Quelques remarques sur la fonction et l'origine de l'action Publicienne( > par F.B.J. Wubbe, Maître de recherches à l'Université de Leyde. Il semble être le sort, peut-être la tragédie de l’action Publicienne d’apparaître toujours à la tin d’un exposé de la propriété romaine. Dans la plupart des manuels notre action occupe cette place traditionnelle, de sorte qu’elle semble être destinée à devenir la pierre de touche de tout ce qui a été dit préalable­ ment au sujet de la propriété. C’est comme si les savants auteurs voudraient dire — parfois ils le disent formellement — : « Si vous m’avez suivi, si vous êtes d’accord avec ce que j’ai dit jus­ qu’à présent, vous comprendrez facilement l’action Publicienne, vous y verrez complètement clair, cette action ne présentera plus aucune difficulté ». Prenons pour exemple les études de M. De Visscher qui, dans une longue série d’articles (x), s’est efforcé de reconstituer l’his­ toire de la propriété romaine, et celles de M. Kaser qui, dans(*) (*) Nous reproduisons ici, en y ajoutant les références indispensables, le texte révisé d’une communication présentée le 29 septembre 1960 à la XVe Session Internationale de la Société d’Histoire des Droits de l’Anti­ quité à Dijon. Nous tenons à remercier vivement les savants membres de cette Société qui sont intervenus dans la discussion et dont les observa­ tions précieuses sont à la base de quelques modifications apportées au texte primitif. (1) P. De Visscher, Le rôle de 1" ‘ auctoritas’ dans la 1 mancipatio RHD, 12 (1933), pp. 603-644 (— Nouvelles études de droit romain public et privé, Milano 1949, pp. 141-177) ; ‘ Manci-pium ’ et ‘res mancipl’, SDHI, 2 (1936), pp. 263-324 (= Noitv. ét., pp. 195-257) ; ‘ Actcrna auctoritas RHD, 16 (1937), pp. 573-587 (-— Nouv. ét., pp. 181-191) ; ‘Auctoritas’ et ‘ -manciÿium', SDHI, 22 (1956), pp. 87-112 ; Individualismo ed evolucione délia- propriété- nclla- Roma rcpubblicaua, SDHI, 23 (1957), pp. 26-42 ; De la- défense d'usueaper les choses volées, RIDA, 3e série, 5 (1958), pp. 469-491. 27 418 F.B.J. WUBBE son livre sur « la propriété et la. possession dans l’ancien droit romain » (2), puis dans un grand nombre d’articles et de comptes rendus (3). enfin, tout récemment, dans son Manuel (4), a élaboré une nouvelle théorie, hypothétique, il est vrai, mais dont nul ne saurait nier la cohérence intrinsèque. M. De Visscher prend comme point de départ les notions qu’évoque le mot mancipi-um. Il nous fraie le chemin à travers de multiples écueils dangereux (res mancîpi et res nec niancipi, auctoritas, usueapio, ?cæ dtiaw, etc.) pour aboutir à l’action Publicienne. Pour M. Kaser, c’est l’ancienne procédure de la lepis actio sacra-mento in rem qui est à la base de sa théorie de la pro­ priété relative (relatives Eigentuin) et ce n’est qu’aux dernières pages de son livre qu’il développe sa pensée sur notre action. Pour notre part, nous ne voudrions point contester la légiti­ mité d’une méthode qui réserve aux derniers paragraphes ce qui, dans l’ordre chronologique, a été le posterùis. Mais il y a peutêtre lieu de se demander s’il ne serait pas utile de mettre à l’épreuve les différentes opinions sur l’action Publicienne en parcourant en sens inverse le chemin que ces savants auteurs ont exploré (5). (2) AL Kasek, lilgcntiun und Resitz im iiltcrcn rëmisdicn- Rccht, Wei inai- 1943 ; réimprimé avec additions, pp. 304-378, Koln-Graz 1956. (3) Voir une énumération dans notre Res aliena pignori data, Thèse Leiden, Leiden I960, pp. 296 et s. (4) Ai. Kaseb, Das rômisdie Priratrcelit, t. I, Alünclien 1955, pp. 108 et ss., 340 et s. (5) Evidemment les auteurs que nous venons de citer, tout en ayant observé dans leurs ouvrages l’ordre chronologique, ont-ils, eux-mêmes, étudié en sens inverse le développement historique. L’on n’en saurait pas faire autrement. Impossible de ne pas partir d’une certaine période ou plutôt des notions modernes pour s’engager dans une route qui finit par se perdre dans le passé le plus reculé. C’est ce qu’avait compris, dans le livre bien connu de Giovanni Papini, Gog, le professeur Killaloe qui vou­ lait écrire La storia a ritroso (« il mio metodo, che consiste nel rigredire dal presente verso il passato, è il più logico, il più naturale, il più soddis­ facente »). LA FONCTION ET L'ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 419 N’oublions pas que Gains dont les Institutes (e) sont, dans cette matière, notre source principale, pour ne pas dire uni­ que (7), nous donne une description systématique du droit de son temps. Bien qu’il montre à maint endroit un certain intérêt pour le droit des reteres, il ne fait pas de l’histoire du droit au sens moderne de ce terme (8). Ses remarques sur l’ancien droit ont plutôt une valeur anecdotique, ce qui d’ailleurs ne veut pas dire qu’elles ne seraient pas dignes de confiance (9). N’oublions pas non plus que pour un auteur qui veut donner une description systématique, l’élément chronologique n’a qu’une importance secondaire. Ce sont, en tout premier lieu, les besoins d’ordre didactique qui imposent le plan de la disposition ; l'auteur doit grouper et ranger les éléments de la matière afin d’éviter des répétitions et de rendre le tout facile à com­ prendre (10). Si, pour le moment, nous ne voulons pas faire de l’histoire du droit à double tour — interpréter l’interprétation que Gaius nous fournit du droit ancien —, il nous faudra demander tout (G) Mieux vaudrait se référer au Codex Veronensis et se rappeler que la question de savoir s’il nous a transmis le texte authentique de Gaius — comme d’ailleurs l’autre question de savoir si Gaius était un « Iîochklassiker » — est assez débattue. Nous partons de l’hypotlièse que le texte du Cod. Ver., dans son ensemble, peut être considéré- comme un 1 Manuel de droit romain classique’. Cf. M. Kaseiï, Gains ttntl die Klassllrer. SZ, 70 (1953), pp. 128, 178. (7) Les fragments de Dlp. IG ad Bd., que nous trouvons au Digeste (D. 6.2 : De PuWiclaiia in- rem actîone) n’ont, a priori, qu’une valeur infé­ rieure. Voir infra- n. 63. (8) Voir les remarques judicieuses de C-.A. Maschi, Il dtritto romane nclla pros prit ira storica delta yltirisprudcnza classica, Milano 1957, pp. 79 et ss. (9) De sorte que, le cas échéant, le romaniste moderne peut emprunter au Cod. Ver. des renseignements précieux sur une institution de l’ancien droit sans être obligé à suivre l’auteur dans son interprétation. Plus sceptique F. Wieackeb, Textstufcn- ftlassischer Juriste», Abliandl. der Akad. der Wissenscli. in Gottingen, PIiil.-Hist. Kl., 3” série, N” -15. Gottingen 1960, pp. 1S6 et ss. (10) Cf. M. Füiirmaxx, Dos systeniatiselie Lelirlmch, Gottingen 1960, pp. 104 et ss., 1S1 et ss. 420 F.B.J. WUBBE simplement : Quelle est, dans le système de Gains, la place exacte de l’action Publicienne ? C’est à cette question que sera consacrée la première partie de cet article. Dans une seconde partie nous nous permettrons quelques réflexions sur l’origine de notre action. I. Quelle est donc, d’après Gaius, la fonction de l'action Publi­ cienne ? Trois textes, bien connus, pourront nous renseigner : 1. — Premier et principal texte : Gai. 4.36 : <Item usucapió flngitur in ea actione quae Publiciana> (n) vocatur. datur autein liaec actio ei qui ex iusta causa traditam sibi rem nondum usucepit eamque amissa possessione petit, nam quia non potest eam cæ iure Quiritium suam esse intendere, flngitur rem usucepisse et ita quasi ex iure Quiritium dominus factus esset intendit, veluti hoc modo Iudeæ esto. &i quem hominem .1. Agerius émit <ei> is ei traditus est; anno possedisset, tum si eum hominem de quo agitur eæ iure Quiritium dus esse oporteret (11 12) et reliqua. Si nous ne possédions que ce seul texte, que faudrait-il en déduire ? Nous croyons qu’il faudrait en déduire que, selon Gaius, l’acquéreur d’une chose livrée en vertu d’une cause juste 11e peut prétendre rem suam esse ex iure Quiritium, avant qu’il 11e l’ait usucapée. Si j’ai acheté un esclave — c’est l’hypothèse de la formule — et qu’il m’a été livré, je ne pourrai, en cas de dépossession avant que le délai d’un an ne se soit achevé, inten­ ter contre le possesseur l’action en revendication, rem meam esse ex iure Quiritium, intention que l’on trouve un peu plus loin dans le texte (§ 41). L’action Publicienne paraît donc être des­ (11) Texte de Krüger-Studemund, pp. 104 et s. ; il est probable que le copiste a omis une ligne (deux fois vocatur). (12) Ed. de J. Reinacli : pareret. Cf. Vox Scheure, Beitriige zur Bcarlteitmiff (tes fíomisclicu JlccJits, [t. I], Erlangen 1853, p. 133. LA FONCTION ET L’ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 421 tinée à combler une lacune qui s'ouvre chaque fois qu’une chose a été livrée en vertu d’une cause juste et qui reste ouverte pendant un certain délai. Ce délai une fois écoulé, l’acquéreur pourra prétendre : « La chose est à moi », tandis qu’auparavant, en cas de dépossession, il n’aurait pas d’action si l’action Publicienne ne venait pas à son aide. Grâce à la formule de cette action le juge devra statuer comme si le délai requis pour l'usucapion était achevé (si anno possedisset). La fiction du délai acompli ne fait donc autre chose que mettre le demandeur au même plan où se trouve le demandeur à la revendication. Si celui-là prétend : « La chose m’appartiendrait si je l’avais eue en ma possession pendant un an à compter de la date de la traditio », il faudrait admettre que le demandeur à la revendi­ cation prétend : « La chose m'appartient parce que je l’ai eue en ma possession pendant le délai requis pour l’usucapion » (13). Si nous ne possédions que ce seul texte ... Mais il y a d’autres textes : 2. — Deuxième texte : Gai. 2.18 : Magna autem differentia est inter mancipi res et nec mancipi. 19. IsIam res nec mancipi ipsa traditione pieno iure alterius fiant, si modo corporales sunt et ob id recipiunt traditionem. 20. Itaque si tibi vestem vel aurum vel argentimi tradidero sive ex venditionis causa sire ex donationis sive quavis alia ex causa, statim tua fit ea res, si modo ego eius dominus sim. 21. ... 22. Mancipi vero res [sunt, quae] (14) per mancipationem ad alium transferuntur ; nude etiam mancipi res sunt dictae. ... (13) Inutile de rappeler que, in concreto, le demandeur peut prétendre (et prouver) qu'il a ‘ usncapé ’ (« J’ai possédé la chose pendant le délai requis pour l’nsucapion ») tandis que le défendeur, de son côté, peut lui opposer qu'il n’a pas ‘ usucapé ’ (« Quoique tu aïs possédé la chose pen­ dant le délai, tu n'en es pas le propriétaire parce que la chose m’a été volée » ou « parce que tu n’étais pas de bonne foi lorsque la chose te fut livrée»). C’est que les parties emploient le mot usucepisse dans deux significations différentes. Cf. infra, n. 2S. (14) Voir Solazzi, Glosse a Gaio [f], Studi Rîccobono, Palermo 193G, t. I, p. 154 ; Ed. maîor de M. David et II.D.W. Nelson (texte), p. "0. 422 F. B.J. 1VUBBB On ne peut s'empêcher de demander : « S’il est vrai que l’acquéreur d’une res nee maiicipi livrée par le propriétaire en devient lui-même dominus par l’effet de la traditio, pourquoi ne saurait-il, dès la traditio, prétendre que la chose est à lui de droit quiritaire ? ». S’agit-il d’une res mancipi, la même ques­ tion se pose : le mancipio accîpiens ne saurait-il immédiatement, c’est-à-dire même avant l’accomplissement du délai, réclamer la chose du tiers possesseur en prétendant rem s nam esse ex iure Quiritium ? Celui qui a acquis une res mancipi par mancipation ou une res nee mancipi par traditio ex insta- causa a-t-il vrai­ ment besoin de la fiction de l’action Publicienne, s’il a perdu la chose avant l’écoulement du délai ? Il n’y a, croyons-nous, à ces questions qu’une réponse pos­ sible : Cet acquéreur pourrait très bien dès le moment de la mancipatio ou de la traditio intenter contre le tiers possesseur l’action en revendication, à condition qu’il serait prêt à prouver l’existence de la propriété dans le chef de l’aliénateur. Or, s'il y a des cas, où le droit de l’aliénateur pourrait être démontré sans beaucoup de peine (15), le plus souvent le demandeur se verrait chargé d’une preuve vraiment diabolique (16). Quoi qu’il en soit, la formule de l’action Publicienne n’exige pas du demandeur cette preuve ; que le demandeur, dès le moment de la mancipatio ou de la traditio, soit devenu propriétaire ou non, la formule oblige le juge à vérifier seulement la prétention : « Le délai une fois accompli j’aurais été propriétaire ». Serait-il imprudent d’en conclure que, dans tous les cas où il y a eu traditio ex insta, causa, l’acquéreur choisira l’action Publicienne s’il a perdu la chose avant l’accomplissement du délai, la formula petitoria s’il peut prouver : auno possedi (17) ? (15) Par exemple, si cet aliénaient avait acquis la chose par un mode originaire (accession, occupation, spécification). (16) Cf. P. Yoci, Modi- di acqulsto délia propriété, Milano 1952, p, 160. (1.7) L'on s’est demandé si, le délai une fois accompli, le demandeur peut encore intenter l’action Publicienne. Ailleurs (op. cil., p. 64) nous avons soutenu que le préteur, le cas échéant, devrait refuser cette action et renvoyer* le demandeur à la revendication ; le demandeur qui peut prouver a a no possedi- n’a aucun besoin d’une action qui feint ce qui est un fait avéré. Cf. LTlp. D. G.2.1.1. LA FONCTION ET i/OKIGINE PE r/ACTION PUBLICIENNE 423 Autrement dit : n’est-il pas très probable que, dans tous les cas où il y a aliénateur et acquéreur, l’action eu revendication de l’acquéreur contre le tiers possesseur n’est que le prolongement, la continuation de son action Publicienne ? Pourvu qu’il y ait une cause juste et que l’aliénateur en vertu de cette cause ait saisi l’acquéreur de la chose, celui-ci pourra la réclamer du tiers possesseur. Le résultat que pourrait obtenir le demandeur en intentant la formula petitoria (condamnation du défendeur nisi res restâtu etur) ne saurait être plus favorable que celui qu’il pourrait obtenir avec l’action Publicienne (18). Mais pour obtenir ce résultat identique, l’action en revendication charge­ rait le demandeur d'un fardeau de preuve beaucoup plus lourd : elle exigerait de lui la preuve du droit de l’aliénateur. Ce n’est, qu’en cas de dépossession après l’écoulement du délai requis pour l’usucapion que notre acquéreur, en intentant la formula petitoria, peut se passer de cette preuve diabolique. Nouilles (19) le dit très bien : « Je suis profondément convaincu que l'usucapion ... a de tout temps confirmé la propriété, même régulièrement acquise .... Tout propriétaire, quel que soit son titre, toutes les fois qu’il lui faut apporter la preuve de sa pro­ priété, invoquera le délai [d’un ou] de deux ans ». Les deux textes que nous avons vus nous portent à souscrire à la thèse de Charles Appleton (20) : « La revendication s’est fondue dans la Publicienne ». 3. — Troisième texte : Gai. 2.41 : Nam si tibi rem mancipi neque mancipavero neque in iure cessero, sed tantum tradidero, in bonis qui(18) Bien entendu : le demandeur à la revendication qui a obtenu gain de cause en invoquant le délai accompli est déclaré dominus ex iure Quiritiuin. tandis que le demandeur vainqueur à l’action Publicienne peut être considéré comme fut it rus (loin in us. Mais dans les deux cas — et c’est ce qu’il faut souligner — il reste possible qu’il y ait un tiers qui pourrait évincer la chose. (19) P. Noaili.es, Fas et Jus, Paris 1948, p. 242, (20) Ch. Appletox, Histoire de la propriété prétorienne de l’action, Publicienne, Paris 1889, t. II, p. 40. <121 ■U P.B.J. 1VUBBE dem tuis ea res efficitur, ex iure Quiritium vero mea permanebit, donec tu eam possedendo usucapias ; semel enim impleta usucapione proinde pieno iure incipit, id est et in bonis et ex iure Quiritium tua res esse, ac si ea mancipata vel in iure cessa <esset. 42. Usucapio autem> (21) mobilium (piidem rerum anno completili’, fundi vero et aedium biennio ; et ita lege XII tabularum cautum est. 43. Ceterum etiam earum rerum usucapio nobis conpetit, quae non a domino nobis traditae fuerint, sive mancipi sint eae res sive nec mancipi, si modo eas bona fide acceperimus, cum crederemus euin, qui traderet, dominum esse. 44. Quod ideo receptum videtur, ne rerum dominio diutius in incerto essent, .... Dans ce fameux texte Gaius nous montre l’usucapion dans deux hypothèses : l’usucapion est le mode d’acquérir la propriété de la res mancipi livrée par tradition, ou de la chose quelconque que l’on tient d’un non-propriétaire. Dans l’hypothèse d’une res mancipi acquise a domino par simple tradition l’usucapion est appelée à couvrir le vice de forme ; dans l’autre hypothèse elle doit couvrir un défaut dans les droits de l’aliénateur, « pourvu que nous les ayons reçues de bonne foi, dans l’idée que celui qui en faisait livraison était propriétaire » (22). Inutile de rappeler que les deux hypothèses peuvent se produire à la fois lorsqu’une res mancipi est livrée a non domino par tradition à un acquéreur de bonne foi t23). (21) Voir Ed. iunior de David-Nelson (texte), p. 74, (commentaire) pp. 25S et s- ; Th. Mayer-Mal y, Zur Tcætgestatt von- Gai. IVRA, 11 (I960), pp. 201 et ss. Probablement il ne s’agit pas d’une simple faute de copiste, mais d’une abbréviation délibérée du texte authentique. (22) Traduction de J. Reinacli. (23) La bonne foi requise pour l’usucapion n’a donc, d'après Gaius, rien à voir ni avec le vice de forme, ni avec la validité du titre de la tradition (contre J.C. Van Oven, Pie Antinomie 1). J/1J.36 - 12.1.1S Pr., TR, 20 (1952), p. 442), de sorte que l’acquéreur d’une res mancipi simplement livrée est de bonne foi s’il tient le tradcns pour le propriétaire. Cf. M. Raser, Das rom. Privairechi, t. I, p. 35G. ■I Isi w Mi;ì Xj; ? ; i ; ; -• 5f | ! ì | 1i : : ■ i 1 d = LA FONCTION ET L’ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 425 Voilà donc deux catégories d’acquéreurs qui ne sont pas immé­ diatement, par l'effet de la livraison qu’on leur a faite, proprié­ taires de la chose ; il leur faut usucaper la chose. Or, les auteurs sont presque unanimes à admettre que c’est pour ces deux grou­ pes d’acquéreurs que l’action Publicienne entre en jeu. L’on pourrait résumer la pensée de ces auteurs de la manière sui­ vante : si celui qui tient la chose du propriétaire, en devient luimême propriétaire immédiatement, pourvu que la chose lui a été transférée dans les formes, ce n’est que l’acquéreur en voie d’usucapion qui a besoin d’une action spéciale. Cette action spéciale, le préteur lui l’accorde : c'est précisément l’action Publicienne. En effet, il n’est pas difficile de voir la logique de ce raisonne­ ment. Nous croyons cependant qu’en raisonnant ainsi, l’on ris­ que de perdre de vue une particularité de l’usucapion, particu­ larité dont Gaius s’efforce de nous montrer l’importance (24). L’on peut bien dire, du point de vue du droit matériel, que « l’usucapion nous revient des choses que nous livre le nonpropriétaire, pourvu que nous les ayons reçues de bonne foi », mais c’est précisément lorsque in concret® l’acquéreur est de bonne foi qu’il ignore si l’aliénateur était dominus (25). Les règles du droit matériel nous apprennent les différents modes d’acquisition de la propriété : la propriété se transfert par man­ cipation, in inrc cessio ou traditio eæ iustn causa ; la propriété s'acquiert en outre par l’usucapion, etc. Par contre, Gaius, dans son quatrième livre consacré aux actions, nous apprend au § 36 quelle voie de recours est ouverte à celui qui veut réclamer la chose qui lui a été livrée en vertu d’une cause juste. Cet acqué­ reur ne choisira donc pas l’action Publicienne parce qu’il n’est pas dominus, il choisira cette action parce qu’il ignore si l’aliénateur était dominus et que, par conséquent, il ignore s’il est, lui, dominas. (24) Voir notre étude Usurcceptio mid relatives JSigentiim, TR, 28 (1960), notamment pp. 14 et ss. (25) Cf. IV. IV. Buckland, A Teætbooh of Roman Lato front Augitstus to J ustinuni2, Cambridge 1982 (réimprimé avec des corrections, 1950), p. 193 : « In strictness a l>.f. posscssof eannot know tliat lie is one ; lie tbinks lie is reall.v entitled ». 426 F.B..T. WUBBE a L’acquéreur d'une res mancipi simplement livrée, dira-t-on, choisira l’action Publicienne parce qu’il sait qu’il n’est pas dominus ». Nous ne le croyons pas. Nous croyons que cet acqué­ reur choisirait également l’action Publicienne si la chose lui avait été régulièrement mancipée (26). Le jeu de l’action Publi­ cienne a pour effet de rendre le demandeur indépendant du droit de l’aliénateur. Or, l’acquéreur d’une res maitcipl trans­ férée dans les formes, pourquoi se serait-il imposé l’ennui d’une preuve dont l’action Publicienne devait précisément le dis­ penser ? (2728 ) Ces réflexions nous obligent à préciser notre interprétation des mots qui eæ iusta causa traditam sïbî rem nanditm itsuccpit au 4.36. Nous ne traduisons pas ce passage par « qui n'a pas encore usucapé », comme si notre action avait pour seul but de faire triompher le demandeur qui n’est pas encore propriétaire de droit quiritaire ; nous traduisons, en parfaite harmonie d'ailleurs avec les mots de la formule si anno possedisset, par « qui n’a pas encore possédé la chose pendant le délai d’un an » (2S), de sorte que notre action, le cas échéant, peut être intentée par quelqu’un qui, à son insu, en est propriétaire. Inutile de souligner que nous ne prétendons pas, par cette interprétation, assurer la victoire au demandeur qui, d’après les (26) S'agit-il (Tune chose mancipée ou in, ¡lire cédée, l'acquéreur en intentant l’action Publicienne devrait, également, prouver que l’aliénateur Ten a saisi ; praedla- vero absentia- soient mancipari (Gai. 1.121). (27) Si l’action Publicienne fut, primitivement, destinée à la protec­ tion d’acquéreurs par traditio, il s’ensuit que, du moins au début, les acquéreurs d’un mode originaire tout en ayant un titiilus iisiicapionis n’étaient pas admis comme demandeurs à cette action. Cependant, il est possible que l’on ait fini par la leur concéder. Voir Ulp. D. G.2.1.2. et eod. 3 pr., infra n. 63. (28) C’est cette signification qu'il faut attribuer également au mot lisiicaptain- prononcé par le préteur dans son édit introductif (voir infra, p. 436). Cf. BucKr^xD, Textbook, p. 102, n. 10: «Gains does indeed say fingitur usacepisse but the formula which lie gives at the same point is more exact. A fiction that he had acquired would leave the index nothing to try ; if in a real action we begin by presuming that the thing belongs to the plaintiff, all that is left is to give judgement in his favour ». LA FONCTION ET L'ORIGINE DE l’aCTION PUBLICIENNE 427 règles du droit matériel, ne peut usucaper, par exemple puis­ qu’il n’était pas de bonne foi ou que la chose n’est pas suscep­ tible d’être usucapée ; la clause de la formule tu ni si rem Ai J7 esse oporteret est lit pour l’empêcher (29). Mais nous voulons, par cette interprétation, assurer la victoire — outre à l'acqué­ reur qui était en voie d’usucaper la chose lorsqu’il en perdit la possession — à l’acquéreur qui n’a pas besoin de l’usucapion parce que, selon les règles du droit matériel, mais sans qu'il doive le prouver, il en est déjà le propriétaire, par exemple puis­ qu’il s'agit, en réalité, d'une res nec mancipi livrée a domino. II. Après avoir étudié la fonction de l’action Publicienne dans le système de Gains, nous sommes prêts à aller à la recherche de l'origine de notre action. A quel but voulut atteindre un certain préteur Publieras en créant l’action Publicienne ? A quel besoin l'action Publicienne fut-elle appelée à répondre ? Son champ d’application primitif a-t-il été plus restreint qu’il ne devait l’être à une époque ultérieure ? Comme point de départ il nous faudrait prendre le texte de l’édit introductif de notre action. Malheureusement Gaius, dont les Institutes nous ont appris les mots de la formule, n’a-t-il pas cité textuellement l’édit Publicien. Cependant, si nous lisons attentivement le début du 4.36, c’est comme si nous entendions l’écho de la rira ro.r du préteur. Datur autem haec actio corres­ pond à la clause habituelle : iiidieium (labo. Si Gaius, en écrivant le texte que nous avons sous les yeux, s’inspirait du texte de l'édit que, quelques dizaines d’années auparavant, le juriscon­ sulte Salvius Julianus avait fixé définitivement, il nous faudrait seulement, pour reconstituer cet édit, transposer le début du 4.36 au conditionnel : Si quis ex iusta causa traditain sibi rem nondum nsucepit eamque amissa possessione petit, iudicium dabo. (2S)) C'est au défendeur de démontrer que le demandeur, malgré la traditio ea * ittsfa causa et malgré l'achèvement fictif du délai, u’ost pas dominas e.r iurc Qiiiritium. Cf. supra, n. 13. 428 F.B.J. WUBBE C'est, en effet, cette méthode qu’a suivie Boutante ; le savant romaniste italien arrive à une reconstitution (30) qui suit de très près le texte de Gaius. Une autre méthode a été adoptée par Lenel (31). Son point d'appui est le fameux texte du Digeste 6,2.1 pr. ; Ulpien, dans son commentaire sur l’Edit du préteur, commence le chapitre sur l’action Publicienne en citant le texte de l'édit introductif. Voici, comment les compilateurs nous ont transmis le texte d’Ulpien : D. 6.2.1 pr. : /Vit praetor : Si quis id quod traditur ex iusta causa non a domino et nondum usucaptum petet, iudicium dabo. Or, on s’accorde généralement à reconnaître que ce texte ne rend pas fidèlement le texte de l'édit (32) et que notamment les mots non a domino y ont été ajoutés plus tard. Nous adoptons cette opinion généralement admise (33). Lenel, dans la première édition de son Edictum Perpetuum, soutenait qu’il y avait dans l’Edit du préteur deux édits intro­ ductifs et, par conséquent, deux formules distinctes, l’une déli­ vrée à celui qui avait reçu tradition d’une res mancipi^ l’autre accordée à celui qui avait acquis une chose quelconque d’un nou- (30) P. Boxfante, Scritti ffiuridïci varii, t. Iï, Torino 1926 (préface de 191S), p. 406 : Si guis rem eæ iusta causa traditaci sibi et nondutn ttsiteaptitm petci, i. d. C’est dès la 3° édition des Istituzioni (1903), § 99, que B. a soutenu cette reconstitution. (31) O. Lexel, Beitriige zur Kunde des prâtorisciieu Edicts, Stuttgart 1S7S, pp. 1-54. (32) NI d’ailleurs celui d’Ulpien. (33) Si ces mots figuraient dans le texte du préteur, le défaut dans le droit de l’aliénateur devrait être prouvé au procès. Or, prétendra-t-on que le demandeur « devrait d’abord faire la preuve de l’irrégularité de son titre» ? (Noaili.es, Bas et Jus, p. 242). Celui qui a ajouté ces mors pre­ nait la promesse du préteur pour une règle de droit matériel (« L’acqué­ reur a non domino peut usucaper la chose»), Cf. notre op. cit. à la n, 3, p. 50. LA FONCTION ET L’ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 429 propriétaire (34). Cette thèse ayant été combattue notamment par Appleton (35) et Erman (36), Lenel l’a abandonnée dans la deuxième édition de son célèbre ouvrage (37). Dès lors il admet­ tait qu’il ify avait qu’une seule formule promise par un édit unique. Le préteur aurait voulu « simplement protéger celui auquel une res mancipi a été livrée ex insta causa ». L’édit devrait se lire : Si quis ici, quod mancipio datur, traditimi ex iusta causa et nonduin usucaptum petet, iudicium dabo. Le préteur ne se serait pas aperçu qu’en rédigeant ainsi son édit, il devait protéger deux catégories d’acquéreurs de res mancipi : l’acquéreur a- domino (le soi-disant propriétaire « bonitaire » ou «prétorien))) et l’acquéreur a non domino (38). Ce n’eût été que la jurisprudence de l’époque ultérieure qui aurait étendu l’action Publicienne aux acquéreurs de res nec man­ cipi (39). (34) O. Level, Das Edictum Perpetua ni, Leipzig 1S83, pp. 129 et ss. ; conformément aux Beitrüge, pp. 53 et s. (35) Ch. Appleton, Essai de restitution de l'édit publicicn et du com­ mentaire d’Ulpien sur cet édit, Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 10 (1S8G), pp. 101-110, 211-232 ; repris au Cluip. IV de Pop. oit. (supra, n. 20), t. I, pp. 48-92. (30) IL Ermax, Beitrüge sur Pulrticiana, I, SZ, 11 (1890), pp. 225 et ss. — Pour les autres critiques de la thèse primitive de Lenel, voir Ed. perp.3 (1927), p. 170 n. 1. (37) Après avoir défendu dans sa Palingenesia Iuris Civilis, Lipsiae 1SS9, t. II, col. 512 n. 3, une doctrine intermédiaire (un seul édit de eo cui ■mancipt res a domino tradita est, deux formules dont celle destinée à la protection de l’acheteur de bonne foi aurait été edicto ïllo antîquior) a admis un édit unique et une formule unique dans Nachträge mm Ediotum Perpetuum, SZ, 20 (1899), pp. 11 et ss. ; cf. Ed. perp.2 (1907), pp. 164 et ss. (38) Nachträge, p. 29. (39) L’on ne peut s’empêcher de demander où en est, dans ce système, l’acquéreur d’une res mancipi régulièrement mancipée i»ar un nonpropriétaire. 430 LA FONCTION ET L’ORIGINE DE L'ACTION PUBLICIENNE 431 F.B.J. WUBBE líe rtoítGT COnclusion qui lîe trouve aucun appui dans Gai. ( ), la reconstitution de Bonfante («) échappe. C’est en eftet, cette reconstitution que l’on retrouve dans la plupart’des manuels modernes (40 4243 41 ). Mais si Bonfante et les auteurs qui l’ont 44 suivi soutiennent que l’édit publicien ainsi conçu ferait triompier tous ceux qui au bout du délai auraient la propriété quiritaire — non seulement le propriétaire bonitaire, mais 1 acquéreur a non domino avec juste titre et bonne foi — cela nempeche pas que beaucoup d’entre eux s'inclinent devant la ihèse de Lene! en admettant que notre action a été insti­ tuée pour l’hypothèse d'une res mancipi simplement livrée L on peut même constater que Bonfante voit le domaine primitif de 1 action Publicienne encore plus restreint que ne le fait Lenel ; selon Bonfante, notre action «era originariamente con­ cepito per l’i«. bonis, ma nella sua large dizione ... esso si prestava a riassumere anche la difesa dell’alienazione di res mancipi o nec mancipi compiuta a non domino » («). L’hvpoìese envisagée par le préteur Publicius aurait donc été ‘ res inmpi tradita a d o m i n o, et l’édit aurait été destiné à couaï ir le seul vice de forme. Nous croyons que cette opinion se heurte à une grave obiecîon . Si vraiment l’action Publicienne fut destinée par le pré­ teurPublieras ù couvrir le seul vice de forme, l’on compren­ drait mal pourquoi il a admis dans la formule la Action si anno posseduteti"). Ne lui eût-il pas fallu admettre la fiction si mancipio accepisset ou si (res) in in re cessa ei fuisset (45) ? (40) C'est selon toute vraisemblance à titre (l'exemple que dans la toi1aule atee ¡u Gains une res manoipl (un esclave) figure comme objec"A Ct' ''VtASSAK' f:,!M ««<1 Ktaoeform, .Tena 1SS2, pp. 73 et ss (41) Voir supra, n. 30. . ÎJV" V,el“P1C : R- M0N™’ élémentaire <ì-, étroit rOlna!„, 1051’ n'a-c t’i’”' 3S°, T1 S' ' F’ 80H™!’ i»«’, Oxford Z )^XXt~ £“v,s <lei,u,s *“■ Bcs-w- 298 « (43) Op. cit., p. 241 ; ef. V. Arangio-Rviz, Istituzioni di diritto romano», Napoli I960, pp. 1SG, 220 n. 1. (44) De sorte qu’un acquéreur « non. domino eu profiterait également. (M De sorte que le demandeur se verrait toujours dans l’obligation Quoi qu’il en soit, que l’on accepte l’opinion de Lenel ou celle de Bonfante, l’on ne saurait échapper à une conclusion peu fia teuse pour le préteur Publicius : la «larga dizione a aurait eu pour effet que toute une catégorie d’acquéreurs que le i n e < point destiné à protéger aurait pu s’y rapporter ( ). La reconstitution de Lenel et la théorie de Bonfante ont trouvé, dans ces dernières années, un champion vigoureux en la personne de M. De Visscher (47). L’éminent romaniste belge a été frappé «par le fondement radicalement different que Gains (2.41-44) assigne aux deux fonctions de l’usucapion. Dans le cas des res mancipi simplement livrées, c’est la loi [ct ita leqe XII tabular uni cautum est] ». S’agit-il de choses acquises a non domino, l’usucapion a été reçue, admise (receptum ridetur) f48). L'application de l’usucapion aux choses acquises a non domino serait une institution due à l’activité créatrice de 1 an­ cienne jurisprudence (49). Selon M. De Visscher c’est donc exclusivement à l’hypothèse de res mancipi simplement livrées que Gains rapporte le pré­ cepte légal des XII Tables. La règle de l’«s«s auctontas ( ) aurait eu pour seul but de couvrir un vice de forme. Dans les siècles suivants (5Î) l’usucapion aurait été appelée à couvrir en de prouver que l’aliénateur, avant la tradition, était propriétaire de la Ch(46) Dans le système de Lenel : les acquéreurs de res nec mancipi dans le système de Bonfante : les acquéreurs a non domino de chos Q (47) F De Visscher, 4 Auctoritas ’ et 4 mancipiitm , SDHI, 22 (19oG), p. 105: Si qnis M duod mancipi est cæ insta causa ci tradition ertt et ■nonduni usucaptum petit, Í. d, (4SI Op. cit., p. 99,. (49) Cf. F. De Visscher, De la défense d usucapa les choses vo ces, RIDA, 3e série. 5 (195S), pp. 471 et ss. , (50) De cette règle aucune source ne nous a transnns les termes exacts. Le texte <lu Cod. Ver. 2.42 (et 2.204 i.f.) a, peut-être, remplace un texte mieux formulé ; voir Mayer-Maly, op. cit., pp. 202 et ss. S) Une indication peu précise que nous nous permettons pour ne pas trahir les pensées de M. De Visscher ; nous avouons n’avoir pas tres bien compris si, selon M. De Visscher, cette extension se serait opérée axant ou après la création de l’action Publicienne. 432 F.E.J. WUBBE outre un défaut dans les droits de l’aliénatenr. Cette extension se serait opérée par voie jurisprudentielle. « Car si la possession prolongée d’une res mancipi acquise par simpe tradition couvre le vice de forme, laissera-t-elle l’acquéreur dans l’obligation éven­ tuelle de prouver l'existence de la propriété dans le chef de l'aliénateur ? » (52J. A cette question que àl. De Vissclier pose à ses lecteurs et à laquelle il veut répondre par la négative, il faudrait, croyonsnous, répondre sans hésiter : Oui, bien sûr ! D’une institution destinée à guérir un vice de forme, aucune logique ne mène à une prescription acquisitive au sens moderne de ce ternie, c’est-àdire à une prescription de choses acquises a non domino. C'est, comme le dit très bien M. De Vissclier lui-même, « une hypothèse toute différente ». Or, chaque théorie qui soutient que la règle des XII Tables ou l’action Publicienne furent destinées primitivement à couvrir un vice de forme doit faire, tôt ou tard, ce bond pénible et dan­ gereux. Si les partisans de cette théorie sautent de l’hypothèse réputée primitive à l’hypothèse « toute différente » à petit bruit, c’est que la notion d’une prescription de choses acquises « non domino leur est tellement familière qu’ils ne peuvent s’imaginer un système de droit qui ne reconnaîtrait pas, dans quelque forme que ce soit, cette prescription. M. De Vissclier s’est efforcé de démontrer que d’après Gains l’usucapion de choses acquises a non domino a été introduite par la coutume (53). Pour notre part, cette argumentation nous paraît convaincante. Mais si elle est convaincante, la question reste à savoir à quelle époque remonte cette règle de droit cou­ tumier. N’y a-t-il pas eu de tout temps des acquéreurs a non domino (54) ? N’y a-t-il pas eu toujours le besoin de mettre fin à l’incertitude dont Gains parle (ne rernm dominia dintius in (52) Op. cit., p. 103. (53) Op. cit., p. 99. (54) En effet, du moment que l’on fait une distinction entre propriété et possession — une période où il n’y ait pas encore cette distinction ne saurait être qu’hypothétique — il y aura des acquéreurs (de bonne foi) a non domino. LA FONCTION ET LORIGINE DE L'ACTION PUBLICIENNE 433 incerto es sent) ? N’est-il pas infiniment probable que le besoin de protéger les acquéreurs « non domino se soit fait sentir bien avant que l'on ait commencé à transférer des res mancipi sans recourir à la mancipation ou à l’in iure cessio 2 C’est à bon droit, croyons-nous, que Nouilles soutient qu’à l’époque des XII Tables « la transmission d’une res mancipi par tradition entre Romains ne peut être qu’une anomalie trop sin­ gulière pour avoir suscité une règle légale » (53). Si la usucapio earum rerum, qitae non a domino iioìris traditae fuerint, recepiti ridetur par la coutume, c’est qu’il s’agit de « quel primigenio ius civile di cui i decemviri hanno fissato per iscritto soltanto qualche correzione e deviazione » (55 56). Nous craignons que M. De Vissclier, en interprétant le texte de Gains, n'ait attaché trop de valeur, non pas aux mots de cet auteur, mais à la suite de ses pensées. Gaius, ayant attiré notre attention sur la dualité du régime de la propriété romaine, poursuit : « Si je me suis borné à te livrer une res mancipi, celle-ci tombe dans ton patrimoine, mais elle continue de m’appartenir ex ivre Quiritiuni ; c’est seulement une fois l’usucapion accomplie que la chose commencera à être tienne de plein droit». Et il ajoute (57*) : « Or, l’usucapion en cas de meubles se parfait par un an, celle des biens-fonds et des maisons par deux ans ; ainsi en disposent les XII Tables. Cetera ni ... (puisque je viens de parler de l’usucapion, « überhaupt » on dirait en allemand, le champ d’application de cette institution est beaucoup plus large) ... l’usucapion nous revient de toute chose, qu’elle soit mancipi ou non, que nous livre le non dominas, pourvu que nous l’ayons reçue de bonne foi». Et il conclut par nous apprendre l’origine de l’usucapion : on l’a admise afin que les reru ni dominia ne restent pas trop long­ temps dans l’incertitude (5B). (55) Noaxlles, C'a s et Jus, p. 241. (5G) V. Aiïangio-Ruiz, La compravendita- in diritto romano2, Napoli 1954. p. 321. (57) Voir cependant notre réserve formulée supra, n. 21. (53) Cf. Gai. IX 41.3.1 : Jìono publico usucapio introduci a est, ne sciticet quarundam rcrum diu et fere semper incerta dominia essent, ... 434 F.B.J. WUBBE Il nous semble que Gaius, en exposant ainsi le droit en vigueur, ait poursuivi une chaîne d’associations : les choses (§ l)j les différentes catégories de choses 2-17), leurs modes respectifs d’acquisition (§§ 18-96) ; acquisition de res corpo­ rales (§§ 18-27), de res incorporales (§§ 28-39), le curieux duplex dominium (§§ 40-41) (5960 ), l’usucapion (§§ 42-61). C’est donc par hasard, par le jeu de ces associations, par les exigences d’ordre systématique que Gaius doit entamer l’usucapion à cet endroit de son exposé et c’est par ce même hasard qu’il lui faut abor­ der cette institution par un cas spécial, celui du propriétaire bonitaire. Nous ne croyons pas que Gaius rapporte la règle des XII Tables uniquement à l’hypothèse des res mancipi simple­ ment livrées. Nous croyons que Gaius ne fait autre chose qu’af­ firmer la. possibilité de l’usucapion de res mancipi traditae et qu’il cite la règle des XII Tables pour nous apprendre les dif­ férents délais de l’usucapion dont il nous expliquera, dès le § 43, le champ d’application et l’origine. L’hypothèse du propriétaire bonitaire, à notre avis, n’est donc qu’un cas spécial de l’usucapion «normale». La particularité consiste en ce que l’acquéreur sait qu’il n’est pas devenu dominns, tandis que normalement (c'est-à-dire lorsque la chose a été transférée dans les formes) l'acquéreur ignore s’il est devenu do min us (G0). A quelle époque l’on ait commencé à se passer du rite de la -mancipatio, nous l’ignorons (61). A en croire Gaius, les mancipations étaient en son temps encore à l’ordre du jour (62). Mais l’on peut s’imaginer que l’usucapion devrait porter remède (59) Voir également Gai. 1.34 : on a beau traduire ce passage, comme l a fait M. Eeinacli, par « une propriété à double aspect », il n’en reste pas moins vrai que cette expression est peu conforme au langage des « Klassiker ». Cf. M. Kaser, Gains und die Klassiker, SZ, 70 (1953), pp. 165 et ss. (60) Voir supra, nn. 15 et 25. (61) En ce qui concerne Vin itire cessio, Gaius (2.25) nous dit expressé­ ment qu’elle est tombée en désuétude. (62) Gaius ne dirait pas (2.25) plerumguc tamen et fera semper maneipationilms iitinmr, même en comparant la mancipatio avec Vin titre ces­ sio, quand, normalement, les res mancipi se transféraient par simple tra­ dition. Malheureusement la suite du texte, au Cod. Ver., est illisible. LA FONCTION ET L’ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 435 dans les cas où raliénatem* d’une res mancipi se serait bond* à. la simple tradition. Qu’il nous soit donc permis, pour éviter tout malentendu, d’interchanger les termes de la question que M. De Visscher a posée à ses lecteurs : « Si la possession prolongée d’une chose quelconque couvre le défaut dans les droits de l’a liénateur, laissera-t-elle l’acquéreur d’une res mancipi dans l'obli­ gation éventuelle de prouver que la chose lui a été régulièrement mancipée ? ». C’est à cette question que l’on pourrait répondre par la négative. Revenons-en à l’action Publicienne. Si les paragraphes consa­ crés par Gaius à l’usucapion se trouvent en pleine harmonie avec l’exposé sur l'action Publicienne et que, dans nos autres sources, nous ne trouvons aucun indice qui devrait nous porter à croire que cette action aurait été destinée primitivement à protéger les acquéreurs de res mancipi traditae (a domino) (G3), (63) Les partisans de la thèse combattue se sont efforcés de démontrer qu’Ulpîen, dans son commentaire sur l’édit introductif, n’aurait envisagé que les res mancipi ; voir par exemple Bonfante, op. vit., pp. 412 et ss., qui soutient que dans tous ces fragments il s’agit de res mancipi acquises a domino. A notre avis, ces fragments d’Ulpien s’expliquent tout simple­ ment de notre point de vue (voir notre B es aliéna pignori data, pp. 53 et s.). — Lexel, Nachträge, pp. 17 et s., et M. De Visscher, op. eit., pp. 105 et s., s’appuient sur Ulp. D. 6.2.1.1-2 : Merito praetor ait ‘nondum usueaptum ’ .* nam. si usueaptum est, habet eivilem actionem ncc desiderat honorariam. 2. Sed car traditionis dumtaxat et usucapioms fecit meittionem, eum (satis) multae sunt iuris partes, gttibiis dominium quis nasciseeretur ? ut puta légat um. Beseler, Beiträge, II, p. SS, a fait bon marché du § 2 en le tenant pour tout à fait interpolé. Nous ne partageons pas cette critique radicale du texte. 11 faudrait se demander quelle est la portée de la question posée par Ulpien. Selon Lenel, le jurisconsulte aurait raisonné de la façon suivante : « Le préteur accorde l’action à l’acquéreur d’une rcs mancipi tradita ex iusta causa, en voie d’usucapion ; la chose une fois usueapée, l'acquéreur n’a plus besoin de la protection prétorienne. C’est pourquoi le préteur dit nondum- usueaptum. Mais pour­ quoi le préteur veut-il limiter son action aux acquéreurs qui n’ont pas encore usucapé ? N’y a-t-il pas d’autres modes d’acquisition qui, même avant que l’usucapion soit parfaite, rendraient superflue l’action préto­ rienne ? Si, par exemple, l’acquéreur « nachträglich », c’est-à-dire après la tradition, mais avant l’écoulement du délai, devient propriétaire par l’effet d’un legatum per vindicationem, d’une mancipatio, d’une in iure cessio de la part du dominus qui, d’abord, se fut borné à livrer la chose, 436 F.B..T. WUBBE il y a tout lieu de croire que nous avons, au 4.36, les ternies exacts de l’édit Publicien. Cet édit, à notre avis, devrait se lire : Si quis ex iusta causa traditam sibi rem nondum usucaptam petet, iudicium tlabo. cet acquéreur n’aurait pas non plus besoin d'une action prétorienne ». Ulpien aurait donc énuméré des cas où le vice de forme est guéri « nachtriiglich » par le traders. Or, c'est seulement dans le cas où ce tradcns était propriétaire que cette ‘ légalisation ’ après coup a pour effet que l'acquéreur devient dominas. Si, par contre, l’édit envisageait l'acquisition de choses quelconques livrées par le non-propriétaire, l'on comprendrait mal la question d’Ulpien. Pour notre part, nous n’osons pas accepter cette interprétation quelque ingénieuse qu’elle soit. D’ailleurs, elle ne cadre pas avec le système de Lenel lui-même qui admet que l’édit envisageait l’acquisition de res ma a ci pi. a -non domino aussi bien qu’a domino. Car l'acquéreur d’une res mancipi. livrée a non domino aurait, même après une ‘ légalisation ’ de la forme défectueuse, besoin d’une protection spé­ ciale. — Pour M. De Visseher c’est la limitation de l'action au cas d’une traditio ex iusta causa, qui prouve qu’il s’agissait de res mancipi. Si nous avons bien compris SI. De Visseher, Ulpien aurait demandé : « Pourquoi le préteur ne mentionne-t-il que le cas d’une nsncapio engendrée par une traditio ‘7 N’y a-t-il pas (l’nsncapioncs qui ne prennent pas leur origine d’une traditio ? L’acquéreur d’un leyatum -per vindicationcm fait par un non-propriétaire n'a-t-il pas, lui aussi, besoin de la protection préto­ rienne ’?». Or, Ulpien avait bien raison de s’étonner, «le jeu de la Publi­ cienne étant alors admis quel que fût le mode d’acquisition a non domino », tandis que — selon M. De Visseher — au texte de l’édit figu­ rait toujours l’hypothèse du propriétaire bonitaire. Nous croyons cepen­ dant que, dans l’interprétation de M. De Visseher, Ulpien devrait s'éton­ ner du fait que deux phases d’ordre tout à fait différent de l'évolution depuis le préteur Publicius aux jours de Julien (Ulpien ?) auraient laissé intact le texte primitif de l’édit. Il y aurait d’abord cette « extension coutumière de la règle légale des XII Tables », extension due à l’activité créatrice de l’ancienne jurisprudence qui aurait eu pour effet la protec­ tion des acquéreurs a non domino par la Publicienne. Il y aurait ensuite la question de savoir si les acquéreurs de choses non livrées, mais acqui­ ses par leyatum, par occupation, par accession, par spécification, etc., méritaient d'être protégés par la Publicienne. Or, nous avouons ignorer si jamais des asucaplentcs pro legato, pro derclicto, pro suo ont été admis comme demandeurs à l’action Publicienne (voir supra, n. 27). La ques­ tion d’Ulpien n’en est pas moins évidente ; elle n’a rien à voir, croyonsnous, avec un vice de forme dans la transmission de la chose. Ulpien s’est demandé — M. De Visseher l’a très bien vu — : « Puisqu’il y a un certain nombre d'usncapiones de choses non livrées, pourquoi le pré- LA FONCTION ET L'ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 437 Nous adoptons donc la reconstitution de Boutante (64) ; nous n'adoptons pas l’interprétation qu’il en a donnée. Nous croyons que l’action Publicienne fut, dès son origine, appelée à protéger tous les acquéreurs désignés par l’édit introductif, c’est-à-dire tous les acquéreurs de choses quelconques livrées par traditio ex iusta causa (G5). Il s’ensuit que les acquéreurs de rcs mancipi simplement livrées («- domino ou a non domino) pouvaient en profiter également (G6). Il nous reste une dernière question à considérer, question d’ailleurs que les partisans d’autres théories ont, de leur point de vue, à se poser également. Pour nous, cette question pour­ rait être la suivante : S’il y a eu usucapion de choses acquises a- non domino depuis un temps immémorial, les usucapicntes, ceux qui sont en voie d’usucapion, étaient-ils dépourvus d’action avant que l’action Publicienne ne vînt à leur aide ? Autrement dit : faut-il croire qu’un certain préteur Publieras, à une certaine date que l'on s’accorde généralement à mettre dans la première moitié du dernier siècle av. J.-C. (67), ait, le premier, senti le besoin de protéger toute une catégorie d’acquéreurs qu’aucune action ne protégeait auparavant *? Mais, de notre point de vue, teur a-t-il accordé son action aux seuls acquéreurs de choses livrées ? ». Nous ignorons la réponse d’Ulpien. Si entre les mots ut pu ta leyatum (voir supra) et le pr. du fr. 3 (smit et aliae pleracquc) rien n’a été sup­ primé, Ulpien a laissé ouverte sa question pour continuer son commen­ taire par l’interprétation des mots e.v iusta causa (tratlitam). (64) Voir supra, n. 30. Nous supprimons le mot et (ci. Gai. 4.30). Les éléments traditam et noiulum usucaptam ne sont pas coordinés : le deman­ deur ne réclame pas une chose qui a été livrée et qui n’a pas été usucapée ; il réclame une chose livrée qu’il n’avait pas encore usucapée. (65) Cf. TV.W. B ce ai am), A Manuel of Roman Privât c Lan2, Cam­ bridge 1939, i>. 115 .* «... the action may liave been introduced especially and primarily for his case », c’est-à-dire pour le cas du ‘ b.f. possessor ". Nous nous sommes efforcés d'éviter le terme ijona fuie possessor parce que, généralement, l’on entend par ce terme quelqu’un qui n’est pas pro­ priétaire. L’édit n’en a rien dit ; il a envisagé, sans faire aucune distinc­ tion, tous les acquéreurs de choses livrées en vertu d’une cause juste. (66) A savoir : du moment où il y a eu de tels acquéreurs. Voir supra, n. 62. (67) Sur la date de l'action Publicienne voir notre op. eit., pp. 213 et s. •I 438 ■llll F.B.J. WUBBE la question est mal posée. Si nous soutenons que l’action Publicienne eut pour effet de rendre l’acquéreur, tout acquéreur, «■ domino ou « non domino, pendant le délai requis pour l’usucapion, indépendant de l’aliénateur, il ne suffit pas que nous nous demandions si l’acquéreur a non domino, en voie d’usucapion, était démuni d’action avant que l’édit Publicien ne fût proposé ; il nous faut nous demander également, si, avant cette date, l’acquéreur a domino était, lui, dépendant de l’aliénateur. Faut-il croire qu’il y a eu une période où un demandeur, pen­ dant le délai de I’î/sus auctoritas, devait échouer s’il ne pouvait pas prouver l’existence de la propriété dans le chef de l’aliénateur, et faut-il croire que, tout à coup, l’action Publicienne est venue le dispense!' de cette preuve diabolique (GS) ? Répondre à ces questions par l’affirmative équivaudrait à admettre un changement profond et soudain dans le droit maté­ riel ; ce qui paraît, prima fade, extrêmement invraisemblable. Mieux vaut s’attendre à une révolution graduelle des voies de recours. Or, il nous semble que l’édit Publicien ait marqué une étape dans l’évolution de la procédure civile entre la loi Aebutia et la loi Julia (69). Ce fut, croyons-nous, précisément pour éviter que le procès nouveau style qui allait s’imposer, n'en­ traînât des conséquences indésirables dans le domaine du droit matériel que le préteur Publicius est intervenu. Nous voici, enfin, arrivés au point où il nous faut rappeler la théorie de M. Kaser (70). C’est la différence fondamentale entre la structure de la legis actio sacramcnto in rem et celle de la procédure per concepta verba qui est à la base de cette théorie (71). Au procès per legis actionem il y a les prétentions (GS) Bien entendu : nous suivons l'opinion dominante qui admet la res­ ponsabilité de l'aliénateur en cas d’éviction (auctoritas, stipulâtio duptae). Il est très probable que le mancipio dans devait, au procès entre l’acci•piens et un tiers, apporter la preuve de son droit, c’est-à-dire qu’il lui fallait renforcer la position et fortifier les arguments de Vaccipicns. (69) Voir sur la portée de la loi Aebutia et sur l’évolution ultérieure M. Raser, Die lex Aebutia, Studi Albertario, Milano 1953, t. II, pp. 25-59. (70) Voir le résumé dans Das rom. Privatrecht, t. I, pp. 368 et s. (71) Pour ne pas sortir du cadre de cet article nous passons sous silence Vactio in rem per sponsionem (voir Kaser, Eiy. und lies., pp. 277 LA FONCTION ET L’ORIGINE DE L’ACTION PUBLICIENNE 439 identiques des deux parties rem meam esse ex dure Quirititim ; au procès per formulant petitoria m il n’y a que la, prétention du demandeur. Si, autrefois, le juge était appelé à décider en lus sacramentitm iustum sit (72), il lui faudra dorénavant vérifier la prétention du seul demandeur (73). Si, autrefois, le demandeur (is qui prior fin dieu rerit) n’avait qu’à surcouper son adversaire pour obtenir gain de cause, dès lors il lui faudrait apporter la preuve de son droit absolu. Si, en appliquant des termes de dog­ matique moderne, l’on pourrait définir le meuni esse qui est l’enjeu de l’ancienne procédure comme « relatives Eigentum », c’est-à-dire le droit à la possession par rapport à l’adversaire, le dominium revendiqué par la formula- petitoria devrait se définir comme « absolûtes Eigentum », c’est-à-dire le droit à la possession à l’égard de tous. Si l’on a volé « ma » bague que j’avais acquise quelques mois auparavant et que je veux la récla­ mer de Titius qui l’a achetée de X., le juge à la legis actio sacra­ mento pourrait déclarer que des deux sacramenta le mien est iustu-m tandis que le juge au procès nouveau style pourrait statuer qu’en apportant la preuve de mon titre (ex insta causa tradita mihi res) je n’ai pas prouvé rem meam esse ex iure Quiritium. Au procès nouveau style je risque d’échouer si je ne saurais invoquer l’accomplissement du délai d’un an ou bien prouver le droit de mon aliénateur. C’est à la protection des demandeurs, qui au procès nouveau style devraient échouer bien que leur droit à la possession soit et ss. : «... das entwickluugsgeschiclitliebe Bindeglied zwisehen Saleraments- und Formularverfahren ») pour ne nous en tenir qu’aux deux bouts de révolution. (72) La critique de P. Voci, op. et/., p. 283, ne saurait nous convaincre. Si les deux parties affirment: «La chose est à moi», elles disent vir­ tuellement : «I own it more tlian you do», comme dans l’ancien Commun Law anglais ; voir W.W. Buckland et A.D. SîcNair, Jlmmin Law ami Coin ni on, Laie, 2e éd. rév. par F.I-I. Lawson, Cambridge 1952, pp. 07 et sa ; «He proved a relative title, or at best, a siale of tacts which made II unlikely that there was any better tille» (p. 09). .Môme In preuve de raecomplissement du délai n'est pas décisive. (73) Le défendeur doit être acquillé si le droit du ibamindeur iù’?d pim prouvé. Cf. l’ap. I). 20.1.3 pr. ; Bemei.kh, llrUrÜpr. l. IV, 0= HT, 440 F.B.J. WÜBBE supérieur à celui du défendeur, (pie l’action Publicienne fut destinée. Cette action a assumé l’une des fonctions de l’ancienne legis actio sacramento in rem. Au fur et à mesure que la procé­ dure per formulant venait remplacer istae omîtes legis actiones qui paulatim. (!) în odio renerunt (74), le besoin d’une nouvelle protection des acquéreurs pendant le délai de Pusucapion com­ mençait à se faire sentir. C’est une hypothèse, il est vrai, mais une hypothèse, à notre avis, fort séduisante. S’il nous a fallu nous écarter de la théorie de Lenel, nous sommes de son avis lorsque, à la fin de son exposé, il dit en se résignant : « Wer über die Publiciana schreibt, ist auf Conjecturen angewiesen und kann nicht erwarten, andere zu überzeugen » (75). (74) Gai. 4.30. (75) O. Lenel, Nachträge, p. 31.