Physiologie de la mégacaryopoïèse Les plaquettes sanguines (ou thrombocytes) sont de petits fragments cellulaires anucléés à forte capacité d’adhésion aux structures endothéliales, et ont un rôle essentiel dans l’hémostase. Elles proviennent de la fragmentation du cytoplasme de précurseurs médullaires : les mégacaryocytes. la génération des plaquettes sanguines est le résultat d'un mécanisme à 2 étapes: - La mégacaryopoïèse, qui implique l’orientation de la cellule souche hématopoïétique, puis la prolifération, différenciation et maturation de progéniteurs mégacaryocytaires. La différenciation des MK est marquée par une succession d’endomitoses ou endoreduplications du noyau, sans division cellulaire : ceci aboutit à la formation de cellules géantes, les mégacaryocytes (MK) - puis la thrombopoïèse, correspondant à la production des plaquettes par les MK matures [le cytoplasme se fragmente en produisant 2000 à 5000 plaquettes / MK]. Les plaquettes (PLT) sanguines vivent 7 à 10 j dans le sang et leur nombre reste stable toute la vie chez un même individu (N = 150 – 400 G/L), grâce à un mécanisme de régulation particulier faisant intervenir la thrombopoïétine (TPO) et son récepteur (cmpl). [Remarque: pour les anglo-saxons, la N° PLT normale est = 150 -450 G/L]. 1. COMPARTIMENT DES PROGÉNITEURS = PROLIFÉRATION La mégacaryopoïèse s’effectue dans la moelle osseuse (MO), mais l’étape terminale (=production de plaquettes) est en partie sanguine et pulmonaire. Le nombre total de MK médullaires est faible : 0,02 – 0, 05% des cellules nucléées de la MO 1.1. Le progéniteur commun érythroblastique-mégacaryocytaire (MEP). La CS hématopoïétique se différencie : d'une part en CFU – GEMM = Colony Forming Unit Granulocytaire, Erythroblastique, Mégacaryocytaire et Monocytaire) d'autre part en en progéniteur lymphoïde La CFU-GEMM se différencie : d'une part en MEP sous l'influence de facteurs de transcription (FT) de type GATA-1 et 2 (GATA-binding protein) d'autre part en CFU – GM Les cytokines contrôlant cette diférenciation sont l’IL11 et la TPO. 1.2. Les progéniteurs spécialisés : Le progéniteur commun MEP se différencie en : d'une part en progéniteur mégacaryocytaire précoce ou BFU-MK : cellule diploïde (donne in vitro des colonies d’aspect irrégulier appelées Bursts) d'autre part en progéniteur érythroblastique précoce (BFU - E) Le maintien de l’hyperexpression de GATA-2 dans le MEP oriente vers la mégacaryopoïèse alors que l'hyperexpression de GATA-1, de FOG1 puis de KLF1 ou (Krüppel Like Erythroid Factor) oriente vers l’érythropoïèse Le BFU-MK se différencie en progéniteur mégacaryocytaire tardif ou CFU-MK (cellule qui forme in vitro des colonies de petite taille (15-30 cellules)) Les cytokines contrôlant cette différenciation sont : GM-CSF, IL3, IL8, IL11, TPO (thrombopoïétine) et SCF (stem cell factor). 1.3. Le cycle cellulaire endomitotique : une spécificité de la différenciation mégacaryocytaire La CFU-MK se différencie en promégacaryoblaste : à ce stade le noyau entre en phase S puis M, mais l’anaphase et la cytokinèse (= séparation des cellules filles) ne s’effectuent pas ; le noyau contient alors 2 fois + de chromosomes (tétraploïdie = 4N chromosomes). Puis la cellule entre à nouveau en cycle mitotique : la ploïdie augmente, passant ainsi progressivement de 4N à 128N, avec un mode à 16N pour plus de la moitié des MK chez le sujet sain. L'extinction de MYB permet l'expression de FLI1 : FLI1 interagit avec GATA1 - FOG1 et ETS1 : ceci active les gènes permettant l'expression de MPL, GP2B (= CD41) et GP9 (= GP42a) à la surface des MK immatures. Puis d'autres gènes s'expriment : RUNX1 : agit sur la polyploïdisation et la formation de proplaquettes en régulant l'expression de MYH9, MYL9 et MYH10 en parallèle GATA1 régule : CCND1 (= cycline D1) - la polyploïdisation (en régulant l'expression de - l'expression du facteur de transcription NFE2 qui régule la formation de la tubuline des microtubules, indispensables à la formation des pro plaquettes. 1.4. Bilan morpho fonctionnel : Mégacaryopoïèse : Les MK très immatures sont localisés dans la niche hématopoïétique, près des CSH et des ostéoblastes, puis migrent vers les sinusoïdes médullaires à mesure de leur maturation. Le promégacaryoblaste est une petite cellule d'aspect blastique (diamètre = 15 20 µm) avec 2N chromosomes. Avec la polyploïdisation la taille cellulaire augmente, à la fois par augmentation de la taille nucléaire et de la taille du cytoplasme (voir plus loin les aspects morphologiques) Thrombopoïèse : Les MK matures se collent à la paroi interne des sinusoïdes médullaires et émettent des prolongements cytoplasmiques dans la lumière des sinusoïdes : ce sont les proplaquettes ou process plaquettaires, qui se fragmentent en plaquettes. Environ 30 % de la thrombopoïèse se termine dans le torrent circulatoire (fragmentation des proplaquettes et du cytoplasme des MK matures qui terminent leur vie dans le sang puis dans le lit pulmonaire). 2. LES DIVERS STADES MORPHOLOGIQUES. Parallèlement aux endomitoses une synthèse active apparaît : - les MK immatures ont une taille réduite et un cytoplasme basophile (riche en ARN), - puis le noyau augmente de volume ; diverses molécules spécialisées sont synthétisées et s’accumulent dans le cytoplasme qui grandit lui aussi, - le processus aboutit à des cellules géantes (jusqu’à 120 µm de diamètre sur frottis, et 60 µm sur biopsie de moelle), avec cytoplasme dont la couleur se rapproche progressivement de celle des plaquettes matures. Augmentation progressive de la taille cellulaire à mesure de la différenciation des mégacaryocytes. Promégacaryoblastes : cellules transitionnelles issues des CFU-MK environ 10% de l’ensemble des MK Niveau de ploïdie faible (2N à 4N). Morphologie: petites cellules d’apparence lymphoïde, exceptionnellement visibles sur une moelle normale. Identifiables en microscopie électronique car elles contiennent de la peroxydase plaquettaire (PPO), marqueur le plus précoce de la lignée. Mégacaryoblastes : ou MK stade I La ploïdie augmente (4 – 8 N), avec début de maturation cytoplasmique. Morphologie : 20 à 30 µm de diamètre, rapport N/C élevé, noyau rond (souvent d’aspect bilobé), chromatine fine, cytoplasme très basophile (riche en ARN) sans granulations. Un système de membranes intracytoplasmiques se développe (membranes de démarcation primitives). Des molécules spécialisées sont synthétisées en grande quantité. Mégacaryocyte basophile : ou MK stade II ou promégacaryocyte La ploïdie atteint son apogée à ce stade et la synthèse d’ADN cesse (la majorité des MK a une ploïdie = 16N) Morphologie: grandes cellules (40 – 80 µm de diamètre) dont le noyau commence à se lobuler ; la quantité de cytoplasme augmente (le rapport N/C diminue). Le cytoplasme est de plus en plus abondant, basophile. Quelques granulations alpha et granulations denses apparaissent. Mégacaryocytes granuleux : ou MK stade III Les granulations plaquettaires sont nombreuses et le système de membranes de démarcation délimitant des territoires plaquettaires commence à s’organiser. Morphologie : grandes cellules (50 - 100 µm de diamètre, parfois plus); le rapport N/C diminue; le noyau est multilobé et la chromatine plus dense; le cytoplasme perd une partie de sa basophilie, devenant plus rosé (acidophile) et riche en granulations. Mégacaryocytes matures : ou MK stade IV ou plaquettogènes ou thrombocytogènes Les granulations se regroupent en petits paquets dans le cytoplasme, ébauches des futures plaquettes. Morphologie : le noyau est multilobé, dense, pycnotique, et le cytoplasme variablement abondant a une teinte qui évoque celle des plaquettes. Taille totale: 50 – 120 µm de diamètre, selon la quantité de cytoplasme qui persiste. La libération des plaquettes a lieu au stade mature. Les MK sont proches des sinusoïdes et émettent de longs prolongements cytoplasmiques (pseudopodes ou proplaquettes) qui traversent la paroi des sinusoïdes et se fragmentent dans la lumière de ces derniers sous la forme de plaquettes. Quelques MK traversent les sinusoïdes et se fragmentent dans la circulation générale et seront arrêtés au niveau des capillaires pulmonaires, Durée totale de la maturation: 8 j Durée de vie des plaquettes: 7 – 10 j Adaptativité de la mégacaryopoïèse: en cas de thrombopénie la masse totale des MK peut augmenter jusqu’à 10 fois, avec augmentation parallèle de la taille nucléaire (augmentation de la ploïdie), de la taille cytoplasmique et du nombre total de MK Remarque. L’empéripolèse correspond à la traversée d’une cellule par une autre sans qu’aucune des 2 ne soit altérée : pour les MK la cellule traversante (leucocyte, parfois GR) pénètre par le système membranaire connecté à la surface, chemine dans ce réseau et finit par en sortir (phénomène distinct de la phagocytose). 3. APPARITION PROGRESSIVE DES MARQUEURS SPÉCIFIQUES DE LA LIGNÉE. - la microscopie électronique permet d’identifier les promégacaryoblastes qui contiennent de la peroxydase plaquettaire (Platelet PerOxidase ou PPO) qui a été le premier marqueur clairement identifié caractérisant les progéniteurs MK précoces. Cette enzyme persiste tout au long de la différenciation et dans les plaquettes sanguines, et correspond à une cyclooxygénase du métabolisme des prostaglandines, localisée dans le réticulum endoplasmique lisse (absente de l’appareil de Golgi et des granulations). [l’acétylcholinestérase est l’équivalent de la PPO pour les rongeurs] - Les techniques de tri cellulaire (FACS) permettent l’obtention de populations MK purifiées à partir d’échantillons médullaires. Les cytomètres de flux peuvent analyser le contenu en ADN des MK et définir les divers niveaux d’hyperploïdie, et rechercher l’expression d’Ag cytoplasmiques ou/et membranaires grâce à des Ac monoclonaux spécifiques. cellules BFU-MK CFU-MK Promégacaryoblaste Mégacaryocytes Ag d’immaturité Apparition progressive d’Ag plaquettaires CD 34+, CD38-, HLA DRCD 117+ CD34+, CD38±, HLA DR+, facteur Willebrand CD 33+ (granules a précoces) Gp IIb (CD41a) CD34±, CD33+ Gp IIb-IIIa (CD41) PPO+ en ME Gp Ib (CD42) Gp IV (CD36) - les techniques de culture in vitro (agar, méthylcellulose, collagène) permettent l’identification et la quantification des progéniteurs les plus précoces. Ces méthodes sont utiles pour l’aide au diagnostic de certaines pathologies plaquettaires (thrombocytémie essentielle). 4. RÉGULATION 4.1. Régulation positive La thrombopoïétine (TPO), ou c-Mpl ligand. Facteur de croissance le plus important de la mégacaryopoïèse. Glycoprotéine de 80-90 KDa (gène situé sur chromosome 3q26-3q27), dont le domaine actif N terminal présente une homologie forte (25%) avec l’EPO Sites de production : foie (un peu par le rein, le stroma médullaire, les poumons) : la production est constitutive, c’est-à-dire non influencée par l’existence d’une thrombopénie ou d’une thrombocytose. Action à tous les niveaux de la mégacaryopoïèse: oriente la différenciation des progéniteurs pluripotents vers la production de BFU-MK, stimule la croissance des progéniteurs primitifs multipotents, favorise la croissance et la différenciation des MK, augmente la production des plaquettes in vivo (effets majeurs des stades CFU-MK au MK stade II) La TPO agit également comme facteur de survie des progéniteurs pluripotents et des progéniteurs érythroïdes (certains progéniteurs érythroïdes expriment CD41 et mpl). Le récepteur de la TPO : c-mpl. Présent sur les progéniteurs MK CD34+, les précurseurs MK et les plaquettes: 30 à 200 récepteurs par plaquette. C’est un récepteur de type tyrosine kinase, qui agit comme le récepteur de l’EPO : dimérisation après contact avec son ligand, puis activation des molécules JAK (phosphorylation) puis STAT (dimérisation) (la voie PI3K/AKT est également stimulée). Régulation de la thrombopoïèse par le couple TPO-MPL: La masse plaquettaire du sang circulant fixe une partie de la TPO (par le c-mpl présent sur les plaquettes) : si la masse plaquettaire circulante est élevée (thrombocytose), la majorité de la TPO se fixe sur le c-mpl des plaquettes, est internalisée et dégradée, ce qui diminue la quantité de TPO libre pour stimuler les MK ; s’il y a peu de plaquettes (thrombopénie) peu de TPO se fixe sur les plaquettes et une plus grande quantité est libre pour agir sur les MK : augmentation du nombre, de la polyploïdisation, de la morphologie des MK, augmentation de la taille des plaquettes. Remarque. Il existe diverses anomalies des gènes codant pour la TPO ou pour son récepteur, entraînant diverses maladies (thrombopénies ou thrombocytoses constitutionnelles ou acquises, prédisposition à des leucémies). D’autres cytokines stimulent les MK. IL3, IL8, IL11, GM – CSF, SCF et LIF (leukemia inhibitory factor) : orientent la différenciation des progéniteurs les plus précoces de la mégacaryopoïèse. GM-CSF, TPO, IL8 et IL11 orientent la différenciation des CFU-MK, IL 11 et TPO favorisent la différenciation des MK. Diverses autres cytokines sont impliquées, notamment l’EPO, qui agit avec la TPO pour orienter les progéniteurs CD34+ vers la mégacaryopoïèse et agit sur la maturation des MK; cependant le traitement avec EPO seule n’entraîne pas de thrombocytose. Remarque. Dans les états inflammatoires l’IL6 produite par les macrophages induit entre autres une augmentation de synthèse de TPO hépatique (la TPO fait partie des protéines de la phase aiguë de l’inflammation). 4.2. Régulation négative Produits libérés par les plaquettes elles-mêmes (contenus dans les granules a) : PDGF, TGF b, b-TG (thromboglobuline), PF 4, CTAP III (connective tissue activating peptide III). Ces divers composants inhibent la prolifération et la maturation des progéniteurs, ainsi que la maturation des MK. Le TGF bêta libéré par les MK matures et les plaquettes inhibe à la fois la croissance des progéniteurs MK (CFU MK et proMKB), ainsi que la polyploïdisation et la maturation cytoplasmiques des MK ; par contre il stimule les cellules stromales de la MO pour qu’elles produisent de la TPO. Des facteurs de la famille des chémokines : facteurs qui fixent l’héparine et l’inhibent. D’autres molécules sont des inhibiteurs non spécifiques et inhibent également la croissance d’autres progéniteurs hématopoïétiques : interférons a et g, TNF. L’IFN alpha inhibe directement les effets de la TPO sur la croissance des MK. 4.3. Les agonistes du récepteur de la thrombopoïétine. Certaines molécules peptidiques peuvent se fixer sur le TPO-R , notamment celui des MK, et provoquer une stimulation de la mégacaryopoïèse. Le romiplostim est une protéine de fusion entre une chaîne protidique (active sur le TPOR) et le fragment Fc des Ig G1 humaines. L’eltrombopag molécule interagissant avec le domaine transmembranaire du TPO-R (stimule les voies Jak et Raf-Ras). (proposés pour le traitement de diverses thrombopénies (SMD, post-chimiothérapie, hépatites C thrombopéniques ; usage reconnu dans le traitement du PTI réfractaire : voir l’enseignement correspondant). 5. CONCLUSION Le processus d’endomitoses est particulier à la mégacaryopoïèse. Les différentes molécules utiles aux fonctions plaquettaires apparaissent progressivement au cours de la différenciation. La régulation de production fait intervenir la TPO, son récepteur, et d’autres cytokines. Chaque MK mature produit 2000 à 5000 plaquettes.