'f/ï.{. a/t/gælv.mzg citésplushaut, p. 121,n. 5; lfs mûdê /êrfï <<experts en présage(s)>>(.4Æu',p. 666 b; c'est aussi un nom'du ôôr&, qui SIGNES, ÉCRITURES romandeet la libanomancie!, semblent. avoir joué un rôle toujours secondaire par rapport à celui des bôrï2a. Ces derniers étaient lës devins par excellence, les grands spécialistes de la divination déductiÿëet savante.Leur nom arcadien, que l'on traduit encore parfois errôDément par <<voyant 3 », signiûe en réalit1 <<examinateur )>, du verbe verbe ôarï2 ôarü ; <<examiner, inspecter, observer }>, sans rien de commun avec la voyance 4. Il les rattache ainsi a l'acte premier de la mantique l'ationnelle en général : examiner lës présages -- pour en tirer les oracles qu 'ils contiennent. En sumérien, le plus souvent s, dès la fin du Ule millénaire, on disait wÂË.gu.cïo.aïo, dont le sens: <<celui qui porte la main au chevreau6 », montre qu'à l'origèneles bôrü ont été essentiellementdes aruspicesv. Mais ils n'ont guère tardé à étendre le champ de leur activité à toutes les mantiques déductives.A la dilïérencede l'état de JÔ'ï/u,le leur sembleavoir été réservé plus exclusivement aux hommes on n'en connaît le féminin qu'une fois au début du Ue millénaire, et deux ou trois fois au premier devait être par excellence <( connaisseur de présages )>); et ceux qu'énumère la nomen- clature numéro-accadienne intitulée ï.ü: la(tabl. i1, 3Qfragment : 22 s.; voir B. Landsbergçr, ]tZaferïaZs/or rÆe Szrnzenaæl,exïcaæ, Xll, p. 120),'c'est-à-savoir, après le paragraphe consacré au àc2ra, outre le ôôrl2 Xa g frl/zrzf(le <<ôdrû de la fumigation >>,spécialisé.en libanomancie), les divers {U'f/æ et la'f/ïa; le mœ JÛ e?emùê, << évocateur de fantômes» ou « nécromant >>et le maïa.ëæriæ/zæ/e, « éclaircisseurde songes>> ou « oniromancien ». Peut-être leur faut-il ajouter d'autres techniciens,comme ceux de ï. .,4.Zïw, p. 684 b, s. v. mæ.ibÆÆ'œ. 2. Ils sont à plus d'une reprise mentionnéscôte à côte : voir le texte cité p. 73 n. 7; et ]esvers 1 52 et Il 6 s. du .Lœd/œ/ ôê/ /zêmegi,dans .BMZ, p. 32 s., 38 s.; autres réf., îb/d, p. 284,note sur 52. 3. Ainsi encore J. Ronger, dans Z,4 59, 1969, p. 204 : <<Seher ». 4. C'H.Z),B, p.115 s. l'exorcisme et du <<diagnostic >>rôJïpK, maimajXuJ, généralementoccupés à l'expulsion de maux en tous genrespar le moyeïi d' <<incantations », mais qui, selonleur <<programme >>(.K:4R,no 44 : voir la ligne 2 s. du revers), devaient également être veinés'dans 1)]WH,p. 51 s. (A. Falkenstein);voir aussiplus bas,note 6; on trouve aussi,à partir du traduction de ce texte dans 24 30, 1915-1916,p. 210 s. Mais nous connaissonsencore trop mal ces divers personnages,leur hiérarchie et leurs relations mutuelles, pour plr/Jra) la mantique,tout au moinsles oraclesà tirer des oiseauxet du bétail, ainsi que des.<(rumeursoraculaires>>(ci-dessus, p. 98 et n. 3) : voir la transcriptionet'la nous faire une idée exacte de leur place dans l'exercice de la divination déductive 2. .Voir CH.D, E, p.. 170 b et .XÆw, p. 219 b : s. v. en.îü. Un synonyme possible pour- rait être edamma(p. 22 a et 184 b des dictionnaires cités). 3. Le verbe correspondant est Xa'ô/æ,<<interroger », mais la graphie cunéiforme ne permet pas de savoir aveccertitude s'il s'agit du participe passifàa'f7œ.: <<celui qui est interrogé, à qui l'on pose desquestions(surles présages,ou sur l'avenir) )>,ou du participe présent iæ'i/# = << celui qui interroge(les présages)>>.C'est çe dernier que nous supposerons ici. 4..Pour l!.spécialisation oniromantique des iæ'//a, voir .Z)team.î,p. 221 s.; et Z,4 59, 1969, p. 217 s. Voir aussi ci-dessus le texte cité p. 73, n. 7. 5. Réf. /oc. cïf. de Z.4 59. : n' 228; et Akram milieu du He :millénaire, les sumérogrammes LÜ.EAL, l.Ü.AD.UAL, dont le sens n'est pas clair (allusion au <<secret >>de la science divinatoire, à son ëaraçtère plus ou moins ésotérique et réservé à un petit nombre? AD.yAL marque normalement le <<secret » : CL4D, B, p. 121 a. 6. A. Falkenstein, /oc. cïf., p. 45 s. 7. La liste LÜ : la, citéep. 128,n. 1, aux lignes 14' s. de la p. 119 s., traduit par Z)drû,non seulementl'aruspice, mais <<celui-qui-connaît (?) les remèdes)>(?) (mot à mot <<les potions >>): A.zu, nom du médecin(il arrive de fait, çà et là, que le bôfü appa- raisse, mais seulementcomme diagnosticien, parmi les textes médicaux : cf. ,4S 16, p. 303, n. 14); <<celui-qui-connaît (?) l'huile >>: ï.zu, allusion vraisemblable à la lécanomancie (voir du reste ô/. ï, p. 39 s.; et R.4 61, 1967, p. 35 s. : 6); <<celui-qui-connaît (?) [es ]WE», expressiondont ]e sensprécis n'est pas connu : on a penséà « orac]es>>, <<présages >>(voir déjà plus haut p. 128, n. 1: mûdê rêr/f, et camp. .DJ14H,p. 52 et n. 2), maisrien n'est moins certain. La mêmeliste(p. 201 : 22'), parle d'un ôôrlZ32zgufriÆi : libanomancien (voir ci-dessus,p. 128, n. 1) et CHZ), B p. 122 b : 3'); tandis que d'autres témoignagesfont du même ôôrü un ornithomancien (R.4 61, p. 35 s. : 7-10), un <<chronomançien )>(ïbïd. ; 2; sur la <{ chronomancie >>,voir ci-dessus, p. 104), et un astrologue 6. .d//a.ç.ç..Re/, p. 72 b. . 7...Eq paléo-assyrien,seul le féminin est connu; pour le paléo-babylonien,voir p'HS, XVI S P 5. Autres désignations sumériennes : Azu/ÏJZÜ, A.zu, Ï.zu, ME.zu, gIM.MÜ,dans Al-Zeebari, .4/r6aôy/o fscÆe .Brl(:ôe des /raïs MKsezimi, n 8. Par exempledans une lettre paréo-assyrienne(7CZ,, IV : n' 5 4 s.), sont mises ensemble la 3'ô'f//zi,la.-bôrîræ-- voir ici, plus loin, p. 129 et n. 7 -- et les'Esprits-desTrépassés, comme si les opérations des deux premières n'étaient pas tellement loin de 11nécromancie(ci-dessus, p. 97). Sur une <<spécialisation >>archaïque imaginable de la divination inspirée chez les femmes, voir ci-dessus,p. 95 n. 1,2. 128 (ïbid. ; 3 s.; voir du reste DMd, p. 92, n. 4), voire un tératomancien(C. H. W. Joins, .Hssy/la/z .Deeds a/zd .Dock/zzenr.ÿ,Il : n' 944 Il 4; et .,4.B.L,Vll : n' 688, notamment ligne 6 s. -- traduction dans tef/e/r, J, p. 26 s., no 39). Nous verrons du reste (p. ï33) que le ôôra, obligé de procéder souvent à des contre-examens,devait pratiquer plut ou moins toutesles màntiques, aân de pouvoir vériâer les résultats de l'une par l'autre, sinon toujours par lui-même, au moins en recourant au technicien approprié -- un peu comme nos médecins généralistes qui devraient en savoir assezpour choisir un bon spécialiste dans les cas difficiles. 8. C'H.Z),B, p. 112 b, s..v. Z)ôrüK. 129 JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES Au Ule millénaire,le rôle du MÂg.Ëu.GÎD.aîo a pu êtretenu,ex c!#îcfo ou à l'occasion, par le souverain 1; mais assezvite, dès l'époque d'Ur 111pour les MÂI.iu.GÏD.GÏo a, le rôle a ete confiéà des spécialistes. Par aventure, ces derniers pouvaient cumuler leur once avec une fonction cléricale3, mais les deux ne se confondaient pas davantage que lorsqu'il s'agissait d'un tout autre miûstère, politique ou adminis- tratif, égalementexercéspar tel ou tel devin : <<chargéd'alaires du roi 4 >>,<<membre du personnel de la porte du palais 5 )>,<<préfet du palais 6 >>... Comme nombre d'autres fonctionnaires et spécialistes, les b(îrü formaient une manière de corporation 7, avec ses responsablesoffi- cielso. N'y étaient admis, semble-t-il, que des gens de haute ou << noble ' )>naissance,jouissant d'une totale intégrité corporelle îo, obligations évidemment crééespar le corps desZ)ôrüeux-mêmes,peu soucieux d'ouvrir à n'importe qui leur mandarinat, au risque de dévaluer leurs privi[èges. ]] faut d'ai]]eurs convenir que ]a seu]e nécessité limi- naire d'interminables étudespour posséderà fond toute la panoplie des traités de la scienceet des manuelsde la pratique divinatoires n, célèbrez. Il n'y en avait pas toujours dans les agglomérations secondaires'2,mais les villes, surtout d'une certaine importance politique a, en comptaient un certain nombre, et même parfois beaucoup trop, comme le laisse entendre un présage de la lre.tablette du Jumma ô/u. qui voit là?.non sans humour, une menace de <(décadence >>rsapéézlJ pourra villes Rien ne dit qu'ils aient été rattachés à un temple, à un sanctuaire, et encore moins à un de ces<{oracles )>,au sensgrec du terme, inconnus dans le pays5. Si certains épisodesde l'examen divinatoire 'pouvaient coïncider avecdes moments de la liturgie ofhcielle 6 et, par conséquent, se dérouler au lieu par excellencedu culte, avec, de ce point de vue, une préférence possible pour tels ou tels sanctuaires 7, il arrivait aux devins d'ofHcier ailleurs, par exemple au palais 8. En réalité, c'est sansdoute là surtout qu'était leur point d'attache : ils étaient au service du roi 9, qu'ils suivaient même en ses déplacements, et surtout dans..sesexpéditions militaires 10. Soit dit par parenthèse,une telle mobilité démontre combienpeu localisé était l'exercice de leur art. En tout cas, assimilés comme on vient de les voir au personnel du palais et du roi, ils étaient donc, en tant que ôôrü, tout à fait <<sécu- avec le présupposé, dqà fort chargé en soi-même, de l'usage courant, tout au moins de la lecture, sinon de l'écriture, eussentsuM à décourager nombre de vocations. liers >> et profanes, non moins même Chaque ôôrî2 était donc une sorte de (haut) fonctionnaire î', occupant une <(charge :a >><<de tous les joursîû >>,et qui parfois s'y rendait texte de Mari cité plus haut nous a permis d'entrevoir les approches [. A. Fa]kenstein, dans .D ]W], p. 48 s. Au ]'' ($68-627), qui« 11, p. 362 : voulut 2. A. Falkenstein, /oc. c/z'.,p. 46. )>(M. Streck, .4ssærôaæfpa/, 3: <( Tablette cultuelle de Sippar )>(dans ' W. Ring, Baby/onfa/z .jazz/zdary Sfopzes lignes 16, etc. 4. ..4.R]U, Vll, p. 235, n. 1, et .Z)JWH,p. 92. S. R. Fmnkena, Brf(gë airs de/?z.BrffisÆ.4/KseKmi,p. 10 s. : n' 17, lignes 13-15. 6. R.4 53, 1959, p. 58 : 7, et sur ce personnage (Asqudum), voir i)À/l, p. 92. 7. Celle desmdr ôôrê(mot à mot : <(ûls de ô4rû >>,idiotisme qui n'implique nulle- ment une charge héréditaire) : réf. dans Z.4 59, 1969, p. 214, n. '1009. 8. MaÆÏ/ ôô/ê, 32@ïr&drê ; <(chef des ôôrû », « commandait des ôôrû >>(réf. fôfd., n. 1010 s.), et plus tard, raôî bôrê ; <(supérieur des ôôr >>(C.4D, B, p. 125 b). 9. Mot à mot : <<pure >>: e//H (voir CHI), E, p. 105 : 3 a); il'ne s'agit point de {'appartenance à une aristocratie, qui n'existait pas'dans le pays, mais seulement à une famille aisée et indépendante. IO. .8B.R, p. 118 : n' 24 27 s. 11. Allusion fbfd, p. 118 : n' 24.22, qui renvoie à p. 96 s. : n' 1-20; comp. Streck, ..4xsœ/üaæ/pa/, 111p: 362 : /, 3 <<... qui a appris la science-du-ô4r#... et C.4.Z), B, p. 132 b. ' et la possède 'à fond », ' 12. On le voit, à l'occasion, au montant de leurs émoluments: Z.,459, 1969,p. 216. 13. mazzaJ/æ.: ligne 16 du document cité à la n. 5. 14. ümœ.ç.çæ .:.,4.B.L, Xll : n' 1247,revers l. 130 î. Selon certaines apodoses divinatoires '' 11'XXXVI, p. 120s.) : 1 22s.; Il 9 s. 16etc.;Pa/aisràlpa/d'C/garé/, IV, p. 201 : 18.02 discipline en elle- Non moins aussi que leur traçai! de spécialistes.De ce dernier, le mi]]énaire, ]e cas du roi Assurbanipal apprendre l'art-et-la-science-du-ôôrà /3), est particulier à ce monarque cultivé et zélé.' ' que leur 2. }''HS,X.VI : n' 22 28 s. yos. xi : n' 46 lv 18; zx 57, 1965, 3.. Camp.,.4RÀ/, V : n' 65 15 s.. avec ïï :. B' 15 ]8 s. (commentés dans -DMd, p. 90; sur le sens.de ?zîf!! parr!, cf..maintenant .41rw, p. 849 a et 851 bj' ' ' " ' -"'' "' ' -' 4. C7',XIXXVlll, pl. 5 .: 92; voir F. Nôtscher,Or;eæ/aÆa 31,p.'48. 5. Seulspouvaient peut-êtrepasserpour lieux oraculaires les emplacementschoisis, au bord du Fleuve, pour acconîplir l'Ordalie-par-le-plongeon : voir Æi/lënu dans ..4Jïw p. !51b,et&uridnzï,B,dans C.4D, H,p 254bs. ' ' ' 6. En paftjculier, pour l'aruspicine,'le sacri6cedes victimes,dont on examinait ]es entrailles ou le ço.mpoEtementaÙ moment de leur mort (ci=dessus,p. 113 s) : voir du reste ]e texte paléo-babylonien de Genouillac, Pre/7?forer RecÀercÆei arcÆeo/agfguei a .Kïc&,,l,pl. 22 : n' B. 295! + r (d'aprèsCHD,B, p. 121b). ' ' 7..Notammentceuxde cama: et d'Adad (dieux de ]a divination : voir plus loin, P: 137s.); comp. notamment ]VB,r, p. 264 s. : Il 2 s. (Nabonide : 5i6:539). Mais aussi d 'autres, te] ]e.temple ræ <ïaa> P a Émagmag d'lËtâr à Ninive (R.4 14, 191 7, p.'1 74 : 5 -=: lire ôi'fu 3ë ô;- //bôi-3ïZ i-bar-rzï, <<temple où se fait la divination »; cf. du reste CH.D. B. 8. Comme .le soulignent ]es notes.<<fait dans ]e palais neuf >>,etc., de certains rap- ports d'aruspicine : voir P.R7', H's 45. ân: 105. rêve;s 22'etc."' ' ' ''' 9: Textes.citésdans CJ .D,IB,p. 121 ab; et'Z.4 59, 1969,p. 215. [O. ..4.R]W. ]] : n' 22-23's.; certaines 'apodoses 'divinatoires '' '''''"" ]es montrent '-' même prenantPort à la bataille :4yO revers 3. 35'22, et son parallèle A0 7033 dans .R.a 38, Ï31 Y SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES ÆAN BOTTÉRO (la dissection et surtout l'examen des entrailles) et la conclusion (la réponseoraculaire).Nous savons,d'autre part, que la partie principrince pale, commune apparemment à toutes les techniques de divination déductive, c'est-à-savoir l'étude proprement dite des présages,était chaqueconsultation importante par une contre-épreuveî, laquelle ne sefaisait du reste pas obligatoirement au moyen de la même technique q une besogne complexe, parfois longue l et qui pouvait réclamer la Il s'agissait d'abord de <(rassembler les présages )>Ï'/êrê// kuppzzrzz)' ! l c'est-à-dire de dresser l'état de tout ce qui avait été observé d'omineux. Ensuite, pour les <<estimer >>,les <<juger )>,en pondérer la valeur omineuse rgufôôzi/u-ûJ,sans doute pouvait-on consulter les traités ô, parfois J rer un élémentpar l'autre et tirer du tout, par une sorte de calcul, l régis!! >>l'avenir<( judiciaire >>promis par la divination(voir à ce propos, plus loin, \ '1 '1 '1 l On le voit à la minutie descomptesrendus de cesopérations,tel ceux qui sont déôni ci-dessus,n. 4, devait, sur un autre plan, intervenir de nouveau ici. P IO. lzia iamî'; <<une seconde fois »; }ànû ; <( répéter >>(1'opération) 49 s [[. : voir ÔI., l, Voir ]e texte du ritue] du bôrÆcité ÏZ)id., p. 50, et comp. peut-être .J .RÀ/, ]]] n' 30, 11, où il sembleque, par sécurité,les présagesaient été pris trois jours de suite, pour savoir si la moissonse déroulerait bien. 132 <<rêve » que nous raconte Nabonide ': voir S)mZ)o/ae P. .Kb.sc&aÆer,p 162 s.; comp. aussi un autre rêve du même roi, traduit et discuté par L. Oppenheim, op. cïr., p. 25Œ n et p 3. Voir ]e textecité par C,4.D,E, p. 51 a, s.v. On trouveaussimentionde fautes professionnelles plus graves.Une lettre à Âsarhaddon(680-669),publiée récemment (Irai 34, 1972,p. 21 s.) par S. Parpola, est édiûante à ce sujet(j 'eiï dois la référence à l'amitié de M"' F. Malbran).Elle rapporteune sortede complotdu silenceentre ordres du souverain. Il est probable quelcette dissimulation de renseignementsavait un but politique et faisait partie d'une de ces multiples formes d' « opposition >>au pouvoir royal, amplementattestées,par les apodosesdivinatoires enparticulier, et dont la divination inspirée elle-mêmepouvait trahir des manifestations plus subtiles, ou indi- 3. ,4.RIU.Il : n' 2228 s. où l'on trouvera d'autres textes analoguesde« balance»). Le<<jugement )> rr rêô /#) de l'interaction des techniques,comme l'astrologie' intervenaiït pour trancher des problèmeslaissésirrésolus par i'extispicine, ou vice-versa, est donné par le fameux ainsi touchant le roi et le dauphin, ce qui constitue une désobéissaïice formelle aux 2. Voir ..4/za/o/ïa/z S/a(#e.ÿ5, 1955,p. 104 : 108 ; .dsara.,p. 82 : revers20 s. Q 1) l'71a 9. Voir par exempleCr, XXXI, pl. 46 : 13 et 14(traduits dans CAofx,1, p. 59, tispi!ine væere rêve(selon L. Oppenheim, l)reami, p. 205 b s.). Un exemplecélèbre « un aruspice )>,.<< qui sacriâe ses agneaux », et <<deux astrologues », <<qui examinent le ciel joué et nuit », mais sans rien communiquer à qui de droit'de ce qu'iis apprennent rapportés p. 75 et 125 s. 7. Report\', n' 251 5 (comp. IKO 14, 1941-1944,p. 340 b). 2. Voir ci-dessus, p. .73 s., et également,pour Mari, p. 91 et lettrescitées.n. 4 .4merfcaæOr/e/z/a/ Socïery 38, 1918, p. 82 s., où seraient exposées des opérations d'ex- '\ pl. 37 : K 798, revers 4. p'.142 s.). Comp. du reste C. J. Gadd, Babylonian Divinatory Methods, p. 27 s. de Sur les rapports. mutuels de plusieurs techniques divinatoires, voir .DIWH,p. 32 s. (notamment n. 9), ainsi que le texte cassineétudié par H. F. Lutz dans JaLr#a/ of quelles nous aurons à revenir, pouvaient comporter des <<reprises îo )>, voire multiples n; la règle, au moins, semble avoir été de vérifier 6. C7', XIXVlll, entendre, qu'il est au-dessusde mes forces de le trancher ô. 1. Pfgïrrœ,.pagôdæ, signalés.ci-dessus,p. 127 et n. 3. On pouvait même parfois l 4. C,4D, A/l, p. 27 a et s. : notamment 10 b 5. Citations de passages de traités divinatoires dans ]es lettres-réponsesà desconsultations ou les rapports : .X.B.[, n'' 355; 470; 519; 565; 679; 744; 1080; 1214;et .Reports, n's 111: 114A: 176: 207: 212A: 221: 235: 264: 272. etc. piques (?) si embrouillés... et le problème si ardu et diMcile à réitérés,lorsque le premier était défavorable, aient eu pour but d'obtenir malgré tout un bon présage,et par conséquent,d'une façon ou d'uné autre, commeles conjurationsnam&Hrôû(voir p. 80), aient goumi un moyen de <( tourner >> ou dë << faire sujet) 7 >>.Mais, comme nous le verrons mieux plus loin ô, toute cette casuistique ne fournissait que les paradigmes d'une science dont les principes non écrits devaient permettre de résoudre /ous les cas c'est lace aux imprévus qu'un bon (devin montrait son métier ». comme un bon médecin devant un syndrome inattendu ou Jamais décrit Chaque présage étant ainsi résolu en son oracle, il fallait au Z)ôrü, comme un parallélogramme des forces 9 qui donnait la réponse Tout devin que je suis, (j'ai trouvé) mes présages-hépatosco- pisser à un troisième examen(CT, XX, pl. 46 : 11128 s.). Il est possible que çes e)iamens omineuse en question : <((Dans les traités) il n'y a rien d'écrit (à ce ln rll l PÂTIrltl Dosée.l)e telles Opérations.sur la logique desanale à la question cédaitla place à plusfort quelui ] ponts 6 >>;parfois en vain, au moins pour retrouver l'exacte situation le cas échéant,équilibrer ce contenu oraculaire composite, en pondé' Au long de cette étude, et comme pour en accuser le caractère humain et faillible, pouvaient se glisser des <{négligences >>r'egü/æJ3 surgir des complications inattendues, voire des discussionsentre gens un a moine de métier 4. On même aes des cas où l'opérateur déclarait forfait et compétenceet l'attention de plus d'un bôrü à la fois a. au prix de recherchesplus ou moins fastidieuses au sein de cet énorme fatras :<< J'ai repéré ce présage dans la tablette traitant des ser- divinatoire 2 rectes, dans la mesure où -- comme, par exemple, en notre propre Moyen Age -- les '] <<voyants >>traduisaient une certaine'« opinioiï publique >>,du peuple ou du clergé. 4...C'est peut-être ainsi qu'il faut entendre une apodose qui réparait plusieurs fois dès l'époque ancienne : HÜëôr ôôrê (rOS, X : n' 3Î, 11123;'VI 4ë etc.) 1 <(indécision des devins >>(C.4D. B, p. 123'b), ou <(disputes/discussions entre devins>>(ÀJïw, p. 791 b : B 3): Camp. du reste le texte cité par L. Oppenheim, .4Pzcfeizf À/eiopafamfa p. 369, e: 74, et commenté p. 227(trad. fr. p. 376 et 236). A. Reisner, SumeÜscÆ-baàJ,lbnïscÆe .27ym/ze/z..., p. 8, n' 4 : 52 s., marque que les devins pouvaient forfaire à leur métier et « mentir >>. 5. Joœrna/ o/ fÆe Roya/ .4sfaffc Sache/y, Ce/zf. sapé/, pl. 3, revers 2; voir aussi .BMZ, p: 32 : 52; 38 : 6; 44 : 109, où il est fait allusion à l'impuissance ou à l'incapacité desdevins; et, par ex. JC, Il' suppl. : LXl1 30 : « les ôôrü ne font aucune réponse aux présages». 133 T b JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, . ÉCRITURES IJn médecin, un mathématicien, un juriste n'eussent pas procédé, opéra/ions divinatoires fiques. liturgique )>,où le cérémonialétait à sa place. Et pourtant l'immersion que nous constatons là dans la croyance religieuseet la piété, il semble que nous devions l'étendre à tout exercice de mantique raisonné ni parlé autrement. Comme technique, la divination déductiveétait donc aussi <<laïque >>que ces disciplines scienti- : : les seules que nous connaissions un peu mieux semblent être justement celles qui tiennent de la <{ divination déductive. La belle<<prière>>ancienne dont on a pu lire, p. 78, quelques lignes ne fait pas la moindre allusion à un sacrifice sanglant et, b. Son aspect religieux. par sa teneur même, elle semblebien avoir pu se prêter à /ozz/econsul- On aurait toutefois tort de l'imaginer totalement détachée de l'univers <<surnaturel >>.Si, en elle-même et par ses spécialistes, elle ne faisait pas le moins du monde intervenir le monde divin, elle compor- tait au moins une orientation religieuse.Le seul fait que certaines techniques divinatoires sesoient en quelque sorte approprié la matière, voire le rituel d'actesliturgiquesimportants, montre dÿà que l'univers mantique ne pouvait être totalement coupé de la sphèrereligieuse. Nous sommesfort mal renseignés sur les multiples formes que pouvaient prendre -- selon les procédures choisies, selon les types de présages, selon les occasions, selon la qualité des consultants l -- les 1. Les chosesse passaientsansdoute quelque peu autrement si, par exemple, le présage seprésentait tout à coup, mettons un nouveau-né ou un avorton monstrueux « Adresse-toi à Ëamaë-muballiç(lequel était apparemment un ôôrü) et demande:lui une consultation au sujet du veau(né) avecson museausur le dos>>(lettre paléo:llabylonienne : R. Frankena, Tabw/ae 'c iefMormes... de l,labre-Bô#/..., lÿ : n' 50, 22 s.). On pouvait aussi consulter les devins, non devant un présage, mais à l'occasion d'une préoccupation ou d'un projet dont on voulait connaîtreÎ'issue : .l?ar e3emplg,une affaire de santé (J. Nougayrol, et le texte n' 218, pl. LXXXll, JCS 21, 1967, p. 220 : B : 1-2; p. 221 : E : 1:2; etc. ligne 29, de E. M. Grime, Records /ram [/r and ].a/:a? tation mantique. C'est pourquoi, afin de donner une idée du côté religieuxde la divination déductiveen so/zexercice,il est utile de rappeler ici ce que nous savons des pratiques divinatoires, même si nos documents ont chancede se rapporter surtout à celles que nous avons appe]ées <<liturgiques >>. Les conditions de lieu, de temps, de présentation des personnes, d'abord, y trahissent le sentiment du <(sacré>>et la conscienced'une certaine communion avec le monde divin. Nous ne savonspas bien si n'importe quelle consultation divina- toire pouvait se faire n'importe où, encore que ce n'ait pas toujours été obligatoirementdans un sanctuaire,mais elle ne pouvait certainementpas sefaire n'importe quand. Il y avait pour elle <<desmois favorables et des jours propices 2 )>,et d'autres qui ne l'étaient pas 3. Peut-être même certaines heures y étaient-elles plus appropriées que d'autres : surtout les heurescalmesde la nuit 4. Les <<prièresnocturnes >>ou <<aux divinités de la N uit >>,connues depuis l'époque païéo- babylonienne,respirent cette communion avec les dieux que facilite le repas universel de la nature et des hommes Les populations turbulentes sont devenuesmuettes où est mentionné'l'envoide «' cinq moutons au bôrû lorsque (}Ïmillum est tombé ïnalade }>), un problème que posait le bétail (TCL, XVll : n' 27 10-15)! ou.un souci (luelconque(voir A. Goetze, JtS 1:1, 1957, p. 94, raisin) : ici prenaient place }es famlfu Les portes ouvertes (le jour) sont verrouillées..., La Nuit a pris son voile Le palais est sans bruit, la steppe est engourdie... SamaËest rentré en sa chambre ! (voir plus haut, p. 76), et les « questions posées)>aux dieux o6ciellement -- c'est-à-dire au nom du souverain,et non pour un simple particulier(voir ci-dessus,EfZ)id). D.ans le cas des pouvoirs publics, il y avait naturellëmeïit des prises de présages cirëgnstanciées et « sur commande >>(voir 'p. ex. .4.R]W, Il : n' 13ÿ 5-10; et' l)À/.4, p 88 s.). Mais Les Grands ])jeux de la Nuit il est vraisemblable que se t;ouvait instituée une sorte de consultation divinatoire permanente pour faire en quelquemanièreà tout momentle point sur la marche à venir des affaires publiques. Dans ce but, on a dû obliger les fonctionnaires à communiquerd'ofïicë et d.'urgenceaux devins ofËlciels,ou à la cour, les événements 1. Ceque l'on appelaitnêpegfïbôrî (Z.4 59, 1969,p. 208et n. 953). extraordinaires etpar conséquent présumés omineux(ci-dessus, p. 100 s., n. 4, et camp. p. 92, et p. 133,n. 2) dont ils auraient eu connaissance à travers le pays, et à régulariser aussi lest prises de présages», terme qui seréfère à la consultation des.qruspices, avec 2. NBK, p. 220 : 1 50 s. et 226 : Il 60 s. (Nabonide); et comp. .4BZ,,XLII : n' 1278, B 6 s. (trad. dans Ze/fers, 1, p. 288 s., n' 340); .K'HR : n' 151, revers 56; et DIWH, p. 32 ple, lorsqu'on lit le texte cité plus haut(p. 112,n. 1), on a bien l'impie?sion que le cérémonial'liturgique, ûxé d'autre part, était normalement doublé, en.quelque sorte, d'une augure : rCZ,, VI : pl. XIX, n' 9, face, 24. Voir aussi le passagecité p. 165, et n. 1,2. tout ce qu'elle impliquait : sacrifices de victimes, dissection et examen. A Mari, par exem- façon de surveillance divinatoire, avec présence du bôrz2 à côté des sacriûcateurs et examensystématiquepar lui desvictimes(ce qui, soit dit en passant, conârme ïg caractère<< liturgique >; de'l'aruspicine : cf. ci-dessus, p. 112, et n. 2). Tous ces éléments, on le voit, donnaient une variété considérableau cérémonialdesopérations mantiques. 134 ut n. 3 s 3. Ainsi, apparemment, le jour de la fête du dieu local, puisqu'il est de mauvais 4. Voir déjàplushaut,p. 96 et n. 3, où la scène-- il est vrai qu'il s'agit d'incuba- tion =-- sepasseévidemmentde nuit. Nous savonsaussi(voir W. G. Lambert dans/raq 27, 1965,p. 6 : 111,24 s.) que la cérémonieordalique se préparait par une veillée pro- longée 135 T b JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES) ÉCRITURES Le lumineux Gibil, Irra le valeureux, l'Arc, le Joug. le Dragon, paroles. Leur caractère déprécatoire suent, pour l'heure, à nous mon- Le Chariot, la Chèvre,et le Bison et l'Hydre, trer, avectout ce qui précède,à quel point la divination déductive-- Qu'ils se présentent(maintenant) très diÆéremment toutefois de la divination inspirée 1 -- (O vous tous,) dans le présageque je traite... baignait, elle aussi, en quelque sorte, dans une religiosité profonde, et était mise Placez la Vérité î! entre les mains des dieux. D'un autre côté, l'acte divinatoire requérait une certaine prépara- Nombreux sont les dieux qui intervenaient de la sorte, d'une manière tion. Non seulement la victime, quand la procédure choisie en voulait une, devait être, selon la règle a, << rituellement pure et irréprochable >> ou d'une autre, dans les opérations divinatoires, appelésà l'aide ou invoqués par les devins et les fidèles : des moindres, comme Gibil, ('e//æ,Xuk/œ/z/J a, mais le devin lui-même, <<lorsqu'il se proposait d'accomplir pour le roi 4 l'examen-divinatoire,était tenu de se laver d'eau pure dès avant le point du jour, de s'oindre... et de se revêtir d'une robe propres », et nous l'avons entendu protester de sa <(pureté >>au moment où il <<s'approchait de l'assembléedes dieux ressé5,jusqu'aux plus grands : Anu, Sîn,.Nergal 6, Enki et Ninki, sa parèdre, NingiËzida7..., Iftar 8, Annunît 9 et Marduk îo... Quelques divinités mineures semblent avoir été considéréestrès tôt -- par les Irra et les Huit Constellations nocturnes a, Dingir.mab (ou Nin.mab), Ëulpaèa et Papnigingarra a, Urag 4 ou <<le dieu du père >>de l'inté- pour le jugement-divinatoire 6 >>.Si, d'aventure, l'impétrant . lui- théologiens question >>qu'il posait touchant l'avenir 7, il est invraisemblable qu'il n'ait pas dû se mettre lui-même dans un état de pureté rituelle. matière oniromantique, MA.MÜ, mot sumérien qui signifie <<le Rêve n )>; Mais deux dieux semblent avoir été, au moins dès le début du lle mil- on détaillait avec tant de scrupule que leur longue énumération suit lénaire, préposés plus immédiatement aux intérêts de la divination manifestement pas à pas liordre traditionnel de l'examen des entrailles ô. Et surtout, aussi bien <<dans cet agneau )> qu'on allait 1. Danscelle-ci,c'est la divinité qui parle et l'homme n'est qu'un canal; dansla <<consacrer >>et, sans doute plus généralement, <<dans ce présage >> divination déductive,c'est l'llomme qui découvreet déchirée <<la vérité » que le dieu a qu'on allait <<traiter », on suppliait les dieux, nous l'avons vu, de placée dans le présage. 2. Voir Z,4 43, 1936, p. 306 : 14-20. 3. yOS. X : n' 7 21. 32. {( placer la Vérité >>.Nous reviendrons à loisir sur le sensprofond de ces q,. B. S.z\eëh\ex, Tablettes 31tlidiques et administratives... Zprïdge,il, p. 157 : UMM G15 1 (et n. 3). 5. .Bab.y/o/z/aca3, 1910, p. 141 s. : 3. 1. Lignes 24s.du texte transcrit dans .R.d32,.1935,p. .180.Voir égalementL. Oppenheim. A'New Prayer to the « Gods of the Night », dans .a/za/ec/a.B/b//ca12, 1959, 3. Camp. A0 7Ô32(dansR.4 38, 1941,p. 87) : 2 s. : <<Je Vous présente un mouton de-premier-choixet rituellement-pur re//uJ, un agneau:à-l'œiï-vif(?), un agnelet-de-race rfuppâJ plein-de-vie (mot à mot : <{brillant »), à la toison bouclée.:..?} 7. Voir RH 61, 1967,p. 35 s.': 14s. Peut-êtreaussi,selon un rite conçu d'autre : $K$:Ü$8:ŒllË llÆlg:âK:ÈU#* T 8. Voir .R.,438, 1941, p. 85 s. et comp. JCS 2, 1948, p. 21 s. 136 9. ./CS 11, 1957, p. 92 : Clas 1462 a, 2. lO. /bïd., p. 90 : CBS 1462b, 1. 1, et .Baby/o/zfaca 2, 1908, p. 257 s. : 1. Autres divinités, petites ou grandes,dans .BBR,p. 104 s. : 127 s. demeurait 6. Voirie texte cité ci-dessus,p. 78, n. 2. de Maïtchester et de Cam- 6. J'CS 22, 1968,P. 27 : 60 s. 7. R.d 32, 1935,P. 183 : 27 s. 8. J'CS 22, P. 27 : 62. 130 s. 5. .8BR, p. 112 : n' 11, etc., revers 2-5. efHcaces tiquesanciensdeMari et cana i5 en la disséquant, y trouvât seulement des présagesheureux, lesquels sansdoute quand le devin ofElciaitpour un particulier. particulièrement esprit, être-insconsistant >>,qui s'entend lui aussi du rêve n; et sans doute Il faut-il compter ici .Bé/ef-b/rl, <<la Dame-des-examens-divinatoires >>,à laquelle était consacré un mois dans les calendriers sémi- d'aruspicine, de <<préparer >>si bien la victime choisie, que le devin, ' ' 4.'11 s'agit ici du rituel exécuté pour le' souverain, mais l'obligation comme ne nous sont pas connus la, et Zagîÿu, ou Zïgîga, en arcadien <<soufre, née vers les dieux. On demandait à ces derniers, lorsqu'il s'agissait 2. O/tuer za/Crie, p. -- AN.ZA.GAa, autre nom sumériendont l'équivalent arcadienet le sens Ce qui marque le plus le sensreligieux attribué à l'acte divinatoire, ce sont, nous l'avons dÿà dit, les formules et prières qui le précédaient et lui donnaient une coloration profondément dévote et tour- p. 282 s. ou par le populaire dans certains domaines de la connaissanceoraculaire : comme, en même était alors présent, au moins pour <( réciter à haute voix la l 11. Voir .Z)À/J, p. 56. 12. Voir ïbïd. 13. Voir C.,4 .Z),Z, p. 58 s. Pour cesdivinités et leur rôle dans l'interprétation des rêves, voir .area/ns, p. 232 b s. 14.Contre C.4.D,B, p. 265 b. 15. Elle intervient une fois, à Mari, dans une <<révélation » faite en songe: .HRJv, X : n' 51 : 9. Pour sa p]ace dans ]e ca]endrier, voir G. Dessin dans S>rï(z20, ]939, p. 105 s. Elle n'est pas connue ailleurs, et c'est probablement une épithète <(de spécialisation >>de quelque grande déesse, lëtar sans doute. 137 T SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES 6 JEAN BOTTÉRO jugeait toutes les actions humaines, dont pas une n'échappait à son déductive appliquée, tenue.pour présidant aux actes divinatoires et garants de leur résultats : Samaget Adad. C'est eux que l'on « inter- regard 1 : c'est indubitablement en tant que dieu de la Justice que Sa- mai est devenule dieu par excellencede la divination. Nous allons revenir sur cette équivalence. De tout ce qui précède,il ressort donc que, si la divination déductive, rogeait au cours de l'examen-divinatoire (ôîrzi) 1 >>,<<devant qui >>l'on procédait à cet examen, qui aboutissait à ]a <<décision-oraculaire >> épurzlssüJ a, laquelle était prise <<par leur intervention 3 >>et portée sous toutes ses formes, apparaît, par son mëcanfsmeune activité <<à leur commandement 4 >>.C'est pourquoi on les invoquait si souvent comme <<seigneurs-et-maîtres de l'examen-divinatoire >>rôê/ê Z)îrîJ5, du <{ jugement-divinatoire >> rdïnæJ o, de la <<décision-oraculaire disons <( rationnelle >>et, par ses xpëcfa/ïsfei, une technique, et une <<science >>qui trouve en elle-même sa raison d'être et qui, de ce biais, peut être tenue pour quelque chose de formellement <<séculier >>,elle >> était pourtant da/zssa prafïgue imbibée de religiosité a, et mise en (pur isiD 7 et de la <(prière-consécratoire (pour obtenir une telle décision) >>f'iÆrïZ)œ; '. rapports étroits avec le monde divin. A ce point que le devin luîmême, dont nous avons pourtant vu combien la réponse à la question divinatoire dépendaitde son travail, de sesréflexions,de ses L'intervention d'Adad 9 dansle domainemantiquen'est pas facile à expliquer : c'était premièrement un dieu de la Tempête, de la Pluie, de l;éclair, de l'Orage îo. La clé du mystère est peut-être à chercher études,de son application de la méthode et de la logique propres à sa dans un usage emprunté aux Sémites de l'Ouest, puisqu' Adad était une divinité purement sémitiquen, comme SamaË.Ce dernier, <<science )>, n'était en revanche, se trouvait ici tout à fait chez lui, et du reste il occupait traditionnellement, depuis au moins la première moitié du Ue millé- naire, la place d'honneur dans le domaine mantique, et. Adad n'y rant tout de son impitoyable lumière universelle, révélait, scrutait et 3. S}'HT,p. lO :2;.4BÉ,l:n' et 226 Il 61 (Nabonide). 2,7s.(Ëerfers,p 88 s, n' 121); .. /VB.K,p. Ce c. Son aspectjudiciaire 1. ..4sarÀ.,p. 40 : 13; S]/H7', p. 4 : 14, et surtout 10 : 1; C7', XXXIV, PI. 31 1153; 2. BBR, p. 118 : no 24, 29; .41rP, P 882 s.v. que comme un ïnrermédïaïre. en Mésopotamie. était que son assesseurla. C'était en eÆetle dieu du Soleil îs qui, éclai- BBR 206 : n' 88 revers6 s. tenu, en somme, n'était pas lui que l'on consultait, mais /es(ceuxpar /œïa; et ce n'était pas lui qui répondait, mais /es dieux par /uï 4 : <<J'ai consulté Samai par l'agneau du devin 5 )>. Nous comprendrons peut-être plus loin la raison profonde de cette bipolarité de la divination <<rationnelle )> Reste un point que les documents de la pratique nous mettent en ... . .. lumière et qui représente peut-être le propre patron, le modèle men- zzu l )u s. tal, l'fc/ëeprclAo/zde que les vieux Mésopotamiensse sont faite de la 4. D. D. Luckenbill, Tbe .4nna/sof Sennac&erfô,p. 135 : 4 s. et 140 : 3 et 8 s., etc. 5. V. Rawlison, pl. 33 : Vl11 32-34; Bl?R, P. 104 s. : 124; ÀTBK,.p.264 : Il 2; et 270 : Il 34 s. (Nabonide); A.T. Clay, yOS, 1 : n' 45 1 14 et 23 (Nabonide). 6. L W. King, .Bzzôy/a/z;a/z .Boandaryi/o/zes, p. 18 : n' 3'VI 9 s.; comp. '4sar/z., divination déductive. Lorsque le devin avait terminé son travail d'étude, de collation, de vériïlcation des présages,lorsque, en connaissance de cause,il p. 82 : revers 20; et B.BR, p. 112 : n' l s. II. 7. .B.B.R, p. 104 : 124s. etc. donnait ]a réponse à la question posée et passait de la sorte à l'acte 8. Voir'RJ 38,p. 86 : 4' ligneavantla ân; 87: face1; JCS.22,p. 25 :.11 etc. Il ne ultime et spécifiquede la divination : <<pré-dire )>l'avenir, cette s'agit pas de la <<prière de demande >>,ni.même de la « prière d'adoration et d'hommage.» (voir C.4D, 1, p. 66 a), mais de la formule par laquelle on <<consacre )>aux çlieux(sens de karêô dans 'ces contextes : C.4D, K, p. 197 b s. : 5) la victime du sacrifice mantique. « ritual act » eit toutefois un peu trop vague par rapport au sens précis.de. la 1. Voir notamment le grand Hymne à Ëamaë, dans .BWZ, p. 126 s. : passim. Le temple de Ëamagparaît avoir servi souvent de tribunal : voir 'l''HS, Vlll : no 71 28; autres référencesdans F. R. Kraus, ./CS 3, 1949,p. 158; ]WD.P,X.X.lll : n' 325 26; dans .PR7. p. 64 : n' 41 face 17. Voir égalementHWO12, 1937-1939,p. 48, où la trouvaille, par les fouilleurs d'Assur, Voir A. Goetze, p. 28 ab du JCÿ cité' ci-dessus;sa traduction <<divinatory .act.» ou et comp. D. E. Faust, Canfracfs/rom l.area dafed ï/zr&e .Refg/zofRîm-Sf/z =n' 102, 36-40. <<racine» .KRB. Camp. du reste la <<prière-pour-obtenir'un jugement >>rîÆrlb dfniJ 9. Déjàil'époque deMari, voir JRJI,/,X; n' 4 33.s. 10. K.'Tallqvist,.XÆÆadhc.be GÔ/rerepïf&e/a, Wettergott {n Mesopotamia, \9'2S. p. 246 s. ; lï. Schlobies, 11. J. Bottéro dans .Le .Æ/zfïc/ze.Dïvinïfà .çemï/ïc#e, p. 30 s. 12. Dans la prière paréo-babylonienne(JCS22,p. 25 s.), plusieurs passage!(lignes l, 14. 19. 25 s. etc.) montrent bien que le premier.destinataire de la prière, le persan' nageprincipal dansl'acte divinatoire,c'était Ëamai, et qu' Adamn'était que son assistant. i,$13. K. Tallqvist, .4ÆÆadïxcÆe GÔ//erepïrAe/a, p. 456 s.; D. O. Edzard dans Wôr/erZ)æc/z der ]Wy//zo/agie, 1, p. 126. 138 de tablettes des<<'lois >>média-assyriennes à la <<Porte de gamay )>,est mise en rapport avec l'usage judiciaire de cet emplacement. Du reste,..dans la lettre paléo-babylonienne .Der a/{Æadï.çc/ze 7'CL, 1 : n; 8, 11-19, des juges siègent <<à la Porte de ÿamaË >>. 2. Nous verrons, p. 157 s., qu'elle l'était aussi et surtout par ses présupposésthéo- [ logiques. 3. .ksar.b.,p. 40 : 13; S}/H7. p. lO : l. 4. .4sarÆ., p. 18 : 46 s. et 7 s.; p. 68 : 15-20; NB.K,p. 102: 11120-22(Nabuchodonosor 604-562) etc. 5. V. Rawlinson,pl. 33 118 139 JEAN BOTTÉRO 6 démarche n'était pas déûnie, comme on s'y attendrait, en termes d' <(avenir >>ou de :{ prédiction >>,mais en termes de << justice rendue ». Le devin, dit le directoire des ôârï2ï, <(ayant alors pris place, devant damas et Adad, sur la cathèdredu juge fÆussêdaïfa/zü/ï'.,l, rendra un jugement exact et véridique rdh kïrrï ti mêlérï ïdân) >>.Ce qui concorde pleinement avec le fait, plus haut signalé, que SamaËet Adad,. en tant SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES -- de cette même <<vérité » qu 'il les suppliait, en sa prière, de <<mettre dans le présage )> à examiner ï. Un autre texte, d'époque ancienne, en forme de prière, cité déjà plus d'une fois, présentemêmecarrément comme le véritable juge, en l'occurrenœ, cama!, assisté d'Adad (pour obtenir une réponsedivinatoire) >>rôê/ê ôîrï,' bê/êïkrïbïJ, mais cama!, seigneur-et-maîtredu jugement-divinatoire, Adad, seigneur-et-maître de la prière-consécratoire (pour obtenir une réponse divinatoire) et de l'examen-divinatoire, vous qui trônez sur un sièged'or et mangez à une table de lapis-lazuli, oraculaire >>rbê/ê dhï,' bê/ê pærusiê,),les propres mots qui servent oraculairez que patrons de la mantique, étaient appelés, non seulement <<seigneurs- et-maîtres de l'examen-divinatoire >>et<< de la prière-consécratoire (i seigneurs-et-maîtres du jugement-divinatoire >>et <<de la sentence- couramment à désigner l'acte du Juge qui rend la Justice a. Même la consultation des devinspouvait emprunter son vocabulaire à celui du recoursau tribunal. Ainsi, dans une lettre paréo-babylonienne où le destinataire est requis par son correspondant de <<prendre dans le troupeau de moutons une brebis (?), (pour l'apporter) au Z'ôrü afin descendez...prenez place sur la cathèdre et rendez la sentence- Formellement parlant, aux yeux des Mésopotamiensd'autrefois, la divination déductivemise en pratique n'était donc qu'une façon de justice rendue : de même que le rôle propre du juge était de comparer les données concrètes d'un acte commis par un justiciable, avec le l'on tire au clair l'affaire des bœufs 4 )>,on trouve le même vocabulaire que dans telle autre missive de la même époque adressée <<à nos pères les juges de Nippur 6 )> où ces derniers sont priés de <<tirer au illair (en seconde instant) l'araire ' >>qui leur est résumée. Que ce ne fût point là une clause de style, on peut le voir d'abord à la contenunormatif de <<lois >>,écritesou none, pour arrêter le sort utilisé lorsqu'il s'agit de divination déductive.Au texte cité plus haut 7 présentaient les pièces du procès, et le devin décidait de l'avenir du futur de l'intéressé, ainsi le devin examinait ces pièces du procès qu'étaient ]es présages et, ]es comparant à des <<lois >>,écrites ou non comme telles 4, <<prenait une décision et portait une sentence>>concer- constance avec laquelle le même vocabulaire de la Justice rendue est nant le sort de qui se trouvait impliqué dans ces présages.Le juge décidait de l'avenir du justiciable en fonction des élémentsque lui le directoire consultant en fonction des éléments que lui présentaient les présages. des bôrï2, comme pour l'expliquer, ajoute en eÆet (Car) gamay et Adad, les grands dieux, seigneurs-et-maîtres de l'examen-divinatoire, seigneurs-et-maîtres de la décision-oraculaire, assistent (alors) le bôrü, prennent la décision pour lui et lui donnent une réponsevéridique 8 ra quitter sa cathèdre dejuge ». par ]ejuge », voir C.Æ.D,D, p. 151. s.; .4.Hw, P. ]71 b s., s.v. 1 ; pour .puræssiZ .:« décision portée par le juge », voir ib/d., p. 822 a, s.v. l. 4. 7CZ,. XVll : n' 27 10-15. 5. 11. F. Lutz. Se/ecfed Sæmerla/zand.Baby/o/zïa/z Zex/i, pl. LIII : Ro lO : 16-21. 6. L'expressiontraduite ici <(tirer au clair >>rw;arkaïa parés .marque.pour le juge l'acte préliminaire au jugement proprement dit : l'examen en vue de <<décid:r >>r arcîszîJ >>-- nous dirions <<les dessous>>de l'alaire --, ce qui permet de porter sur elle un jugement. Contrairementà cequ'on a parfois avancé,le mot rw)arkafæn'a nullementlç sensde « futur » : comme si l'expression n'avait pas la même valeur lorsqu'il s'agît de jlgtice rendue et de divination(cf. B. Landsberger, .grief des .BïscÀÆ(ZÉs paz Esagi/a an KÔ fg .4sar&addoPZ, p. 21, n. 28). 7 Note 0 l 8. .Loc. cïr., lignes 123 s. 140 faits qu'on lui avait soumisà la sentencequ'il portait, et le devin trouvait dans la casuistique des traités de quoi conclure de l'état des présages à la réponse qu'il donnait à la question posée touchant l'avenir du consultant. Les deux agissaientainsi d'une façon pure- 1. BBR, p. 104 s.,n' 1-20 : 122. . ... ... 2. C'est la mêmeexpressionqu'emploie le « Code» de Uammurabi, au $ s (lace vi : 24 s.), pour le juge au tribunal 'convaincu de forfaiture et démis de sa charge : <<on le quelles sont les <<circonstances-exactes )> (warkaræJ, mot à mot :«l'arrière-plan Le juge trouvait dans la casuistique des <<codes )>de quoi conclure des 1. Cf. la dernière ligne texte cité plus haut, p. 79, n. 1. La même expression fkïfran J k/zamJse retrouve éga]ementplusieurs fois dans ]a prière paléo-babylonienne publiée dans JC.S'22, p. 25 ss.: lignes 12, 18, 33, 41, 49, 53, 57, 66; et encoreailleurs : .R..438, p. 86, Rev., avant-dern. ligne; p. 87, 9' ligne, etc. 2. ./CS 22, 26, 26 ss.; répété en 34 ss. et 44 ss. 3. En fait, contrairement à ce que beaucoup imaginent encore, surtout en entendant répéter les expressionstraditionnelles et pour le moins abusives de <<codes » et de « lois » de Uammurabi et d'autres <<législateurs >>mésopotamiens, la Mésopotamie ignorait le droit écrit, au senspropre du mot, et vivait sousle régimedes<<lois non-écrites». Cf. du resteplus loin, p. 172s. et 185s 4. On comprendra également plus loin, p. 172 s., que les « lois >> en question sont régulièrementdemeuréesinformulées comme telles par les spécialistesde la divination en Mésopotamieancienne.L'accadien ignore un mot qui signiâerait <<loi», tant au sens spéculatif qu'au sensnormatif. Voir du reste l'article fondamental de B. Landsberger, Die babylonischenTermini fuir Gesetz und Recht, p. 219 s., dans Symôo/ae...P. KbscÆaÆer,1939, dont beaucoup d'assyriologues, et spécialement d'historiens du droit, ne semblentpas encore avoir compris toute la portée. 141 T JEAN BOTTERO ment <<rationnelle )>,certes, ne faisant en cela qu'appliquer leur atten- Ï SYMPTOMES, SIGNES) ÉCRITURES rattachés aux résultats de la consultation-divinatoire qu'on les trouve leur métier. Mais de même que, pour bien accomplir son once et ne parfois inclus dans les traités, d'une manière ou d'une autre. Il n'était pas possible d'affirmer mieux le caractère a priori et exclusivement de la Justice; de même le devin qui, face aux mêmes embarras et aux mêmes obstacles, avait recours au même dieu pour raisonner saine- D. CÉNÉTIQUK ET DIACHRONIE tion, leurs connaissances, leur raisonnement, et exercer, en somme, pas se tromper dans un problème rempli de dimcultés, d'obscurités et d'embûches,le juge avait besoinde l'assistancedesdieux et surtout de la lumière de Sema!, le Lucide par excellence,et à ce titre le dieu <<judiciaire >>de ]'avenir tiré des présages par ]a divination déductive. ment lui aussi, et conclure avec équité et droiture. C'est pourquoi, avant de commencerson délibéré,il invoquait Samaget'Adad, et parfois d'autres dieux; et c'est pourquoi il ne seconsidérait, en somme, que comme le substitut, le truchement de ces dieux, qui <<prononçaient >>par sa bouche <(la sentence-oraculaireet rendaient le juge- ment-divinatoire >>.Ce n'était assurément point là une métaphore, une simple façon de parler, mais une analogie profonde, et même, au bout du compte, la reconnaissanced'une identité formelle entre justice et divination, qui nous éclaire beaucoupsur l'idée que se faisaient les vieux habitants du payset de l'une et de l'autre. Si, en eÆet,l'on va au fond deschoses,il faudra dire que l'avenir tiré de la divination déductive (à la diŒérence,sans doute, de la divination inspirée) n'était point l'avenir absolu, métaphysique, inéluc- table, et comme vu d'avance tel qu'il devait se dérouler, mais /'avenir prévüïZ)/e et, disons : ./zldc/aire. Or l'avenir <(judiciaire >>ne se confond absolument pas avec l'avenir inéluctable. Car, pas plus que le verdict du juge, celui du devin n'était inévitablementexécutoire. Prenons par exemple l' <<article >>129 du <<code >>de Uammurabi. C'est en réalité une sentencequi condamneà mort une épouse prise en flagrant délit d'adultère, et son complice; mais le texte ajoute que « si le mari veut faire grâceà son épouse,le roi pourra de mêmefaire grâce à son serviteur >>,l'amant de l'infidèle i. Les dieux qui décidaient l'avenir par la consultation-divinatoire n'avaient pas moins que le souverain d'ici-bas droit de repentir et de grâce. Aussi le consultant <<condamné >>,c'est-à-dire qui avait reçu du devin une réponse défa- vorable touchant son avenir, gardait-il loisir de se tourner vers ses juges suprêmespour leur demandergrâce.Voilà pourquoi il existait des lzamôurbû z, des rituels <<d'appel )>en quelque sorte, si étroitement 1. Revers.V 50 s. 2. Voir ci-dessus,p. 79 s., et, pour les « contre-examens », p. 132, et n. 9-11 En somme, il y avait donc des sortes d' <<appels », comme en justice : de même.que le jugement d'un juge inférieur pouvait être casséou modiûé par un juge supérieur, ainsi une nouvelle consultation oraculaire, du mêmetype ou selonun procédé mantique diÆérent,pouvait muer de défavorable en favorable le résultat de la première. Voir ci-dessus, p. 133et n. l. 142 Ce qu'on a trouvé jusqu'ici, ce n'est guère que l'exposé d'une façon de systèmedont la complexité pose bien des problèmes. Pour s.en tenir aux seulsqui touchentle propos essentieldu présenttravail Comments' explique ta coexistence,en Mésopotamie ancienne, de deux types aussi di:Œérents,'Poire, en un certain sens, contradictoires, que ïa divinatiolt inspirée et extatique et la di'pination déductive et rationnelle? Comment en est-on venu à cette dernière, c'est-à-dire à lire l'a'tenir ù travers te passé et te présent? Et comment une telle façon de tenir les chosespour autant dâsignes de ta destinéefuture des hommes a-t-Elle pris une aussi coitsidérable importance dans les préoccupaltons intellec- fzle//esdes /zabï/a/z/sde ce vlezzxpays? Tous problèmes liés entre eux de fort près, et que l'on ne saurait dissocier, au fond, du génie propre de ce peuple et de sa façon particulière de regarder et de << raisonner >> l'univers. Si maintenant une réponse peut être cherchée à ces questions sur le plan historique, qui est ici le nôtre, il nous faut adopter une tout autre approche, plus franchement dfacÆronïgue,au lieu de la sorte de panorama à quoi nous avaient en quelque sorte réduits l'énormité de la documentation et son éparpillement sur près de vingt-cinq siècles. A vouloir tenir comptede l'échelonnement dans le tempset de la génétique pour chaque point que nous avons évoqué, des précisions et discussions infinies eussent ëté indispensables : il était donc plus sage de prendre comme un tout, presque monolithique et .immobile, /a divination mésopotamienne ancienne. Maintenant que l'ensemble de ce phénomènenous est suffisamment connu, il devrait être plus facile et moins fastidieux de reprendre les choses d'un point de vue génétique, le seul capable de fournir l'explication propre à l'Histoire. En Mésopotamîe, la divination est passée par deux. moments essentiels qui commandent chacun une des deux périodes. de son histake : L. les origines et l' empirisme, 2. 1epassage à l'état de ç(science )ô et {a ç( rat onatisation )b. La seconde,qui couvre à peu près, pour le moins, les deux derniers 143 11 SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO millénaires de la civilisation mésopotamienne, jusque peu avant notre ère, est la mieux documentéeet, de ce fait, la plus facile à déûnir. La première,infinimentmoins,qui débouchepar en haut sur les ténèbresde la Préhistoire et se poursuit dans les premiers temps de l'Histoire, encore si peu loquaces. Pourtant, elle est capitale, et il est impossiblede ne la point poseret analyser-- même au risque d'y faire intervenir un certain comprendre la suite. nombre d'hypothèses -- si l'on veut se comptent au total par dizaines de mille. Toutefois, ceux, en assez petit nombre, qui nous intéressent ici, font tous partie de ce que nous avons appelé les <{témoignages indirects )>et ne touchent donc pas la divination en elle-même,mais simplementsa pratique et son existence. Nous en voyons du moins, grâce à eux, l'usage attesté dès le temps des tablettes .archaïques d'Ur(vers 2700) et, environ un siècle plus tard, à Para-Éuruppak(vers26Ô0),au moins par la mention d'ui de sestechniciens : en sumérien l'AZU, ou uzÜ, que, plus tard, les Acca- dienstraduiront aussi par bôr'û.Dès le temps d'Ur-Range, vers 2520, apparaît dans nos textes la << nomination par le chevreau >>(MÂË.E pÀ î), spécialement des hauts dignitaires du clergé, laquelle impliquait 1. LES ORIGINESET L'EMPIRISME l'exercice de l'aruspicine a. Moins d'un siècle plus tard, vers 2450, un passagede la stèle des vautours d'Eanatum de Laganmontre {<Origines >>est un terme ambitieux et impropre, au bout du compte, puisqu'il ne serapporte, en l'occurrence,qu'à ce que nouspouvons savoir de la divination dansle pays à partir du moment où, grâce à l'existence de documents écrits et intelligibles, il est entré dans l'ère historique. que l'on croyait alors à la valeur omineuse des songes -- par <<révéla- tion >>plutôt que par oniromancie proprement dite 3. Après 2350, à ['époque d'Accad, est attesté ]e recours usue] à ]'orda]ie, ]aque]]e, à sa façon, illustre la pratique de la divination déductiveavecproduction de présages.Les plus vieilles croyancesastrologiques4 et clodo' nomantiques 5connues, le sont vers 2130, sur des documents de Gudéa a. Les plus vieux témoignageset ïa protohistoire de la divination. Si l'écriture cunéiforme a été inventée en Basse Mésopotamie vers 2850avantnotre ère,îl a d'abord fallu prèsd'un demi-siècle,pour le moins, avant que l'on perfectionnât sufbsamment ce primitif amas de signes mnémotechniques pour en tirer un véritable système graphique, apte à exprimer assezbien la langue parlée, et intelligible à d'autres qu'à ceux qui ne l'avaient d'abord employéque pour aider leur mémoire î. De longues années encore, il sera surtout utilisé pour la comptabilité, l'administration et les <{papiers>>d'affaires, puis étendu au domaine des inscriptions votives et commémoratives et, vers 2600, à la <<littérature >>proprement dite. Réservé d'abord à la langue sumé- rienne, il est alors adapté à l'accadienne, qui l'emploie couramment dès avant le dernier quart du Me millénaire 2.En l'une et l'autre langue, de plus en plus copieux avec le temps, les documents de œtte période 1. Pour l'histoire et les originesde l'écriture cunéiforme, voir notamment R. Labat. p. 73 s. dans/'.Écrfrre ef la PiycÆologfe dexpeau/es, 1963.Onn'a, m'cst avis,jamais assezinsisté sur le caractère mnémotechniqueoriginel et longtemps essentielà œ système graphique : voir .,4/z/zœafre /970-/97/,'p. 89 s. 2. C'est cette adaptation à une langue phonétiquement et morphologiquement aussi diüërente du sumérien que le sémitique(accadieÔ), qui devait conférer â l-'écriture cunéiforme sescapacités de.rendre ]e plus exactement possible par écrit tout ce qu'expri- mait le langageparlé. Voir /oc. cïf., p. 90 s. 144 de Laga!. Et c'est à la fin du =e millénaire, au cours de l'époque d'Ur 111,qu'on tombe pour la première fois sur le nom, désormais classique en sumérien, du spécialiste par excellence de l'aruspicine : wÂË.gu.Gfn. cfD ô. Si l'on veut poussercette période jusque vers 1900,on la terminera sur les trente-deux maquettes de foies inscrites, trouvéesà Mari, qui constituent les plus vieux témoignages <<directs >>touchant la discipline mantique déductive. Mais peut-être est-il plus sagede les reléguer aux premiers temps de la période suivante. Ce butin est suggestif à l'extrême, puisqu'il nous autorise à faire remonter très haut, dans le pays, l'importance du rôle, même public, joué par la divination;la coexistence de la divinationinspirée ' (songe d'Eanatum; clédonomancie des Cylindres de Gudéa) et déductive; et, pour cette dernière notamment, sinon l'usage de techniques 1. .DÀ4H, p. 47. Coma. A. Lads, .Le rôle des oracles dans la nomination des rois et dcs prêtres' P. 91 s chez ]es ]sraé]ites, ]es 'Égyptiens et ]es Grecs, dans .Bië/anges ]14a#lero, l, 2. Le rôle du « chevreau>>dans ce choix d'un personnageà promouvoir à quelque haute charge de l'État, ne s'explique guère autremeïit, surtout compte tenu de la pratique ultérieure. Voir plus haut, p. 112, n. 6, pour l'importance probable du phénomène dansé'histoire delà divination. 3. 4. 5. 6. .Z)À4H,P. 57 s. 1bïd., p. 64 s. ÆÏd., P. 66. 1bfd, p. 47, et ci-dessus,p. 129. 7. Il s'agit naturellement de divination inspirée au senslarge(çi-dessus, p. 96 s.) et non pas au sens strict et <<prophétique >>(p. 88 s.). 145 JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES déjà diÆérenciées,au moins la prédominance de l'aruspicine. Mais tout cela n'intéresse que l'exïsfe/zce de la mantique et son importance, que nous pouvons déjà pressentirfort grande. Sur l'esse/zcede cette divi- nation, l'idée qu'on s'en fàsaît, la techniquedivinatoire,ces vieux témoignages restent complètement muets. Est-ce à dire qu'il faut nous résigner à ne rien connaître de ce point capital et renoncer à <<voir les choses choses commencer commencer et grandir grandir >>, ce qui est, en Histoire, le seul moyen de les bien comprendre?En dépit desapparences,les documentsne nous manquent pourtant pas pour retrouver ce premier état de la divination en Mésopotamie.Mais il faut les chercher où ils se trouvent : non dans cette période, mais dans la suivante. Tout d'abord, dès l'ouverture de cette dernière, un fait capital s'impose : les premiers traités de divination déductive î. ïls nous appa- raissent d'emblée sous une présentation littéraire et technique si parfaite et définitive qu'à moins d'en appeler à la génération spon' fanée, nous sommes contraints d'y voir le résultat de plusieurs siècles, pour le moins, d'une étude intensive et d'une tradition orale ou même écrite l Si de cette tradition rien ne nous est resté, avant les Foies de Mari, il est pourtant possible de retrouver dans les traités ultérieurs un cer- tain nombre d'oracles que la critique interne nous autorise à faire remonter à cette période première. C'est l'analyse de tels oracles qui va nous permettre de nous faire une idée sufRsammentprécise de la De ces oracles antiques fossilisés dans les traités plus récents, les f plus faciles à reconnaître, parce qu'ils portent en eux-mêmes,pour ainsi dire, la marque de leur temps, sont les << oracles historiques ?>, comme nous avons appelé ceux qui, au lieu d'impliquer, selon le schème courant, une apodose au/urtzr, l'ont au passé, et généralement autour d'un grand nom ou d'un'événement plus ou moins notable de l'histoire. Par exemple Si(dans le Foie), la Porte du Palais: est double,qu'il y a trois Rognons l et qu'à droite de la Vésicule-biliaire sont creusées épa/Jzz,) deux perforations épi/iu,) bien marquées :(c.est le) présage des ApiËaliens, que Narâm-Sîn (env. 2260-2223), par le moyen de sapes fpi/Jœ,)fit prisonniers 2 Et encore Si, à droite du Foie, se trouvent deux Doigts l -- (c'est le) présage du Temps-des-Clompétiteurs 3 Si l'on met en compte le nombre total des apodosesque nous con: naissons,plusieurs dizaines de mille pour le moins, ces oracles.historiques forment un ensembleassurémenttrès modeste,mais qui n'est pas du tout négligeable : on peut en dénombrer à peu près deux cents ô. Presque tous se caractérisent d'abord par le libellé, communément divination déductive en sa période de formation. Certes, nous devrons, dans ce but, recourir à un certain nombre d'hypothèses et de raisonne- ments, mais l'Histoire, quand elle y est réduite par le manque de témoignages explicites et contemporains, ne répudie pas de tels pro- cédésde connaissance, pourvu qu'ils soient tirés, avec rigueur et prudence, de données indubitables et convenablement analysées. 1. Cî-dessus, p. 88s.Il faut noter que, dès les premierstémoignages(enréalité les Foies de Mari), la seille langue acçadienneest utilisée pour transcrire les présageset les oracles : dans toute l'histoire de la divination, sur près de deux millénaires, à ] 'exception de quelques rares passages(le prologue, du reste retraduit de l'arcadien, de la grande série astrologique : ci-dessus, p. 102 et n. 3; et quelques passages dispersés et forts brefs, comme O. R. Gurney, Semer 9, 1953, p. 25, n' 28, et /zbæ, p. 69 s. : apodoses de 36-38 -- qui sont plutôt des idéographies savantesrecherchées et plus ou moins çïyptographiques), jamais le sumériencommetei n'ëst utilisé comme langage divinatoire -- et mêmele vocabulaire accadien propre à la divination ne compte que très peu d'emprunts au sumérien. Si l'on tient compte dela situation fort diRérente pour d'&utres <<techniques >>comme celle de l'exorcisme, c'est là une forte présomption en faveur de l'idée que la tradition mantique(déductive) n'a pas été mise par écrit 1. Termes techniques de l'anatomie hépatique .: voir déjà pt 73, n. 1, etc. 2. yOS, X : n' 24 9. Pour la ville d'ApiËal, voir p. 164, n. 4. 3. Mot à mot : <<Qui est roi? Qui'n'est pas 'roi? >>(pour ]a tournure.e!.]f sen?, camp.Th. Jabobsen,TheSemer/a/zKüglfrr, p 112 s. : V]1, 2) : TCZ, V] ; p]-.]].l, n' !. revois 23. Il s'agit de l'époque, aux environs de 2198-2195,'où après gu:kali-rani, successeurde Narâm-Sîn, l'empire d'Accad sombra dans la confusion et la dissension, avecplusieurs prétendants au trône : voir .Fïsc&erMe/fgescÀic&re,11,p. 95 et 115: 4. Voir' J. Nougayrol, Note sur la placedes <<présageshistoriques» dans l'Extis- picïtie baby\oïïienne, dans' 4.ntlœaire .1944-]945 de'la section des.scieïtces religieuses.de /'.Ëco/eprafiqæedei .lïaæ/es.É/æde.s, p. 5 s.; à compléter, pour ce.qui n.'est pas du domaine del'extispicine,par E. F. Weidner,Historischei Mateiial in der.babylgnischen OminaLiteratur, dans'Jb/ï//eï/ange/z der a/forée/zfa/ïscÆen Gese/ZscÆclÉr 4, p..226 s:, et, pour ce qui'est paléo-babylonien, par A. Goetze, Historical Allusions in Old Babylonian Omen Texte, dans JCS 1, 1947, p. 253 s. Le plus grand nombre de ces« oracleshistoriques » serapporte à l'époque d'Àccad(une cinquantaine dans Nougayrol, Zac.cff., et une vins: taine' bans Goetze, '/ac. cÏr.) ; unë dizaine seulement(dans Nougayrol, un !lins Goetle) intéressel'époque'présargonique,presquetous ayant alors pour sujet Gilgameg..De l'époque d'Ur '111(210Œ2000j une douzaine dans Nougayrgl .et.une quinzaine dans Goetze; et 4 chez Nougayrol, Î dans Goetze pour l'époque d'loin 1 (2000-J935). est'important'de noter aussi que, sauf une dizaine qui ûgurent dans les.traités de tératomancie, la presque totalité de ces <<oracles historiques » le trouve attestée dans les ments<<littéraires >>écrits : ç'est-à-dire au plus tôt à l'époque d'Accad(entre 2340 et traités d'extispicine et d'hépatoscopie,tandis que les deux ou trois « astrologiques >> sont probablement récentset peuvent ne .pas signiûer.grand-chose..Ceci aussi est en 146 147 avant que la langue accadienne fût écrite, et même devenue le langage of6ciel des docu2160). Voir encore plus loin, p. 149. faveur d'une certaine antériorité de l'extispiêine(voir déjà p. 112, n. 6 et aussi p. 148, n. l). r JEAN BOTTÉRO inusité ailleurs, de leur apodose : <<(C'est le) présage de... >>ramz2/....) l Qu'une pareille tournure ait dû être courante au moins vers la ün de l'époque où nous sommes, on peut le soupçonner à sa fréquence dans les Foies de Mari a. Mais ce qui est plus éloquentencore,c'est que, comme on l'a vu à la note 4, p. 147, presque tous les noms de souverains ou de hauts personnagesque mentionnent lesdits oracles appar- SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES Ces mêmes maquettes de Mari portent assez souvent une formule propre à nous persuader, à la fois, de l'authenticité foncière de tels oracleset à nous indiquer comment on a dû les établir. On y trouve, par exemple, au Ho7 Lorsquemon pays s'estrévolté contre lbbî-Sîn (2027-2003 i), (G'est) ainsi(que) cela (= le Foie) se trouvait disposé >> tiennent à notre temps : la majorité aux dynasties d'Accad et des Qutû, ainsi que d'Uruk IV; puis un bon nombre à celle d'(Jr 111et à celle d'lsin 1; de la période antérieure,on ne relève que peu de noms, ou alors dans un contexte vagueet plus ou moins mythologique a; et des temps qui suivent, trois ou quatre seulement : une fois !jammurabi 4; une fois un monarque cassite dont le nom n'est plus lisible en entier s; et une fois Nabuchodonosor 1 (1123-1103),de la ]le dynastie d'lsin, vers la ûn du second millénaire ô. Il y a gros à parier que cesexemples erratiques ne sont que l'eŒet d'une imitation consciente des anciens 7 après la période ici contemplée,il n'y a donc pratiquement plus eu d'oracles historiques. Or, et voici qui est capital, ces oracles, partout où les événements qu'ils rapportent sont contrôlables par d'autres sources documentaires, se révèlent parfaitement dignes de foi, au moins dans l'essentiel tant et si bien que les hstoriens -- sans se défendre évidemment d'en fore d'abord la critique -- les ont traditionnellement pris pour une des sourcesles plus ancienneset les plus sûres de leur reconstruction de cette haute époqueo. C'est admettre implicitement que, d'une manière ou d'une autre, de tels <<présages>>ont touché de près aux événementsdont ils témoignent. Le fait est que le dernier roi mentionné par son nom dans les Foies de Mari, IËmê-Dagan d'lsin (env. 1953- 1935), ne devait guère précéder leur rédaction que d'une cinquantaine d'années au pluso. 1. amûfæsigniûe d'abord le foie en tant qu'examiné par l'aruspice; puis, par dérivation, le présage(tiré decet examen): CAD, A/2, p. 96 s.-- nouvellemarque probable d'une antique prépondérance de l'hépatoscopie. D'autres fo rmules introdtictoires sont plus rares(et figurent seulementdansles traités plus récents):<<Annéesde tel roi )>; « Armes( = guerres?) de tel roi».- ; voir /zbK, p. 4 s. 2. Voir lesn- 1-6;8 s.; Il ; 13; 16-18(réf.ci-dessus, p. 75, n. l). 3. Pour GilgameË, par exemple,le plus souventnommé,voir W. G. Lambert dans Cilgame! et sa légende,D. 4S s. (Cahiers du GroupeFrançais Thuieau-Dandin, ï]. (a-ni'u- um ki-am i-sd-kit! z). Un pareil libellé n'a de sens que si son auteur voulait insister sur l'authenticité de l'aspect, dûment constaté, du présage,et sur le lien, tout aussi formellement établi, entre cet aspect et l'événement ultérieur qui lui était rattaché. Le fait est que, comme il n'y a manifeste- ment pas le moindre rapport entre telle conûguration d'un foie de mouton et, mettons, la révolte contre le dernier roi d'Ur 111,il faut bien que la coïncidence des deux phénomènes ait été aperçue, puis soulignée, puis, peut-être à la faveur d'autres coïncidencesréitérées de la même espèce, réputée autre chose qu'une simple rencontre casuelle,et alors enregistréecomme oracle et tenue pour un axiome divinatoire. C'est ce que nous appelons l'elnpïrfxme divinatoire a. Les oracleshistoriques,manifestementmis au point pendantla périodequi va du dernier tiers du Mo millénaireau premierquart du second,nous ouvrent donc les yeux sur le plus vieux procédé qui a dû servir à l'établissement des oracles de divination déductive, et sansdoute même présider à la propre <<découverte>>de cette divi- nation :/a consfafa/folk dei coihcfdencei entre les deux séries de la forme des présageset des événementsde l'histoire. Il y a une façon de voir les choses -- et peut-être comprendrons-nous mieux, plus loin, comment les vieux Mésopotamiens ont pu y être amenés -- où il suit qu'une fois, ou un certain nombre de fois, on sesoit avisé que l'apparition d'un phénomène -- sans doute, à l'origine, quelque chose d'inattendu dans le Goursdes choses,d'anormal, de monstrueux ' -- s'est trouvée suivie, après un délai raisonnable, par l'arrivée 1. C'estle dernierroi de la dynastied'Ur lll. 2. Voir aussi les n- IO; 12; 19; 22 s et 29 (réf. p. 75, n. l). 3. Camp.par exemple.Dreams, p. 238 s.; ÆÏ.ï/orfograp&.y, p. 465s., et, plus loin, à 4. E. F. Weidner,art. cité(supra,p. 147,n. 4),p. 238 : X. propos 6. Voir E. F. Weidner,art. cité, p. 238 s. : XI. Faut-il y ajouterle nom d'un roi Frange,en mai 1971) : <<Je considèreles soi-disant <<présageshistoriques», non point comme la base empirique de l'extispicine, mais plutôt comme la création de savants désireuxde « prouver » objectivement que la formation des entrailles prédit bien les 5. Peut-être KaËtilia:(vers 1500) : voir /zbæ,p. 6. encoreplus récent(env. 810) : Marduk-balassu-iqbi,comme le restitue E. Leichty, Jzôœ, 7. Voir du resteE. F. Weidner,art. cité, p. 239. 8. Voir par exemple.Z;ïsc&er We/rgesc.b ïc/ïfe,11,p. 93 s., et aussi172s. Et surtout Historiographe, p. 462.s. 9. Sur la date desFoies de Mari, voir 1. J. Gelb dans R.4 50, 1956, p. 7. 148 d'Artémidore : A. Bouché-Leclercq, .27ï.î/aire de Za z#l,ïæa/ïoæ daæi /'.d /zrïqæï/é, l, p. 298, etc. L'opinion singulière avancée par L. Oppenheim(cours publics du Collège de événementsfuturs » paraît, uï sonar, relever bien plutôt du paradoxe ou de la fantaisie; e[[e se heurte à beaucoup trop de données sérieuseset n'aurait pas dû être lancée ainsi sansfortes preuves, si preuves il y a. 4. L'attention portée en Mésopotamie ancienne aux phénomènes et événements extraordinaires et plus ou moins monstrueux, aux .por/e/z/a,est soulignée par un texte, 149 JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES d'un événement frappant, faste ou néfaste -- lui-même probablement attendu aprèsl'observation du porrenfum-- pour que l'on se soit senti comme obligé de poser un lien entre eux : pair Æoc,ergo prof/et Àoc, comme si le second terme se trouvait rattaché au premier et, sinon causé,du moins a/énoncépar lui. Il y a tout lieu de supposerque telle a été, en Mésopotamie,la dialectique grâce à laquelle s'est élaborée la divination comme dis- cipline et type de connaissance.Il ne faudrait pourtant pas penser qu'elle s'en soit tenue à l'enregistrement des seuls présages historiques proprement dits, des seuls tournants de l'Histoire. Dans les traités ont été conservésd'autres oracles,apparemmentbienplus nombreux, qui ont chance de remonter aussi haut dans le temps. Parfois, on peut les reconnaîtreà leur forme : pareils aux présageshistoriques,ils sont aussi annoncés par amï2ï... Ainsi : <<Présage de la neige qui recouvrit (tout) le pays >>: à comparer au Foie de Mari Ho 16 : <<Présage de la retraite : (à savoir) lorsque l'armée battit en retraite >>a. Les p[us nombreux n'ont rien de te] qui ]es distingueforme]]ement de la grande masse des autres, mais leur contenu, du moins, ocre un vocabulaireou desnotesde type politique, économique,adminis, tratif ou religieux, avec des détails si particuliers et concretsa, que la situation qu'ils décrivent, nous le savons par ailleurs, est impensable en dehors de la période qui a précédé, et souvent de peu, la première moitié du lle millénaire : si bien qu'ici aussi les historiensdu temps peuvent y débusquer bien des traits qui, recoupant ou complétant ceux qu'ils tiennent d'autres sourcescontemporaines,les aident à restituer un tableau plus complet et plus vivant de l'histoire non- événementielle du temps : politique, sociale, économique, religieuse, ou simplement <( au jour le jour : >> Ceci nous permet donc de retrouver dans les traités, plus récents, une suMsanteportion des oraclesélaborésau cours de la période qui retient ici toute notre attention. Leur première caractéristique, c'est qu'ils relèvent tous de ce type de divination que nous avons appelée <<déductive )> et dont nous venons du reste de voir qu'elle tefois) i[ ne quittera point son pays, mais]s'en ira demeurer?]hors de sop.palais.= sans que son ûls prenne(pour autaïû) le pouvoir à saplace )>(/zôæ, p. 105 : Vl11, 41'). Exemples analogues dans R. Labat, 'tl/n ca/eæd/ïer ôlz'6y/o/deæ..«.p. 150 s. : 5 s. etc.; et les textes cités par L. Oppenheim, Orle/z/a//an. s. 5, i936, p. 207, n. Il ; 210, n. 1; 219 s.; 22 Ce caractère concret. détaillé et manifestement <<pris sur le réel », apparaît quelquefois également dans certaines protases, à ce point précises et réalistes qu'on.! peine à croire qu;elles ne proviennent pas directement d'observations authentiques..C'est le cas,..par exemple, dans le traité de tératomancie : <<Si, lorsqu'!ne .femme a mis Ç:on enfant) au dont.la copie entre nos mains est, il est vrai, du l'' millénaire, mais qui peut remonter plus haut, et surtout qui.témoigne d'un état d'esprit intéressantde notre point de vue. Il s'agit de Rm.155, publié dans C7. XXllX, pl. 48 s., et étudié notamment par K. Frank dans ZeïfscÆr fï der de /le/ze/z ]l/orge/z/æadïscÆenCase//scÆ{fï 68, 1914, p. 157 s. ; voir aussile.dupliçat fragmentairepublié par E. F. Weidnerdans HFO16, 19S2-19S3,pl. XIV et p: 262(et comp. L. W. King, Baby/onfan CArclafc/et,Il : n' Vll, p. 70 s.; par exemple l : 17,22; Il j 6, 14etc.;voir à ceproposJCS 18, 1964,p. 8 b et n. 18). Y sont groupés 47<<]Prodiges] qui ont été observésà Baby]one et dans ]e pays d'Accad durant Îe règne du roi l(arlemmebi >>(nominconnu, probablement déformé, àe propos délibéré ou non), et qui auraient.« précédéla chuted'Accad», parmi lesquels,par exemple: <<Une tête coupéesemit à rire... Un bélierà quatre cornesfut observéen la ville de Dêr... Une femme:barbue, dont la lèvre inférieure était soudée(à l'autre lèvre?) et dontltel organe était à la fois] mâle et femelle, fut observéeà[...].. . >>,etc. Autres phénomènes extraor- dinaires dont le souvenir a été conservédans lës divers traités divinatoires : pluies et !o.fées.de sang (HC,Adad : XXXV 47), ou de (grains?) de sa4/œ ( cresson? moutarde ?) ( 4C, Adad : Xl1 12), ou de grenouilles (<< en ville >> : CT,'XXXVlll, pl. 8:39);chute de grêlons noirs ou rouges(.4C, Adad : liii 13 s.), etç., sans compter ies innombrables «.monstres >>décrits dans les traités de tératomancie(un exemple ti-dessus, p. 106 s. et 107,n.4, et un autre plus loin,p. 151,ûn dela lr' ilote). ' '' 1. A0 7029 5 dans .R,4 38, 1941, p. 82, et 40, 1943, p. 84, sub 10. Autres réf. ïô/d. On trouve aussi d'autres tournures, comme <<destruction(Xah/œgfa)de >>telle ville : Ur (Reports,n" 1714 s.; 1724 s.); Kig (1).4, p. 65,ligne 60');"Dér (ïbïd.,p. 208, bord droit, 2) etc., qui font elles aussi allusion à de vieilles défaites de çes cités, éliminées pour un temps ou peut-être à jamais de l'avant-scène politique. 2. Pour la note explicative : <( à savoir >> fXa), comp. par ex. /zôæ, p. 46 : Il 6. 3. On verra plus loin, p. 165 et notes, le cas des apodoses détaillées et de type <<anecdotique »; mais en voici pour le moment une qüi résume toute une histoire « Le palais du prince sera abandonné et le prince quittera sa ville et son peuple :(tou- 150 monde, il est pourvu par-dessussatête(d'une boursouflure) dechair pareille à un turban, que sesextrémitésinférieuressont soudées(mot à mot. : .resserrées)et pendantes (inertes?),que son œil droit est ûgé, samain et son pied droits esttql?iés, et qu'il a des dents...» (lzôæ,Il 19; voir aussiÏi ; et 1 82 -- cité ci-dessus,p. 106 s. --, dont 81 semble avoir été une forme abrégée; 11198; etc.). 1. Voir aussi l;article de L. Oppenheim cité n. précédente; A. Falkenstein dans .B/Or 6, 1949,p. 179 s. et D. O. Edzard, .Z; ïscÀer Me//geicÀïc.ëre,Il,.p. 172 s:;.ainsi que ÆïfforiograpÀy, p. 462 s.(en dépit des réserves de A.'K. Grayson dans DM.4, p..75 s et n. 2). A cesévénements <<historiques>>au senslargeou étroit du mot, il faut ajouter un' ' certain nombre de ces trouvailles qui résument la longue expérienceet sagesse.de tout un peuplevivant dans un milieu donné, que notre propre folklore connaît aussi et qui se sont âgéesen quantité de nos dictonsou proverbes.Ainsi! .dansl'ordre météorologique :« Si l'eau du fleuve est remplie de boue et de bulles(de fermentation) -- la moisson sera réussie et le pays prospère.(Mais) si, dans le fleuve il y a de la boue noirâtre T l'inondation emportera la moisson. >>(Cr, XXXIX, pl. 14 ; 13; voir F. Nôtscher dans Orfenfa/fa 51-54,'p. 122);<<Si, au mois d'Anar(avril-mai), la crue survenue, l'eau du neuve sent:mauvaise--- il y aura'.. . épidémie... >>(ï8ïd., 18 et Nôtscher, /clc. cff:). Et, dans le domaine « psychologique>>: « Si les habitants d'une ville f ont.bons -- elle aurala paix.(Mais) si les habitànis d'une ville sont méchants -- son dieu la châtiera >> (CT, XXXVlll, pl. 3 : 62; Nôtsçher, op. cfï., 31, p. 46) i.et,pon sansune pointe.d'humour (voirdéjàci-dessus, p. 131et n. 4)':k Si élans 'unevilleil y a beaucoup defous-- ses habitants seront heureux.(Mais) si dans une ville il y a beaucoup de gels intelligents -- destruction de la ville )>(fÀfd., pl. 4 : 68 s.; Nôtscher, /ac. cif., p. 48). Des témoignages d'une telle <<sagessepopulaire » sont aussi vieux que la littérature écrite en Mésopotamie : tel ce proverbe 'antérieur à 2500, et qui se retrouve .+quivalemment, plus tard, dans les recueils de physiognomonie au sens large :<< Qui détourne les yeux(en s'adressant à quelqu'un d'autre)'ment >>(R.4 60, 1966, p. 6 : n' 5) camp. à : <{ Si(un homme en par' lant) a l'habitude de regarder à terre -- il dit des mensonges )>(HWO11, 1936-1937, P. 223 et 225 : ligne 22). 151 SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO semblait déjà prédominer au temps des <(origines >>,dans le pays. Elle consiste en ceci, pour le rappeler d'un mot, que la connaissance de l'avenir y est tirée, par un raisonnement de l'homme, d'un présage, c'est-à-dire d'un objet quelconque où elle se trouvait donc comme incluse et cachée. tisme )>, la partie sémitiquedu plus vieux peuplementde la Mésopotamie l se serait laisséesi totalement conquérir par la forme telle' ment plus<< rationnelle >>qu'était la divination déductive. Un pareil engouement pour la divination déductive, qui aurait réduit presqueà rien, en Babylonie propre, une tendanceatavique au <<prophétisme )>,il est diïïicile de ne point le mettre en relation d'eŒet à cause avec l'adoption b. Divination déductive et mentalité mésopotamienneancienlte. de la civilisation mésopotamienne, que les Sémites installés dans ce pays ont contribué à édifier, mais tout d'abord et peut-être assezlongtemps sous l'égide et l'impulsion des Sumériens. Le moment est venu de nous demanderpourquoi et comment on en est arrivé, en Mésopotamie, non seulementà imaginer une pareille séparer l'un de l'autre -- qui ont depuis longtemps frappé les histo- curiosité à cette forme déductivede !a divination. Car les données l'atavisme sumérien. inclusion de l'avenir dans les choses,mais à se dévouer avec une telle Or il y a deux traits majeurs -- du reste apparemment diMciles à riens de cette civilisation et qu'ils versent volontiers au crédit de rassemblées ci-dessus sont sans équivoque ! en Mésopotamie propre, 1. La curiosité pour l'univers et la classiûcation c'est cette divination-là qui a triomphé, au moins dans les cercles ofhciels et ce qu'il faut bien appeler l'ïzzre//ïgen/sïa,et ceci, apparemment dès les temps les plus reculés. La divination inspirée l n'a joué qu'un rôle secondaire, enacé, et du reste surtout périphérique : à l'époque la plus ancienne où elle nous est sufHsamment attestée, vers 1800 avant notre ère, notre documentation nous la montre à peu près confinée au nord-ouest du pays, autour de Mari, point de ren- contre de la culture mésopotamienneproprement dite et d'une popu- lation ouest-sémitiqueaux traditions diÆérentes. Chez ces Sémites de l'Ouest, la place qu'occupe la divination inspirée, si on la rapproche de celle qu'elle tiendra plus tard, chezles Israélitesnotamment2, et encore plus tard chez les anciens.Arabes a, nous inclinerait à considérer une telle propension au <<prophétisme >>comme un des traits fonciersde la mentalité sémitique<<primitive >>.L'importance relative de la même divination inspirée en Assyrie -- dans ce Nord du pays également dominé depuis toujours par les Sémites venus de l'Ouest -- va dans le même sens.Avec du temps devant soi, on pourrait consolidercette hypothèse4. Si nous la prenons pour acquise, comme hypothèse s'entend, ]a question surgit alors de savoir comment, en dépit de cette supposée tendance foncière au<( prophé- Le premier est une tendance indiscutable à la curiosité pour les choses; une propension à les analyser et ranger a; une sorte de ratio- nalité qui explique la très archaïque passion de ces gens pour la mise en listes. la. classiôcation, les dictionnaires a; la prépondérance d'une façon de prosaïsme,raisonnableet lucide, mais terre à terre, et qui refroidit, en quelquesorte,jusqu'à leur poésieet.la déprive de cette extraordinaire puissance de l'image et véhémence du discours qu'on trouve si couramment chez d'autres vieux Sémites,comme les Hébreux et les anciensArabes; bref. comme une attitude objective et logique, qui a pénétré même la religion 4, et dont on n'a peut'être pas encore mesuréla profondeur et la portée. Dans cette perspective, une divination fondée avant tout sur les eŒortsde l'homme, l'analyse des choses, leur étude en quelque sorte désintéresséeet rationnelle, est tout à fait à sa place; mêmela forme littéraire qu'elle a ûnalement prise, celle des traités et des listes classifiéesdes présages,rejoint Ï'énorme littérature de <<mise en ordre >>dont les plus vieux témoins sont contemporains des tout premiers débuts de l'écriture. 1. Sur le plus vieux peuplement sémitique de la Mésopotamie, voir notamment 1: Si l'on exceptepeut-êtreles <<rêves-visions », ou « rêvesprémonitoires», qui semblentattestéstrès anciennement(voir p. 145 et n. 3) et qüi, après tout, ne 'se recouvrent pas exactement avec la divination inspirée au sens strict du mot, comme on l'a vue fonctionner à Mari par exemple(voir p. 88 s.). 2. On renverra simplementaux réf. donnëësp. 91, n. 1 -- pour ne pas verser ici au débat l'énorme dossierdu prophétismeancien en lsraël. 3. T. Fahd, Za .Dfvf/zarïo/zc.bez /es ,4raôe.ç,p. 63 s. 4. Dans le mêmesens,voir notammentla pote l de la p. 146. 152 D. O. Edzard'dans .l?sc/zer Me//gesc&/cÆZ'e, 11, p. 61 s. 2. T. Fish dans Semer IO, 1954, p. l îi s.; etc. Voir aussi ci-dessus p. 84 et n: 3. 3. Les plus anciennes<<listes >; connues'(voir plus loin p. lji9).sont .antérieures au milieu'du lll' millénaire : voir B. Landsberger, ]Waferials /or rÆe S merlan ËexicgÆ, Xll, p. 3 s., et, pour de plus antiques fragments,pratiquement contemporains du plus vieil état de l'écriture cunéiforme, A. Falkenstein, HrcÀaïscÀeZexre aœsUrzïk, P.43 s 4. .Re/..Baô., p. 148. 153 JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES 2. L'écriture cunéiforme « la pluie >>;celui de la <<montagne >>accolé à celui de« la femme )>, pour <{ la femme amenée de l'étranger Le second trait, peut-être le plus radicalement original, de cette >\, comme butin de guerre? même civi]isation, c'est justement ]a mise au point de l'écriture. par exemple,autrementdit : <{l'esclavedu sexeféminin »:.. C'était l'ordre de l'intelligencele rôle de l'invention du feu dansle domaine tement une sorte de <<vision brute >>du monde et qui, comme telle, était à peu près totalement indépendante du langage parlé.,puisque tous ces signes,simples ou composés,pouvaient être compris par des en somme, on le voit bien, une ëcrifure de c/dosestraduisant immédia- Il n.est .pas imaginable qu'une pareille découverte, qui joue dans de la technique, n'ait point révolutionné les habitudes de pensée de ses auteurs : quand on peut objectiver ce que l'on pense,le axer en dehorsde soi et en garder non seulementune image détachéede soi, mais une mémoire aussi perpétuelle qu'exacte, on ne pense plus individus d'idiomes diŒérentset épilés chacunen sa propre langue, comme c'est encore le cas pour les idéogrammes chinoi!, intelligibles et lisibles en japonais, en coréen, en d'autres langues encore de l'Extrême-Orient; ou, plus près de nous, pour nos chiRïes << arabes comme avant. Et le seul fait d'apprendre seu/ .' en /ïsanr, confère une mentalité propre, tout à fait diŒérentede celle réservéeà qui a besoin >> d'ëcoz/ferpour savoir : nul autre ne s'interpose,de soi, entrele sqet ou nos signesdu <<codede la route )>,compriset lus.en d'innom- plus extravertieset objectives que les cultures de tradition orale, chez archaïquesétaient évidemment épelés dans la langue locale, très brables idiomes dans le monde entier. En Mésopotamie, ces signes et les choses. C'est du reste pourquoi les cultures écrites sont beaucoup lesquelles une <<science >>à proprement parler est iümaginable. vraisemblablement le sumérien ï, et formaient de la sorte, indirecte- Cette ment, une écrïfure de mors. donnée fondamentale, qui rejoint la tournure d'esprit soulignée plus haut, devait déjà orienter vers les choses les Mésopotamiens Une particularité importante qu'il faut noter ici, c'est qu'un. grand nombre de ces mots, en sumérien,étaient au moins virtuellement monosyllabiques-- comme le sont tous les mots chinois et beaucoup curieux de connaîtrel'avenir, et les inciter à /ïre ce dernier, plutôt qu'à l'ëcourer. Mais il y a plus. Quelle est la caractéristique de l'écriture cunéiforme ? de mots en anglais moderne -- du pour << aller >> ; ud, ou.z/a, pour <<jour >> ; D'origine, elle est pictographique. C'est-à-dire que les signes qui la composentont désignéd'abord ce qu'ils représentaient' par un croquis.pri? sur le réel(une tête de bovidé, silhouettée,mais parfaite- m/ pour « femme »; cib pour <<vache >>;gud pour <<bœuf >>;gïÿ pour ou réduit à sa plus simple expression(le triangle pubien pour <(le sexe féminin >>,<<la femme »), ou par un symbole conventionnel fïsme, en détachant sessignes de leur relation directe avec les choses <<bois >>,etc. ; avec une notable proportion d'homophones Lorsque l'écriture cunéiforme, peut-être moins .d'un siècle après ment identifiab[e, pour <<]e bœuf >>,<<]a vache >>,<<]e gros bétai] >>), son <<invention >>première z, a fait des progrès décisifs vers.le p#oné- (un cercle coupé d'une croix pour <{ le mouton >>,<<les ovidés >>). 'ils représentaient pour'leur faire évoquer immédiatement les maïs, agrégats' de phonèmes, par lesquels le sumérien rendait. œs .choses -- le plus vieil exemple connu est celui du signe de <<la flèche )>? utilisé pour désigner <<la vie >>parce que <<Bêche )>.et <<vie .>>étaient Pour un même signe, la représentation pouvait être démultipliée par tout. un système d'associations ou de suggestions : le croquis du <<pied >>marquait aussi <<se tenir sur pieds >>,et donc <<immobile ou <<marcher », <<partir >>et même <<emporter >>;celui de l' <<oreille non seulement <<écouter )>, mais <{obéir >>,<<apprendre >>,<<le savoir <<l'intelligence >>;celui de <<la montagne >>,'« les pays étrangers homonymes en sumérien, où elles se disaient également ri 3 --, ce )>, >>, >>, >>, monosyllabisme d'un grand nombre de. mots, et par !onséquent de signes,a favorisé l'usage plus universel de beaucoup.d'entre.eux, et la constitution d'une sorte de syllabaire, qui a réduit considéra- blement la panoplie, d'abord inûnie, des signes û, et grandement puisque tout l'est et le nord du pays étaient bornés de chaînes qui en délimitaient les frontières d'avec le monde habité î: et ainsi de 1. Voir A. Falkenstein,..4rc/zaï.çc&e 7ex/e...,p. 37s. suite. D'autres associations pouvaient être suggéréespar la juxtapo- 2 sition ou l'entremêlement de divers signes : celui du' <<pain >>dans œlui de <(la bouche>>,pour <<manger »; celui de l' <<eau >>ajouté à celui de l' <<œil )> pour <<les larmes >>,ou à celui du <<ciel >>pour 1. Au..sud, le golfe Persique.et, à l'ouest, le grand désert syro-arabeétaient moins des frontières quid'énormes vides. 154 T 155 SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO simplifié le maniement et perfectionné l'usage de l'écriture : il ne serait pas aisé de trouver un remploi fréquent du pictogramme de <<l'homme >>, dans une langue où ce dernier se dirait rc/zë/ovïek, comme en russe, ou anïÆropoi,comme en grec; mais quand ]a langue l'épelle o/n (homme), ou lzza/z,ou, comme en sumérien, /oz/, syllabes courantes, il peut devenir un signe phonétique qui n'aura comme tel p[us rien à faire avec ]a réalité <<homme >>,mais se retrouvera chaque fois qu'en la languereparaîtrontles phonèmesom, man ou /ou. Avec un tel syllabaire, l'écriture devenait un systèmegraphique au sensplein et formel du mot, capablede refléter et traduire, non plus la simple perception brute de l'univers, mais ce dernier analysé, ordonné et <<rationalisé )>par la langue, de laquelle il pouvait rendre toutes les richesseset les nuances.C'était donc là un progrèscapital,et c'est à lui -- autour de 2800 avant notre ère 1 -- que les Sumériens ont dû, en vérité, d'entrer, non seulementdans l'histoire, mais dans le monde de ]a culture écrite, objective, mémorisés et accessible à tous. Il leur eût sum, conséquents avec leur découverte du phonétisme, d'éliminer tous les signes-de-motspour ne garder plus que la centaine de signes-de-syllabes exprimantla totalité desphonèmesusuelsen leur langue a, pour arriver à mettre au point un instrument graphique considérablement simpliôé a, maniable, précis et accessible, sinon à tous, du moins à un grand nombre.Or, que voyons-nous?En fait, à côté dessignespris pour leur valeur phonétique,c'est-à-dire syllabique, les vieux usagersde l'écriture cunéiforme ont obstinément conservé l'emploi de ces mêmes signes en leur antique valeur de pictogrammes ô, et cet usage primitif et obsolète, manifestement inviscéré, en quelque sorte, à l'écriture des vieux Mésopotamiens,a duré autant qu'elle : près de trois millénaires -- le même signe pouvant n'en comptent plus que 870, chiures compris, et la liste se simpliûera encore davantage par la suite, dèsla secondemoitié du lll' millénaire. Sur les quelque 600 que comporte le JWanæe/ d'ëpïgrap&/e accadïe/z/ze de R. Labat, une moitié seulement, au plus, est d'usage courant à partir du début du lll' millénaire. [. C'est ]a date que ]es archéo]oguesattribuent, en gros, à ]' « époque d'Uruk ]]] >> ou « de Djemdet Naçr », au cours de laquelle s'est faite la découverte capitale de la valeur phonétique des signes : ci-dessus, p. 155, n. 3. Voir du reste A. Falkenstein /'ïscÀe/" }He/rgesc#ïc/zre,11, p. 44 s. 2. Elle ne comportait qu'une vingtaine de consonnes et trois voyelles. 3. Ce progrès a été presque accompli une fois, dans des circonstances que nous i gnomons,en Assyrie, au début du Il' millénaire : l'écriture paréo-assyrienne,à part un nombre fort restreint de signesà valeur idéographique,n'emploie guère qu'à peu près 130caractères représentant, en gros, 230 valeurs phonétiques, dont un certain nombre sont rares ou utilisées seulementdans des cas peu nombreux et précis. Voir K. Hecker, GrammaffÆ der .K&//epe-Zexz'e, 1968, p. 12 : 5 c. Mais le système n'a ni rayonné ni survécu 4. On les appellevolontiers <<idéogrammes » ou, comptetenu du fait qu'ils repré- sentaient d'abord des mots sumériens, <<sumérogrammes». 156 à tout moment y être pris, suivant la volonté du scripteur, comme representant une chose ou 'une syllabe :. œlui du ,« grain de céréale (orge)>>pour marquer,oz{l'orge oæla syllabes#é(son nom en sumë' rien); œlui du <<pied >>pour <(aller >>ou <{se tenir debout/immobile?> ou « en porter >>,ou bien pour les phonèmes dozi,.goum,foui (lesquels répondaient à cesconcepts en langue sumérienne)..: IJn tel artiôce, qui complique étrangement cette écriture pour nous, déchifïreurs et <<lecteurs )>,la compliquait déjà assez pou! ses usagers antiquesi; c'est certainement une des raisons.essentiellesqui ont, parmi eux, fermé à la massel'accès de.la culture écrite pour }a réserver à un choix fort restreint, une sorte d'aristocratie : lire et écrire était un métier, aussi compliqué, long à apprendre, économiquementet socialement aussi peu accessible que ]a médecine ou ]e droit chez nous,il y a quelques décennies. . . Pour avoir assuméautant d'inconvénients en s'entêtant à garder à leur écriture son caractèrepictographiqueoriginel, en dépit..detout l'assouplissementphonétique qu'ils lui avaient apporté,. il fallait donc qu'ils tinssent vraiment beaucoup à cette antique pictographie Et à quoi se résume le trait essentiel de cette dernière, .sinon à (#sjgner cZe.s c/zones par dës choses? L'écriture pictographique. tissait donc entre les chosesune multitude de rapports plus ou moins inattendus ou subtils : elle habituait l'esprit à voir et à sentir ces liens secretsentre elles, et ce sont de tels liens que les vieux Mésopotamiens n'ont pas pu oublier, c'est une telle manière de .regarderle monde matériel, autour d'eux, qu'ils ont acquise très anciennement et qu'ils ne .sesont amans résolus à abandonner. Or, .tout le principe foncier de la divination déductive est là : elle aussi poil de; c/lobes (l'oracle) à travers d'autres choses (le présage). 3. L'action desdieux dansla marchedu monde A ces considérations, il faut ajouter un autre élément capital. c'est que, dans la penséereligieuse des vieux Méso?otamiens.(et peut-être 'un tel trait tirait-il davantage du côtésémitique de leur agrégat ethnique archaïque?),le monde ne s'expliquait point par soi-même, ni dans ses origines, ni dans sa marche a. Non seulement il avait été fabriqué en déônitive par les dieux, quelque étendue qu'ait été la part des'hommes qu'ils s'étaient adjoints comme exécutants', 1. C'est pourquoiils ont mis au point un certainnombredeprocédés pour aider le lecteur : indicatifs phonétiques et déterminatifs, notamment. Voir R. Labat, ÀZaæue/ d'épigraphieaccadiettne, p. 26 s. 2. 'Re/. .Ba6., p. 82 s. 3. OP. cï/., P. 86 s. 157 JEAN BOTTËRO SYMPTÔMES, SIGNES) ÉCRITURES mais c'étaient aussi les dieux, en dernier ressort, qui en dirigeaient avoir déterminé d'un commun accord le sort des hommes -- de chaque pensée tout court -- n'ont été mises avec quelque détail par écrit que un des emblèmes-talismans du Pouvoir suprêmeï. Ce mythe le fonctionnement quotidien. La plupart des croyances relatives à ce point -- comme à quantité d'autres de la penséereligieuse et de la plus tard; du moins ne nous sont-ellespas documentéesavant la fin du Ue millénaire; mais elles sont à ce point foncièresqu'on peut bien les supposer en vigueur dès l'époque archaïque. Comment les dieux menaient-ils donc la marche du monde non seulement des choses, mais de chacun des individus qui le com- posent? lci, comme dans tout ce qui touche à la personnalité et au rô[e des dieux, ]es vieux Sumérienset Baby]oniens ont uti]isé, en ]a transposant, l'image du pouvoir pour eux la plus familière et la plus éloquente : celle de l'autorité royale. Tenons.nous-en encore aux traits essentiels, qui seuls peuvent nous intéresser, pour l'heure. Dans son royaume le roi disposait de tout, et c'est de sa volonté que dépendaient,non seulementl'usage des biens matériels, mais la vie et la destinéede chacunde sessujets.Dans une administration aussi<<bureaucratissime1 )> que celle qui semble avoir sévi très tôt en Mésopotamieancienne,où la mise au point de l'écriture (c'est un fait avéré) n'a été provoquée que par et pour cette administration, le roi faisait noter et notiôer sesdécisionspar écrit : il sufRt de parcourir la correspondanceroyale dès l'époque où elle nous a été conservéeavec quelque ampleur, c'est-à-dire notamment la première moitié du secondmillénaire, pour se faire une idée de l'importance de l'écriture pour la notification et la traduction du pouvoir royal. Ainsi faisaient les dieux : non seulement, à un échelon supérieur, aussi surélevé au-dessus des rois de ce monde que l'étaient ces derniers au-dessus de leurs sujets a,ils décidaient du sort de tous et de tout : des empires, mais également des individus; et aussi bien, leurs décisions, hommeévidemment-- pour l'année à venir, ils faisaientmarquer les résultatsde leur $1aniûcationsur la <<Tablette des Destins.»: toire notamment,une tradition, que nous connaissonsmieux au le; millénaire, voulait que les. dieux inscrivissent mêmes leurs décisions concernant l'avenir sur les présages O Sema!... toi qui lis la tablette enveloppée et non encore ouverte z, toi qui inscris l'oracle riîru,) et places la sentence- divinatoire rdîrzz4,) dans les entrailles du mouton 3::. .. Pendant mon examen-divinatoire rbîrzzJ, gamay et .Adad inscrivirent(sur le foie de la victime) un oracle r3îru) fav.o' rable û. .. Je procédai donc à l'examen-divinatoire, et game! avecAdad me Êrent une réponse véridique tanna küï Ou/a'ïpz/zï,),en plaçant dans la chair riû'u) de mon agneau(immolé) un oracle rgîrzz,) favorable 5 Ces textes nous donnent la clé de la prière que nous connaissons depuis l'époque ancienne : <(... Dans le présage queje traite, (ô dieux...), placez la'Vérité rÆÏ/fzz,))>, demande qui .devait donc s'entendre au senspropre et comme matériel du mot : .dan\la procédurejudiciaire que constituait la consultation-divinatoire, . cama!, comme le juge d'ici-bas, une fois sa décision prise, inscrivait donc sa sentencepour 1. A ce sujet, voir en particulier le « Mythe d'Anzû » eti sur.ce comme faisaient leurs pâles reflets d'ici-bas, ils se devaient de les enregistrer. Moins, certes, par une manière de concession à la faiblesse de leur mémoire, que pour ajouter à leur pensée et à leur parole cette suprêmedignité qui les fixait, les immortalisait et leur donnait notoriété et valeur universelles. Comment les dieux écrivaient-ils leurs décisions?Comme toujours en régime mythologique, plusieurs constructions imaginatives étaient possiblespour rendre compte de ce point. La plus connue supposait une réunion annuelle des maîtres du monde en la<< Salle-des-Destinées )> sur le modèle apparent du conseil royal d'icî-bas : après y 1. Le mot est de P. Koschaker, Z.4 47, 1942.p. 180. 2.. <<L'homme (n')est (que) l'ombre du disait un proverbe du cru(.B MZ, p. 282). dieu,.l. 158 (mais) le roi est le miroir 'ici réduit à sestraits essentiels-- n'était pas le seul. En matière.divina- du dieu >> Danîe4 V, S-28(le festin de Balthazar et la ïnain qui écrit sur le mur...) 159 mythe, H/z/zœaïre Ë nAN BOTTÉRO lui conférer plus de force et de notoriété; mais /a rab/elfesz/r gz/oï SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES dans l'antique et obstinéetradition pictographiquede l'écriture saient comme autant de pictogrammes qui leur servaient à notiôer leurs décisionstouchant Ïe destin d'autres choses : c'est à savoir les hommes. Tel est sans doute le sens profond de la divination autrement dit la chose-destin-de-l'intéressé. En somme, les présages succès millénaire il l'inscrivait, c'était le support matériel du présage, et ïl \'écrirait cunéiforme : la chose-présage ûgurant et signiûant la chose-oracle, n'étaient que les ï(7ëogrammes, marquéspar les dieux, des oracles, c'est-à-dire du desfï/zfixé par eux. Une fois ce point de vue adopté, un certain nombre de traits relatifs à la divination déductive prennent toute leur valeur et leur sensvéri- table : par exemple le fait que, dans le directoire des devins, c'est la tablette et le calame qui composent les emblèmes corporatifs des Z)tiré1, signe que l'écriture tenait en leur discipline une place beaucoup plus foncière que dans les autres branchesdu savoir de tradition écrite. Par exempleencore, l'idée d'appeler <( écriture du ciel >>ou {<écriture céleste >>('Jïtir Jams,) 2 la disposition des astres et des cons- tellations sur la voûte étoilée devient éloquente, et davantage si l'on pense à la <<lecture >>qu'en faisaient les astrologues. Et, pour ne point tout citer, il arrivait souvent, en extispiscine et en physiognomonie notamment, que le présagelui-même consistât comme tel en un signe d'écriture marqué sur le foie, ou sur le front 3 Ainsi s'explique, enûn et surtout, un des noms les plus anciens et les plus courantspour désignerle <<présage>>: ïêrfu, qui, en vertu déductive. et telle la raison foncière de sa primauté, de son incroyable en Mésopotamie ancienne : non seulement elle s'accordait parfàtement avec la mentalité, la rationalité des habitants du pays et leur façon de voir le monde, mais elle.en était issue et n'en formait que la traduction dans le domaine de l'intérêt porté vers la marche future des choses. j c. La « pictographie » desprésages. Pour en revenir maintenant aux oracles élaborésau cours de la période ancienne qui, dans notre opinion, a vu la mise au.point de la divination déductive comme discipline, un certain nombre de questions se posent à leur sujet. Ët d' abord = quel était le support des « messages» divins qu'ils constituaient ou,'si l'on veut, ïa forme et l' apparence de ses e( picto- grammes )>?Nous savons déjà qu'on y doit compte!,.et sans doute depuis de longs siècles, les entrailles des victimes sacriûées, les mouve- ments des astres et peut-être les songes et les rumeurs omïneuses, ûn de compte, « la mission que donne un supérieur à son inférieur )>, mais,bien que nul témoignagedirect ne nous en.soit resté.à.ce jour, il y a de sérieusesprobabilités que d'autre? techniquesdivinatoires en bonne règle par écrit û, en somme : le<< message >>qui porte cet ordre. Le <{présage>>est de la sorte le support et le libellé d'un tel « mandement», rédigé par les dieux pour marquer le sort de l'intéressé-- autrementdit le rôle futur qu'ils lui réservent,ce qu'ils ont attestéesplus tard, comme la tératomancie,.aient déjà été en exercice '. Sans doute même faut-il aller plus loin. Si les vieux Mésopotamiens décidé de son avenir. imaginaient en vérité que les dieux écrivaient en intervenant dans la <('création )>,tout l'univers visible, pour autant qu'il dépendait de la causalitédivine, constituait donc, au moins virtuellement, comme une de son étymologie, signiûe <( l'ordre >>,<{ le commandement >>et, en Donc, les dieux, à mesure qu'ils faisaient les chosesô, les dispo1. .BBR,p. 118 s. : ligne 20. Z. R.êî. dans 1. ].(3elb, Standat'd Operaliîtg Procédure Jot ïhe Assyrien Dictionary, p. 31 et 32 s.; et N. H. Tur-Sinai dans .4rOr 17/2, 1949, p. 424. ' 3. Voir p.' ex. yOS, X : n' 14, 5 s. et ï4 s. (hépatoscopie);n' 61, 1 et 7 rïrem); rBP, n' 6 (pl. 12s.) : revers 12-66;et n' 27, pl. 35 s. (avecdessins!);et aussi J. Nougayrol, .R.440, 1945-1946,p. 79 s. 4. Ainsi, dans le Mythe d'Anzû, le messager divin Adad << prend le message >> lnmense page d'écriture. On trouve cette idée dans un Hymne d'Assur- banipal (668-627) à cama! -- dont nous savonsjustement l'importance en matière divinatoire Tu scrutés à la lumière (de) ton (regard) la terre entière comme (autant de) signes cunéiformes *. ri/qe rêrra,iqu'on lui donneà porter(LXH, n' 1 : face lï 33; 11128 etç.; trld. dans R.'Labat,'Z,et Relfgïani d PracÆe-Orieæf...p. 89, vers 85 etç.L Référencesd'époque paléo-babylonienne : F. R. Kraus, .Brf(#ë a i dem .4rcÆïve des lgamaJ-ëazir, .p. 44 s .= n' 65, 7;'H. H. Figulla, l,effets and i)ocæmenrs of f/re O/d .Baby/ola/z Per/od, Ur Excava/iozzs Texrs, V : n' 10, 22(ordre du roi), etc. 5. Il s'agit ici naturellement des chosesdans la disposition desquellesles hommes ne pouvaient intervenir : comme celle du fétus dans lë ventre de sa.mère, la mise en place des astres et météores, le fait que chacun ait tel ou tel visage, telle.ou telle marque de naissancesur le corps, ou soit entmîné dans telle ou telle aventure onirique, la conduite 160 reste plus haut, p. 100 s, n. 4, et plus loin,. ci-dessous. . . . . '- ,. .. -.---: ,.. 1. 0n peut le déduirenotammentd!..l'existencea' « oraclesHistoriques » panui içs 3891S€Hil'liii;XdHK3i.:'ütœ':. gî;t ".',:*«".'-161 JEAN BO'lTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES Tout ici bas était donc omineux,. et l'on peut gagerà coup sûr que, dès cette époque ancienne, et justement parce qu'une telle attitude était commandée par leur propre conception du phénomène divinatoire et de l'action divine, les antiques Mésopotamiens avaient au moins inauguré -- mais non certes encore, sans doute, systématisé -- cette immensecuriosité universelle,cette sorte d'extraordinaire volonté de déchiH'ramentdu cosmos, qui est une des caractéristiques de leur esprit. pictographie, comme la propre écriture indigène cunéiforme : c'est-àdire un ensemble de signes, parfois tirés du réel et encore reconnais- sables, parfois purement conventionnels, et qui représentaient des choses,ou des mots une façon de code, comme on dit volontiers aujourd'hui. Que les vieux devins en aient eu conscience,on peut +e pressentir devant quelques indices qui subsistent dans la plus vieille littérature divinatoire. Par exemple, ces désignations de certains aspectsdu présage, principalement en extispicine, évidemment tirées de leur signiûcation omineuse : << Le-Choc-du-front de l'Ennemi >>, <<l'Assise du Pasteur >>,<<l'Implantation du Trône >>,<<La Sécurité >>, <<le Secret >>,<<la Trahison >>,« l'Arme >>,etc î. Ou encore, une fois ou l'autre, la mise en valeur de la <<lecture>>généraled'un de ces sacrificielle et son contenu, a des chances de se référer à un événement historique Si, d'emblée, le produit-anormal a sa bouche soudéel -- le roi mourra de sa belle mort 2 et un personnage-important prendra le commandement du pays 3 à la bouche<<soudée>>,et la mort naturelledu roi, suivied'une façon Deuxième question, plus complexe : comment arrïvaff-on à {ëcÀ{8rer ces messages'divins ainsi imcrits dans ïes présages? C'était \à une << palmomantique empirisme'Soit l'oracle tératologiquesuivant, qui, par .sa.forme Si rien, en vérité, ne semblerattacherl'apparition d'un avorton d. Comment se lisaient ces <xpictogrammes » le passage de ta protase à t'apodose. signes oraculaires, comme dans ce passage d'un petit traité Un certain nombre de ces « pictogrammes >>n'avait, de soi, rien de commun avec ce qu'i]s étaient œnsés évoquer.])e ceux-là, le contenu signiôcatif n'avait pu être découvert que par hasard -- par de 2 )> Si, sur la poitrine de l'oiseau (sacriûé),à droite et à gauche, se trouvent quantité de taches-rouges-- mes soldats et les soldatsde l'ennemi, aprèss'être rencontrés,ne se battront point; le nom de ce (présageest) : remontre'. Après un exemple co/zcrefde <<traduction )> du signe, dans un domaine précis, celui de la guerre, l'auteur du traité en résume donc d'un mot la valeur gé/zéro/eet, en quelque sorte, le sens<<idéographique », applicable à toute autre situation û. de régence exercée par une notabilité, on n'a pu lier les deux. événe- ments qu'à la suite d'une expérience, d'un constat : le second ayant succédéde près au premier, et ayant été considéré comme annoncé, au moins,par le premier. C'est donc par e/npfrfsmequ'on avait,.du moins dans un contexte tératologique, acquis l'évidence que l'idéogramme composé : bouche + soudée, <(écrit par les dieux », devait avoir pour sens quelque chose comme <<coup du sort contre le roi». Aussi trouve-t-oli dans un autre oracle tératomantique la prévision <<mort de la reine >>lue à travers le signe <<avorton à la face léonine et dont la bouche est soudée» 4. Au cours de sièclesd'observations, il a dû $e constituer ainsi toute une collection de <<pictogrammes divinatoires >> dûment aÆectés de leur« traduction omineuse >>, comme les signes cunéiformes de la leur, en dépit de l'absence de tout lien apparent du signe au signiûé. Ailleurs, un tel lien pouvait exister, que le <<pictogramme )>.se rapportât à une chose c>u à un moto. Dans le second des oracles historiques cités p. 147, c'est la dœa/ï/é des Doigts qui évoque la compéïïfïo/zdes prétendants; et encore, /'é[email protected] sq/eï/ laisse transparaître/a mort du roï,' le regard, réputé ma/eggue,du serpent sur l'homme, la mari procÀaïPze de cet homme; le crolsemelzrïzl4ëcond, la dimiïïutiondu croît du bétail; \e mélangedu caïds de deuxfétus, 1. Mot à mot : <<épaissie >>,<<formant une masse (indistincte) >>. 2. Mot à mot : <(de la mort de(= décidée par) son dieu >>. 3. yOS. X : n' 56 1 15 s. 4. /zZ)æ,P. 79 : V 66. 1. Voir p. 126s. i. Pour lesvieux Mésopotamiens, la distance que nous mettons entre la choseet le mot qui la désigne,'son« nom », à nos yeux simple accident,n'existait pas : le nom était 3. .R.d61,1967,p.28s.:lignes 46-53. . . . . . . . 4. Ce n premier millénaire, à .notre connaissance,qu'ont. été dresséesde fond, la chose elle-ï;ême'en tant qu'exprimée. Au début dela célèbre.Z»épéede /a Crëaffo/z,lorsque l'auteur veut indiquer que ni les Cieux ni la Terre n'existaient encore, 2. Ce type de divination est déûni p. 113. véritables « listes » de ces valeurs idéographiques mantiques. Nous en étudierons le sens plusloin,p. 184 s. 162 une émanation,'une qualité intt'insèque et constitutive de la chose qu'il nommait : au il dit qu'« ils n'avaient pas de nom >>(R. Labat, les Re/fgfans dœ PracÆe-Orfenf.. p. 38, vers l s.) : ils étaient indéterminés,indéfinis; nous dirions : en puissance. 163 SYMPTÔMES, SIGNES, ECR[TURES ÆAN BOTTÉRO la co/!Husïo/z dans le pays, par suite de querelles Infus/ï/zesî. De même grammes divinatoires >>reçoivent ainsi leur signiôcation au moyen commeon le voit à tousles oraclesqu'il commande a. Tout a pu ronce entre les dénominations et les choses.En voici encore quelques le/io/z est-il devenu en quelque sorte, dans l'écriture divinatoire, l'idéogramme de la vïo/once, du pouvoir aôso/u, de la gupëriarlfé, jouer pour nouer ce lien entre les « pictogrammes>>mantiques et les réalités : l'évocation immédiate, un symbolismeplus ou moins subtil, ou alambiqué, ou reposant sur des croyances ou des imaginations très archaïques-- telle encore, cette idée qui rattache le succèset le bonheur à la d/aile, l'échec et la malchanceà la gauche3. C'est par là surtout que beaucoup de ceséquivalencesnous restent impénétrables séparésde ces vieilles gens par des millénaires, nous n'avons plus du tout la même façon de voir qu'eux, les mêmes expériences, les mêmes traditions, la même mentalité et la même logique. L'important, toutefois, n'est pas que zzoz/s puissionstout lire commeeux, tout comprendre comme eux, mais que nous sachions qu'mx lisaient et comprenaient,que leur lecture n'était pas arbitraire ou fantaisiste, mais, à sa façon, objective et rationnelle. Le même phénomène se produit çà et là pour les documentsécrits qu'ils nous ont laissés, et notammentla partie idéographiquede leur écriture : il y a des pictogrammes, des idéogrammes que nous ne comprenons plus, mais qui avaient un sensparfaitement clair aux yeux de ceux qui les avaient écrtts Un pareil empêchementintervient beaucoupmoins dans les cas où le <{pictogramme>> serapportantà un mof, sa signiôcationsejoue sur un jeu d'assonancesphonétiques. Par exemple, dans l'autre oracle historique cité p. 147, des pel:Horafionsconstatéesfpf/iæ pa/3uJsur le foie, on passeaux sapesfpï/iizJ qui ont servi à réduire une ville forte, dont le nom lui-même, Hpïla/ 4, est composé des mêmes phonèmes constitutifs, avec une légère métathèse. Quantité de <(picto- 1. 0n pourrait ajouter bien des exemplesà ceux-là déjà cités plus haut. 2. P. et. yOS, X. : n' 56 1 26 s.; 1118 s.; 27 s.; lzbzz,p.46 : 11,1; 81 : V 87 s. etc. Parfois, c'est l'idée de cruauté, de carnage, de prédation, qui domine : ÏZ)/d.,p. 32 1 5 : 89 : VI 53 etc. 3. Voir p. ex. C. Fossey, Deux principes de ]a divination assyrg-babylonienne.. ô.ans A?tnuaire 1921-1922 de ïa secüoït dès sciettcesreligieuses de l'École pratique. des Jïaœ/esËfædei, p. 6 s. Comme le précise fort bien l'auteur, cette croyance, dont l'origine est obscure, est devenue une loi, jamais formulée comme telle(on trouvera seulement, beaucoupplus tard -- voir encoreplus loin, p. 178 -- : « Ce qui est à droite se rapporte' à'moi, ce qui est à gauche à l'ennemi», Cr, XX, pl. 44 : 59), mais toujours appliquée.On ÿ a mêmeintroduit une restrictive: tout ceqüi est à droite et peut être considérécommeavantageux,est favorable;mais tout ce qui est à droite et peut être considérécomme désavantageux,ou mauvaisen soi, est défavorable; et vice versapour la gauche. Voir du reste encore, plus loin, p. 184. 4. Ville connue par d'autres textes, mais dont nous ne pouvons détenniner l'eïBplaœment exact, probablement dans le Nord du pays, autour du lac de Van(voir 1. G. Gelé, dans 4mericaà Journal ofSemitic LangKagesandLiteratKres SS, 1938, p. IQ s.). 164 de ce que, lzoui, nous appellerions un <(jeu de mots», mais qui n'était évidemmentrien de tel pour des gensqui mettaient si peu de diÆé' exemples S'il pleut rzunnzzfznænî,) le jour(de la fête) du dieu de la ville -- œ dernier sera fâché rzéni) contre elle a. Si la Vésicule biliaire est en retrait ('/za&safJ -- c'est inquiétant r'/za&dar31. Si la Vésiculebiliaire est prise dans rkz/ssô,)de la graisse-- il fera froid r'kzzffæ4,). Si le Diaphragme(?) est adhérent remïd9 -- appui rimid9 divin ô. Une telle <<lexicographiedivinatoire >>,si l'on peut dire, pour déchi#rer les <<pictogrammes >>divins, a été mise au point en de longs sièclesd'empirisme et s'est certainementpréciséeet enrichie jusqu'au bout -- nous devrons voir comment -- tant la matière était inépui' sable.L'inïïuence de l'écriture cunéiformesur l'esprit et la technique de la divination déductive y est manifeste. Et, comme cette écriture, elle implique une certaine abstraction du concret -- un seul et même signe garde sa valeur partout où il se rencontre -- et un certain a priori -- partout où apparaît un signe doit apparaître sa signiïi' cation --, qui préparent la <<rationalisation )>ultérieure. e. Ce qu'on y lisait : tes apodoses. Troisième et dernière question : Qzze/isaï/-ozzdans ces<<messages>> ainsi (ëc#€8rës?Il semble que les oracles aient été marquésprofon- dément par les commencements empiriques de la divination déductive. Nous avonsnoté qu'elle avait dû se fonder d'abord sur la constata- tion de coïncidences, de séquences d'incidents et de faits : les événe- ments ainsi rattachés aux présages en vertu de la maxime : rosi /zoc, ergo propfer /zoc, étaient donc des données observées, constatées, tout à fait concrèteset personnalisées-- non moins que celles qu'on enregistrait à propos des présages : et on le voit encore très bien dans les <(oracles historiques >>.C'est pourquoi les prédictions anciennes, remplies de détails superfétatoires, ont un caractère si réaliste et, pour tout dire en un mot, anecdotique 1. Mot à mot : <<si la pluiepleut ». 2. RJ 19, 1922, p. 144 s. : face, 20. 3. yOS. X. : n' 31 1 9-11. 4. Æfd..11132-35. S. yOS, X : n' 42 11137. D'autres exemples,à l'infini, pourraient être ici ajoutés 165 JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMIES, SIGNES, ÉCRITURES Un lion, après avoir tué quelqu'un devant la grand-porte les <<oracles historiques >>,où l'événement se trouvait rapporté tel toit la suppression de l'identité des personnages : <<Présage du grand-vizir qui assassina son maître 1>>.Hormis ces occasions, et principalement assiéger,lorsque tu serasface à elle, elle coupera les barricades (que tu auras dresséespour l'investir) et fera une sortie contre Et ce qui vaut des arbres publiques, vaut également des drames domestiqueset individuels, des<<faits divers 4 )>; Un petit garçontomberad'un toit '. Cet homme,jour et nuit (les cris de) : <<Hélasl >>et <(Aïe! aïe! axel >>ne le quitteront jamais'. Un scorpion piquera quelqu'un au moment où (ce dernier) entrera au palais v. L'épouse de cet homme incen- diera sa maison en mettant le feu à son lit o. L'épouse de cet homme,enceintedes œuvresd'un autre, ne cesserad'implorer la déesselltar et de (lui) dire en regardant son époux : <<Pourvu que je fasse mon enfant à la ressemblance de mon mari! >>9 Les seuls traits qui préviennent de considérer tous ces cas comme autant d'anecdotes,sont leur ;verbeau futur et l'absencede notes individuelles : noms propres de personneset de lieux et coordonnées chronologiques.C'est que la divination n'avait, de soi, rien d'historique et de tourné vers le passé,mais vers l'avenir. Aussi, tout ce qu'elle était bien forcée d'emprunter au passé,devait-elle le dépouiller de ce qu'il avait proprement d'individuel, pour lui conférer une valeur exemplaire qui le rendîtapplicable, en d'autrescirconstances, à d'autres individusîo. 3. yO S, IX : n' 41, 41. Et d'autres exemplesencore, innombrables, de même que pour les anecdotes « individuelles » qui suivent. 4. Pour la répartition des apodosesd'intérêt social et individuel, voir plus loin, p. 180 s., n. 6. 5. yOS. X : n' 17. 53. 6. yOS. X. : n' 54. revers 27 s. 7. yOS. XI : n' 21. 9 s. 8. .D.J, p. 19 : lignes 6' et suiv. ). h.. 'ï. C\aN, Babylonien Records in the Library afJ. Pierpont Mlorgalt, IN, pù. 1.4 n' 12, 37. Les deux derniersexemplessont tirés de traités récents(le secondnous est pan'enu dans une copie d'époque séleucide); mais, si l'hypothèse de travail(empirisme originel) et les lignes généralesde l'évolution de la technique divinatoire(voir plus loin) ici mises en avant ne sont pas controuvées,on n'aura nulle peine à convenir que les apodoses détaillées et <<anecdotiques » devraient a déjà lorsqu'il s'agissait, non de mémorables tournants de l'Histoire, mais, comme presque toujours, d'événements plus modestes intéressant le bien particulier tout autant que le public, il fallait recourir à un certain dépouillement de ce qui individualisait la situation exemplaire retenue, à l'origine, comme répondant au présage. Certes, les devins --.. et nous y reviendrons -- devaient être capables d'accommoder au personnagequi venait les interroger, les donnéesplus ou moins précises de l'oracle, dans la mesure où elles ne répondaient pas à sa propre situation Æïcef /7unc= c'était là, à n'en pas douter, une bonne part de leur savoir-faireet de leur art.:iVoilà pourquoi les vieux oracles ont été laissés si souvent, à l'époque ancienne, dans leur quasi mot à mot <<anecdotique>>originel, abstraction faite dessignes d'identiûcation trop précis. Toutefois, il arrive assezsouvent qu'une volonté délibéréede généralisation apparaissedans le propre texte des oracles,comme il nous est parvenu. Dans celui qu'on a pu lire plus haut, par exemple, sur <<la mort naturelle du roi, remplacépar un';haut fonctionnaire», ont été supprimés,non seulementle nom de la ville, théâtrede l'événement, et ceux du souverain et de son successeur,mais jusqu'au titre précis de ce dernier, remplacé par le vague Æabfœ: <<un person' beaucoup le cas le plus fréquent 2. Il faut donc retenir que la recherche 2. yOS. IX : n' 46 11112. procédé quel, mais dont le sensétait en somme, nousl'avons vu :dl doit se reproduire une situation identique ou analogue. Dans certains cas, du reste, la mise en forme suppose quelque abstraction, déjàf telle nage-important », <(une notoriété >>,<(une personnalité ». C'est de 1. yOS. XI : Uo21 8. 10. Le Une telle transposition était parfois à peine suggéréeï ainsi dans de la ville, seraabattuà son tour i. Quelqu'un du peupleintroduira auprèsdu roi une dénonciation;mais le roi, ne l'ayant point acceptée,le fera mettre à mort a. La ville que tu esparti été signalé plus haut, être à peu près toutes anciennes. p. 76, à propos des /amî/æ. d'une certaine abstraction découlait du caractère même des oracles et de leur origine eznpfrigz/e= nous verrons que, plus tard, on poussera plus loin encore ce dépouillement du concret et œt intérêt pour l'universel e La période ici étudiée, en dépit de l'exiguïté des témoignages directs qui nous en restent et du nombre de déductions et d'hypothèses renduesainsi nécessaires pour ]a restituer,va]aît ]a peine qu'on s'y 1. yOS, X : n' 41 77. Coma. aussi,p. ex., l' <<histoire anonyme» que résumel'apo- dose citée plus haut, p. 150 s., n. 3. 2. Des traits comme l'usage fréquent de termes plus vaguesou plus généraux, On le retrouve ailleurs, comme dans les namôz/rô(ci-dessus, p. 80), oÙ le nom propre de l'intéressé, conservé une fois ou l'autre(l,.K:4, n' 114: revers 2 s.), est régulièrement tels rzïb22; « le prince », Æab/æ.: « une notabilité >>etc., au lieu des désignations plus 166 167 remplacépar un terme vague:« Un-tel raîzizannaJ, ûls d'(Jn-tel tanna naJ >>,etc. précises de souveraineté ou de fonction(« nent ainsi beaucoup mieux. le roi», <(un gouverneur >>etc.),' se compren- JEAN BOTTÉRO attardât : il était indispensable SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES de chercher d'abord à comprendre comment est née, parmi les vieux Mésopotamiens, la divination déductive, et comment, dès le principe, elle n'a été en somme qu'un pj'oduit authentiquede leur mentalitéet de leur rationalité.Il nous reste à la voir maintenant,per sunna calf/a, évoluer avecelleset comme elles 11 naissancedu corps humain ï-. Nous le savonsdéjà, et ne le répétons ici que par commodité, dans les traités, cet objet omineux est présenté par les protasesen toutes sesvariations : un noevus,par exemple, se trouvant supposé, à la suite, aŒectertoutes les parties du corps humain, énuméréesà la lettre de la tête aux pieds a; dans les recueils anciens, l'analyse semble généralement moins poussée que plus tard $, LE PASSAGE A L'ÉTAT])E <<SCIENCE }} ET LA<< RATIONALISATION >> Dès le deuxième quart du second millénaire, nous nous trouvons tout à coup en présenced'une centainede ce que nous avons appelé des <<traités >> : recueils systématiques, quelques-uns fort amples et détaillés, puisqu'ils dépassaientles cent oracles par tablette et pou- vaient comprendre jusqu'à 17 tablettes, pour le moins. Un tel rassemblement ne s'est pas fàt en une fois, et c'est par pure fiction historique que nous passonsid, sans broncher, des oral/es iso/és, censéstypiques des premiers âges de la divination déductive, aux recz/el/squi les ordonnent par dizaines. Mais, démunis de la moindre lumière, directe ou indirecte, sur la façon de travailler des devins avant qu'ils eussent systématisé leurs connaissances, et sur les premiers agencements de celles-ci, nous en sommes réduits à remplacer la génétiquepar l'analyse logique et à franchir d'un bond la distancequi sépareles ë/ëme/z/s premiers ef ïrréduc/ïb/esde la connaissancedivinatoire, des fraïfëx qui les mettent en ordre. Du moins, prenant ces derniers comme ils sont, nous contenterons-nousde chercher à présent quel progrès essentiel leur élaboration a fait faire à la technique divinatoire. mais il y a déjà une véritable ana/yse,et c'est là le fait nouveau et important. Il est nouveauen matièremantique, mais, il faut bien le dire, n'a rien qui doive nous surprendreen Mésopotamie,où la passiondu rangement, de la classification et de la mise en colonnes est à peu près aussi vieille que l'écriture : nous avons déjà signalé 4, par exemple, antérieure à 2500 mais esquissée peut-être dès 2800, une nomenclature, en deux cent vingts mots, des fonctionnaires et gens de métier, laquelle sera développée :plus tard et deviendra <{ canonique >>avec plus de mille rubriques. b. La systématiqueet ïa prise en considération des possibles. Mais, dans les traités, il y a beaucoup plus que dans de simples listes. Si, en eŒet,l'on étudie de près ces recueils, on s'avise assez vite que le goût de la symétrie, d'une part, et, de l'autre, le besoin de penser à tout, de faire le tour de l'objet sous examen, ont amené à compléter les observations qui, depuis la période précédente, devaientconstituer le propre fonds <<empirique » destraités, ou à leur ajouter un certain nombre de <(cas >>plus extraordinaires, dont tel ou tel peut bien avoir été observé,aprèstout ô,maisdont personnede senséne tiendra pour vraisemblable qu'ils l'aient été tous. 1. yOS, X : n' 54, pour la tache-de-naissance dite œmfaræ(voirplus loin, p. 173), tandis que Si 33, plus haut cité(p. 107, n. 9), n'étudie que la marque dite ü.cïa, etç. 2. Voir du restele recueilcité fæex/eæ.ço plus loin, p. 174s. a,. la mise en traités et te développement de t' analyse. 3. On le voit en comparant -- lorsque c'est possible -- l'étendue des traités paléç?- La mise en traités est le regroupementorganique de divers oracles portant sur/e mêmeo6ÿeromineux,aon seulementau sensmatériel, mais au sensformel de ce mot. Par exemple,un traité étudiera, non le Foie de la victime, matièrebien trop vaste, mais telle portion omîneuse du Foie : la Vésicule biliaire ï, la << Porte du Palais 2 », le <<Doigt 3 », etc.; ou alors, dans un autre domaine, telle marque de babyloniens et celle des traités canoniques, dans la forme la plus récente en laquelle ils nous sont parvenus : par exemple, le recueil paréo-babylonienle plus détaillé sur la vésiculebiliaire(yOS, X : n' 31) comprend environ 120protases; un texte de l'époque séleucide(TCZ;,ÿl : n' 2) se présente.'avec ses quelque 80 protases, comme la« IV' ta- blette » du traité entier consacréà la mêmevésiculebiliaire, ce qui lui supposeau moins quelque chose comme trois cents protases. 4 P 153. n 3 5. Surtoutsi l'on tient comptede ce que l'observationn'était pas.le moins.du monde critique et que sa transmissiondans le lieu et le temps,.des témoins.aux rédacteurs, a pu, comme souvent, transformer considérablement lé.phénom+nq.originel et lui ajouter destraits fantastiques : on en a de fort beauxexemplesdans le Traité de tératomancie de l'époque ancienne, avec ces produits-malformés (izô J qui, !!.sortir 1. Ainsi lesn'' 28 et 31 de yOS. X. 2. /bfd.:n''22-27. 3. /bfd. : n'' 33 s. du sein, ressembienf à <<une brique >}, à <(uà serpent )}, à <(un cheval }}, etc.(yOS, X; n' 56 1 8; 38; 11110, etc.). Voir encore ci-dessous, la n. 6 de la p. suit. 168 169 JEAN BOTTÉRO C'est ainsi que désormais,pour peu que l'objet examinésoit étendu ou divisible, on le trouve méthodiquement analysé en sa partie droite et sa gauche,voire son milieu Si sur le Seuil de la Porte du Palais, à droite, se trouve une coupure... Si, sur le Seuil de la Porte du Palais, à droite, une coupure est marquéetout du long-. Si, sur le Seuil de la Porte du Palais, à gauche, de trouve une coupure. . Si, sur le Seuil de la Porte du Palais,à gauche,une coupureest marquée tout du long... Si en plein milieu de la Porte du Palais se trouve une coupure'. D'autre part, quand on voit enregistrer dans les protases succes- sives d'un même recueil deux a, trois 3, cinq 4 etjusqu'à sept Vésicules biliaires 5 pour un seul et même foie, on commence à se demander s'il n'y a point là commeun propos délibéré,non seulementde tenir compte du rëe/, même extraordinaire, mais d'envisager au maximum /'imagùzab/e, disons : /e possfb/e. La chose devient tout à fait évidente lorsqu'au début du traité de tératologie, en sa forme déônitive, sont prévus pour les nouveau-nésparfaitement humains une quaran- taine de présentations extravagantes, parmi lesquelles l'aspect d' <<un lion )>,d' <<un chien )>,d' <<un cochon », d' <<un bœuf », d' <<un âne )> etc., et, plus loin : d' <<une tête >>,d' <( une main >>, d' <<un pied », ... même d' <<une corne de chèvre >>,et naturellement, car il faut tout prévoir, de<( deux cornes de chèvre >>6 Cette introduction des possibles,parfois soulignéepar des notes généralisantes comme le <<connu ou inconnu >>rfdi2/ô f(ü) qui traduit notre <<quel qu'il soit 7 >>,a conduit, naturellement, à systématiser la lecture<< déduite >>: les oracles sur présages imaginaires ne pouvant, par déûnition, avoir été observés,étaient donc entièrement tirés de leurs prémisses.La divination se délestaitainsi peu à peu de son de l'oracle, que de l'analyse interne du <<pictogramme >>qui consti- tuait le présage.Il est bien évidentqu'en posantpour un seulet même foie<< sept Vésicules biliaires >>,nombre qui n'a guère chance d'avoir jamais été observéici-bas,l'auteur du traité pouvait diMcilement chercher son apodose ' dans une constatation quelconque, mais setrouvait contraint de recourir à une lecture aprïorï : en exploi- tant, par exemple, une valeur du chibre <{ sept )>, lequel pouvait évoquer, mettons l'idée de perfection et totalité; aussi donne-t-il pour oracle : « (]] y aura) ]'Empire : >>.Et quand, à ]a fin d'une énumération partie de <<trois ou quatre )>,il monte jusqu'à <<huit ou neuf >> oraculaire qu'il en donne : <<Un roi usurpateur se lèvera... le pays sera dévasté 2 >>ne peut guère avoir été tirée d'une constatation quel- conque, et doit donc avoir été posée par pur raisonnement. Les apodoses ainsi<{ conclues >>d'un bout à l'autre 3 sont forcément moins réalistes et détaillées que celles qui proviennent d'une observation; elles sont d'emblée plus impersonnelles, plus vagues et bien moins variées. On peut même se demander s'il n'a pas commencé dès lors de se constituer un répertoire de ces apodoses passe-partout que nous verrons proliférer plus tard 4. c. La divinlation comme science La mise en traités, à mesure qu'elle éloigne progressivementla divination de son empirismeoriginel, la rapproched'autant de l'état de connaissance a prforï, universelle et rationnelle, que nous appelons 1. yOS, X : n' 31 : XLII 21. Mot à mot : « (Il y aura) un << Roï de Ki! >>,rémi- niscence connue(voir W. W. Halle, E2rly JWeiopofamfa/zRoya/ Tff/et, 1957, p. 21 s.). 2. Réf. ci-dessus,p. 170, n. 6 : ligne 131. 3. Que certaines apodoses aient été<< déduites >>et<< conclues >>des protases,et non point constatéesëasuellement à la suite de présages,on le perçoit assezbien quand on lës voit rangées, à la suite, selon certains critères systématiques, comme les points 1. yOS. XI : n' 23. revers3'-7' 2. yOS. X : n' 31 1 47. 3. Æ/d.. X 48. 4. Æfd.. Il 13. 5. Æfd..XLII 20. 6. 1zbK,p. 32 s. : 1 5-42.De même fôfd. p. 39 s., est envisagée la mise au monde, par la même femme et en une fois, successivementde deux(tabl 1 83-103), trois(104 et Î10-115), quatre (105 et 116 s.), cinq (106, 123 s.), six (127-Ï29), sept (130), huit et neuf (131) eïifaàts; voir toutefois, pour certains au moins de çes cas, la réserve faite ci-desdela empirisme originel et tendait à ne plus dépendre, pour le déchiRrement le nombre d'enfants nés en une fois d'une:femme, la conclusion Et ainsi de suite. sus, àla n.5 SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES p. 169. 7. Je ne connais cette expression qu'après l'époque ancienne : voir p. ex. .Dreams, p. 315 : A. face11,11 s. : p. 3ïS (trad. p. 271 a) : reversIl x + 13 s. (trad. p. 273 b) etc. 170 cardinaux (.4C,'Sin': 1 12 s.; }iXV 116 s.; Ëamàs: X Si s; lëtar : lÿ, 1-16; etc.) ou les diversescontréesdesalentours du pays(Cr, XXXVlll, pl. 6 : 146-152;etc.), ou encore sesvilles : Nippur, Uruk, Larsa, Dêr, Egnunna,Akkad, Girsu, Sippar, Babylone,Ur etc. (Cr, XXXIX. pl. 31 s. : K 3811 +, 4 s.), etc. 4. P. 188 s. Ainsi, le texte physiognomoniqueSi 33(cité ci-dessusp. 107,n. 9) ne comporte que des apodoses vaguesi <<il aura (ou : n'aura pas) de la chance>>;<<il aura(ou ::n'aura pas) de dieu-protecteur )>; <<le bonheur(ou : le malheur) sera à ses trousses>>ou <<devant lui >>etc.(face lrs. et revers 13 s.; face 3' s. et revers 11 s.; revers l s., 4 et 9 s. etc). Voir aussi les apodoses, toutes imprécises, générales et <<passe-partout >>, de la tablette paléo-babylonienned'ornithomancie citée p. 81, n. l. 171 JEAN BOTTÉRO « science». Nous le comprendronsmieux encoreaprès avoir réfléchi quelquepeu sur le but et la raison d'être véritable de ces irai tés Il faut d'abord soulignerque la divination n'a pas été en Méso- potamie la seule discipline soumise à une pareille systématisation. A l'époque paléo'babylonienne, on peut au moins citer à côté d'elle la jurisprudence, et, à sa façon, la mathématiqueï; plus tard viendra le tour, notamment, de la médecine, de l'astronomie a. Pour s'en tenir à la première, dont le cas est peut-être le plus exemplaire, les prétendus <{codes >>de <<lois )>, dont le plus célèbre et le plus ample est celui de tJammurabi a, ne sont pas, comme beaucoup le pensent encore, des codex, ou les ancêtres de codes, au sens moderne du mot c'est à savoir desrecueilsde lois, ou d'actesdu pouvoir, pour réglementer la vie sociale des sujets du royaume. Ce sont des œuvresde science du droit, des traités de jurisprudence. Ils ne sontpoint destinés, par exemple, à fournir un répertoire complet des décisionsjuridiques et administratives, sur lesquelles les juges se fonderaient explicitement pour motiver leurs sentences. Ils veulent seulement leur apprendre à juger, leur inculquer le sensdu droit, de façonque, l'esprit habitué à <<sentir juste », ils puissent résoudre justement chacun des cas qu'ils auront à trancher. Et dans ce but, au lieu de leur aligner des principes du droit et des lois universelles,tous types de propositions spéculatives qu'un esprit mésopotamien ne s'est jamais soucié de concevoir, ou tout au moinsde formuler in aôs/macro, on leur soumettaitdescas concrets, comme on nous a mis sous le nez, quand nous étions enfants et apprenions la langue et l'arithmétique, non des axiomes linguistiques ou mathématiques,auxquels nous n'aurions pu mordre, mais SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES résolusselonl'esprit de ce droit non écrit qui était le seulen vigueur en Mésopotamie. La casuistique de ces« codes )>consistait à grouper cesproblèmes autour d'un même sujet, dont on fusait varier les données,de manière à montrer le plus d'aspects possibles d'une question, un peu commevarient les élémentsde nos paradigmesgrammaticaux Les traités divinatoires sont construits exactementcomme les <<codes >>: ici et là, les <<cas >>proposés se trouvent tous coulés dans un mêmemoule logique et stylistique, qui pourrait bien avoir formé, un peu comme dansnotre logique classiquele syllogisme,le propre canevas de la pensée rationnelle et sçientiôque en Mésopotamie ancienne : une protase, introduite par <(si>} : (3umma), et au <<passé >>, suivie d'une apodose au <{futur >>.Et, comme dans les <<codes >>,mais d'une façon plus détaillée et méthodique encore, ces <<cas )> sont regroupés en paradigmes qui en font varierlesdonnées et les solutions, habituant ainsi l'esprit à percevoir les relations de celles-ci à celles-là et lui inculquant assez bien, par cette méthode active, les principes sur lesquelselles reposent,pour le rendre capablede saisir et résoudre dans le même esprit tous. les problèmes qui pourraient se poser. Comme rien ne vaut les documents authentiques, voici, pour donner une meilleure idée de l'agencement d'un traité, tout ce qui nous est resté de l'un d'entre eux, copié sur une tablette d'époque paléôbabylonienne ï, et qui étudie un point précis de physiognomonie la présence sur le corps d'une sorte de naevus appelé æmfafzz-- que nous ne savonspas identiôer davantage. Le texte est cassépar endroits, et, selon l'usage, les lacunes seront délimitées par des crochets droits, des paradigmes et des tables de multiplication -- grâce à quoi nous avons tout de même fort bien appris grammaire et calcul. Les <<lois >> des <(codes )>,ce sont en réalité des <<cas >>(le <{code >>de Hammurabi vides lorsqu'on n'y peut rien restituer, et plus ou moins remplis dans problèmes juridiques suHsamment dégagés de leurs circonstanœs trop individualisantes, exposés en leurs données essentielles, puis les inconvénientsen remplaçant cette interminable ritournelle par les appelle lui-même des <<décisions de justice 4 )>) : c'est-à-dire des le cas contraire. Dans l'original, et suivant une pratique constante, la formule introductoire de la protase : <(Si une ulnsa/z/se trouve... » est répétée à chaque ligne, procédé fastidieux dont je préfère éviter des tirets 2 1. Les plus vieux traités mathématiques,trouvés à Tell Harmal, sont de l'époque paréo-babylonienne .: Taha Baqir, Semer 6, 1950 p. 39 s; et 130 s; 7, 1951, p. 28 s. Sur les mathématiques babyloniennes, voir l'exposé(malheureusement dénué du moindre souci de diachronie) dans Hïf/aire gëÆéra/edes iclelzcei, 1, p. 103 s. 2. Voir fô/d., p. 89 s. et 123 s. 3. Voir A. Finet, l,e Cade de Jïammœrapï(1973) : traduction annotée et courte introduction excellentes, avec références aux éditions antérieures. Un résumé en français, avœ brève discussion du sensdu contenu et de l'ouvre, dans J. Bottéro, .Le (:ode de .ZZam: murabi (rails de civilisation, S). 1967. 4. Revers XXIV l s. 172 1. 11s'agit de yOS, X : n' 54, déjà maintes fois cité. 2. Pour la clarté, je sépare les protases, dans la colonne de gauche, des apodoses: dans celle de droite. 173 SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO FACE DE LA TABLETTE Si une œmfarasetrouve sur[l'occiput d'un homme à droite] sur son occiput, [à gauçhe] l ] au centre de son occiput 5 sur le front d'un homme. à droite du péri[ qui [1'] aura saisi [,n sur son sourcil de droite sur son sourcil de gauche au centre de ses sourcils 10 sur sa paupièresupérieure 8 de droite sur sa paupièresupérieure 2 de gauche 15 le 35 le de il recevraen cadeaules « dons du 5' 10' sur la partie... de sa langues à droite a gauche sur son/sa... 8 sur la partie [infërieure?] de sa [sur .] ] [ [sur , à dr]oite] [sur ], à gauche thraces de trois !ignes encorel ] ] de sa main] à dro [ite ] de sa main [ sur la partie médiane de sa main, à [ gauche sur le dessusde sa main, à droite sur le dessusde sa main, à gauche sur ses doigts de droite sur ses doigts de gauche sur le haut de sesdoigts de droite sur le haut de ses doigts de gauche entre ses ûls. l'un mènera une vie d'esclave entre sesû]s, ]'un]mènera une vie de] notable cet homme, dans une chute?/ épidémie [on le l cet homme ne [ pas sur son pénis 2 sur la partie centrale de son pénis 15/ r à gauche sur la partie médiane de sa main, à droite il y aura dans]sa] rétsidence?] une une calomnie dans [ de/en la main [de-. langues, à droite : cet homme,tant qu'il vivra [. [. ..] sur le dessusde son pubis année de femmes fécondes (?) sur sabassejoue de gauche sur la partie... de sa langues ' ett-.] chemin >>[...] 6 son voisinage le . mentionnera en mauvaise part contre son voisinage, dans un procès [il ['emporterai sur sa bassejoue de droite sur le milieu de son cou [sur il aura juste de quoi retourner son bénéûce à son bailleur-de-fonds hurla partie bassede sonnez surson cou,à gauche séjour? en prilson? incendie [...?] parmi sa parenté-de-sang, un homme L quelques ïigttes perdues \ il aura toujours un <<mal-disant >>6 sur le coin de son œil, à droite sa lèvre dans/avec [ le mal... [ le mal au <<maître )>[. .. sur son cou. à droite [sur sur le coin de son œil, à gauche ses fils auront de ]a chance cet homme... [ REVERS DE LA TABLETTE la ses fils n'auront pas de chance 3 sur sajoue de gauche 25 il ne s'emparera pas de ce quï préoccupe l sa main s'emparera de ce qui préoccuper il s'emparera dans un ou deux ans ce qu'il désire son ûls aîné osera en]evé?] de maison son âls aîné sera sauf et [ ..] sur sa paupière inférieure de droite sur sa paupière inférieure de gauche ourson nez sur sajoue de droite 20 ] le malhleur sur le front d'un homme, à gauche au centre de son front 30 l sur la partie [infërieure?] de sa langue, à gauche sur le cenŒede son/sa [ sur son menton. à droite sur son menton, à gauche. sur le milieu de son menton ] ] ] tout ce qui ]ui appartient...[ tout ce qui... [ ] ] le pays qu'il aime,.promptement [ il [e reverra?] il sera(sexuellement-) puissant visà-vis devon épouse [?] il sera troublé par de l'anxiété mort(ou) lui et... [ maladie s'emparera de quelqu'un qu'il ne connaît pasle fera promouvoir sur la partie bassede son pénis sur son testicule de droite ] dans/de [ dans/de.]. [ il fera une « sortie >>1 à perte une aïïàire qui se produira, lui-même nel'apprendra pointa sur son testicule de gauche <<chuto4 sur son iaprœ(partie haute des fesses?)5 cet homme sera constamment boule- » de justice, au Palais son adversaire-en- verse 1. 11s'agit d'une araire commerciale : expédition à l'étranger, ou sortie de capi- >>. taux,quisesolde parun déûcit. 2.'Comme on le voit à ce qui suit, c'est ici plus précisémentla partie haute du 5. Il peut s'agird'un dieu qui ordonnedu mal contrelui, autrementdit qui cause quelque chose qui intéresse l'individu en question et qui lui échappe, à son dam, car le présageest défavorable. 1. Mot à mot : <<de ce à quoi est présente son oreille », c'est-à-dire « son attention 2. Mot à mot : <<sur l'aile de son œil ». 3. Mot à mot : <<n'auront pas de génie-protecteur ». 4. Mot à mot : << auront un dieu >>. son ma]heur, ou d'un homme qui médit de ]ui ou ]e calomnie. 6. Apodose peu claire, peut-être liée à une activité commerciale. Le mot traduit ici pa!.«.chemin» rFûqœ) marquetoutefoisplutôt la<<rue >>quela <<route >>. 7. Il doit s'agir de la surface supérieure de la langue. ' 8. Sans doute : « au centre de la partie supérieure de sa langue ». 9. Le dessousde la langue, apparemment. 174 Déni 3. On ne comprend pas bien à quelle <<a8àire » il est fait allusion : sansdoute 4. Le terme mïqï//æ,mot à mot : <<chute», qui peut signiûer« échec», se.prend souvent au sensde « mort, disparition subite ». Sîl'on avait voulu marquer seulement la <<défaite » de l'adversaire: sâ,perte du procès, on aurait sans doute employé une autre tournureconnue. 5. On voit mal la diEérence,ici, entre les deux mots iaprœet Japurrœ(lignesui- vante), qui désignent tous deux la région fessière. 175 r SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES JEAN BOTTÉRO il y aura ensa maison perte de bétail tout ce qui lui appartient,un puissant en profitera, et lui-même sera dansla peine enlèvera à un puissant tout ce qui lui appartient, et il s emparera d'un trésor antique un haut ou le disposera le Palais le promouvra s'emparera d'un trésor et son nom sera<<men sur son.Japærræ(séant ?) ' sursa cuisse de droite sur sa cuisse de gauche sursa hanche de droite sursa hanche de gauche sur la moitié interne de sa cuisse tionné B>> par l'ouvre de ses mains, son nom sur la moitié interne de sa cuisse gau. che par l'œuvre de ses mains il réussira droite sera détruit simien que danssa villesa parole fera autorité 3 sur sa jambe de droite [son pays?/sa maison?] aura famine etsa 'sera grave il exercera [un pouvoir/oïnce] sta ble 8 sur sa jambe de gauche jour et nuit « Hélas! » et <<Aïe sur le bas de sajambe de droite aïe ! aïe! >>seront liés à lui 6 il serananti d'un c œur sur le bas de sa jambe de gauche qu'ille peu sur la plante(?) 7 de sonpied droit hurla plante(de)7 che un contraindra [l un arrêté du de son pied gau- aussi Joyeux du Palais le portant mention de son nom [[e...] et son <<nom » énoncé sur sa cheville de droite sursa cheville de gauche sur... son ad :justice Ce qui a dû frapper d'abord dans cet opuscule, ç'est son caractère paradigmatiqueet casuistique.On y aura noté aussi,dans lesprotases, outre 1; mise en ordre <<de'haut en bas )>avec, à la ïin, un paragraphe additionnel, apparemment oublié à sa place normale l par le scribe, la prévision systématisée, partout où c'est possible, de la. présence du nœvus à drop/e d'abord, puis à gaœcÀe,puis, le cas échéant, au cen/re, de la partie du corps intéressée. Quelques organes apparemment considérés comme indiviàbles font exception (tels le nez à la face 14, 19 et le Japræet le Jupurrt/,au revers19' s.). Les partiesdu çgrps symétriques, et par conséquent coupées l'une de l'autre : joues(face 1:7s.), mains (début du revers) ' et jambes (revers 20' s.) etc:, sont simplement divisées en droite et gauche. Le pénis, lui(revers 14'-16'), vu sa forme, n'a ni droite ni gauche,mais une partie haute, répondant sansdoute au prépuce s, une partie centrale et une partie basse. Cette bi' ou tri-partition du présage a régulièrement sa contrepartie dans les oracles : le même concept y âgure, avec de simples varia- tions de contexte ou de direction. On voit que <(s'empirer de ce que l'on désire )> est lié aux <<sourcils )> (face 7 s.); le <<ûls aîné », à la <<paupièresupérieure >>(face10 s.) et <<les (autres)enfants>>à <<la paupière inférieure >>(ïôfd. 12 s.) ou à la <{partie basse de la joue >> (ïbïd. 20 s.); les <(testicules >>paraissent -- le diable sait pourquoi -- donner l'idée d'une <<araire enjustice >>(revers 17' s.); les <<cuisses», de la <(fortune que l'on possède >>(iôid. 20' s.), et leur <(partie interne », de <<l'action et'l'eŒort personnels >>(fôid. 24' s.); tandis que la plante du pied appelle un <<arrêté du Palais )>(ÏZ)Id.30' s.), et le pavillon acoÜstiqué '», la <( dénonciation 12 ou 3 lignes perdues\ >>(Tranche inférieure). Parfois, cette <{pictographie >> est transparente et les rapports du présage TRANCHE INFÉRIEURE DE LA TABLETTE dansle pavillon de son oreille droite il sera mentionné dans une démon ciation et il sera nanti d'une mauvaise réputation la dénonciation abondera en sa dans le pavillon de son oreille gauche boucher ourson des disputes lui seront prédestinées. à l'oracle sautent aux yeux : c'est le cas de la <<dénonciation)>que le sycophante va déverser, à voix basse, dans <(l'oreille >>de l'autorité ; c'est le cas du <<pubis», qui évoque naturellement la <<puissance sexuelle >>(revers 13); le <<désir >>est lié au regard, représenté ici :par la seule partie des yeux où se puisse trouver une zzmgarœ :<( les sourcils >> (face7 s.); et du momentque, par symbolismeou telle autre raison Inconnue, on assimile <<l'aile-de-l'œil >>: la partie mobile et la plus importante des paupières, au <<ôls aîné», il est logique que l'on réserve 1. Voir la note précédente. 2. L!« mention du nom.» fait allusion, sansdoute, à la célébritéet à la gloire. 3. Mot à mot : « seraprincière». 4. Le mgt (XarasswJ est obscur. Si on le tire de àaræl-Xa, le sens en serait : <( sa mise .en pièces». Inconnue ailleurs, cette apodoseest obscur. En tout cas, le présage est défavorable. 5. Mot à mot : <<dont le fondement sera solide ». 6. En d'autres termes : « ne le quitteront pas ». ' 7. Mot mal connuet traduit par son équivalentsumérien,lequel signifie <<point d'appuidu pied ». 8. C'est-à-dire qu'il en fera un usagefréquent. 176 1. 11aurait dû ûgurer dans la partie réservéeà la tête : p. ex. avant ou après les paragraphes consacrés aux yeux ou au nez. ' 2. Dans la partie perdue,'au bas de la face et au haut du revers(on ne peut. estimer le nombre de'lignes qui ont été emportéespar la cassurede la tablette), devaient être mentionnés -- si l'on en juge à d'autres textes parallèles -- les épaules, la poitrine et la région mammaire, le dos et les bras. 3. Voir la n. 2 de la p. 175. 177 r JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES pour <<les (autres) enfants )> les <<paupières d'en bas )> (face 10 s.), d. L'utilisation des traités inférieures etpassives. D'autre part, à travers la régularitéparfaite de plusieursdonnées, on entrevoit un certain nombre de règleset de <(lois >>.Par exemple, à la partie droite répond toujours un mauvais augure,et un bon à la gauche : l'umfaru sur le sourcil de droite annonce qu'on n'obtiendra pas ce que l'on désire; sur le sourcil de gauche,qu'on l'obtiendra È consultation sur l'avenir à connaître par divination déductive tour' naît régulièrementautour d'une question poséeet à laquelle on atten- dait une réponsepar oui ou par non. A quoi pouvaientdonc être (face 7 s.) :; et encore : les enfants n'auront pas, ou auront de la chance, utiles, en ces cas, des répertoires interminables où l'on ne trouve jamais la moindre réponse catégorique, mais seulement-: on vient selonla position à droite ou à gauchedu nœvussur la paupièreinférieure (face 12 s.), et de mêmeen allait-il pour la paupièrehaute, et de le voir encore -- des pronostics plus ou moins <<anecdotiques >> le <{ôls-aîné )>,en dépit de la cassure qui nous en masque le mauvais sort, à la ligne 10 de la face. Même opposition entre la <(vie d'esclave )> On s'est souvent demandé, en eŒet,comment les bôn2 se servaient de ces recueils, sachant, par les documents de la pratique, que toute \ et la <(vie de notable >>promises aux enfants à l'occasion de la basse- touchant ce qui devait se passer dans æ/zdomaine c fermïné comme la vie familiale (ainsi face 10 s., 20 s.; revers 12') ou personnelle (revers 14' s., 18', 28' s.) ou sociale (revers 16' s., 20' s., 27' s., 30' s.) ou écono- joue (lôïd. 20 s.), et entre la tristesse geignarde et la joie débordante à propos de la basse région jambière (rev. 28's.); le sens de la dénon- mique (face 15 s.; revers 19' etc.)? Ces cataloguesjouaient pour les sera la victime si l'æmgafz{se trouve à droite, et l'auteur (apparemment devins le même rôle que les <<codes )> pour les juges : c'étaient les paradigmes où ils s'initiaient chacun à sa <( grammaire )>,les manuels de leurs variations paradigmatiques. Le seul point qui pourrait étonner d'abord est le caractère systématiquement néfaste de la position à droite y régaler <<la jurisprudence >>.Moyennant quoi, ils devaient être capables, à partir de n'importe quel présage, de comprendre le sens général ciation, à la ûn de la tablette, a la même valeur, puisque l'intéressé en où ils apprenaient leur science et leur métier, et qu'ils consultaient encore dans les cas dimciles, pour y <<chercher des précédents >>ou récompensé) si elle est à gauche. Cette opposition méthodique donne une idée à la fois du mode de lecture des pictogrammes divinatoires et de l'oracle qui s'y trouvait <<écrit par les dieux )>et caché.De ce et faste de la gauche,contraire en apparenceà l'axiome universel qui sensgénéral, le traité, à cause de l'origine empirique des oracles, ne veut que la droite implique le succèset la réussite,et la gauchetout mentionnait chaque fois normalement qu'une situation donnée, particularisée et concrète; mais le devin, qui avait pénétré au'delà de ce mot à mot singularisé,savait par métier l'adapter au consultant et à la question précise qu'il lui avait posée. Dès l'époque ancienne, quelquestraités, çà et là, prennent d'ailleurs la peine de suggérerpar avanceaux usagersqu'ils n'auront pas à raisonnertout à fàt de la le contraire. En réalité, cette loi est respectéeici, mais inperiëe, comme nous en trouverons plus tard la formule explicite : l'z/mfafzi, phénomène anormal et de soi désavantageux, et par conséquent de mauvais augure, a le pouvoir de <<changer les signes )>,comme disent les algébristes, et de rendre maléfique ]a droite et bénéôque ]a gauche. Une parei]]e <<]oi >> n'est ici, ni nulle autre part, à l'époque,jamais expriméecomme telle mais elle commande évidemment les diŒérencesentre les oracles selon l'aspect des présages,et c'est une de celles que les devins apprenaient, même façon <<(s'il s'agit d')un malade : >>,c'est'à-dire si la demande a pour objet le pronostic d'une maladie; ou <<d'un voyage 2 >>et de sans les formuler, grâce à la lecture et à l'étude attentive des traités. Une dernière note qui a dû frapper le lecteur, c'est le caractère très croncret, parfois presque individualisé, des apodoses : pour que son issue, heureuse ou malheureuse; voire <<d'un objet-perdu 3 »; ou <<de l'armée le <<ûls aîné >>ou les <<enfants >>de l'intéressé (face 10-13; 20 s. ; etc.) : <<du succès des armes s»; ou tiquer médecine ( = diagnostic) ou conjuration (= thérapeutique)... >>(D..4, p. 11, 8' ligne fallait-il qu'il eût un fils, ou des enfants.Et pouvait-on promettre à en partant du haut). 2. yOS.X : n' 11 1 14. quelqu'un << la puissance (-sexuelle) vis-à-vis de son épouse }> (rev. 12') s 'il n'était pas marié? Et ainsi de suite. Ceci nous ramène à l'utilisation 3. /bfd. : n' 62 17. 4. 1bïd. : n' 20 14. 5. /bïd. : n' Il 1 32. générale des traités. 178 termes 1. yOS, X : n' 20 17. Comp. aussi,dans un traité plus récent : « S'il s'agit de pra- aient quelque chose à faire avecl'oracle prononcé à son sujet, encore 1. La partie centrale est souvent aussi de mauvais augure. 4 >>,en d'autres <<du roi >>et des alaires de l'État 6 ; voire<< d'un mariage )>et de l'ave- R 6. Très fréquent. Mais voir particulièrement des apodosescomme fZ)fd. :' n' 311 48- 50; [V [O; n' 47 90 s ; et son para]]è]e 48 27 s. Comp. .D], p. 7': 17' ]igne en partant du haut. 179 T JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES l Un nir du du ménage ménage ï. Un peu peu plus tard surtouta, on trouvera prévus, constances plus précises, comme c'était l'once du juge d'appliquer le droit à chaque cas particulier dans cette même optique, jusqu'à l'état social ou économique de l'intéressé : si c'est <<un notable» ou <{un riche >>3, ou bien <<un simple sujet >>ou « un pauvre >>4; et, parmi les traités plus récents tout au moins, ûgurent, çà et là, de véritables listes d'objets possibles du même acte divinatoire Si c'est un malade, il mourra; si c'est une armée partie en campagne, elle ne s'en reviendrapoint(saineet sauve) : S'il s'agit d'un notable, (il aura encore plus de) notabilité; s'il s'agit d'un pauvre,(encoreplus de) pauvreté2 Si tu fâs acted'extispicine pour(t'informersur)ce bien-être Le passagesuivant, par sa formulation même, marque parfaitement à quel point la consultation divinatoire, telle qu'on l'enregistrait dans du roi, Ke succèsd)es armes,(le déroulement d')un voyage, la prise d'une ville (assiégée),la guérison d'un malade, la pluie du ciel(::: pour savoir s'il pleuvra), desopérationscommerciales(= pour savoir si elles apporteront profit ou perte) les traités, se trouvait, en sa décision, command/ëepar so/z des/fzzafaïre Si tu fais acte-de-lécanomancie 3 en vue d'un mariage 4 ou bien d'autres (objets) (encore).- '. laisse tomber à part (dans la coupe d'eau) un jet d'huile pour (représenter) l'homme, et un pour(représenter) la femme: si Ce qui, en somme, équivalait à souligner la po/yva/once de/'apodose 6, dont il fallait seulementaccommoderle contenu essentieli des cir- (les gouttes) demeurent l'une contre !'autre, le destin de cet homme et de œtte femme est de s'épouser; si après être restées ainsi accolées, la goutte-qui-représente l'homme disparaît 5 1. Ô/., 11,p. 62 14.Texte cité plus loin (p. 181,n. 6). 2. Mais voir déjà, pour l'époque paléo-babylonienne,yOS, X : n' 56 1 19, où, l'homme mourra (le premier); si c'est elle de la femme: la en.réponse.à un même présage, l'oracle est d'abord donné<< pour le pays >>(niôfu), puis spéciûé<<pour le simple sujet>>rm ikênæ) : le premier doit s'attendre à une défaite; le second,à être ruiné par le âsc. femme mourra (la première) ' 3. ]wop. xiv. p f84Ïi :s. 6; cz. :xxxvni, pï. ï3 : ïoo; pï. 26 : 4i; pï. 36 : 6i; 4. ]WID& IXIV, p. 50 s. ; 111 14 s. Dans le même passage, on prévoit en outre l'appli+ des techniques divinatoires en mantiques d'intérêt public(notamment extispicine et astrologie) et d'intérêt privé(en partïciüier physiognÔmonie et oniromancie). fl est vrai que ces dernières, par la qualité même de leurs présages(accidents du corps et compter cation de l'oracle au cas d' « un prisonnier ». A ma connaissance.l'« esclave ». comme tel, n'est jamais mentionné dans'depareils contextes.Dans C7 et .K,4.R. Zoc.cü'. à la n. précédente, et dans D.4, p. 226 : 22, il est question du<{ simple sujet >>(m ikênziJ. lbfd. : 20, c'est le.mot a/îïê/æ.glE.paraît avoir ce même sens,et ainsi peut-être ailleurs, çà et là par exemple CT, XXX.Vlll, pl. 21 .: 2, où l'incise ana amê/ï, placée étrangement entre le ?ujet(mark :.un âls) et le.verbe, fait l'eÆetd'une note ajoutée pour marquer qu'il s'agit tement ou aventures oniriques d'un particulier, lequel était sans doute couramment rence.par l'usage de la l ''. personne,.comme souvînt. Il ne faudrait toutefois pas donner trop d'importance à ce point : en réalité amê/a, ou am.êZa Ja le plus souvent : « Phoïnme », ou « cet homme », désigne régulièrement <<lïintéressé », celui que concerne le présage, ment dans les traités hépatoscopiques, où il est wai que la plupart des apodoses concer- celui qui venait consulter le devin à leur sujet), intéressoient régulièrement le consultant ; mois elles touchaient aussi, non seulementsa propre famille, son épouse(MDP, XIV, p: 49 s. 11,9) ou sesenfants(fôïd.Il 18),'ce'qui va de soi, midismême<< le pays >>(Dreams, p. 327 : C 1 70 -- trac. p. 282 ô). Et, d'autre part, on rencontre couram- bien d'un.f( homme(ordinaire) )>, pour le distinguer du souverain, désignéen l'occur- nent le bien public plus que le destin de tel ou tel intlividu, desprédictions appropriées à ces derniers : par exemple yOS, X : n' Il 11121 etc.; et quelquefois par passages entiers : ibïd. : n' 18 54-60 etc. De même, si certaines apodosei de traités àstroiogiqües semblent exclusivement dévouées, par exemple, à des prédictions météorologiques, par une sorte de souci de garder présage et oracle sur le même plan(,4C, Adad : :kX),'on soit parce.qu'il lui est survenu,.soit parce qu'il a consulté l'aruspice pour connaître l'avenir grâce à lui: dans ce dernier cas,.on le dénomme aussi ôê/ fm»zerï ='«lle propriétaire du mouton (sacriûé pour l'examen divinatoire) >>(yOS, X : no. Il IÏ1 16: 31 V 16 y rencontreailleurs desprédictions, non seulementd'intérêt public(<( ûn du règne» ou etç.; lzôw, p. 89 : VI 46 52 etç.); ou alors ôê/ôfrf :« le Inaître dela maison )>ou« le chef <{de la dynastie >>etç. : par exemple, ïôid. : 111 33) mais primé(ainsi <(un dieu abusera de la famille (intéressée par lé présage) >>(,K:4R, n' 389 : VAT 10481. 6i. Mais, comme (cet)homme )>: iôfd. = Xil 14). ôn aurait donc tort d'insÈter trop sur une telle distinc- on rencontre !usai <<cet homme )> famé/ Jû;, çontredistingué du roi(rwôa, par exemple dans.X:4R ; no 385 29.; comp. aussi ,4C, ]l' tion, beaucoup plus apparente que réelle : ce serait ne pas prendre garde au phénomène esse/zfïe/de la polyvalence des apodoses. l 11, P. 17 ]8 suppl. : XL, revers 7), de même qu'ailleurs.<< le pays>>rmôfæ) se trouve opposé,dans'i'application de l;oracle, au souverain( 4C, Sema: : Vl11 6), il est permis' d'avancer que, de toute façon, le mot 2. JWDP, XIV, P. 51 16 s. a/?zê/æClu.!!Pinsindirççtement,l se rapporte au simple sujet. 5. . C7. XX, pl:44 : 59 ô-61. Voir aussi .8.BR,p. 196 : 11121 ç., et 7CZ,, V, pl. XLII s. passim (41, 46 57 s. etc). 6.. C'est justement à cause de cette manifeste polyvalence de l'apodose, ainsi soulignée de teglps.!!.temps par des notes explicites(voir encore pour l;époque récente les listes dans.Cr, X.X, pl. 44 : 59 -b-61; et comp. 7CZ,, VI, PI. XLII : Be j face 46, ûn: 58, 3. Mot à mot : <<Si tu traitesl'huile ». 4. Mot à mot : « pourprendreépouse ». 5. Mot à mot : <<devient sombre. obscure >>.c'est-à-dire : invisible. 6 Texte rappelé ci-dessus, p. 180, n. l. On peut citer encore, pour l'époque récente : <((S'il s'agit d'un combat) sur le fleuve, il s'emparera des embarcatioiïsde l'ennemi ; (s'i] s'agit d'un combat) sw ]a terre ferme, il bâtira l'armée de l'ennemi )>(Cr. XX, ûn)!.mais évidemment.universelleet constat;te,qu'il me paraît dimcile, comme le }bnt traditionnellement quelquesspécialistes(voir par exempleL. Oppenheim, Orle fa/fa 5, pl. 50 : revers 7) ; et, selon les temps de l'année : <<Si c'est l'été, Ëamaë(le soleil) submer: gela tout(= chaleur tenable et dévastatrice); si c'est l'hiver, Adad(l'orage, la pluie torrentielle) submergera tout >>(.4C, 2' suppl : LXVI 3 ; camp. aussi f&fd. ; LXXVïïï, 1936, p. 209 s. -- mais.fomp . sa.réservep. 214, et les exceptions qu'il signale p. 220 n. 2 --, et Dreams, p. 239 a), d'admettre qu'il y 'ait eu, vraiment, une distinction réelle 180 181 J r JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ECRITURES Réexaminées sous œt angle, bien des <<variantes», apparues dès les plus vieux traités, prennent un tout autre sens que celui de simples Pour le malade : troubles mortels, puis il recouvrera la santé; destinéesà élargir, au-delà de sa sphère originelle et circonstanciée, on est bien obligé de poser entre les deux exégèses, non plus un accord complémentaire,mais une divergenceradicale. Et comment divergences d'interprétation : plus volontiers y verra-t.on (ou selon une) autre interprétation des notes le contenu essentiel de l'oracle. Par exemple dans l'apodose l'expliquer sinon en la mettant au compte d'une manière diŒérente de <<lire >>le présage a? Du moment que chacune de ces deux manières (C'est le) présagedesdieux Lugalgirra et Meslamtaèa qui accom: pagnaient l'armée; autre interprétation r'Xa/züJum-Ju.) .' il y aura une <<peste >>dans le pays î, a trouvé place dans le traité, et passait donc pour faire autorité, il faut qu'elle ait émané, disons, d'une <( école >>diŒérente. Toutefois, si l'on en juge au nombre véritablement môme de telles variantes con- on voit très bien comment l'oracle <<historique >>originel, rappelant une épidémie meurtrière survenuedans quelque armée partie en guerrea, a été étenduensuite,si l'on peut dire, aux <{civils )>. Et la formule Jazzï2 Jum-iü ne veut pas dire <<exégèsedifférente >>mais <<autre-façon-de formuler les apodoses suivantes tradictoires parmi les plus vieux traités, de telles coteries, si coteries il y avait, devaient être assezexceptionnelles. Dans la suite du temps, on ne comptera jamais beaucoup de ces interprétations opposées laissant entendre que certains principes de la divination déductive )>l'oracle. C'est le sens qu'elle garde dans pouvaient être compris diÆéremment d'une chapelle à l'autre. Ce qui frappe donc, et dès l'époque la plus ancienne où l'on peut considérer la divination comme une discipline intellectuelle, c'est son unité Entre [a fami[[e ou ]a domesticité de cet homme, que]qu'un mourra; autre interprétation crépusculea. et sacohérence profondesdanstout le pays3 : derniertrait qui en : (il y aura) une éclipse-du- souligne encore le caractère non arbitraire, mais <( objectif >>et scïelztÈRŒue. Ainsi donc, profondément enracinée dans la mentalité des vieux lci, la première prédiction marque l'incidence du signe, maléfique Mésopotamiens, et inaugurée nous ne savons quand, mais parfaite- et meurtrier, dans ]a vie privée du consultant; la seconde dans la vie ment constatableïlz/ac/o esse,une transformation foncière a fait de la cité, exposéeà la <<mort de l'astre >>,tout aussi funeste au bien de la divination déductive, dès la première moitié du second millé- public qu'un décèsparmi sesproches pour un particulier. Et encore naire, à partir d'une discipline empirique, de pure constatation et dont l'objet demeuraitd'abord casuelet contingent,une véritable A l'entrée du palais, un scorpion piquera quelqu'un; autre interprétation ! l'ennemi battra l'armée alors qu'elle se trou- science,universelle par son objet et sa façon de le prendre, nécessaire par ses lois, déductive et a priori par ses procédés, toujours alimentée, vera en territoire pacifique a, certes, par l'observation du réel et du concret, mais y cherchant désor- où c'est également le même malheur inattendu qui doit frapper ici, un individu : il mourra :, qui entre tranquillement maisl'invariable, l'abstrait et le général rationnelle. au palais, lieu tout aussi protégé surnaturellement que le temple; là, une armée campée loin pour tout dire en un mot 1. yO.S,XI : n' 1743. Voir aussi, par exemple,plus tard, R. Labat, ZI/nca/e/zdr/et du territoire hostile... Toutes les variantes, il faut le dire, ne sont pas de ce type. Et quand ôaô//o/zîeæ, p 170 s. : $ 86 12, etc.; Cr, XXVlll, pl. 28 : 10; XXXIX, pl. 20 : 135; XL, pl. 48 : 10; .Z).d,P. 61 : 22. 2. Quecette différencesoit d'origine empirique(mise en relations -- voir ci-dessus, on lit p. 149 s. -- du présage observé avec deux événements subséquents, également observés, mais diŒërents,et même de valeur contraire) ou a priori(signification contradictoire, selon les points de vue, du « pictogramme » omineux que représentele présage-- voir 1. yOS. X : n' 17 37. çi-dessus, p. 163 s.). 2. Comme Nerval(ci-dessus, p. 107, n. l), les divinités infernales Lugalgirra et 3. Si l'on enjuge du moins, à notre documentation, laquelle pour l'époque ancienne Meslamtaèa, lorsqu'elles entraient en action, « dévoraient » les vivants pour augmenter ne nous renseigneguère que sur Mari et la Babyloniedu Sud(la plupart des traités la population de leur royaume; c'est ainsi que, dans la mythologie du temps, on expliquait la recrudescencede mortalité, causée le plus souvent sans doute par quelque épidémie. 3. yOS, X : n' 17 49 (cf. 50 s.). 4. /bfd. = n' 21 10 s. publiés dans yOS, X], d'origine précise inconnue, semb]ent, à leur graphie notamment, originairesde la partie méridionalede la BasseMésopotamie : /oc. cïf., p. 1) ou .il du Centre(le n' 60 a ététrouvé dans la Diyâla, à Khafadjé, et le n' 62 est écrit en orthographe de la Babylonie du Nord; le n' 63 a été trouvé à Kië, également dans le Nord, mais il est un peu plus récent : d'époque cassine). 182 183 SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES l'accroissement peut-être énorme du /zomôre dex présages au cours du temps et, à l'intérieur des diverses techniques,/ez/r iysrëmaflsa- 111. LES PERFECHONNEMENTS ULTÉRIEURS rfon plus ample et plus poussée,dont nous avons signalé les princiTous les changementset enrichissementsultérieurs qu 'a pu subir cette divination pendant les quinze sièclesoù le pays va garder encore son autonomie politique et culturelle, relèvent du seul ordre de la quantité et ne changentrien de substantielà l'image que nous avons découverte : tous ils ont au moins leur racine dans les plus vieux trai- tés, dans la Sciencemantique telle qu'elle s'y trouve, sinon déûnie, du moins élaborée.C'est pourquoi ils n'intéressenten sommeque son <<histoire événementielle » et ne sauraient, comme tels, retenir davantage notre attention. Il n'est bon de les signaler, en peu de mots, que pour accuser mieux les contours de cette image. paux résultats littéraires au ler millénaire 1.Les étapesentre les premiers traités paréo-babyloniens et les derniers recueils, parfois démesurés, nous fusant en tout ou en grande partie généralementdéfaut, nous ne pouvons pas calculer l'ampleur de ce double progrès, dans le nom- bre et dans la systématique. Mais c'est la même sciencedivinatoire qu'on trouve au fond des vieux traités et dans les encyclopédiesdu ler millénaire, agrémentésde gloses, de révisions, de variantes, de commentaires,i'ecopiésinfatigablement, ou résumés dans des üorilèges et des vade-mecum de toute sorte. b. Les {{ lois » de l'exégèse a. Choix des techniqueset présentation des traités. En matière de <</ecfure >>ef d'exëjgêsedex obÿersomlPzez/x,il y aurait Dans le domaine des /ecÆ/zigues,les préférences pour telle ou telle, un peu plus à dire. Dans l'énorme documentationdu ler millénaire, la vulgarisation ou la disparition de telle ou telle autre, et mêmeleur nous avons la preuve que les devins, s'ils se trouvaient toujours inca' des phénomènes accidentels. Que plus d'une discipline mantique, notamment. de l'espèce que nous avons appelée <i liturgique )> aleuromancie, libanomancie, lécanomancie, à en juger par ce qu'il principes et de/ois, auxquels ils recouraient sans cesse. Il leur arrive rapprochement avec le <(jeu de hasard 1 )>,sont, de notre point de vue, nous en reste,ne semblentplus avoir été, au ler millénaire, que'des techniques.d'appoint 2 ou des pratiques plus ou moins popularisées et accessibles aux non-spécialistes a, la chose est peut-être due au pablesau moins de les énoncerdans leur abstraction même,se rendaient parfaitement compte de l'existence, en leur discipline, de de remplacer l'apodose par la rubrique : << (C'est) défavorable. (Mais lorsque les données) sont (déjà par ailleurs) défavorables, (c'est) favorable a!». Nous reviendrons dans un instant sur cette formulation remarquable : <(favorable-défavorablü> . Mais des remarques de ce genre, par conséquent, des présages que l'on en pouvait tirer; elle serait en essayantde rendre le plus clairement, et avec le moins possible de mots concretsce que nousappellerionsla <<loi d'inversion des en aurait la contre-épreuvedans l'importance croissanteque, dans le même temps, ont pris d'autres techniques, comme la {rénérablc co/zfrafre,montrent qu'on en était arrivé, sinon à la formulation concep' ruelle de tels principes, au moins à des énoncés très généraux, et de la nombre réduit de combinaisonspossiblesde la matière utilisée et. donc à imputer à un souci plus vif d'analyse desobjets omineux. On valenïwô =Toute valeur est inversée lorsqu' elle se trou'pe dans un contexte aruspicine (dès avant le ler millénaire), et, surtout, au ler millénaire, généralité desquels on avait pleine conscience. C'est un progrès remarquable : mais il était au fond des vieux traités, comme nous l'avons remarqué à propos des déductions tirées de la << droite >> l'astrologie, .desquelles les matières pouvaient fournir des présages inâniment plus nombreux et précis.Or, œtte volonté d'analyseest déjà manifeste dans les premiers traités : elle est connaturelle à la science divinatoire elle-même. Relèvent du même phénomène, et méritent donc le même jugement, 1. Voir p. 123 s. 2. Voir p. 116 s. et 119, n. 2. 3. C'est peut-êtrele casde l'oniromancie et de l'astrologie, voir p. 120 s. 184 et de la <(gauche )>. Dans ce domaine, on peut d'ailleurs citer mieux encore. Le grand traité d'aruspicine, au ler millénaire, comprenait un« chapitre » où avait été en quelque sorte dresséeune table des valeurs essentielles 1. Voir p. 102et suivantes;voir aussip. 169,n. 3 2. CZ.,XX, PI. 45 : 22 s. 185 JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES typiques de.certains pictogrammes omineux ï. Le texte en est disposé sur trois colonnes. Dans la première, à gauche, on trouve ce qui concerne le présage:: plus exactement, en un mot ou deux, ce qui, dans l'objet analysé, était considéré Gomme essentielleme nt omineux. Ce .pouvait être une forme concrète qui s'y remarquait : celle du <<.piquet >>; de la <{ hache-de-combat >>,:du <<renflement >>a; mais, le plus souvent,c'était une qualité, laquelle est alors expriméecomme telle, soit sous la forme concrète diun adjectif (« gros 3 )>), soit, le plus souvent,:ous la forme abstraite d'ui substantif(<<longueur>>; $guïe dans te présage, ï'oracle doit comporter telle lecture, telle idée \. ïô Jamais sans doute en Mésopotamie l'on n'a été si près de la formulation d'un ensemble de <<lois >>qui réduisaient à l'essentiel, et en clair, l'exégèsedes signes-- ce que nous avons appelé la <{ méthode de déchirement >>desprésages,et ce qui fait le propre fonds de la divination déductive. En même temps, jamais l'on n'a mieux montré combien cette méthode était rationnelle : les présagescontenant en eux-mêmes les éléments des oracles, il sufRsait d'analyser correcte' << démesure )>û)oud'uninôMtif(<(êtrecourbé versle bas'Ë >>). La ment la protase pour en déduire l'apodose. Or, aussi bien cette rationalité de la méthode de lecture que la consciencemême qu'en pouvaient deux? également en termes abstraits, l'essentiel de l'oracle :'<<gloire o >>, <( puissance 7 >>,<<victoire 8 >>,etc. L'équivalence des deux est exem: l'énoncé même de quelques présages laisse entendre qu'on discernait déjà consciemment les éléments de la <<Table des valeurs >>ci-dessus deuxième colonne enregistre de même, sous un seul mot, ou parfois pliûée dans la troisième colonne, où se trouve transcrit un oracle complet, dans la protase duquel apparaît le mot, ou l'idée qui figure en la. première colonne, et, dans ]'apodose, ce qui ûgure dans ]a deuxième. Par exemple Z'ongz/ezlr Réussite Si la Station est assez/ongzïe pour arriver jusqu'au Chemin --- le prince rézzxsfra en la campagne qu'il aura entreprise 9 avoir les vieux ôêrü, on les trouve déjà dans les premiers traités, où <<Si ]e Point-fort rdanônti,) de(:= qui marque) la Trahison rzabf/fœ,) est fendu -- un tien calomniateur... un espion >>lisons-nous dans un traité paléo-babylonien a; et, pour qu'il n'y ait aucun doute sur l'équi- valence entre le Point-fort et la Trahison, le premier figure dans la protaseet le seconddans l'apodose de la ligne précédente3 : <( Si la tête du Point-fort est ballante : (il y aura) Trahison... )>Nous pouvons imaginer par là combien on était près, dès la plus vieille époque de la divination <<scientifique », des réalisations les plus remarquables qui ne nous en sont attestées dans toute leur ampleur et clarté que plus tard r Autrement .dit, f{ longueur >>dans le présage, signifie .« réussite >>, comme on le voit à l'exemple suivant : « Si la Station etc. >>.Quelle que soit la fonction exacte des oraclescités en la troisième colonne exemples.donnés à une « .théorie >>ou point de départ d'une analyse dont le résultat aurait été mis en valeur élans les deux autres colonnes, il est au moins évident que cette analyse est faite : en d'autres termes. que du présage on a su tirer et en quelque sorte aôx/Faire conscïemme/z/ eï/orme//eme/zf la seule donnée essentielle, ce qui soulignait tacitement l'existence d'une règle : « CAague/oiÿ g e fe/ signe, fe/ «pïcfogramme )> }},Z.K?1/41, 1934, P. 180 s. 2. 3. 4. 5. 6. texte, loir l'important commentaire de J. Donner d,.i Texte cité, lignes 7, 19 et 18. /b/d.=']igne ]0. /bid..:ligne l. 1bïd.='ligne 16. Mot à mot : <(mention du nom )> (voir déjà ci-dessus, p 176, n. 2) : fbfd,, lignes ç. Abstraction et valeur généralisée des apodoses L'abstraction et la généralisation de l'apodose, beaucoup plus manifestes et universelles au ler millénaire, on les trouve déjà inaugurées aussi mille ans plus tôt. Certes, les apodoses circonstanciées 1. En somme,cetexte représenteune manière de code divinatoire illustré d'exem- ples. On en a de plus simples, sur deux colonnes seulement, à la façon des« vocabulaires >> bilingues du cru, connus depuis le début du Il' millénaire et qui alignent des signes ou desmots sumériens,d'une part, et, de l'autre, leur valeur ou leur traduction en accadien (DAT, 1, p. 360 s.). Un exemple intéressant est un petit <<manuel >>astrologique de l'épo- que des Sargonides(autour du premier tiers du 1" millénaire), publié par E. F. Weidner dans HFO 19, 1959-1960,p..;105 s. : sur deux colonnes, il présente, à la suite, à gauche un choix de signesomineux caractéristiques,avec, en face, sur la colonne de droite, leur valeur oraculaire essentielle.Ainsi, à la col. l, ligne 3, peut-on lire, que<([1'étoi]e Dellebat», alias la planète Vénus, marquée à gauche, doit faire penser, comme le dit la partie droite, à <<la prospérité du bétail ». Voir aussi K 3123, dans .ÆC, 2' suppl. : XIX; 7. /bïd.='ligne 8. 8. Mot à mot : « abat des ennemis >>.: ïôid. .:ligne 4. 9. /bfd..:ligne l. et 81-7-27,22 (ïôid., n' CXVlll) 3. /bfd..:ligne 186 : lignes 17 s. 2. .R,4 38, 1941, p. 80 : lignes 4 avant la ân et suivantes. 6 avantla ûn. 187 JEAN BOTTÉRO SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES et <<anecdotiques>>y forment encore la grande majorité. Mais si, plus tard, on en trouve encore un bon bon nombre, elles ne subsis- sera pas œ qu'il désire » ï. C'est assurément là le point extrême de la autrement, ou plutôt dont on ne garde plus, en général, que la valeur « otïï >>ou <<no/z)>qui répond à l'attente des consultants. Or, dès la haute époque, nous rencontrons déjà de telles apodoses tent plus que comme les vestigesd'une tradition archaïque,dont le mot à mot originel est soigneusement conservé,et que l'on entend essentielle : positive ou négative. A côté, surabondent un certain nombre de formules vagues,très peu particularisées,ou du type << passe-partout >>: <<joie du cœur1>>, ou <(tristesse 2>>,ou << malheurs». ou << bonheur 4 >>, ou << longue vie 6 », ou <{ fin-de-la-vie proche 6 )>, ou <<richesse 7 >>ou <{pauvreté 8 >>,etc. Et même des apodoses qui res- tent plus ou moins circonstanciées se rencontrent parfois assorties d'une note qui prétend de toute évidenceen universaliserla valeur Le prince frissonnera(de peur) sur sa couche --(c'est) défavo- rables réduction de l'oracle à sa valeur la plus universelle et la plus abstraite, positive ou négative : tous les vestiges laissés par l'empirisme originel dans les apodoses <{anecdotiques )>sont ainsi abolis au prout du seul vagues : <<Une bonne chose surviendra au roi 2 >>;<(pour le roi, c'est favorable ' >>;<<parmi ses connaissanœs (;: de l'intéressé), quelqu'un mourra ' », etc.; ou <( passe-partout >> : <<cet homme réalisera son désir 5 »; « bonheur 6 »; <(tristesse7 )>;<(malheurs », etc. Même, un petit traité tout entier, déjà cité plus d'une fois, ne donne guère, en réponseà la position du naevusÜ.GÏRsur tout le corps,que des oracles vagues : <<]1 aura/n'aura pas de ]a chance 8 )>; <<(son) dieu l'aidera >>ou <{le rejettera :' )>; <{le bonheur/le malheur le (pour)suit :: )>. Et la qualification quintessenciée<{ de bon augure >>(opposéenaturellement à son contraire i<< de mauvais augure )>)est connue aussi -- autrement dit, cette apodose, matériellement réservée aux souverains, pour les rêves la. Même dans ce domaine, on le voit, le développement n 'intervienne la <(loi d'inversion des valeurs >>qui le rendra favorable gnages qui nous permettent d'appréhender ]e passage de ]a divination signiâe en réalité que le présage est de mauvais augure, à moins que ultérieur extrêmeétait commeprévu et esquissédèslesplus vieux témoi- dansun contexted'autre part défavorable.Une telle formulation en à l'état de connaissant rationnelle et de science. quelque sorte élémentaire, qui vise à souligner, au-delà de toute réalisation concrète, le seul caractère essentiel de l'oracle : faste ou néfaste, compte tenu que l'on n'attendait en fait rien d'autre de la consulta.. taon divinatoire que la réponse par oui ou par non à une question déterminée, n'est point d'ailleurs la seule, à l'époque. On y trouve aussi, par exemple, et parfois même employée tout au long d'un traité : <<il réalisera ce qu'il désire >>avec sa contrepartie négative <{il ne réali- !aëÉ' :l#b':EFI fi: =Ï:l.,l:s7g,:l'LXr; o"'«,., p' 3'' : ïx, fa" l y+8 2: adfr/Klïdfrræ(etdjlutres de sensvoisin);' ainsi : CT, XXXIX, pl. 36 : 88; Dreami, p.331:C, flag.l,x+13(trad.p.288ô),etç. ' ' ' 3. dïlïÆræ,dz/Æd/i(motà m(it : trouble.troubles), etç.; par exemple: CZ, XXVIII. pl. 29 : 'avers 1: etc.l et surtout / m eic ' Ifôôï(etc.) très souvent(ainsi 7:BPne 38a : 20. 4. !aô /ï&ôi,, etc. ; ainsi 7BP, n'.6 ;.revers 35, etc. Très fréquent partout. 5. amœ-luïrr/kæ(<<les jours de l'intéressé seront prolongés );) et tournures simi- lai!es; par.exemple.Dreami,p. 311 : IX, face1 4 s.(trad. p. 267a), etc.; très souvent. 6. ümæ-gu iÆarlïZ(<(les jours dç l'intéressé seront raccaiïrcis»), kt d ;utres expres- sions de sensanalogue ; par exemple : iôfd., ligne 3, etc. ; également'très fréquent. 7. ïàarrf. ?zyXrê,et autres synonymes; 7BP', n' i4 : IV 5, etc.; .Dreaæn9p. 317 : A, reversly+27(trad.p.273 a);très fréquent. ' ' '' ' 8. ÏZgppfa, /upaæ, etc. PO.ÿ,p. 72s. i XLÏ, XLlll, etc.; Dreams;p. 331: C, flag.l x+27, !tç. .(trad. : voi! p. 289.a), etc. A l'époque paléo-babylonienne, je ne connais qu'une fois le substantif /ap/zæ,dans un contexte du reste obscur : yO S. XI : n' 31 VI 34: mais je n'ai jamais rencontré le verbe Zapéæœ. 9. D.4, 225 : 1 et s.; trad. dans Choix,l, p. 220. 188 1. Sm 255, dans Càofx, 1, p. 127 s. Coma. les apodoses <<favorable >>rdumfg), « défavorable >>rû/ damfq), çà etÏà : ainsi 79-7-8, 128(dans Cr, XL pl. 41) : 1ignes5-8. C'est dans le même serti qu'il faut interpréter la rél;étition, à la' fuite, d'apodoses identiquespour des oracles diaërents, parfois nombreux.'On en trouve bien des exemplesen oniromancie (.4lzlzaire .r969-/970, p. 106), mais aussi ailleurs (par exemple JC, ÏËtar : XX 8-11 ; Cr. XXXVllï, pl. 42: revers 54-57), et parfois sous la formule abrégée, dont le sens est plus ou moins celui de notre ffem ; Ëu.BÏ.DiC.Àu (voir à çe sujet A. Deimel, gæ/lzerisc&es l,exlkoæ, 354 : 237) : ainsi lzôæ, p. 47 : 11 13-15; .,4C, SIn : XIXIXI, 13-18; 2' SUPPI.: X.XX. 4, 6-9, etC.; OU ËU.BI.OIM.NAM=' ÏÔjd. Adad : XXXI 51 s. et IDeimel op. cff. 354 : 238. Ou alors, avec une seule apodose ajoutée à une plus ou moins longue liste de protases : tel est peut-être le cas du texte publié par B. Meissner dans JK0 9, ï933-1934, p. 119 s., avec son unique (?) apodose, à la ligne 19, pour dix-septprotases.Quoi qu'il en soit de ce dernierdocument,dont l'interprétation ici suggéréen'est pas la seule possible, le phénomène des apodoses identiques répétées est trop fréquent à l'époque récente pour que l'on y puisse voir facilement, avec L. Oppenheim(Dreami, p. 263 a), un signe diintérêt décroissantvisà-vis d'une discipline mantique, l'oniromançie notamment(voir .4nn#aire.-, lüc. cff.). 2. yOS. X. : n' 47 7. 3. /bfd. .: n' 3 1 IV 10 s. 4. /b/d..: n' 17 50. 5. /b/d. .: n' 33 IV 45 s. 6. fa6 /f6ôï(camp. ci-dessus,p. 188, n. 4) : fôid. : no 20 7 etc. 7. adrdfœ(coup. ci-dessus,même page, n. 2) : 1bid.; n' 1 7, etc. 8. 1#mœæ/ïëPôï(camp. ci-dessus,même page,n. 3) : iôfd. ; n' 22 18, etc. 9. Mot à mot : <<il aura/n'aura pas un dieu (en safaveur) >}: Si 33 (cité p. 107, n. 9), face l s.: revers13 s.: etc. 10. Face9 s.. etc. 11. Reversl s.: cf. 9 s.. etc. 12. Notamment danslesdocumentsde la pratique, telles leslettres : ainsi A. Ungnad, AtîbabyïenischeBriefe aus dem Muséum zu Pltiiadeïphia,ïï' 189 11, 24 s. Camp. i)reams, p: 229. SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES E. LA SCIENCE DIVINATOIRE MÉSOPOTAMIENNE ETLA SCIENCE TOUT COURT La divination déductive, phénomène typiquement mésopotamien, est donc véritablement née de la mentalité, de lavision du monde, de la culture mésopotamiennes,et elle s'y trouve si profondément intégrée qu'elle a évolué avec elles. Sans doute même a-t-elle joué un rôle important danscette évolution et ce progrès,à tout le moins sur le plan du savoir : nousl'avons vue passerde l'empirisme, simpleconstatation, a posrerïorï, de cas individuels, concrets, isolés, contingents et non-prévisibles, à la connaissancea priori, déductive, systématique, capable de prévoir et portant sur des objets universels, nécessaireset, en somme abstraits 1 : ce que nous appelons la science,au sensformel et propre ce ce mot, tel que l'ont défini les Grecsz et tel qu'il commandeencore,pour l'essentiel,notre propre idée de ce type de connaissance. Assurément, l'obÿer de cette science divinatoire : l'avenir connaissa- ble à travers le présentet déductible du présent, ne pouvait subsister ou garder quelque consistance que dans une We//anis/zaæu/zg comme celle des vieux Mésopotamiens, pour lesquels le monde était mené, en gros et en détail, par des puissances supérieures à lui et à l'homme, lesquelles, maîtresses souveraines de son avenir. en connaissaient le déroulement à l'avance et pouvaient donc le notiûer, et le notiûaient en eÆeten l'inscrivant dans les chosesà mesure qu'elles les produisaient, tel objet ne pouvait subsister.Mais la mé/Acideet l'esp/.ïf scientiûques acquis grâce à l'étude de cet objet inconsistant et caduc pouvaient lui survivre. Cette façon d'aborder le réel sous son angle non phénoménal mais universel, en en recherchant une connaissance analytique et nécessaire,déductive, a priori, cette attitude aôs/raï/eet icïenf@gue devant les choses,c'était une acquisition définitive de l'esprit humain, un enrichissement et un progrèsconsidérables, et qui ne pouvaient pas davantagepérir que la maîtrisedu feu ou l'invention de la métallurgie et de l'écriture. De l'importance d'une telle invention et de l'avenir qui lui était promis, les vieux Mésopotamiens ne paraissent pas avoir eu un senti- ment bien clair. Certes,ils l'ont étendueau'delà des limites de la divi- nation,et ils en ont tiré desprogrèsassezremarquables en d'autres champsd'étude et d'intérêt. Par exemple,en médecine,où la chose est d'autant plus frappante que nous connaissonsau moins un traité de diagnosticset pronosticsmédicauxî, construit exactementsur le type des traités divinatoires, et dont les deux premières tablettes au moins, sur les quarante qui le composent, sont encore en plein univers mantique '. Par la suite, au contraire, on y rencontre des analyses plus rigoureuses et plus consistantes, avec le sentiment que, si l'objet maférie/ en est le même que celui d'autres disciplines divinatoires, l'objet /orme/ et l'optique en pourraient être tout autres. Nous y trouvons ainsi des protases identiques à celles de la physiognomonie, mais dont les apodoses et conclusions sont tout à fait diŒérentes. Par exemple, à la même observation d'un <<visage livide >>,les physiognomonistes concluaient : <<l'intéressé mourra sous l'eŒet de l'eau; en une sorte de chaîneindéûnie3 Dans une conception diÆérentede l'univers et de sa marche, un ou encore des suites d'un serment-imprécatoire (non tenu); (ou alors, 1. L'histoire de l'abstraction, en Mésopotamieancienne,débordele cadrede celle de s'attendre à une défaillance funeste, mettons par anémie ou hémor' de la divination : elle a pour principales étapes antérieures, dSabord l'invention de l'écri- !!re, et. surtout du phonétisme, vers 2800; ensuite, quelque deux siècles plus tard, l'invention dq la monnaieet de la notion de valeur âuanîitative(sur ce point, voir ,4/ZHuaire /97a-/97/, p. 100 s.). Il vaudrait bien la peiiïe d'y consacrer unè étude de quelque ampleur. 2. Et principalement Aristote. 3. C'est ainsi que certains événementsse trouvent à la fois -- en desoracles diaé- rents, la chose va sans dire -- sujets de protases et sujets d'apodoses : telle la naissance dejumeaux(dans les protases : par exemple, lzôu, p- 39 s. : 1, 83 s., repris dans rHI)P, p. 212 s.. : 114 s.; dans les apodoses : par exemple }'OS, IX : n; 44 37; et au revers, 1, 28, g'upe tablette.inédite de fuse traitant de tératomançie). En tant que sujets d'une apodose, ils formaient l'objet du décret divin touchant les intéressés,mettons le père, la mère, la famille où devaient naître ces jumeaux. En tant que sujets d'une protase, c'étaient surtout des signes et des « idéogrammes >>d'un destin ultérieur pour cette même famille, destin généralementplutôt mauvais(voir/ac. cil. de /zôæet TÙ2)P). On Voit l'Cachai: nement, même si les auteurs des traités, tout à leur casuistique, ne l'ont pas souligné. 190 selonune) autre interprétation : il aura longue vie 3»; tandis que les médecins diagnostiquaient <<il mourra sous peu 4 )>; et le fait est que, devant un visage exsangue, il est médicalement bien plus <<logique )} ragie interne, qu'à un décèscausépar l'eau (formule du resteambiguë, et peut'être volontairement), par les eÆetsplus ou moins surna' turels du viol d'un serment,et encore moins à une vie prolongée. De même, s'il arrive aux physiognomonistes de prédire la mort dans un, deux,... sept et même neuf ans ô, ce qui, à nos yeux, relève de la fan1. 11a été publié en 1951par R. Labat dans son ouvrage : Zraïfé aÆÆadïe/z de dïa. gïtostics et proïtostics médicaux. 2. Voir du reste, à ce sujet, .,4æmæafre /969-/970, p. 96 s. 3. C7, XIXVlll, pl. 29 : revers 2 ô. 4. 7HDP, P. 72 25. 5. ParexemplePO.B,p. 86 : CXXIV, CXX, CXX.lll, CXXIV. 191 JEAN BOTTÉRO SYMPTÔMES, SIGNES, ÉCRITURES taisie pure, les médecinsdu traité susmentionnén'aventurent ;avais au.delà du mois leur pronostic fatal 1. ' ' '' '''-''-' J analogues,en l'occurrencel'astrologiei. Ce qui est important, ce n'est pas que les Mésopotamienseux-mêmesaient tiré toutes'les conclusions et toutes les conséquencesde leur progrès dans la connaissance, mais qu'iïs aient déjà véritablement fait, eux-mêmes, ce progrès. L'étude attentive de la divination montre leur extraordinaire mérite sur ce point : au terme d'une évolution assezlongue, bien avant les Grecs,.ils ont à .leur manière inventé l'abstractions, l'analyse, la déduction, la recherche des lois, bref l'essentiel de la méthode et de l'esprit scientifiques. Sur œ point comme sur les autres, le slogan vermoulu du<< miracle grec >>,encore bien trop accepté de nos jours, même par des historiens de métier, $e révèle une niaiserie : les Grecs ne sont pas nés dans un univers de primates, une terre brûlée, une façon de néant culturel, mais -- pour transposerce que disait' l'un d 'entre eux à un autre propos -- <<ils ont transformé )> ce qu'ils avaient.appris.<( en quelque chose de plus beau », et ce qu'ils ont ainsi transûguré, ils l'avaient <<emprunté aux Barbares >>et' spé- Si un homme louche des deux yeux -- c'est que son crâne a =â:&:l';..:'l;::;Â=ü«ém«' » 'r à ;J'.;i'tà;;lÔ Ë B 192 cialement, précise. le même auteur, aux vieux Mésopotamiens 3 Grâce à la divination, nous savons maintenant que ces <(Barbares >> avaient poussé fort loin les choses et admirablement préparé le terrain, en créant la méthode et l'esprit scientiâques et, en somme, la première scient..C'elt par là que, au'delà des Grecs, ils sont dans notre lignée pa9rnÿlle directe et que leur rationalité a préparé la nôtre. Rien ne l'éclaire mieux peut-être que l'étude et l'histoire de leur divination. :::t {bjj?fro. Divination et Zsa:Ü scie;tnqul)(trad.f?nç« p. 3r13]s.).Voir à çe 2. Voir la note de la p. 190. 3. E4)f#omù,987e-98i a, et 987a. SYMPTOMES, SIGNES, ÉCRITURES BE VIËI (Philadelphia, LISTE DES ABRÉVIATIONS Lambert(W. (Ofxord, CHD Bief CRÀÏB Àrchiv :für Orieïttforschung«}ïazÙ. .{rchiv Orientdln{ (drague). Bibliotheca Orientaïis (}iüdenà. Comptesrendus de ï'Académie des ittscriptions et belïesZeffre (Paris). JCS Orti (n.s.) RHA Heôrew Unïo/z Co//ege ,4/z/zzza/(Cincinnati). Journal of Cunejform Studios Qqew llaxenÙ. Journal ofNear Eastern Studios (CHxçagoÙ. Or/e/zfa/fa (nova séries). .Revued'msyrüù)F/e (Paris). Revue ôfô/©zie(Jérusalem-Paris). Repue hittite Zeitschrift et asiattÏque für Assyriologie ÇPax\sà. Code de Hammurab{. Cunei/orm Texte .- {n the British Museum ÇLondon, CTH ro-baby/o/zïen/ze(Genève, 1950-1906). 1896...). Laroche(E.), Ca/a/ogz/e des /ex/et /zï///les(Paris, 1971). 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Ze/npe/ (Berlin, 1957-1964). -- Les minuscules italiques sont réservées aux mots accadiens, 1954). Les noms propres sont généralement en romain. L abat (et), Traité akkadien de diagnosticset pronostics médcazzx (Leiden, -- Lorsqu'un mot est transcrit exactementcommeil ligure sur l'original, destirets(ou despointslorsqu'il s'agit de sumérien)séparent 1951) Kraus ÇV. R), Texte zur babyïonischett Physiognomatik TCL (Berlin, les équivalents des 'signes syllabiques qui le composent. en écriture cunéiforme : Xf-ba-a-fï, pour Xïbô/ï Sauf nécessité,la graphie continue rlfbôfi) est utilisée, ici, de préférence. 1939). Taureau-Dangin(Fr.), Zex/et ca/zéÿbrmei du mz/sée da Loutre, tome 6 : Tablettesd' Uruk à ï'usagedes prêtres 'est à lire ou et e,ë, et toutes les consonness'articulent : .Enme- üu temple d'Aïtu aü temps des Séleucides ÇVaxk, 'L922). Vorderasiatische .Ber/ïrz (Leipzig, (lay (.À.. 'ï), SchrÜtdettkm€iler 1907.-). Miscetlaneous .BaôyZo/z/a/z Co//ecr/o/z(New Goetze(A.), 1947). der Inscriptions Haven, ... Museen in the durankïest donc à lire E/z/zmëdoura/znÆÏ. L'esprit doux : ' et l'esprit rude : ' marquent respectivementl'occlusive glottale('a/ef,hébreu) zu et la pharyngale sonore ('aih hébreu); ë, la vélaire sourde.(quelque chose' comme la ./ofa espagnole); !, f, et g, les .<< .emphatiques .>> dentale,'s Hante et palatale(phonèmes, comme le ', sans équivalent baie 1915). O/d Baby/a/z/a/z Ome/z Zexfs(New Haven, dans nos idiomes), et'J la aimante chuintée(notre cÀ). -- Si l'accent circonflexeindique une voyelle longue, par contre, les aigus rôti,) ou graves rgà,) que polltent les voyelles de certains signestranscrits, non moins que les indices numériquesqui peuvent AO, BM, K, Rm, VAT ef gue/gœei au/lesi€g/esana/ogres, e/z lettres ou en chiures, ïenvoimt à diversescollections importantes de le= aŒeçter,en bas et à droite ræ41,n'ont aucune valeur phonétique tablettes cuïtéiformes, selon un code usuel chez les assyriologues. ils renvoient simplement, selon le code en vigueur chez les assyriologues, à des signes cunéiformes diŒérents, mais homophonesl. ) -- Lesmotsou parties demotsentrecrochets droits! .[..:]?.ou ( pointus : <...> ont été restitués :. ils manquent dans l'original, les premiers par suite d'une cassure de la tablette, les seconds parce 11 qu'ils ont été oubliés par le scribe. -- Dans les traductions, sont mis entre parenthèses des mots que ne comporte point le texte arcadien, mais .que le. traducteur ajoute pour dariâer sa traduction, et également des indications..propres.a a der le lecteur non spécialiste à mieux entendre ce qu'il lit .: par exemple les dates(suivant la chronologie la plus communément admise aujourd'huis après un nom de souverain, ou l'équivalence des noms de mois anciens dans notre propre calendrier... i f llï T ROLAND CRAHAY La bouchede la vérité Grâce En tant que méthode de connaissance,]a divination ne se.distingue pas seulement,d'une civilisation à l'autre, par sesméthodes,l'ampleur de son emploi et l'intensité plus ou moins grande.de l'adhésion qu'elle rencontre.'Elle se distingue surtout par son objet : les hommes qui sont ses clients en attendent des connaissancesqui peuvent porter soit sur l'ensemble du réel -- c'est le cas, semble-t-il, en Babylonie, peut'être en Chine, -- soit sur .une.partie seulement des phénomènes. On peut dire, au départ, que la divination grecquene concernepas œ qui est mais ce qui se passe; elle vise, /zon (!ës]zzbs/a/zces,mais des événements. Or l'homme ne se contentepas de percevoirl'événement;.il le vit, le valorise et lui cherche des explications. Les choses/uï adviennent; « le >>destin est toujours so/zdestin, il ne peut admettre qu'il soit absolument aveugle et fortuit. Une attitude purement rationnelle, à savoir l'adaptation psychologique,intérieure, de l .hommeà l'événement, reste toujours dans une œrtaine mesure un idéal philosophique ; ce' qu'on rencontre surtout, c'est zonegrïrz{(ië psyc/zo-(e/igïeme.gü viseà a(Zapfer /'événenzezz/ à /'gomme.Ce mécanismede projection fait que le fatalisme au sensstrict n'est guère qu'une po?ttion théorique,. démentie dans les croyances et dans leÉ conduites. La dialectique entre un destin impersonnel, soustrait à toute influence humaine: et des dieux accessiblesà l'action des hommes, reste non résolue dans les conceptions des Grecs. C'est le cas, dans 1'/7ücïe, pour Sarpédon :et Hector; chez Hémdote, pour Crésus et Cambyse. Même. contradiction ouverte chez les ançilms Germains, voire dans une religion dogma- tique comme l'Islam, où elle aboutit à un paradoxe théologique \ A l'événement,l'homme répond normalementet d'abord par l'action. Or, pour agir, il faut connaîtreet connaîtreà temps,c'est-à- l 5U ?W% IZ1?21=mŒHZIWH'HE: ël':æ diction de H. Ringgren et les conclusions de G. Hlenningsen. 201 11 It ROLAND CRAHAY LA BOUCHE DE LA VÉRITÉ dire d'avance.C'est ainsi que toute divination d'événementsest liée à l'avenir. Les Grecsrecourentà deux méthodes: d'une part, interpréter, en fonction d'un code,des faits matériels,spontanésou provoqués, considéréscomme un modèle analogque diï monde; d'autre part, solliciter des dieux des révélations en langage humain. En fait, nous le verrons, les deux méthodesreposent sur une même base psychologique. C'est la seconde qui nous intéresse ici. Je prendrai mes exemples surtout chez Hérodote, en partie parce que c'est là qu'ils me sont le plus familiers, en partie aussi parce que cet auteur nous les fournit avec un abondant contexte narratif et exégétique. IJne observation préalable : dans mon livre sur h Z,ïïférafure oracu/airechez.17ëro(hfe ï, j'ai cru devoir récuser,au nom de la cri- tique historique, l'authenticité matérielle de la plupart des réponses transmises par cet auteur. Les données seront envisagéesici indépen- damment de cette question. Les récits de consultation oraculaire -- acceptables.ou non dans leur matérialité historique -- expriment comment, dans l'optique des Grecs, se déroulait le dialogue oraculaire, et c'est là ce que nous nous proposons d'examiner. La question est généralement double -- Ferai-je ou non, telle chose? C'est-à-dire une alternative ou question formée; -- Que dois-je faire pour que telle choseréussisse?Question ouverte, mais limitée à une condition rituelle du succès. Le consultant peut tricher en se dispensant de la première question, à laquelle il a, d'avance, répondu lui-même. Ainsi fait Xénophon î; !es inscriptions nous montrent que le cas n'est pas exceptionnel. La réponse se conforme au même schéma -- elle tranche le choix posé par la première question, pour autant qu'elle ait été formulée; -- elle édicteun conseilde caractère rituel, partois moral, et accorde une promesse de succès : /trio/z kai ameïnon esraï, <<il sera avantageux et meilleur >>. Donc, nulle prédiction au sensstrict, mais une caution pour l'avenir, cautionliéeà unecondition. Les orac]es connus par ]a littérature ne flint, somme toute, qu'expli- citer ce processus,mais en donnant parfois une ûgure concrète-- succèsou désastre-- à l'engagement que le dieu prend quant au futur. C'est dans ce sensseulement qu'ils formulent des prédictions. l 11 Ëes./ormesrïfzze//esont manifestementfait. dans les sources littéraires, l'objet d'une stylisation qui nous oblige à chercher ailleurs l,e vocabœ/aire (ü /'ac/ion oracuh/re nous est connu uniquement des informations directes. Pour œla, nous disposonsd'un certain nombre. d'inscriptions, notamment pour Dodone et Delphes. Pour ce dernier sanctuaire,nous pouvons recourir à l'étude de Pierre Amandry 2 Nous n'avons pas à évoquerici l'objet concret des consultations par les rapports circonstanciés où la consultation est pourvue d'un poséespar des États. Il nous suïïit de noter qu'elles concernentdes formules spécifiques, des verbes, généralement employés à l'actif c'est leur forme. tation. On peut, semble-t-il, ranger ce vocabulaire technique sous quatre questions pratiques posées par des particuliers; questions religieuses conduites, et qu'elles sont tournées vers l'avenir. Ce qui nous intéresse, - . B.dans Ctahay: la Littëtature arac111airechez Hërodote(Bibi. de {a fbc. de philos. e/ /erfres.ü'r dv. IÙ Z,fige,./brc. /3æJ,Liègeet Paris, 1956.'Je renvoieà cet o;nage sous le sigle .L.O. 2. Plane Amandry, Z.a À/aærfqKe apo///nfeæne d DebÆei.Eîsaï i r /e .fbacrfo aemeæf de /'Drac/e, Thèse, Paris. 1950, en particulier p. 155 s. 202 cadre narratif : donc, avant tout, par des témoignages littéraires. Il comporte des termes banals d'interrogation (epeïrô/aô <<interro- ger )>); de déclaration (/egô <( dire », quoique /ognon soit spécialisé dans le sens de <<réponse oraculaire »; #l okrinomaï <<répondre )>); de volonté (ke/ezïô <<ordonner »; oœk eaô <<défendre >>);mais aussi des (et au passif) pour l'acte de révélation, au moyen pour l'acte de consulrubriques a. Un terme opératoire : a/zaïreô,employé de deux manières dans le sens de <(prescrire )>, avec comme objet la chose prescrite 1. //z@ôfs,VI, 2, 3 et ,4/zaôase, 111,1, 5-7 203 ROLAND LA BOUCHE DE LA VÉRITÉ CRAHAY (Hérodote, Thuçydide, Platon); dans le sens d' << émettre >>, avec comme objet un 'terme désignant la réponse (Platon, Démosthène). Le sens matériel de base est clair et attesté dès Hombre : <{enlever en levant >>.D'où l'hypothèse vraisemblable de Lobeck, adoptée par Amandry : : le terme est repris à une divination par jet de sorts. Sansdoute pouvons-nous.saisir ici sur le vif le passaged'une divination mécanique à une divination parlée. b. Un terme psychologique : ma/zfezzô, avec ses dérivés. L'actif est tardif. Le moyen apparaît dès l'O(bssëe dans le sens de <{ rendre des oracles >>, qu'on retrouve chez Hérodote z, concurremment avec le pendant << consulter l'oracle 3 )>. Le verbe se rattache à manfis, le devin, terme attesté dès l'#la(ü, et procède d'une racine +me/z exprimant un mouvement puissant et tumultueux de l'esprit. c. Plusieurs termes de communication, d'information : prosëmczùzô <<informer d'avancepar signes>>,plus fréquent dans le langage oraculaire que le simple sëmafnô;prof/zanfo/z(deux ibis chez Hérodote), neutre d'adjectif, dérivé de prof/zaf/zô <<manifester )>,exprimant sans'doute, comme le terme précédent, l'idée d'une information 11 ava/z/le fait. L'étymologie populaire rapproche ceterme de prof/zë/ës 4; mais le <<prophète >>eit l;ien celui qui parle au nom (ü; jamais îl ne donne directement de réponses. 7%eWlzô(plus rarement epïr/zeWizô)se rattache, semble-t-il, quoiquede manièreassezobscure,à f/zoos,le dieu, et à un verbe décla;atif attesté sous la forme ennWô, aoriste espon (voir aussi fÀespezioi.' <<à la voix divine )>). Il signifierait donc : <<prononcer des paroles divines >>. Enfin Puf#ïa, dérivé de Pæ//zô,est tout naturellement, par étymologie populaire, rattaché à pzlzz/#a/zomaï<(chercher à savoir >>. d. Des verbesde volonté. C/zraôest le plus fréquentde tous et d'un emploi tout à fait spécifique, de même que sesnombreux dérivés chrësmos, chrëstërion, chrëstëriazô, chrësmologos. A=ttestë d'abord au moyen r'O(#ssée,) dans le sens de <( consulter l'oracle )>, le verbe est ensuite utilisé abondamment à l'actif (avec le passif correspondant) dans le sensde <<rendre un oracle >>,mais surtout de <<commander par un oracle >>.Se confondant à peu près dans toutes ses formes avec l c#raomaï <<user de », etc., construit de la même manière au üïoyen, cÆraôsemble bien constituer avec ce verbe un doublet sémantique issu de cAFé<(il faut >>,mais aussi <<il est normal >>.G. Redard, qui a minu- tieusement étudié la question ï, pense qu'il s'agit en fait du même verbe,dont le sensoraculairen'est qu'une spécialisation.Partant du moyen, il propose comme signiÊcation de base <<rechercher l'utilisa- tion de quelquechoseen y fdisant un recours occasionnel>>.Efïëëtivement,il n'est pas toujours possiblede trancher quel est le verbe auquel on a affaire : par exemple, chez Hérodote, dans les formules chrëstëriô{ chrësamenos 2 ou chrësomenoi tôi theôi 3 : « çonsilltant » ou <<utilisant >>soit un oracle, soit le dieu. Mais c/zraôparaît cependantmieux expliqué si l'on situe plus haut la bifurcation entre les deux sens, c'est-à-dire au niveau du nom-verbe café, en appuyant sur l'aspect <<nécessité>>plutôt que sur l'aspect <<appropriation >>.C'est alors <<dire cÆrë>>;autrement dit, un de ces verbes<<délocutifs >>dont E. Benveniste a montré le mécanisme. D'autres termes vont dans le même sens : f&eopropïon << oracle >>, dérive de f/zeopropos<<qui annonce la volonté du dieu >>,attesté comme lui dès l'//îa(2ë, ainsi que le verbe fÀe(propeô << rendre un oracle >>. Si le second élément n'est pas totalement sûr, un Grec comprend sûrement /zorï rôî r/zeôïprepeï <{ce qui convient au dieu >>. De même dïkazô, employé dans le sens oraculaire une fois chez Hérodote û, et une autre fois, de manière particulièrement explicite, chez Euripide ô, appuie la déclaration oraculaire sur la dÆë, interpré- tation morale de la volonté divine. Au total, on le voit, nous sommes en présence d'un vocabulaire différencié 6, qui conserve des données techniques ranaireô,) ou psy- chologiques rmanfeuôJ, mais est formé essentiellementde verbes de déclaration ou de volonté. Dans la mesure où ceux-ci sont spécifiques, ils font appel à une norme extérieure, à un destin, à la divinité, mais l'emploi corrélatif de la plupart de ces verbes à la voix moyenne montre, pour reprendre le terme de Redard, l'appropriation par l'homme et pour l'homme de ce destin, autrement dit: l'établissement d'un dialogue. Quant au contenu des réponses,il faut noter que certains mots présentent la révélation comme un signe r>rôsëma/nô, pr(p/za/zfoizJ et que plusieurs composésorientent l'oracle vers l'avenir. 1. G. Reàu&. Recherches sur XPH. XPïïE®AI. Étude sémantique(Bibliothèque de/'Ëca/ecüsÀa ïei ër dex,.Ûsc.303) Paris, 1953;cf. E. Benveniste, Praô/èmesde litîguistiqüe gënéra ïe, Pâlis, 1966, p. 2:77:2.8S. 2. V, 42, 2. J. 1. +/. Z. 4. 1. 84. 3. 1. P. 25 s. 2. Par exemple,1, 65. 3. Par exemple,1, 46. 4. Rapprochépar Hérodote,IX, 93, 4. 204 5. Oresre.163-165. 6. J'ai cru inutile de fà,ire rentrer dans ce relevé sommaire les termes obscurs ôakîs et sibuïïa. 205 LA BOUCHEDE LA VÉRITÉ même,le c/ëx/ï/z,elle attend une révélation spéciûque.Dans le chef de l'oracle, il s'agit alors d'une ma/zfigzze ozzver/e sur l'inanité des possibles. Va-t-elle s'engager fermement dans une prédiction 111 apodictique? Les oracles rapportés dans la littérature doivent, mêmeet surtout quand ils sont des faux, correspondre à un <<pattern >>mental .qui permet de les <<reconnaître )>et d'y <<croire >>.Peu importe ici qu'un faussaire se trahisse par des erreurs matérielles, ou qu'il pousse le procédé à l'absurde. L'essentiel, pour nous, est qu'il est asservi à un schémaet que la dramaturgiede son récit s'adapte,en l'explicitant, à la conception couramment admisede l'oracle. La situation oraculaire est difïërente suivant qu'on est en présence d'une révélationà contenu religieux ou d'une révélation portant, de manière globale, sur le destin d'un individu ou d'un groupe. Z,es oral/es à co/zfe/zz/ re/fgïeu.rformulent un conseil en clair. Par exemple, c'est sur l'ordre explicite de Delphes que les Méta- pontins doivent obéir à une apparition qui réclamel'érection d'un autel ou d'une statueî; que les Épidauriens élèveront des statues à Damia et Auxésiaet tailleront ces statuesdansdu bois d'olivier cultivé a; que les Cyrénéensappelleront de Mantinée un réformateur 3. Comme dans les oracles connus par l'épigraphie, il n'y a ici nulle prédiction, mais un engagement pour l'avenir : les Métapontins Nullement : elle amorce de caractère une dialectique . prophétie- événement,laquelle se traduit dans le dialogue oraculaire entre le dieu et le consultant. Dans les récits, la prophétie est toujours adéquate à l'événement, mais l'adéquation ne se révèle qu'a 'posferïarl et la parole garde jusque-là, au même titre que n'importe quel présage,le caractère d'un signe. Tout est dit déjà dans le mot d'Héraclite (fr. 93) parlait du<< Seigneur qui règne à Delphes >>:« Il ne dit ni ne cache : il signiûe (soma'Èn,ei} . » Ainsi s3expliqueque l'oracle soit le plus souventévoqué dansles sources sous forme d'un retour en arrière, à propos de l'événement qui le réalise.Souvent,d'ailleurs,la sourceconserve(oufabrique) l;expression grammaticale du fàît en rapportant l'oracle au plus-que- parfâit. Terrain favorable aux faussaires,mais correspondant à une attitude mentale authentique. Ainsi en est-il de l'oracle relatif aux statuesde Damia et d'Auxésia. Dans l'histoire de Crésus,Hérodote utilise le retour en arrière pour trois oracles sur onze ï. De même, la mort de Cambyse rappelle l'oracle et les autres signes qui l'annoncent 2 et l'oracle qui met Sparte en amefnon. Cette formule -- comparatif ou superlatif-- peut apparaître déjà dans la question : les Cyrénéens ont demandé <<quelle constitu- gardecontre une royauté boiteuseest, dansles différentesversions, une prophétieancienneramenéeau jour à propos d'une situation politique du moment; Le rappel peut se faire sous une forme brève, résiduelle, p;. ex ailleurs, les Argiens demandent <<ce qu'il serait préférable r'ariîron,J c#rësmaus,tara manreïonj. Outre l'oracle sur l'avènement des Héra- et les Epidauriens, en se soumettant à l'oracle, se trouveront mieux, tion ils devaientadopterpour vivre le mieux f'Æa//ïsraJ >>.De même, de faire 4 >>. Par imitation, on trouve parfois un conseil explicite dans une réponse de caractère profane. Pratiquement, il s'agit toujours d'oracles supposés: ainsi quand la Pythie ordonne à plusieursreprises aux Spartiates de <<libérer Athènes )>ô. Dans les exemplesd'oracles rituels, l'avenir seramène à une alterna- tive succès-insuccès, liée à l'exécution valable du conseil. Nous sommes en présence d'une ma/brigue./ërmëe. Quand, au contraire, la consultation concerne l'évëpzeme/zf lui- 1. lilérodote, IV, 15; cf. .[.O., p. 73. 2. Hérodote, V, 82; cf .Ë.O., p. 75. 3. Hérodote, IV, 161; cf. .L.O., p. 122. 4. Hérodote, IV, 148; cf. .[.O., p. 322. 5. Hérodote,VI, 123; ct .L.O., p. 284. 206 << d'après un avisdivin>>rek//zeopropïoz/,), <(selonun oracle>>rkafa clides, on pourrait encore citer celui qui réclame une compensation pour la mort d'Athamas 5 d'Esope4, et ceux qui concernent les descendants Dans l'intervalle, l'oracle a été ouô/ïé; par exemple,quand il concernaitla limitation d'une dynastie : celle de Gygèsô, celle des Battiades de Cyrène 7 1. La muraille de Sardes : 1, 84; cî-après,p. 218; l'avènement desHéraclides la guérison du ûls muet : 1, 85; ci-après, p: ;18; cf. 1,.0., p. 182-183. 2. 111,64; ci-après, p. 216; ct .L.O., p. 217. 3. Ë.0., P. 31-32. 4. Hérodbte, 11, 134; cf. .L.O., p. 84. 5. Vl1, 197;cf. .L.0., p. 89. 6. 1=lérodote, 1, 13; cf. .L.O., p. 190. 7. IV, 163,1" partie; cf. .L.O.,p. 124. 207 Y ROLAND CRAHAY Parfois, il a été lz(k/ïgé = dans deux versions différentes du même récit, Delphes ordonne par deux fois d'aller fonder Cyrène. Les ordres étant négligés, la Pythie adresseun rappel l De même les recommandations des conseillers sagessont habituellement ignorées, telles celles que Crésus adresseà Cambyse a. L'oubli de l'oracle ou la négligence dans l'exécution expliquent, négativement, le malheur apparemment inattendu ou l'insuccès d'une entreprise. Mais, ]a plupart du temps, intervient un facteur positif : l'oracle n'a pas ëré colnprfs ou a é/é ma//nfeWré/é. C'est le ressort de fables dramatiques, admirablement contées par Hérodote. Arcésilas, roi de Cyrène en exil, consulte l'oracle sur son retour. La Pythie lui fit cette réponse : <<Pour le temps de quatre Battos et quatre Arcésilas, de huit générations d'hommes, Loxias (Apollon) vous donne de régner sur Cyrène; mais il vous conseille de ne pas même essayer plus longtemps. Toi, cepen' dant, une fois de retour dans ton pays, tiens-toi tranquille; et, si tu trouves le four plein d'amphores, ne fais pas cuire lesamphores,maislaisse-lespartir par bon vent; si tu les as fait cuire, n'entre pas dans l'entourée-d'eau ; ou bien tu périras, et toi et le plus beau taureau >>... Arcésilas retourna à Cyrène; et, s'étant rendu maître de la situation, il oublia l'oracle, et se mit à tirer de sesadversairesvengeancede son propre exil. (...) D'autres Cyrénéenss'étaient réfugiés dans une grande tour...;Arcésilasentassa du bois tout autour,et les brûla. La chose faite, il comprit que c'était à cela que faisait allusion ['orac]e, quand ]a Pythie ]ui défendait de cuire ]es amphores qu'il aurait trouvées dans le four; volontairement, il se tint à l'écart de la ville des Cyrénéens,craignant la mort prédite par l'oracle et pensant que l'entourée-d'eau était Cyrène. Arcésilas seréfugie à Barkè, où il est tué avec son beau-père Alazir. Les mots <<entourée d'eau >>et <<le plus beau taureau >>demeurent inexpliquésa. Ainsi Crésus, à qui la Pythie annonce la destruction d'un grand empire,ne s'avisepas que ce pourrait être le sien et, quand elle le met en gardecontre l'avènementd'un mulet, il ne devine pas qu'il s'agit de Cyrus, métis d'une princesse mode et d'un Perse û. Cambyse 1. Cf. Z.0., p. 118 s. 2. Hérodote, 111, 36; cf: .[.O., LA Bouche DE LA vÉRiTÉ Ü' doit mourir à Ecbatane, mais il Heseméûe pas d'une ville homonyme l pas plus que les Siphniens ne percent la devinette qui leur est soumise '. A œs exemples oraculaires on peut joindre ceux où, devant d'autres signes prophétiques, l'homme fait preuve de la même incompréhen- SI Polycrate, tyran de Samos,veut se rendre chez Oroitès, qui l'a attiré par une ruse, bien que les devins l'en détournassent fortement, fortement aussi ses amis, et que, de plus, sa fille eût, en songe, eu cette vision : il luî'avait semblé que son père, élevé dans les.airs, était lavé par Zeus et oint par le soleil. Ayant eu cettevision, elle usait de tous les moyens pour que Polycrate ne ?'en allât point chez Oroitès... Animé à'Magnésie, Polycrate périt l:msérablement (...) Oroitès le fit mettre en croix.(...)..Polycllate? pendu haut, accomplit toute la vision de sa tille :. il était lavé par Zeus quand il pleuvait, il était oint par le soleil 3 Cambyseaussi se trompe dans l'interprétation de. son rêve': Hîppias croit le sien accompli par une.réfllisation anodineô, à quoi s'oppose l'attitude d'Hipparque, qui déchiffre correctement son rêve et va consciemment à la mort ' Xerxès néglige ou interprète mal des prodiges véridiques ' Il semblaà Xerxès qu'il était couronné de feuillage d'olivier, et que les rameaux de cet obvier couvraient la terre entière puis, que la couronne poséesur sa tête disparaissait rêve que les mages interprètent favorablement, malgré la dernière oartie Épisode synonyme après le passagede l'Hellespont 8 IJn grand prodige leur apparut, dont Xerxès ne .tint aucun compte, bien qu'il fût facile à interpréter courant pour sauver sa propre vie. !. ]ll: ns?i:n$:: gJg.igô:?uah. â #fsi?h;:ü;WÈ:%ËI';. uâ..''.'.,.. '". 5. VI. 107; cf. .L.0., p. 255. p. 216. 3. Hérodote, ]V, 163, 2' partie; cf': .L.O., p. ]25. 4. 1, 53 et 55; cf. ci-après, p. 218 et .L.O., p; 198 et 199-201. 208 : une .jument ,mit bas un lièvre.' Cela signifiait clairement que Xerxès allait conduire contre la Grèce une expédition très fastueuseet très magniôque,mais qu'il retournerait dans son pays en 6. V. 55-56. 7. VÏI, 19; cf. .L. 0., p. 223-224. 8. Vl1, 57. 209 ROLAND LA BOUCHE DE LA VÉRITÉ CRAHAY Le critique peut penser que l'aveuglement de l'esprit, présenté comme une réaction quasi universelle de l'homme en face de l'oracle, est, en tant que thème moral, le noyau de légendespédagogiques dans lesquellesl'oracle est un simpleprocédénarratif. Inversement,il peut considérerl'oracle comme authentiqueet récuserle recours à l'incompréhension humaine, comme une échappatoire forgée par le siège oraculaire pour sauver sa réputation de vél'acité. Ces interprétations peuvent être fondées, et la première surtout s'impose souvent : mais les ûçtions ne sont plausibles qu'à l'intérieur d'un système de pensée où la divination orale est de même nature que la divination par signes.Elle est un langage chifh'é selon certaines règles qui lui confèrent la forme d'un problème. Le dieu précipitait ainsi la perte de ceux qui lui avaient posé une question impie l Cesmessages trompeurs ont leur prototype dans le rêve d'Agamemnon 2. Ils constituent une intervention particulière desdieux, étrangère au genre oraculaire,par lequel ils accordentà l'homme un signe applicableà la réalité. A l'homme de savoir le lire. S'il y parvient, il ne pourra pas, normalement, modifier le destin, mais îl pourra, peut-être, y adapter sa conduite. lv Car si l'oracle, isolé de l'événement,n'éclairepasl'homme sans conteste, on ne peut dire qu'il l'abuse. Sans doute y a-t-il des oracles Le problème posé par l'oracle revêt différentes formes. et des signestrompeurs; mais ceux-là sont toujours clairs et ont valeur d'épreuve. Quand, sur les conseils d'Artabane, Xerxès a renoncé à son projet d'expédition en Grège, un personnage lui apparaît en songe par deux fois et lui eïJjoint d'entreprendre cette expédi- tion. La même apparition ordonne à Artabane de cesserson opposition aux projets du roi ï. A l'opposé, le pharaon Sabacos refuse d'obéir à un rêve impie 2. Les habitants de Cymé selaissent également abuser quand les Perses leur demandent de livrer Pactyès, qui s'était réfugié à Cymè en suppliant. Craignant la colère divine, s'ils livraient Pactyès, et celle du roi des Perses, s'ils ne le livraient pas, les Cyméens consul- tent l'oracle desBranchides,qui leur conseillede livrer le suppliant. Un citoyen avisé, Aristodicos, demande alors une nouvelle consultation, et interroge lui-même l'oracle, qui lui fait la même réponse. Là-dessus,Aristodicos, avecintention, ôt ceci : tournant autour du temple, il délogea les moineaux... qui y avaient fait leurs nids. Et, pendant qu 'il était ainsi occupé, une voix, dit-on, sortit du fond du sanctuaire,qui s'adressaità Aristodicos et lui disait : <<Le plus impie des hommes, comment oses-tu faire ce que tu fais? Tu arrachesde mon temple mes suppliants! >> Sansse déconcerter,Aristodicos répondit : <{O Seigneur,c'est ainsi que toi-même secours tes suppliants, et tu ordonner aux Cyméensde livrer le leur? >><<Oui, je l'ordonne, répliqua le dieu à son tour, aûn que, pour prix de votre impiété, vous périssiez plus vite ; ainsi ne viendrez-vous plus à l'avenir demander à l'oracle s'il convient de livrer des suppliants. >> Par l'équivoque,deux solutions s'ofïtent au choix. L'oracle prédit à Crésus la destruction d'un grand empire a. Récit absurde, peut-être, et à coup sûr fïctiÊ mais qui, par sa stylisation outrancière, acquiert valeur de paradigme. Ou encore, Delphes annonce aux Spartiates qu'ils arpenteront les terres de Tégée, ce qu'ils feront efïëctivement, mais en qualité de prisonniers,forcés de cultiver les terresdesvaine r 4 queurs Les exemplesfoisonnent dans l'historiographie antique : on peut encore mentionner deux anecdotes rapportées par Diodore de Sicîle où un général s'entend annoncer qu'il dînera, ou logera, dans la ville qu'il assiège.Il y dînera, ou y logera, en efïët, mais comme prisonnier ô. Ces équivoques, les Grecs les qualiûent de Æfô(ë/oï,par allusion à la charge étrangère qui dénature un métal précieux. C'est strictement le point de vue myope du consultant. En fait, aux yeux du dispensateur de l'oracle, c'est l'homme qui falsifie l'alliage. Le ./ez/(& mo/s ramènel'équivoque à une ambiguïté linguistique. Fuyant les Perses,les Phocéenss'établissent à Cyrnos, où ils avaient fondé une ville sur l'avis d'un oracle. Chassésde cette île, ils apprennent <<d'un homme de Posidonia qu'en parlant de Cyrnos, la Pythie avait ordonné de fonder un sanctuaireen l'honneur d'un héros de ce nom, et non pas une colonie dans 1. 1, 158-159;cf. .L.0., p. 99-101. 2. .Hfaz/e.11. 20 s. 6. Hérodote,1, 165,1 et 167,4; cf. .[.O., p. 139. 210 6 >>. 3. Hlérodote, 1, 53; ci-après, p. 218 et .L.O., p. 197-198 4. Hérodote, 1, 66; cf, .Ë.O., p. 153. 5. IXVI, 91-92; X.X, 29; cC.L.0., P. 49. 1. Vl1, 12 s.; cf: .L.0., p. 222-223. 2. 11,139; cf. .[.0., p. 88. l'île Un oracle avait annoncé à Cléomène qu'il s'emparerait d'Argos. 211 T f ROLAND CRAHAY Vainqueur de l'armée argïenne, Cléomène s'empare d'un petit sanc- LA BOUCHE DE LA VÉRITÉ Lichas réussit à s'emparer des ossementset à les apporter à Sparte. tuaire à quelque distance de la cité. Lorsqu'il apprend que ce sanctuaire est'celui du héros Argos, Cléomène renonceà prendre la ville Dès lors, les Spartiates l'emportèrent sur les Tégéatesl Les Athéniens doivent <( invoquer leur gendre», qui se révèle « O Apollon, dieu des oracles,tu m'as grandementtrompé, en me disant'que je prendraisArgos : je penseque, pour moi, l'oracle est et, quand l'oracle leur dit de se fier à un rempart de bois, Thémistocle comprend qu'il s'agit de la botte 3 d'Argos, l'oracle ayant déjà eu cet accomplissement dérisoire accompli ï. )> Le jeu de mots sert souvent à annoncer la mort des grands person- nages. C'est ainsi que Cambyse mourra à <<Ecbatane 2 )>. Tout se passe ici, apparemment, comme dans une divination par pile ou fàœ, mais c'est paï son intelligence que l'homme doit faire le choix, et l'expérience montre qu'il choisit mal. A un niveau supérieurde complication,l'oracle peut se présenter comme une éîzfgme.Crésus n'a rien à craindre tant qu'un mulet ne sera pas roi des Persess. La Pythie décrit en termes cryptiques les dangers dont doit segarder Aïcésilas û.Après avoir conseillé aux Spar- tiates de ramener chez eux les ossementsd'Oreste, elle leur décrit ainsi l'endroit où ils reposent Il est en Arcadie, dans un lieu plat, une ville : Tégée.Là, deux vents soudent sous la contrainte d'une puissante nécessité. Là, il y a coup et contrecoup; le mal s'a;Jouteau mal. Là, la terre nourricière enferme le fils d'Agamemnon. Apporte-le chez toi, et tu seras protecteur de Tégée. Mais lesSpartiatesne trouvaient pas la clé de l'énigme. Cependant, l'un des leurs, Lichas, <<servi à la fois par le hasard et paï la finesse de son esprit, découvrit à Tégée ce qu'on cherchait )>.Comme il rega!: doit avecadmirationle travail d'un forgeron,celui-cilui révélaqu'il avait trouvé en creusant dans sa cour le cercueil et les ossements d'un homme d'une taille de sept coudées. Lichas, réâéchissantsur ce qu'on lui disait, conjecture que ce mort, d'après les indications de l'oracle, était Oreste. Voici comment il formait sa conjecture : dans les deux soumets de forge..., il découvrait les vents ; dans le marteau et l'enclume, le coup et le contrecoup; dans le fër qu'on battait, le mal placé sur le mal, les assimilant en vertu de quelque raison de ce genre, que le fër a été découvert pour le malheur des hommes. être Borée, le dieu des vents, époux d'Orithyie, fille d'Erechthée2 Tandis que l'oracle relatif au mulet est un adünafonpurementlitté' Faire, certaines devinettes sont vraiment diMciles, comme celle que l'oracle pose aux Siphniens. Ils avaient demandé s'ils pourraient conserver longtemps la prospérité dont ils jouissaient; et la Pythie leur avait fait cetteréponse: <<Mais quand, à Siphnos, le prytanée sera blanc et blanche la bordure de la place publique, alors besoin est d'un homme prudent pour se garder de l'embûche de bois et du héraut rouge. ?>A cette époque, la place publique et le prytanée des Siphniens étaient décorés de marbre de Paros. Les Siphniensn'avaient pas été capablesde comprendre cet oracle à l'époque même où il leur'füt rendu; et ils ne le ftlrent pas non plus lors de l'arrivée des Simiens. En efïët, aussitôtque ceux-cieurent abordé à Siphnos, ils envoyèrent à la ville un de leurs vaisseaux portant des ambassadeurs.Anciennement, tous les vaisseaux étaient enduits de vermillon; et c'est l'arrivée de ce vaisseau que la Pythie annonçait aux Siphniens quand elle les invitait à se garder de l'embûche de bois et du héraut rouge. Les Samiens exigèrent de l'argent, et, devant le refus des Siphniens ravagèrent l'îles. Il arrive que l'énigme soit à ce point obscure que sa solution échappe à Hérodote et, a./br/foré,à nous. Ainsi pour l'oracle aux Argiens Mais quand la femelle victorieuse repousserale mâle et gagnera de la gloire chez les Argiens, alors elle sera cause que beaucoup d'Argiennes se déclareront le visage, en sorte qu'on dira même chez les hommes à venir : le terrible serpent aux trois replis a péri dompté par la lance 5. Cité par Hérodotedansle récit du combat de Cléomènecontre 1. 1, 67; cf. .L.0., p. 155-156. 1. Hérodote,VI, 76; cf. .L.O.,p. 170. 2. 111,64; ci-après,p. 217. 3. Hà'odote, 1,'55;ci-après,p. 218; cf. .L.O., p. 199.. 4. IV, 163, 2' partie; ci:dessus, p. 208; cf. .Ë.O., p. 124-125. 212 2. VII. 189. 3. Vl1, 141; cf. .L.0., p. 295 4. 111, 57; cf. .L.0., p. 259. 5. VI, 77; cf. .[.0., p. 172. 213 l ROLAND CRAliAY LA BOUGNE DE l.A vÉmTÉ les Argiens, l'oracle s'applique assezmal aux circonstancesde leur mais l'oracle tient bon; dans l'apostrophe directe à Lycurguei; dans la rebufïàde infligée à Cléomène quand il veut interroger un défaite. Quand un faussaire fabrique un problème, c'est à partir de la solution. En présence d'un problème non résolu, nous sommes tentés de penser qu'il s'inscrit dans une tradition authentique. Il faut encore mentionner les Drac/esà /irofr, qui renvoient à un autre procédé divinatoire, comme le recours à l'animal-guide l ou à la rencontre fatidique a; ou encore ces réponsesqui ordonnent d'accepter d'avance la décision de quelqu'un f Échappatoires peutêtre, et, dans certains cas, moralisation du processusrituel, mais, en tout cas, accentuation du caractère problématique par le recours à un second registre de signes. réponseenveloppéeen outre dansune énigme; dans l'oracle donné aux Argiens à l'intention des Milésiens absents4 C'est dans ces circonstancesque l'oracle, parfois, rudoie le consultant : à Crésus, la Pythie lance : <<Lydien aux pieds délicatss... >>; à Crésus encore, consultant à propos de son ôls muet, elle réplique par une parodie du préambule emphatique du roi :« Homme de race lydienne, roi de nombreux sujets, très insensé Crésus o... >> On pourrait citer encore les réponses à Clisthène de Sicyone7 et aux Crétois 8 Sans doute est-il peu probable que les sanctuaires en aient usé aussi V cavalièrement avec des clients puissants et généreux. Ils devaientbien plutôt afHcher un respect diplomatique comme celui que Delphes témoigne à Cypséloso. Mais les Grecs, dans leur conception de la mantique oraculaire, estiment que l'homme peut se fourvoyer dès 11 Il f aut maintenant se tourner vers l'autre pôle du dialogue. Comment le consultant tient-il son rôle? Sauf dans quelques cas évidemment construits de toutes pièces, commecelui du rempart de bois, il est formé à la révélation : il la néglige, ne la comprend pas, choisit régulièrement le terme faux de le départ, dès la question posée, et que les dieux, comme un premier avertissement,le remettent sur le bon chemin; à vrai dire, sansque l'homme saches'y maintenir. Car, en fait, ce qu'il attend, c'est toujours une réponse favorable à ses intérêts et à ses ambitions. l'alternative. Invariablement il est aveuglé par l'/zz/brie. Parfois il ne consulte même pas l'oracle, alors que cela s'impose vl encore, par sesquestions futiles ou présomptueuses, il montre d'emblée du dialogue, Hérodote, au moins deux f ois, entreprend longuement Dorieus aura ainsi cherchélui-mêmesesmalheurs4: ou bien. tel Xénophon, il ne l'interroge pas sur le fond de la décision. Tantôt qu'il n'est pas réceptif à la parole des dieux, ainsi Crésus5 et les Siphniense. Il peut aller jusqu'au sacrilègeen posant des questions Commesi le mécanismen'était pas assezapparent sousla trame de le démonter sous les yeux du lecteur. Ainsi, toute l'histoire de Crésus est reps'ise -- et typiquement, sous immorales 7 Aussi l'oracle élude-t-il à l'occasion la question posée pour en la forme d'un nouvel oracle -- dans l'apologie de Delphesîo. Le récit plusieurs conseils donnés d'initiative par le sanctuaire alors qu'on l'a faveur, de régler sescomptesavec Delphes.Sesambassadeurs vont poser lui-même une autre, plus pertinente. Hérodote rapporte ainsi 11 oracle sur l'Acropole d'Athènes2; dans l'oracle à Tisamène a, interrogépéri a//ôn,<{à un autre sujet >>.Ainsi dansles deux récits de la fondation de Cyrène8: les deux fois le consultant se dérobe, 1. Cf. Z.O., P. 4748. 2. Æ/d, P. 264. 3. /b/d., p. 82 et 269. est soigneusementmis au point et entouré d'une mise en scènefrap- pante. Crésusa sollicité de son vainqueur Cyrus, comme la plus grande 11.1, 65; cf. .L.0., p. 149. 2. V, 72; cf. .L.0., p. 169. 3. IXI, 33; cf. .L.0., p. 102. 4. VI. 19; cf. .L.0., p. 175. 4. Hérodote,V, 42; cf. .L.O.,p. 143. 5. 1, 55; ci-après,p. 218. 6. 1, 85; ci-après,p. 218 et .L.O.,p. 186 6. 111,57; ce ci-dessus,p. 213 et .L.O., p. 258. 7. Cf. ci-dessus,p. 210 et .L.O., p. 97 s. 8. Vl1, 169;cf':.L.0., p. 324. 5. 1, 55; cf. ci-après, p. 216 et .L.O., p. 199-200. 8. IV, 150 et 155; cf. .Ë.O., p. 1 12. 214 7. V, 67; cf. .L.0., p. 247. 9. V, 92, 4' partie. 10. f, 9ô-91; cf, Z.0., p. 201-202. 215 ROLAND CRAHAY LA Bougne DE LA vÉRnÉ \ donc faire honte à l'oracle en lui rappelant, d'une part, les promesses fallacieusesqui ont encouragéle roi à la guerre, en lui montrant, d'au- tre part, la réalisation : seschaînesde prisonnier. La réponse de la Pythie est une véritable théorie de l'oracle 1. Tout est ûxé par le destin. Apollon a pu, en récompense de la piété de Crésus,diïïérer le terme du malheur annoncé jadis à Gygès, mais non détourner la catastrophe. Crésus a bénéficié d'un sursis de trois ans et il a été sauvé des gammes du bûcher (on notera, à ce propos, le caractère contradictoire, dialectique, du destin dans les conceptions grecques). 2. Les oracles demandaient à être interprétés : Crésus devait, s'il ne les comprenait pas lui-même, questionner de nouveau le dieu pour savoir lequel des deux empires serait détruit et qui était le roi- mulet annoncé. S'il voulait mener correctement ses rélïexions, eu me//o/zfa boæ/euesïÀaï,il fallait, cAFé/z,consulter de nouveau. Ainsi apparaît, à propos de l'attitude du consultant, le même terme impliquant la nécessité,dont dérive le verbe qui est, par excellence,celui du conseil oraculaire : c/zraô. En conclusion, Crésus doit reconnaître que la faute rfë/z tamar/a(ÜJ est en lui, non dans le dieu. Ce que nous devons, nous, souligner, c'est que la faute de Crésus n'est que secondairement une faute de conduite c'est, avant tout, une ./bure (ë connaïssa/zce. Le même débat est développéd'une manière plus explicite et plus dramatique encore,si c'est possible,à propos de Cambyse.Nous pouvons ici nous appuyer sur l'analyse psychologique pénétrante qu'en a faite Jutta Kirchberg, analyseà laquelle nous aurons flirt peu à ajouter :. lci les interventions divinatoires ne sont pas groupéesen un récit continu, comme dans l'histoire de Crésus.La narration amorce le processus par un premier signe, qui est laissé de côté dans la suite des événements,comme dans l'esprit de celui qui l'a reçu, et qui ne révèle sa puissancedestructive qu'au terme de la conduite aveugle du roi, quand sa réalisation se rencontre avec celle d'autres signes négligés. On songe au terme allemand qui sert à rendre une bombe à (64, 1) : il a été le jouet d'une homonymie. Il comprend, nzafÆôn, et pleure son frère(64, 2). Il saute en selle pour se mettre en campagne et 'ke blesseavec son sabre, à l'endroit même du corps où il a jadis frappé le bœuf Apis. La blessure lui paraissant mortelle,./zôs /zoï kaïdëï echxe fefl Èfaï(64, 3) l -- on notera le rapport .de cause à eïïët --, il demande le nom de la ville où il se trouve. On lui.répond Ecbatane.Alors, il lui revient à l'esprit un oracle de Butô lui.prédisant qu'il mourrait à Ecbatane, oracle qu'il a rapporté naturellement à la capitalede la Médie : oracle au plus-que-parfait,mal interprété en vertu d'une confusion par homonymie Cambyse a cru, edokee, alors que l'oracle et, de ce fait? négligé. disait, fo de cÀrêsfërlo/z e/ege..' (64, 4). Grâce à la concoriïance, /zlpo fëx sympÆorës, des deux autres signes, il accède à l'intelligence, esêp/zro/lèse,et . comprend l'oracle, l;u//aôô/z de ïo fÆeopropfo/z(64, 5). Dans ses adieux .à sf?n entourage, il reconnaît avoir agi <<avec plus de rapidité que d'intelligence )b facÆu/era ë sopÆôfera (65, 3) '. Il conclut : .l'homme.ne possède'aucun moyen de détourner, qpofrqpeïiz, le destin,. fo me//ozz r'ïôïaJ. Il a agï comme un fou, mafaïos, et s'est cru en sécurité rfbfd,). Bref, sur tout ce qui devait arriver, il s'est trompé. Le même terme' : /zamarfôn-/tamar/ach, est employé dans la confus' fion des deux rois pour exprimer la faute primordiale, celle d'où découlent toutes les autres i c'est une aberration de la connaissance en face du problème que lui posait l'oracle. On conclura que les oracles grecs, dans la mesure où ils dépassent la simpleprescription rituelle, sont pour l'homme un moyen de connaître 'les événements qui le concernent. Ils sont par là des guides de conduite; car, pour bien agir, il faut connaître la vérité. Mais il faut en revenir au mot d'Héraclite : /'Drac/ene d/ pas, ï/ lze dfssîmu/e pas i ï/ accorcü des s/ânes. La vérité, a/ë//zefa?qui y est incluse, n'est pas une vérité nue, mais, comme l'indique l'étymologie a-/a/z/#apzô, un décryptage du langage et de l'événement, décryptage retardement ' B/fêla'ïnup' dont l'homme, presque toujours, se révèle incapable q: Cambyse voit en rêve un Smerdis assis sur le trône de Perse. Il fait assassiner son frère Smerdis (111,30). Après un règne qui est une succession d'extravagances et de cruautés, il apprend (111,63) qu'un autre plutôt kaù'ïêïpar « en conformité» avecle malm.s, c'est-à-dire« confbraœà l'ordre des Smerdiss'est révolté contre lui. La vérité le frappe, eïl se &ê a/ë/&efë 1. Je donne la traduction habituelle, mais je me demande s'il ne faut pas !endre choses» Plus bas, szl/î@Aœ'ë me paraît avoir nettement son sensétymologique, non celui de<<malheur», qui serait une platitude. . . Sandocès : Vll,anion présentée au CentrePde Jr K lchberg), [. ]W]a KitëbbetB, Die Funktîon der Orakeï im ]Verke }ierodots(= lbsc. //J9 Gôttingen,1965,p. 30-32. Hypomnemaïa. .. , .' . s sur les .sociétés anciennesle 9 février 1968 En vue de la présentepublication,'le document d'étude a été mis au point par l'auteur avec la collaboration dê Jeannie Détienne. Les traductions sont empruntées'à la Collection des Universités de Frange. 216 . i. C'est dans les mêmeste;lues'que Darius juge sa conduite aprèsl'exécution de 217 LA BOuchE DE l.A VÉRnÉ de .malheur. >>Or, lors de la prise de la citadelle, un Perse vint à Crésus, qu'il prenait pour un autre, avec l'intentionde le tuer. Crésus le voyait.marcher sur lui; accablépar le désastredu moment, il ne APPENDICE Le roman oraculaire de Crésus d'après Hérodote ËilH,l W U: :"i:sJ'z::æ":g 4$1@;-;'=n 'Ï:$i=:i'=:1:œTi:E::i=:18:!::: il que, s'il faisait la guerre aux Perses, détruirait un grand empire >>. =b.l:;J.i:e=iË':=':Ë;::::J hfÈli !Ë ël Cette consultation füt pour demander si sa monarchie serait de longue durée.,La .Pythie répondit : <<Quand un mulet sera roi des Mèdes alors, Lydien aux pœdsdélicats, fuis le long de l'Hermos caillouteux, ne reste pas en place et n'aie pas.honte d'être lâche. )>Lorsque cette réponse fïït parvenue à Crésus, il.s'en réjouit encore bien plus que Wx mine'S€1ÊMË palé.!Ttporter le lion qui lui était né de sa concubine,quand les devins Il?Wô$:W:i'=œ:::;:=' ÙÛ'ÜI'Ut:l autour du reste des.murs:.surles facesde l'acropole qui prêtaient à !?t""'W";:l::Ü.:Sr Æ:S'E.Ë'i.iïsi:,'iàiëtU tout entière füt livrée au pillage. >> 218 " '' ' s'en souciait pas! et il lui était indifférent de périr sous sescoups. Mais, quand le jeune homme muet vit s'avancer'le Perse,la crainte et lâ douleur ôrent éclater sa parole, et il dit : <<Homme, ne tue pas Crésus !» Cefurent lespremiers mots qu'il prononça : et par la suite il conserva l'usage de la parole pendant tout le temps de sa vie. >> 1, 90-91.Vaincu et condamnéau bûcher,puis grâcié par Cyrus et sauvépar Apollon, Crésusreprochaà Delphesd'avoir trompésa confiant. La Pythie rejeta la faute sur lui, qui n'avait su comprendre les oracles. DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT LUC BRISSON Du bon usage du dérèglement Grège On ne peut parler de la déraisonet de la folie chez Platon, sans, au préalable, faire une brève description de la constitution de l'homme durant son existence terrestre. Avant son incarnation, l'âme humaine, qui se réduit à son espèce rationnelle,résidu de la substancede l'âme du mondeï, et copie conformede son apparencez, contemple,montée sur l'astre auquel elle s'apparente a, le monde des formes intelligibles ô. Pour une raison diïïicile à déterminer, cette âme humaine choit, à un moment donné, dans un corps ô. Alors, commence son existence terrestre. Platon, que l'on considère comme le philosophe par excellence de la raison, parce que, le premier, il l'a instituée au premier rang et qu'il a insisté sur son rôle directeur aussi bien au plan de l'homme qu'à celui de l'univers, est peut-êtrecelui qui, dans l'antiquité, a le plus longuementet avecle plus de sagacitéparlé de la déraison et de la folie, une de ses espèces. Or, comme la divination est une forme de folie, c'est sur cette face cachéedu platonismequ'il faut la situer, avecla pratiqued'initia- tions, la poésie et l'amour, dont, par ailleurs, on doit déterminer les ressemblanceset les dissemblances mutuelles. Dans cette perspective,la divination, même si elle dérive d'une inspiration divine, se voit afïëctée d'un certain coefHcient d'ambi- guïté : puisqu'elle implique une occultation de l'activité normale de la raison, qu'elle fait usaged'une techniqueet qu'elle n'atteint que l'opinion juste. Or c'est précisémentcette ambiguïté que tente de réduire Piéton, en mettant en œuvre une vaste entreprise de récu- pération de la divination sur le plan anthropologiqueet sur le plan politique. Notre études'intéressedoncexclusivement à l'attitude de Platon à l'égard de la divination. On ne doit pas s'attendre à y trouver des références précises à des institutions bien déÊnies de la société grecque des Ve et IVe siècles. D'autre part, nous ne prétendons pas, en quelques dizainesde pages,traiter, dansson intégralité, d'un problèmed'une telle ampleur, auquel presque personne ne s'est jusqu'ici vraiment intéresséi. Cette chute dans un corps implique, pour l'âme, des modiâcations importantes. A l'espèce immortelle, à laquelle auparavant. elle se réduisait, vient s'ajouter une espècemortelle ô, qui, elle-même, se subdivise en deux sous-espèces : une sous-espèce irascible 7, et une sous-espèceappétitive ' La partie irascible de l'âme humaine a pour !ache la défensecontre les dangers venant du dehors ou du dedan! o, alors que .sa partie appétitive assureles fonctions de nutrition î' et de reproductions Mais défense,nutrition et reproduction ne peuvent se concevoir que dans le cadre du monde sensible, où efïëctivement s'insère.maintenant l'âme humaine, .tombée dans un corps soumis à la génération et à la corruption. Le corps humain a pour origine les surfacestriangulaires des quatre éléments primordiaux, qui constituent le corps.du monde. Cependant, une dilïërencede qualité de ces surfacesélémentairesdistinguela génération des deux matériaux fondamentaux qui entrent.dans la composition du corps humain : c'est-à-dire la moelle.et la chair. D'une part, en effet, le démiurge choisit des .triangles réguliers et lissesîa, pouvant produire du fëu, de l'eau, de l'air et de la terre possédantla forme la plus exactes. Par un mélange,il fabrique la ;l;l;cille 'iÛ avec laquelle'il façonne le cerveau îô, la moelle épinière îô et ce]]e des os ïï. ])uis, ayant arrosé de la terre pure, passéeau crible, avecdela moelle, il 'fabrique la substance osseuseî8, dontil sesert pour façonner le crâne îo, la colonne vertébrale.zo et tous les autres os ' 'D'autre part, utilisant, cette fois-ci, des éléments composés de surfaces triangulaires ordinaires, le démiurge constitue la chair ':, par un mélanged'eau, de fëu et de terre, auquel il ajoute un levain 1. P. Vicaire a déjà consacréun article à ce sujet : « La divination chezPlaton », .R.EG,1970,p. 333-350. Toutefois, cette étude très littéraire demeure à un niveau de superficialité déconcertant. Dans un tout ordre d'idées, l'article de R. J. Collons, « Plato's use of the word malzïe omaf >>(Ce n. s. 2, 1962, p. 93-96), ne présente pas be aucoup d'intérêt. 220 5-d 2 221 'l LUC BRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT formé de sel et d'acide. Or la chair, en se desséchant,permet l'appa- donc de la folie. Pour Platon, la déraison rapzoïa), qui apparaît rition de cette pellicule qu'on appelle peau î. Et, sur le crâne, l'humi- dité, sortant par les trous que le fëu a percésdans la peau, et refoulée sous la peau par l'air, donne naissance aux cheveux h Le démiurge fabrique, avec un mélange d'os et de chair sans levain, les tendons 3, dont il se sert pour attacher les os entre eux. Et enfin, d'un mélange de tendons et de peau, il constitue les ongles 4 La vie humainese caractérisepar l'union de l'âme et du corps5 ramas/zïa)et la folie rmalzfa ÏJ. Or la déraison qui équivaut à la folie peut avoir pour causesoit une intervention divine, soit un dérèglement afïëctant lë corps humain. Aussi la folie apparaît-elle, dans un cas, Or le point de contact privilégié de l'âme avec le corps est la moelle 6 comme une maladie divine, dans l'autre, comme une maladie humaine, ayant ultimement pour cause l'état du corps humain 2 chacun au niveau des siègesde ces espècespsychiques. L'espèœ immor' premièrement de la naissance, où l'âme humaine, qui vient de choir dans un corps totalement immergé, par ses besoins insatiables, dans et le nombril; espaced'ailleurs divisé en deux par le diaphragme, opérant une séparation similaire à celle qui séparel'appartement espècerationnelle a. C'est aussi le cas lorsque, aaligé de graves maladies, le corps atteint un point de corruption qui afïëcte profondément Dans la moelle cervicale, s'ancre l'espèce immortelle de l'âme humaine î, dans la moelle épinière, l'espèce mortelle et, par conséquent, ses deux sous-espèces 8. Ces points d'ancrage correspondent telle est établie dans la tête o. Et l'espèœ mortelle réside entre le cou des hommes de celui des femmes dans une maison ïo. La iàus-espèce irascible se situe entre le cou et le diaphragme u, où se trouve le cœur, comparé à un poste de garde ïa. Et la sous-espèceappétitive est enchaînée entre le diaphragme et le nombril î3, au niveau du f oie ïû, comme une bête sauvage à sa mangeoire i5 Ainsi constituéd'un tel corps et d'une telle âme,l'homme doit, durant sa vie terrestre,garder unejuste proportion, d'une part entre Platon, dans le 7ïmëe, donne trois exemples, où l'état du corps amige l'âme humaine de cette maladie qu'est la déraison. Il s'agit le flux du sensible,subit de graves perturbations au niveau de son l'activité rationnelle de l'âme qui s'y est incarnéeô. En outre, cette activité rationnelle peut être entravéepar le foisonnementdu sperme qui, trop abondant,ruisselleautour de la moelle,dont il dit un résidu, inonde tout le corps et, de ce fait, déclenche un déséquilibre, qui se répercute au niveau le plus élevé de l'âme humaine 5 Lorsqu'elle est une maladie humaine, la folie présenteun caractère essentiellementnégatif, et doit être guérie par l'exercice de la gymnas- son corps et son âme, et d'autre part entre les diverses parties de son âme. Dans cette perspective, il doit subordonner son corps à son âme ïô, tique, de la musique et de la philosophie, dont une cité bien constituée d'ardeur de l'âme en vue de l'acquisition de la connaissance îv. D'autre part, l'espèce immortelle de son âme doit diriger les espèces mortelles fait être louée 7 sanstoutesois négliger ce corps, qui pourrait être détruit par un excès qui lui sont subordonnées. Voilà pourquoi le cercle' du même, en cette espècerationnelle, doit imposer sa domination, non seulement à la. sous-espèce appétitive, par l'intermédiaire de la sous-espèce irascible îo, mais même à cette sous-espèceirascible, qui, souvent, a tendance à se laisser emporter dans des accèsde füreurÏo Ce rapide examende la constitution de l'homme durant son existence terrestre nous permet d'aborder le problème de la déraison, 1. 7ïm., 75 e 8-76a 2. -- 2. 7ïm., 76 a 4-d 3. -- 3. 7ïm.. 74 d 2..4.-- 4. 7ïm.. 76 d 3-6. -- 5.nm.,87e 5-6.-- 6.Zm.,73Z,2-5.-- 7.7ïm.,73'c6-dÏ.:- 8.'ïjÜ:l'j32'i-; il d comme la maladie fondamentale de l'âme humaine, puisqu'elle est la conséquent, en cette âme humaine, d'une disproportion qui enlève à la raison son rôle directeur, comprend deux espèces: l'ignorance . 9. 7'ïm., 69 d 6-e 3. -- 10. 7ïm., 69 e 6-70 a 2. -- 11. 7ïm.. 70 a 2-7. -- 12. 7'ïm.. 70a 7-Ô3. -- 13. 7ïm., 70 d7-e 2. -- ï4. 7ïm., 71 a 7-ô 1. -- 15. 7ïm.,'70 e'2-3.'-- '16.'7ïm. 87 d 1-3. -- 17. 7ïm., 88 a 1-7. -- 18. 7ïm., 70 a 4-7. -- 19. 7Ïm., 70 b 3. 222 doit se préoccuperô. Mais, lorsqu'elle est provoquéepar une cause divine, la folie présente un caractère éminemment positif; et doit de ce Certes,même si elle a une origine divine, la folie se caractérisepar une occultation de la raison 8. Cependant, dans ce cas, son action n'est pas exercée par une puissance inférieure -- sous-espècesmortelles de l'âme humaine, ou corps humain --, mais se trouve relayéepar l'intervention d'une puissancesupérieure,d'ordre divin o. Dans cette éventualité,l'homme est l'objet d'une participationdivineio, qui équivautà une possession n. En fait, il est,en quelquesorte,habité par une puissance divines' Or, pour Platon, la folie d'origine divine peut encorerevêtir quatre formes. La première est la ./b/ïe man/ïg e rma/zffkë,),c'est-à-dire la divina- 1. 7ïm.. 86 b 2-4. -- 2. 7ïm., 86 Z)2. -- 3. 7ïm., 42 e 5 -44 b 1. -- 4. 7'ïm.,85 a s. -5. 7Ïm.,86 ô s. -- 6. 7'ïm., 87 b 7-ô 9. -- 7. P#êz#e,244 a 6-8.-- 8. P&èü'e,244 b 2. -g. .Z%êd'e. 244 a 7-8. -- 10..PÆèdPe, 244 c 3. -- 11. .1%ê(#e, 244 e 4, 245 a 2. -- 12.PÀèd»e. 244 ô 4. 223 11 LUC BRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT tian, don d'Apollon l Or, ICI, Platon qui renoue avec un usage dont le Ciao/e constitue le meilleur exemole. estime au'étvmolon- l'Orphisme à penser à l'urDiusme l'Orphisme ll et et au au Dionysisme z, les deux seuls points de repère rendant possible une certaine orientation dans cette nébu- ) quement <{ mantique >>(ma/z/fÆëJ dérive de <<fou >> f'ma/zïÆëJ c'est-àdire que ma/zfiÆë ma/zfiÆë a été constitué constitué constitué par par l'ajout l'ajout l'ajout d'un d'un f à mazzïÆë' leuse'de pratiquesreligieusesplus ou moins marginalespar rapport à la cité,'et qui, de ce fait, ne peuvent qu'être mal déûnieset rester son tour ne permet pas d'en cerner dans un clair-obscur, qui exactement les contours et engendre,par conséquent,une confusion contre cet Toutefois, Platon s'insurge contre cet ajout, bout, qui, selon lui, ne peut provenir que d'une ignorance de ce qui est beau 3, puisqu'il occulte [e rapport profond ]iant ]a divination à ]a fb]ie plus ou moins marquée. La troisième forme de folie divine est celle qu'implique la poésie, et qui vient des Muses 3. L'inspiration poétique, qui .s'empared'une Et, pour illustrer son propos, Platon fait mention de la prophéteste ae l)eIDhes " , des prêtressesde Dodone 5 et de la Sibylle o. En fait, la divination a pour but la recherchede l'avenir 7,grâceaux indices(directementenvoyéspar les dieux a des êtres numains en proie âme pure et délicate a, lui permet de glorifier les exploits des anciens ', en vue de l'éducation de la postérité Enûn quatrième forme de folie divine, don d'Aphrodite l'enthousiasme mantique, aussi bien au niveau du nom, dont il démontre la dégéné: 1. Le livre de 1. M. Linforth, 7Ze .4rfs (#'OI.pÀeæs, Berkeley and Los Angeles,1941, demeure, malgré''certaines réserves qu'entraîne un' positivisme un peu excessif; la rescence étymologique, qu'au niveau de de l'œuvre. l'œuvre, ll' «<<oionistique >> c'est-à-direla divination par le vol et l'aspect des oiseaux.En efïët, l' <<oionistique >>dérive d'une observation impliquant, en dernière meilleure étude sur les rapports de Platon avœ l'orphisme présumé doit' :M:,HÏl;ÇKigçl;É.ËŒ.à:' analyse, la raison humaine; alors que la mantique a pour cause l'enthousiasme, c'est-à-dire la POSSeSSion divine. (.)r autant le monde divin est superieur au monde humain, autant, toutes proportions gardées, la mantique doit être supérieure à l'<< oionistique et a'.pros' , est celle que provoque iamozzr8 Par l'intermédiaired'Eros On comprendalors pourquoi Platon dévalorise,par rapport à la et ïv' siècles æ'!iË:'Ë î!.ï::â.;Ë!:'!? x 8 >>. La seconde forme de folie divine est la ./b/ïe fé/esffqze o, don de Dionysos îo que, dans un texte très controversé, Platon nous présente l ainsi. selon toute vraisemblance,il s'agit de la folie propre aux rites de puriûcation et aux initiations u, qui ont pour but de délivrer îz un groupe ou un individu de maladies et d'épreuves ayant pour cause un ressentiment divin à leur égard :a. Platon ne fait référence à aucune pratique particulière bien déûniepour illustrer son propos. Toutefois, devant la teneur présuméede ce texte, et grâce à'laa constitution de champs sémantiques qui se recoupent, on est invinciblement amené .Baægæez', 215 c 2-e 4. :=UÊÜI'wj; ï::";$':';fÆU*i='::a,S:'zBœ.œ;æ'E PÀêz#?.228 ô 7 et le mîzeôaccÆeusa de 234 d'5). Ce qui, en soi, n'a rien djétonnant. - -Les rites corybantiques débutent par l'intronisation(sur la signification de la fÆronôsls, initier, ïninistre, qr M. Delcourt, Xép&afsfoi ou h loge de d magicien, Pari!, 1951) de cela qu'on veut 1. .P/zêz#'e, 265 Ô 2-3.-- 2. .P.bêd)e, 244 c 4-5. -- 3. P&êéûe.244 c 4. et autour'duquel' évolue, sous la direction 4: .1üêd)e, 244 a. 8. Sur le sujet, cf: P. Amandry, .[a .À42z/zfïqæeapo//ï/z ïe/z/ze à .DebÆe.ÿ, Paris, 1950; et H. W. Parka, .4 }ïfsfo/y cÿ' /Æe Z)ebÆïc crac/e; Oxford, 1939. ' ' 5. Pàè(û'q244g.8-ô 3. Sur le sujet, cÊ la sçhÔlie;et H. W. Parka, 7»e Drac/esq/' Zeæ.s.: .Do(üna, O4y/7@ fa, .dmmo/z,Cambridge, 196? ' ' 6. P&èd'e,244 6 3..Cf. la scholie; et .R..E.;"s: v. Sibyllin. 7. .P.bide, 244 b 4-5. -- 8. P/zêz#e. 244 c 5-d 5: ' 9. 1. M. Linforth analysece texte, particulièrement difhcile, dans un excellent article intitulé : <<Telestic Tadness in Plate,.P#aeü'zzs244 ôe», thfversï/7 ef Ca/ÉürzzïaP#ô/f- caffo/z.ç ï/z Ch.ç.ç/ca/ .P.bï/o/o.gy 12, 1946, p. 163-172. 10. PÀèd)e,265 ô 3-4. -- 11. PÀèdre:244e 2. -- 12..P.ëê(#e. 244 e 1. -- 13.PÀêz#e.244 d 5-6 224 d'un (.EK/Æ.,277 d 9, 1.ofs, 790 e 3), qui eHëctue dÿ: jeux (>afdiaiJ(EufÀ, 8. P.bèd'e, 245 ô s. 225 un chœw (cÆorefa.i 277 d 9 ; sur pafdü, LUC BRISSON médiateur par excellenceentre le mortel et l'immortel ï, l'amoureux, grâce à [a réminiscenœ, est mené de ]a vision de la beauté corporelle à la contemplation des formes intelligibles et de la beauté en soi. Ce qu'on peut résumer dans ce tableau. arè'ùze mantique télestique l .Æiza//ré molÿens temps délirer initiations puriôcations DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT Certes, çes ressemblances entre les quatre formes de folie divine sont, en tant quo telles, intéressantes,mais leurs dissemblancesse révèlentbeaucoupplus suggestives. La distinction la plus importante qui traversece tableau séparelestrois premièresformes de folie divine, de la quatrième. En effet, les trois premières formes de folie divine impliquentl'usage d'une fec&zzïg e et se trouvent au niveau de la démiurgie. Qu'est-ce à dire? Il ne fait aucundoute que la folie mantiquel et la folie téles- tique 2 utilisent une technique. Puisqu'elles impliquent un sacerdoce Apollon l conjecturer l enthousiasi Dionysos T plus ou moins bien défini, elles se réfèrent à des cultes, à des rites et à des règles de précision variable. D'autre part, et cela est sans cesse passe répété par Platon, la poésie doit être rangée du côté des techniques ayantpour but l'imitation 3 On ne doit donc pas s'étonner du fait que Platon classeles devins avec d'autres professionnels de ce genre : le grammairien, le joueur poétique Muses éduquer récit ordonné passé futur de lyre, le lutteur et l'architecte, dans 1'.4/cïbïa(ëû; le capitaine de navire, le médecin, le général, et divers démiurges, dans le CAarmf(& ô; le médecin et tous les autres démiurges, dans le Z,ac/zèso. Efïëctivement, la divination implique un savoir. Mais ce savoir n'est pas scientiûque; érotique Aphrodite Eros contempler réminiscence hors du temps En déterminant les ressemblanceset les différences qui afïëctent les différents éléments de ce tableau, on peut faire d'étonnantes découvertes ler quatre formes de folie, qui, toutes, impliquent une occultation de la raison, dont l'action est alors relayée par une intervention divine directe, recouvrent desdomaines contigus, et qui souvent serecouvrent. Folie mantique et folie télestiquesont très diMcilement dissociables2 C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, par la suite, nous ne pourrons nous empêcherde traiter de la pratiqued'initiations de pair avec la divination. Folie télestiqueet folie poétiqueprésententdesaMnités profondes a. Et qui plus est, la folie érotique s'apparente aussi bien à la folie mantique et à la folie télestique ô,qu'à la f olie poétiques 1. Ba/zqzze1', 202d 13-e2. 2. Il s'agit là d'une constante.Pour s'en convaincre,il suffit de relire les textes dans lesquels.Platon fait.mention de l'Orphisme ou du Dionysisme..Divination et' pratique d'initiations.y sont.intimement reliées. Nous estimons que la suite de cet exposé mettra en lumière de nombreux exemples de cet état de choses. ' ' '' '''' 3. Jôn, 533 c-536 d. -- 4. Bang e/, 202 e-203 a, çC 188 ô-c. -- 5. Ba/zg ef, 187a-e. 226 il est technique.Voilà pourquoi, dansles dialoguesde la première période, la divination est citée, comme un exemple parmi d'autres, d'un savoir-faire, enGaGecertes, mais qui ne peut rendre compte de ce qu'il réalise. Bien plus, dans le Po/ïfigzle, Pluton précise sa penséeen distinguant le savoir technique en savoir judicatif et savoir prescriptif 7. Il considère l'exégète et le devin, de même que le chef des rameurs et le héraut, comme des spécialistes investis d'un savoir technique prescriptif 8, pour la bonne raison qu'ils prescrivent à autrui des chosesà eux dqà prescrites par quelqu'un d'autre. Mais, dans le même dialogue, Platonva encoreplus loin. Il présentela divinationcommeun art adjuvant à la royauté. Au même titre que les hérauts, les secrétaires et les divers prêtres, les devins doivent être, de ce fait, adjoints immé- diatement au roi 9 Par là, est atteint le noyau historique auquel fait référencele précé- dent paragraphe.En efïët, dans un excellentarticle de la revue Hiïroria îo, K. Murakawa a bien mis en lumière la signiôcation archaïque du terme éZëhïourgoset très clairement démontré, par l'inter- médiairede l'analyse du terme kên/x, qui en constitue, en quelque 1. P/zèzlre,244 c 1. -- 2. PÀècû'e, 244e2. -- 3. Cf:, par exemple,Sopà.,266 a s. -- 4. ,4 /cïô/az?ë æza/ezlr, 107 a l-ô 4. -- 5. C&arm ïc/e, 173 b l-c 2. -- 6. .Lac.bès, 195 a-e. -- 7. .Po/..260 Z) 3-5. -- 8. .Po/., 260 d Il-e 2. 9. Po/., 290 c -291 a. -- 10. K.Murakawa, « Demiourgos », J7ï:/or/a 6, 1957, p. 385-4]5. 227 DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT LUC BRISSON sorte, un sous-ensemble î, la proximité des divers dëmfourgoïavec la royauté. Or, parmi ces cëmiourgoï, on trouve des devins, comme le révèle ce texto qui rapporte ce qu'Eumée dit à Antinous, dans une scène de banquet, quand Ulysse, de retour à lthaque, rentre chez lui, déguisé en mendiant Quels hôtes s'en va-t-on quérir à l'étranger? ceux qui peuvent remplir un service public rdl?hïoergoiJ, devins et médecins et dresseursde charpente ou chantres aimés du ciel 2 En définitive,lorsqu'il classele devin parmi les cËmîourgoï, et qu'il fait de la divinationun art adjuvantde la .royauté,Pluton s'insèredans une tradition qui remonte très haut dans l'histoire de la Grège ancienne. Mais, puisqu'ellessont des fonctions démiurgîques,divination et pratique d'initiations relèvent de ce savoir technique dont précisément les sophistess'estiment les détenteurs et les dispensateurs,.dansune certaine mesure.Voilà pourquoi il ne faut pas s'étonner d'entendre Protagoras qualiûer de sophistes lesdevins et les praticiens d'initiations les plus célèbres, en même temps d'ailleurs que les plus grands poètes moyen de l'enseignement, à transmettre la vertu qui leur est propre î, les hommes politiques, Thémistocle par exemple, ne peuvent être inves- tis d'un savoir qui relève de l'intellection, et dont, nous l'avons vu, l'une des caractéristiques est d'être enseignable. Voilà pourquoi le savoir qui leur est propre, c'est-à-dire l'opinion juste, s'apparente à celui dont sont investis les devins et les vaticinateurs rcÀr môicüï kaï nïanfeïseJ : Tirésias par exemplea, les praticiens d'initiations, et tous ceux qui font partie du genre poétique 4. Les hommes politiquesdoivent donc leur compétencenon pas à la raison, dont, semblet-il, ils ne font pas usages, mais bien à une intervention divine. Sous l'efïët d'une inspiration ' et d'une participation 7 divines, les hommes politiques, en proie à la possession8 et à l'enthousiasmeo, prennent les décisions qui s'imposent, sans, pour autant, être en mesure d'en rendre compte. Il ne faut cependantpas croire que cette descriptionreflète la penséede Platon. Bien au contraire, elle fait le constat, pour les Ve et IVe siècles, d'une pratique politique que récuse fondamentale- ment l'auteur de la R(bzlô/igue,pour qui philosophie et politique sont indissociables, ]a seconde réalisant dans ]e monde sensible ce qui est contemplé dans le monde intelligible. Certes, Platon ne dissociera Ce que j'amrme, moi, c'est que l'art du sophisteest un.art jamais complètementpolitique et divination. Toutefois, dans la de ce qu'il a d'importun, ont pris à cet efïët un déguisement, dont ils l'ont enveloppé : ceux-ci, la poésie, comme Homère, en faisant un art adj usant de la royauté. ancien, mais que ceux des anciens qui l'ont exercé, par crainte Hésiode, Simonide : ceux-là, de leur côté, tels Orphée ou Musée, les initiations et les vaticinations Ï're/e/as fe kaï cÆrëkmôïdasJ 3 Ce qui ne laisseaucun doute sur le genrede savoir qu'impliquent la divination, la pratique d'initiations et la poésie. Par conséquent,divination, pratique d'initiations et poésiene peuvent atteindre l'intellection, qui est produite par la .science:qui s'accompagned'une démonstration vraie et qui serévèle inébranlable par la persuasion;elles n'ont pour terme que l'opinion juste ror//zë cïoxaJ, qui n'est pas produite par la science, qui ne comporte pas de démonstration et qùi se révèle modiôable par la persuasion 4 Point de doctrine qui se dégage déjà partiellement à la ân du ]l/ânon 5, où sont examinésles rapports de la politique avec l'intellec- tion et l'opinion juste reu(hxiaJ 6. Dans les dernières pages de ce dialogue, une conclusion s'impose. Puisqu'ils n'arrivent pas, par le perspective qui est la sienne, il n'arrivera à intégrer la divination qu'en Tout cela nous permet de mieux comprendre le statut essentielle- ment ambigu des trois premières formes de folie. Certes, elles revêtent un caractèrepositif; puisqu'ellesdériventd'une interventiondivine directe. Toutefois, puisqu'elles ne relèvent pas de la raison et qu'elles demeurent dans ]e domaine de l'opinion juste, qui s'accommode du temps, elles présentent un aspect négatif qui se révèle ou bien lorsque le savon' technique qu'elles impliquent est mis en œuvre, sans que se soit préalablement exercée l'action divine qui en justice l'usage, ou bien lorsque cette inspiration divine afïëcte une âme impurs ou mal préparée. Il n'en va cependant pas de même pour la quatrième forme de folie la folie érotique. Certes,la folie érotique peut être dénaturée,lorsqu'elle est déviée de son but ultime et qu'elle demeure au niveau du monde sensible.Mais, dès lors que, sous l'inspiration d'Éros, qui tourne l'âme de l'amoureux du sensible vers l'intelligible, elle s'exerce droitement, elle ne peut qu'être positive. En efïët, elle permet alors [. ]b/ë/zon.99 e 6. -- 2. .Zt4é/zo/z. 99 d 1. -- 3. J\4ë/zon, 100 a 4. -- 4. Jvëno/z,99 d l. -- 1. }Ë.îforïa 6, 1957, P. 399-403. -- 2. 0d, XVl1, 382-5. -- 3. P/'o/. 316 d3-9. 4. 7ïm.,50a-ô. -- 5. ]i4ëhoæ, 99 Z)-100 c. -- 6. JVénoæ, 99 b II. 228 5. J\4ë/zo/z. 99 d 5. -- 6. j\démon, 99 d 3. -- 7. Jvënon, 99 e 6, 100 b 2-3. -- 8. J14ëæo/z, 99 d 3-4.-- 9.]\4ë/ïoæ, 99 d 3. æ9 LUC BRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT à cette âme en proie à la possessiond'atteindre et de.contempler le monde intelligible, objet de science'. Et cela, sansfaire ap?q.à un savoir technique du genre de celui ,dont font usage les différents dëhïourgoi. Car, sousl'inspiration d'Éros, l'âme de l'amoureux s'élève vers le monde intelligible par la seuleforce de la réminiscence qui lui per- met de redécouvrir œ qu'avant sa chute dans un corps elle contemplait. Ce qui nous amène tout naturellement à cette classiûcation dynami' Cette classification s'écarte donc du modèle de la cité que Pluton propose dans la .R(ÿzlb/igzïe,et où les philosophes-rois sont les seuls véritables chefs politiques i. Certes, dans ce passage du P/zèbre, ceux qui arrivent à contempler le monde des formes intelligibles se trouvent au premier rang. Toutefois, ils sont, en quelque sorte, à l'extérieurde la cité, par le haut, puisquela direction de cettecité ne leur incombe plus. S'en chargent ]e roi et ]e politique, qu'on doit ranger dans la première classe et qui sont des spécialistes de la législation, de la guerre que qu'un peu plus loin, dans le P#êde, Platon propose a, et .qui, malgré les apparences,intègre parfaitement la classification statique et de l'économie. Dans la R(ÿub/feue, les philosophes-rois dirigeaient œ situe à la ûn du mythe du PÆêcô'e sur l'âme humaine, .au moment précisémentoù cette âme humaine, après avoir contemplé le.monde gible unifié par le bien. Ce n'est plus le cas maintenant. l.Jn corps de lois doit être constituéet respectépar le roi, qui ne peut que s'intéres- nous venons de mettre en lumière. Cette clas;sification dynamique des formes intelligibles, doit s'incarner dans un corps. Selon la qua- lité de sa contemplation, elle ira s'implanter dans différents types de semence d'hommesse situant à un niveau ou à un autre d'une hiérarchie qui en comporte neuf. les deux autres classesdans une illégalité absolue,puisque leur action se modelait non sur un corps de lois, mais sur le monde intelli- ser aux chosesde la guerre, puisque c'est à lui que revient le comman- dementen chef. En outre, le politique a pour fonction d'assurerla bonne marche de l'économie. Qu'est-ceà dire? Ceci : d'une part, les fonctions de contemplation On remarquera,tout d'abord, que la première place.revient à et de direction qui, dansla Rlÿæb/ïgue, déônissaient, par leur union le beau3. Ce qui n'a rien d'étonnant. Étant celui qui, à l'aide de.la et, d'autre part, la fonction unique de direction attribuée, dans la celui qui aime le savoir, c'est-à-dire le philosophe! et à celui qui aime dialectique, c'est-à-dire par les méthodes de division et de rassemblement, ' met' en œuvre une réminiscence eRective des . formes intelli- gibles ô, le philosophe s'arroge une prééminenceabsoluejur tous les autreshommes,sauf sur celui qui aime le beau,et que Platon situe au même niveau. En efïët, celui qui aime le beau,que cette beauté soit d'ordre musical ou érotiquei atteint, lui aussi, non pas par la médiation de la dialectique, mais par l'intervention d'Éros, le monde ;ïes formes intelligibles, 'au terme d'une réminiscencedont le dérou[ement, dans ]e .Ba/zgz]ef,s'apparente à celui d'une initiation ' La secondeplace revient à'un roi, bon législateur, apte à.faire la guerreet à commander7,la troisième,à un politique, qu'il soit administrateur ou intendant 8 2. P&èdre,248(Èe. 3. P&ëdre. 248 d 3. Ô. R(btïô/feue, à ces philosophes-rois, qui ont pour tâche de rendre, autant que faire se peut, le sensible semblable à l'intelligible unifié par le bien, sevoit, dans le P/zèbre,fragmentée en trois sous-fonctions, néanmoins groupées selon une bipartition respectant la coupure radicale qui, dans la Réÿzib/igné, sépare les deux premières classes de la troisième. De la premièreclasse,qui a pour rôle la direction de la cité, on passeà la seconde,à laquelle fait référencece pÆI/opo/zos, dont Platon nous dit qu'il vient au quatrième rang a. Ce terme est diïïicile à traduire. Toutefois, l'usage qu'en fait Platon ne laisse aucun doute sur ce qu'il désigne.En efïët, le p/zï/oponox,c'est-à-direcelui qui aime l'eH'ortphysique,est celui qui s'adonneaux activitésde la guerre et de la chasse et qui, par conséquent, ne peut négliger la gymnasti- 1. .Ba/zqz/et, 209 e s. ; .PÀêd'e, 249 b s. 4. SoP& , 253 c-254 indissoluble, les philosophes-rois, sont dissociées dans le P#êcô'e; sïkoæ ï'jæos Æaï erôr/Æou se rapporte au Æa/ov de p&f/oÆa/oæ, et qu'il ne'faut pas, comme Robin, voir, souscette expressionun autre type supérieur d'homme. que a. Peut-être est-ce là un autre indice de l'évolution de la pensée de Platon, qui, dans le PÀèd)e, a abandonné l'idée d'une armée de métier, comme celle que constituent les gardiens dans la Ré zzô/igue. 1. .RI»., V, 471 c s. et plus précisément, 473 c l l-d 3. 2. Phèdre.24,% d 6.1. 6. .Ba/zqzref, 209 e 5-210 a 3. 3. Cf. .ælÿ., Vl1, 535 c 1, d 2, où le .pÆ//k2lpoæos est celui qui s'adonneà la gymnastique et à la chasse.En .[o/s. V]1. 824 a 5. 1emême terme est uti]isé au cours d'une discussion sur les différents types de chasse.Et, dans 1',4/cïôïa(/emzÿeur, 122 c 7, il fait référence aux Lacédémoniens. 230 231 DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT LUC BKïsSÔN + Cependant, Platon présentele pÆÏ/oponoicomme un expert en gym- nastique et en tout ce qui concerne la guérison du corps 1 11semble que, dans ce contexte, cette guérison ne soit pas le résultat d'une cure médi- cale, mais s'obtienne par divers mouvementscorporels ayant pour but de rétablir l'équilibre de l'organismea. Et cela, parce que le médecin, comme tel, appartient à la troisième classe, dont, par la suite, il est fait mention. le sophiste, le démagogueet le tyran représentent sous un mode négatif ce que le philosophe, le roi et le politique représentent sous un mode positif. Ce qui nous donne ce tableau Dans cette troisième classe, il faut inclure les hommes descinquième, POSI'HF sixièmeet septièmerangs.Ce qui implique que le devin et le praticien d'initiations 3 se trouvent, avec le poète et le spécialiste de l'imitations, sur le même plan que les démiurges et les agriculteurs ô. Nous redécouvrons donc ici, de façon explicite, la classiûcation implicite que nous avions auparavant décelée. celui qui aime part, le poète et le spécialiste de l'imitation celui qui aime le beau (d'ordre musical le savoir Mais, dans ce texte, deux détails doivent retenir l'attention. D'une précèdent, en considéra- tion, les démiurges proprement dits. Ce qui n'est pas le cas dans la R( z/b/igue,où poèteset spécialistesde l'imitation sont exclus,pure' ou érotique) ment et simplement, de la cité ô. Et, d'autre part, le devin et le praticien d'initiations précèdent le poète et le spécialiste de l'imitation. ro] Ce qui, en revanche,est une constantedansl'œuvre de Platon. En (législateur ou guerrier) efïët, comme nous le verrons un peu plus loin, jamais Platon n'a rejeté l'une ou l'autre de cespratiques,mêmesi, en certainsendroits,il se montre particulièrement sévèreà l'égard du praticien d'initiations. politique Cette relative tolérance envers ces deux types de sacerdoce, plus ou moins institutionnalisés, se réfïète dans le fait qu'il les classe en tête des activités propres à la troisième fonction, et que, partant, il les considère comme moins ambiguës que les activités du poète et du spécialiste de l'imitation. A partir du huitième rang, la classification que propose ici Platon se renverse et retourne à son point de départ, mais sous un mode négatif. Qu'est-ceà dire? Ceci. On trouve, au huitième rang, le sophisteet le démagogue 7 et, au neuvième,le tyran 8 Partout, dans l'œuvi e de Platon, et notamment dans le Sop/zfsfee, le sophiste seprésente comme la contrepartie du philosophe. Or, au plan de la cité, le démagogueestl'homologue du sophistelo et s'opposeau véritable politiqueï], qui est roi. De plus, le tyran se présente comme la perversion absolue du politique iz. Par conséquent, 1. PÀèd'e.248d 6-7. 2. 7Ïm..89 a 1-8. 3. .P.bë;&;: 24Ë d' 7-e 1. -- (intendant ou financier) seconde liasse celui qui aime l'efïbrtphysique devinât praticien d'initiations troisième =ïasse poète et spécialiste de l'imitation démiurges et agriculteurs Or, ce tableau correspond exactement à ce qui a été dit auparavant. 4. .P.ëêü'e, 248 e 1-2. -- 5. .PÀêzZre, 248 e 2. -- 6. .Rd»., X, 595a s. -- 7. .1%êd'e.248 e 3. -- 8. /ôïJ. -- 9. Sop/z i.çre,253c-254ô. -- 10.SoP&ïs/e, 268 b 10-c 4. -- NÉGATIF 11. .SopÀis/e, 268 b 1-9. -- 12. Po/., 276 e s. 232 Devin et praticien d'initiations appartiennent,de même que.le poèteet le spécialistede l'imitation, à la troisièmeclasse,qui inclut 233 LUC BRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT les démiurges et les agriculteurs. Et cela, parce que devin, praticien le cas de la folie mantique, dans celui de la folie télestique et dans celui d'initiations, poète et spécialistede l'imitation sont investisd'un savoir technique et qu'ils œuvrent dans le temps qui caractérise le monde sensible. Aussi folie mantique, folie télestique et folie poétique ne peuvent-elles,malgrél'inspiration divine dont elles dérivent, parveûr qu'au stade de l'opinion juste, et sont-elles, de ce fait, marquées au sceau de l'ambiguïté. Ce n'est pas le cas de la folie érotique qui, dès que, par l'intermé- diaire d'Éros, elle arrachel'amoureux du monde sensibleet le projette, grâce à ]a réminiscence, vers le monde intelligible, aboutit, par une voie plus courte, au mêmerésultat auquel parvient le philosophe,par la voie longue de la dialectique. A ce stade de notre étude, la divination peut être située avec une très grandeprécisionsur cette face cachéedu platonismequ'est le domaine de la déraison. En efïët, comme nous l'avons vu, la dérai- son se présente,pour Pluton, sousles traits soit de l'ignorance, soit de la folie, qui, elle-même,peut avoir soit une origine humaine soit une origine divine. Or, lorsqu'elleest une maladiedivine,la folie est susceptiblede prendre quatre formes : folie mantique ou divination, folie télestique, folie poétiqueet folie érotique.Les trois premièresformesde folie s'exercent dans le monde sensible, soumis au passagedu temps et appréhendé par l'opinion vraie, alors que la folie érotique permet à l'âme de s'élever vers le monde intelligible, caractérisé par l'éternité et appréhendé par l'intellection. D'autre part, au sein du premier groupe, ]a folie mantique, ou divination, et la folie télestique, très difRcilementdissociables l'une de l'autre, se distinguentde la folie poétique, puisque les deux premières se trouvent du côté du sacré, alors que la troisième se trouve du côté du profane. Cette série de distinctions qui font référenceà la méthode dialectique de division et de rassemblement, dont la premièredescription et les premièresrèglesnous sont donnéesun peu plus loin dans le PÆêdPe i, permet de rendre compte des diverses connotations valorisant ou dévalorisant ces différentes formes de folie. Lorsqu'elle est une maladie humaine, la folie présente un caractère essentiellement négatif. En revanche,lorsqu'elle est une maladie divine, la folie présentesoit un caractère essentiellementpositif, comme dans le cas de la fbhe érotique, soit un caractère plus ou moins ambigu, Gommedans de la folie poétique, cette dernière étant afïëctée d'un degré d'ambiguïté plus marqué que les deux précédentes. Platon ne manque pas d'être insatisfait par cette ambiguïté dans les dialoguesde la dernière période, il va tenter de la lever, en mettant en œuvreune vaste entreprise de récupération de la folie mantique, de la folie télestique et de la folie poétique. Entreprise de récupération qu'il réalisera en conservant ces trois formes de folie certes,mais aussiet surtout en trouvant à lesutiliser autrementde façon à les rendre le plus possible positives. Laissant de côté la récupération par Platon de la folie poétique, qui, exclue de la cité dans la R(ÿub/igz/eî, y est pourtant réintégrée dans les Z,ofs a, mais avec des aménagements très précis, nous porte- rons notre attention sur la réczpëra/fonpar P/afa/z(?e/a./b/ïema/zffge et de ta folie télestique. Cette récupération se situe sur deux plans. Un plan anthropolo- gique, où Platon innove vraiment, en faisant une place à la divination et à la pratique d'initiations à ce niveau de l'âme qui, dans l'homme, correspond à la troisième classe dans la cité; c'est-à-dire ïa sous- espèceappétitive.Et un plan politique,où Platonintègreun héritage religieux que sa critique acerbe de la tradition épargne dans sa presque totalité. Voyons, tout d'abord, ce qu'il en est au niveau a fÆropohgfgzze. Tout est dit sur le sujet dansun passagedu limée 3, qui, au premier abord, frappe par sa bizarrerie et son incongruité. Il s'agit de quelques paragraphessur la nature et la fonction du foie. Le foie est, avant tout, le siègede cette sous-espèce de l'âme humaine, à laquelle Platon donne le nom d'epïf/zamla.Comme nous l'avons vu, les dilïérentes espèceset sous-espèces de l'âme humaine sont implantées dans la moelle : l'espèce immortelle dans la moelle cervicale, et l'espèce mortelle dans la moelle épinière. La sous-espèce irascible se situe entre le cou et le diaphragme, au niveau du cœur qui en est le siège, alors que la sous-espèceappétitive se trouve au niveau du foie. Cette sous-espèce appétitive se distingue radicalement, par sa nature même, de la raison 4. Laissée à elle-même, elle en serait donc absolument séparée. Toutefois, Platon mentionne deux modes 1. .Ré»., livre X. -- 2. .Lois, Vl1, 828 e-829 e. -- 71 a 3.4-5,d4. 1. PÆè(#e, 265 c. 234 235 3 Tim. 71 a 3-72 c 1. -- 4. 7ïm DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT LUC BRISSON possibles d'intervention de la raison sur la sous-espèceappétitive qu'elle doit soumettre à sa règle : l'un médiat, et l'autre immédiat. En effet, la raison peut se servir de l'espèceirascible pour maintenir son hégémonie sur la sous-espèceappétitive, par le moyen d'avertissements et de menaces. Cependant, cela ne sufHt pas, et il arrive qu'il fàilie mettre en œuvreun autre mode d'intervention, immédiat cette fois 0 Puisquela sous-espèce appétitivede l'âme humainen'arrive pas à appréhender l'intelligible, et qu'elle se cantonne dans le sensible, l'intelligible doit paradoxalement, aûn qu'elle puisse atteindre la vérité i, lui être rendu sensible2 Tout cela ne laisse pas d'étonner. Certes, la nature du foie s'explique directement par sa ûnalité. Toutefois, le rôle de la raison, dans cette araire, fait problème. En efïët, dans le cas de la folie mantique et de la folie télestique proprement dites, une possession divine prend le relais de l'exercice normal de la raison. Mais, ici, puisqu'on ne doit pasdépasserle plan anthropologique,rien de tel ne peut se produire lorsque l'exerciœnormal de la raison se voit entravépar la maladie ou par le sommeil. Ce qui signifie qu'à côté de l'exercice normal de la raison, il faut postuler un autre type d'activité rationnelle, auquel flint référence les termes <<puissance )> ('chnami:,) et<< inspiration )> fepünoïaJ,dont le caractèreindéôni ne permetpas de déterminer la nature. Puisque Platon n'est pas plus explicite sur le sujet, laissons là cette question sur la nature de ce second type d'activité rationnelle, pour en décrire les opérations efïëctives;lesquellesse présentent sous la forme d'un double processus, décrit en 7ïmée, 71 b 3-d 4, et qui dérive de la nature et de la situation du foie que le dieu a voulues telles e afin que la puissancedespenséesqui vient de la raison se porter en lui, commeen un miroir qui reçoit desimpressions et qui donne à voir des représentations,puisse, d'une part, l'épouvanter, lorsqu'en utilisant ïa partie d'amertume qui entre dans sa composition et en imprégnant, par suite de la brutalité de son comportement menaçant, tout le foie d'acidité, elle y fait apparaître des couleurs de bile et lorsqu'en le contrac- tant elle le rend tout ridé et râpeux ; et qu'elle puisse d'autre part provoquertroubleset nausées, en courbantet en repliant le lobe à partir de sa position droite et en opilant et en formant les portes et la vésicule. Aôn, aussi, lorsqu'au contraire une 1. 7ïm., 71 e 1. -- 2. 7'ïm.,71 a 4. 236 inspiration d'apaisementvenant de la raison y dessinedes phantasmes opposés, d'une part en stabilisant l'amertume en ce qui ne veut ni être en mouvementni avoir de contact avec la nature qui lui est opposée, et d'autre part en se servant de la douceur qui est partie intégrante de sa nature, tout en rétablissanttout ce qui en lui est droit, lisseet libre, qu'elle puisse rendre de bonne humeur et sereine durant la journée cettepartie de l'âme établieau voisinagedu foie, et qui, durant la nuit, a alors un repossufRsantet jouit de la divination, étant donné qu'elle ne participe ni au raisonnement ni à la raison. Nous avons tenu à traduire ce long passage en deux phrases seule- ment, aôn d'en faire apparaître la profonde unité. Tentonsmaintenant de l'analyser en détail. D'abord, on ne peut pas ne pas remarquer qu'il se divise en deux parties décrivant deux procès opposés : le premier, négatif, qui implique un double état d'épouvante et de maladie; et le second, positif qui annuleles eïïëtsdu premieret qui, de ce fait, implique sérénité et bonne humeur. D'autre part, chacun de ces deux procès fait, lui-même, mention destrois traits par lesquelsse déûnit la nature du foie : la proportion d'amertumeet de douceur qui entrent dans sacomposition, l:état desa surface, l'aspect de son lobe, de ses portes et de sa vésicule. Epouvante et maladie dérivent d'un état de déséquilibre à chacun de ces trois niveaux, qui, lorsqu'ils retrouvent leur équilibre, permettent l'apparition de la sérénité et de la bonne humeur. Or, dans cette perspective,on comprend facilement que la nature des imagesprqetées sur le foie dépendepremièrement de la propor- tion d'amertume et de douceur qui entrent dans sa composition, et surtout de l'état de sa surface. En efïët, des images prqetées sur un écran ridé et râpeux qui, de plus, présente des couleurs de bile, ne peuvent qu'engendrer l'épouvante, alors que des images prqetées sur un écran lisse et brillant ont tout lieu d'engendrer la sérénité. En outre, il va de soi que l'état de santédépend à la fois de la proportion d'amertume et de douceur qui entrent dans la composition du foie et, surtout, de l'aspect de son lobe, de sesportes et de sa vési- cule. Lorsque le foie est imprégné d'acidité, que son lobe est courbé et replié, et que sesportes et sa vésicule sont opilées, on ne doit pas s'étonner de voir apparaître ces symptômes d'un état maladif que sont douleurs et nausées.En revanche, lorsque, dans le foie, amertume et douceur se trouvent dans une proportion normale, et que l'aspect 237 LUC FRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT du lobe, des portes et de la vésicule ne présenteaucune anomalie, tout concourt à l'instauration et à la persistanced'un état de santé. de la raison sur elle par l'intermédiaire de la sous-espèce irascible de l'âme humaine ne suit pas, alors, comme nous l'avons vu, la Illustrons cela dans un tableau 1 premier processtts second pro- cesses phan- com- tasmes épou- portement brutal vantables inspi- l phan- ration l tasmes d'apai- l opposement l sés met en mouvement l'amer repos de l'amer raison peut intervenir de façon immédiate, grâce à undouble processus. acidaté dou- cour ridé râpeux lisse opale courbe et clôt et vésicule replie et le lobe portes re- dresse dou- leurs et nausecs bonne libère l hu- meur Malgré leur opposition, ces deux processus présentent plusieurs caractèrescommuns.Tous deux ne se produisent que lorsque l'exer- cice normal de la raison est entravé. Alors, un influx rationnel, d'un genre mystérieux, rend l'intelligible sensible à la sous-espèceappétitive de l'âme humaine. Et c'est précisément par là que se révèle possible la récupération de la divination au plan anthropologique. Récupération d'ailleurs explicite, puisque le texte se poursuit ainsi. Car le texte, dont nous avons cité les deux extraits fondamentaux, présente quatre couches successives de signification : trois de celles-ci serapportentà la divination, et la dernière,à la pratiqued'initiations. Surdéterminé,ce texte l'est vraiment, puisque, tout d'abord, il fait référence à la divination,à traversun amalgame de divinationpar l'examen des entrailles et notamment du foie i, de divination par les rêves 2 et de divination par l'enthousiasme 3 Pour commencerpar la fin, cette puissanceet cette inspiration qui viennent de la raison 4, alors que l'exercice normal de cette raison est entravé, rappellent l'enfÀozzsïasme qui saisit la prophétesse de Delphes, les prêtressesde Dodone et la Sibylle, qui, toutes, sont sous le coup d'une possession5 ou d'une participation divine 6 ï)e plus, les images7, les phantasmes8 et les impressions9 que, de jour comme de nuit îo, fait réfléchir, sur la suïfàce lisse et brillante du foie, l'influx rationnel, font certainement référence à /'onïroma/zcïe, du moins en ce qui concernecellesqui apparaissentdurant le sommeil n, celles qui s'imposent durant le jour devant être classéesparmi les signesque provoque, dans la folie mantique, l'inspiration divine, En efïët, les dieux qui nous ont constitués, s'étant souvenus comme dans le premier cas. mandé de faire l'espèce mortelle aussi parfaite que possible, tient une telle description avec la dpï/zafïo/zpar /'examen dës en/raf//ës de la recommandation de leur père, lorsqu'il leur avait recom- pour assurer,de la sorte, une ligne de conduite droite à la partie inférieureen nous, aûn qu'elle appréhendela vérité, établirent en elle le siègede la divination ï. Ce qui nous renvoie à un stade antérieur dans le 7ïmëe. En efïët, c'est le démiurgelui-mêmequi fabrique, sur le modèle de l'âme du monde, dont elle n'est qu'un résidu, l'espèceimmortelle, et donc rationnelle, de l'âme humaine a. Mais il laisse à ses aides, qui sont Ë ici apparenté à la divination. Le projet de Platon est explicite, mais sa mise en œuvre compliquée. ses fils, en quelque sorte, puisqu'il les a constitués selon toute apparence, le soin de fabriquer l'espèce mortelle de l'âme humaine, en leur prescrivantd'imiter autant que possibleson action 3. Certes, la sous-espèce appétitive de l'âme humaine est particulièrement diïhcile à maintenirdansl'ordre hiérarchiqueque doit mettre en œuvre tout homme durant sa vie terrestre.Mais, si l'intervention médiate 1. 7ïm., 71 d 5-e 2. -- 2. 7ïm., 41 d4-7. -- 3. 7ïm., 41 c 3-d3 238 Enfin, on ne peut pas ne pas saisir les rapports évidents qu'entre- et notamment dœ./bïe. L'aspect et la position du lobe, de la vésicule et des portesîz constituent, en effet, pour les spécialistesde ce type de divination, les indices sur lesquels ils fondent leurs prédictions ï3 Comme on peut le voir, la référence à la divination, dans le passage 1. La divination par l'examen des entrailles et notamment du foie, paraît étrangère à la cité homérique,'maisestfamilière aux Grecsdesv' et lv' siècles.Elle semblealors seréduire à ]'inspection du foie, dont on examineavant tout ]e lobe, la vésiculeet les portes((f Euripide, E/ec/re, 826-828). 2. L'loniromâ.noie se présente comme une pratique qui, en Grèce, remonte à la plus haute Antiquité. En efïët, les songesenvoyésÔar lei dieuxjouent un grand rôle dans les poèmes homériques(cf. //fade, 11, 140 et O(Üssëe, XÏX, 560 s.). 3. La divinationpar l'enthousiasme fait avanttout référenceau type de divination décrit par Platon en P.ëêc#e 244 a 8-c 5. â.. Tint., l\ b 4, hë ek tou noü pltelontenë dünamis et c A. ': praiotëtos tis ek diattoias ep/pæoïa. On remarquera les deux termes différents : niai et z/faæofaqui désignent la raisin 5. PÀèz#.e. 244b 4. -- 6. PÀêdre.244 c 3. -- 7. 7'1m.,71 a 5, ô 5, e/dôhæ.-- 8. 7ïæz., 71 a 6, c 3, .PÆaæ/asnza. -- 9. 7'Ïm., 71 Z)4, rzzPos. -- 10. 7Ïm., 71 zz6. -- 11. 7'Ïm.,71 c/ 3-4. -- 12. 7ïm., 71 b 8-c 2, d 1. -- 13. Eur., .E/ec/re, 826-828. 239 Y LUC BRISSON 'f du 7b?zëeque nous venons d'étudier, présenteune surdétermination DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT La premièrede cesdistinctionsopposele foie vïvan/au foie mort ï. évidente. Difïërents types de divination s'y trouvent inextricablement Par ]à, Platon discrédite, en tant que telle, cette forme de divination qui se fonde sur l'examen des entrailles et notamment du foie. en déceler, dans ce texte, une référenceà la pur/gue d'inïffaffons. Ce qui Bien plus, sans vouloir compliquer les choses, il semble qu'on puisse donnant pour raison que la mort modiûe radicalement la nature de cet organe. Ce qui est parfaitement compréhensible, si l'on tient compte dissociables. En efïët, il semble que ces douleurs et ces nauséesî, l'amer, cet organe, qui est le siège de la sous'espèce appétitive de l'âme mêlés,qui tous ont, en réalité, une nature et une fonction spécifiques. n'aurait rien de surprenant,puisque,commenous l'avons vu, ces deux formes de folie sont intimement liées et donc difRcilement de ce qui auparavant a été dit de la nature et de la fonction du foie. provoquées par le reflux, danstout le foie, de la part d'amer qui entre dans la composition de cet organe a, fassent référence à ces maladieset à cesépreuvesque mentionne Platon a, quand il décrit la humaine, sert, en quelque sorte, de médium à l'espècerationnelle qui, en l'amigeant de maux et en faisant s'y réfléchir des images, impose une ligne de conduite à ce qui, en l'âme humaine, est le plus f ait naître dans la sous-espèceappétitive de l'âme humaine cette et séparéde l'influx rationnel qui l'affecte,le foie n'est plus qu'un En elïët, dense,lisse,brillant et contenantà la fois du doux et de secondeforme de folie, la folie télestique.En outre, l'épouvante que éloigné de la raison. Dans cette perspective, arraché de son lieu naturel puissancequi vient de la raison, n'est pas sansrappeler l'épouvante dont sont saisis ceux qui s'adonnent aux pratiques bacchiques et vulgaire morceau de viande qui ne peut rien apprendre. Au contraire, corybantiques a, dont nous avons dit plus haut qu'ellespouvaient être considérées comme des manifestations de folie télestique 5 Et, enfin, on peut faire remarquerl'importance du mouvement,au cours de ce premier processus,alors que le second secaractérise par le repos e; mouvement qu'impliquent au premier chef pratiques bacchiques etcorybantiques7 En définitive, dans ce passagedu 7ïmëe, Platon récupère, sur le plan anthropologique, à la ibis la divinationet la pratiqued'initiations. C'est œ qu'il donne à entendrelorsque, après avoir indiqué pourquoi les aides du démiurge ont établi dans la sous-espècemortelle'de l'âme humaine le siègede la divination, il continue enlisant Une preuvesuMsanteque c'est bien à la déraisonhumaine à sa place dans le corps humain et subissantl'inHuencede l'espèce rationnelle de l'âme humaine, il a une fonction décisive qui s'apparente à celle qui caractérisele devin et le praticien d'initiations dans la cité Ce qui nous mèneà la secondedistinction qui, précisément,oppose le devin au prof/zêfe. Cette distinction recouvre l'opposition, mentionnée plus haut à plusieurs reprises, entre la raison et son occultation. Celui qui esten proie à la folie mantiquea,et qui demeuredanscet étata, est dit privé de l'usage normal de sa raison soit par l'enthousiasme,soit par le sommeil, soit par la maladie ô. De ce fait, s'impose la nécessitéd'un interprète, auquel Platon donne le nom de prophète s, et qui, faisant usagede sa raison, peut rendre explicite la signification cachée, pour le présent,le passéet le futur, en bien ou en malo, deschosesvues ou dites par celui qui est sousle coup de la folie que le dieu a donné la divination : en efïët, personne ne parvient mantique, ou qui se rappelle son expérience7 de sa raison, mais bien en entravant la puissance de sa raison par le sommeil ou par la maladie, ou en la déviant par l'enthousiasmeo. raison sur la folie, sansque pourtant la folie soit rejetée.Car c'est à la raison que revient, en dernière analyse, la tâche d'interpréter les indicesrévéléspar la folie mantique. Certes,l'inlïux, qui vient de la raison occultée par la maladie ou par le sommeil, rend, par une à la divination inspiréepar un dieu et vraie en faisant usage .Ce qui rappelle,sansl'ombre d'un doute,le fameuxpassagedu /'/zêcô'e sur les formes de folie divine. ' ' Mais une telle récupération de la divination et de la pratique d'ini- tiations sur le plan anthropologique ne va pas sans aménagements, dont les deux plus importants sont annoncéspar une double distinc: bon L.Tim. , l\.c 3, dupaskai !sas. -- 2. Tim:, IL b 6-%.-- 3. Pltèdre, 244 d S, nosôïtge kai .pond/z. -- 4. .hæ,535 c 4-8; .Bâæqæer, 215 e 14. -- 5. Cf. p. 225, n. 2. -- 6. Opposition de 71 6 5-7 à 71 c 4-6.-- 7. Cf: .[où, 790 d 2-e 4. -- 8. 7ïm., 71 e 2-o. 240 A partir de là, on peut déceler, chez Platon, une prééminence de la action directe, l'intelligible sensible à la sous-espèce appétitive de l'âme humaine. Mais la raison, après coup, doit redonner à cesindices leur signiôcation intelligible véritable. Par ce biais, l'opinion juste sehissejusqu'à la science,et sedépouillede son ambiguïté. Ceci pourrait faire croire que, dansle rimée, Platon revient sur la 1. 7ïm.. 72 b 6-c 1. -- 2. 7ïm.. 72 a 3. 3. .Zb/d.-- 4. 7ïæ?.71 e 4-5. -- 5. 7//7z 72 a 6. -- 6. 7'ïm., 72 a 1-2. -- 7. 7ïm., 71 e 5-7. 241 LUC BRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT position qui était la sienne dans le .PAècô'e.Or. il n'en est rien. Premiè- changer aux croyances que la population tient des oracles de De[phes ou de ])odone ou d'Ammon, ou d'anciennes rement, il faut se rappeler que çe passagedu 7ïmée, que nous venons d'étudier, ne dépassepas le plan anthropologique. Ce qui, comme nous traditions, quelle que soit l'origine de ces dernières croyances, l'avons vu, pose un problème relatif à la double nature de l'activité rationnelle: De plus, dans le .P/zêc&'e, l'apologie que Platon fait de la folie doit être replacée dans son contexte. La mantique qui dérive d'une possessiondivine est supérieure à l' <<oionistique )>résultant tantôt desapparitions de divinités, tantôt une intention divine de laquelleun inspiré a énoncéles termes; croyancesqui ont donné naissance à l'institution de sacrifices unis à des Géré. modes religieuses,qu'elles soient du pays même et indigènes d'une observation f actesous le contrôle de la raison. Toutesois, dans le ou que, en fait, elles proviennentde la Tyrrhénie, de Chypre ou de n'importe où encore.Il y a plus, c'est à de tellestraditions qu'ont dû ]eur sainteté,aussi bien ]es oraclesque les autels et les statuesdes dieux ainsi que leurs sanctuaires,et P/zè(#e,rien n'est dit sur l'activité d'un prophèteproprementdit soumettant à une exégèserationnelle les paroles prononcéespar un être humain en proie à l'enthousiasme.Si Platon avait abordé ce problème, on peut croire qu'il lui aurait donné une solution similaire à celle du 7ïmée.Car la raison, faisant ainsi œuvred'exégèseà l'égard aussi le fait de clôturer les enclos qui leur étaient consacrés. Qu'un législateur se garde d'ébranler, si peu que ce soit, rien de tout cela l d'une folie envoyée par les dieux, ne doit pas être opposé, puisqu'elle n'a pas la même.fonction, à cette raison qui essaiede conjecturer le futur à partir du vol et.de l'aspectdesoiseaux.Dansun cas,la C'est là une prise de position capitale. Voyons ce qu'elle implique dansles casde la divination et de la pratiqued'initiations. Pour Pluton, nous l'avons vu, divination et pratique d'initiations comportent un certain degré d'ambiguïté, auquel, toutefois, semble raison prétendjouer. le rôle de l'enthousiasme, alors que, dans l'autre, elle se borne à l'expliciter. On voit alors très bien que, dans le premier cas, le rapport divin/humain n'est pas respecté,alors qu'il l'est scrupuleusement.dans le second.Aussi ne faut-i] pas s'étonnerde ]a échapper, dans toute son œuvre, l'oracle d'Apollon à Delphes, point de référenceultime de la vie religieusede la cité aussi bien dans la double connotation négative/positive que Platon attache à la raison dans le PÆêdreet dans le 7ïm(è Maintenant que nous avons montré de quelle façon Platon récupère J?(bub/fgzze que dans les .Lois. C'est ce qui explique pourquoi Platon prend pour acquisque l'oracle de Delphes doit être consulté préalablement à la fondation de la cité, au sujet de cette section de la législation portant sur le culte la divination sur le plan anthropologique,'essayons de voir comment il procède pour aviver à des résultats similai les sur le plan po/ïrïgue. des êtres divins et des morts. L.attitude de Platon à l'égard de la divination et de la pratique d'initiations au niveau de la cité dérive d'une attitude plus fonda- Dans ]a R( ub/lgz/e, le seul texte qui porte sur la religion proprement un conservatisme que ne vient tempérer que la dénonciation d'excès dite de la cité propose de prendre conseil auprès d'Apollon à Delphes sur les prescriptions en métaphysique, où il rompt avectout le passé,dont toutefoisil qui se rapportent à l'édification des temples, aux sacrifices, à tout le culte, en général, des dieux aussi bien que des démons mentale à l'égard de la religion en général, et qui se caractérise par évidents.Platon, qui se montre novateur en plusieurs domaines -- intègre l'essentiel; en physique, où il élabore une cosmologie originale ; ou des héros, comme d'autre part aux tombeaux des défunts en mathématique, où il utilise les découvertesles plus récentes; et même.en politique? où il rejette à la fois la situation de fait qu'il connaît et la tradition que, d'une certaine et à toutes les obligations que nous avons envers eux pour qu'ils nous soient propices a. f açon, il respecte --, De même,dans les Z,ois,Platon s'en remet à l'oracle de Delphes acœple en. bloc,. sans aucune discussion, tout' ce' que la religion a véhiculéjusqu'à lui pour En ce qui concerne du moins les dieux et les temples qu'on doit éleverà chacun d'eux en particulier, aussi bien qu'en ce qui concerneles noms à donner aux dieux et aux démons, il n'y aura personneayant son bon senspour entreprendrede rien 242 être << instruit des lois relatives aux choses de la religion 3 >>, et de tout ce qui concerne <<les fêtes et les sacrifices qu'il vaudra mieux et qu'il sera plus avantageux à l'État d'ofh'ir aux dieux 4 >>.Ce faisant, Platon remonte, en quelque sorte, aux sources. + En efïët, en Grège, les exemples ne manquent pas de cités gouvernées 1. .[où, V, 738 ô-d -- 2. .RI».,427 Z)6-c4. -- 3. Zoù, 759 c 6-d 1. -- 4. .[off, 828a 2-4 243 LUC BRISSON DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT selon des lois inspirées par des dieux à des hommes exceptionnels. dans le cas cependant où il y aurait égalité entre.tous les trois Ainsi, la Crête a eu commelégislateurMinos qui, tous les neuf ans, ou entre deux d'entre les élus, on s'en remettra à la gr✠d?s <<allait s'instruire à l'école de son père 1 )>,Zeus a. Et Lacédémone dieux et de la fortune, et, après avoir distingué.d'aprèsle est toujours gouvernéepar les lois données à Lycurge par Apollon Pythien 3. Mais ce retour aux sourcesn'est que partiel, puisque Pluton sort à qui reviendra la place de vainqueur, .à qui la seconde ;Ï;;:" .;''i, 'tÜIËième, in }es «uronhera *d'gi"ip',.?:.,.IEtl:l ne s'en remet aux prescriptionsde Delphesen matièrede législation attribuera le prix du 'plus haut mérite (..-). Or, la.première qu'en ce qui concerne la religion. Dans cette perspective, on comprend que, pour conserver et inter- année,ce sont douze semblablesredresseursque l.on ,devra désigner pour être en fonction jusqu'à ce que soit révol:e préter ce droit sacré, Platon, s'inspirant d'une pratique établie à Athènes 4, prévoie, dans ]es Lois, un collège d'exégètes ('exëgë/aïJ la "soixante-quinzième année de chacun. d'eux; puis, par la suite, on ' en créera successivement trois nouveaux chaque à qui, quelquefois, sont associés des devins ('manfeis,) 5, sur lesquels e annéeî on ne peut trouver de renseignements précis, mais qu'on doit consi- Ce texte recèle nombre d'obscurités que nous n'avons malheureuse- dérer comme des séquellesde ce passéreligieux que Pluton tient à préserver le plus intégralement possible. Mais, pour bien situer ce collège d'exégètes,décrivons brièvement, au préalable, l'ensemble du clergé que doit comporter la cité des l,oïs. étant donné que le clergé est une magistrature, ses membres, comme tous les autres magistrats d'ailleurs, sont soumis au contrôle ment pas la place d'éclairer maintenant. Nous nous bornerons à faire remarquer, chose importante pour IÉiil$Ü;&l:li FH; M de Soleil, deviendra le chef suprême de tout le clergé '. des redresseurs rani/zunoï,) qui sont ainsi désignés Or ce clergé comporte plusieurs membres dont les fonctions et les attributions se répartissent ainsi.. .. Chaque année, après l'époque où le soleil passe des constellations de l'été à cellesde l'hiver, tous les citoyens devront s'assem- A chaque sanctuaire, sont afïëctés <<des prêtres et des prêtresses » bler dansl'enclosconsacréen communà Soleilet à Apollon :li5hËRZ:ili.'sE=.:i:'gi''c'!.=:=\:$F4 pour présenterà la divinité trois d'entre eux, ceux que chacun estimeraêtre les meilleurs, lui-même excepté,et qui n'aient pas moins de cinquante ans. Parmi ceux qui auront été proposés,ceux sur lesquelsle plus grand nombre des électeurs qui détiennent un sacerdoce héréditaire ô,. les prêtres, les prêtresses auront porté leur sufh'age,ce sont leurs noms qui seront retenusjusqu'à concurrencede la moitié du nombre total des sufïfages, dans le cas où ce nombre est pair; s'il est impair, on éliminera le nom de celui qui a obtenu le moins de voix, de un à trois selon l'importance du sanctuaire auquel ils sont.attachés, mais, de cette façon, on aura laissé subsister les deux moitiés qui ont été déterminées d'après le nombre des sufïtages; sont choisis par élection dans la première classecensitaire". il$1=$1F\H'=?ZmEËî$=Uæ'E dansle cas,d'autre part, où certainsauraientobtenu le même nombre de voix, de façon à rendre une des moitiés numériquementplus forte que l'autre on éliminerait les noms qui désignation estle suivant seraient de trop en se déterminant d'après la moindre ancien- Les exégètes seront élus en trois élections, à raison de quatre neté d'âge, après quoi les autres, étant déclarés admis, procéderont à de nouveaux votes, jusqu'à ce qu'il ne reste que trois par groupe de quatre tribus!...undans chacune; ]es trois qui auront obtenu le plus de suffrages seront retenus après exa- noms, auxquels seront allés un nombre inégal de suffrages; 1: Zoiÿ, 624 b 1. -- 2. 1,aff, 632 d 2-3. -- 3. loir, 632 zï 3-4. -- 4. Cy: F. Jacobs, .,4/r.bù,Oxford, 1949, p. 8 s. -- 5. .Loù, 828ô 4, 871 d l. 244 A Ë: ?ÉZI tg:l 245 Ül:æ T LUC BRISSON men,et les neuf autres.serontenvoyésà Delphes,où le dieu ''*.::!:n%:î m$&$HËè# à disparaître,le.groupe de quatre tribus' d;où il sortait élira son remplaçant l DU BON USAGE DU DÉRÈGLEMENT en proie à l'enthousiasme.Ce qui, par un long détour, nous ramène à ce texte du 7ïmée qui thématise l'opposition devin/prophète,et nous permet de retrouver ce souci constant chez Platon de soumettre, en dernièreanalyse,à la raison mêmeune déraison qui se présente comme une folie divine. Or, c'est précisément là la clef de la récupé- ration de la divination entreprise par Platon sur le plan anthropologique et sur le plan politique. Rafla/za/fier même /'ïrraffonne/ d'orfgiPze dvï/ze et, de ce fait, l'intégrer complètement dans l'homme et dans la cité. C'est aussi ]e cas en ce qui concerne ]a fonction télestique que, d'une certaine façon, rejoignent les.activités des exégètes,qui ont pour tâche, non seulement d'organiser la vie religieuse de la cité et les cérémonies de mariageet de funérailles,mais ausside veiller à la puriûcation de différents types de souillures. Voilà qui nous amèneà parler de la pratique d'initiations propre- ment dite dans les cités de la .RéÿzJô/loue et des Z,ois. L'attitude de Platon à l'égard de la folie télestique est beaucoup plus réservéeque 2) Si une source a été volontairement souillée, ils déterminent les lois de puriâcation qui s'imposent '. 3) Ils établissent les lois relatives son attitude à l'égard de la folie mantique. Certes,il semblefaire montre d'un certain respect envers les pratiques qu'elle implique l et enversles personnes qui, commeEpiménide par exemple z, les exercent. Toutefois, il en dénonce avec une violence inouïe certaines formes. Il suit pour s'en convaincre de lire ces deux pagesde la R(ÿzlb/ïgz/e 364 b -- 366 b, qui ne peuvent être séparées de ces deux autres pages des Z,oïs908 a -- 910 c, concernant les pénalités réservéesaux impies. En fait, dans chacun de ces cas, Platon s'insurge contre cesimposteurs pour plusieurs raisons. Premièrement, ils s'approprient une technique sansêtre sous le coup de l'inspiration divine, qui seule justice le recours à son usage. Deuxièmement,ils agissent,à titre privé, en dehors du cadre d'une institution intégrée dans la cité. Et troisièmement, ils ont essentielle1. Cf. .Loï.ç.738 ô-d. 2. Platon cite Epiménide deux fois dans les .Lois,au livre 111,677 d 9, et surtout au :EËu:igiixi$ HRBŒÆzi ,.'.Œ18:iZÜ IÙMg %gUÏÜÊgi ælll'î g.i-3: : 246 livre 1, 642 d 3-643'a 1, où apparaissent de graves difficultés chronologiques. Le person- naged'Epiménide pose beaÜëoupde problèmes(.R.E., s. v. Epimenides): Toutefoi?, il apparaît comme uiï être inspiré' par :Zeus, durant.un .sommeil.cataleptique qui dure des années,et surtout comme un puriûcateur à qui même Athènes a recours; événement auquel fait allusion Platon tïans le second texte mentionné. Certes, Epiménide agit sous'la direction de Zeus. Toutefois, ses fonctions.de purificateur le.rangent du côté de la télestique.Ce qui, pour Platon va sansdire, puisqu'au livre l des.[o/s Epiménide est cité dans'le cours'd'uiïe longue discussion portant sur les avantages des banquets pour l'éducation et mentionnant, comme nous venons, que le troisième chœur constitué en vue de ces banquets, celui des hommes d'âge, s'adonnera à la pratique d'initiations. 247 LUC BRISSON JEANNIE CARLIER Science divine et raison humaine Grège Au IVe sièclede notre ère, plus précisémententre Porphyre et Jamblique, la divination, au momenil même où dans la société elle devient une pratique marginale et bientôt interdite î, acquiert dans l'école néoplatonicienneun statut privilégié, celui d'un savoir essen- tiellement àifïérent de tous les savoirs humains et infiniment supérieur. Or tous ces philosophesse réclamentde Platon. Il a paru intéressant,dans le' prolongement de l'étude de Luc Brisson, de montrer comment l'ambiguïté de la position platonicienne, en laissant le champ ouvert à la discussion, a permis à certains de sesdisciples d'attribuer à la divination un statut radicalementdifférent, tout en conservant pour l'essentiel la terminologie et le cadre épistémologique mis en place par Platon. Dans cette perspective, il est nécessaire, pour mesurer plus exacte- ment les écarts et les gauchissements,de préciser certains points de la penséeplatonicienne. =$:BBrvm':ni!:: =în:s=:: n'œæ;!ï:.=! L'analyse de L. Brisson a permis de dessinerune image du.savoir divinatoire qui paraît comme le négatif d'un savoir véritable -- l'episrëmë; caractérisée par les termes Faro/lais, pAroneïn, empÀrôn, pËronïmos, ennous -- constamment pris .comme point de référence: La divination est un non-savoir (ïsasïnd'onde/z,plusieurs fois répété dans le Mézzozz),donné à la non-rationalité ra-p/zrosz/nO de l'homme, et qui ne parvient à saisir une petite part de vérité qu'à travers des rejets, des phantasmes, des images dans un miroir :.bref,.une connais- sancequi convient au monde de l'apparence, du devenir, du temps. La mantique n'est qu'une imitation, un rejet de la connaissanœ véritable, dont l'organe est l'âme rationnelle, le /zozos, et dont l'objet est la réalité immuable et éternelle; elle n'en est qu'un rejet, commele *.i,'2æ"ï: t'iJZâ,'iâ {g':.; '}..:e%.::èçi:H'.:Ç.f%i"'""', ",.,, 1. Cf. la contribution de D. Grodzynski, i/!Pa, p 267-294 249 11 T JEANNIE CARLIER ::H.?::iiTÎ.:EÊ'.%:!.='1:..S:llïEl"ü''', :.-. :' ''"p: l$Ei;':iz?g#EiË ::a;ai PHtl@œ$1ËH8ËM SCIENCEDIVINE ET RAISONHUMAINE réussi à endormir l'âme <( irascible >>et l'âme <<appétitive >>,pour éveiller la partie la plus noble de l'âme, siège de la révélation. D'autre part, alors que le devin ou l'inspiré ordinaire reçoit sa révélation presquesansle vouloir, par la grâce de Dieu en quelquesorte, tout au contraire le rêveur de la R(ÿub/igœeobtient son savoir sans aucune intervention divine, par ses seules forces, grâce à une ascèse très précise,un repli de soi, que souligneà deux reprisesl'emploi du pronom réûéchi r'aufoi Àazzfôï... aura kaïÆ'Æau/o,). Sansdoute, l'objet d'un tel savoir ne paraît pas de prime abord très difïërent de l'objet de la divination ordinaire. Le rêveur de la R(ÿub/iqz/e atteint <<la vérité >>,le devin inspiré dit <<beaucoup de chosesvraies >>,il <<touche en quelque partie à la vérité >>lorsque son inspiration est « divine et véritable )>. Dans l'un et l'autre cas, le champ du savoir couvre <(le passé,le présent,l'avenir )>.Mais,.alors que le devin ne perçoit que <<des images et des phantasmes » énigma- tiques, qui exigentl'interprétation d'un homme en possessionde sa raison rezl@/zrônJ,l'homme sage de la Rlÿub/lgz/e, précisément parce que sa raison est rassemblée <(en elle-même, pure et sans mélange )>, atteint un objet qui lui est semblable,la vérité en elle-même,pure et sansmélange.Pour s'en convaincre,il faut restituerà l'exposé succinct de la'R($zl&/ïgœetoutes ses harmoniques dans l'œuvre de Platon, en particulier dans le P/zéchzz î. Comment atteindre l'être, dit Socrate,' la réalitépureet sansmélange, lorsque l'outil dont on dispose-- l'âme immortelle,le nozzs -- est impur et mélangéà un corps <<qui sanscessenous assourdit, nous trouble et nous démonte, au point de nous rendre incapables de distinguer le vrai >>(/o a/e//zes, 66 d). En attendant que la mort opère une séparation radicale, le philosophe peut <( s'exercer à mourir >>(67 e) en cherchant à séparer autant que possible l'âme du corps ( et donc des deux âmes inférieures qui y sont attachées,l' <<irascible >>et l' <<appétitive »), en refusant 1. 0n ne peut faire ici qu'effleurer ce sujet immense. Le thème de l'âme kafÆ'beau/êh, 1. 7'ïnzée, 37 d. 2. 57] d572 Ô séparéedu corps, quelle que soit son origine première, a sanadoute été emprunté aux de la Collection des Universités de l;rance. ;: gz''E:i.Û;s2,5?ââ' traductions courantes, notamment celles pythagoriciens par Platon, qui lui a donné une signiûcation.plus ample. Il n'a.cessé de fasciner les hommes épris d'absolu -- ou avides de pouvoirs.surnaturels -- à travers toute l'Antiquité et bien au-delà. L'âme <<ramenée en elle-même », .séparée du corps, peut se remémorer ses existences antérieures(pythagoriciens) ; attelqdre .l'être, la .\édité (Platon); agir et connaître toute seule(Aristoie); coïncider avecl'IJn,.gi .bim qu'il n'y a plus m connaissance ni contemplation,qui comporteraientune dualité(Plotin, Por- phyre); se promenerdans ]es sphèressupralunaires(ïnythe d'Er, Jamblique, Proclus...). Parmi ces interprétations, il en est qui sont proprement mantiques : c'est même fréquem- ment œtte activité particulière de l'âme presqueséparéedu corps par le.sommeil ou la mort imminentequi est miseen avant'parles pililosophessoucieux. de trouver une uplïcat on à la mantique inspirée. Ainsi,'Quintui, le défenseur.d! la.divination dans le De l)îvl/zaffolze de Cicéron(1, 29), cite précisément le passaged$ 1a R( œb/îgœe.qlinous occupe,et en donneuneinterprétationpurementdivinatoire-- donc très différente de celle qui est proposée ici. 250 251 11 T JEANNIE CARLIER SCIENCE DIVINE ET RAISON HUMAINE les messages des sens, en repliant son âme en elle-même (az/fë Æa/Æ' #az//ërz,65 c et passim). C'est bien à cela qu'est parvenu le rêveur de la -K(b ô/fgœe, qui, sourd et aveugle grâce au sommeil, a << endormi >> ses âmes inférieures et <( réveillé >>sa <<meilleure >>âme. Or. dit le P/zéch/z,ce que l'âme atteint lorsqu'aucun trouble ne lui vient des senset du corps, lorsqu'elle s'est rassemblée<<en elle-même et par elle-même et sans mélange >>rau/ë Æa/À'#aufêÏzeî//Ærïneïrëï danoïaïJ , ce qu'elle {< poursuit à la chasse >>,c'est l'être, c'est la vérité, c'est, de chaque chose, <<l'essence en elle-même et par elle-même et sans mélange )>(66 a). Le rêveur de la R(»œb/ïgzle n'est donc pas celui du ca/ioæ pœremen/ Àa/naine, excluant toute intervention surnaturelle. La mantique inspirée, dit Porphyre, pourrait être tout simplement une activité de l'âme ou du vivant complet mis dans certaines condé' bons psycho-physiologiques par la maladie, le déséquilibre des humeurs'(la <i mélanch6lie)>), l'absorption de drogues,les danses endiablées,la musique des ïïûtes et des cymbales... Porphyre semontre même attentif aux degrés de conscience qui accompagnent ces transes. Il prend ainsi une attitude tout à fait positiviste, celle d'Aristote.î Quant à la divination <<inductive 2 », elle pourrait être une connaissance technique rfec/znO analogue à celle du médecin et du météoro- n'a rien de commun avec le savoir divinatoire, auquel il s'oppose logue, qui eux aussi font des pronostics, fondés sur l'expérience et l'observation. dont Platon s'est constamment servi comme référence pour définir sophe s'exprime dans cesthéories qui retirent à la divination tout carac- 7ïmëe,' son savoir, l'intuition philosophique de l'âme ka/Æ'Æeazïfëh, sur presque tous les points ; il est bien du même ordre que cette epfsrëhë le savoir inférieur et fragmentaire du devin. Cependant,il est peu probable que la penséevéritable du philo- tère surnaturel. La secondesorte d'explications qu'il propose devait lui plaire bien davantage, puisqu'il la reprend et la développe dans le Au He siècle de notre ère, les premiers philosophes néoplatoniciens, Plotin et Porphyre, ont à l'égard de la divination une attitude ou réservée ou ambiguë, assez conforme à la tradition platonicienne. Les Z)e abs/i/zenfïa a. <<La cause de la mantique )> dit-il(c'est-à-dire les agents de la révélation) <<pourrait être non les dieux mais/el dëmans. )> Porphyre, ici, reste dans la droite ligne de la tradition.platonicienne néoplatoniciens tardifs -- Jamblique, Julien, Proclus -- acceptent, qui ' dans le .Ba/zgue/et l'.Ë»ï/zomïs, fait des démons l:s intermédiaires et les messagers entre les dieux et les hommes. Mais Porphyre. va jus- consacrent beaucoup de peine à en justifier les formes les plus étranges, et en flint une des pièces maîtresse d'une théologie extraordinairement qu'à émettre l'hypothèse que toute la mantique pourrait être l'ouvre d'un mat/vais démon 4 : c'est là une concession extraordinaire que en revanche, sansaucune réserve cette forme de connaissancerévélée, complexe et élaborée. Je voudrais tenter d'indiquer avec quelque précisionl'ampleur du tournant pris par le néoplatonismeentre Porphyre et Jamblique. 1. Voir le livre de JeanneCroissant, ..4/'is/o/eef /es J1,4 s/ère.ç,Liège.Paris! 1932. . ., 2. 1, a .4.,'$ 23 P = H, 5 S. auquel il faut ajouter De myrferifs, 111,26 = P.. ]36 (162) 13-15 d.P. : prescience naturelle à certains animaux; !. 13.6 (163),. 5-7. :.prescienc? naturelle à l'homme: et 11-13 : médecine et navigation (le pilote prévoit le temps à venir). Là encore, rien d'original : l'explication <( naturelle >>de la mantique est traditionnelle depuis les stoïciens. Porphyre a beaucoup varié : déjà les Anciens le signalaient. Dans la P/zï/oiôp/zïecës oral/es, il traite avec respect des usagesreligieux et des croyances qu'il soumet à une critique sévère dans la Zer/re à .4/zéro/zet dans le -Z)eaôs/l/zenf/a (à la grande joie des Pères de l'Église). Laissant de côté l'exégète respectueux, je m'intéresserai ici au philosophe attaché à la critique des traditions religieuses. Dans la l,ef/re à 4/zëbo/z ï, Porphyre énumère et examine diverses hypothèses souvent débattues dans les écoles philosophiques pour rendre compte du phénomène divinatoire. Ces hypothèses peuvent se classer en deux grandes catégories. La première série d'hypothèses propose pour la mantique une exp/ï- 4. 1,e/fæà JnéëpoÆ, $ 26 Partbey = 11, 7 Sodano = Cyrille, CoæfraJk/fanal? IV. 12i Spath.(Jamblique, De myfrer#s, 111,31) : <(Encore plus mauvaise,.dit Jamblique, est l explication des'actessacrésqui' donne pour responsablede la mantique un genre d'êtres 'particulier, genre trompeur par nature, qui a toutes les formes et des modes multiples, qui imite les dieux, les démons et.les âmes des.morts.-».Cyrille et saint Augus- tin (Cïn Dd, X, îlj permettent de compléter la citation :..« D'autres pensent que le genre des démons qui'écoutent(?) vient de l'extériellr : qu'il .est trompeur pqr nature: qu'il a toutesles formes et desmodesmultiples; qu'il prend l'apparence des dieux:des démons et des âmes'desmorts; que ces démonssont capables de tout ce qui a les.appa- rencesdu bien et du mal; aloi; &ue, pour les biens vé;étables,qui sont ceux de l'âmÿ, ils ne sauraient être d'aucun secours,car'ils ne les connaissentpas; mais ils jguen! de mauvaistours à ceux qui parviennent à la vertu; ils se moquent d'eux et: parfois, leur flint obstacle'Ils sontpleinsd'orgueil et de violence;et ils prennentplaisir aux filmées des sacriâces. » Ce sont là très ex;ctement les caractéristiques des m3uvajs démons responsables de la magie dans le Z)eaôsrfæenffa(11,39-41). Cependant,. Porphyre apparaît cette explication comme une opinion parmi d'!!tre! : <{ Certains disent que. ...)>(Aug:.: 1. $ 12 à 27 Parthey :: 11,1-7 Sodano. La lef/re à ,4æëboH, ouvre perdue, subsiste par descitations, principalement cellesdu.De my.ÿ/erï/sde Jamblique, qui prétend y répondre. iàc. cü.). Voir aussi l,erre à ,4pzébon $ 27 P..= 11, 7 S. :« C'est en vain que tu introduis en outil: l'opinion des athées(= dei Chrétiens), qui estiment que toute la mantique est accomplie par le mauvais démon. » 252 253 T SCIENCEDIVINE ET RAISONHUMAINE JEANNIE CARLIER l fait l'ennemi des.Chrétiens à ce qui a toujours été la doctrine chrétienne sur la divination des païens. Dans le Z)e absfï/7e/zfüï, c'est non pas la mantique, mais ]a magie qui est attribuée au' mauvais démon. Ces deux séries.d'explication -- <(naturelle )>et <( démotique >>-- ont en commun. deux points. : elles enlèvent aux c#eœxtoute 'responsabilité dans la divination; elles rangent cette forme de savoir du côté de la ge/zesù,du devenir, comme l'avait fait Platon Caï les démons font partie du devenir : la frontière entre lœ démonset lesdieux passe precïsémententre.l'espace sublunaire, soumis au changement, à la naissanceet à la destruction, et le monde supralunaire qui n'est pas encore celu! de l'Être immobile, maïs au moins celui du mouvement régulier et éternel. Pourquoi Porphyre a-t-il cherchéà retirer aux dieux toute respon- sabilité dans la divination? Un texte de la Z,offreà .4/Môo/z' apporte une réponse assezclaire i ' '' ' -rr Les devins afRrment tous qu'ils obtiennent la prévision de l'avenir grâceaux dieux et aux démons,vu qu'il est impossible que l'avenir soit connu par d'autres que ceux qui en sont les maîtres. Alors,. est-ce que la divinité ('ïo fÆeïo/z.Js'abaisse Jusqu'à une . tel degré de servilité hommes qu'il se trouve même d dans la farine? ('Æzp#esfan) 'devant les ' ' ''"'' '' '"' '" gens qui voient l'avenir La divination. est donc retirée aux dieux comme indigne de la A quoi cela sert-il d'avoir contact rsu/zozziïaJ aveclespuissances supérieures, si c'est pour leur demander si l'on doit se marier, ou acheter une propriété, comment on peut retrouver un esclave fugitif ou régler une transaction commerciale : tout cela ne nous apprend rien sur le bonheur reuchf/nozzïa.). Et, même si ces puissances donnent une réponse au sujet du bonheur, cette réponsen'ofh'e aucune certitude, aucune garantie, quand bien même leurs autres réponses seraient parfaitement vraies : ce ne sont ni des dieux, ni de bons démons, mais çe qu'on appelle tromperie î. Les puissancessurnaturelles avec lesquellesles opérations divina- toires mettent le consultant en contact ne se préoccupent aucunement de ce que recherche le sage : le bonheur, c'est-à-dire le salut. Tous leurs conseilsont trait au monde sensible : le mariage -- c'est'à-dire, en termes néoplatoniciens, la sensualité -- et l'argent : tout ce que le sage doit fuir. Comme ces puissances sont démoniaques, non divines, elles ne participent pas à l'omniscience de Dieu : quand il s'agit de la seule chose nécessaire,du salut, elles ne peuvent qu'induire le consul- tant en erreur, soit involontairement, soit même volontairement,si ce sont des puissances mauvaises. Le Z)e abs/ï/ze/zrïaaMrme encore plus catégoriquement l'inutilité de la divination pourle sage. Mais le philosophe..., celui qui se détache des choses extérieures, de la divinité est d'ailleurs le souci constantde Porphyre, qui s'ind gne nous sommesfondés à aMrmer qu'il n'ira pas importuner les démons, et qu'il n'aura pas besoin de devins ni d'entrailles d'animaux. Car ]es biens qui flint l'objet des divinations sont L'impiété ne consiste pas tant à ne pas entourer d'honneurs les il ne s'abaisse pas au mariage, et n'a donc pas à importuner le ne.soit pas digne de lui, de sa félicité, de son être indestruc- ou de toutes les autres formes de prétention à la gloire qui règnent chez les hommes. Sur ce qu'il recherche, ce n'est pas le devin, ce ne sont pas des entrailles d'animaux qui lui transcendance divine. Préserver la dignité, le caractère tra;scandant après Platon des opinions fausses que les hommes se font des dieux : statuesdivines qu'à attribuer à Dieu les opinions du vulgaire. Pour .toi, évite de. te faire jamais de Dieu aucune idée qui l .e Ce sont les mauvais démons, dit le -Deabs/ïnen//a', qui nous ont mis.dans.la tête des opinions sacrilègessur les dieux. Mais si la divination est indigne des dieux, elle est aussi indigne du sage,pour deux raisons : ' 1.11,4142. 4. 11,40. devin à ce sujet; ii ne s'abaisse pas à faire commerce; il ne consulte pas au sujet d'un serviteur, ou de sa réussitesociale, donneront des indications certaines 2 On ne peut dire plus clairement que la divination, puisqu'elle se rapporte à la genesiÿ, au devenir, n'a pas d'intérêt pour le sage. Tout ce qui ne contribue pas au salut est distraction, nous plonge dans 2. g 15 Parthey = Il 3 a Sodano 3. Lettre précisément ceux dont il s'est exercé à se détacher. En efïët, à Zdarceïla. \'7. 1. 1.eïfre à HæëZ)oæ, $ 48-49 Parthey ' 2. 11.52. 254 11 19 a-ô Sodano 255 SCIENCE DIVINE ET RAISON HUMAINE JEANNIE CARLIER le devenir. dansl'oubli de l'être, dans l'<(irrationalité 1)>. Porphyre est donc beaucoup plus rigoureux que son maître Platon dans la con- damnation de la mantique. Dans la cité idéale desZ,oiÿ,les traditions religieuses, les oracles, ies devins avaient un rôle à jouer; Porphyre, lui, ne se soucie plus de modeler la cité des hommes sur le modèle du monded'en haut : son idéal est de vivre complètementà l'écart de la politique, et même de la société. Si la divination n'a pasde part dansla vie du sage,c'est qu'il existe pour lui une forme meilleure et plus haute de contact avec le divin. Le texte du De absfïne/zffa déjà cité plus haut 2 est intéressantà un double titre : d'abord parce qu'il reprend quelques-unsdes termes qui ont été mis en évidence daimsle .PAécionet dans la R(»ub/ïgue sur l;âme« repliée en elle-même )> rÆaf/z'/zeaufërzJ ; ensuite, parce que cette forme de connaissance ou plutôt de contemplationest cette fois directement opposée à la divination Sur ce qu'il recherche, ce n'est pas le devin, ce ne sont.pas des entrailles d'animaux qui lui donneront des indications certaines. Seul et par lui-même raœros d'ÀeazlfoœJ, ainsi .que nous l'avons dit, il s'approcherade Dieu, qui a son siège dans ses véritables entmilles, et prendra ainsi des gagesde Avec Jambliqueet son grand traité .De mysferïfs,il semblequ'on vie éternelle, se rassemblanttout entier là-bas fÀo/os ekei surreusas).. La [,eïfre à ]]/arec//a ($ 10) exp]ique ce qu'est le <<retour à soi >>. le <<rassemblement de l'âme >> Le plus sûr moyen de m'atteindre, c'est de t'exercer à rentrer en toi-même reis #eaufêh anabaineiPZ,),rassemblant rsœ//egousaJ à part du corps tous tes membres spirituels disperséset réduits à une multitude de parcelles,découpées dansune unité quï jusqu'alors jouissait de toute l'ampleur de sa force. Pour y parvenir, un double mouvement est nécessaire3 : il faut se détacherde tout ce qui estmatériel,mortel,sensible, irrationnel;il faut s'éleverversl'intelligible, qui estla véritablepatrie de l'âme. Mais ce retour à l'intelligible n'est essentiellementqu'un retour au soi véritable Car ce à quoi l'on fait retour fana(ô'omë,ln'est pas autre chose que le soi essentiel rïa/z onfôs /zeauronJ4; 1. ,4/agie,e. g. .De.4ôs/iæe/z/la, 1, 30. 2. 11.52. ân. 3. .Z)e.4bsz'iæe/z/la. 1. 30. 4. .De.4bs/ï/zeæ/fa, 1, 29. 1. Z,eïfreà .4nëÔoæ, $ 28 Parthey;: Il 8 a Sodano 256 257 T JEANNIE CARLIER SCIENCE DIVINE ET RAISON HUMAINE vrai dire un peu acrobatiquei. Après Porphyre, on ne critique plus guèrel'héritage antique : on le commente. Dès les premiersmots du livre 111du .Demysferïïs,qui répond longuement aux objections et aux doutes de Porphyre relatifs à la divination, Jamblique définit très clairement sa position chez.Pluton; mais c.est comme si elle l'avait oublié : elle n'a plus rien à faire qu'à se laisserenvahir passivementpar la lumière divine La venue du fëu des dieux et une espèceineffable de lumière Bien entendu, l'âme humaine est toujours d'essence divine, comme envahissent de l'extérieur le possédé, le remplissent tout entier en force, l'embrassent et l'entourent de toute part en lui-même, Tu demandes qu'on t'explique ce qui se produit (ou : se passe, ïo gë/zo/menon) dans la prescience de l'avenir. Tout de suite je t'arrête.Sij'en juge à la manièredont tu formulesta question, tu crois que la mantique a quelque chose à voir avec le devenir rg/glzesf/zaf,), qu'elle est de l'ordre de lap/zusïs.Mais la mantique n'est pas une des choses qui résident dans le devenir.. . elle n'est aucunementœuvrehumaine; elle est divine, surnatu- relle rÆz/peW/zz/esJ, envoyée d'en haut, du ciel(aura/zos le monde supralunaire), non engendrée, éternelle, tirant d'ellemême razzr(Zp&uôs,) son excellence. l HI 1 si bien qu'il ne peut exercer aucuneactivité propre l Mais, si l'initiative humaine est nulle, quelle est donc cette opéra- tion qui<<fait descendre>>les dieux à la requête du philosophe'théurge ? Car enûn ils descendent,et cette obéissancedesdieux aux injonctions d'un homme, qui scandalisePorphyre, paraît bien contredire l'afïïr- mation que la mantique n'est en rien œuvre humaine. Jamblique résout cette diMculté d'une façon part aitement cohérente 2 que je résumerai C'est à partir de cette position théorique très nette : la mantique n'appartient pas au devenir, que Jambliquerepousseune à une les commesuit : l'inférieur ne saurait agir sur le supérieur.L'union avec les dieux n'est donc pas un acte de l'esprit humain, car dans ce cas l'initiative viendrait de l'homme. <<Ce n'est pas l'acte de penser phénomènedivinatoire. Non, l'inspiration divinatoire ne vient pas car alors, qu'est-ce qui empêcherait les philosophes contemplatifs hypothèses sacrilèges avancées par Porphyre pour rendre compte du (en/zola, plus loin /o noef/z, æoera) qui unit les théurges aux dieux a, des démons, elle vient des dieux : oz{cüzfmo/zô/z, //zeôncï€ep@/zo/a a. f'rozli f/zeôrëfikôx p/zï/os(p/zoœnfag,par opposition aux philosophesthéurges) d'arriver à l'union théurgique avec les dieux? >>Ce qui unit Et surtout, qu'on ne comparepas la divination à cette sciencedu pronostic acquise par ]es médecinset les navigateurs3l Bien entendu, Jamblique refuse aussi avec indignation l'explication aristotélicienne de la mantique, qui en fait une faculté propre à l'âme Si la vraie divination était afïtanchissementde la partie divine par rapportau restede l'âme, ou séparation de l'intellect f/foui), . ou rencontre (de l'intellect avec quelque chose?), alors on aurait raisonde conclureque l'enthousiasmeest le fàît de l'âme humaine(mais il n'en est rien) ô. Cependant, Jamb]ique va plus ]oin. Non seulement ]a divination n'a pas l'homme pour origine, mais, dans ce contact avec le surnatu- rel, l'initiative et l'action humainessontabsolumentnulles : l'homme nejoue aucun rôle; il est passif : il reçoit La divination vient de l'extérieur, des dieux, et cela spontanément raz/fexoæiïon.), manifestant veut et comme elle veut s. l'avenir quand elle les théurgesaux dieux, ce qui fait descendre les dieux, ce sont des <(opérations ineffables >><<dont les efïëts dépassent toute intellection >> f/zo ïlzJ, et qui utilisent des symboles ('sz/n/Àemaïa,suez)o&zJcompris des dieux seuls et révéléspar eux Ce sont les sun//zemafaqui accomplissent leur œuvre -- la théophanie -- d'eux-mêmes r'az//aap#'- /zeaz/fô/z,), ou plutôt la puissance divine elle-même reconnaît en' ces symboles ses propres images feïÆonaiJet est attirée par aMnité et sympathie. En somme, les dieux se font descendreeux-mêmes,les hommes n'y sont pour rien 4 1. 111, 6 : il s'agit d'une <<photagogie >>suivie d'une incarnation dans un médium. 3.: C'est une. formule très frappante, qui définit clairement la position des nouveaux philosophes-théurges par rapport aux philosophes«'contemplatifs», tels Plotin et yre 4. A.cette «.descente des dieux >>que constitue la mantique répond un autre rite essentiel,de la théologie <<chaldéenne » adoptée par les néoplatoniciens, la « montée de l'âme >>(aPzagëgë;: Li encore, la mêmedifférence radicale séparela << philosophie contem- plative >>.de la'théurgie; c'est le rite qui accomplit cette montée.'no;l'efïbrt de détachement de la raison humaines.Le Byzantin Psellus, qui lisait encore le grand Commentaire 1.1V,1-2. 2. 111,7. aux krach.s cÀa/(&e/z.s de Proclus, souligne explicitement œtte différence :'« Platon, 4. 111.8. 5. 111,23. le.véhicule de l'âme par les rites matériels rda /ô/zÀœ/ïkônfe/efô ; à son avis, 'en efïët, l'âme est puriûée par des pierres, des herbes, des incantations. et ilourne ainsi'bien rond pour son asœnsion }> (Commentaire des Oracles chaldaïquesdans Oracles chaldaïques, lui, nous fait embrasser par la raison r/ogôfJ et l;intuition rno efJ l'essenœ inengendrée. D'après le Chaldéen,en revanche,nous ne pouvons monter vers Dieu qu'en fortiûant 3. 111, 27. 258 259 JEANNIE CARLIER SCIENCE DIVINE ET RAISON HUMAINE L'élaboration théorique ainsi formulée a une grande importance, pour le présent et pour l'avenir. En efïët, ces <<opérations inefïËtbles >> ne sont rien d'autre que des pratiques magiques; et les szzn//zemafa sont les noms bizarres, les pierres, les plantes, etc., de la magie égyp- tienne millénaire. Le néoplatonismeassumeainsi le grand courant souterrain de la magie hellénistique et lui donne son fondement théorique. Dès lors, les néoplatoniciens vont devenir des professeurs d'occultisme pour tout le Moyen Age et la Renaissance. Il reste à répondre aux deux objections majeures de Porphyre la divination est indigne de Dieu, dont elle ne respectepas la transcen- dance; elle est indigne du sage,car elle ne se souciepas du salut. Cette seconde objection, Jamblique la balaie d'un revers de main les prêtres(devins ou théurges)n'importunent pasl'intelligence divine à propos de petites choses, mais l'interrogent sur le bonheur et le salut l C'est nier l'évidence z. propre.Ainsi donc,cettemanièrede rendrecomptede la mantique rejoint ce qui a étédit sur la création et sur la providence divine. Car elle non plus ne rabaisse pas l'intellect rzzozls) des puissances supéi'ieures vers les choses d'ici-bas et vers nous; mais, tandis que l'intellect divin reste en lui-même, cette explication ramène à lui tous les signeset la mantique entière, et en même temps découvre que mantique et signesprocèdent de cet intellect divin l Voilà la véritable théorie de la mantique, à laquelle il faut se tenir fermementsi on veut en rendre compte epfsfëho/zfkôs, <<de manière scientiûque 2 >>;c'est-à-dire, en droite théologie. Car le mot epïsfëhë a changé de sens, et ce petit fait de vocabulaire permet de mesurer le chemin parcouru depuis Platon. Celui-ci avait La première objection est traitée avec plus d'ampleur, même si la démonstration n'est pas parfaitement convaincante. A la source de refusé à la divination le titre de <<science )> refis/ëüO, lui accordant seulement l' <<opinion vraie >>rez{(hxïa,). Sept cents ans plus tard, la (fût-ce les plus înûmes, comme la poignée de farine), il y a la prescience Mais l'action des dieux s'exerceà travers une foule d'intermédiaires essentielle, est devenue l'epfsrê në par excellence a. Sans doute, on ne parle pas tout à fait de la même chose : chez Platon, il s'agit du savoir obtenu par la pratique divinatoire; chez Jamblique, de la théologie qui fonde cette pratique. Mais, en réalité, cette distinction tend à disparaître chez Jamblique, dans la mesure où les deux notions -- théorie divinatoire et révélations reçues par la divination -- se confondent (les démons, les âmes, toute la nature...), sans mettre en danger leur transcendance dans le conceptplus large de savoir révélé : la divination apporte une révélation Mais eux, c'est séparésde tout, affranchis de la relation et de sont les rites rerga et sunï/zemaraJqui en constituent la pratique. Sciencedoublement divine, puisqu'elle est révélée par les dieux et prend les dieux pour objet; elle vient des dieux et remonte aux dieux, toute la divination répandue dans le monde et dans toutes sesparties divine, <(qui possèdetout d'abord en soi-mêmece qu'elle donne à ses participants et qui fournit surtout la vérité dont la divination a besoin ; l phénomènesdu devenir et de la nature selon leur volonté élie comprend d'avance l'essenceet la causedu devenir... ce qui permet nécessairement d'arriver sans erreur r( seusrôs,) à la prescience 3 )>- la coordination avec le devenir, qu'ils conduisent tous les éd. et tr. des Places,Paris, 1971,p. 169, 7 s. = P.G. 122, 1132a). Sur ce qui oppose philosophes et théurges, tout a été clairement dit pqr Dodds, .Le.çGrecs ef /'.ûra/ïo/z/ze/, tr. fr., IParis, 1965, p. 270 s., en particulier p. 272-275. 2. Au rv' siècle comme auparavant, les hommes interrogeaient les dieux « sur de petites choses ». Néanmoins, il est vrai que le.contact des théurges avec les dieux vise en dernière analyse à assurer'le salut de l'âme. Mais c'est fozzfela mantique que Jambljque cherche à justifier dans le De mysreriïs; et une recherche plus poussée montrerait sansdoute qu'il est difficile de distinguer dans la pratique la divination <<noble » des théurges et là divination de tout le monde. : rien ne prouve que les. mêmes personnages qui utilisaient des procédésde magie divinatoire pour connaître le nom.du. prochain empereur, par exemple(cr infra. p. 282), ne recouraient pas à une magie théurgique pour assurer le salut de leur âme; et il est certain que les théurgesn'hésitaient pas à user de leurs pouvoirs surnaturels pour assurerle salut temporel et matériel de.leurs contemporains(Proclus, par exemple, est un faiseur de pluie : Marinus, rf/a Froc/î, 26. 28) 3 lll. l 260 théologie, dont la théorie de la divination théurgique est une part divine, mais la <<science divine >> rf/ze/a epfsrëmëJ, c'est-à-dire la théorie qui la fonde, est elle aussi révélée4, comme le en un mouvement d'aller' et retour très caractéristique de la penséede Jamblique 5. 1. 111,16. C'est tout le problème de la transcendance unie à la providence que Jam- blique s'efforce de résoudre içi : problème très important pour les néoplatoniciens(et d'autres!), mais qu'on ne peut ici qu'efneurer. 2. 111,1, P. 99 (102), 12 d.P. 3. J)e mJ,i/et/ïr, 1, 1 : Jlëperf ïÆeô/z a/ëfÀI/zëeplsrëmë(p. 38(1), 6 des Places); 1, 4 #ë @ï /ëinozzfkë IÆeohgla (p. 45 (14), 9 des Places); 1, 8 Æë/Æeiaepïsrëmë (p. 55, 12 des Places); et surtout lïl, 7, f/zefa epïsfêMë (p. 106 (1 14), 4 des Places); çf la note de des Places, fb/d., p. 46, n. 2. 4. Toute théologie est révélée on n'est pas, selon les néoplatoniciens(cÊ l)e mysferiis, [, ], et Proc]us, ]h 7ïm., 1, 408, 12 : /Æeaparadaroi f]zeo/ag/aJ, qui, ]orsqu'i]s exposent la doctrine des <<Orac/e.ÿc.ba/dée/zs», utilisent souvent la formule : <<Lei dieux 'disent que » 5. Voir le texte cité sizpra,p 260-261 (111, 16). 261 SCIENCE DIVINE ET RAISON HUMAINE JEANNIE CARLIER l C'est donc à juste titre que le systèmejambliquéen situe dans un au-delàde la raison la divination à la fois commethéorie, comme pratique et comme savoir révélé. Un coup d'œil au tableauprésentéci-dessouspermet de constater une opposition partout présenteentre le contact avecl'absolu procuré par l'intuition philosophiqueet le contact avecle surnaturel produit par la mantique. Les trois philosophes sont d'accord sur un point la mantique n'esf pas l'intuition de la raison humaine concentrée, repliée en elle-même : elle est moins que cela -- ou bien plus. Chez Platon, l'opposition se situe au plan épistémologique; pour Porphyre, obsédé de salut, elle joue au niveau théologique et moral. Mais dans les deux cas, elle s'inscrit très rigoureusement dans un système qui oppose le devenir à l'être et la dé-raison r'a/ogïa) à la rationalité r/ogos,). Pour Platon et Porphyre, c'est l'intuition de la raison humaine qui l'emporte en dignité, lorsqu'elle recouvreson essencepropre, Mantique Activité de l'âme <<Æaf/z'.ëeaafü >> PLATON connaissance pure connaissance de l'ordre (hxa, non de l'ep/sfëüë portant sur l'a/ëz'Àeia, sur <<fa (portant a son siègedans le meilleur de a son siègedans l'âme irration- oæ/a», ce qui<< est>> l'âme (/zo II) par ascèseet initiative humaine PORPHYRE contact intime avec le divin, qui estle soi véritable sans intermédiaire gage de salut, de vie éternelle de la sur l'apparence) nelle plus ou moins inconsciente et involontaire ne met pas en contactavecles dieux mais avec les démons par l'intermédiaire du devin porte sur la ge/zesïs,donc inutile, voire néfaste, pourle salut au plus profond de l'âme r o s) par ascèse et initiative humaine JAMBLIQUE activité du /zoa.ÿ.de l'e/zæofa losophie « contemplative ». phi de l'ordre de l'inengendré,de l'éternel.non du devenir vient des dieux et remonte aux dieux descente des dieux dans l'homme provoquée par << symboles » divins aucune initiative humaine -. epistëmë 262 qui est divine; la mantique est infra-rationnelle. Chez Jamblique, l'opposition entre le devenir et l'être subsiste.Mais il y a des degrés dansl'être; il existeun au-delàde la raisonhumaine,qui est l'ordre des dieux (lui-même inôniment hiérarchisé). l.Jne <{ science >>révélée par les dieux, et des rites qui utilisent les <<symboles >>appartenant à l'ordre physique -- au devenir -- mais dont les dieux ont enseigné l'ineffable puissance, permettent de court-circuiter, en quelque sorte, l'intuition rationnelle, par un contact immédiat avec l'ordre divin la divination se situe au-delà de toute raison. T DENISE GRODZYNSKI Par la bouche de l'empereur Rome IVe siècle Dans l'empire romain du ]Ve sièc]e,c'est ]e fait même que ]a divination soit interdite qui en rend l'étude intéressante.La description en elle-mêmedes pratiques divinatoires n'a qu'une valeur historique secondaire. L'essentiel est que, réprimées de la façon la plus sévère qui soit, ces pratiques continuent à être exercées.La répression est édictée par les textes de lois, qui, pour ce IVe siècle, sont réunis dans le Code théodosîen. Malheureusement,les juristes qui ont analysé ces textes les ont étudiéssans les replacer sufhsammentdans leur cadre historique. C'est le cas de juristes français tels que Martroye ï, Maurice 2, E. Mas- soneau3 qui, autour de 1930,ont publié des travaux sur les lois du Code théodosien réprimant l'astrologie, la magie et la divination. Ces juristes n'ont vu, dans les dispositions contre l'haruspicine ou la sorcellerie,que des phasesdu combat contre le paganisme,étant donné que ces lois, œuvre des empereurs chrétiens,'punissaientla divination qui avait eu sa place dans la religion païennetraditionnelle. Cette perspectiveest trop limitée : la divination avait déjà été réprimée par lespaïens.Cramer montre, au fil d'un travail très minutieux et très complet, que la répression de la divination obéit à des motifs essentiellement politiques dès le début de l'Empire, de l'époque d'Au- guste à celle des Sévèresô, c'est-à-dire à une époque bien païenne. Quant aux historiens,ils ont étudié cette répressionsans serrer d'assez près les dispositions juridiques. C'est surtout à partir des procès de magie racontés par Ammien Marceïlin que H. Funke arrive pour le IVesiècleà la même conclusion que Cramer : c'est la raison d;État 1. F: Martroye, <<La répression de la magie et le culte des gentils au lve siècle >> Revue historique de droit Perçais et étranger, $, 1930. 2. J. Mauriçe, 5(L?.terreur de la magieau ïv' siècle», Rev e Àfsfor/gæe de d'oif .P#æ. raïs e/ é/ gager, 6, 1927. ' ' 3: E: Massoneau,thèse de doctorat de droit : .Lecrime de mag/ee/ /e .Drop/romain: Paris. 1933. ' 4. Cramer, .ds/roh.gyfæ.Roman.[aw a/zdPo/ï/ü.f, Phi]ade]phie, 1954. 267 Y PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR DENISE GRODZYNSKI et non la religionqui estla causede l'interdictionde la divination et de la sorcelleries. La seule tentative (à notre connaissance) d'une étude sociologique des sciencesoccultes est celle, toute récente, de Péter Brown : à bien des égards, cette étude est à la fois magistrale et subtile. Mais elle nous paraît ne pas accorder à la législation et à l'État la place qu'il convient de leur donner. De telle sotte que Péter Brown supprime l'atmosphère de terreur qui entoure l'exercice de la divination et de la magie '. Pour une meilleure compréhension du sujet, il nous paraît nécessaire d'exposer les lois du Code théodosien. Plusieurs points particulièrement significatifs pourront alors se dégager. Premier point : le châtiment infligé aux devinset à leurs consultants est la mort. Nous nous eŒorceronsde replacer cette peine de mort dans l'ensemble du système pénal du IVe siècle. Secondpoint, faisant intervenir la distinction, û.équentedans le ou pour sepenchersur le sort deshumbles,il n'en restepasmoins un historien irremplaçable, voir unique, par la précision de sa narration. D'autres témoignages pourront être évoqués, par exemple celui de Libanius î. Ceux qui décrivent la répression de la divination proprement dite sont rares. Mais ils ont le mérite de nous éclairer sur la jurisprudence (au sensactuel de ce mot) et sur le comportement des contemporains face au système législatif. Le Codethéodosiena recueilli environ trois mille texteslégislatifs. Parmi eux, il y en a seulementdouze qui interdisent l'exercice de la divination et de la magie. C'est peu si l'on comparece chifïte aux cent quatre-vingt douze lois concernant les décurions ou aux soixantesix édictées à l'encontre des hérétiques. Mais la portée d'une action législativene se mesurepas à la quantité des textes.C'est ainsi que, pour condamner le paganisme, vingt-cinq lois ont suffi. Les douze qui Code théodosien, entre ce qui est privé et ce qui est public : en ce qui nous intéressentici sont d'une extrême importance. Ces douze lois qui, sous le titre De ma/l?/ïcü ef maf/zemafïcfsef ceferls sïmï/fous comme crimes publics des actes paraissant avoir un caractère privé. Troisième point : pour la première fois, la loi romaine assimile tous les autres semblables>>,sont l'œuvre d'empereurs chrétiens,légi- concernela divination, les lois tendent de plus en plus à considérer (C. 7h., IX, 16, 1-12), condamnent <<les sorciers, les astrologues et totalement la magie et la divination. Des pratiques aussi différentes qu'une consultation au sujet du prince et que le port d'une amulette férantentre 319 et409. Il nous a paru indispensable de transcrire ci-dessous celles qui sont les plus signiôcatives pour notre étude. pas évidentes. C. 7b., IX, 16, 1(3 19) Consfanflnâ .4/axfmus,pr(gë/ (2ë&zvï//e autour du cou sont puniesde la mêmefaçon. Les raisonsn'en sont Après avoir décrit ce systèmerépressif,nous essaieronsd'expliquer sa rigueur, l'objet de la présenteétude étant de tenter de comprendre le point de vue du législateur.Pour cela, les sourcesauxquellesnous recourrons ne seront pas seulement les lois, mais aussi les témoignages des écrivains du IVe siècle. Ammîen Marcellin nous donne, par le récit qu'il fait des procès de magie, modestes ou illustres, une quantité de renseignements. Ces derniers ont d'autant plus de valeur que cet historien, possédé par la passion de la justice, a toujours voulu dénoncerl'arbitraire du pouvoir impérial qui se manifestait avec prédilection dans des afïàires de cet ordre. Même si. comme l'ont montré les travaux d'A. AlfÔldi a,Ammien estd'obédiencetrop sénatorialepour être impartial 1. H. Funke, <<Majestât und Magieprozessebei Amnîanus Marcellinus », J.4 C:. 1967,P.xxx. 2. P. Brown, <<Sorcery,Démonsand the Riseof Christianity: from Late Antiquity into Middle Ages >>,in Re/igïo/z a/zd Saciefy flz /Àe .4ge (#' Sf ,4ugæsfiæe,London, 1970. Cf. aussi }mrcAcr({Æ Ca/!/ësfio/zs a/zd.4ccæsafïons(Association of Social Anthropologists Monographs n' 9), 1970, p. 17-45. 3. A. Alfôldi, J Cb/dfcr (Z/'/geaifn ïÆel,aïe Enpùe, Oxford, 1952. 268 Que nul haruspice n'approche le seuil d'autrui même pour une autre raison [que l'haruspicine], mais que l'on repoussel'amitié, si ancienne soit-elle, de gens de cette sorte; l'haruspice qui aura approché la demeure d'autrui devra être brûlé vif et celui qui, par sesincitations ou sescadeauxl'aura appelé,devra, après conûscation de ses biens, être déporté dans une île : en efïët, ceux qui veulent rester les serviteurs de leur superstition pourront pratiquer publiquementle rite qui leur est propre. Pour ce qui est de l'accusateur de ce crime, nous estimons qu'il n'est pas un délateur mais qu'il mérite plutôt une récomS pense' 1. .Lïôaæïæg' ,4æ/obïograpÀ.y, édition 2. C. 7h., ]X, 16, 1(319). ÏMP. A. F. Norman, CONSTAnTÏNUS Oxford, 1965. A. AD MAXIMUM. ]Vh//#i Æarœ€pex Limer atterius accedat nec ob at teram causam, sed huiusmodi hominum quamvis vêtus amicitia repelïatar, concremando alto hal"uspice, qui ad domum atienam accesserit et itïo, qui eum suasionibusvet praemiis evocaverit,poséademptionembonorumin insutam detrudendo : superstitions enim suée servile cupientes poterunt pubïice ritum proprium exercera. Accusât orem autem humuscrîminis non detatorem esse, sed dîgnum macis praemio arbitramur. 269 T DENISE GRODZYNSKI Ï c. 7%., IX, 16, 2 (319) Ca/zs/anff/z azz pela/e. PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR C. 7%.,IX, 16,6 (358) Cons/angeâ 7burzzi,pri Les haruspices,les prêtres et ceux qui sont habituellement au Sans doute les personnes investies de charges omcielles. sontelles exemptées' de torture, sauf, naturellement, dans le. cas servicede ce rite, nous leur interdisonsd'approcherune demeureprivée ou de franchir le seuil d'autrui, sousprétexte d'amitié; une peine est prévue contre eux s'ils ont mépriséla loi. Mais, si vous estimezque cespratiques vous sont utiles, rendez vous aux autels publics et dans les sanctuaireset prati- des crimes prévus par la loi; sans doute tous les magiciens, quelle que soit la partie du monde où ils setrouvent, doivent-ils être considérés comme les ennemis du genre humain; néan- moins, du fait que ceux qui font partie de notre suite portent quez-y le cérémonial habituel ; nous n'interdisons efïëctivement quasiment atteinte à la majesté impériale elle-même?si quelque magicien ou quelque individu accoutumé aux souillures magi- pas que les obligations d'une pratique passéesoient remplies au grand jour:. gïques -- celui que l'on appelle sorcier dans le langage commun C 7»., IX, 16, 4 (357) Co/zs/a/zceaæpezp/e. -- ou quelque haruspice ou devin ou encore un augure ou bien également un astrologue, de même que celui qui cacherait une Que personne ne consulte un haruspice ou un astrologue, que personne ne consulte un devin. Que cessela profession dépra- quelconque pratique de l'art divinatoire sous le prétexte d'inter: prêter les songes ou exercerait quelque chose. de similaire, [si vée des augures et des prophètes. Que les Chaldéens, les magi- donc ['un de ceux-]à] était pris sur ]e fait, dans ma suite ou celle du César, il ne 'devra pas échapper, sous le couvert de ciens et tous ]es autres que le commun des hommes appelle <<sorciers )>,en raison de l'ampleur de leurs forfaits, ne machi- son haut rang, à la torture et au tourment. Si, convaincu de son propre forfait, il s'opposait, en le niant, à ceux qui l'ont découvert, qu'il soit livré au chevalet, que les onglets lui labou- nent rien en ce sens.Que soit réduite au silence,chez tous et àjamais, la <<curiosité >>de la divination. Et que soit donc frappé de la peine capitale et abattu par le glaive vengeur celui qui aura refusé obéissance aux prescriptions '. C. 7h., IX, 16,5 (537) Co/zsïance azzpelé/e. Beaucoup de ceux qui osent troubler les éléments par les arts magiquesn'hésitentpas à ébran]er]a vie desinnocentset îls rent les ïï;ncs et qu'il subisseles châtimentsdignesde son crime '. C. 77z.,IX, 16, 12(409) .1ïonorïuief 7%éo(hse à Ca/ecï/ïa/zus, prié/ëf du prétoire. osent ]a tourmenter en évoquant les mânes, de sorte que cha- Nous estimonsque les astrologues,à moins qu'ils ne soient cun peut se débarrasser de sesennemis grâce à ces arts néfastes. prêts à brûler, sousles yeux desévêques,.leslivres.qui contiennent leurs erreurs, et à prêter foi à la religion catholique avec Cesindividus, puisqu'ils sont étrangersà la nature, qu'un Réau fatal les engloutissea. [. C. 7b., ]X, 16, 2 (319). IDEM A. r düpréroire le propos de ne jamais plus revenir à leur erreur passée,doivent AD POPULUM. ]7br spfces eï sacerdafes et eos, être expulsés non seulement de la ville de Rome mais encore de qæi toutes les cités. Que s'ils ne l'ont pas fait et si, contrairement aux dispositions salutaires de Notre Clémence, ils ont été trouvés huis ritui adsoïent ministrare, ad privatam domutt prohibemus accederevet sub pt'aetextu amicitiae timeït atterius ingredi, poena contra eos proposita, si contelnpserinttegem. 2ui veto {d vobis existimatis coltducere, édite aras pubïicasadque delubra et consKetKàinis vestrae cetebrate so1lemnic}: nec enim prohibemuspraeteritae usurpationis o#icia libera luce tractari. 2. C. 7b., IX, 16, 4(357). ÎMP. CONSTAWTÏUS A. An POPuï.UM./ÿemo àar pfcem co s Æïr üut mathematicum, Ramahariolüm. Augürunt et fatum priva canRssio conïicescat. Chaïdaei ac mali et cetera, duos maïe$cos ob Jacinarum magnitudittem vuïgus appe!!at, rlec ad banc partem atiquid motiantw. Siteat omnibusperpetttodivinandi curiosités. Etenim suppïicium capitis foret gtadio Hilare prostratus, quicumqueiussis obsequium denegaverit. 3. .C. 7h., IX, 16, 5(357). ïï)lbï A. AD popuï.UM. À/#/fÏ magïcls arri6ui azzsfeleme ïa [urbare vitae insontium labefbctare non débitant et manibus accitis ardent ventilare, ut qüisqüesues coï!$ciat mans artibus inimicos. }ïos, quoniam naturQeperegnni suit, /eraÏis pesais absumat. 270 1. C. 7%.: lx, 16, 6(358). IDEM A. An TAURUMP(RAETECTUM) !(RAE'rOR})o E/sÏ excepta tormentis süttt corpora hoïtoribus praeditortlm, praeter itïa videlicet crimina, quai ïegibus demonstraïttur, etsi onnes mugi, in quacumqüesiïtt parte terrarüm, hutnani generis inimici ".''''Ë=i:l;.;: ;.:;Ré,,;l;;lliÜ.;Ri=î'ii.;omîtat nostrokü"t {psa "t pu€sqnt p'oqem'd"m ma Bs- taLem si quid pagus wl magicis contamïnibus adsuetu!, qui maïc$cui vulgi consuetudine w'''''') u' 'lw'" ''''o'' -' '''--'''''}tariolus.aut ''''' rtuncupatur,aut haruspexau! vet 'eüam. narrattdis:. colt : augur . .. ..tïlatttemattcus . .,...:.. aut........... somnüs occulün,s artem aïiquam divinandi aut' celte .ati quid. forum limite exercens itt comitaiü meo veï Caesaris juerit deprehensüs,praesidio dignitatis cruciatus et tormenta don Jbgiat Si convictus \ad\ prolrium Jbcinus 'detegentibüs repœXnta:gril PEmegando, æuleo deditus unguUsque sutcantibus datera perjerat poelms proprio dignes facinore. 271 sit 1: 11 11 HI 11 DENISE GRODZYNSKI dansles cités ou s'ils ont introduit les secretsde leur erreur PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR entre une fëïrme libre et un esclave,de la concussion à l'invasion de la propriété d'autrui, de l'indulgence d'un juge aux violences faites à un juif converti au christianisme. .1 et de leur profession,ils doivent subir la peine de déportation i. A [a lecture de ces]ois réprimant ]a magie et ]a divination, i] appa- De -tous ces crimes passibles de la peine capitale, ceux qui sont considérésatteindre le plus haut niveau de la criminalité sont ceux raît que ces deux pratiques sont punies de peine de mort, sauf dans la période 319-357au cours de laquelle les constitutions de l'empereur qui font partie du groupedit des <(cinq Grimes».Celui-ci com- Constantîn n'enlèvent la vie qu'aux haruspiceset non à ceux qui les consultent.A partir de 357 la répressionculmine. ConstanceIl fait périr les magicienset les devins de toutes sortes, même les pares prend (le mot va/et désignele prophète inspiré ou le poète inspiré), même les interprètes des songes.Quant aux clients des devins, la loi les considère coupables d'un égal fbrfàit; ils doivent subir eux aussi le châtiment tent, 'les privilèges dont ils jouissent en matière de statut judiciaire Ces privilégiés sont, en l'occurrence, les sénateurs, les fonctionnaires imperlaux, notamment les oHciers palatins a,.lesdécurions, les membres du clergéÉ,les membresdescorpoj'ationsde Rome et de Constante: nople, les 'soldats, les régisseurs des domaines . impériaux. Ve siècle. Pour le IVe siècle nous pouvons tenir comme acquis, à partir rions, les soldats, les magistrats ô. Au iv' siècle, la. nouvelle caté- de 357 en tout cas,que la mort est le châtiment auquel sont exposés tous les devins et magiciens. gorie privilégiée est donc celle des membres du clergé., Mais la prmcîpale innovation est que le Code théodosien a rejeté les deux échellesde sanctionsdu më siècle.Il y en avait une applicableaux Pour radical que soit ce châtiment, encore convient-il de mieux apprécier sa rigueur en la comparant à celle des peines réservéesà d'autres crimes. En efïët, la peine de mort est très souvent infligée dans les lois du Code théodosien. La terreur de la magie s'inscrit 1. C. 7B. , IX, 16, 12(409). IMPP. HONOR(IUS) ET THEOD(OSIUS)AA. CAECII.IANO P(RAE- n c:ïd) (R E:raid)a. Mathemaïicos, niai patati oint codicibüs errons proprio sub ocutis episcoporum incendia concrematis cathoïicae religionis cuïtui idem traderè nümquam ad errorem praeteritttm reditüri, non sotum urge Rama, sed etiam omïtibus civitatibus peïti decernimus. Quid si hoc non fecerint et contra cïementiae nostrae salubre constitiitum In civilatibüs füerint deprehensiveïsecrets erroïis sui et proPssionis insinuaverint, departa- tionis poenamexcipiaïtt. 2. Il n'a évidemment pas été tenu compte des répétitions de la loi à l'égard du même crime pour çlboutir à ce chiffe. C'est ainsi que les mauvais percepteursd.'impôts n'ont été comptabilisés qu'une seulefois ; cependant, ils flint l'objet de dix lois qui les punissent de mort; il en va de même pour ceux qui cachent les déserteurs(6 lois), pour ceux qui traûquent de l'or provincial(6 lois), etcl Èonesfïores,une autre aux/zz/mi/ïoreï. Désormais, les sanctions pénales sont, 'théoriquement, Û les mêmes pour tous. En'fait au IVe. siècle, les dignitaires précités continuent à être exemptés de torture; de plus, ils ont la possibilitéde faire jouer la clause.de la praescr@fïo ../bN En vertu de celle-ci, les sénateurs, par exemple, pouvaient être Jugés par le tribunal du préfet de la ville, plus..indulgentpour eux que tout autre tribunal. Ils perdentcesdeux privilèges,s'ils commettentun des <<cmq crimes >>ou celui de lèse-majesté; ils ?ont.alors jugés par le gouverneurde la région qu'ils habitent, ou de la région où le crime a été commis. Néanmoins, en 371, les empereurs accordèrent aux 1. La loi IX. 38, 4 les énumère : crîme# &omfcïc#ï adu/{eriï .fbedïfafem, Inf rfam, niale#clorum ice/us, iÆsfdîasvergeoræmrapt sq e vialeBrlam. '2. C. 7».. ])(, 38, 7 : rïæ iceZera]-.] mdesfaffs . saepiora : in q lbœsesfprfmilm crime/z eï maxime majestatis, deinde homicidii vene$ciiqueac maleÏiciorüm. -). 3. C. 7%..IX. 14. 3. 4. C. 7%..IX. 35. 1. Z: Çi,.gi'êL??bi3' 272 Ils sont s successeursdes /zo/zesfïores des Ue et Ule siècles. Péter Garnsey énumère ces derniers : ce sont les sénateurs,les chevaliers,les décu- brûler leurslivres seront expulsésdescités. Mais cette loi est du pédérastie, de la lecture de libelles difhmatoires aux rapports sexuels fma/l?Æcïz/lîz,) fait que les personnages de haut rang perdent? lorsqu'ils les.commet- 12), la dernière du titre, f ait preuve d'une clémence à laquelle on n'était plus accoutumé : elle prévoit que les astrologues qui refuseraient de sont au nombre de quatre-vingt-cinqenviron; et cela pour réprimer des crimes d'une grande diversité z. Ils vont de la lèse-majestéà la la sorcellerie ici, c'est que le crime de ma/iÎ/îcïzzm fait partie du groupe des.cinq. Le caractère particulièrement grave de ces crimes apparaît dans le qui précisentles cas d'application de la peine de mort. Il est ainsi interdit à quiconque d'exécuter sommairementles sorciers, car c'est à la justice publique que cette tâche incombe (IX, 16, 11). Ou bien encore la loi précise que les haruspices de la religion traditionnelle sont exemptésde la peine de mort (IX, 16, 9). La loi de 409 (IX, 16, efïëctué des cas de peine de mort énoncéesdans ce Code : ces cas l'empoisonnement, coupable, le principe de la responsabilité pénale individuelle est trans dressé : la faute retombe en partie sur le ôls a: Ce que nous retiendrons capital. Les empereurssuccédant à Constance Il ont édicté des lois dans une terreur générale, comme le montre le relevé que nous avons : l'homicide, l'adultère et le viol 'ï. Comme crime plus grave encore que les cinq précités,îl n'y a que celui de lèse-majestéf Pour œluï qui s'en rend ega/ Prîpïlege IÆ fÆe .Romalz Expire, 273 Oxford, î970, p. 234-259. 'v' Ü DENISE GRODZYNSK] sénateurs accusés de sorcellerie d'être jugés -- comïne.iis ïe souhai taient -- par le préfet de la ville, voire par le conzffa/œiicnpérial lui meme Autre signedistinctif démontrant la gravité de ces crimes : bien que la délation soit interdite et réprimée,au boni Faire,lorsquel'un de ces cinq crimes est commis, la loi autorise, ré :ompenseQt peut même rendre obligatoire la délation les conceman (en outre, pour les cas de lèse-majesté,les esclavesmême ont le irait de dénoncer leurs maîtres a). Enfin, ces crimes sont toujours ex( us des possibilités d'am- araùür&2BËûr=: EI nistie impérialea, ou d'appel à une instan( EÏIHllu » Le crime de divination en tant que tel ne finit Ï crimes )>. Le devin raugzzr, /zaruipex, mai/i.,lmfïcuJ,) ü 'cbl .k.üïds nommé parmi les criminels pour qui l'amnistie impériale est exclue. Mais il est douteuxque,juridiquement,il puisseen bénéficier.Et cela pour deux raisons : d'une part, il sufHtque sa consultation porte sur les affaires de l'État pour qu'il soit inculpé de lèse-majesté.D'autre part, à partir de 357, datede la loi ÏX, 16, 6, il est entièrementassimilé au ma/i{/écus.Rappelons qu'avant 357, l'haruspice était déjà frappédu châtimentinfamant de la mort par les flammes) Que la divination soit assimiléeau crime de lèse-majesté ou bien à œlui de sorcellerie,son châtiment est placé en tête de'la i'épression pénale. Dans la mesure où le devin est condamné pour lèse-majesté, PAR LA BO'UCHE DE L'EMPARE'UR der par comparaison avec le systèmepénal du IHe, moins sévère. On peut s'en convaincreen mettant en parallèle le tableaudes pénalités du Code théodosien (cas par cas) avec celui qui a été établi par Mommsen pour l'époque des Sévères, d'après les Se/zfences de Paul ï. Dans vingt-sept cas similaires, les lois en vigueur au début du Me sièclepunissaientpar la peinedesmines,la déportation ou ïe bannissement,des crimes qui, au IVe siècle, sont punis de mort. Parmi ces vingt-sept cas, cinq concernent la magie et la divination. Donc, ce n'est pas seulement à l'encontre de ces dernières que l'aggra- vation pénale est nette. On la constate aussi, notamment, pour ies actestransgressantla morale familiale et sexuelle,et pour tout ce qui a des rapports avec l'État. En ce qui concerne l'État, l'aggravation pénale se manifeste de plusieurs façons. D'abord, les fonctionnaires prévaricateurs ou inefR- cacessont punis au IVe siècle,non plus seulementde déportation, mais souvent de mort. En outre, le Code théodosien réprime, dans l'administration, une variété de crimes dont la loi ne faisait pas mention au Ule siècle.Il apparaît qu'au IVe sièclel'état intervient pour protéger ses sujets contre sespropres fonctionnaires. C'est ainsi que 35 % environ des peines de mort frappent des percepteurs d'impôts rapaces et vénaux, des juges et des cl0îcïa/es incompétents, corrompus ou trop indulgents. L'importance accordée au crime de lèse-majesté tous ses biens sont confisqués-- ce pendant tout le IVe siècle. Si la confiscation n'intervient pas, sauf pendant une courte période, pour les<(cinq crime! ?, cela ne concernepas la sorcelleriepour la période lui-même se modiûe. Certes, au Hle siècle,ce forfait était déjà parmi Ce systèmepénal nous paraît d'une grandecruauté. On pourrait /zo/îesrforz, mais il y avait des crimes encore plus sévèrement réprimés antérieure à 356 s. De tout cela il ressort que, d'après le Code théodosien, il paraît encore plus grave d'être devin ou magicien qu'homicide. sur ce point objecter que nous en jugeons ainsi d'après nos concep- tions contemporaines.A quoi nous i'épondrionsque la rigueur de cette répression, les hommes du IVe siècle étaient en mesure de l'appré- 1. C. 7%.,IX, 16, 10. La loi des empereursGratien, Valens et Valentinien de 376 va dans le même sens. Elle redonne .partielles ent aux sénateurs le droit de p/ae.œrùrïë #$$1ëg$ guBÆœ&l11# # w les plus graves,mais il n'avait pas cette prééminenceincontestable dans le crime qui lui est conférée par le Code théodosien. Sans doute les Se/zfences de Paul indiquent-elles que le coupable de lèse-majesté estjeté aux bêtesou brûlé vif s'il est un /ïumï/ïor et décapités'il est un puisque le châtiment en était, pour les /zones/farescomme pour les #zlmï//ores, la mort infamantepar la crucifixion ou par le fëu : par exemple l'incendie volontaire dans une ville au cours d'une émeute 3 ou le vol à main armée,la nuit, dansun templeü. Enfin, au IVesiècle,tombent sousle coup de l'accusation de lèsemajesté,et sont punis de mort, des crimes non mentionnés au Ulesiècle, tels le fait d'envoyer un accusé dans une prison privée 5, ou bien celui consistant, pour une secte d'hérétiques, à troubler la paix de l'Église ô, 3. Les douze lois du titre 38 du Livre IX du Code exceptantde l'amnistie impériale les.crigïinels du groupe des<< cinq crimes>>. ' '''''"' '' ' '""'''"- '"'''' différer l':rïmesosone lsl graves,dit la loi de Constantin, que l'appel ne pourrait que 5. Jusqu'en 356, seuls les criminels de lèse-majestéet de sorcellerie avaient leurs biens confisqués(C. 7%.,IX, 42, 2). Entre 356 et 364, tous les biens de tous les condamnés à mort vont au fisc A p;:jià=lle 364,1efisc ne retient plus que les'biensdes criminels 274 1. .Droïf.pé/za/romaïæ,traducton française,Paris, 1907,t. 111,p. 407 s 2. Paul, Se/z/e/zce.ç,V, 29, 1. 3. Æfd..V. 3. 6. 4. ÆÏd..V. 19. 5. C. 7%..IX. l l. l. 6. Æfd., XVI. 1. 4. 275 11 T DENISE GRODZYNSKI PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR ou encore le fait, pour un gouverneur, d'apposer son nom avant celui de l'Empereur sur un ouvrage public ï. proscrite. Dans tous les cas où cette clandestinité existe, le devin est puni de la peine de mort. Entre 319 et 357, son client n'est encore que déporté. A partir de 357, le châtiment de ce dernier sera aussi la sévèrement la désobéissance ou les excès de pouvoir de ses agents mort Cette distinction entre la divination privée et la divination publique estsi fondamentale que Constantin peut, sanscontradiction, d'une part crimes contre l'État des actes qui jusqu'alors gardaient un caractère part consulter les haruspices publics de la religion traditionnelle Mais l'empereurne se contentepas, au IVe siècle,de punir plus dans l'exercice de leur tâche publique. Il tend à considérer comme privé. De plus, tout ce qui, dans des actesprivés, comporte présomp' lion de crime public est puni au mêmetitre qu'un crime public établi. C'est en cela que le droit du Bas-Empire reflète /'empr/se sofa/ïfaïre cïe/'.É/af s r /ex ï/zdvidKS.On l'observe en particulier pour la divination. Dans la pratique de la divination, deux éléments doivent être distingués : l'objet sur lequel porte la consultation (personne privée ou empereur ou bien, plus généralement,afïàire privée ou affaire publique); et la manièredont on consulte(en privé ou en public). Ces deux élémentsdistinctsétant mis en valeur, voici comment les rapports entre eux se sont présentés au cours des temps. Depuis qu'il y a un empire,la divination pratiquéeen privé est suspecte.Les lois d'Auguste 2 et de Tibère 3 interdisent la pratique de la divination sans témoins. Mais, si ces lois sont transgressées, les peinesne sont pas capitales,à condition que la consultation en cause ne porte pas sur l'empereur : car celui qui consulte (& sa/tï/e prïnc@is est accusé,dès 52, de lèse-majesté.Le juriste l.Jlpien, f aidant au début du Ule sièclel'historique de la répressionde la divination, indique quepresquetous lesempereursont puni lesdevinsen fonction de l'objet de la consultation : si celui-ci est l'empereur, il y a peine capitale' Au IVe sièc]ej]a position du ]égis]ateurest ]a suivante : i] considère que le seul fait que l'on consulte en privé indique que l'on complote contre l'État. Autrement dit, l'Etat estime qu'on ne peut, en privé, pratiquer que des crimes publics. La manière dont on consulte définit l'objet sur lequel porte la consultation. La loi IX, 16,8 expliqueparéquivalence ce qu'il faut entendrepar <<privé >>au IVe siècle : pz/Z)/ïceauf prïvaflm, ïn dïe nocfz/gue ; ce qui est public, c'est ce qui se fait au grand jour. Dans la loi IX, 16,2, il est stipulé que l'haruspicine est autorisée pourvu qu'elle se fasse //liera /uce. La clandestinité de la nuit et de la demeure privée est punir de [a peine du bûcher ['haruspice privé (]X, ]6, 1-2), et d'autre pour comprendre le sens d'un présage (XVI, lO, l :). D'ailleurs, pendanttout le IVesiècle,les augureset les haruspices officiels de la religion païenne ne seront pas inquiétés pour l'exercice public de leur religion, sauf peut-être à partir de 358, mais seulement pour une période limitée : jusqu'en 371 (IX, 16, 9). Les inscriptions nous font connaître une série de titulatures dans lesquelles la fonction d'augure ligure en bonne place dans un cursussénatorial du IVe siècles Mais, indépendammentdu culte de la religion païenne,un particulier, d'après les lois précitéesde Constantin, a juridiquement 1. A. Alfôldi consacre plusieurs pages de son livre 7Ze Calzversïa/z d' Ca/zs/alfae a/zdPage/z .Nome,Oxford, 1948, p. 7$78; 133, à commenter les lois IX, 16, 1-2 du Code théodosien qui concernent les haruspices.Plusieurs de ses points de vue .pourraient être nuancés. L'aïïïrmation, par exemple, que par ces lois Ca/ïsfaizfi/zef/z./bcf, .openb ïni /fr pagalzi:m ïæ .Rame ./bce fo Jbce : c'est oublier que les lois païennes interdisaient déjà l'exercice de l'haruspicine èt négliger la différence essentielle.que Constantin place entre l'haruspicine privée et l'haruspicine publique. Dire. aussi.que Constantin ëst sapersrîf/oæs(p.?6) estun propos quelque peu inadéquat. Alfôldi sefonde sur Zosime pour formuler cette opinion. Or Zosime nous montre en Constantin un empereur essen. bellement opportuniste. S'il obéit aux devins, c'est parce qu'il avait.éprouvé. la véracité de leur prédiction; s'il les condamne,c'est par raison politique : <<Il craignit, explique Zosime, que l'avenir ne soit une fois révélé à'd'autres aussi qui s'enquerraient de. quelque point dans un sentiment hostile à son égard et en vint, sur la base de cq.préjugéLà fâiœ cesserçes pratiques >>(11,29, 1-4, trad. Paschoud. l,et Be//es l,efïrei, Paris, 1971, t: l, p. 101-102).Cette attitude ne peut passerpour<< superstitieuse>>,quelque sensqu'on donne à ce terme. Or, justement, dans ces lois qui condamnent l'haruspicine, Constantin emploie le mot «'superstition >>pour désignercette pratique divinatoire utilisée par.l! religion païennetraditionnelle; Voulant justifier sa clémencepour l'haruspicine publique(par opposition à sa sévérité pour l'haruspicine privée), il dit dans la première loi que l'haruspîclne publique est autorisée, bien qu'elle soit une <<superstition »; dans la seconde, que les <<pratiques passées» permetteiït l'haruspicine trâ.ditionnelle..Puisque son schéma d'explicati(in esfidentique dans les deux lois, il semble lui-même déûnir la << superstition >> comïüe une pratiqué passée, quelque peu désuète, qui se réfère à d'antiques usage!; c'est donc li religion païenneelle-mêmequi paraît être à Constantin sansavenir. Et cela dès 319, date de promulgation 2. Par exemple de ces lois. celui de Quintus Flavius Mesius Egnatius Lollianus : cüzrfssîme, questeurcandidat, préteur urbain, augure public dü peuple romain des Quintes, consulaire d /ïr d 7ïôre ef {üs ëgoHfs,coîzsæ]afre dæ fraya xpæ8/ïcs[...] : Clï,, X, 1695. Ou celui de Lucius Arcadius Valerius Proçolus : c/aras fme, azzgære,po ÏÉfë m eær, gæfpzclëcïmvlr préposéaux sacri$ces,pontife Fluvial, préteur tutélaire, légat propréteur de ta province 1. C.7Z..XV.1.31. ü 'N mïdfe [-.] } C]Z, VI, 1690. Ces deux sénateurs avaient commencé leur lanière sous le régné dè Constantili(flz A. Chastagnol, le Bas-.Eiîzpïre,<(Colt. U2 >>,58, Paris, 2. Dion Cassius.LVI. 25.5. 3. Suit.. 7'ïZ)et.. 63.2. 4. Mos. et rom. tegtlmcoltatio, XN , 2, '3. 276 1969, P. 163-164). 277 11 T DENISE GRODZYNSKI gardé le droit de consulter un haruspice pour son compte personnel, à la condition que ce soit en public et bien entendusur un sujet licite. En efïët, jusqu'en 358, ]e pouvoir impérial estimait que la publicité de la pratique divinatoire permettait son contrôle, soit par les age/zfes ï/z reôz/i, soit par un public enclin à la délation. Ce qui soulève d'ailleurs le problème du consensussocial à l'égard du régime impérial. A ce propos, on doit tenir comptede l'opinion d'Ammien, pourtant combien critique à l'égard des empereurs PAR LA BOUCHÉEDE L'EMPEREUR Quant à l'accusation portée contre Aristophanès,.q'était .qu'il avait introduit auprès de Parnassius [préfët d'Egypte] un devin, un de ceux dont la technique concerne.les astres pour révéler quelque chose que la loi ne permet pas de savoir. Et lui [Aristophanès]reconnaissaitbien avoir introduit le devin, mais il'disait 'que sa divination s'en était tenue'aux arasles privées de Parnassius. Nous ne contestons pas en efht que le salut du prince légitime, Et Libanius précise que, bien qu'ayant été torturé, Aristophanès n'a pas été condamné à mort : salut général,doit être assurépar l'union de tous les dévouements; pour le garantir plus solidementquand se défend la n'avoir consulté que sur des affaires privées, a eu la vie sauve protecteur et défenseurdes gens de bien, étant à l'origine du majesté attaquée, les lois cornéliennes n'exemptent des tortures, même sanglantes, aucune condition de fortune î. (On notera qu'Ammien Marcellin, pour justiôer son goût de la légitimité, se plaît à faire référenceà une loi (ë ma/esrafede l'époque républicaine, celle de Sylla, qui date de 80 av. J.-C.) En 358, toute forme de divination est interdite par la loi IX, 16, 6. Sous réservedu cas des haruspicesd'État pratiquant la religion traditionnelle, cas qui est douteux entre 358 et 371, la consultation est donc prohibée et punissablede mort, pour le devin comme pour son client, qu'elle soit pratiquée en privé ou en public, qu'elle porte sur une personne privée ou sur une personne publique. Ammien Marcellin nous révèleun autre cas où le coupable,pour Bassianus, homme très illustre, fut accusé d'avoir .essayé d'obtenir 'la prescience d'un pouvoir plus haut; .il déclara qu'il avait seulement cherché à savoir le sexe de l.'enfant que. sa femme attendait [... ] Il f\it sauvé de la mort, mais il fut dépouillé de son riche patrimoine '. Quels que soient les adoucissements apportés à.la rigueur de la loi, dans ces cas exceptionnels, par certains juges, il n'en demeure pas moins que le législateur de 358 a considéré que toute consultation portait en elle le germedu crime politique. C'est.œ qu'admet incidemmentLibanius lorsqu'il parle de l'empereur Valent Dans la réalité, malgré cette loi, il arrivera au juges d'atténuer la rigueur des peinessi la consultation porte sur une affaire privée. Ce que raconte à ce sujet Lîbanius en 362, quatre ans après Tout devin était son ennemi, ainsi que tous ceux qui, dans leur Maternus. Décrivant la vie exemplaire que doit mener l'astrologue, Firmicus Maternus écrit de plus grande importance ; la loi de 358, ressembletout à fait à ce qu'enseignait vers 337 Firmicus IË fortune, avaient recours à cet art, car il était difficile, en pré- senced'un devin, qu'on ne le consultât pas sur des sujets Prendsgarde de ne jamais répondreà un interrogateur quoi que ce soit sur l'état de l'Empire ou sur la vie de l'empereur romain, car îl ne faut pas et il ne convient pas que nous cherchions à savoir quelque chose sur l'état de l'Empire par une Une autre innovation importante de la loi de 358 estd'assimiler pour la premièrefois, dans le même texte législatif; le malus, le les châtiments, celui qui, si on l'interroge sur l'Empereur, variée que celle de la divination. Nous avons vu plus .haut que le curiosité néfaste.Mais, en vérité, c'est un scélérat,digne de tous r parle z. Libanius, trente ans plus tard, reflète la même idée 15 désir d'apprendredes dieux quelquechose de leur propre 1. Ammien, XIX, 12, 17, trad. G. Sabbat, Paris,.[es .Be//es.[er/re.ÿ,1970,t. ]], p. 156 ma/eÆcœs et le devin 4 Jusqu'à cette date, la répression de la magie apparaît comme plus ma/Idem était l'un des<<cinq >>criminels. Le malus était longtemps 1. Oral/o. XIV, 16. , :..e:œæz:ili:u!;%,=i.=;:iîiË,riES.Ut;=ÜI':û:W%î:i :i : efnaiparaMÜ ;Ü ;Û Ùi an fanaÆai ï fols meizosicÆrësasrÆaî rôi and'i. 2. ]t4à/.b.,11,30,4. 4. Surla distinctionentremarKSet malÉ#cœs, voir appendice, illPa p. 293. 278 279 T R 11 DENISE GRODZYNSKI tombé sous le.coup de la loi de Sylla Z)eifcarliÿ ef ven(#cü. En 157, le casd'Apuïée, accuséde pratiquesmagiques,relevait de cetteloi il était inculpé de ven(#cïzzm. Àu Me ;iècle, les magiciensétaient brûlés.vifs, et ceux.qui connaissaientles arts magiques étaient jetés aux bêtes et crucifiés. Et il n'y avait pas de traitement distinct pour les /zones/!ores et les À mf/faresï. C'était une répressionpire PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR Un fait divers, caractéristique même s'il n'est pas. authentique, est raconté par deux historiens du IVe siècle, le. pseudo Spartianus et Ammien, le premier puisant sa sourd dans les écrits du second l et transfémnt sans doute sur le Ule siècle ce qui était observable au IVesiècle.A propos du règnede Caracalla,Spartianusécrit que ce]]e qu'on réservait a]ors à ]a lèse-majesté.En revanche. la loi Ceux qui et utile à l'agriculture. Comme on l'a souvent fait remarquer,il existe pour cet empereurune bonne et une mauvaisemagie. Mais le même certains même furent condamnés pour avoir porté des amulettes rremeda.) attachéesautour du cou pour se préserver de de Constantin ÏX, 16, 3 (vers 320) autorise une magie utile à la médecine Constantin,.en 322, à l'occasion d'une naissance impériale, accorde uœ amnistieà tous, sauf aux vend?/îci, aux adultèreset aux parri.es CI ll y avait eu parfois certaines analogiesentre ïe traitement des astrologues et celui des magiciens, ]orsqu'i]s avaient été ïes uns et ]es autres chassés de Rame et d'ltalie par des sénatus-consultes a. Mais. juridiquement, cette absencede distinction entre la magie et la divina: bon est exceptionnelle jusqu'au milieu du IVe siècle Les lois de 357 et de 358, dont nous avons donné le texte ci-dessus, réprouvent.et répriment de la même façon les pratiques magiques et divinatoires,même si elles attribuent aux seuls sorciersles qualiôcations injurieuses. Ces deux lois, ainsi que deux autres, postérieures, avaient uriné dans le lieu où étaient placés .des statues et des bu êtes de l'empereur furent condamnés. [...] Et la fièvre quarte ou tierce ' Et Ammien En efïët,œlui qui portait autourdu coudesremèdes contrela lèvre quarte ou une autre afïëction, celui qui était convaincu par des dénonciations malveillantes d'être passéle soir le long d'un monument funéraire était tenu pour empoisonneur rien(glus,) [...] et déclarécoupabledu crime capital : il était mis à mort. Broc on poursuivait l'affaire aussi sérieusementque si beau coup de gensavaient sollicité le.dieu de Claros?les arbresde Dodoneet les oraclesde Delphespour obtenirla mort de l'empereur 3 accusent le magicien et le sorcier d'être <<étrangers à'la nature >> (IX, 16, 5), <( ennemis du genre humain )> (IX,'16, 6), <<ennemis du salut commun >>(IX, 16, 11). Elles incriminent aussi les sorciers Il importe peu en l'occurrence que œs faits soient vrais,. faux ou exagérés.Certains d'entre eux appartiennent à un topos très ancien des êtres pudiques (IX, l'autre, c'est que l'anecdote a paru significative -- s'emploient à illus- de <<troubler les éléments>>(IX, 16, 5), de soumettreà leurs désirs de 'empereur despotique 4. Ces deux auteurs -- .et, sj l'un répète plaisant dans ]a soui]]ure (]X, 16, 6. ] 1). trer en quoi le règne de l'empereur est, à leurs yeux, intolérable : en 16, 3), d'être des créatures souillées et se com- Les législateursn'osent pas qualiûer de cette façon odieuseles devins; les astrologues sont trop savants, les haruspices et les augures trop proches de leurs homologues de la religion officielle. C'est en assimilant les devins aux sorciers que l'on transmet aux premiers la culpabilité des seconds. Parmi les accusationsportées contre les magiciens,celle de crime politique n'est pas exclue : <(Troubler les éléments >>-- ce dont se targuaient depuis longtemps toutes les magiciennes de Thessalie -- c'est troubler l'ordre du monde dans lequel la place impériale est inscrite. ])onc toute magie porterait atteinte elle aussi, comme la ce qu'il réprime comme crime d'État un comportement privé consistant à recourir à une amulette prophylactique. De plus, le texte d'Ammieïi rend évidentecette contamination entre la pratique de la magie et celle de la divination ,:.le port d'une amulette prend la signification d'une consultation d'oracle sur la mort de l'empereur.' La remarque d'Ammien explique pour$uoï sont misessur le mêmeplan deux pratiques à première vue très différentes : c'est le fait de /luire à /'.Erar, de vouloir la mort de l'empereur. Le sensde la législation contenue dans le Code théodosien a été remarquablement perçu par Ammien. divination, au pouvoir de l'empereur. 1. Paul, Se/z/e/zce.ç. V. 23. 17. 1. R. Syme, .Hmmïa/zæs a/zd /Æe .Hïsforia 3. Cramer,op. cfr.(flpra, p. 267 n. 4), p. 234. 2. X.ZZJ. Cb 2. C. 7%.,IX, 38, 1 (322). 280 .d ægzz.çfa,Oxford, 1968, P. 32-33. ca/Zà,ad. G. Sabbah, Paris,.Z,es .Be/h.ÿZef/les, 1970, t. 11, P. 156. 4. guet., 7ïô., 58, 3. Syme,/oc. cï/., p. 32. 281 PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR DENISE GRODZYNSKI Cependant, le témoignaged'Ammîen Marcellin lui-même fait comprendrel'attitude répressivedes empereursà l'égard de la divination. .Ne voit-on pas, dans ]e monde de la cour, un grand nombre de dîgûtaires en fonction ou à la retraite. desex-Préfetsde la ville ou permet de. se représenterles coteries rivalisant dans l'espoir d'un changementde règne. Tant de hauts fonctionnaires ont consulté haruspice,pour connaîtrele nom du futur empereur?Certainsd'entre nous parle ne cessentde consulter sur les afïàires de l'État et se préoccupent fort peu de consulter sur leurs affaires privées ï. Il est évident que, pratiquée dans ces catégories élevéesde la société, la divination pouvait représenter un danger pour l'empereur, qui s'empressait de la réprimer. du prétoire,desex-gouverneurs, consulter,qui un oracle,qui un eux vont chercher auprès des devins la connaissance du destin pour donner corps à leur espoir, jusqu'alors fragile, d'accéder eux-mêmes au trône impérial. Rien de plus significatif à cet égardque la triste histoire d'Assyria et de Barbation. Barbation, un commandant d.infanterie r>e(üs/ris mï///ïae recrorJ, consulte des experts en prodiges pour connaître la signification à donner à un ess;im d'abeilles qui, soudainement, s'était formé chez lui. Il lui est répondu que cet un devin ou un oracle pour connaître leurs chances d'obtenir l'empire qu'on peut en déduire que cette divination constituait une forme d'opposition politique à l'Empereur. Les dignitaires,dont Ammien Mais cette répressionne date pas du IVe siècle,nous l'avons vu. Elle est née en même temps que l'empire. Les empereursjugeaient nécessairede trouver une légitimité à leur pouvoir ailleurs quç dans la missive, elle le supplie de ne pas la répudier une f ois qu'il sera empe- victoire. C'est dans l'ordre cosmiquelui-même qu'iîs ont cherché la conÊrmation de leur souveraineté.La conâguration des astres à leur naissancesigniûait le consentementdes dieux à leur règne. Les empereursse réjouirent de cette garantie divine manifestéepar déjà imaginée veuve. La servante dénonce ses maîtres qui sont exé.l donner de la publicité à leur thèmezodiacal. amen annonce un grand péril. Assyria, l'épouse de Barbation, a alors une.co.nduite étrange ; elle fait écrire par une de sesservantes une lettre en écriture chiffe'ée,pour son mari, parti en expédition.Dans cette reur, . et de .ne pas épouser Eusébie, l'impératrice alors régnante, butés, ainsi que d'autres, sur ]es ordres de Constanceil î. Ainsi la conduite intempestive et niaise de l'épouse avait eu des conséquences terribles : l'empereur avait pris au sérieuxle présage.Mais le plus remarquable en l'occurrence est l'interprétation qu'avait donnée Assyria à la réponse des experts. Ce <<grand péril >>,'donton ne sait qui il menace,voilà qu'il signifie pour cette sotte femme l'accession de son mari au trône impérial. C'est dire combien elle avait projeté ses désirs, et ceux de son époux, dans l'insignifiance totale de la réponse donnée. Cet exemple est loin d'être isolé. Dans le grand procès de Théodore qui se.déroule en 371,.l'oracle -- il s'agit ici d'un anneau suspendu à un. fil qui, par son. balancement, désigne les lettres de l'alphabet inscritessur un. cerclede métal -- n'avait encoredésignéque les trois premières lettres du nom du futur empereur, (DEO; à peine la quatrième lettre, .A, fïït-elle indiquée, que l'un' des participants s'exclama que Théodore était celui que le destin venait de nommer a. Combien prompte avait été la réaction de cet homme, à qui une indi- cation incomplètesuMsaitpour connaîtrele nom entier du futur empereur (:! fait, ce füt Théodose qui, huit ans plus tard, succéda à Valent). Il y avait donc un groupe d'amis, constituéautour de Théodore, qui escomptaitl'acœssion de celui-ci au trône. Cela 1. XVl11, 3, 2 s. leur horoscope. C'est pourquoi, jusqu'au He siècle, ils voulurent Auguste [après avoir consulté l'astrologue Théogène qui lui avait prédit un avenir exceptionnel] eut si grande confiance dans son destin qu'il ât publier son horoscope r'r/semavu4gaperlfJ et frapper des piècesd'argent portant le signe du Capricorne sous lequel il était né '. Deux siècles plus tard encore, Septime Sévère, nous apprend Dion Cassius,connaissaitle destin qui l'attendait grâceaux étoiles sous lesquelles il était né; il les avait fait peindre sur les plafonds des piècesdu palais où il rendait lajustice, de façon qu'elles fussent visibles de tous, à l'exception de cette portion du ciel qui -- comme on dit -- observe l'heure [c'est-à-dire l'horoscopes;car cetteportion, il ne l'avait pas fait peindre de la même manière dans les deux pièces3 S'inscrire dans le cours des astres est une solution qui comporte des avantageset des risques. L'empereur y gagne la caution des dieux et une garantie contre l'usurpation, car il devient difhcile de détrôner celui dont le destin va de pair avec l'ordre du monde; 1. 11est difficile de savoir quelles étaient les questions poséesaux devins..Nous ne possédonsguère, pour le we' siècle, les horoscopes que les astrologues établissaient après consultation de leurs clients. O. Neugebauer(creek Jïaraicopex, Philadelphie, 1964) n'explique pas cette lacune de la documentation. 2. XXIX,1,32. 2. guet., ,4zŒ.,94, 19. -- 3. .Z»//., 77, 11, 1. 282 283 T DENISE GRODZYNSKI PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR mais, puisque le déterminisme astral n'est pas un monopole impérial, chacun peut se croire destinéà l'empire si la prédiction d'un devin l'a annoncé.Cela, Franz Cumont l'expliquait dès 1897: Et il montrait que, pour remédier à ce danger d'usurpation, la peine de mort était brandie contre les astrologues l Nous pouvons ajouter quelques mots pour rendre plus sensible la logique du systèmerépressif à l'encontre de la divination. Comment faire, quand on est empereur,pour que cessenties prédictions en faveur des autres? Firmicus Maternus avait bien, au début du IVeSiècle, imaginé une théorie ingénieusequi rendait nulle et non avenuetoute consultation d'haruspice et d'astrologue au sujetdu Princeou de l'Empire a. Sa théorie ne flat pas entendue.Les empereursusèrent d'un moyen rigoureux pour empêcherune prédiction qui aurait pu mettre leur trône en danger : ils interdirent la divination. Point d'horoscope, point d'empire. Les tentatives d'usurpation (fréquentes à causedesconditions historiques, parmi lesquellesil faut mentionner l'absence d'une successionhéréditaire légalementétablie) ne purent plus prendre pour prétexte la connaissance d'un horoscope. La répression de la divination fut une solution simpliste, et qui se révéla inefhcace, pour tenter de s'opposer aux usurpateurs. Même si les empereursn'ont pas à faire face à une usurpation caractérisée,ils ne tiennent pas à ce que leurs sujets connaissent la date de leur mort. Car un empereurdont on saurait quand il mourra serait dÿà un empereur mort. Personne n'accomplirait son devoir civique ; les impôts ne pourraient plus être perçus; tous chercheraientà savoir le nom du futur empereur, les coteries s'organiseraient, la police changerait de camp... C'est bien pour cela que SeptimeSévèren'a pas fait peindre sur les plafonds la totalité de son thème zodiacal : n'importe quel astrologueaurait pu prédire la date de sa mort 3 1. <<L'éternité des empereurs 1897,P. 435-452. romains », .Revue d'.ë/s/o/re ef c?ë/ï/féru/ære /"e/Üiease, t. l, ' ' pas soumis au cours dçs étoiles et il est le seul dans le destin de qui les étoiles n'ont pas pouvoir de décision. Étant donné qu'il est le maître du monde entier.' son destin est régi par le jugementdu Dieu suprêmersüm/n s dezïsJ[...] ]] est ]ui-mêmemis au nombre de ces dieux que la divinité a préposésà la création et à la conservation de toute chose ». Pour les daru?puces, il en va de même : puisque la puissancedivine qu'ils invoquent est inférieure à celle de l'empereur, ils ne peuvent rien prédire de juste sur l'empereur (]\4ÏzrÆ., 11,30,5-6). L'argumentation de Firmicus devait être bien accueillie par les empereurs, puisqu'elle les plaçait parmi les dieux; néanmoins, elle leur ôtait cette garantie divine que les empereurs allaient chercher.dans leur horoscope. La doctrine deFirmicus avait aussi pour but n'était plus fondée <<scientiûquement ». 3. Cf. Cramer, olp. cf/., p. 21 1. : l'accusation dimcultés,il eût pu craindre une usurpation. Julien, au contraire, a encouragéla divination. Dans les entraillesd'innombrables bêtes sacriôées, les haruspices professionnels ou amateurs cherchaient les réponsesdes dieux î. Comment s'explique cette attitude? En ce siècle de christianisme, le retour inespéré au paganisme, que représente le règne de Julien, s'accompagne d'un exercice excessif des pratiques de l'ancienne religion; la divination est l'une d'entre elles. L'empereur Julien, en outre, a une confiancetotale dans son destin. C'est par un oracle qui lui füt directement adressé et pour lequel il n'avait pas eu besoin d'interprète qu'il savait que les dieux l'avaient choisi 2 et avaient même insisté (comme il l'expose lui-même) pour qu'il devîntempereur a. La qualitéde la divinationqu'il avaitreçuele mettait à l'abri de la vaticination rude de sessoldats.ïl n'avait donc aucun motif; ni religieux ni politique, de réprimerla divination. L'exemple de Julien est, au IVe siècle, unique. Les empereurs, chrétiens depuis Constantin, ont, comme leurs prédécesseurspaïens, condamnéla divination et pour les mêmesraisons politiques. Car même s'ils ne pouvaient accorder fbi, étant chrétiens, à l'astrologie et à l'haruspicine, ils savaientfort bien que ceuxà qui le gouvernement du monde romain avait été prédit se sentaient devenir empereurs. Ils se croyaient donc obligés de condamner les devins par raison d'État. Et, nous l'avons vu, le Code théodosienchâtie d'une manière particulièrement vigoureuse tout ce qui porte atteinte à l'Etat. Mais, si les lois du Code théodosien deviennent dans tous les domaines plus dures, plus contraignantes, et condamnent plus qu'aupa . 2. Firmicus Maternus s'emploie à prouver que jamais un astrologue n'a pu déûnir quelque chosede vrai sur le destin de l'empereur, car <<l'empereur seul, en efïët, n'est de protéger. les devins contre la sévérité de la loi Seul, au IVe siècle, l'empereur Julien n'a pas eu recours à la logique brutale de ce systèmerépressif. Placé cependant au milieu de mille de lèse-majesté ravant à la peine de mort, est-ce parce que l'empire çst moins affermi qu'au Hle siècle? Il est aisé de comprendre que l'État doit afHrmer son pouvoir contre les pore/ères qui corrompent ses magistrats, lutter contre la désertion des soldats à une époque où les invasions sont si fréquentes; comment expliquer, toutefois, que l'adultère et le pédérastesoient désormaispunis de mort et non plus d'internement comme au Ule siècle 4, que les devins soient inconditionnellement 1. Ammien.XXI.2,7. 2. Ammien. XXI. 2. 2. 3. Dans le discours contre Héracleios, Julien propose un mythe qui raconte sa vie. Hélios lui est apparu; il lui demandede juger <(ï'héritier>>(Constance). Julien.critique ]'empereur, les'dignitaires et le peuple. Hélios propose à Julien d'être .administrateur généralr(ÙifroposJ à la placede l'héritier. Triple protestation deJulien, triple insistance d'Hélios. ]ulieiï consent'enfin.(Julien, l)ïscoærr }'#, 231 ç-232d.) 4. Paul, Se/zre/zces, 11, 26, 14. 284 285 T DENISE GRODZYNSKI PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR frappés de la peine capitale à laquelle ils échappaientparfois à l'époque l'énormité du Grimede vouloir violer les lois de la nature elle-même,de se livrer à l'examende ce qui n'est,paspermis par la loi, de vouloir découvrirce qui est caché:de t:nter des Sévères,bien qu'à ce moment là les usurpationsaient été plus nombreuses qu'au IVe Siècle? On voit que les circonstancespolitiques ne sussent pas à expliquer cette aggravation généra]edes peines au Bas-Empire.]l y a d'autres causes.Elles sont sansdoute en rapport avecle changementd'idéo- œ qui est interdit, de chercher à connaître le terme de l'exis- tenœ d'autrui, de nourrir par une promessel'espoir de la disparition d'autrui logie. En un siècle où la majorité des habitants de l'Empire abandonne le paganismepour serallier au christianismeet où le pouvoir d'État De ces violents anathèmes,il ressort qu'une des causesde.l'inter !igÊ;l Ü11ËIËÜëœl:Ëüf: fi a'lm: :lg'Üàl:ÊâfæF=mœ }'ùT=œn':.ü= devient chrétien, il est permis de se demander si les nouvelles concep- tions religieusesn'influent pas sur la législation. L'opinion ]a plus couramment admise jusqu'ici a été que la répression de la divination faisait partie de la lutte contre le paganisme. A bien des égards,elle est recevable,mais elle est incomplète. Il n'est pas douteux en efïët qu'il existe desliens étroits entre'la divination et les dieux gréco-romains, même si les philosophes païens critiquent leurs propres dieux et refusent autorité aux Ol:ailes.'Mais il conviendrait de déterminer à quel élément constitutif du paganisme s'en prennent plus spécialementles chrétiens quand ils s'attaquent à la divination. Les exposésdes motifs incorporés aux lois du Code théodosien sont particulièrement explicites. Ils donnent dans un vocabulaire moralisateur la justiûcation philosophique des dispositions légales et de la répression,dent le fait de consulter tout court. Les lois du Code Théodosien, surtout après Constantin, mettent .l'acœnt.sur le édictées.Ce sont les lois qui interdisent les sacrificesqui exposent avec le plus de clarté et de véhémenceles raisonsprofondes'de la caractère répréhensible de la cur;osïïas dvlnand évoquée par la:loi IX, condamnation de l'haruspicine 16. 5. Cet;; cmfosïfasest condamnée plus encore que la divination HU€ C. m., XVI, 10, 9 (385). Qu'aucun mortel d'obtenir par [...]. n'assume l'audace de faire des sacriûces qui lui permettent, par l'inspection du foie et des entrailles, un présage l'espoir d'une vaine promesse, ou '-- ce qui serait pire -- de connaître le futur par cette exé- crable consultation. Le tourment d'un supplice particulièrement amer menaceraceux qui, à l'encontre de cette interdiction. 'y avait mêmeun' dieu, Apollon: qui patronnait les devins.Les tenteraientd'explorerla vérité du présentet du ftltur. C. 77z.,XVI, lO, 12 (392). [...] Et si que]qu'un ose immoler une victime en sacrifice ou consulter sesentrailles palpitantes, que, à l'exemple du crime de majesté, l'accusé, dénoncé par une délation permise à tous, subisse le verdict adéquat, même s'il n'a rien cherché contre le salutdu prince ou au sujet de celui-ci; car il suit pour établir 286 1' 287 PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR DENISE GRODZYNSKI les .dieux au moyen du rêve ou de l'oracle, sur les autres formes de divination, réalisées par des hommes de métier ï. Porphyre, au IUe siècle ap. J.-C., est dans la même ligne de pensée : pour lui, le rôle de l'homme est trop grand dans la divination pour que celle-ci soit valable: Il démontredans la PÀÏ/os(paieüs arec/es, à la fois la très grande puissancedu devin et son inanité anale. L'homme est en capable de contraindre Hécate 2 ou Apollon 3 à parler quand bien même ceux-ci n'y sont pas disposés. Mais cette efRcacité humaine ne mène à rien ï .obtenu de cette façon violente et artiôcielle, l'oracle perd sa valeur divinatoire. Dans les .i14ÿsïêrei d .ég)p/e, .Jamblique dénigré plus encore le rôle de l'homme en matière'de science4 comme en matière de divination. Aucune faculté humaine -- intuition, connaissances ou tech- niques 5 -- ne remplace la libre volonté de Dieu ô. La seule vraie mantique est, pour lui, la mantique divine qui, unissant les hommes aux dieux, donne à la fois prescience et bonheur 7 Les lois elles:mêmes portent témoignagede la supérioritéde la divination procédant d'Ùn contact vé;italie avec la divinité sur les autres formes de divination. Paul, dans ses Se/z/encei, semble reprocher aux vafïcïlzaïores de feindre d'être inspirés par la divinité f'm/fcfnafores gz/ïse cëo.p/envoi adkïmuhn/,Jalors qu'ils ne le sont .justement pas ?. .Ce qui n'est évidemment pas la cause de leur condamnation. Mais ce ne sont pas seulementles néoplatoniciensqui expriment la penséepaïenne.Pour Libanius par exemple, la mantique habituelle a son utilité; ï'haruspicineet l'augurat donnentà ce rllkteur desindications qui lui permettent de diljger sa vie; en revanche, l'astrologie, il l'écarte : trop déterminante,elle l'empêcheraitde choisir et d'agir o. En aucun cas, pour ces hommes éclairés, le devin n'apparansait comme un personnage <( étranger à ]a. nature >>et nécessairement les dépos:tde dwontde la'(divination faite aux Hébreux s'accompagne de l'annonced'un prophète: <(Le Seigneurton Dieu susciterapour [. ]]#ëfSeïge Lancel, auÊsï ]]],i] 5 et préoccupations spirituelles chez Apulée >>, RJ7R 160.Î96Î, P. 2546. 4. Prœrepa æVl11,3i 5;. avec le jeu de mot habituel maæ/ÏÆ&ma/ziÆë, divination- M divagation. 3. Æ,ïd., 11, 202, p. 158, wo181.''' 4. IXI, 5, p. 205 desPlaces,Paris,Ze.ç.Be//ë.î .Le//rei, ] 966. 5. !d., ü/a, X, 3, p. 2îi. 6. Id., ïôïd. ra 249 s. 8 V 21 l /ofÆ;/êsJ. ' ''''''''''' '' ' 4, P. 212. Sur Porphyre et Jamblique, consulter l'article de J. Carlier, 9. Cf. Norman, ap.cfr.(supra,p. 269n. 1),introduction,p. xix, xx. 289 288 l DENISE GRODZYNSKI toi, parmi tes frères, un prophète ï. >>Les Écritures placent une distance infranchissable entre la divination des païens et la prophétie juive. Les Pèresde l'Église adoptentcettedouble attitude; ils condamnent la divination païenneet glorifient le prophétismede l'Ancien Testament qui, pour eux, annoncela venuedu Christ. C'est pourquoi Origine juge irrecevablesles argumentsavancéspar son adversaire, le païen Celle. Pour celui-ci en efïët, les chrétiens pratiquent divination et magie tout comme les païens. Origine se défend d'une telle accusation z. ïl ne peut établir aucun rapport entre la prophétie donnée directement par le Dieu desJuifs et les pratiques divinatoires des païens. Même si les prophètes de l'Ancien Testament ont été obligés de faire des prédictions portant sur des événementsquotidiens, c'est-à-dire à la manière païenne, c'est, dit Origine, pour la consolation de ceux qui désiraientde tels oracles.Car les hommes pousséspar cet <<insatiable appétit humain de connaître l'avenir auraient méprisé leurs propres prophètes, comme n'ayant en eux PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR Rmu:.:,::=u; nœ i:;W='W.;S! := leschrétiensquel'habitacledu diablequi agit à traverslui. rien de divin [...] et se seraient tournés spontanément vers la divina- tion et les oracles des païens 3 >>.Même si les apparences de la divination sont semblables, enseigne donc Origine, il n'y a cependant rien de commun. Les païens servent les faux dieux, les seconds œuvrent pour la gloire de l'Éternel et annoncentla venuedu Christ, ennemi des dieux païens.C'est pour mieux les vaincre que les prophètes emploient les pratiques de leurs adversaires. Pour les chrétiens, les faux dieux du paganisme ne peuvent donner que de faux oracles. Le vrai Dieu d'lsraël donne des prophéties vraies. La différence est au niveau du divin. Mais un autre clivageapparaît; il porte sur le rôle joué par l'homme en matière de divination. Dieu n'est pas plus accessibleaux humains pour [es chrétiens que pour ]es néop]atoniciens, et ]a même nostalgie du divin les habite. Mais si tenter de connaîtrela volonté de Dieu n'est qu'une entrepriseintellectuellement lamentableaux yeux des néoplatoniciens, elle est coupable et condamnable pour les chrétiens. Le mortel en efïët, s'il s'imaginepouvoir accéderà ce qui est caché, dépasseson humble condition. Cette audacene peut alors lui être inspirée que par le diable. Tous les Pèresde l'Église accusentles devins et les sorciersd'être les suppôts de Satan, et c'est son action qu'ils condamnent invariablement chez les hommes qui pratiquent WMœ 1. Deut 18. 14. 2. Contre ëe/se,1, 6; J, 26. Saint Augustin, dans sa réfutation du Z)e dïpïæalfane de Cicéron, montrera que nier toute presciencedivine et toute possibilité de divination conduit à l'athéisme; On peut penser qu'il préférerait le./bfæmdes Stoïciens à la doctrine de Cicéron, qui comporte cette possibilité d'athéisme (CïP. l)ef, V, 9-10). 3. Coffre (%üe, 1, 36.Trad. diM. Borret, « Sourceschrétiennes» 132, Paris, 1967. 290 291 T PAR LA BOUCHE DE L'EMPEREUR DENISE GRODZYNSKI prophétie biblique, et faisaient des devins les créatures du diables Elles ne s'en prenaient certes pas au diable, mais aux hommes qu'jl inspirait, sorciers, devins, et magiciens, tous coupables de détenir une puissancedépassantla norme. Le diable, c'est des spéculations théologiques des Pères de l'Église qu'il relevais Ceux-ci ne s intéressaient pas à l'homme -- laissant ce soin à l'État -- mais au démon qui l'habitait î. Quant aux saints hommes,.par une.humanité extrême, iîs exorcisaient les possédés. Mais ce n'était là que juste compensation de la dimension quasi divine que venait de recevoir le mal, du fait du christianisme. Les hommes, maintenant que l'explication du mal était donnée (le diable) en mêmetemps que son remède(l'appartenance.à l'Église clïrétienne),étaient en mesurede choisir entre le bien et le mal en toute connaissancede cause.Le coupable pouvait dès lors être châtié plus sévèrement qu'auparavant. L'État était là qui assumait vis-à-vis des hommes un rôle répressif pleinement séculier. Et l'empereur chrétien,maître politique et vicaire du Christ sur terre, exigeait un loyalisme qui' s'inscrivait dans le règne général d'une morale vertueuse maintenue autoritairement par des sentencesde mort. .A4b/lgcïum désigne en outre la nocivité de la nature, celle .qui est contenue dans certaines eaux et herbes, dans les animaux et dans ïes astres. C'est sans doute ce ma/(#cium inquiétant et dangereux qui a permisl'évolution sémantiquedu mot vers le sensde magie. l.Jn nouveau sensapparaît en efïët au Ue siècle chez Tacite et Apulée. .A4b/i$cïumest alors en relation avec une action magique; Apulée se défend d'être un mages, magicien; il dit : cüïn efsï maxime malus forem, tamenostendamnique causamullam nique occasionem Joisse, 'uf me lpza/iqüo ma/égcio e.Werirenfur. L'auteur joue sur les deux. sens du mot magzzsi mage et magicien; mage et philosophe, et sansdoute aussi sur les deux sensdu mot ma/€Wcïum= méfait habituel, ou mauvaise action du magicien. Tacite donne au mot ma/locus un sensmoins douteux. Racontant un épisodede la rivalité de Germanicuset de Pison, il dit que tous les moyensfurent employéspar Pisan pour faire mourir son ennemi <<On 'trouvait sur iè sol [...] des lambeaux de cadavres déterrés, des formules d'enchantement, d'imprécations, des tablettes de plomb sur lesquellesétait gravé le nom de Germanicus,des débris humains [...] et'd'autres ma/(Wcczpar lesquels on croit pouvoir dévouer les âmes aux divinités inÏërnales )>.(,4nn., 11, 69, 4). 1ci, ma/(gca, neutre substantive,indique les pratiques propres à obliger les divinités APPENDICE infernales à faire mourir quelqu'un. Ces pratiques relèvent à l'évidence de la magie. Quant à l'adjectif proprement dit, ma/IOczlx,îl a subi la même.jvo: lution sémantique; il désigne d'abord ce qui est malhonnête .Puis, mal©cusjmat($cium ])ans la loi C. 7b., IX, 16, 4 comme dansle titre du Code,le mof ma/l?/écus peut être traduit par << sorcier >>, mais l'étymologie .ne perd pas ses droits, le ma/(gms est toujours celui qui<< fait le mal >>. ÎI en ÿa de même du substantif ma/Égcïum.Ce mot, nous le trouvons souvent dans les textes du Code Théodosien. l,e ions éïymo/ogïgue de ma/(gcïum se trouve dans toute la littéra' l turc latine. ColumeÏleécrit que <<le chien, dans une forme, est là pour s'opposeraux mauvaisesactions rma/q/îcïa,)des hommes.» (Vl1, 12,'4). Gaius : <{Les méfaitsrma/l$cïaJ commispar les ôls de fàmi[[e et ]es esc]aveste]s que vo]s et injures ont donnénaissanceaux actions noxales )> (Æsf., IV, 75). Saint Augustin oppose encore le be/z(gcïzzm au ma/($cïum(Cïv. .Dei, 11,23). 1. P. Brown, art. cit.(izlpra, p. 268 n. 2) p. 137, insiste sur le fait que les Pères de l'Église ne s'intéressentpasaux sorcierseux-mêmes!mai? au diablesIls essaientd'im?o ser leur point de vue aux chrétiens qui, eux, gardaient de la sorcellerie une image plus humaine. 292 chez Apulée, le changement de sens est réalisé. Il fait parler Photos, la jeune servante dé la magicienne Pamphile, qui à l'accoutumée va chezun coifïëur f aire provision de mèchesde cheveux(mèchesqui serviront aux actions magiques de sa maîtresse). Elle dit : <(Nous sommestrès mal jugées dans la ville, étant adonnéesà la sciencedes maléfices rma/@cae dsc@/ïnaeJ )>(Méram., n1, 16). A partir du Ue siècle, le <<maléûce )>désigne donc l'action magique. Il reste encore à définir ma/lî/îcz/s par rapport à malus. Apulée, dans les .Mé/amok/zosei,emploie indifféremment les adjectifs magïcui et ma/(écus. Les magicienïies qu'il met en scèneopèrent sur descadavres, leur prennent des ongles, des oreilles, le bout du nez. Elles sont capables aussi de métamorphoses qu'elles accomplissent avec des pommades. Souvent nommés avec toute une série de malfaiteurs, les maxi et les ma/(gcï ne sont guère séparables.C'est le Code théodosien (IX, 16, 5-6)' qui donne, chronologiquement, la première distinction; les lois expliquent en efïët que c'est le væeusqui appellema/(gcœsle magzzs,<< a cause de l'ampleur de son fbrfàit >>.Les ma/(gcï, plus aptes 293 T VENISE GRODZYNSKI à faire le mal, et particulièrement impressionnants b pour Dr A. RETEL-LAURENTIN le vzz/gus, sont des magiciens supérieurs. Cette explication est corroborée par Saint Jérôme(f/zZ)an.,11,2 P.L, 25,p. 498), qui ajoute que les ma/(gci utilisent le sang et les cadavres.Saint Augustin explique aussi que les La force de la parole poètes sont appelés nïa/€gcï par le pzzlgEzs (Cïv. Z)eï, X, 9). Pour toutes ces raisons, nous proposons de traduire ma/l:/écus par << sorcier >>. Nzakara +, Anique Mais le sens étymologique demeure toujours présent à l'esprit de ceux qui emploient le mot. Il faudrait aussidéfinir ma/lgczïi par rapport à veæ(Obus. Les constitutions d'amnistie du Code Théodosien les nomment toujours La divinationest de tous les tempset de tous les peuples,mais ensemble,comme s'il y avait une équivalencetotale entre les deux criminels (IX, 38, 3, s.) La loi IX, 38, 4, décrit lesactesdes criminels, au lieu de nommer le crime. Les zna/(gcïet venl#cï <<composentdes les pratiques et les intentions diffèrent profondément selon les cul- nocives et sur lesquels ont été murmurées des paroles secrèteset funestes>>.Mais, dans les lois qui interdisent l'exercice de la magie apparemment certaines pratiques des populations du Cameroun poisons pour l'esprit et le corps, poisons recherchés dans les herbes (IX, 16, 6, s.), le maguxn'est assimiléqu'au ma/(#cz/s, et non au ven(Oczzi, alors que jusqu'au He siècle le malus devait répondre du crime de ve/zeÆcïum. bures Par exemple,la divination chinoisepar les écaillesde tortue rejoint ou de l'Angora; mais tandis que ces dernièresn'examinent que la position ou la chute, les Chinois cherchent dans les assures de l'écaille des signesvisuels aussi complexes que ceux de leur écriture. Pour aller à l'extrême,un récentvoyageau Japonnousa fait entrevoirune culture dans laquelle une extraordinaire richessede signes écrits contraste avec la pauvreté des phonèmesdans le langage parlé. Les Japonais que l'on voit converser dans les rues entrecoupent leur conversation de : yal ya! et de signesgestuelspour corriger l'ambi' guïté de leurs paroles, et les écrans de télévision secouvrent perpétuel- lement d'une suite de caractèresgraphiques qui se superposentaux imagesafin d'éclairer les millions de téléspectateurs sur le sensdu discours. On ne s'étonnerapas que, dans de telles sociétés,les techniques divinatoires fassent appel à un système de signes visuels complexes. Pourtant, on ne peut lier -- par une sorte de renversement -- la supré' marie des signes auditifs sur les messages visuels à l'absence d'écriture une ethnologue, Mme Deluz, qui découvrait une population indienne de Colombin, aprèsavoir observéles Gouro de Côte d'Ivoire, soulignait l'extraordinaire logorrhée africaine, par contraste avec le silencedes villages indiens dans lesquels toutes les questions posées par l'étranger paraissent malséantes. On a souventmis l'accent sur /'arf cü /a Faro/een Afrique. Il n'est dèslors pas étonnant que le langageoral y tienne une grande + Les termesnzakara ne sont écrits en italique que lorsqu'ils sont transcrits selon les règlesde phonétique internationale. Toutefois, les trois tons de la langue(haut. bas, moyen) ne sont pas indiqués. Par exemple, ôe/zgese prononce bengué. 295 V LA FORCE DE LA PAROLE DR A. RETELüLAURENTIN place dans les consultations divinatoires, comme dans les afïàires de la vie privée ou publique; et que les techniques n'utilisent que des signes visuels sommaires. Ces brèves remarques, loin de nous conduire à des discussions sur a. La hiérarchie despi'étiques divinatoires. Qu'il y ait un intermédiaire instrumental ou non entre les révéla- l'origine de l'écriture, expliquentque nous ayonsété tentée d'expli- tions du devin et son public, lesmotifs desconsultations sont du même sion même au langage. Nous pensons que les techniques dans lesquelles un instrument répond par oui ou par non à un dilemme servent village. C'est cet univers invisible qui est à la base des malheurs inexplicables,et inexplicables, les malheurs le sont finalement tous plus ou moins. En efïët, les Nzakara qui, comme beaucoupd'autres sociétésafri- quer le succès de techniques divinatoires africaines, apparemment élémentaires, en tout cas pauvres en signes visuels, par leur soumis- ordre. Le but de la rechercheestd'expliquer l'intervention desesprits et desforcesinvisiblesqui perturbentla vie d'un hommeou d'un parfaitement à la dialectique africaine, du moins chez les Nzakara de la région de Bangassou,à l'est de la République centrafricaine, chez lesquels nous avons enregistré sur bande magnétique une série de consultations divinatoires efïëctuéespar des devins différents ï. Ce cainesme semble-t-il, utilisent volontiers le jeu descontraires dans leurs raisonnements, opposent les êtres en chair et en os aux esprits invisi- groupe ethnique, apparenté à celui, beaucoup plus connu, des Zandé, bles, les événements connus à l'inconnaissable de leur origine invisible, ; l'intérêt d'&re à ià jonction de trois vastes aires culturelles, souda- et la vîe en société (le village) à des forces antisociales (la brousse). De ces deux univers opposés, un seul disposede la parole claire et intelligible : celui des hommes. Les esprits manifestent aux hommes naise, nilotique et bantoue. Nous décrirons sommairement lesprincipales techniquesdivinatoires et les motifs de consultation, en insistant sur la signification de l'alter- leur volonté et leur activité par des malheurs et accidents, mais le motif native que l'instrument proposeau spécialiste;puis nous tenterons de cette maAifëstationest indéchifïtable. C'est pourquoi le langage une analyse sommaire du raisonnement et de la psychologie des devins, des devins, prophètes ou instrumentistes doit être clair et sans ambiguïté. Nous dirions même, à la limite, que, dans un contexte d'hostilité, à partir de trois consultations divinatoiresque nous avonsdéjà publiées'. marmonner peut faire soupçonner la sorcellerie. Le caractère de la Ç 1. LES TECnNÏQUES DIVINATOIRES DES NZAKARA ET LA VALEUR DESSIGNES démarcheorale au cours de laquelle s'élabore la révélation semble donc jouer un rôle dans la crédibilité de la révélation. Or la parole tient une place différente selonque les devins utilisent ou non un instrument. Ceci peut expliquer une hiérarchie de crédibi- lité entre les songes, les danses et les techniques instrumentales l Lorsque les Nzakara s'inquiètent de savoir qui a causé la maladie Les Nzakara utilisent maints objets dans le but d'interpréter les événementsqu'ils jugent dommageables ou inquiétants; mais ils accordentaussiun certain crédit aux rêves,et aux parolesprononcées par ceux qui sont possédésdes génies,occasionnellement ou habituelle- ment. Ces prophéties occupent cependantun rang inférieur dans la hiérarchie des pratiques divinatoires, et de cela nous allons essayer de voir les raisons. 1. Une partie de ces consultations sont traduites et commentéesdans Oracles ef Ordo /ïesc.hezZlæ.iVlzaÆam. Mouton, Le monde d'Outre-Mer passéet présent, études X.XXlll Paris. 1969. 2. Cf. note l. ou la mort d'un de leurs parents, ils commencent volontiers par écouter un ancien parler d'un rêve qu'il a fait, endormi ou éveillé, et au cours duquel il a entendu tel ou tel génie (ou esprit ancestral) lui expliquer le désir ou le reproche que signifie la maladie. Parfois, le rêve est confronté avec la révélation d'un Fossé(7ë. Un esprit ayant manifesté son emprise par des transes ou des soubresauts désordonnés au cours d'une danse, celui qui en est possédé trans- met ensuite aux assistants la communication qu'il a cue avec l'esprit; il l'énonce alors en termes audibles et sensés.Au contraire, les anciens oracles grecs et babyloniens semblent avoir été évasifs.'Les gens du commun ne comprenaient pas la pythie; les prêtres interprétaient son message. Les Nzakara, eux, pensentque le rêve ou les transessont \. Cf. Oracleset OrdalieschezïesNzakara,p. 2\-39 296 297 T LA FORCE DE LA PAROLE DR A. RETEL-LAURENTIN un moyen d'être en relation avec un monde sans communication, celui des esprits. L'homme qui rêve ou qui danse est un messager et non un oracle. Il transmet ce qu'il a reçu personnellement;mais si sa révélation n'est pas claire, il sera traité de mauvais interprète. C'est ainsi que les Nzakara disposaientautrefoisde nombreuxba da par l'intermédiaire de deux surfacescirculaires s'adaptant parfaite- les sorciersmaléûques;ces spécialistesinitiés jouissaient alors d'un grand crédit. Aujourd'hui où il y a moins de sorcierset encoremoins et un manche; la pièce supérieure est surmontée d'une poignée. nganga, possédésdes esprits, qui identiôaient au cours d'une danse ment l'une contre l'autre. Le support repose sur le sol par deux pieds sorciers du pays >>. Le discours'des possédéset des danseurs est libre. A l'inverse, les Le devin imprime des mouvementsde rotation et de va-et-vient jusqu'à ce qüe les deux surfacesrondes collent. Pendantce temps, il immobilisele supportau sol en appuyantson pied sur le manchef Le devin peut soulever, selon la force d'adhérence qu'il s'emploie à obtenir, soit la piècesupérieureseule,soit, ce qui est plus remarquable, les deux pièces soudéesen un bloc unique. .lù'a za/a,dit-on animal ou végétal, forcent les utilisateurs à poser leurs questions sous deuxième réponse est symboliquement prépondérante. Elle signifie d'initiés, on n'hésite pas à mettre en doute leurs révélations quand elles paraissent peu vraisemblables. Je suis tentée de relier la diminution du nombre des ba cb zzgangaau discrédit qui les touche, tandis qu'un desderniersinitiés l'atÙibue ûèrement au fait <<qu'il a chassétous les procëcësdvïzzafoïrwqui utilisent un instrumentou un intermédiaire alors comme pour la forme d'une a//orna/ïve,les réponsesétant oui ou non. La prolifération de ces systèmesbinairessembledénoter un goût particulier pour le dilemme, ou du moins pour un mode de raisonnementpar que l'esprit clairvoyant, dont le devin est l'intermédiaire fidèle et obéissant,a interceptéun mensongeou une faute. Si le devin dit l'épreuve de la mygale : <{ l'oracle a pris >>..Cette {<un tel al.t-il dissimulé quelque chose? >>et que les bois collent, un tel successiond'alternatives. Mais on doit aussi remarquer que le prestige du procédé va de pair avec le degré d'élaboration technique.de l'instrument. Par exemple, les Nzakara ont souvent recours à l'épreuve de la mygale (grosse araignée fouisseuse). Un ou deux brins de paille est voleur ou menteur. Et le devin renouvelle l'opération autant de lendemain si l'un d'eux ou les deux sont déplacés : la mygale <<a pris >> par l'appareil collé ou séparéen deux parties, permet de surmonter étant déposésle soir autour de l'orifice de son trou, on observele fois qu'il pose des questions à lwa. lwa a acquiescé, pourrait-on penser. En fait, on le verra, la réponse est parfois plus subtile. Tel est le cas, par exemple, lorsque le devin pose sa question sous une forme interro-négative. Mais l'image ofïërte autrefois par les guerriers pour savoir s'ils mourraient ou non, et cette diŒ.cuité. Quand le devin à soulevé seulement la pièce supérieure, après avoir demandé si tel accusé <<n'est pas un sorcier ?>,.1'assistance sait que ]e <<non >>de l'lwa signiûe qu'il n'y a rien à intercepter; ou non. Actuellement, certains chefsde famille y ont encore recours pour obtenir un premier indice qui leur facilitera le dialogue avecun consultation 3lorsqu'lwa ne colle pas. ou non les brindilles; deuxréponsesseulementsont donc possibles faste ou néfaste,oui ou non. Cette pratique était courammentemployée par les chasseursd'éléphants, pour savoir si la chasseserait dangereuse devin, ou pour savoir s'il est opportun ou non de consulterun devin et lequel. En efïët, cette épreuve est à la portée de tous. D'autres pratiques utilisant le mode de réponse par d/ferma/Ïve sont entre les maiiîs de spécialistes.Certaines nous paraissent simples. Telles sont les cendresou les poudres qui collent ou non lorsqu'on les 11 Elle a cours dans maintes régions d'Afrique et les Nzakara l'appellent iwa bagadit /ü'a peut se traduire par oracle, et bagad par arracher ou décoller. Le devin dispose en efïët de deux piècesde bois qui se superposent frotte entreles paumesdesmains; l'équilibre d'un instrument, hache ou houe,qui tombe d'un côtéou de l'autre... Mais il'existe une autre pratique divinatoire, d'une technicité très élaborée, qui exige du devin une initiation prolongée et qui, tout en mettant en relief l'art oratoire et la perspicacité d'un spécialiste, à plusieurs reprises sous le nom de <(divination par les bois flottés >>. 298 il n'y a rien de caché : -- <<La causede cettepersonnen'est pas sombre)>,pourra dire d'embléele devin spécialisteau coursde sa Le devin, qu'on appelleba sa ïwa, l'homme qui frotte, n'a pasbesoin d'être en transes comme le possédé pour interpréter les événements (sa/awa Æziïzz congo, chercher la tram, la piste d'une afïàire); il. ne recourt pas à des remèdesmagiques,gouttes dans les yeux.pour.êtœ clairvoyant, amulettespour se protéger des esprits trublions, inci' lions cutanées et vaccinations pour se fortiûer. Ce serait mépriser lwa et sa puissance à déjouer les maléâces. Selon les propres termes 1. ./bærnalzü /a Saciéfé lüs {!Æfcalzfsfei,38, 2, 1968, p. 137-172.Evans-Prîtchard appelle l'instrument : rubbing-b(bard. Les noms vernaculairesvarient. 2. Nousavonsexposéun détaille mécanisme dansOracZë.ç ef Or(ü/ïe.ç..., p. 48. 3. .üfd., p. 235,verset52. 299 'T' DR A. RETEL-LAURENTIN ÿ LA FORCE DE LA PAROLE utilise la même.dialectiquepar alternative.Nous en avons parlé Pourquoi la maladie et la mort, celle des enfants en particulier? comme le fër étincelant ; sont ainsi visés les noirs projets des envoûteurs sans être soigné? Pourquoi tel autre n'a-t-il pas touché <<sa prime>>? des devins, lwa franchit les fourrés et traverse les détours tortueux, Pourquoi tel accident? Pourquoi un tel a-t-il été renvoyé de l'hôpital et des sorciers. lwa, disent-ils, est supérieur aux esprits, car ceux-ci Pourquoi des gardesont-ils mis celui-ci en prison? Pourquoi des inconnus sont-ils venus demander de l'argent et donner des papiers sont totÿours occupésà guetter les hommes, par envie, ou à qué- mander des oRrandes. lwa est indépendant des hommes; il ne les possède pas. Sa clairvoyance est corollaire de son impartialité. De même, (il s'agissait de la carte du parti politique)? Certains problèmes relèvent d'un mode de divination plutôt la lucidité du frotteur de bois est la garantie de sa <<transparence >>, c'est-à-dire de la fidélité avec laquelle il transmet la révélation d'lwa. que d'un autre. Par exemple, on demande à ceux qui parlent après un rêve ou une danse de possession de découvrir les agents invisibles C'est pourquoi les consultants apprécient la sociabilité et la gaieté du devin. Son caractère pondéré témoigne d'un serviteur dévoué des maladies et des décèsinopinée. Les fameux danseursde nganga, ces chasseursde sorciers dont nous avons parlé, étaient aussi en au maître qui a conclu une alliance avec lui au cours de son initiation. quelque sorte des radiesthésistes : ils savaient l'endroit où se cachait le gibier, la direction dans laquelle les génies des eaux avaient entraîné Le champ de son action est très vaste et sa popularité considérable. Nous allons voir pourquoi. celui qu'ils avaient noyé... Les manieurs de poudre interprètent les problèmes personnels des individus. Quant au ba la ïwa bagad, l'homme qui flotte les bois, il peut tout faire; il supervisetoutes les révélations. On fait donc appel à lui pour tous les maux et problèmes épineux, depuis les plus petits jusqu'aux plus grands. Il peut révéler tous les <<litiges planant sur la tête >>et tous les dangersen marche, b. Les motus des consultations. Une remarques'imposetout d'abord. L'avenir importe moins que l'exp/ïcarïon cüs ennæfsde toutes sortes qui perturbent le déroulement parce que son oracle, lwa, est au-dessusdes esprits. de la vie quotidienne. Les Nzakara n'ont pas, comme les Japonais, des horoscopes qui surchargent les abords des temples de papiers blancs et qui contiennent des destinéesqüe les dieux vont favoriser. Rien de te] chez ]es Africains en général. Quand leur vie est perturbée par des maux, quels qu'ils soient, c'est que les esprits jaloux et coléreux ne lâchent pas leur proie. Le rôle du devin est donc de dévoiler le nom de l'esprit et le motifde sa colère. l.Jnecérémonie d'apaisement et de réconci]iation lèvera alors la menace que les hommes sentent si facilement planer sur leur bonheur; une cérémonie de menace éloignera le sorcier ou l'envoûteur. L'avenir est ainsi protégé. Un jour que je demandaisà un devin pourquoi il n'avait pas parlé de l'état d'une bicyclette (sans Rein) à propos d'un accident grave, celui-ci me répondit ûnement : <<Mais cela, tout le monde le sait, mon travail à moi, c'est de révéler l'invisible. )>De même, lorsque je demandais à un autre pourquoi il n'avait pas parlé du traitement médi- cal d'une femme pour expliquer sa guérison,il m'expliqua que, bien sûr, les piqûres avaient guéri, mais que si les mânesne m'avaient pas vue travailler chez leurs enfants avec un œil favorable, la femme n'aurait pas guéri. L'important, c'était la relation invisible entre les mânes et le village. Pour dépister ['action des esprits, ]e ba la ïwa bagad pose un ques- tionnairequ'il a appris au cours de son initiation. La liste des + questions donne une idée de l'univers des forces invisibles qui menace les Nzakara individuellement ou collectivement. Le devin commence par demander à lwa si<< ce sont les mânes >>. Si oui, il chercheraavecl'aide du consultantune dérogationaux coutumes, aux rites religieux. L'a-t-il trouvée, il ne s'arrête pas là. En cherchant si des objets consacrésau culte sont en cause, il peut préciser la raison de la colère des mânes. De plus, en citant successivement une séried'esprits de l'eau ou de la forêt, ou des sorcierset des envoûteurs,il peut révélersoit la coexistence de plusieurs<<colèresd'origine différente>>,soit la complexité même de l'intervention invisible. Par exemple,nous avons assistéà une consultation où le devin expliquait la maladie d'une jeune femme par deux causes : la colère de sesjumeaux morts prématurément, et celle des mânesirrités de sa négligence à leur égard. Dans un autre cas, les mânes avaient puni leurs descendantsen recourant à un sorcier en chair et en os, qui, par la force de sa sorcel- On comprendra donc que les Nzakara consultent des devins pour les motifs les plus divers de leur vie personnelle,familiale ou sociale lerie, avait tué deux enfants en bas âge. L'explication avait été laborieuse.lwa avait mis le devin sur la bonne piste lorsqu'il avait <<collé )> sur les mânes, puis il avait précisé en collant successivementsur un 300 301 DR A. RETEL-LAURENTIN LA FORCE DE LA PAROLE esprit féminin et sur un adultère. Le consultant s'était alors aisément Nous nous sommesd'ailleurs souventétonnéede la facilité avec rappelé une vieille histoire qui mettait en causeces trois éléments. L'épouse d'un de sesaïeuls,accuséed'adultère, injustement semble-t-il, -t était décédéeaprèsavoir mis au mondeun garçon,mort lui aussi. Les tribunaux coutumiersn'avaient pas fini de régler cette affaire laquelle les villageois nous expliquaient un terme par son contraire, alors qu'en France seuls des sujets entraînés le font. Soulignons aussi le bouleversementque l'administration apporta sans le savoir à la vie des villages, lorsqu'elle ordonna le rassemblementdes hameaux le long desroutes qu'elle traçait. Le hameau,primitivement, disposé du vivant des plaidants, sansdoute parce qu'un accouchementdim- cile peut aussibien être attribué à un adultère qu'à son contraire en marge d'une piste, dans une clairière formée en élaguant une petite une fausse accusation .d'adultère. Le consultant, lui, attribuait la circonférence de forêt, représentait <<le sac >>.Le village, dont les mort de ses deux jeunes enfants à la colère de ce nouveau-né indûment maisonss'alignent des deux côtés de la route, a deux issues,c'est le tuyau; et, comme disent aujourd'hui les Nzakara dans leurs déclaré adultérin : enfant légitime, il avait été irrité(en esprit) de cet afh'ont et s'était vengé par l'intermédiaire d'un sorcier. Pour qu'il cessede tuer, il fallait l'apaiser en lui élevant un sanctuaire comme à un enfant du lignage. diMcultés: <<Qui sait ce qui peut arriver par l'au/re bout du village? >> Ces deux exemplessufhsentà montrer que les consultants sont ouvertement interrogés sur leur vie passée et présente. Les intéressés contribuent étroitement à chercherl'explication de leurs maux en donnant des pistes,des indices que le devin <<trie >>en consultant f b 11. L'UTILISATION DES TECnNÏQUES DIVINATOIRES PAR ALTERNATIVE DESCRIPTION DE TROIS CONSULTATIONS. à son tour son oracle. C'est en quelque sorte un psychodrame qui se déroule sous les yeux de l'observateur lors d'une consultation par les bois frottés. Les consultants ont l'impression que leur participation aide le devin à poser des questionsutiles à son iwa; les devins leur font aussi prends'e conscience que l'extériorisation de leurs craintes secrètesest nécessaire à la solution de leurs problèmes et aux remèdes; et c'est, semble-t-il, ce dialogue qui fait la supériorité de ce mode de divination sur ceux où le devin assumeseul la révélation de l'invibible ll nous est apparu, en écoutant les longs dialogues des ôa la ïwa avec les consultants -- mais sommes-nous les ûdèles interprètes des concepts? -- que les Nzakara appréciaient le mode de réponse des bois frottés, d'une part parce que son a/ïernafïverépondait à un mode de raisonnement qui procède par une suite d'antinomies, et d'autre part parce que l'image éveilléepar le jeu antinomique des bois qui co//enï oæne co//en/pai s'apparente à un systèmed'images qui présentent entre elles une certaine analogie. Les Nzakara appréhendent en efïët le mensonge, et même, nous le verrons, la sorcellerie, comme un oôxfac/e maférïe/ contre lequel on bute ou qui formela voie, tandis qu'au contraire la conformité de leurs déclarationsavec leurs penséesest représentéecomme la traversée d'un espace découvert. L'alternative proposée par le frottement de l'appareil divinatoire est, pourrions-nous dire plaisamment, celle d'un sac et d'un tuyau, à condition que ces' images soient antinomiques. 302 Ces quelques réflexions nous introduisent au dialogue des consul' rations divinatoires. Nous allons maintenant commenter trois consul- tations, d'après les textes que nous avons enregistrés,transcrits et traduits à Bangassou,entre ]959 et 1961. Les deux premièresconsultationsque nous avons choisiesde présenter seréfèrent au même cas, mais elles émanent de deux devins différents : une <<frotteuse de poudre >>et un <<frotteur de bois >>. Il seradonc possible de montrer comment chacun de cesdeux devins s'appuiesur sa techniquepour découvrirles causesd'une suite d'échecs C La troisième consultation, donnée par un autre <<flotteur de bois >>, aurait dû se terminer par une épreuvedu poison (quelquesgouttes administrées à un poussin le font mourir ou le laissent indemne). La mort du poussin est preuve de mensonge. Cette consultation ofh'e un double intérêt; elle montre l'utilisation du <<serment d'innocence )>, si fréquemment prononcé par les Nzakara, même au cours des consul' tations divinatoires; elle illustre un rôle particulier du devin, : faire pressionsur le consultant afin d'obtenir la vérité, grâce à son lwa, avant d'en appeler à ce jugement surnaturel qu'est l'épreuve du poison surie poulets 1. Nous verrons que la mort du poulet n'est pas un sacrifice; c'est un jugement, une survivancedel'ordalie par le poison autrefois administré à l'homme. 303 LA FORCE DE LA PAROLE DR A. RETEL-LAURENTIN a.. Deux consultations pour une suite d'échecs +. f rendant brouillon et distrait. L'emprise des mânes est présentée en termes parfaitement éclairants : ou les tablesqu 'il fabriquait en tant qu'apprenti-menuisierboitaient ou s'eÆondraient, ses chassesétaient infructueuses, sa jeune femme était devenue stérile et sesvoisins lui faisaient des ennuis. Sesmultiples Gazaïe (l'esprit dont je suis possédée) me dit de te dire ceci ces mânes qu'on a abandonnés sur leur autel, il n'y a pas que échecssemblaient l'égarer; il n'avait plus la tête à son travail. Il me demanda à deux reprises de consulter un devin, et je füs heureuse toi qu'ils (mal-)mènent, mais aussi tous ceux qui sont issue d'eux. (Ils disent :) -- Nos petits-enfantsnous ont jetés (ou abandonnés) dans la brousse :... auraient-ils de mauvaises (intentions à notre égard)?... J rouge dans sa paume gauche et la flotte doucement avec la base du Cesphrasesbrèves dissimulent une série d'oppositions 1. Colère des esprits, source de désordres/réconciliation, ordre; <<Quand ï/ parle dans cette poudre )>,explique-t-elle avec une grande voûté, sesyeux fixant un point du mur, traduisent l'attention envers les esprits qui l'habitent, sans l'empêcher d'être présente à sesvisiteurs et aux bruits du dehors.Elle flaire la poudreen exhalantune sorte de plainte harmonieuse;elle sollicite aussi la sensationde craquement ou de glissementen collant de la poudre entre sesmains (encore l'alternative); elle <<voit )> ce que ses génies lui montrent lorsqu'ils lui parlent intérieurement, longuement, parce qu'on lui a <<versé un collyre dans l'œil à la ûn de son initiation >>.Nous avons déjà transcrit les explications2 que cette femme, vive bien qu'âgée, moqueuse et rieuse bien que pauvrejusqu'au dénûment, nous a données peu avant sa mort, aûn que son art ne s'éteignepas avec elle 3. l' Le texte des consultations a été traduit, après enregistrement,et transcrit dans crac/es e/ Orz&z/ïe.ç...,p. 321-335. 1. Terme anatomique : l'éminence thénar. 2. Oracleset Ordalies...,p. 92-94. 3...Dix ans aprèscette consultation,l'audition de la bande magnétiquenous fait reviwe ce courant de sympathie que Nakindi savait établir autour d'elle. Elle ne faisait payer ses consultants que lorsque ses révélations avaient porté leurs fruits, et rares étaient ceux qui revenaient alors la remercier! 304 et alors, ils retireront leurs yeux de sur vous, leurs descendants, votre famille. êtres minuscu]es, à ]a limite de la visibilité, dont le représentant, le majeur si l'on peut dire, s'appelle Gazaïe. Son corps parcouru de tressaillements musculaires, son dos légèrement r 4œco/zsa/fanfJ.' Que ton oncle maternel aille leur parler (c'est-à-direleur ofh'ir un repasen les saluantet en les priant) sinon, fous que vous êtes, vous resterezdeségarés,vous et pouce droit i. Ce faisant, elle se concentrepour écouter sesgénies, simplicité, <<et qu'i/ me dit : 'Dis ceci', je le dis. Quand ï/s ont ûni, je peux continuer à frotter la poudre, mais je ne peux plus rien dire >>. Son attitude est celle d'une voyante (a na n//ma, femme sidérée). soit déraisonnable >>. ont détruit tous les autels du village; ils <<égarent>>l'intéressé,le de mes informateurs, inquiet des ma]heurs qui ]ui arrivaient. ])epuis ma mission précédente, son tabac n'avait rien produit, les chaises La vieille femme,qui s'appelleNakindî, met un peu de poudre qu'il 2. Les mânes qui sont délaissés depuis que les prosélytes protestants Commençons par commenter les consultations demandéespar un qu 'il me permette d'assister à la consultation. Ëa prem/êre co/zsu/ïaïïonest le fait d'une na sa ïwa io (femme qui frotte l'oracle poudre), possédée des esprits de l'eau. Ces << révélations >> ont un style original par rapport à celui des û'otteurs de bois. Nakindi a parlé prèsd'un quart d'heure. Elle a mis en cause 1. Un voisin, qui a envoûté par jalousie le jeune consultant <<pour + 2. mener en fixant ]es yeux sur/jeter, abandonner; 3. village, lieu de la vie sociale/brousse, domaine des animaux et esprits. Après une pause,Nakindi poursuit son thème. La vision du repas de réconciliation lui propose l'image contraire,celle d'une beuverie (ou anti-repas d'apaisement) qui faillit coûter cher au consultant A-t-on jamais apaisé quelque chose avec une nourriture qu'on t'ordonne de ne plus prendre... Tes ancêtres ont passé à travers toi pour que tu agissez ainsi. Arrêtons-nous un instant sur cette image intéressante : les ancêtres invisibles,en Êxant leurs yeux sur les vivants, les traversent et les égarent. Les mânes ne sont pas les sorciers, ces êtres foncièrement hostiles et nuisibles, qui<< captent leur proie >>et la <<mangent >>; les mânessont un autre type d'êtres invisibles, liés aux villageois par des liens de parenté (mais que la mort a rendus ambigus) ; ils ne mangent pas, ils punissent en <<traversant 2 »; en <<passant au-delà >>.Ce classementdichotomique s'apparente à ces autres séries de termes 1. Brousse,antinomiquede village. 2. De la même façon, à l'inverse du français, une chose <<qui a traversé l'oreille » est entendue(cf. crac/es ef Or(ü/lei..., p. 332, verset 51). 305 ÿ DR A. RETEL-LAURENTIN LA FORCE DE LA PAROLE opposés:antinomiques, du mêmeordre, quenous avions grossièrement Comment se protéger? Selon la coutume, par une action inverse schématiséssous la dénomination de' sac et de tuyau :"le "sæ, c'est la captation, la prise ou le manger; le tuyau c'est le franchissement ou l'écoulement. Le premier, c'est l'obstacle ; le deuxième,c'est l'issue. de celle de l'envoûteur. Sur ce point encore, Nakindi est sans ambiguïté : ses croyances; il ne peut échapper au système; cependant elle reste de lui le soir.à la veillée, puisqu'il n'a pas de sujetsx, et qu;il dil;e : -- Ah! mes amis qu'ar;ive-t-il à mon ûls? Que dois-je faire avec lui pour.le retirer de vos mains?lui, notre compa C'est pourquoi ton père doit en parler avec sa vraie bouche. Le mode de raisonnement de la vieille femme est en' accord avec étonnamment. .perspicace. Elle remarque' que le penchant elle que tu voi?. Qu'il rassemble'les gens (du village) autour du jeune homme pour l'alcool est exacerbépar son <<égarement »; nous parle-; mons peut-être de comportement obsessionnel ou de conduüe de gnon zt qui de l'intéressé, qui aime bien qu'on lui mette des points sur lesi Je te le demande, maintenant que Gazaïe règle tes diïïicultés l ) vas-tu cesserde boire une immensité d'alcool? r bilité. Elle suggère que le voisin hostile peut exercer une mauvaise influence par l'jntej'médiaire d'un envoûtement. Elle exprime bien Par contre, .nous attirons l'attention tation, .concrétisealors sa pensée : « L'homme avec lequel on boit peut faire semblant de faire quelque chosepozzrtoi, mais il a dissimulé un envoûtement. )>Extérieurement, il offre un verre; invisiblement, sur ce jeu des analogies et la succession des apparentements par opposition, qui sont si souvent Oui, poursuit Nakindi, il peut arriver que quelquechosete Nakindi, à qui je demande d'expliquer cette phrase après la consul- Il est inutile de.souligner l'analogie entre le véhicule qui échappe au conducteur, quitte la route, et l'homme égaré par les envoûtements et l'emprise desesprits, qui. quitte la route de sa destinée par un emportement stupide ou anormal; de même, le danseur le plus habile mani- pour des gestes désordonnés ou des soubresauts inharmonieux. magique a,mais dont on pourrait également trouver maints équivalents dans notre propre pays pourtoi. sur la route festela possession de l'esprit en quittant le rythme du tambour a liée à la pensée avec lequel tu bois peut fàïre semblant de faire quelque chose en zigzaguant a, laissez-le son travail avec sescompagnons. Le garçon répond .qu'il <{n'en boit pas tellement qu'il ne puisse s'arrêter >>.La voyante va revenir alors sur ce problème de responsa' (mal-)mène à travers une autre : l'êt;e et-ch;ir. et.en..os; maintenant de mon Êls, à travers le-fër-qui-tue(l'auto ou l'avion), je nommeraiscet homme plus tard. Qu'il se reconnaissedonc et se retire de la route de mon ûls afin qu'il puissebien faire celui qüi boit s'attire des ennuis. Elle va le dire clairement, à la demande cette <<responsabilité atténuée >>qu'Evans-Pritchard marche tranquille, hein! Si quelque chose devait'aviver fuite, mais elle constate qu'il attire <(les colères >>sur sa tête en buvant: utilisés.dans les raisonnements des Nzakara et qui semblent empêcher ! l'appréhension globale d'une penséecomplexe. ' ' Nous trouverons, avec.la deuxièmeconsultation, un autre.exemple de cette dialectique, par thèse et antithèse, qui se concentre sur divers aspects,lesexamineun à un, et aboutit à une analysedont nousne saisissons la ânesse qu'après avoir décrypté l'un après l'autre les signes du message. ZÆZ c7mxfêmeconçu/fafïon a eu lieu dans un village assez éloigné de la résidence du consultant. Le devin,qui consulte l'oracleen maniant les bois frottés, ne connaît ni le consultant ni la voyante. Il va donc commencerpar se faire exposerla situation, selon l:habirence, le don est agréable; en fait, il cache un envoûtement aux efïëts nocifs. est-à-dire qui ne sont pastel ]lé!'es' par opposition à des procès qui restent mousses Char EdE' Evens-P 9tchàrd, }mfcÀcrq#, arec/es alzd M2zgfcamo/zg rÀe ,4zaæcœ, Oxford 3. L'être en corps, en opposition.avec l'être en esprit. . 4. . Le don gratuit est exëëptionnel, voire inq uiétant'dans une civilisation Il tait craindre une demande ultérieure inopportune ou malséante.' '' ----- 306 d'échannc -'"-e'' .uae Après avoir demandéau garçon son nom et celui de son clan, le devin paraît poser mentalement sesquestions à son lwa. Il soliloque en marmonnant, tout en maniant son instrument pendant deux isêg:xi: Hx: : ËËi;n a%:Bii: g 2 .11s'agit toujours de son ûls. 3. Commeun fbu. 307 DR A. RETELüLAURENTIN LA FORCE DE LA PAROLE minutes environ. Puis, regardant son client, il l'interroge explicitement sur un gêne assez commun, un gassoulouma, dont lwa.lui signale a trouvé d'elle-même que l'envoûtement avait été dissimulé dans un Mais le garçon semble.ignorer ceux qui dans son entourage possè' dent ces esprits. Suivra alors une sorte de jeu du chat et de la souris par son ex-petite amie rancunière ou son compagnon de travail jaloux. Quand le jeune consultant finit par reconnaître que ce dernier a prononcé des paroles menaçantesau cours d'une dispute, le devin verre d'alcool ofïërt par le voisin. l intervention, puis sur deux jumeaux. Les assistants devinent que les bois ont collé sur ces deux mots : " '' "'-' '' Le devin, lui, va guider son client : un serment a pu être prononcé au.cours duquel le devin amène son client à'se rémémorer des histoires triomphe : <<Voilà! Quandje te dis que telle ou telle chosete mène, tu dois répondre, sinon... mais au fond ce n'est pas mon procès >>, c'est-à-dire : tu vois, tu le savais; pourquoi faisais-tu l'ignorant? Cependant,il continue à flotter son iwa. Après s'être enquis du lignage de sa mère, il va révéler encore deux causes de troubles qui le tracassent,tout en faisantmontre, à mon avis du moins, de perspicacité, de ruse et de mémoire. Il a <<lïairé» son client. 11.semble avoir pressenti le jeune coq de village car, de but en.blanc, il lui demande : <<OÙ est ton ex-petite amie, qui était possédée d'un gassoulouma î? >> ' L'autre répond .qu'il y a eu efïëctivement beaucoup d'amies dans un génie autrefois révéré par les parents maternels du garçon, et la Le devin paraît alors agacé. Il s'adresse à mo{ protagonistes en sont conscients car ils comptent; généralement, iln'y en a pas plus detrois. malédiction de sa mère, ce qui porte à cinq les agents hostiles; les sa vie, mais qu'il ignore laquelle pouvait être possédéepar ce génie. Notons que la version du devin se rapproche sîngultèrementde celle de Nakindi en ce qui concernel'envoûtement opéré par le lwa prend (colle) ;. il me f ait voir qu'il (le garçon) a pris une femme possédéed'un gassoulouma et il nie; 'il me fait voir voisin qu'il a desjumeaux dans son clan et il nie encore; que vais:je encoredire et voir, moi alors! [Au consu]tant:] : nie, cela(ceque révèlelwa) continueraà te maline;et! Nie et Celui avec qui tu as travaillé le bois, depuisque tu travailles avec cette Blanche, son ventre(cœur :) devient méchant enverstoi. Il sedit qu'autrefois tu rivalisait aveclui(comme des égaux) et que maintenant tu entres dans un service où tu vas En fait, il bousculepeut-êtreun clientqui y prêtele llano,pour se donner le temps de y réflexion ou encore'pour faire"valoir, par contraste avec la négligence du consultant, son propre savoir-faire { Il indiquera secrètement,après la consultation, la conduite à tenir pour neutraliserle vœu malfaisant de cet homme : le garçondevra prendreun billet de l F (:: 50 F CFA) et le frotter secrètement sur et son adressede spécialiste. En tout cas, il mène'les'débats avec un certain ordre, même.si,à l'audition ou à première lecture, les débats semblent se perdre dans de continuelles digressions. lwa colle maintenant sur une autre aààire, la troisième : un <<ngbon >>,c'est-à-dire un serment qui est censé produire les efïëts exprimés par la parole. Le devin vêtit, là encore, que son client lui dise l'auteur et le contenu de ce serment, aôn d'en neutraliser les efïëtsfunestes.Il ne s'agit pas de faire parler le client pour se servir de sesinformations mais, d'une part, de faire participer le client en lui faisant extérioriser des motifs d'inquiétude latenteb; d'autre part, de neutraliser les eïïëts nocifs du serment après en avoir révélé le contenu. Remarquons que, dans la consultation précédente, Nakindi faire fortune2 son corps en prononçant les paroles du désenchantement; puis, avec cet argent,il achèterade l'alcool et l'ofïïira à son rival de telle sorte que celui-ci soit seul à le boire. Ce contre-envoûtementrejoint singu'1 lièrement, sans qu'il y ait pu y avoir de connivence, l'envoûtement secret révélé par Nakindi. Il est vrai que ce sont des actions courantes en pays nzakara. Vers la ôn de la consultation, le devin, ayant résuméles forces hostilesà son client, va revenir sur ces fameux jumeaux mis en cause par lwa. Généralement, ce sont des esprits rancuniers et chargés de vengeant, car ils meurent à la naissance par suite d'un accouche- [. Le ventre est ]e centre de ]a parole et de ]a force vita]e pour ]es Nzakara, comme pour beaucoupd'autres Africains. Ü%IÎIIëIÊB:%;© H'PÆ!,'Iâ::æ!'HSg, T':#:,9ËE: : 308 2. Tout estrelatif maisla différenceentreun salariéqui touche80 à 100F par mois et un artisan qui, vaille que vaille, totalise un peu moins, en un an, est fondamentale; l'artisan se bat pour toucher l F ou 2,50 F pour une piècelongue àexécuter; le salarié touche une somme ûxe, <<même un jour où i] ne finit rien»(]a 309 paie du dimanche). LA FORCE DE LA PAROLE DR A. RETEL-LAURENTIN à sentir, ne conduit pas son raisonnement de la même façon que le claquementdes bois qui collent. Dans la pratique des bois frottés, le devin, qu'il pose sesquestionsà voix haute ou à voix basse,obtient ment diMcile ou peu aprèsla naissance.On leur élèveun autel près de la maison pour se les concilier. C'est à ce sanctuaire que le consul- tant pensait lorsque le devin lui parlait de jumeaux et iï n'en avait une réponse qui est visible pour toute l'assemblée. 11.communique vu trace dans son enfànœ, près de la maison de sesparents. Le devin, plus souvent avec le consultant et les assistantsque la voyante; il lui, sait qu'un homme.du village porte le nom du clan materneldu consultant et s'appelleFoulou. Or ce nom, qui signifie : suite, passage, dialogue plus. Qu'est-il advenu au consultant par la suite, me demanderez-vous? Je dois avouer qu'il était moins agité, moins <<malmené»; il semblait avoir retrouvé son esprit d'initiative dans son travail. La plaie. qu'il s'était faite à la jambe en tombant de vélo et qui ne guérissaitpas (il est vrai que le pansement que j'avais fait semblait tomber ou disparaître comme'par enchantement)se cicatrisa rapidement. Il est toujours porté par l'enfant qui naît après deux jumeaux. Il nous semblequ'il y a là un bon exemplede la faculté de mémorisation des devins : là où l'informateur ne pense qu'à la tombe des jumeaux morts sitôt nés, le devin élargit le concept au maximum. Quant au consultant, c'est après plusieurs sollicitations et après lui avoir précisé qu'il doit chercher des jumeaux dans le clan de sa mère que, amena sa femme aûn de consulter sur la stérilité. Un an après naissait brusquement, l'existence de jumeaux adultes lui revient en mémoire. Le devin ne cache d'ailleurs pas qu'il en connaît au moins un, dont un garçon, son premier fils, qui le remplit de ferté, et de zèle au travail. le nom<< Pierre Blanche >>est spécifique du jumeau féminin lorsque les deux enfants sont de sexesdifférents. Le consultant se rend-il b. Troisième type de consultation compte du cadre étroit dans lequel un fait est appelé à la conscience? Lorsque le devin lui dit en riant : <(Et tu disais tout à l'heure que tu Les deux premièresconsultations interrogeaient les devins sur des ignorais où sont les jumeaux? >>Il répond : <<Si tu ne m'avais pas questionné en me précisant que les jumeaux sont chez mes parents diïïicultés personnelles. Ce sont des sa/awa. L'interrogation maternels, je ne me les serais pas rappelés. >> Le cadre topographique, on le voit, est capital chez les Nzakara dont le langageest riche en mots, la syntaxepourvuede maintes formes verbales, mais dont la penséea un support très imagé. Ces f images sont saisiesdans le cadre familier de la vie villageoise et de la qui est censé tuer ou laisser vivre le poussin. Les deux opérations, oracle des bois frottés et épreuvedu poison, sont complémentaires.Comme l'une et l'autre sont infàillible$ l'épreuve du poison doit conôrmer les conclu- n'étaient pas dues à un refus; il suMsait qu'elles reconstituent peu à peu les villages où elles avaient séjourné,les casesdans lesquelles elles avaient habité pour que les noms de leurs conjoints surgissent. sions des bois frottés, œ qui se produit en général, car les devins ont la Les difHrences entre ces deux consultations tiennent non seulement maîtrisede leur préparationtoxique. Nous nous en sommeslongue- à la personnalité des devins mais encore aux techniquesdivinatoires. Dans les deux cas, le support du raisonnement est une a/ïer/zafïve issue d'un frottement : frottement d'une poudre, frottement de deux bois, dont lesréponsessont recherchées à volonté, de façon réitérative. ment expliquée ï; nous nous contenterons de souligner l'aspect que le jugement surnaturel donne au dialogue du devin et du consultant, à propos d'un cas d'ensorcellement. Voici l'histoire. Un vieil homme, ancien catéchiste de la mission Dans les deux cas, les croyances relatives au monde hostile des esprits protestante évangélique, est accusé d'avoir ensorcelé sa femme invisibles sont les mêmes. Mais Nakindi est une voyante, entourée 310 : ils savent discerner le mensonge. un breuvage à un poussin, c'est un juge supra-naturel succession mouvementée de leurs maris et amis, leurs réponses évasives collègues par une liste de questions apprises, à quelques variantes près, pendant l'initiation. Le frottement de la poudre, qu'elle est seule les bois frottés sont clairvoyants L'épreuve du poison est un jugement. Quand le devin fait absorber nature qui l'environne. Lorsque j'interrogeais certainesfemmessur la de sesespritsfamiliers qui courent sur son dos et sesmains; elle se concentresur la sensationtactile d'une poudre dont elle est seule à sentir le glissementsec ou humide. Elle n'est pas guidéecomme ses peut aussi se faire pour éclairer un juge embarrassépar les versionscontradictoires desplaidants. En général, la pratique des bois flottés est alors suivie d'une épreuvedu poison. Comme l'expliquent les Nzakara, elle est malade. Il est d'un clan esclave dans lequel, semble-t-il, l'organe héréditaire du sorcier est censé exister : on l'aurait trouvé { autrefois à la suite d'ordalies par le poison. Le juge du tribunal coutumier,à qui l'on a présentél'affaire quelquesjours avantcette 1. arec/ese/ Or(ü/ïes...,p. 70-89 311 DR A. RETEL-LAURENTIN LA FORCE DE LA PAROLE consultation, a envoyéles plaidants chez son devin habituel afin que celui-ci démasquela sorcellerie,si elle existe. Dans ce cas. le soràer naît que les façonsde faire de sa femmelui ont déplu : <<On ne fait pas de reproches en public à son mari, n'est-ce pas? >> Mais le devin, ayant manié ses bois, déclare que <<cette querelle est une aH'airemineure >>;elle n'est pas à l'origine de la maladie. Les parentsde la femme demandentalors au mari de seulement se voit obligé de pratiquer un contre-ensorcellement, seul recours de guérison.Le vieux mari a dÿà été reconnu sorcierpar un autre devin, mais, dans une afïàire aussi importante, on demandeau meilleur dire s'il y a sorcellerie (mangou) ou envoûtement. devin du pays de contrôler les déclarations de son collègue. Le mari raconte alors une deuxième querelle entre lui et son épouse; il s'est fâché un jour où <<elle l'a privé de repas >>alors qu'il était en visite chez sesbeaux-parents avec elle; le lendemain, elle ne mangeait La femme commencepar s'asseoiren face du devin, en position d'accusée?pour montrer qu'elle ne cache rien, ni mensongeni envoûtement; puis elle fait sa déclaration de fbi, dont la phrase essentielle plus; il lui prépare alors un repas, sans succès.Il penseque cesdeux est celle-ci faits sont liés. Leur analogiel'inquiète car elle évoque une origine La raison pour laquelle il est fâché contre moi et souhaite magique de cette nouvelle maladie : <<S'il y a un mangou là-dessous, je n'en sais rien >>,explique-t-il; mais le changement de ton est perceptible; son assurancefait place à une certaine hésitation. En général, un homme de bonne volonté reconnaît sestorts devant queje meure de cette maladie, demande-la lui ou reproche-moi ma cupidité ! S'il e.stfaux que le mari a ensorcelé sa femme à la suite d'une dispute, l'esprit de l'oracle et du bengué.On ne leur ment pas; c'est pourquoi cette forme d'inquisition prend la valeur d'un sérumde vérité. Même un chrétien qui renonce aux pratiques du culte des ancêtrescroit à c'est alors elle qui provoque l'incident dans le but d'obtenir,'sans motif valable,un cadeaude réconciliationqu'un mari esttenu d'ofïïir ? l'épouse qui, maltraitée, s'est réfugiée aÜ domicile de ses parents ! l'iwa et au bengué. L'homme qui est sur la sellette le prouve lorsque, Le dilemme est clair : ou il l'a ensorceléeou elle invente pour gagner un pagne. pour s'excuserde ne pas savoir la causede la maladiede sa femme, Le devin demande alors au mari de prononcer à son tour son ser- il dit : <<Lorsque clairement,. malgré les réticences qui sont liées à sa nouvelle appartenance religieuse. portun, et mêmedangereuxpour la malade,de les évoquerà voix celle qui est ma femme depuis huit ans, que le poison tue le haute; cela réveille leur activité. L'ex-catéchiste et le devin ont là- poussin, si je ne l'ai frappé d'aucun mal, que le poussin traverse Mais l'envoûtementn'est pas la matière de l'accusation.On ard. vera peu.à peu à la sorcellerie, mais poliment car, comme l'expliquera le fière de la femme : il ne souhaitepas le divorce; il ne vient pas accuser son beau-frère; sous-entendu, il veut seulement obtenir. d'un aveu, un remèdequi guérira sa sœur. appuyé leur acharnement à nuire qu'lwa dénonce en collant. Il est donc inop- (depuis ma conversion) pour exciter ce vase d;oh'andes contre l'envoûtement et le vœu aux esprits. ma femme), teur ou d'un sorcier, mêmesi ce n'est pas lui le responsable;c'est de mes ancêtres que j'ai abandonnés, oui, si j'y suis retourné On remarquera que l'opposition de termes qui marque le dilemme )>(comme qu'lwa collera tant que la femme restera sous la menace d'un envoû- vase d'offrandes du sanctuaire de mes mânes. selon la coiitume est ici : tuer et n'anchir, et que deux possibilités de nuire sont évoquées : marche car lwa n'est pas un esprit envieux ou vengeur.L'homme veut dire Si j'ai fait un envoï2ïemenf par une plante, si j'ai invoqué le le poison (qu'il survivre au poison). quelqu'un sur une canne, lwa reste ôxé << sur lui comme tu le vois >>. lwa est fixé sur la maladie comme les mânes sur le précédent consultant; mais lwa n'égare pas un malade, comme le font les mânes, ment au sujet de l'origine de la maladie de sa femme,ce qu'il fait dessus la même croyance. Le premier ''1 le dit peut-être pour essayer d'échapper à une déclaration de sorcellerie sans nuire à la guérison de sa femme. Le devin, par contre, revient sur cette ûxation pour obtenir une confessionqui rendra l'épreuve du poison inutile, puis' qu'il n'y aura plus de contestation. Le vieil homme finira de perdre son assurancelorsque le devin lui reproched'avoir apporté, en vue de l'épreuve du poison, un poussin provenant de sa basse-cour. Généralement, on achète une volaille afin de montrer qu'on n'avait pas l'intention de procéder à un envoû' terrent sur l'animal, envoûtementqui peut troubler la réponsedu disputes relative à ce pagne qu'elle lui avait réclamé. L'homme recon- bengué. Or lwa colle sur <<poussin >>: celui-ci est envoûté. Il faut renoncer à l'épreuve tant qu'il n'y aura pas un autre volatile à utiliser. 312 313 L'épouse intervient pour rappeler à son mari une de leurs premières + DR A. RETEL-LAURENTIN Au dix-septième échange du dialogue, l'inculpé unit par déclarer Avouer, c'est dire oui. Elle m'a complètementprivé de nourri' turc ï, c'est pourquoi je l'ai eniorce/ëeà la mesurede sestorts... Là-dessus, je pars régler les façons de faire de mon clan (l'exorcisme des efïëts de la sorcellerie, selon la coutume de son clan), et les contre-envoûtements aôn que cette femme guérisse. Quand elle sera guérie et qu'il me plaira de me soumettre au jugement du bengué,je le ferai. Je vais aussi aller chercher (acheter) un autre poussin pour dénouer également !es ruses du génie de mon père. La deuxièmephrasedu <<bon mari sorcier>>nous paraît donner un nouvel exemple d'antithèse; à la sorcellerie-qui-mange, est opposée le refus-de-nourriture. Ce n'est pas par hasard que le mari évoque le jeûne comme cause déclenchante de sa sorcellerie, au lieu de gestes de menace ou de querelle. Quant à sa dernière phrase, elle commente une révélation du devin : son père avait vénéré un génie; pour apaiser sa colère, il faut lui sacriûer un poulet. La première réaction d'un Européen, qui a une façon difïërente de concevoir'les différends et de les apaiser, peut être l'indignation. Pour moi, ce fut la surprise.Je croyaisqu'un ex-catéchiste allait s'indigner d'être soupçonnéde sorcellerie.C'était bien mal connaître les coutumes nzakara. La pression exercée sur l'inculpé était, paraît-il, amicale.: il avait été un bon mari, on souhaitait qu'il continue à vivre en paix avec sa femme.Il était sorcier?Il n'y était pour rien, puisqu'il avait hérité de l'organe sorcierà sa naissance: lorsqu'il avait proféré des paroles de menaces,sous forme de serment, sa sorcellerie organique, dans son ventre, les avait entendues et les avait exécutées.Tout devient clair. Le mari s'est emporté contre son épouse parce qu'il avait f aim, qu'il ressentait peut-être aussi une certaine animositéde la part de sa femmeet sa sorcellerieavait accompli la menace, a son insu. Notons qu'aucun commentaire n'accompagne cette déclaration. Cependant le devin continue sa consultation en disant LA FORCE DE LA PAROLE [Au mari] quand elle sera guérie, tu reviendras boire le bengué(c'est lé poussin qui boira) et nous verrons alors si c'est parce qu'elle a mal agi enverstoi que tu t'es fâché et l'as ensorcelée. En contrepartiede l'aveu du mari, le devin chars! la femme; elle avait irrité les mânes de son mari, et excité sa sorcellerie en prononçant des paroles de colère et de menace contre !ui. Elle aussi est donc responsable,mais toujours selon cette responsabilité atténuée dont nous avons parlé à propos de la première consultation divinatoire; l'homme propose, les esprits disposent. Enûn, le but de l'inquisition n'est pas de condamner, encore.moins d'isoler'le prévenu dans un cercle de mépris, mais de conjurer le mal, de rétablir'la paix et l'harmonie au foyer comme au village. 111. LE ROLE DE L'INSTRUMENT DANS LES CONSULTATIONS DIVINATOIRES. a. Rôle de ïa consultation La description de ces trois consultations divinatoires chez les Nza- kara fait percevoir la participation des intéressésau dialogue entre un devin et son lwa. Les consultants sont ouvertement interrogés sur leur vie passée et présente. La révélation ne porte pas.:ur le << visible >>? ç'est-à-dire sur les événements qui se sont passés au village, car ceux-ci flint partie du domaine connaissable. Le domaine de recherche du devin, c'est l'inconnaissable, c'est.à-dire ce monde invisible des esprits qui, en œuvrant pour le malheur des hommes, sont la .cause profonde des maux. L'enquête menée par le devin paraît .utile .au consultantcomme aux assistants,car elle sert à discernerl'origine du mal, à révélerle nom de l'esprit qui agit, son moded'action et ses lwa dit que la femme aussi a créé des ennuis à son époux, intermédiaires : envoûtements, sorcellerie. Mais par-delà l'évocation des esprits nuisibles, les discussions entre sa canne, redevienne joyeuse et que son mari, lorsqu'il aura lit attentivement les textes de consultations semblables, on s'aperçoit c'est pourquoi les mânesde celui-ci ont fait ensorcelercette femme. Que l'on règle tout cela; que cette femme, ayant jeté apaisé les esprits, revienne au jugement du bengué. consultëÙtset devins constituent une sorte de psychodramepropre à déchargerl'anxiété latente et l'agressivité du consultant. Lorsqu'on que J'exfërïorïsa/fon des sentiments secrets est assezsouvent considérée cuisiner, car c'est un rôle exclusivementféminin. est alors réellement condamné au comme une partie des remèdes. Ces deux aspects complémentaires des consultations leur confèrent un rôle dans la psychologie collective et dans la vie sociale. 314 315 1. La femme malade n'a pas préparé les repas de son époux. L'homme, ne pouvant jeûne s'il n'a pas de parente proche. DR A. RETEL-LAURENTIN LA FORCE DE LA PAROLE sapuissanceî. Autrefois, lorsque le sorcier était dévoilé par les spasmes de l'agonie, la foule criait : Benguézali:= Benguéle prend. Les b. Rôle de ïa techniquedivinatoirepar alternative dansla révélation. convulsions étaient l'image de cette lutte digestive, analogue à celle Un autre aspect que nous retiendrons, c'est la raison du prestige de l'animal qui, pris au piège, se débat dans un blet de chasse. 1. Les techniquesdivinatoires desNzakara proposentpeu d'images; ou des signes graphiques dessinésà même le sable, proposent de d'une perche à l'entrée du village : la sorcellerie interne et invisible est malfaisante; la sorcellerie extériorisée et exposéeest sans efïët nocif; plus, elle menace les sorciers. L'absence de sorcellerie, à l'inverse, est manifestéepar l'absence son diagnostic, sans parfois que 'le consultant intervienne. puisqu'il a franchi le ventre sansy trouver cet autre obstaclequi est Chez les Nzakara, au contraire, le devin propose des explications; les bois frottés ne font que trier, ou <<sarcler >>,comme le disent les lorsque le poison d'épreuve est administré à un poulet, censé représen- On autopsiait le sorcier et l'organe maléique était exposé au sommet des techniques instrumentales représentant une simple alternative. elles s'opposent en cela à. la géomancie africaine, par exemple, dans laquelle des sériesde dés,de cauris?des objets variés, jetés d'un panier, multiplessymbolesou imagesqui vont guiderle devin et orienter de signes extérieurs. Le breuvage a << traversé >>le non-sorcier(le tuyau), le mensonge. Le langage actuel rend compte de ce mécanisme; tera'inculpé,celui-ci déclare Nzakara eux-mêmes, en répondant aux questions par l'équivalent d'un ouïou d'un/zo/z. En fait, l'alternative instrumentale n'est pas exactement un oui ou un non, elle répond à deux images antinomiques qui éveillent \ l des. correspondances dans un système de pensée compose de séries antinomiques et vivant d'images qui présentent entre elles des analogies. La plupart des mécanismes, biologiques ou sociaux, semblent s;appa- renter. à une opposition de référent, me terrasse, ou encore Z,Cagesenti, [me jette à] terre). Non sorcellerie ;: le breuvage coule sans rencontrer d'obstacle plemïere approximation : sac / tuyau, en attendant qu'une étude (tuyau). Sorcellerie = le breuvage coule dans un sac, lutte (convulsions) et tue. C'est un exorcisme. Le premier terme de l'alternative, l'innocence, nous présente donc le breuvage qui suit son cours, sans obstacle, comme le courant plus pousséepermette une meilleure expression. Donnons quelques exemples. Le sorcier exécute sesmaléûces grâce à un organe pourvu de dents ou de grillés et situé dans le ventre î, c'est-à-dire au siège même de la vie. C est un <<sac>>.Le substrat:espritde cette sorcelleriepeut quitter le ventre du sorcier et pénétrer dans le corps d'un animal an chair et d'un ïïeuve : le poussincourt et picore.L'autre, la sorcellerie(oules autres forces nuisibles à l'homme, l'envoûtement ou la déclaration mensongèred'innocence) signifie la prise, c'est-à-dire la capture en os ou en rêve; sous.cetteforme, il <<mange>>l'esprit ou le sang de sa victime; la maladie ou la mort seront la manifestation visible manger; être tué ou malade, c'est être mangé. Dans l'ordalie africaine par le poison, l'homme suspectde sorcel- lerie <<mange >>un aliment toxîquë ou l'absorbe sous forme de breu- vage: Nous. avons vu que les Nzakara appellent bengué cet esprit invisible. qui anime l'ordalie et qui tue le 'sorcier de la même façon que celui-ci s'est emparé d'autres individus en <<mangeant leur âme >>. Le breuvage, comme un messager,rencontre, dans le ventre, l'organe sorcier et. le capte. Le breuvage a heurté !e sac du sorcier, 'il a brisé (Zlengepÿô, bengué dépasse, de la même façon que le majeur dépasseles autres doigts). Sinon, que je sois pris ou terrassé par le bengué(bennezua ka ka Æa,me casse,ou mï /ï benne, que nous avons nommée'en de son actionanthropophagique. On pourraitdire : vivre,c'est si je suis innocent, que je franchise le bengué ('mï kz//zzlza ôengeJ; ou que le bengué franchisse, c'est-à-dire traverse + le poussin titube, est pris de convulsions et meurt. De même, iwa, dit-on, <<ne prend pas >>lorsque les bois necollent pas; il n'a pas trouvé d'obstacle; inversement, les bois qui collent évoquent l'obstacle, la <<prise >>.Les deux manœuvres de l'instrument s'opposent, selon deux images analogues à celles de la sorcellerie et del'ordalie parle poison. Les eïïëts de l'adultère nous ofïtent encore un autre terme de compa- raison qui explicite un jeu d'oppositions, dialectique en apparence, mais organique dans son essence,analogue au sac et au tuyau. Nous 1. Dans d'autres sociétés africaines. l'ordalie révèle la sorcellerie par des manifës :autres, aies peut être la vraœdsorceinüie tian. arme dans un organe héréditaire. Pour 316 tations analoguesà celles du sorcier : délire, convulsions ou diarrhée. Orzü/fese/ Sor cel/crie en .4/}ïqKe JVbïre, Anthropos, Paris, 1973. 317 { DR A. RETEL-LAURENTIN LA FORCE DE LA PAROLE en disons quelques mots parce qu'il nous introduit à l'analogie entre amants par intention >>dans l'espoir d'une prompte délivrance. deux.types de désordres : les désordres sociaux et les perturbations d'ordre physiologique. Les Nzakara croient, et ils rejoignent en cela maintes autres sociétés africaines, qu'un homme qui couche avec Ensuite, on présente à haute voix les noms confessésaDX ancêtres, en les priant de se réconcilier et d'annuler ou d'oublier les écarts de conduite de la femme. Alors, disent les Nzakara, la délivrance se villageoises par excellence. Mais l'acte sexuel adultérin a en même temps des elïëts organiques, et d'expulsion ou d'éliminationdam lesquels un mal,adultèreou h l'épouse d'un autre accomplit un geste antisocial, au même titre que ceux du sorcier, perturbateur de l'harmonie et de la prospérité Nous venons de donner deux exemplesd'ingestion (au senslarge) sorcellerie,sont des actes antisociaux. Ils agissentcomme.des corps organiques intracorporels, qui auraient un pouvoir antibiologique inhibiteur ou destructeur.Dans l'épreuve du poison donné au sorcier, ïzzsïræ, dans <<le sac de la femme >>(1'utérus ï) : il désordonné sa gros: fesse...Le liquide séminal est conçu comme la sève caractéristique le breuvage,élément de vie, devient mortel: Dans l'adultère,l'embryon, promessed'un nouveau membre pour le lignage, meurt: par expulsion d'un lignage(c'est la résonanceorganiquedu lignage).L'acte sexiïel du mari est une nourriture pour sa femme et son enfant parce qu'il a formé une alliance avec son épouse,alliance qui est plus qu'un gage prématurée (l'avortement) ou par rétention prolongée (l'accouchement de paixj elle est antinomique de guerre. L'adultère est donc l'équivalent dystocique). enceinte ou qu'elle le devienne. Cette guerre se manifestera concrète- n'est qu'un exemple, parmi d'autres, des .raisonnements nzakara ' La suite 'd'oppositions d'une déclaratio! de guerre dans le sein de la femme, qu'elle soit Or l;oracle par les bois frottés répond parfaitement à une explication d'événements complexes, élaborée lentement mais sûrement par ment lorsque le fétus tombe dans le sang : ç'est l'avortement. Cette conséquencequasi.mécanique de l'adultère est tellement grave que, dans certaines sociétésafricaines comme chez les Luba, un homme préfère envoyer sa femme chez son amant afin que celui-ci << fortiâe une szzlfed'a/fernafh'es auxquelles les consultants souscrivent. L'image des deux piècesde bois qui collent ou ne collent pas elt analogue >> aux images de l'alternative posée par le devin .sousforme de dilemme. la grossesse dont il est l'auteur, plutôt que de risquer un avortement ou la mort Cent œ qui fait sa force et seslimites. Cesimagesrépondentà des de son épouse. croyancessur les relations de l'homme social avecson environnement et les questions des devins rentrent dans cet univers. L'adultère est donc conçu comme un désordre social, comme un conflit qui comporte son équivalent physiologique. L'expulsion Cet aspecttraditionaliste de la divination explique sansdoute sa prématurée d'un fétus traduit la perturbation diune vie embryon- lente désafïëction. naire. Là-dessus les médecinseuropéens sont d'accord, mais là où les Nzak?ra .diffèrent, c'est lorsqu 'ils considèrent qu'un enfant ou d'antinomies que traduisent ce$ concepts Les Nzakara, même chrétiens, reconnaissent pourtant son aspectpositif qui est de régler des confits latents et d exorciser des démons qui, bien que prenant des apparencesdiffé- ne peut être biologiquement normal quand il est constitiié en dehors du cadre socio-familial coutumier. Lorsque le père biologique est d'un rentes selon les cultures, sont le cœur même des hommes, leur peur autre lignage que le mari, un fétus est exposé à la mort, même si et leurs inquiétudes. Renforcer l'âme de l'homme, tel était autrefois apercevoir disparu. la grossessese déroule sans accident apparent. On risque de s'en chez les Nzakara l'un des rôles de la divination, ne sort pas ». Ainsi explique-t-on,chezles Nzakara,commechez Enfin, notons que guérir, pour les Nzakara, ne connote pas l'idée de se puriôer des souillures,comme dan? les sociétéshébraïque et plus tard, au moment de l'accouchement :' << l'enfant beaucoup d'autres Africains, les dystocies obstétricales.L'obstacle à l'accouchement est interne. Il faut l'extérioriser pour que l'enfant de même'que le mal répond fondamentalement à une perturbation de cette fonction de manger autour de laquelle tout s. ordonne, dans un monde que nous pensons avoir été longtemps dominé par la faim. à haute voix le nom de son amant et mêmede tous sesamants et maris. La menace de mort qui plane avec la prolongation du travail d'accouchement pousse les femmes nzakara à nomïlÜr <<même leurs 1. En fait, le symbole de l'utérus est une marmite renversée.L'image de référence sembleanalogue à un sac, mais nous n'avons pas poséla question. D;autres ethnologues '"''''''' presque européennes.Les remèdes proposés sont des repa? de réconciliation? puisse naître. .Pour cela, on demande à la parturiente de prononcer a&icanistes suppléeront peut-être à cette laâïne: aujourd'hui '"'' '"'"-'-' 318 l Ï l TABLE l Paro[e et signes muets, Jean-Pierre ]&r/zanf 9 11 J De la tortue .à l'achillée, Z,ëo/zl;'bn(ürmeersc# 29 Petits écarts et grands écarts, Jbcqzles Ger/zef 52 Symptômes, signes, écritures, Jean .Bo//éro 70 111 La bouche de la vérité, Round CraÆa7 201 Du bon usage du dérèglement, .Luc .Brfsson 220 Sciencedivine et raison humaine, Jëa/znïeCar//et 249 lv Par la bouche de l'empereur, Z)enïseGrocZWnski 267 La force 295 de la parole, ..4lz/îe Rare/-.Lauren/1lz