UNIVERSITE © E BORDEAUX HÎ • U Ï J L D:ETTJDES-IBERIQUES~ET ^EKO^AMERIGAINES-J Thèse-àe Doctorat dé Troisième-Cycle : - . ; " : . : présçritée^paf ^ Sara B0MNTARDEL Directeur . " - Monsieur: le Professeur Yves AGUHA - ]XJW Ï989 ' : : Nous tenons a exprimer notre reconnaissance à Monsieur le Professeur Yves Aguila pour le soutien qu'il nous a apporté tout au long de notre travail ainsi que pour ses précieux conseils. Notre gratitude disponibilité dont il va a aussi fait à Daniel preuve et Moyano 1'intérêt pour qu'il la a manifesté envers notre recherche. Enfin, l'I.U. T B prodigués. nous remercions nos collègues de Bordeaux I et de pour les encouragements constants qu'ils nous ont "Las obras literarias no estân fuera de las culturas sino que las coronan y en la medida en que estas culturas son invenciones seculares y multltudlnarias, hacen del escrltor un productor que trabaja con las obras de innumerables nombres. Un compilador, hubiera dicho Roa Bastos. El génial tejedor, en el vasto taller histôrico de la sociedad amerlcana. " Angel Rama, Transculturaclôn narrativa en America Latlna "Por si tamblên lo ha olvidado, sepa que esta acabando un siglo terrible. Hay hombres y armas que pueden destrulrlo todo mientras aqui tratamos de reconstruir con palabras un pueblo olvidado que ni siquiera esté en los mapas, vive saltando de un lugar a otro por la cordillera para poder sobrevlvlr. Minas Altas es un puttado de tlerra, pero también pertenece a este planeta y vamos a rescatar sus pequeffas cosas de terrôn porque son nuestra verdad. " Daniel Moyano, Très golpes de tiabal "Me ocupo de pensar un hecho para que pueda suceder. SI no las pensamos, las maravillas se cansan y se van. " Daniel Moyano, Libro de navlos y borrascas SOMMAIRE INTRODUCTION Littérature nationale et littérature régionale 6 L'ECRIVAIN ET SON CONTEXTE 1. 1. L' écrivain, sa vie et son temps 1. 1. 1. L' enfance à La Falda 1. 1. 2. La découverte de la ville 1. 1. 3. La patrie chica 1.1.4. L'exil 1. 2. La Rioja : une province de 1' autre Argentine 1. 2. 1. La ville coloniale 1. 2. 2. Le temps des caudillos. 1. 2. 3. La Rloja et 1' Argentine de 1' immigration Notes 25 26 30 40 53 59 59 70 96 115 LES RECITS OU MONDE INTERIEUR 2. 1. Les trois axes thématiques de 1' oeuvre 123 2. 2. L' apprentissage de la mémoire et de 1' exil 2. 2. 1. Le cycle des fictions autobiographiques 2. 2. 2. Les nouvelles du premier exil 2. 2. 3. Les récits de 1' exil dans la ville 2. 2. 3. 1. Le roman de 1' identité aperçue 130 130 153 164 173 2. 3. Vers la région Notes 193 201 LES RECITS DU MONDE EXTERIEUR 3. 1. L' Argentine de la violence 206 3. 2. L' écriture de la violence 3. 2. 1. L' identité reniée 3. 2. 2. La répression et 1' exil intérieur 3.2.3. La violation de la mémoire et la dissolution de 1' identité 221 226 236 3. 3. La région et le pays Notes 246 282 294 LES RECITS DU MONDE DE L'EXIL 4, 1. Exil et littérature argentine 299 4. 2. Le roman de la première étape de 1' exil 4. 2. 1. Les ruptures et les liens 4. 2. 2. Le narrateur du roman 4. 2. 3. L' histoire nationale et régionale 4. 2. 4. In memoriam. 319 330 336 350 363 4. 3. Le roman de la deuxième étape de 1' exil 4. 3. 1. Le temps et 1' espace 4.3.2. Le peuple de l'exil : mémoire, imagination et identité 374 375 386 4. 4. De la région au continent Notes 396 404 CONCLUSIONS 408 BIBLIOGRAPHIE 418 INTRODUCTION Littérature nationale et littérature régionale En i960, lorsque Daniel Moyano publie ses premières nouvelles, la littérature argentine a une grande figure consacrée, Borges, qui partage les jeunes écrivains de l'époque en deux groupes irréconciliables : ceux qui l'admirent sans réserve et ceux qui le critiquent durement. Il a déjà écrit ses textes fondamentaux réunis pour la première fois en 1960 en une édition de ses oeuvres complètes. La même année parait Los premtos, le premier roman de Cortazar, considéré comme le disciple le plus talentueux de Borges, un auteur qui dans Las armas sécrétas, recueil publié en 1958, El et surtout perseguidor, dans une nouvelle de ce a déjà fait preuve d'une écriture qui le démarque de son maître. Un autre magistère est aussi indiscutable dans les années soixante : celui d'Ernesto Sâbato, bien que son prestige relève plus de ses essais que de la littérature de fiction car son premier roman, El tûnel, a été suivi d'une longue période de maturation et le roman suivant, Sobre hêroes y tumbas, le plus important de sa production, ne sortira qu'en 1962 . Dans la décennie précédente une nouvelle génération d'écrivains a fait une entrée bruyante dans la vie littéraire du pays. On les appelle les parrlcidas ou generaciôn del 55. Il s'agit d'écrivains nés - 6 - entre 1920 et 1930, regroupés pour la plupart autour de quelques revues dont la principale, Contorno, annonce par son nom l'attitude de ses fondateurs : Ils établissent avec le contexte social et politique un rapport passionné et double. D'une part, ils rendent compte des conflits de la société argentine sur laquelle ils portent un regard critique et d'autre part, produisant ils tentent d'agir sur le contexte en des oeuvres polémiques - parfois même agressives - et destinées à susciter le débat. L'année 1955 est celle du coup d'Etat militaire qui renverse le deuxième gouvernement de Perôn. L'apparition de cette génération coïncide donc avec le début d'une période où le péronisme, loin de quitter la scène politique, agira constamment sur les gouvernements civils et militaires ultérieurs malgré la proscription de son parti. Exilé pendant dix-huit ans mais toujours présent dans la vie politique du pays à travers la puissante C. 6. T. argentine, Perôn a laissé des traces indélébiles et à partir de 1955 les options des intellectuels se placeront elles aussi dans le cadre de la présence-absence du péronisme et de toutes les questions qu'elle soulève. Dès le premier numéro de Contorno, les Jeunes écrivains vont analyser l'attitude des intellectuels face au mouvement péroniste lors des deux premières présidences de son leader. Ils amorcent par là une critique et une autocritique qui conduiront plus tard à l'adhésion d'un grand nombre d'intellectuels au péronisme apparemment rénové des années soixante-dix. Mais l'ardeur révisionniste des parricldas ne se limite pas au passé proche. Ils se dressent en général contre tous leurs aînés, à la fois écrivains et hommes publics, morts ou toujours - 7 - vivants, pour l e s démystifier et mettre en évidence l'hypocrisie d'une élite Intellectuelle l'oligarchie. qui s'est faite complice des abus de Dans l e premier numéro de Contorno, Ismaël Vifias, co- directeur de la revue, écrit : "Cuando empezamos a enterarnos del mundo al que pertenecîamos, nos encontramos con una constelaciôn de nombres que parecîan ocupar cumplidamente su tlerra y su cielo : nuestros hêroes, nuestros poetas, nuestros polîticos, nuestros profesores, nuestros fllôsofos, nuestros maestros." "Fuimos aprendiendo puntualmente que pocos de entre ellos poseian algo de très de sus fachadas. No era el comûn rechazo juvenil por los antepasados. Era que debajo de los renunciamientos con aires beatlflcables, se ocultaba la ineptitud o la cobardîa ; que debajo de los gestos, accionaba el halago a las pasiones faciles y electoreras ; que proclamas y vocaciones no eran mes que persecuclôn del tlempo Inmedlato, falslflcaciones.IK'' * Des écrivains Incontestés sont littéraire d'écrire 'cross' a la du passé, Horaclo les Qulroga des l i v r e s seuls et maîtres Roberto "que enclerran mandibula"*13* correspond qui Arlt la parfaitement demeurent dont l'Idéal violencia de un à l'Idéal de littérature engagée qui anime la nouvelle génération et auquel les théories de Sartre ne sont pas étrangères. Mais ces théories viennent se greffer sur une longue tradition née avec l e pays lui-même et périodiquement réactualisée par l e débat de ses i n t e l l e c t u e l s . Ainsi, en 1920, ceux qui commencent à écrire à une époque marquée à la f o i s par la Première Guerre Mondiale et par l e s répercussions de la Révolution Russe, trouvent dans l'Argentine, encore prospère, des présidents Yrigoyen et Alvear et dans un climat d'enthousiasme et de - 8 - liberté d'expression qui ne durera pas longtemps la possibilité d'étaler leurs querelles au grand jour. Deux groupes s'affrontent dans leur conception de la littérature. Leurs quartiers généraux sont les deux revues littéraires qui les représentent respectifs : Martin Fierro et Clarîdad. V adresse des sièges de ces deux revues permet d'identifier les membres de chaque groupe. A Boedo, un quartier ouvrier de Buenos Aires, a ouvert ses portes la revue Clarîdad. Dans Florida, l'élégante rue piétonne aux magasins de luxe, se trouve le siège de Martin A travers Martin et Prlsmas, Fierro s'expriment Fierro. et deux revues qui l'ont précédée, Proa les écrivains influencés par les différents mouvements européens d'avant-garde. Borges rentre au pays en 1921 et avec lui arrive la nouveauté de l'ultraïsme. Oliverio Girondo vient de publier en France Velnte poeaas para ser leidos livre issu de la rencontre de l'auteur avec en el tranvia, un le futurisme et le dadaïsme. De nombreux écrivains font partie du groupe Florida : à Borges et Girondo s'ajoutent Leopoldo Eduardo Gonzalez Lanuza, Raûl Gonzalez Tuffon, Maréchal, Ricardo GUiraldes - un écrivain qui exerce une sorte de magistère spirituel sur les plus jeunes -, Carlos Mastronardi et beaucoup également d'autres moins connus aujourd'hui. Il faut signaler la collaboration de Macedonio Fernandez, un auteur très particulier qui sera découvert et très apprécié dans certains cercles littéraires quelque temps après, et qui dans les années vingt rejoint les jeunes de Florida. - 9 - Le groupe se rassemble autour de quelques postulats fondamentaux : affirmation de la singularité de l'oeuvre littéraire et de la totale liberté du créateur, refus de la réthorlque post- moderniste et du sentimentalisme, priorité à la recherche stylistique. L'attitude ludique, irrévérencieuse et parfois délibérément provocatrice est une autre caractéristique des membres du groupe. Le Manifiesto du premier numéro de Martin Fierro témoigne de cette attitude typique de l'irruption des avant-gardes européennes : 'Trente a la impermeabilidad hipopotâmica del 'honorable pûblico'. Frente a la funeraria solemnidad del hlatortador y del catedrâtico, que momlflca cuanto toca. Frente al recetarlo que Inspira las elucubraciones de nuestros mes 'bellos' espîritus y a la aflciôn al ANACRONISMO y al MIMETISMO que demuestran. Frente a la rldfeula necesldad de fundamentar nuestro nacionallsmo Intelectual, hlnchando valores falsos que al primer pinchazo se deslnflan como chanchitos. Frente a la incapacidad de contemplar la vida sin escalar las estanterias de las blbllotecas. Y sobre todo, frente al pavoroso temor de equivocarse que parallza el mismo impetu de la juventud, mâs anquilosada que cualquier burôcrata jubilado : 'Martin Fierro slente la necesldad imprescindible de deflnirse y de llamar a cuantos sean capaces de percibir que nos hailamos en presencia de una NUEVA sensibilidad y de una NUEVA comprenslôn, que al ponernos de acuerdo con nosotros mismos, nos descubre panoramas insospechados y nuevos medios y formas de expresiôn."*33 L'attitude des membres de Boedo est toute autre. Le groupe commence à s'exprimer à p a r t i r de 1924, d'abord à t r a v e r s l e s revues Dinamo et Extrema Izquierda, plus tard à travers Claridad. Les écrivains de Boedo sont l e s h é r i t i e r s de la l i t t é r a t u r e sociale de -10- 1900 elle-même produit du naturalisme de 1880. La littérature sociale de 1900 est une littérature à thèse pratiquée par des écrivains anarchistes qui trouvent leur thèmes dans les conflits découlant de la croissance vertigineuse du prolétariat bourgeoisie issue de l'immigration, caudillo radical urbain et de la petite- celle qui en 1916 vote pour le Hipôlito Yrigoyen et le porte à la présidence de la République. Le dramaturge Florenclo Sànchez, le romancier Julio Payrô et le poète populaire Evaristo Carriego sont les principaux représentants de ce naturalisme de la fin du XIXe siècle qui constitue le point de départ des écrivains de Boedo. Alvaro Yunque, Roberto Mariani, Leonidas Barleta et Elias Castelnuovo sont les membres du groupe qui ont atteint la plus grande notoriété. Leur position par rapport à la littérature se trouve synthétisée dans l'édltorlal de la revue Los pensadores de janvier 1926 : 'la cuestiôn empezô en Florida y Boedo. El nombre o la designacion es lo de menos. Tanto ellos como nosotros sabemos que hay algo mes profundo que nos divide. Una série de causas fundamentales fomentaron la division. Excluidos los nombres de calles y personas, quedamos en pie lo mismo, ellos y nosotros. Vamos por caminos completamente distintos en lo que concierne a la orientaclôn literaria ; pensamos y sentimos de una manera distinta. Repitamos ahora que ellos carecen de verdaderos idéales. Fuera del presunto idéal de la literatura, no tienen otro idéal. La literatura no es un pasatiempo de barrio o de camorra, es un arte universal cuya misiôn puede ser profética o evangélica."'*" Le réalisme de Boedo est le résultat de la convergence de la littérature sociale de 1900 et de la lecture de Barbusse, Romain - 11- Rolland, Andreiev et Tolstoï. L'oeuvre d'art, selon les conceptions de Boedo, doit rendre compte du contexte social et sensibiliser les lecteurs aux problèmes des plus démunis. Elle a donc un rôle important et ne peut pas être réduite à un passe-temps ou à la recherche des effets esthétiques qui profitent de la couleur locale de la banlieue de Buenos Aires. La critique des poèmes de l'étape criollista Borges perce dans les mots barrio de et camorra car les duels au couteau des guapos de la banlieue et des rues où ils faisaient la loi grâce à leur courage semblaient Lima de enfrente, exercer un charme secret sur le Borges de un livre de poèmes publié en 1925. Si pour les écrivains de Florida l'expérimentation des formes nouvelles était d'une importance capitale, pour ceux de Boedo elle est un jeu sans importance qui détourne la littérature de sa haute mission humanitaire. Le désir d'émouvoir et d'éveiller la pitié des lecteurs est à l'origine de l'utilisation appelée hwnlldista ou pietista, d'une forme de réalisme parfois lourde d'un messianisme qui est à 1* origine du vieillissement rapide des textes des auteurs de ce groupe. L'admiration des membres de Boedo pour les écrivains russes fait l'objet de la raillerie de ceux de Florida qui inventent l'adjectif "boediska" pour qualifier la littérature de Claridad. En fait, les uns et pour les autres déploient toute leur ingéniosité s'attaquer mutuellement et gagner une guerre qui a lieu sur le papier. Pris au piège des enfants terribles de Florida les écrivains de Boedo oublient -12- souvent leur "mission sacrée" et se lancent eux aussi dans les épigrammes et les portraits satiriques. Les différences idéologiques n* étaient tranchées que l'artillerie verbale de l'époque pourtant pas aussi et les commentaires de la critique ultérieure ont pu le laisser supposer. Un poète comme Gonzalez Tufiôn, appartenant au groupe Florida, de par ses idées de gauche et son penchant pour les thèmes populaires, était plus proche des écrivains de Boedo que de ses collègues de Martin Fierro. Mais à partir de l'expérience de ces affrontements une nouvelle antinomie, réalisme social- avant-garde, qui deviendra plus tard l'antinomie réalisme critique - littérature fantastique, vient s'ajouter sur le plan littéraire à celles qui orientent les options du pays depuis le XIXe siècle criollos - : civilisation - barbarie ; capitale - intérieur ; immigrés. Dans un pays jeune où le contraste entre la pauvreté et la richesse est un peu moins spectaculaire que dans d'autres pays latino-américains mais certainement beaucoup plus marqué que dans les pays industrialisés, le lien de l'écrivain et de sa communauté est rappelé sans cesse par les urgences de la vie quotidienne. Ecrire n'est pas seulement réaliser une vocation, c'est prendre position par rapport grande que la réponse de chaque auteur définition politique et une fois le grand diffusées est succès des théories de Sartre réactualisées ressentie comme une obligation morale. Cela explique à la dans les années cinquante et périodiquement parrlcldas à une réalité dont l'emprise est si par les sur la littérature l'ardeur nouvelles des polémiques générations. Les reprennent à l'aide de formes littéraires différentes la - 13- place des écrivains de Boedo. Ils préfèrent s'attacher aux contenus que travailler les formes littéraires. Bien écrire est une valeur secondaire mais au lieu d'émouvoir comme leurs aînés de Boedo Ils ont choisi de démasquer et frapper. Cette génération, dont le principal représentant est David Vlfias, se dresse, à quelques rares exceptions près - c'est le cas de Hector Alvarez Murena - contre la conception irrationaliste et pessimiste de quelques auteurs d'essais ayant eu une grande influence à partir de 1930. En effet, la crise économique et politique des années trente est un constat d'échec du projet libéral mis en oeuvre par les Padres de la essayistes proposent rassembler dans Patria des au XIXe siècle. Face à la crise, les explications une caractéristique différentes commune qui peuvent se : elles montrent le scepticisme radical qui s'est emparé de la classe moyenne quant aux qualités du pays et de ses habitants. L'identité nationale devient une préoccupation obsédante et l'on essaie l'échec en se tournant vers d'expliquer les raisons de les sources de la formation de la nationalité, produit d'une addition de mémoires fragmentaires du passé qui sont privilégiées les unes au détriment des autres selon l'optique des différents auteurs : les racines hispaniques ou indiennes, la Bouche criolla avec ses variantes patricienne et populaire ou 1'apport des immigrés de la fin du XIXe siècle. Radiografîa una pasion de la pampa de Ezequiel Martînez Estrada, Historia argentins de Eduardo Mallea, El pecado original de H. A. Murena, Historia del desarralgo argentine de de America de Julio Mafud, font partie du grand nombre d'essais consacrés à étudier le problème - 14- de l'identité à partir d'une sociologie intuitionniste influencée par la pensée de Spengler, Keyserling, Ortega y Gasset et Waldo Frank. De tous les auteurs cités, c'est Martinez Estrada qui fait figure de maître. Il réactualise l'opposition civilisation - barbarie en l'appuyant sur un déterminisme tellurique : les maux de l'Argentine la pauvreté spirituelle, déterminés par l'inauthenticité, l'isolement du pays la cupidité - ont confiné à l'extrême-sud été du continent et par l'élevage qui est source de déracinement. La barbarie est une fatalité qui ne touche pas seulement le désert mais les grandes villes. Un courant nationaliste avec ses deux variantes : le courant révisionniste de droite - les historiens Ernesto Palacio, José Maria Rosa - et le courant populiste - Raûl Scalabrini Ortiz et Arturo Jauretche - cherche les racines de la crise dans la dépendance économique du pays vis-à-vis de l'Angleterre au XIXe siècle. La remise en question du rôle joué par les libéraux situation de dépendance aboutit argentins dans cette à une révision de l'attitude des écrivains et de leur soumission aux modèles européens. Nacionalisao europeîsmo, est une autre - opposition mise en évidence par la crise de 1930 et un thème qui suscite des polémiques passionnées. En 1972, à l'occasion de la visite de Nathalie Sarraute à Buenos Aires, Ernesto Sâbato critiquait l'attitude de certains intellectuels de Buenos Aires face aux modes littéraires françaises : "A raiz de la visita de Nathalie Sarraute, une vez mes se manifesta ese colonialisme» intelectual que en otro tiempo constituyô una de de nuestras mâs sérias calamidades nacionales, y que todavîa hoy vuelve a reaparecer con -15- motivo de esta clase de turlsmo. Las declsiones de esta escritora sobre la esencla de la llteratura, sus dictémenes sobre la realldad y la novela, sus estâtutos sobre el destina de la narrativa, sus ôrdenes, mandamlentos y disposlclones al alumnado aborlgen fueron reclbidos en medlo de un adecuado silenclo. (...) Séria fertilisante llevar a cabo una sociologïa y hasta una psicopatologïa de los sentimientos y resentimientos que dan origen a estos fenômenos de éxtasis venerativo ante ciertas culturas prestigiosas, y particularmente ante todo lo que nos llega de Paris."<s> Sâbato dénonce également l e s excès c o n t r a i r e s qui consistent rejeter à l e s autres cultures afin de préserver la s p é c i f i c i t é de la c u l t u r e nationale : "Jorge Abelardo Rames acusa a los mejores escritores argentinos de estar lnfluldos por los europeos, de inspirarse en la cultura literaria de judïos como Kafka, franceses como Sartre, alemanes como Nietzsche o Htflderlin. ^Hace su acusaciôn utilizando el instrumental filosôfico de los querandîes, o al menos de los aztecas ? No, seffor : mediante una teorïa elaborada por el judio Marx, el francés Saint-Simon, el aleman Hegel. Y escribe todo eso en vénérable y longevo espatiol, en lugar de hacerlo en charrûa o idioma pampa."<Si Dans l e s années soixante-dix l e fossé qui sépare l e s du nationalisme littéraire et les uni versaiistas, défenseurs s'élargit avec l ' a r r i v é e des nouvelles générations qui adhèrent à la c r i t i q u e de la c u l t u r e de l ' é l i t e europeîsta f a i t e par des auteurs issus des rangs du péronisme ou des courants p o l i t i q u e s qui l e soutiennent. Etant donné que la plupart des e s s a i s cherchant la s p é c i f i c i t é de l'identité argentine, tentent de la cerner dans l e s rapports entre l'Argentine et l e s pays modèles, l e s p a r a l l è l e s avec l e s a u t r e s pays -16- de l'Amérique Latine ne sont pas établis, ce qui constitue une constante dans l'histoire du genre. Manuel Ugarte, qui avait écrit en 1910 El porvenir de America Latina et, en 1924, La patria Grande, reste longtemps oublié. Ni ses livres ni ses conférences lors de tournées faites dans les pays de l'Amérique Latine ne laissent de traces dans la vie culturelle argentine et ses efforts pour faire comprendre l'unité historique des pays latino-américains ainsi que la nécessité de l'union politique de leurs peuples n'obtiennent aucun succès. Quelques Intellectuels de gauche, dont Abelardo Ramos, s'occupent dans les années cinquante de le faire sortir de l'ombre. Dans la polémique suscitée par la recherche de l'identité nationale il faudrait introduire un autre clivage né de la diversité du paysage physique et humain et du développement économique irrégulier connu par le pays. Le déterminisme tellurique de Hartinez Estrada et de ses disciples tient surtout compte de l'existence de la pampa et du sentiment d'infini et de solitude qu'elle fait naître. On applique au reste du pays - les habitants des forêts sub-troplcales de Tucumân, les populations des vallées calchaquies et de Santiago del Estero qui parlent encore le quechua, les descendants des Guaranis (des métis établis à proximité des grands fleuves du Littoral, bilingues eux-aussi) - des théories sur 1'identité nationale élaborées à partir des caractéristiques de la pampa humide dont le centre est Buenos Aires. Bernardo Canal Feljôo, medlterrânea auteur de De la (194-8) et de Teorîa de la cludad argentina plus important parmi les rares estructura (1951) est le essayistes qui ont cherché à envisager le problème de la culture argentine à partir d'une perspective se - 17- plaçant du point de vue de 1' intérieur du pays et non de celui de la région côtière où se situe la capitale. Cela n'est pas un hasard : il est originaire de Santiago del Estero, la province qui compte la ville la plus ancienne du pays et une population où les empreintes du passé indien sont encore très évidentes. Le problème de la littérature régionale est justement lié à l'optique choisie pour étudier et classer la culture de l'intérieur et pour définir la spécificité de l'identité nationale. Lors d'un congrès de Littérature régionale ayant eu lieu à Tucuman en 1987, David Lagmanovich professeur à l'Université de Buenos Aires et auteur du seul livre qui s'occupe de la littérature du NordOuest déclarait à la presse : "Cuando Daniel Moyano, Tomes Eloy Martinez y Hector Tizôn Vivian respectivamente en La Rioja, en Tucumân y en Jujuy, escribian bien, muy bien, pero tenîan pocos lectores. Eran escritores 'régionales'. Hoy, que tienen acceso a las grandes editoriales e incluso al mercado internacional, son escritores argentinos. Pienso que lo 'régional' es aquello no procesado a travês de un mecanismo de acceso a la cultura, que tiene sede en Buenos Aires. Entonces la literatura del interlor y sus autores, quedan 7> marginalizados. "* La marginalité de ces écrivains ne fait que reproduire celle des régions où ils habitent. peut Le problème de la littérature régionale ne donc être envisagé sans tenir compte des contrastes existants entre Buenos Aires et l'intérieur du pays où sa région seules environnante, quelques villes la pampa humide, telles et que Côrdoba, Rosarlo, Santa Fe, Mendoza et Tucumân ont réussi à avoir un certain -18- développement Industriel. Le Gran Buenos Aires constitué par la c a p i t a l e et l'anneau urbanisé qui 1* entoure concentre cinquante pour cent des établissements population totale de Industriels l'Argentine. du pays Les et un t i e r s provinces de Isolées la par l'Insuffisance des moyens de communication, r é d u i t e s aux mono-cultures pour approvisionner en matières premières l e s centres i n d u s t r i e l s et obligées de demander des aides au gouvernement central, souffrent endettement chronique fonctionnaires, bourgeoisie seul dû en partie au moyen de masquer provinciale. N'ayant paiement le jamais été d'un excès de chômage de la petite- intégrées au projet l i b é r a l du XIXe s i è c l e e l l e s sont r e s t é e s à l ' é c a r t économique de l a d'un de l ' é v o l u t i o n zone p r i v i l é g i é e du L i t t o r a l et reproduisent sur l e plan interne la s i t u a t i o n du pays sur l e plan i n t e r n a t i o n a l . Les écrivains de ces zones entretiennent avec l e centre c u l t u r e l des rapports semblables entretiennent avec la c u l t u r e des pays développés : i l s entre l'admiration à ceux que l e s auteurs de Buenos Aires fluctuent inconditionnelle et l e refus catégorique. Adolfo Prieto dit à ce propos : 'la gran polîtica se hace siempre en Buenos Aires, los grandes negocios se resuelven siempre en Buenos Aires, el gran arte existe cuando lo reconoce Buenos Aires. Si esto es asî, suena natural entonces que un sector importante de la poblaciôn résidente en provincias asuma una actitud de satelismo frente a las decisiones, el gusto y las pautas de prestigio imperantes en Buenos Aires. Esa actitud implica, ya sabemos, tanto la aceptaciôn reverenclal de cualquier hecho o iniciativa que provenga de la metrôpolis, como la incapacidad de comprender - y menos de estimular - cualquier acontecimiento propuesto fuera de los habituales indlcadores porteftos. El pûblico que corresponde a este sector de la poblaciôn estimaré solo la - 19- literatura que se încluya en los catâlogos de las editoriales porteffas. Sus escrltores îanguidecerén en la espéra de la nota bibliogrâflca que consagre sus desvelos en las paginas de 'la Nation" y 'la Prensa" o apostando al ensuetio de un concurso que introduzca sus nombres en los circuitos editores de Buenos Aires. (...)" "En el otro costado de la vert lente se inscriben los signos del regionallsmo. El reglonallsmo Juega en el orden interno el papel que el nationalismo desempeffa en el orden International. SI este actûa como una toma de contientia, como un reto a una situation de minus valia histôrica, aquêl se propone como una exaltation de los valores del lugar o de la comarca marginados o sometidos a las tendencias de un proceso que las desborda.""1*3 Pour l e s écrivains régionaux qui veulent échapper à l'hégémonie de Buenos Aires, l'engagement et la quête de l ' i d e n t i t é deviennent un problème beaucoup plus complexe que celui des écrivains de la capitale I l ne s'agit pas seulement d'affirmer une personnalité l i t t é r a i r e par rapport aux modèles étrangers mais de se définir dans un contexte national qui n'est pas homogène. Face à la culture de la pampa humide transformée processus par l'apport de d'industrialisation, l'immigration il y a européenne des cultures et par le populaires régionales qui restent plus proches de c e l l e s des pays voisins que de la culture portègne. La diversité du pays n'est donc pas seulement le fruit de son extension mais aussi des temps différents vécus par l e s régions qui l'intègrent et leurs traditions culturelles. Il suffit de comparer quelques romans é c r i t s aux environs des années cinquante t e l s que Donde haya Dios d'Alberto Rodriguez et Shunko de Jorge Abalos à des romans qui récréent l e milieu urbain portègne à la même époque pour mesurer le fossé existant entre la culture et le degré d'évolution socio-économique de la pampa humide et -20- c e l l e s de quelques régions de l ' i n t é r i e u r . Donde haya Dios raconte l ' h i s t o i r e de la l e n t e agonie des laguneros, (1955) l e s descendants des indiens Huarpes qui habitent encore l e s t e r r e s autrefois fertiles de la lagune de Guanacache s i t u é e sur la f r o n t i è r e commune à t r o i s provinces argentines : San Juan, Mendoza et San Luis. Shunko (1949) de Jorge Abalos, fruit de l'expérience acquise par l ' a u t e u r l o r s de son séjour à Santiago del Estero en tant q u ' i n s t i t u t e u r , est un roman qui décrit l e monde de la c u l t u r e quechua du Nord-Ouest et l a misère de l'une des provinces l e s plus délaissées du pays. Les deux récits trouveraient plus naturellement leur place à côté de El mundo es ancho y ajeno ou de Huaslpungo qu'à côté pour ne c i t e r que représentants prestigieux de deux courants deux de l'oeuvre d'Arlt ou de Borges divergents de la l i t t é r a t u r e nationale. Eloignés des b a t a i l l e s l i t t é r a i r e s de Buenos Aires, l e s auteurs régionaux ont néanmoins leur propre débat dont témoigne entre a u t r e s une revue l i t t é r a i r e de Tucuman. En 1944, quelques poètes du NordOuest forment un groupe - La Carpa - et définissent dans un manifeste leur a t t i t u d e face au régionalisme : "Se esta aqui en mes cercano contacto con la tlerra, con las tradiciones y el pasado, elementos auténticamente poétlcos que no son responsables de las secreciones de cierto nativismo mezquino que encubre su prosa con el înjerto de glros régionales y de palabras aborigènes. Por ello proclamamos nuestro absoluto divorcio con esa floraciôn de poetas 'folkloristas' que ensucian las expresiones del arte y del saber popular utilizândolas como lngredlentes supletorlos de su Impotencia lîrica."*5'3 -21- Le folklorlsme est, d'après ce manifeste, un danger à écarter par la littérature régionale au même titre que le plat réalisme désuet l'est par rapport à la littérature nationale. Mais dans le cas de la littérature régionale le danger est plus grave du moment que, soupçonné de se tourner vers le folklore, l'écrivain verra son nom inscrit dans les chapitres spéciaux des histoires de la littérature argentine consacrés à la littérature folklorique, de véritables dépotoirs d'oeuvres, dont certaines sont pourtant assez éloignées de l'inspiration qu'on literatura argentine Capltulo*11 *, leur attribue. bien l'Historla de la en six tomes de Rafaël Alberto Arrieta<10> que l'histoire fascicules par le Centro de la Editer littérature argentine de America Latina critères semblables le matériel partiellement vielles aux Aussi en organisent selon de littéraire ayant coutumes, publiée trait même très ou croyances traditions régionales : un dernier chapitre traite conjointement ce matériel et quelques formes du folklore cancioneros, (légendes, contes populaires). En raison des circonstances de sa vie d'abord, puis comme fruit d'un choix convergence vital, de la Originaire de Daniel Moyano littérature vient nationale se et placer de en la point de littérature régionale. 1'intérieur du pays, autodidacte, ayant pris contact avec le monde du travail à l'âge où d'autres jeunes font encore leurs études secondaires, Moyano a suivi un chemin particulier -22- qui le démarque de la plupart de ses collègues, les écrivains des années soixante. Aux différences provinciale découlant de sa formation, de son enfance et de son lieu de résidence - 1'une des régions les plus frappées par la misère au Nord-Ouest du pays -, s'ajoute une attitude maintenue et réaffirmée même lorsque, à la suite de la publication de ses oeuvres mûres, il commence à occuper une place importante dans la littérature argentine : Moyano se montre peu enclin à débattre des théories à littéraires renouvelées dans les et se revues mêler et les des polémiques suppléments périodiquement culturels de la capitale. C'est dans son oeuvre qu'il faut trouver des réponses et des définitions sur la place et la fonction de l'écrivain dans la société et sur la question de l'identité, deux préoccupations constantes dans la littérature argentine. Sa condition d'écrivain "régional", sa présence discrète dans le monde des l'origine lettres d'une et sa situation modestie qui exceptionnelle serait autrement sont peut-être inexplicable : à la critique argentine ne lui a consacré en général que quelques articles brefs et toujours élogieux, mais qui n'ont pas été suivis d'une analyse plus poussée de l'oeuvre. Et en cela, Hoyano a partagé l'exil intérieur de l'écrivain provincial, reflet d'un déséquilibre de longue date qui dépasse largement le cadre de la vie littéraire. -23- Notes (1) H. LAFLEUR, S. D. PROVENZANO, Las F. ALONSO, literarias argentinas (1893-1967), Buenos Aires Editor de America Latina, 1962, p. 256. (2) R. ARLT, prôlogo a Los lanzallamas, revistas : Centro Barcelone : Brughera, 1980. <3> El periôdico Martin Flerro, Selecciôn y prôlogo de A. PRIETO, Buenos Aires : Galerna, Coleccion Las Revistas. I., 1968, p. 13. (4) Cit. par C. R. GI0RDAN0, Capitulo. la historia de 1968, p. 975. (5) E.SABATO, La cultura "Boedo y el de la literatura en la tema social", argentins encrucijada in : (41), mayo nacional, Buenos Aires : Edlciones de Crisis, 1972, p. 71. (6) Ibid., (7) D. LAGMANOVICH, "La literatura régional argentina claves", in : La Gaceta. 16 de octubre de 1988, p.11. (8) A. PRIETO, Literatura y subdesarrollo, Biblioteca, 1968, p. 155. (9) D. LAGMANOVICH, p. 27. La llteratura del y sus Rosario : Editorial noroeste argentino, Rosario : Editorial Biblioteca, 1974, p. 22. (10) Varios autores, Historia de la literatura argentina (dirigida por Rafaël Alberto Arrieta), tomos I a VI, Buenos Aires : Peuser, 1960. (11) Varloa autores, Capitulo, la historia de la llteratura argentina. (Lectura final a cargo de Adolfo Prleto), 59 fasciculos, Buenos Aires : C.E.D.A.L., mayo de 1967setiembre de 1968. -24 L« ECRIVAIN ET SON CONTEXTE 1.1. L ' é c r i v a i n , sa v i e e t son temps En a v r i l 1987, un soulèvement m i l i t a i r e met en danger 1* existence du régime constitutionnel que l'Argentine vient de retrouver après presque huit ans de d i c t a t u r e m i l i t a i r e . A c e t t e occasion, l e journal espagnol El Pals publie un a r t i c l e de Daniel Moyano qui nous fournit l'occasion peu banale d'amorcer une approche de l'homme et l ' é c r i v a i n avant même sa date de naissance car dans cet a r t i c l e remonte de façon imaginaire à sa vie prénatale : 'ïtescte hace poco mes de medio siglo, cuando los militares argentinos son noticia es porque algo sucio se Juega, Aîgo que puedé llevar otra vez el péndulo democracla-dictadura para el lado de la segimda, El Juego comenzô el 6 de setiembre de 1930, cuando las fuerzas armadas salieron a la calle por primera vez para derrocar al Gobierno legittmo del présidente Yrigoyen, perteneclente a la Union Civica Radical <UCR), el mismo partido polîtico al que pertenece el actual présidente Alfonsïn. Los carros de combate por la entonces apacible Buenos Aires, los milltares exaltados y los sables desnudos buscando el cuello de Yrigoyen provocaron, segûn crônicas familiares, centenares de nacimientos prematuros, amên de abortos, sîncopes y otras calamidades. Yo estaba en Buenos Aires, aunque dentro del vientre de mi madré aquel 6 de setiembre, me faltaba un mes Justo para nacer. Le tuve miedo al golpe, y supongo que rabia, desde dentro. "Casi naciste de un susto", me dijo mi madré affos después, Por eso, cada vez que oigo ruidos de sables siento miedo y rabia, una regresiôn a contravida que me coloca otra vez en una situaciôn intrauterina" "J -25- de il Pour celui qui a parcouru les récits de Moyano et surtout pour celui qui connaît les nouvelles et les romans écrits à partir de 1966, ces coordonnées spatio-temporelles, Buenos Aires-1930, avec toutes les connotations qu'elles prennent dans la vie du pays, suscitent une première réflexion: elles apparaissent comme deux symboles du pouvoir contre lesquels réagit l'oeuvre sur le plan des réponses aux réalités sociales, politiques et culturelles de l'Argentine. Le substrat idéologique des narrations de Moyano, en particulier celles écrites après 1966, semble, en effet, se nourrir du refus de ces deux circonstances qui ont marqué la naissance de l'auteur: le pouvoir militaire qui à partir de 1930 fait irruption périodiquement dans le pays, et Buenos Aires, capitale abusive et démesurée, devenue l'image d'un autre pouvoir exercé au long du temps. Les circonstances de la vie de notre auteur et l'histoire de sa région aideront à déterminer nous les origines, la nature et l'évolution de ce refus dans les formes littéraires. Pour brosser un tableau rapide de la vie de Moyano, nous allons nous appuyer A la fois sur des reportages, des entretiens avec l'auteur et sur quelques-unes des nouvelles appartenant principalement étape de son oeuvre, dont Moyano n'a jamais à caché la première la filiation autobiographique. 1.1.1.L'enfance à La Falda Le coup d'Etat d'Uriburu, événement qui détermine le début d'une tradition de rupture des cadres institutionnels et qui conditionne ainsi toute l'étape historique dans laquelle se déroulera la vie de Moyano, a des -26- effets Immédiats sur la situation familiale. Le père, employé municipal partisan d'Yrlgoyen, perd son emploi et part en province avec sa famille. Ils s'installent immigrants à La Falda où habitent les grands-parents maternels, italiens qui s'étaient établis d'abord au Brésil, Argentine. La Falda est une petite ville touristique puis en de la province de Côrdoba, située au milieu des sierras centrales. Elle apparaît en filigrane dans une des dernières nouvelles de Moyano: "Ahî te dejan, dando vueltas en el jardin amurallado. Y culdado con salir, los rios serranos en verano son tremendos. Ademés del peligro permanente de ahogarse estân las corrientes imprevlstas." "En ese lugar habîa dos posibilidades de sobrevivir: fabricar dulces o tener muchos caballos para alquilar a los turistas que inventaron ese pueblo. Lo inventaron para el verano y se iban en -invierno" CS3 A partir de 1936 avec la mort de sa mère, commence une période de continuels changements. L'enfant passe d'un village à un autre, d'une famille à une autre, sous la tutelle de différents oncles. Les conditions matérielles de vie -"aunque habîa algunos de fortune, a mi siempre me tocaron los tîos pobres"ts*- et le sentiment de marginalité résultant de la vie au sein de familles où i l ne trouve pas le substitut du foyer perdu ni du père absent, le marquent d'une profonde empreinte à en juger par les thèmes abordés dans la première étape de son oeuvre. La première nouvelle que l'auteur se rappelle avoir écrit, parle d'un enfant solitaire, vivant entouré de parents peu affectueux. Ces derniers ne cachent pas leur animosité envers le père de l'enfant sur lequel le narrateur laisse planer l'ombre d'une faute qui aurait Impliqué un châtiment mais qui ne suffit pas à l'éloigner de l'amour de son fils: -27- "Ahora que el padre era una figura despojada e inocente, ahora que sua recuerdos nacian de él como una gran luz purificada, el padre no venia, Y esa imagen,esos recuerdos, lo sustituîan tristemente, valïan de algûn modo por el padre mismo. Dio unos pesos por el patio y slntlô que si el padre no venia tendria que golpear la puerta y pedlrles perdôn. Fero ahora ios poseîa de algûn modo, habîa rescatado de las tinieblas el rostro bueno y castigado y los labios resecos por el alcohol." *** La personnalité de l'un des tuteurs chez qui le hasard le conduit, constituera un noyau obsessionnel de la mémoire a partir duquel s'articulent des nouvelles telles que La lombriz, publiée en 1964, et plusieurs autres, écrites dans les années suivantes. L'expérience marque s i profondément l'enfant que Moyano avouera en 1975 avoir commencé à écrire pour essayer de comprendre les raisons des attitudes de son oncle*6'Un épisode banal, un jour où l'enfant s'amuse à lancer des pierres sur les trains qui traumatisante que passent, va l'entraîner dans une expérience les précédentes: "Yo vivîa en Alta Gracia con los tîos que aparecen en "La lombriz". Era un infierno, un mundo terrible. Parece que nosotros, los niffos, habîamos apedreado un tren. Es posible, Para asustarnos y a causa de la histeria en que vivîan mis tîos, nos llevaron a todos a la comisarîa. Un tal De la Vega, alto, flaco, me tira de las orejas y dijo; "Aqui esté el sujeto". Allî empezô ml terror hacia todas las formas instltucionalizadas del poder. Le escribî entonces a un Suez de menores explicândole nuestra sltuaciân, la de mi hermana y la mîa. Un coche del Juzgado vino a buscarnos para llevarnos a la ciudad de Côrdoba. A ella la pusieron en un colegio religioso, para mi no habla ningûn lugar aceptable. Me mandaron a un Reformatorio con una carte de recomendaciôn del Juez para que obtuviera un tratamiento especial. Estuve très dîas en el Cuerpo de Bomberos hasta que me trasladaron al Reformatorio pero el dlrector estaba de vacaclones y cuando volviô un- mes después, los celadores ya me habian aplicado "su" tratamiento, el mismo que aplicaban a todos mis compafferos que eran pequeffos delincuentes. No me animé a darle la carta. Yo ya me -28- plus sentîa solldario un elegido.ues> Le séjour dans la con los otros maison y me parecïa de redressement horrible a été ser raconté dans Otra vez Vaffka, une nouvelle qui fait partie de El fuego interrumpido. La nouvelle n'est pas seulement l'élaboration littéraire d'une expérience autobiographique, mais comme le t i t r e l'Indique, un récit où les références è la nouvelle de Tchékhov créent une lntertextualité fondée sur la coïncidence de la situation des deux protagonistes. Avec une technique très fréquente chez Moyano, les sentiments du protagoniste du récit principal -l'enfant enfermé dans la maison de redressement-, sont exprimés par le personnage de Tchékhov, l'apprenti qui, dans sa lettre, lance un appel au secours à son grand-père, et qui fait partie du récit second: "Todo el mundo me pega, se burla de mi, me insulta. Y ademâs tengo hambre. Y ademâs me aburro. atrozmente y no hago mes que llorar ,.."<T* Recueilli par son grand-père maternel, l'enfant retourne â La Palda, termine l'école primaire et reçoit une éducation religieuse protestante. C'est l'époque où commencent ses premiers essais d'écriture liés à la découverte des classiques :"yo le leia a mi abuelo que era corto de vista 'Don Quijote', gauchesca'Ke,\ l'enfance: 'Don Juan Tenorio', la 'Divtna Comedia',la C'est dans la paisible maison du grand-père que "Se comîa lo que daba la tierra, se termine se amasaba el pan, El no escrlbîa poesîa pero la improvisaba. Y decia que descendis de -29- literatura Bellini'K9> 1.1.2. La découverte de la ville Moyano est âgé d'environ 16 ans lorsqu'il s'installe seul dans la ville de Côrdoba. Il y vivra jusqu'en 1959, alternant les métiers manuels et la lecture. L'ambiance de la ville sera déterminante pour sa formation et . fournira le décor des histoires racontées dans les oeuvres Initiales, Uha luz muy lejana, le premier roman, et Artistas de variedades, recueil de nouvelles. La ville que l'adolescent découvre au milieu des années quarante est, par son Importance et par les relations entretenues tout au long de son histoire avec la capitale du pays, la Barcelone argentine. Côrdoba "la docte" comme on la surnomme depuis longtemps en raison du prestige de son université fondée par les Jésuites en 1613, est la capitale de la province du même nom, située en plein coeur du pays et à la lisière de la pampa humide. Le détachement que Don Jerônimo Luis de Cabrera avait envoyé sur le territoire de l'actuelle Côrdoba, revint avec des nouvelles encourageantes: la région avait des fleuves, des ruisseaux et des bols, des bons pâturages, du gibier abondant .et des Indiens amicaux. Le conquistador se mit alors en route pour fonder en 1573 une nouvelle ville sur la ligne de pénétration que les espagnols étalent en train d'établir à partir de Tucuman. La nouvelle ville fut bâtie "al pie de una cordillera destas entre dos rïos caudales que de allas nacen y descienden corriendo hacia el oriente al Rio de la Plata y la mar del Norte'":10\ que le fondateur avait Un peu plus tard, alors déjà fini ses jours sur l'échafaud, la ville fut -30- transférée dans une dépression voisine du fleuve Prlmero où les techniques d'Irrigation, copiées sur celles pratiquées par les indiens, étalent plus simples. La situation stratégique de la nouvelle agglomération habitée par les Espagnols de l'expédition de Cabrera, la fertilité de la terre et le caractère paisible des Indigènes en firent bientôt une ville prospère. Il reste de cette splendeur des témoignages palpables: Cârdoba est la ville argentine qui possède le plus harmonieux ensemble architectural datant du temps de la Colonie espagnole. Aux XVIIe et XVIIIe siècles la richesse des temples trouvait son équivalent dans la richesse de la vie culturelle, beaucoup plus importante que celle de Buenos Aires à la même époque. Elle s'organisait autour de l'université fondée par les jésuites. C'est à Cârdoba que Mateo Rosas de Oquendo remit son poème "Famatina" à Gaspar de Médina, et à Cârdoba que vécut Luis Tejeda y Guzmén, le premier poète de l'actuel territoire argentin. La physionomie de la ville se dessinait peu à peu. Elle était flère de ses lettrés et de l'Importance de sa vie religieuse, dirigée d'abord par les Jésuites, puis par les Franciscains, et plus tard à nouveau par les Jésuites dont l'influence se fit sentir jusque dans les premières années du XXe siècle. Les natifs des couches populaires parlaient déjà une forme chantante de l'espagnol qui s'étendit par la suite aux autres niveaux de la société et qui est caractérisée par l'émission prolongée des voyelles. Ceci provoque une anomalie dans la distribution des accents à l'intérieur du mot et crée des phrases à la ligne mélodique nettement ondulante. C'est la tonada cordobesa, particularité phonétique qui permet de reconnaître encore aujourd'hui les natifs de la région. Dans Moyano nomme l'un de ses personnages référence voilée au parler régional: -31- Tr&s golpee de TîmbaJ, Ondulatorio, faisant ainsi une "Luego hablô de sa lit raies y espejismos, palabras a medio decir en un ritmo ondulante. "El hablar ondulante de la para los oidos montatieses. delelte los saltos de la palabras largas en las que sîlabas»"" en&artando gente del llano, buen regalo Lo escuchaban sîgutendo con yoz, haciéndole repetir esas el viejo acentuaba hasta très L'Importance croissante de Côrdoba et l'affirmation de son identité culturelle établirent une rivalité avec Buenos Aires dès l'époque coloniale mais elle devint plus évidente après l'Indépendance du pays, pendant les luttes entre fédérales et unitarlos qui jalonnèrent une bonne partie du XIXe siècle. L'historien Félix Luna énumère quelques étapes de cette rivalité acharnée entre Buenos Aires et Côrdoba: "Si aquî se produce el golpe que cancela la autoridad del virrey, allé se implementarâ una contrarrevoluciôn apoyada por la flor de la sociedad cordobesa. SI en Buenos Aires el Directorio prétende mantener una conducciôn centralizada de la Revoluciôn, en Côrdoba se afianzaré la influencia de artiguistas y fédérales con mayor riesgo que la que ejerce sobre las regiones litorales el caudùlo oriental. Si Bustos, duefio de Côrdoba, convoca a un gobierno organizador, sera el portetîo Rivadavia quien desdeffe el intento y lo malogre. Y, a su vez, cuando Buenos Aires instrumente el Facto Fédéral de 1331 como una norma constltucional provisoria, Côrdoba sera la sede de la antagônica Liga Unitaria liderada por el "Manco" Paz."*11** Pendant la période de l'organisation nationale, après la Constitution de 1853, s i les différends devinrent moins sanglants, la lutte politique n'en disparut pas pour autant. Plus tard, en 1916, alors que soutenait massivement le radical Yrlgoyen, Côrdoba vota le pays pour les conservateurs. En 1945, Perôn remporta les élections pour la première fois mais il le fit sans les suffrages de Côrdoba qui devint le bastion de l'opposition radicale. Le Général Onganla Imposa en 1966 la Revoluciôn Argentina face au silence attentiste des cadres syndicaux de la C.G.T. de -32- Buenos Aires, mais les dirigeants syndicaux de Côrdoba, se mettant & la tête de l'insurrection connue dans tout le pays sous le nom de el cordobazo, furent à l'origine de la chute d'Onganïa. Tour à tour tradltionnallste ou contestataire, catholique ou libérale, Côrdoba a été le foyer de troubles qui se sont étendus par la suite au reste du pays. Tel est le cas de la Réforme Universitaire de 1918. Entre 1903 y 1906, l'université de Buenos Aires avait réussi à démocratiser la sélection des professeurs et à moderniser certains enseignements. A Côrdoba, l'université était en revanche aux mains de l'oligarchie locale étroitement secondée par l'Eglise sur le plan culturel. Les statuts établissaient l'assistance obligatoire à la messe le jour de la Vierge pour les enseignants et les étudiants, les programmes d'étude étaient archaïques, les professeurs devaient être nommés avec l'aval des autorités ecclésiastiques et toute initiative de réforme était taxée de subversive. Quand la grève des étudiants éclata en 1918, la répression fut féroce. L'université ne se contenta pas d'avoir recours aux forces de l'ordre mais engagea des hommes de main pour disperser les manifestants à coups de couteau. La grève se durcit et le président Yrlgoyen en profita pour infliger une défaite à l'oligarchie de Côrdoba: i l mit en place un Hnterventor, c'est-à-dire un agent désigné par le gouvernement central, doté de pouvoirs spéciaux, afin de régulariser la situation, mais en réalité Yrlgoyen encourageait officieusement les étudiants grévistes. Lorsque le mouvement ouvriers vinrent renforcer étudiant se durcit et que les syndicats la révolte avec leur propres revendications, les exigences des étudiants furent finalement satisfaites et la Réforme -33- adoptée: élection constituées par des le autorités même universitaires nombre de par représentants des assemblées des professeurs titulaires, des contractuels et des étudiants, liberté d'enseignement et présence aux cours non obligatoire, ce qui facilitait théoriquement l'entrée des travailleurs à l'université. Le mouvement s'étendit aux autres universités du pays en 1919. En 1921, ls délégués argentins exposaient les résultats de leur expérience à leurs camarades latino-américains réunis à Mexico à l'occasion de Congrès International des Etudiants. A partir de ce moment, l'esprit polémique de la réforme universitaire réapparaît périodiquement chaque fois que le pouvoir de l'Etat s'immisce trop visiblement dans les affaires Intérieures de l'université. Nous verrons comment est évoqué dans El Qscura, le deuxième roman de Moyano, le conflit étudiant de 1966 à Côrdoba. Pendant les années 30 et plus encore pendant la Seconde Guerre Mondiale, Côrdoba connut une croissance industrielle accélérée, les gouvernements conservateurs des présidents Justo et Ortiz implantèrent des usines d'armement et l'industrie aéronautique. Perôn développa l'Industrie métallurgique et dans les années cinquante, les firmes Renault, Fiat et General Motors Introduisirent la fabrication d'automobiles et de machines agricoles. L'Immigration étrangère des premières années du XXe siècle qui s'était Implantée dans la région à cause de sa richesse céréalière, fut suivie par l'immigration intérieure en provenance En même temps, naissait un prolétariat des régions limitrophes. qualifié et un secteur de marginaux, ouvriers des provinces voisines qui arrivaient à la ville pour effectuer les travaux les plus mal payés, travaux qu' ils ne trouvaient d'ailleurs pas souvent. Dans les -34- années cinquante, Côrdoba perdit définitivement son rythme provincial pour se transformer en une ville cosmopolite, la deuxième de l'Argentine, capable de faire valoir ses droits face à Buenos Aires. Lorsque Moyano arrive dans la ville, cette métamorphose est en cours. 11 n'a pas encore 18 ans, 11 arrive sans papiers et a besoin de travailler. Lors d'une Intervew, 11 explique ce manque de pièces d'Identité : "mi madré, que era muy rellglosa no qulso que ml padre me anotara en el civil porque decîa que yo ya estaba anotado en el cield,<,,s\ reglstro Il n'obtient son permis de travail qu'en donnant une fausse date de naissance: 1929 au lieu de 1930. A partir de ce moment 11 vit dans des pensions de famille, exerce différents métiers: ouvrier métallurgiste, gazier, et celui que lui a légué son père, plombier. Son projet d'obtenir le baccalauréat est contrecarré par les problèmes financiers : i l ne parvient pas à concilier le travail et les études mais, au moins, i l peut suivre des cours du soir dans une école de musique. La lecture des classiques commencée chez le grand-père est remplacée par la découverte des écrivains contemporains, argentins et étrangers. Le jeune Moyano est fasciné par Leopoldo Lugones, en particulier par le langage de Lunario sentimental et les récits hallucinants de Las fuerzas extradas. Il lit Faulkner, Melville, Hawthorne, James, Horacio Quiroga. Mais ses deux découvertes fondamentales sont Kafka et Pavese. Il étudie l'allemand pour lire le premier dans sa langue étant donné que le monde du deuxième lui est beaucoup plus proche de par la nationalité et la langue des grandsparents maternels. Avec les deux auteurs, les coïncidences vont au-delà des simples affinités littéraires: Kafka parle d'un univers intime que Moyano ressent comme étant apparenté au sien. I l a déjà fait l'expérience d'une -35- sentence injuste car rendue d'après une Loi inconnue, et dans l'obsession du rapport au père, omniprésente dans les fictions de Kafka, i l peut très bien trouver l'écho de sa propre obsession, que nous verrons maintes fois revenir dans les nouvelles et dans les romans. Il a laissé de ces années d'apprentissage et de son admiration pour l'auteur de La métamorphose une nouvelle dans laquelle sont recréés quelques aspects de cette période de sa vie: "A la edad de veintiûn affos, el Joven y taïentoso Amadeo habîa leîdo a William Blake. Era endeble, requîtico. Contaba en su haber con très o cuatro idiomas mal sabidos y habîa intentado la traducciôn de un artiste del hambre de Kafka. Aquella mafiana se alzô del lecho y echô una ojeada al cuarto. Desde el techo del ropero lo mîraba sin ojos el caparazôn de una mulita relleno de papel, y êl sonrlô pensando en Gregorio Samsa"*1** Il s'identifie l'enfance avec à Pavese dans l'amour de l'univers le rythme de la Nature champêtre de se substituant aux horloges urbaines et dans l'incessant retour en arrière pour découvrir le sens caché des événements. Mais ce qui l'attire le plus chez l'auteur italien c'est l'intensité de l'engagement existentiel dont son oeuvre témoigne. En 1975, au cours d'un reportage où i l établit la différence entre un homme de lettres et un vrai écrivain, i l dira sur Pavese: "Pagô con su vida. No era un literato. Se Jugaba en lo que hacîa. Los que se Juegan asi pagan con la vida o la razôn. Coma Quiroga"111** Compagnon de jeunesse, Pavese hante encore les derniers récits de Moyano. Maria Violîn, l'une des nouvelles écrites à Madrid, en est la preuve: -36- "Apagô définitivamente su luz, y el tiempo, mezclândose con la oscuridad, pénétra en su memoria Ilevando palabras de Pavese, verra la morte e avrà i tuoi occhi, porque si no habîa amor podîa venir lo otro, la setiora muy blanca, muy mes que la nieve fria.u<1** Les années à Côrdoba sont riches non seulement de lectures mais aussi d'expériences humaines. Le travail de plombier le met en contact avec deux mondes différents: le monde des petits bourgeois et celui des ouvriers qu'ils emploient: lo hice alegremente hasta los 25 atios. Era un trabajo libéral. Podîa tomar una obra y vivir después por un tiempo de lo que ese trabajo me dejaba, leyendo y escribiendo. Cuando se me acababa el dinero volvïa a tomar otra obra. La variedad de tipos humanos que descubrî trabajando era el complemento de lo que yo leia"*17'* Il commence à écrire des poèmes que son ami, Emlllo Sosa Lôpez, poète, essayiste et professeur de littérature à la Faculté de Lettres de Côrdoba, lit et critique. La poésie devient un péché de Jeunesse qui sera bientôt remplacé par la narration. Lorsqu'en 1960 Moyano publie son premier livre, 11 réside déjà à La Rloja. La raison du départ est une possibilité de travail dans une filiale du Consejo Editorial del Estado où il aura un poste de conseiller, mais dans cette décision pèsent également d'autres raisons liées aux transformations subies par Côrdoba dans les années cinquante. "La 'Côrdoba azur*1** de Arturo Capdevila ya no existîa. Côrdoba perdia su aire dulce y provinciano para convertirse en una sociedad conflictiva. Era el mundo del dinero para el que yo no estaba preparado."'193 -37- Dans les nouvelles de Artistes de variedades, notamment dans El Monstruo, on perçoit déjè ce choix de vie qui le pousse à s'éloigner de la grande ville pour chercher un monde différent où les relations avec les autres soient moins chargées de conventions stérilisantes. Mais i l devra toujours à Côrdoba sa formation intellectuelle, les lectures qu'il appelle "perplexes", la découverte de l'amitié dans les chambres partagées des pensions familiales, les premiers essais littéraires, et surtout cette fierté du provincial qui ne se laisse pas impressionner par la capitale . La fin de l'adolescence et la première Jeunesse se sont déroulées dans le climat créé par l'irruption du péronlsme sur la scène politique argentine. Des années plus tard, Moyano se rappelle à travers la figure d'Eva Perôn son attitude d'adolescent découvrant le péronlsme au milieu des années quarante: "Los que en 194-5 tenïamos 15 afios y empezâbamos a andar par el mundo -en este caso, la parte mes aguda del Cono Sur llamada Argentina-, mirando con ojos asombrados y todavîa sln comprender eso que desde la perspective actual llamamos Hlstorla y que entonces era simple vida cotidiana, fuimos testigos mes o menos asombrados (y desplstados) de dos estridenclas histôricas: en el mundo, y cas! en nuestras antîpodas, el terrible coletazo final de una guerre incomprensible llamado "bomba atômica", o "centenares de miles de muertos simultàneamente", o slmplemente "Hiroshima"; en nuestro pais, centenares de miles de obreros en las celles, en el movimiento de masas mes importante de Argentine, alrededor de algo que se Uamaba peronlsmo, uno de cuyos simbolos era una mujer que se Uamaba Eva Perôn. 'Empezâbamos a entrer en la vida, a poner los pies en serio en el mundo que viviamos, y esa estridencia lejana de mlllares de japoneses que morîan con los ojos abiertos en el relâmpago de una bomba, y esta otra de las masas exultantes que ganaban la calle, actuaban sobre nosotros que acabâbamoB de terminar la escuela primaria, como una lecciôn de posgrado, lecciôn de historia, pero en vivo. Como si nos dijeran: "Muchachos, mucho cuidado en adelante, esto no es tan fécil como escribir la lecciôn en • el cuaderno; como pueden ver, es en las celles donde se escribe -38- realmente". Nos quitaban el cuaderno y la inocencia y nos echaban a andar por una calle repleta de gritos y relâmpagos. Como primera lecciôn fue muy dura, al menos para mi. No comprenais nada. Era como si con la primera lecciôn directa, la Historia me hubiera dado un golpe para aturdirme y meterme en su juego real fuera del cuaderno"<ao> Ce que Moyano avoue si sincèrement, sa perplexité devant un phénomène politique que les intellectuels argentins ont analysé Jusqu'à l'épuisement et qui a été un facteur déterminant du comportement ambigu de la gauche traditionnelle, dure le temps de son adolescence. Dans sa Jeunesse, il réagit comme les Jeunes intellectuels de l'époque qui fluctuent entre le qualificatif de bonapartiste et celui de fasciste pour caractériser le mouvement populiste dirigé par Perôn et qui rejettent la censure que le gouvernement exerce sur les moyens de communication ainsi que sa politique culturelle. Une perspective différente fin de l'article que nous venons de citer se dégage de la où des éléments pour une définition du mythe d'Eva Perôn sont apportés: "Evita y el peroniamo pasando por nuestra infancia y adolescencia como gestores de una sociedad "con menos pobres y menos rlcos", en una Argentine "socialmente Justa,econômicamente libre y polît icamente soberana". Mit os de la juventud que volvieron luego, tras dieciocho atlos de exilio, con una "patria socialista" que terminé en 'patrie lopezrreguista" y casi inmediatamente en esa especie de terremoto que fue el golpe milltar de marzo del 76, en cuyo eplcentro vlven los que ahora tienen 15 atîos, sin saber claramente que sucede y por que, como nosotros en 1945, Evita y Perôn pasaron llevândose infancia y adolescencia entre sueffos y aturdimlentos, y cuando ellos desaparecleron, las cosas seguîan como siempre, la riqueza en un lado, la pobreza en otro, cada una en su sltio. Lo que no ha pasado es el peronismo. Subyace en el pais con fuerza mïtica y condicionarâ todavîa un buen trayecto de la Historié". «*»» -39- Quarante ans après le premier gouvernement péronlste, Moyano reproche aux dirigeants du parti la contradiction entre l'ambiguïté de leur discours prometteur et les résultats d'une politique qui s'est révélée incapable d'effectuer ne serait-ce qu'à une petite échelle, les changements nécessaires pour une meilleure répartition de la richesse. Il s'agit là de sa position actuelle, mais à l'époque de son séjour à Côrdoba,les problèmes politiques n'étaient pas au centre de ses préoccupations. Moyano règle alors ses comptes avec les fantasmes de l'enfance, avec cette famille qui sera présente plus tard dans ses nouvelles, et il est en quête d'une identité que la ville n'a pas pu lui donner. L'offre du poète Ariel Ferraro, originaire de La Rioja, est, bien que Moyano ne le soupçonne pas encore, la réponse à cette quête. La Rloja, l'une des provinces deviendra pour lui une patria de Moyano chica les plus pauvres de l'Argentine, d'adoption ; elle entrera dans la vie avec ses problèmes d'aujourd'hui et d'hier, avec la force de ses mythes et de ses personnages en chair en os propres à un continent où coexistent les différents âges de l'homme. Dans le cône sud de ce continent, La Rloja, telle une belle au bols dormant, dort d'un sommeil profond depuis le XIXe siècle. 1.1.3. La patria chlca La Rioja comptait dans les années soixante quelques quarante mille habitants. C'est le chef-lieu de la province du même nom, située au NordOuest de l'Argentine et très faiblement peuplée. Moyano l'imagine comme un endroit tranquille où il compte s'installer provisoirement pour disposer de -40- plus de temps libre et pouvoir ainsi mettre en oeuvre un projet littéraire rendu impossible par la vie qu'il a été obligé de mener à Côrdoba. C'est aussi pour lui la possibilité de trouver dans l'une des régions les plus défavorisées du pays une authenticité que le milieu urbain lui refuse. La province existe dans son souvenir sans que Moyano l'ait Jamais visitée: "Mi padre me hablaba de su infancia en Olta y de Cortaderas, un pueblo que ha desaparecido; de mi abuelo que era un gaucho apodado "Ampalagua" y de mis primas riojanas, Nunca he tenldo vocaciôn de escritor social, pero a La Rioja fui a buscar cosas que estuvieran mes prôximas a la vida, a lo que Joyce llamaba "el corazôn salvaje de la vida". No fui en busca de mis raîces. Solo cuando estuve alli me di cuenta de que habia llegado a la tierra de mis antepasados. Luego supe que el primer Moyano que llegô a la Argentine era un arcabucero de Ramîrez de Velazco,"'*** Le poète Ariel Ferraro qui lui a offert la possibilité d'un emploi à La Rioja, fait partie d'un noyau d'artistes qui se proposent de créer l'infrastructure culturelle stabilité institutionnelle de la province profitant de la relative que connaît l'Argentine au début des années soixante avec le gouvernement de Frondizi. C'est le groupe "Calibar", formé de peintres, écrivains et musiciens. Moyano participe activement aux initiatives du groupe qui bénéficient du soutient officiel. C'est ainsi que sont fondés le Museo de Bellas Artes ,1e Histituto Plâstlcas, le Consejo Editorial Nacional de Artes del Estado,où Moyano commence a travailler, le Conservatorio Provincial avec son cuarteto, la Escuela de Dibujo y de Técnicas Artesanales. Jusqu'en 1965, l'activité du groupe est débordante et répond à une constante de la vie culturelle argentine : chaque étape de relâchement de la censure, chaque faille dans la structure monolithique -41- imposée par les gouvernements dictatoriaux -aussi bien ceux que les argentins appellent dictablandas que les autres encore plus répressifs- entraînent une participation active de nombreux groupes d'intellectuels généralement marginalisés par les ressorts du pouvoir. Le groupe "Calîbar" ne connaît pas un destin différent de celui des autres groupes ailleurs dans le pays. Moyano dit: "Con el golpe militar de Onganîa vino la caza de brujas, el grupo se dispersa y la mayoria de las instituciones creadas desaparecieron" *•S?!S,J,• Nous avons déjà dit que son premier recueil de nouvelles "Artistes de variedades", écrit avant son départ à La Rioja est publié en 1960. I l est édité par une maison d'édition de Côrdoba, Assandri, organisatrice du concours où le livre avait remporté le premier prix. Quelques-unes nouvelles La puerta, des La espéra qui y La fébrica font partie du recueil, telles que ont été réécrites plus tard pour l'anthologie publiée en 1967 qui réunit les récits du premier livre et ceux de La Lombriz, publié en 1964. Ces deux premiers livres ne font connaître Moyano à Buenos Aires, seule possibilité pour pas un écrivain argentin de sortir de l'anonymat, car les deux maisons d'édition réalisent un tirage et une distribution faibles sans aucune Incidence sur le marché du livre. La lombriz paraît avec une préface d'Augusto Roa Bastos qui est alors exilé en Argentine et qui encourage les jeunes écrivains de province. L'écrivain paraguayen définit dans son prologue les caractéristiques de ce qu'il appelle le "réalisme profond" des premières nouvelles de Moyano: "Como Quiroga, coma los grandes cuentistas de todos los tiempos, êl procède por excavaciôn y no por acumulacion, -42- por la creaciôn de atmôsferas, de un cierto clima mental y espiritual mes que por el abigarrado tratamlento de la anêcdota... No busca reproduclr las cosas sino representarlas; no trata de duplicar lo visible -môdica operaciôn que se resuelve siempre en falsificationsino, principalmente, de ayudar a ver en la opacidad y ambigUedad del mundo: no solo en la realidad fisica, sino también en la realidad metafïslca; eso que, slendo reflejo de lo real, solo un ojb lïmpido, educado en la vision interior, puede percibir. (No hace falta aclarar que empleo la palabra no en sus connotaciones finalistas o escatolôgicas, sino en su sentido psicolôgico y moral)"***' Un hasard est a l'origine de la publication par l'une des plus grandes maisons d'édition d'Argentine du premier roman de Moyano: culturel de l'ambassade allemande en Argentine trouve tas de livres achetés au poids et le fait l'attaché La lombriz parmi un connaître aux conseillers littéraires de Sudamerlcana. Une luz muy lejana parait ainsi en 1966 publié par la même maison d'édition qui obtiendra en 1967 un record de ventes en publiant Clen afSos de soledad De même que pour les deux recueils de nouvelles, le matériau du roman est d'inspiration autobiographique, mais commencent déjà à s'Introduire des formes qui éludent les référents extralittéraires et qui situent l'auteur hors du courant du réalisme critique de la génération de 1955. Ainsi, la ville où habitent les personnages de Uha luz muy lejana est dessinée à partir de quelques t r a i t s de Côrdoba mais ces t r a i t s ont été dépouillés de toute précision et le nom de la ville n'est jamais évoqué. Dans El fuego înterrumpido, évolution s'accentue. Les nouvelles évidence un processus de paru en 1967, cette qui composent le recueil mettent en transfiguration poétique des thèmes et personnages traités dans les premières oeuvres. La vie de Moyano est dans cette période de plus en plus liée à la région qu'il a adopté. En 1960, grâce à l'aide de ses amis de La Rioja i l -43- enlève celle qui aéra sa femme et qu'il a connue à Cordoba: Irma, fille de Plémontals farouchement opposés au mariage à cause de la profession du futur gendre. De connivence avec le juge des mineurs qui lui prête l'argent pour le voyage, 11 met à exécution le plan de l'enlèvement et se marie dans un petit village andin de La Rioja: "El rapto fue toda una confabulaclôn de la gente de La Rioja. Yo no tuve culpa de nada, ellos lo planearon todo. Nos casamos en Sanagasta donde los vecinos, que no sabïan quiénes êramos, nos convidaron con vino y empanadas"'1*** La vie Instable qu'il a toujours menée depuis son enfance s'achève ainsi à La Rioja. C'est là qu'il fonde son foyer, que ses enfants naissent et qu'il trouve la chaleur de l'amitié et de la solidarité. La ville devient une sorte de deuxième foyer qui prolonge le foyer familial et le charme avec ses vielles traditions criollas et ses vestiges de culture précolombienne. Dans la simplicité de la vie provinciale, Moyano peut se consacrer davantage à l'écriture et faire de la musique un vrai métier: i l réussit, en effet le concours qui lui permet de devenir professeur d'alto au Conservatoire et fait partie d'un Quatuor à cordes. Ses deux vocations, la musique et l'écriture sont alors réalisées mais i l doit payer ce privilège en alternant, comme beaucoup d'autres écrivains latino-américains, ses deux passions avec un emploi de journaliste. Il devient correspondant de Clarîn, journal de Buenos Aires, et rédacteur de El Lidependiente, un nouveau journal de La Rioja qu'il a contribué à créer. Le cercle d'amis qui l'entourent s'enrichit de la présence d'autres écrivains, auteurs de livres publiés par le Centro Editor de America Latina (C.E.D.A.L.), qui sont arrivés à La Rioja en . 1967 dans le cadre d'une -44- campagne de promotion de la nouvelle littérature argentine. Parmi eux se trouve Haroldo Conti, auteur de En vida, Con otra gente, Balada del âlamo carolino et de Mascarô, el cazador anericano, un roman dont Moyano dira en 1980 qu'il lie le destin et le paysage de La Rioja à ceux du village natal de Conti cas> . L'amitié entre les deux hommes, qui se prolonge jusqu'à la tragique disparition de l'auteur de Mascarô, enlevé et mort dans un camp de concentration en 1977, est à l'origine d'un échange d'expériences dont témoignent le dernier roman de Conti et Libro de navîos y borrascas de Moyano. En 1967, la maison d'édition Sudamericana et la revue Primera Plana organisent un concours l i t t é r a i r e avec un jury formé par Gabriel Garcia Marquez, Augusto Roa Bastos et Leopoldo Maréchal. Moyano présente son roman £3 oscuro qui remporte le premier prix. L'importance des co-organisateurs et la renommée du jury placent Moyano au premier plan de l'actualité littéraire du pays. C'est à cette époque que les journaux et les revues l i t t é r a i r e s commencent à publier des reportages et des commentaires sur son oeuvre passée jusque là presque inaperçue auprès des lecteurs argentins. £Z oscuro est le résultat de la confluence des différentes activités auxquelles se consacre l'auteur et des expériences que celles-ci lui ont apporté. D'une part, son travail de journaliste le met en contact avec les chefs militaires régionaux à une période d'agitation politique et sociale, celle du gouvernement d'Ongania. Un épisode de la répression ébranle le pays : la mort de Santiago Pampillon, ouvrier chez Ika-Renault et étudiant à Côrdoba, abattu par la police au cours d'une manifestation contre la violation de l'autonomie universitaire. Cet événement vient se greffer sur -45- un thème qui a longtemps hanté rapports père-fils. D'autre Moyano : la conscience du mal dans les part,le monde de la musique commence à s'introduire dans la structure de la narration; l'organisation du roman s'inspire de la structure d'un quatuor de Brahms : "La idea de "El oscuro" se concretô con la muerte de PamplUon. Una anotaciôn inicial en un papelito decïa:"escribir la historia de un nombre que obsesionado por el mal lo destruye todo para descubrir al final que el mal es un drama de su conciencia". La novela se iba a llamar "El coronel". Pero me detenîa el hecho de que no conocia bien a los personajes. En los reportajes procuraba captar el lenguaje de los militares, analizar esa falsedad con que suelen expresarse. Se consideran nombres fuera del tiempo y viven aferrados a sus obsesiones. La muerte de Pampillôn fue lo que me llevô corriendo a la méquina de escrlbir. Escribî In novela con desesperaciôn para conjurar los hechos y encontrar una explicaciôn a su muerte, una explicaciôn que fuera mes allé de lo polïtico. Me apoyê en la mûslca para escrlbir, en el cuarteto n' 25 en sol menor para cuerdas y piano de Brahms. Me dije: "Quiero que ml novela suene asî". <S'T> A partir de 1968 commence une période difficile de la vie de Moyano. La mort de sa petite fille interrompt l'élan créateur trouvé à La Rloja. I l met longtemps à s'en remettre et se désintéresse de son roman au point de ne pas rendre les épreuves à l'éditeur, C'est pourquoi £2 Oscuro ne parait que deux ans après le concours où i l a remporté le premier prix. Une invitation du gouvernement espagnol en 1969 est à l'origine de son premier voyage en Europe. Il visite d'abord l'Espagne, puis la France, l'Angleterre et l'Italie. C'est la première fols qu'il quitte l'Argentine et i l n'a jamais vu la mer. En Italie i l se rend a Forli, le village de son grand-père maternel et dans un autre traduction française de Una luz village muy lejana, -46- italien dont il 11 ne trouve la connaissait d'ailleurs pas l'existence et qui avait été publiée à l'Initiative de Roger Caillois. De retour en Argentine, Moyano ne reprend pas dans l'immédiat le rythme de travail de la période antérieure à 1968. Durant les quatre années suivantes i l écrit quelques nouvelles qui paraissent dans deux recueils: Mi mûsica es para esta gente, publié en 1970, et £2 estuche del cocodrilo , en 1974. La Rloja continue de l'émouvoir avec son passé légendaire et ses problèmes présents, caractéristiques d'une zone marginale. I l ne se lasse pas de parcourir tout le territoire de la province mais ce qui exerce sur lui la plus grande fascination ce sont les Llanos, la terre des caudillos des guerres civiles. Pendant des années i l pense à un futur roman sur la vie de Facundo Quiroga qu'il n'écrira jamais: "Voy a escriblr un Facundo, una novela que me llevarâ atSos, en la que quiero poner todo eso: la historia y la leyenda, el pasado y el présente de La Rioja, el Chacho reventando caballos para vengar a su hija vlolada por Bércena (...) Porque acê el tiempo no es mes que un accidente"**8* Lorsque le journal Clarîn lui confie la rédaction d'un article sur la vie dans les Llanos, i l trouve sans le vouloir le thème d'une des nouvelles de El estuche dei cocodrilo. I l s'agit de Cantata para los hijos Gracimiano : "En Villa Nidia, en el corazôn de los Llanos, ya casi en el limite con San Luis y Côrdoba, vivia Hector David Gatica que ha escrito "Memorias de los Llanos". Editaba una revista de poesïa en mimeôgrafo: "Poesïa amiga". La Uevaba a lomo de mula a la estafeta de Nueva Esperanza, lejos de alli, y la desparramaba por el mundo. Con êl recorri la zona. No pude ir en coche. Lo hicimos a lomo de mula. Mi -47- de amlgo me conta la historia de una pareja con muchos hijos que habîa debldo ir regaléndolos a todos para que no se murieran de hambre, hast a quedarse sola. Vacilé mucho en escribir la historia. Me sente a escribir el cuento a las dlez de. la noche y lo terminé a las seis de la maflana. Lo publicô el diario "La opinion" antes de que se incluyera en "El estuche del cocodrllo". Ese cuento représenta mi contacto mes brutal con La Rioja"'*9' Ce n'est pas la première fois que la région inspire l'une de ses nouvelles. Peu après son arrivée à La Rioja, i l avait écrit El rescate, une nouvelle qui traduit la force du paysage physique et humain des Llanos dans une histoire de crime et de pardon racontée avec un style très faulknérien, moins dépouillé que celui de Cantata... . En 1985, El rescate a été adapté pour un film de la télévision argentine. En 1970, Arturo Jauretche s'installe temporairement à La Rioja pour y écrire ses mémoires. Attiré par la personnalité du vieux combattant du nationalisme populiste, Moyano lui propose de prendre sous la manuscrit de ses mémoires. L'anticonformisme, l'attitude dictée le combative et l'humour provocateur que Jauretche a s i longuement exercés contre les Intellectuels argentins, font de chaque rencontre un motif de réjouissance. Moyano gardera de l'auteur de Los profetas del odio y la yapa, El medio pelo en la sociedad argentina et Manual de zonceras argentinas un souvenir chaleureux: "No se consideraba un escritor sino un polîtico que usaba la literatura como medio combativo. Fumaba, pensaba, se reîa como loco de sus propias ocurrencias y después dlctaba. Tarde en la noche con cuarenta grados de calor nos fbamos a corner mariscos traldos de Buenos Aires. Fue una convivencia muy linda. Yo sentîa mucho cariffo por él, por su actitud combative. El creîa en cosas en las que yo no puedo créer, creîa en la lucha. La literatura para él era secundaria,"<so* -48- Pour bien comprendre la portée de ces paroles de Moyano, i l est nécessaire de les situer dans le contexte des années soixante-dix et de se rapporter aussi bien à El Oscuro qu'aux El trlno romans écrits par la suite : del diablo et £2 vuelo del tigre, tous les deux profondément enracinés dans les conflits qui agitent le pays à cette époque. moment où problème Mais au Moyano fait les déclarations que nous venons de citer, le de l'engagement politique des Intellectuels se pose dans de nouveaux termes. Face à l'escalade de la violence, i l ne suffit plus de définir idéologiquement,il s'agit maintenant de politique, de se militer dans un parti mettre son oeuvre au service du militantisme et même, de laisser de coté la littérature afin de prendre les armes, comme cela a été le cas de Francisco Urondo*31 \ A cette époque, Cortâzar, au moment de la parution de El libro de Manuel, répondait à la gauche radicale partisane de la lutte armée qui lui reprochait de se limiter aux dénonciations littéraires depuis son confortable refuge parisien : "En este tlempo hay quien dice que lo ûnlco que cuenta es el lenguaje de las ametralladoras. Yo te voy a repetlr lo que le dlje a Collazos en nuestra polémica: cada uno tiene sus ametralladoras especïflcas. La mîa, por el momento, es la literatura"'3*' En ce qui l'expliciter non concerne seulement Moyano à et l'occasion il s'est lui-même chargé d'interviews mais dans de ses oeuvres - l'engagement est compris comme une démarche qui déborde les limites restrictives de partis ou de groupes et qui consiste à assumer une attitude éthique face aux grands problèmes de sa région, de son pays et de son temps. Dans son métier d'écrivain ses principes sont : ne pas renier la littérature, ne pas escamoter la réalité mais ne pas l'enfermer -49- non plus dans des formes désuètes au nom d'une prétendue éducation politique du lecteur. De même que Cortézar qui faisait une distinction entre l'engagement politique et l'engagement idéologique, ce que refuse le Moyano des années soixante-dix n'est pas la solidarité avec les forces oeuvrant en faveur du changement social mais le fait de rentrer dans des systèmes fermés, enclins aux virages et retournements politiciens. Fidèle à ces principes, dès que le gouvernement Issu des élections de 1973 se met en place, i l accepte l'Invitation à faire partie d'un groupe de personnalités régionales Indépendantes ou adhérant aux courants proches du nouveau gouvernement. Ce groupe Intègre le Consejo Tecnolôgico Provincialt organisme chargé d'élaborer un projet de développement socio-culturel pour La Rioja. La collaboration avec le Consejo Tecnolôgico, le contenu de ses dernières oeuvres et l'amitié qui liait notre écrivain a Monseigneur Angelelli, évêque de La Rioja depuis 1968, seront les causes de son emprisonnement en 1976. A partir de son arrivée au diocèse de la province, Monseigneur Angelelli, l'un des rares évêques post-conciliaires de l'Argentine et le plus censuré par la hiérarchie ecclésiastique, n'avait cessé de dénoncer l'exploitation dont étaient victimes les travailleurs agricoles. Il ne se contentait pas de prêcher mais appuyait agricoles pour faire face au la création de coopératives pouvoir des grands propriétaires terriens de la région. Cela suffit à placer l'église de La Rioja dans la ligne de tir des forces armées. Un journal régional, El sol, qui défendait les intérêts des propriétaires terriens, et des associations de catholiques traditionnallstes avalent multiplié pendant des années les attaques contre -50- Angelelll et ses proches, mais à partir de 1975 ces agressions se généralisent : La Rioja fera désormais figure de foyer de subversion animé et entretenu par son évêque. Malgré la campagne de dénonciation dont 11 est l'objet, Angelleli ne se lasse pas d'encourager ses fidèles à lutter contre la mortalité Infantile, la faim, l'exode rural et à réfléchir également sur leur origine. En 1974, au cours d'une interview, resignadosu<ss,:', il dit: T>ios no quiere hombres après avoir étalé tous les problèmes d'une société injuste et Insisté sur l'indifférence des Institutions à l'égard des plus démunis. Les intimidations qu'il a ignorées sous les gouvernements antérieurs deviennent ouvertes et presque quotidiennes a partir du coup d'Etat de 1976 mais elles ne parviennent pas à dissuader l'évêque. Il pousse les autres évêques à condamner officiellement les méthodes des forces armées et assume la défense des victimes de la répression, qu'il s'agisse des prisonniers politiques ou des licenciés sous l'ordre des militaires. Des prêtres de son diocèse sont emprisonnés, le responsable des coopératives agricoles et deux prêtres français sont assassinés. En aôut 1976, Angelelll meurt victime d'un attentat alors qu'il s'apprêtait à rendre publics les documents prouvant l'Implication des forces armées dans l'assassinat des deux prêtres £Sul) - Moyano ne cache pas son admiration pour lui: "Tuve la suerte de ser amigo de Angelelll, de conocer un nombre que crela en la poslbllldad de transformation de esa realidad intolérable de La Rioja. Ténia ideas muy claras y trabajaba como loco en la promotion de la comunidad. Lo conoci el dia en que llegô a su diôcesis y tuve que hacerle un reportaje. Despuês me acerqué a êl. Me fastinaba verlo trabajar. Escribîa poesia, no le importaba perder su cargo de obispo, decia que en La Rioja se encontraba al hombre latinoamerlcano que no se encuentra en Buenos Aires, en Côrdoba, en Mendoza, en Rosario, donde las cosas son mes importantes que las personas. La mejor -51- gente de La Rioja lo acompafiaba. A pesar de que no soy creyente coîaborê con êl en pequettas tareas conservando mi independencia.WC3S * De la situation reste le témoignage El poder, la gloria, des chrétiens d'une nouvelle tiers-mondistes de El estuche La Rioja del cocodrîlo i etc . En outre, le climat de plus en plus tendu des annés soixante-dix se glisse dans deux autres nouvelles même de époque: Kafka 72 et écrites à la Tiersmusîk, des récits presque prophétiques parce que créant des personnages et des situations qui feraient partie de la réalité argentine à partir de 1975. Benedetti dit : "cuando la vida Imita al arte es porque el arte ha logrado anunclar la vida*3**, Moyano, dans ces nouvelles et dans El trlno del dlablo, roman publié en 1974, annonce ce qu'aucun autre narrateur argentin n'était parvenu a percevoir aussi clairement à cette époque : la mise en place d'un pouvoir capable de pousser la cruauté jusqu'aux limites de l'irrationnel et d'introduire l'absurde en plein coeur de la vie quotidienne. El trîno del dîablo, roman court, parodique et d'un humour grinçant, représente une rupture très nette avec le style des oeuvres antérieures et c'est le dernier que Moyano écrira intégralement en Argentine. Le brouillon du suivant, El vuelo del tigre, connaîtra le même sort que les livres et les disques protégés de l'éventualité des perquisitions par l'ingéniosité de la plupart des Argentins: i l est enterré dans le jardin de la maison. -52- 1.1.4. L'exil Le lendemain du coup d'Etat de mars 1976, trois militaires vont chercher Moyano chez lui. I l est arrêté, enfermé dans un cachot, soumis à des interrogatoires. Après sa mise en liberté, i l décide de partir en Europe avec sa famille. I l dit de la période suivante : "Fueron siete affos de oscurldad, de escrltura sombrîa, de pesadillas nocturnas. Como si hubiera seguido estando presoH<ay':' A peine installé à Madrid, il entreprend de réécrire El vuelo del tigre . Il vivra en Espagne avec la même simplicité qu'à La Rioja, éloigné des chapelles littéraires et des hautes instances du pouvoir de l'édition mais l'exil lui a fait perdre son foyer social et avec celui- ci le sentiment d'utilité que lui donnait sa participation active à tous les niveaux de la vie régionale. A la fin de 1977, le résultat d'une enquête effectuée par un journal de Buenos Aires près de consacre Moyano comme l'un vivants*3*9'. Reconnaissance 109 critiques et professeurs de littérature des trois tardive qui meilleurs arrive narrateurs à un moment argentins où les difficultés matérielles et la nostalgie rendent difficile l'Intégration à la nouvelle société. Une fols terminée la deuxième version de El vuelo del tigre, grande métaphore de la répression en Argentine, Moyano connaît une période de s t é r i l i t é créatrice due non seulement au sentiment de perte propre à l'exil -53- mais au fait que pour survivre en Espagne il a été obligé de commencer à travailler comme ouvrier dans une entreprise. La fatigue physique découragement l'éloignent peu à quelques nouvelles courtes: Extîio un récit sombre dont peu de cortado l'atmosphère l'écriture. Il écrit de raîz recrée et le cependant en est la première. C'est la pathologie que les psychologues décrivent comme étant caractéristique de la première étape de l'exil: anxiété, dévalorisation du moi, perte d'identité. En 1980 il est littéraire Casa de las invité à Cuba comme membre du jury du concours Américas, quelque temps plus tard, la revue du même nom publie son article en hommage à Conti, Haroldo moment où la mort de l'auteur de Mascaro andaba en la luz, au est quasiment une certitude. Revitalisé par le voyage à Cuba qui le met en contact avec une Amérique Latine différente, celle écrire un autre roman: Lîbro de des Caraïbes, en 1981 il commence à navîos y borrascas. Il peut seulement écrire quelques lignes le soir au retour de son travail mais ce qu'il appelle le ton, avec un mot emprunté à la musique, s'installe progressivement dans le texte. Moyano termine le roman à marche forcée, pressé par l'éditeur qui le publie en 1984. Ce sera le troisième roman de Moyano traduit en français. En 1983. le second, Le trille du diable, chez Robert Laffont. L'édition traduction de la première version de El trino française joint del dtablo à la parait - la deuxième a été écrite et publiée en Espagne - une nouvelle appartenant à un recueil resté inédit : El halcôn y la flauta. Le hasard est à l'origine d'un changement fondamental dans la vie de Moyano. La télévision espagnole dans le cadre de "Vivir -54- ahora", une série d'émissions dont le responsable est José Luis Puértolas, Invite Mario Benedetti à participer à une émission consacrée à l'exil des écrivains sudaméricains en Espagne. Benedetti, conscient de vivre une situation privilégiée par rapport à beaucoup d'autres écrivains moins connus, propose le nom de Moyano. Le film, dirigé par Tavier Recua, est tourné en partie en Argentine, en partie à Madrid. Le retour à La Rioja pendant les quinze journées prévues pour le tournage, au moment où le drame de la guerre des Malouines est un souvenir récent et la dictature militaire reste encore en place, ne facilite pas les retrouvailles avec le pays. Pour répondre aux exigences du scénario Moyano doit retourner au Conservatoire vidé de ses élèves d'autrefois et visiter des lieux qui lui rappellent les événements antérieurs à son départ d'Argentine. Au sentiment de perte que le tournage ravive viennent s'ajouter des soucis liés à ses problèmes de travail. En effet, l'entreprise où i l travaille lui ayant refusé le congé nécessaire pour son voyage à La Rioja, i l a fait appel A la justice. Le film s'achève sur une anecdote non prévue par le scénario : la sentence du juge favorable à l'entreprise et le licenciement de Moyano que Recua intègre aux dernières scènes tournées en Espagne pour mieux illustrer le sujet de l'émission. L'initiative de la télévision espagnole a des conséquences positives dans la vie de l'écrivain : l'émission révèle la présence de Moyano à Madrid et celui-ci, libéré d'un travail fatigant, dispose maintenant de temps pour écrire un autre roman. Il a pour ce roman un t i t r e provisoire : La cordillère, le t i t r e du roman de Rulfo qui n'a jamais vu le Jour. Sous un autre t i t r e : Très golpes de timbal, ce roman -55- sera terminé en 1987. La nouvelle Relato del halcôn verde y de la flauta maravillosa reçoit en 1985 le prix "Juan Rulfo" de l'Institut de Culture Mexicaine à Paris. Des écrivains très prestigieux ont fait partie du jury: Severo Sarduy, Caballero Bonald, Jorge Adoum, Otero Silva, Claude Fell, Augusto Monterroso, Roa Bastos, Julio Ribeyro. A la suite du concours, Moyano est invité au Mexique où i l séjourne pendant deux mois. Si sa vie à La Rioja lui avait permis de connaître une certaine Amérique Latine absente de Côrdoba et de Buenos Aires, le Mexique lui apporte l'ébloulssement face à la continuité du passé indien dans ses formes culturelles les plus riches. Mais le Mexique est aussi le monde de Rulfo, un écrivain qu'il sent beaucoup plus proche de sa sensibilité que Borges ou Cortazar: "La cultura del tnterior no es ni india, ni portefîa ni europea pero los escritores del noroeste nos senttmos mes prôximos a Rulfo que a Borges o a Cortazar. Rulfo ha sustituldo, en ml caso, a los otros maestros, Kafka y Pavese. Borges me parece un gran escritor pero no me conmueve como Rulfo. Me gusta, halaga mi inteligencia, pero no me conmueve profundamente como me conmueve cualquier cuento de Rulfo. Tambiên me gusta mâs el castellano que se escribe en Mexico que el escrito en Buenos Aires, me suena mejor. Y digo esto porque cuando leo a un escritor oigo el sonido de su lengua. El castellano del interlor de Argentina no ha adquirido el status del portetto, en el que se han lntroducldo giros lunfardos; si nosotros utilizamos nuestros giros nos acusan de folklorismo."*3** Le voyage au Mexique sera suivi par beaucoup d'autres effectués pour participer à des rencontres d'écrivains latino-américains ou pour donner des cours et des conférences dans les universités espagnoles - Granada, Leôn, Vitorla, Sevilla, La Laguna, Oviedo et Complutense-, et étrangères Mac Guill au Canada, Vermont et New London aux Etats-Unis, et Paris III. -56- - Moyano renouvelle en Espagne une expérience déjà vécue à La Rioja : envisager un court séjour, puis s'installer définitivement: 11 sollicite et obtient la nationalité espagnole. Avec les deux derniers romans 11 a exorcisé les phantasmes de l'exil et à travers l'enseignement et l'animation d'un atelier littéraire qui le rapproche des jeunes, Moyano retrouve en quelque sorte son activité en tant que professeur du Conservatoire. Dix ans après son départ de l'Argentine i l a appris à maîtriser la nostalgie et à mesurer les avantages apportés par une vision en perspective des problèmes de son pays et de sa propre vie: "Yo tuve dos actitudes con respecte a Espafia. La primera fue la respuesta viscéral de muchos exiliados: el rechazo a todo lo europeo y la afirmaciôn de la maravilla que habïamos dejado atrés. Me parecia que este pais era de utileria, de carton pintado, y con esa vision empezarâ ai prôxima novela, "El libro de caminos y de reinos". Pero poco a poco, si uno es sincero, se va dando cuenta de que no es asî. Las cosas empiezan a mostrarse de otra manera y uno advierte la importancia de haber tenido la oportunidad de ampliar sus horizontes perceptivos. Los mîos se han triplicado en el exilio. Si me hubiera quedado en La Rioja no hubiera escrito nunca "Libro de navios y borrascas" pero sobre todo, no hubiera avanzado nunca en el conocimiento de mi mismo." f * e o Il faudrait peut-être relativiser l'optimisme qui se dégage de ces paroles en y en ajoutant celles qui font voir un aspect différent du problème de l'exil. Ces dernières révèlent que dans la longue quête de soimême et dans les substitutions réparatrices qui Jalonnent la vie et l'oeuvre de Moyano, l'exil est senti comme un apprentissage difficile qui se solde par une sagesse non dépourvue de désenchantement : "Hay una frase del Marqués de Sade que yo relacionaria con el exilio. En el "Diâlogo entre el sacerdote y el moribundo", el libertino le aconseja al sacerdote envldioso de su serenidad, de su conformidad ante el mundo que va a -57- dejar, que ses hombre sin temor y sin esperanza. Yo creo que el exilio es, un poco, vivir sin temor y sin esperanza"'*'1 ' Libéré de son rôle social dans un pays où la réalité harcèle les écrivains de ses questions pressantes et les force à réagir et à s'Impliquer, Moyanq vit l'exil selon la formule de Spinoza : nec spe nec metu, ne rien espérer pour ne rien craindre, reprise par Sade. L'analyse des romans écrits en Espagne nous permettra de déterminer si ce détachement connoté par le refus de la crainte et de l'espoir atteint les structures de la narration, le choix des thèmes et en particulier, l'Image littéraire de La Rloja qui avait été forgée à partir de l'adhésion affective de l'auteur. Région Imaginée puis rencontrée, explorée, aimée et finalement perdue, La Rloja devient pour Hoyano, à partir de la deuxième étape de son oeuvre, une source permanente d'inspiration. Nous avons déjà signalé ces circonstances de la vie de notre auteur qui contribuent à l'attacher à la région, transformée en lieu matriciel capable de combler les vides de son enfance et de son adolescence. Il nous faut maintenant considérer ce que La Rioja représente dans un pays où l'immigration massive du XIXe siècle a créé ce type de culture que Darcy Ribeiro appelle "cultura de pueblos los trasplantados"***3. Une approche du passé et du présent de La Rioja et de leur signification dans la culture du pays nous aidera à mieux cerner la nature de l'Imaginaire de Moyano et à déterminer la place qu'il occupe dans la littérature argentine. -58- 1.2. La R i o j a : une p r o v i n c e de l ' a u t r e Argentine 1. 2. 1. La v i l l e coloniale Màteo Rosas de Oquendo, soldat espagnol en I t a l i e , puis dans l e Nouveaux Monde à la fin du XVIème s i è c l e , a été l e premier à raconter la fondation Irrévérencieux, El trino de La Rioja. Son récit témoigne humour proche du celui qui parcourt l e s premières pages de del dlablo où Mbyano décrit l a journée du 10 mai 1591. Dans l e r é c i t du poète espagnol, la geste des conquistadores peu d'un de son éclat épique: M Una vez fui a Tucuman debajo del estandarte atronando de trompetas de pîfanos y atabales y caminamos très dias unos llanos adelante ; fundamos una cludad si es ciudad cuatro corrales, Y cuando el Gobernador tuvo nombrado Alcaldes hîzome juez oflcial de las haciendas reaies, Juntâmonos en Cabildo todos los capltulares y escrlbimos al Virrey un pliego de disparates que por franquear el sitio para pueblos y heredades fuimos con mucho trabajo para romper adelante que peleamos très dias con veinte mil capayanes, salimos muchos heridos sin saber quién nos curase; -59- perd aussi un que en pago de este servicio nos acudiese y honrase enviândonos exenciones, franquicias y llbertades. Mas pues viene la Cuaresma y tengo que confesarme yo restltuyo la honra a los pobres naturales que ni ellos se defendieron ni dieron taies seffales antes nos dieron la tierra con muy buenas voluntades y partieron con nosotros de sus haciendas y ajuares y no me dé Dios salud si se sacô onza de sangre." ' La pétition à laquelle fait allusion Rosas de Oquendo dans sa chronique existe toujours dans les archives et le poète fut d'ailleurs l'un de ses signataires, peut-être même son rédacteur'***. La ville de Todos los Santos de La Rioja venait d1 être fondée le 10 mai 1591 par Juan Ramlrez de Velasco, cinquième Gouverneur du Tucuman, et un mois plus tard les nouveaux habitants essayaient déjà d'accroître leurs droits et privilèges. Le document énumérait, comme l'indique notre poète aventurier, les demandes formulées à Philippe II. La première et la plus importante concernait la durée des encomiendas, moment de la fondation de La Rioja pour deux vies octroyées au en vertu des lois en vigueur mais que les hommes de Ramlrez de Velasco voulaient prolonger à trois. Les pétitionnaires personnel de chaque habitant, demandaient ensuite, l'attribution pour le service de 50 indiens mariés, choisis dans les communautés assujetties par le régime de 1' encomienda (.pueblos encomendados). En outre, ils demandaient les mêmes franchises, droits et privilèges qui étaient ceux des habitants de -60- Cuzco car la nouvelle ville se situait, elle aussi, loin des ports et des Audiences Royales. Pour justifier les demandes présentées au Roi, surtout celle qui concernait la prolongation des encomlendas, le fait que les habitants de la le document Insistait sur région étalent des chasseurs belliqueux et qu'il faudrait compter plus de deux générations pour les évangéllser et les réduire aux travaux agricoles. Or, cette argumentation reposait sur un mensonge dont témoigne le récit de Rosas de Oquendo. Loin cueillette, l'actuel les d'être un peuple ne vivant que de la chasse et la différents groupes de Diaguîtes territoire de La Rioja avaient atteint qui habitaient un développement technique et artisanal considérable. Ils cultivaient la terre à l'aide d'un système d'irrigation tout à fait adapté au milieu, pratiquaient l'élevage du lama, chassaient devenus la vigogne et le guanaco et étaient des potiers, des orfèvres et des tisserands très adroits. La langue commune était le cacân mais elle se perdit à la fin du XVIIe siècle et fut remplacée par le quechua parlé par les évangélisateurs, langue qui n'était pas inconnue des habitants de la région. En effet, l'Empire Inca avait déjè fait une pénétration dans le territoire du Tucuman à une époque antérieure à l'arrivée des Espagnols. Le site choisi par Ramfrez de Velasco ville qui en Rioja, appelée pour la fondation de la hommage à son lieu de naissance porterait le nom de La fut la vallée de Yacampis ou Llacampis, près d'une chaîne aujourd'hui Sierras < de Velasco. A l'Ouest, une chaîne parallèle, celle de Famatina, d'une altitude maximale de 6 000 mètres, ralluma encore une fois le rêve de l'or, au point que le fondateur -61- était persuadé d'avoir découvert un nouveau Potosl. Mais si le Rio de la Plata compensa l'absence de métaux précieux par la fertilité de la pampa, le Tucuman par la splendeur de sa végétation subtropicale et la Mésopotamie argentine par la richesse hydrographique, La Rioja, elle, ne put conquistadores fournir aucun substitut capable de dédommager les de leurs rêves déçus. "Tierra de buen temple", disaient les colonisateurs, mais avec un ciel avare de pluie et ne comptant que très peu de rivières et de ruisseaux, La juridiction de La Rioja coloniale couvrait une superficie supérieure à celle du territoire actuel qui s'étend sur 89.000 kms, répartis entre la montagne et la plaine, mais cette réduction fondamentalement Espagnols. changé A l'Est, les types de la province fait paysage que n'a pas connurent les partie de l'un de grands ensembles physiques du pays, celui des Sierras pampéennes, caractérisé par la présence de blocs montagneux aux contours bien définis, émergeant au milieu des vallées et des plaines. Dans La Rioja il y a trois chaînons de ces sierras, qui traversent le département de Los LLanos du Nord au Sud atteignant une altitude maximale de 1700 mètres. Au fur et à mesure que les plaines s'éloignent des sierras, l'aridité augmente et l'on voit apparaître la steppe arbustive qui va se perdre dans les blanches étendues des Salinas dans Libro naturelle de navlos y borrascas, entre quatre provinces: Grandes, et qui évoquées par Moyano constituent la limite Santiago del Estero, Catamarca, Côrdoba et La Rioja. Près des sierras, en revanche, les cactus et les pâtures grasses rendent possible l'élevage, fournissent du bois et de la nourriture. -62- et les caroubiers Aussi bien Martin de Moussy, voyageur français qui connut La Rloja en 1857 que Domingo Faustlno Sarmlento dans son l i v r e Facundo, é c r i t dix-sept ans auparavant, ont perçu c e t t e alternance de l ' a r i d i t é et de la f e r t i l i t é , c a r a c t é r i s t i q u e du paysage de l a province. L'auteur argentin é c r i t : : "El aspecto del paîs es, por lo gênerai desolado; el clima, ébrasador; la tierra, seca y sln aguas corrientes. El campesino hace represas para recoger el agua de las lluvlas y dar de beber a su ganado. He tenido siempre la preocupaciôn de que el aspecto de Palestlna es parecido al de La Rloja, hasta en el color rojizo u ocre de la tierra, la sequedad de algunas partes y sus cisternas; hasta en los naranjos, vides e higueras, de exqulsitos y abultados frutos, que se crîan donde corre algûn cenagoso y llmitado Jordan. Hay una extraffa -combinaciôn de montafias y llanuras, de fertilldad y aridez, de montes adustos y erizados y colinas verdlnegras tapîzadas de vegetaciôn tan colosal, como los cedros del Liïâno. "*•**•* Dans Facundo, Sarmlento se préoccupe essentiellement de planter l e décor nécessaire à l ' e n t r é e de son personnage, Facundo Quiroga, o r i g i n a i r e des Llanos, c ' e s t pourquoi 11 n' évoque qu 1 accessoirement la région andlne. Joaquln V. C'est Gonzalez, un autre auteur qui argentin nous a l a i s s é du XIXème siècle, dans Mis montafias, livre publié en 1893, la description de La Rloja andlne. I l a recréé non seulement l e paysage mais l e s coutumes et l e s t r a d i t i o n s conservées au long des siècles par les villages blottis dans des vallées verdoyantes où l e s cultures sont possibles grâce à l ' e a u du dégel. C'est dans ces vallées qu'étaient é t a b l i e s l a plupart des communautés diaguites au l'emplacement moment de de dernière la l'arrivée des Espagnols. forteresse ipucaral Indiens Calchaquls sur l ' u n des sommets des s i e r r a s -63- Gonzalez bâtie décrit par de Velasco: les "Marchamos larges horas por aquella quebrada estrecha, de vueltas interminables,en medio de las emociones mes variadas, desde el temor supersticioso hasta la suave sensaciôn de un suetto paradisîaco; y de pronto vimos abrirse ante nuestros ojos un ancho valle casi clrcular,adonde tienen acceso todas las vertientes de las serrantes que la clrcundan. (...) Es el valle donde los calchaquies tuvieron su fuerte avanzado sobre la llanura, el Pucaré, que corona un pico casi aislado en medio de la planicie, y situado de manera tan estratêgica como pudiera imaginarla el mes experto de los guerreros. C-**J Dans l e cadre d'une littérature où la montagne n'a fait que de très rares apparitions, avec Très golpes de timbal Moyano rappellera ce bastion de la résistance Indienne en bâtissant une forteresse de la mémoire, un pucaré symbolique qui se dresse sur un sommet andln. I l y a encore un autre paysage au Nord-Ouest de la province: celui de la Puna, frontière méridionale d'une région qui s'étend sur tout l e flanc andin du Nord du pays. Ce sont des hauts plateaux entourés de sommets volcaniques, dont le- principal, El Bonete, atteint 6.850 mètres d'altitude. sur l e t e r r i t o i r e Les quelques lagunes et salines éparpillées de la Puna reçoivent l e maigre débit de p e t i t e s rivières de la montagne. La menace de la sécheresse a Rioja. conditionné toute l ' h i s t o i r e de La Donc, i l n'est pas étonnant que l e s l i t i g e s pour l e droit d'irrigation (derecho de aguà) se soient ajoutés dans la v i l l e de Ramlrez Velasco aux de querelles typiques des autres villes coloniales: des disputes entre l e s notables à propos de l'attribution des encomlendas, accordés par l e s encomenderos et des protestations contre l e s traitements de faveur autorités en place, l e s ordres religieux. -64- et des conflits En effet, les entre les Franciscains, fondateurs du premier couvent de La Rloja et plus tard les Jésuites, organisateurs d'une école primaire, dénoncèrent à plusieurs reprises encomenderos les abus des et demandèrent l'abolition du service personnel auquel étalent contraints les Indiens. En 1593 arriva Francisco Sânchez cannonlsé en 1726 sous le nom de San tradition, toujours vivante dans El trino del dlablo, attendrissant les 11 Francisco qui devait Solano. être Selon la La Rloja et rappelée par Moyano dans aurait encomenderos Solano, les prêché plus en faveur cruels et des Indiens pacifié les communautés rebelles à 1'aide de la musique de son violon. Des méthodes très différentes furent celles employées par les colonisateurs lors de la première révolte locale, survenue quatre ans après la fondation de la ville. Rapidement noyée dans le sang, cette révolte annonçait l'agitation des années à venir. En 1630, les Indiens Calchaquis du Tucuman, qui avalent résisté à 1'évangélisation et refusé d'être assujettis par les encomenderos, aux Espagnols. Les hostilités débutèrent Oran Alzamlento déclarèrent la guerre par ce que l'on a appelé le (le Grand Soulèvement) et bientôt la guerre gagna tout le territoire du Tucuman. Au cours de cette guerre qui dura trente six ans, La Rloja fut assiégée et échappa de Justesse à la destruction totale, contrairement â la ville de Londres (aujourd'hui Catamarca) qui fut, elle, entièrement rasée. Une fois la guerre terminée, l'octroi de terres, l'attribution des familles indiennes et autres faveurs accordés par la Couronne aux beneméritos Joué un rôle déterminant dans la répression qui avaient des rebelles, contribuèrent à constituer les grandes fortunes du patrlclat créole -65- local dont le pouvoir ne cessera de croître tout au long du XVIIIème siècle. Les guerres calchaquies et, plus tard, l'obligation de fournir des ressources matérielles et humaines pour la lutte contre les tribus indiennes à la frontière du Chaco retardèrent le développement économique de la région qui avait bien débuté. Depuis 1620, La Rioja était intégrée au marché inter-régional du Tucuman et son abondante production de vin et de raisins secs lui avait permis de devenir l'une des provinces qui approvisionnaient Famatina ne s'était Velasco ne croyaient le Potosi. Le rêve de l'or de jamais réalisé. Les successeurs de Ramlrez de guère à la prétendue abondance des métaux précieux. Ce n'est qu'à partir de 1804 que l'exploitation de ces mines commence à s' intensifier sans que personne ne parvienne à imaginer le rôle décisif qu'elles allaient jouer dans la période suivante. En 1778, quatre ans avant la modification de la structure territoriale et administrative qui détermina le rattachement de La Rioja à l'Intendance de Cordoba et cinq ans après la création de la Vice-Royauté du Rio de la Plata, un recensement ordonné par l'êvèché du Tucuman'*7' révèle la composition de la société. Premièrement on observe une nette majorité d'Indiens (54% de la population totale) ce qui plaçait l'Intendance, Deuxièmement, nombreuse, La Rioja après la au Jujuy population seulement deuxième où rang parmi les l'on comptait 82% d'origine africaine était 20%, alors qu* à San Miguel villes de d'Indiens. très peu de Tucuman elle représentait 64% de la population. L'introduction massive d'esclaves noirs dans les annés suivantes devait inverser ces pourcentages de -66- sorte que la population africaine devint la composante majoritaire de la société de La Rioja, comme le montre le recensement de 1814(Ae>. A partir de 1813, beaucoup d'esclaves noirs furent affranchis ou "donnés" par leurs maîtres aux autorités militaires créoles de la guerre de l'Indépendance. Quant à la population indienne, la rapidité de sa diminution peut être mesurée en comparant les recensements de 1778 et de 1814. Parmi les natifs du département de Los Llanos, qui deviendra le lieu mythique de la montonera proportion de Facundo Quiroga, la de blancs révélée par les deux recensements est plus importante que sur la région andine. La fin du XVIIIe siècle vit apparaître les premiers germes de l'antagonisme entre Buenos-Aires et les provinces. L'élevage et le commerce avaient fait de notables progrès dans la ville portuaire, capitale de la vice-Royauté du Rio de La Plata, mais cela signifiait la mort de quelques industries et de l'artisanat des villes éloignées de la côte. . L économie des villes qui jusque là avaient résisté à la contrebande introduite à travers le port, est brisée par la liberté de commerce et l'importation de produits étrangers. En outre, la politique administrative des Bourbons concrétisée dans 1' Ordenanza de Intendentes de Ejército y Provinctas de 1792 instaure un centralisme qui sera l'antécédent direct du centralisme portègne des années à venir. L'historien argentin Ernesto Palacio dit à ce propos: "Esta organlzaciôn,en la que se ha pretendido ver la génesia de nuestro fédéralisme, signlflcô al contrario la implantation de un centralismo implacable,en que los cabildos locales eran absorbldos por la junta provincial y el Intendente, y êstos a su vez por el Virrey, quien -67- gobernaba para los intereses del puerto ûnico, del que extrais la renta mes cuantiosa. La descentrallzaciôn solo funcionaba en materias de pollcîa o de exacciôn fiscal. (...) Todos los movimientos en que se originarâ luego la tendencla fédéral, tienen su origen en la resistencia que provocô desde el comienzo la "Ordenanza de Intendantes" y se manifestarén como reacciôn de los pueblos interiores contra el gobernante arbitrario y despôtico que mandaba desde la capital, "<**> La Rloja a gardé peu de vestiges matériels de son passé colonial. Les catastrophes n a t u r e l l e s et l e s guerres n'ont épargné que l ' é g l i s e de Santo Domingo bâtie à l ' i n i t i a t i v e de Juan Ramlrez de Velasco, du fondateur, dans la première moitié du XVIIème. En revanche, fils les contes populaires i n t r o d u i t s par l e s Espagnols dans l e Nouveau Monde ont longtemps survécu et campagne de La Rioja, provinces du i l s résistent encore à l ' o u b l i dans la aussi riche en t r a d i t i o n orale que l e s autres Nord-Ouest argentin. Il n'y professionnels mais des conteurs prestigieux, a pas de conteurs analphabètes ou semi- analphabètes, en général des v i e i l l a r d s doués d'une excellente mémoire et d'une grande capacité d'expression, f r o n t i è r e du dont la réputation dépasse la village. Moyano a prêté ces q u a l i t é s à Aballay, l ' u n des personnages de son roman El vuelo del Le c u l t e de San Nicolas de Bari, tigre. protecteur de l a v i l l e , l i é au souvenir de la période des r é v o l t e s indiennes constitue une autre tradition conservée j u s q u ' à nos jours. Joaquïn V. Gonzalez dans le l i v r e que nous avons déjà c i t é , décrit l e s personnages de la cérémonie du 31 décembre à midi, appelée Tinkunaco (rencontre) ou Fiesta Nitio Alcalde. "Existe en la ciudad una instituciûn que recuerda y explica aquellos sucesos lejanos: es la dinastia politico religiosa -68- del de los Nina, quienes conservan el derecho de celebrar la gran solemnidad de la conversion religlosa realizada por San Nicolas de Bari, auxlliado milagrosamente por el Niffo Jesûs en un momento supremo. Los padres Jesuitas dieron forma litûrgica y social al hecho histôrlco, organizando una cofradla de indîgenas devotos al milagroso apôstol y a su divino protector. Eligieron al mes respetable de los indios convertidos y lo cubrieron con la investidura regia de los incas; diéronle el gobierno inmediato de todas las tribus sometidas y el carécter de gran sacerdote de la instituciôn, como un trasunto del que revestîa el emperador del Cuzco. Los caciques obtuvieron el nombre u oficio de alféreces o caballeros de la improvisada orden, especie de guardia montada que obedece idealmente al Patrlarca conquistador. Doce ancianos llamados cofrades, forman el consejo de aquella majéstad extraffa, como el colegio de los sacerdotes que asistîa a los reyes del Perû. Viene enseguida la clase popular de los allds, u nombres buenos, que son los que reconociendo la dignidad real del Inca y adlctos a la festlvidad del santo, dedlcanse al culto y a la devociôn del Niffo Dios, erigido segûn la tradiciôn en "Alcalde del Mundo", Se le Uama el Niffo Alcalde, y San Nicolas es su lugarteniente en la t i e r r a " * * 0 * La cérémonie actuelle du Tinkunaco est confluence d'éléments hétérogènes : d'une part, révolte des Indiens de Francisco Pardecitas le résultat de la l e souvenir de la pacifiée par l e violon de San Solano et d'une autre, l'intention didactique des Jésuites qui ont rassemblé dans un même r i t e l e s symboles du pouvoir c i v i l et du pouvoir religieux et l e s représentants des trois races qui ont peuplé l'Amérique Latine. La cérémonie consiste, comme son nom l'indique, dans la rencontre de deux colonnes de fidèles: c e l l e de San Nicolas des de Bari, un saint noir, suivi de ses porte-étendards arborant enseignes de s t y l e espagnol, l'enfant Jésus porté par l e s allis et celle de l'Image blonde de en costume d'indien. La rencontre a lieu face au siège du Gouvernement et l e s deux colonnes continuent ensemble leur chemin vers la cathédrale. La proceslôn est rythmée par l e s ayllls, hymnes de j o i e en hommage de San Nicolas -69- de Bari, Leur paroles, répétées aujourd'hui mécaniquement, inintelligibles et de ce fait étaient devenues considérées comme le produit d'une dégradation progressive du quechua survenue au cours des siècles par la non-utilisation courante de la langue. Récemment on a découvert qu'elles proviennent d'un dialecte du quechua parlé dans le département de Chichas, en Bolivie. Moyano reprend quelques paroles de ces ayllts dans Libro de navîos y 1.2.2. Le temps des A partir l'année de borrascas. caudillos l'indépendance argentine, en particulier depuis 1826, La Rioja joua un rôle capital dans les luttes qui s'engagèrent entre unitartos et fédérales, mettant face a face Buenos Aires et les provinces du nouveau pays. Nous avons déjà mentionné la nature de l'antagonisme qui opposait les villes de la province â la capitale de la Vice-Royauté du Rio de la Plata, mais ce conflit naissant prit dans la période suivante une ampleur et une gravité telles que ses retombées ont continué de peser sur la vie du pays bien au delà du XIXème siècle. Problème majeur de l'Histoire argentine car ces luttes sont à la base du modèle de société qui a donné naissance à l'Argentine contemporaine, le sujet a suscité d'innombrables polémiques parmi les historiens du courant libéral et ceux de la tendance révisionniste. C'est ainsi que les mêmes personnages deviennent tour à tour et selon la perspective de -70- leurs biographes, des héros ou des bandits, des patriotes ou des traîtres. Borges a essayé de résumer l'essence du problème dans une formule très connue et citée par Alain Rouquié < eiï , en disant que seul les pays jeunes ont une Histoire. Le concept d'Histoire qui se dégage de la phrase de Borges place celle-ci davantage du côté de la mémoire collective que de la somme d'événements cristallisés dans un récit dont le rapport au présent passe fondamentalement par l'analyse rationnelle des faits. Dans, la mémoire collective, par contre, les événements du passé gardent la capacité de s'immiscer dans le présent, de réveiller les passions et d'appeler à des adhésions ou à des refus relevant de réflexes perpétués par la tradition. Facundo Quiroga, Vlcente Pefialoza et Felipe Varela, les trois caudlllos fédérales du XIXème siècle, hantent encore la mémoire collective de La Rioja et continuent de livrer leur bataille contre le pouvoir central. La survivance de cette tradition ne saurait seulement s'expliquer par la jeunesse d'un pays qui compte moins de deux siècles de vie indépendante, ce à quoi fait allusion la phrase de Borges, mais par la situation spéciale d'une structures sociales région n'est délaissée où aucun changement de intervenu pour que ces vieilles luttes soient définitivement enfouies dans le passé. Devenus légende, les trois caudlllos sont le symbole de la volonté justice sociale élémentaire s'exprimant de restitution d'une par toutes les formes du folklore régional sur le plan culturel et par l'adhésion au péronisme sur le plan politique. Pour brosser le portrait de ces caudlllos et comprendre l'attitude de Mbyano à leur égard il est d'abord nécessaire de définir -71- les deux factions qui se sont opposées pendant années d'histoire tendances apparaissent premiers pas fédérales argentine: pour aussitôt se des autorités l'opposition sera clairement établie quand pampas"*63*, et Restaurador de las de Buenos pouvoir Les deux à faire les espagnoles mais Rosas, le "Louis XI des s'attribue le titre de leyes. Le parti unltario, port au unitarios. et que le pays réussit dégager s'installe plus de cinquante expression des réussites et des projets du Aires, regroupait les membres d'une bourgeoisie commerciale très prospère, enrichie pendant le règne de Carlos III grâce aux mesures prises en faveur de la liberté de commerce. La jouissance d'une fortune considérable leur avait permis d'assurer une éducation supérieure à leurs enfants qui furent pour la plupart formés dans les idées de la philosophie des Lumières enseignée au Collège de San Carlos. Ces doctrines s'adaptaient d'ailleurs fort bien à leur intention de bâtir un pays capable de répondre aux besoins du marché international que l'Angleterre commençait à dominer. Pour ce faire il fallait éduquer et réprimer, selon la formule du despotisme éclairé dont nous connaissons la version criolla, par Sarmiento en 1861: "clencia Le programme nécessitait de ennoncée y palo". < B S > gouvernement la mise en place tardivement élaboré par l'unitarisme d'un pouvoir central capable d'imposer l'ordre et l'uniformité et susceptible de préparer l'avènement de la société moderne. Chaque fois que les provinces voulurent donner au pays une organisation constitutionnelle, les représentants de l'élite du port essayèrent d'imposer un centralisme -72- qui ne faisait que prolonger les aspirations de la capitale de l'ancienne Vice-Royauté et réactualiser le conflit déjà existant. L'urbanisation croissante du port, les besoins de raffinement que les nouvelles fortunes créaient et l'influence de la culture européenne firent apparaître une élite cultivée qui se sentait supérieure et "civilisée". Ses membres étaient persuadés d'être les seuls représentants de l'esprit d'après leurs convictions l'Espagne rejetait l'Angleterre offraient généreusement Lumières, ils s'engagèrent de progrès que mais que la France et au Nouveau Monde. Messagers des dans une croisade contre l'obscurantisme et dans une lutte sans merci pour remplacer le pays réel par le pays de leurs rêves. En revanche, la tendance fédéraliste défendait proche de celui qui avait trois siècles. Les caractérisé les villes coloniales pendant habitants l'autonomie qui résultait un mode de vie de ces villes de l'éloignement étaient habitués à des autorités centrales : ils devaient s'organiser pour se défendre des indiens révoltés et pour écouler les produits de la région ; ils concluaient des alliances avec les villes voisines et géraient le fonctionnement des services communaux. Malgré leur soumission théorique au Roi et au Vice-Roi, le gouvernant envoyé par la Couronne était considéré comme un ennemi naturel et il devait chercher l'appui d'une fraction locale pour faire face aux multiples et interminables contentieux que ses administrés entamaient contre lui. La fierté et le sentiment communauté auto-suffisanté essentielles administratifs des habitants coloniaux. De furent des toute -73- donc, villes les d'appartenir à une caractéristiques éloignées évidence, la des rupture centres avec la Couronne espagnole éveillait en eux l'espoir de ne plus être dérangés par l'arrivée susceptibles de de fonctionnaires modifier le étrangers rapport de a leurs forces soucis instauré et depuis longtemps. La Fédération d'Etats souverains leur paraissant le seul régime capable s'attachèrent de préserver cet équilibre séculaire, ils à le défendre avec la même passion que l'unitarisme consacrait à la mise en place de la nouvelle société. Lorsque les chefs de la révolution du 10 mai 1810, date du renversement du dernier Vice-Roi de Buenos Aires, durent former des armées pour se défendre des troupes espagnoles, ils établirent le système de leva des gauchos, recrutement forcé effectué d'abord pour les luttes de l'Indépendance, plus tard pour les guerres civiles et pour la conquête des terres encore habitées par les indiens. La cavalerie gaucha, guidée par ses caudillos, lutta contre l'Espagne jusqu'à la victoire de la révolution mais devint tout de suite après, l'armée des régimes provinciaux et des intérêts qu'ils représentaient, ceux des hacendados et des commerçants qui mais voyaient ceux également des artisans dans l'entrée des marchandises étrangères un danger pour l'économie régionale. Danger réel, car si pendant la période coloniale les différentes régions avaient appris à produire des biens et des services d'une diversité considérable, sous les gouvernements indépendants ces mêmes régions se virent forcées de reconvertir leur production, quand les moyens financiers et humains et même la géographie international. C'est conservation de le permettaient, pour entrer dans le marché ainsi que l'élevage et les établissements de viande, les saladeros, -74- devinrent la base de la nouvelle économie et la raison du pouvoir croissant des propriétaires terriens et des hommes d'affaires revanche, l'artisanat liés à l'exportation, mais qu'en du Nord-Ouest ne put pas survivre face à la concurrence des produits Importés. L'historiographie libérale a expliqué l'attitude des caudîllos à partir de l'antinomie civilisation-barbarie énoncée par Sarmiento dans son livre Facundo. D'un style percutant il forgea l'image d'un Facundo Quiroga primitif et barbare, entraînant derrière lui la masse des llanistos, les gauchos soumission servile. excluant l'examen des Llanos, liés à leur chef par une Le livre était pondéré le fruit d'un état d'esprit des faits car il s'inscrivait dans la campagne organisée par les exilés argentins pour obtenir l'appui des puissances étrangères et pouvoir ainsi renverser le gouvernement de Rosas. Mais cent ans après, alors que les événements qu'il rapportait faisaient déjà partie de l'histoire, le livre de Sarmiento et ceux des autres auteurs de sa génération, engagés tous dans l'une des factions en lutte, restaient la seule référence pour juger l'étape des guerres civiles et la personnalité des Ramlrez, Rosas et les caudîllos représentants. La nature caudîllos fédérales dont Artigas, de La Rioja furent les principaux du rôle qu'ils jouèrent au moment où le pays avançait à tâtons vers l'organisation nationale n'était pas analysée en tenant compte l'impossibilité des d'un différentes structures de l'économie s'affirmer fait capital : la provinces de s'intégrer libérale dont et se développer. C'est le port pourtant entre Buenos Aires et La Rioja que quelques -75- possibilité avait le conflit ou dans les besoin pour d'intérêts historiens révisionnistes ont souligné, qui détermina l'entrée de Facundo Quiroga sur la scène politique argentine. d'un hacendado des LLanos, une région qui Quiroga était le fils commençait à compter dans la vie économique régionale dominée jusque là par deux familles de 1'aristocracie l'époque coloniale possédant depuis de Ramfrez de Velasco les meilleures terres de pan llevar, celles où la fertilité de la terre et la bonne irrigation avaient facilité le progrès de la viticulture. Promu commandant des milices des Llanos, le jeune Quiroga semble avoir mené une vie sans relief, beaucoup moins romanesque que celle racontée par Sarmiento. Face aux deux courants qui pointaient dans la politique du pays il se sentait plus proche du projet institutionnel de l'unitarisme, tout au moins avant l'affaire des mines de Famatina. Nous avons déjà signalé que ces mines avaient commencé à être exploitées dans la dernière période de la colonie espagnole. La reprise des travaux devint urgente quand les frais occasionnés par la guerre de l'Indépendance et le recrutement des anciens esclaves et des travailleurs ruraux dans les armées révolutionnaires épuisèrent les ressources financières et humaines sur lesquelles reposait la production traditionnelle. Sûr de pouvoir relancer l'exploitation, le gouverneur Davila fonda la Casa de la Moneda, une banque régionale destinée à frapper la. monnaie à partir de l'argent de Famatina. Mais il était nécessaire techniciens. En de renforcer 1824, Facundo l'équipement Quiroga capitalistes portègnes et anglais et de trouver les s'associa à quelques pour créer la Famatina Minning Company .sur la base d'un contrat prévoyant l'apport de techniciens -76- anglais et l'embauche de mineurs argentins. Le projet était voué à l'échec car l e Gouvernement de Buenos Aires, sans demander l ' a v i s des autorités de La Rioja, avait commissionné l e Ministre Bernardino Rivadavia pour conclure à Londres des accords avec des compagnies anglaises, parmi lesquels se trouvait mines du territoire. la concession de toutes l e s A la fin de la même année de 1824, naissait la Rio de la Plata Minning Association dont la direction & Buenos Aires était confiée à l ' e f f i c a c e médiateur, l e Ministre Rivadavia. La campagne de promotion de cette dernière compagnie est révélatrice de la fièvre qui s ' é t a i t emparé de la Bourse de Londres face aux richesses réelles ou imaginaires de l'Amérique Latine. L'auteur du prospectus imprimé pour l e lancement des actions fait preuve d'une fantaisie qui n'a rien à envier à c e l l e des chroniqueurs de la conquête espagnole : "Podemos imaglnar sln hipêrbole que las minas del Famatina contienen las riquezas mes grandes del Universo. Voy a probarlo con una simple aserclôn de la que dan fe miles de testlgos: en sus campos (Chilecito) el oro brota con las lluvlas como en otros las semlllas (...) las pepitas de oro, grandes y pequeflas, aparecen a la vista cuando la lluvîa lava el polvo que cubre la superficie (...) después de una lluvla algo fuerte, una setîora encontrô a pocas yardas de su puerta una mole de oro que pesaba velnte ornas; otra, al quitar unas matas de yuyos de su Jardin descubrlô en las raîces una peplta de très o cuatro onzas (...) cuando se barren los pisos de las casas o se llmplan los establos, slempre se encuentra oro confundldo entre el polvo t..}'*** Les acheteurs se précipitèrent sur l e s actions sans savoir que l'aventure de la Compagnie serait de courte durée. Arrivés â Buenos Aires, l e s fonctionnaires anglais se trouvèrent face à leurs collègues de la Famatina Minning Company dont l e s droits ne pouvaient -77- être la Ley Fundamental, contestés car Ils avalent pour cadre juridique d'Inspiration fédérale 1'Instrument à appliquer jusqu'à la sanction de la Constitution. Un coup de maître réussi par Buenos Aires, la violation de cette loi, est à la base d'une série d'affrontements qui allaient se solder par la guerre civile des années à venir. En 1826, le Congrès réuni pour dicter la Constitution se détourna de ses objectifs et nomma un Pouvoir Exécutif permanent avec Rivadavia à la tête du gouvernement. Les premières mesures du nouveau Président portaient une grave atteinte aux intérêts provinciaux : la loi de consolidation de la dette contractée par Buenos Aires avec la banque Baring Brothers rendait les provinces débitrices de l'Angleterre les obligeant à accepter l'hypothèque de leurs terres publiques pour cautionner un emprunt dont elles n'avaient pas demandé. n'obtiendraient aucun bénéfice et qu'elles Cet emprunt, que l'Argentine termina de payer en 1901 et qui au moment de l'extinction de la dette représentait un montant huit fois plus élevé que celui de la somme obtenue, mit le pays dans d'une situation de dépendance vis à vis de l'Angleterre et conditionna toute l'évolution économique de l'Argentine. Quant aux mines de Famatlna, la loi qui créait la Banque Nationale et qui lui réservait disparition le droit exclusif de frapper monnaie signifiait la de la banque Casa de la Moneda et de la compagnie minière fondée à La Rioja. A partir de ce moment, l'histoire de Facundo, l'homme d'affaires, s'achève et commence l'histoire de Facundo, eJ tigre chef de la montonera constituée de -78- groupes de los de gauchos Llanos, au nombre variable qui se soulevaient spontanément c'est-à-dire, étaient d'hommes ennemis et attaquaient en mont an, en formations irrégulières et toujours changeantes. cent au matin, apparaissant mille au soir, et Ils puis à nouveau une poignée disparaissant vertigineusement face aux désorientés. Le courage de ses hommes, l'immense popularité dont i l jouissait et sa nature passionnée ont fait de Facundo un personnage mythique. Aucun autre caudlllo argentin n'a suscité autant de légendes, aucun autre n'a été l'objet d'autant de biographies qui se contredisent n'a inspiré autant d'oeuvres l i t t é r a i r e s . David Pefia, Manuel Gâlvez, Ricardo GUiraldes, Leopoldo Lugones, ou L'historien et dramaturge auteur de Segundo Sombra, Borges, Ricardo Molinari, Francisco Luis Bernardez font partie de la l i s t e d'écrivains a t t i r é s par "l'ombre terrible de Facundo" que Sarmiento invoquait au début de son livre. Félix Luna témoigne de l'existence d'un mythe populaire particulièrement puissant dans la région des Llanos: "Esa sensaciôn esta viva en los llanos de La Rioja, donde perduran las leyendas que en su tiempo contribuyeron a conformar el mlto: el gênerai no dormïa nunca, el gênerai leîa el pensamiento, al gênerai no se lo podîa engaflar, el gênerai no estaba muerto sino escondido "en los relnos de arriba",como le aseguraba a ml abuelo el arriero que lo llevaba a estudlar a Côrdoba, veînte attos después de Barranca Yaco. El gênerai se aconsejaba con su moro,que le decîa cuândo debla pelear y por dônde debîa atacar primero, (...) el célèbre caballo que juega un papel de intermediarlo entre el mundo infernal y Qulroga, Jefe misterioso del ejêrcito de "captangas", aimas en pena reclutadas en el Infierno, que forman su escolta y a cuya aproximacion hasta los oficiales de Paz -lo cuenta el Manco en sus 'Memorias' - palidecîan de miedo"'*** -79- A côté de ce Facundo légendaire 11 y a celui révélé par les l e t t r e s et l e s nombreux documents de ses archives personnelles publiés partiellement de longues années après sa mort tragique à Barranca Yaco. Dans l e s l e t t r e s , é c r i t e s pour l a plupart de sa propre main, 11 e x p l i c i t e parfois l e s raisons de sa révolte et de l'adhésion de ses hommes à la cause du fédéralisme. La l e t t r e du 10 janvier 1830, adressée au Général José Maria Paz, l ' u n des t r o i s principaux chefs militaires de l'armée Dans c e t t e l e t t r e de ses troupes soldats unltarla, est particulièrement révélatrice. Qulroga souligne la différence entre la composition et c e l l e de l'armée de Buenos Aires, conduite par des professionnels, et dénonce la campagne de diffamation orchestrée par l a presse de 1' unitarisme: "Las prensas se han hecho sudar para abrir heridas al Indivlduo, no al nombre pûblico; bajo el pretexto de hacer manifiestos justificando una atroz e injustificable guerra y un aseslnato sln ejemplo, no se ha hecho otra cosa que desahogar pasiones Innobles y estampar insuit os personales no menos falsos que vergonzosos. El que firma es hombre y provoca sln embargo a que se le cite un solo acto de esta clase contra encarnizados enemigos. (...) Bajo est os princlpios ha combatido el infrascripto por dos veces y aunque en una y otra ocasiôn se le ha hecho la guerra a muerte, el que figura la ha regularlzado y la ha hecho lo menos afligente que le ha sido dado. Asi ha debido ser, seftor gênerai, cuando entre los soidados de sus filas no se ven sino ciudadanos pacîficos, pero que decididos a ser libres se enrolan voluntarios, dejando sus fortunes y comodidades, al paso que han tenido siempre que batirse con los que profesan el oficio de la muerte." "La sangre se vierte ahora, es verdad. Se verterâ acaso infinito. Pero el mundo imparclal y la severa historia daré justlcia al que la tenga entre los que intentan dominer y los que pelean por no ser esclaves."*®6* Dans la même lettre, Qulroga maladresse v i s - à - v i s de l'Uruguay, reproche la provincia -Ô0- aux unitarios de Oriente d i t - i l , leur et du Paraguay, envahis par Buenos Aires dans le cadre de la même politique dictatoriale qui s'exerçait contre les autres provinces. En ce qui concerne l'Uruguay, fédéralisme, le caudillo le souvenir du premier José Artigas, neutralisé de Buenos Aires, était encore très présent Paraguay, l'aboutissement de la politique défenseur du par les politiciens en 1830. Et quant au libérale critiquée par Quiroga, allait entraîner la guerre de la Triple Alliance, la plus impopulaire des guerres livrées par l'Argentine. Toujours dans la même lettre, les remarques de Quiroga sur le rôle de l'Armée, utilisée contre les civils des provinces de l'intérieur et donc, détournée de l'objectif pour lequel elle avait été constituée, sont toujours particularités de l'Argentine, un d'actualité en raison des pays où les secteurs qui ne peuvent plus contrôler le jeu électoral ont mis à leur profit ce détournement des fonctions spécifiques des Forces Armées. "iQué resta, setior gênerai? Un ejérclto que habîa costado inmensos sacrificlos, un ejêrcito que en alas del pundonor nacional se habîa formado a Incalculables esfuerzos de las provincias y que costaba média exlstencia a los argentinos, ni bien se distrae de su objeto, cuando lanzado sobre las provincias, se ha proclamado conquistador."*973 La l e t t r e se termine par une mise en garde: l a s armas que hemos tomado en esta ocasion no serén envainadas sino cuando haya una esperanza siquiera de que no serén los pueblos nuevamente invadldos. Estamos convenidos en pelear una sola vez para no pelear toda la vida."tBB> Quel est cet espoir qui pourrait empêcher la guerre de continuer? Facundo écrit cette l e t t r e quatre ans après la tentative -81- unitaria d'imposer une constitution président de décembre la 1825, province. centralisatrice République avait, le de nommer l e s En outre, pouvoir les selon journaliers, et antidémocratique. Le le texte en sanctionné gouverneurs analphabètes, de chaque domestiques et soldats non professionnels étant privés de d r o i t s civiques, seul une poignée plus de citoyens pouvait voter. Le député fédéral durement opposé à la Constitution de qui s ' é t a i t l'unitarisme, le Manuel Dorrego, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir car un chapitre de Libro de navios y borrascas l u i est consacré, avait été exécuté en 1828. L'indignation des habitants des provinces face à la c o n s t i t u t i o n unltaria s ' é t a i t doublée de l ' h o r r e u r provoquée par la mort de Dorrego et tout conduisait à penser que l e s espoirs d ' a r r i v e r à un accord avec Buenos Aires devenaient de plus en plus minces. Mais Facundo continuait à c r o i r e à l a p o s s i b i l i t é d'obtenir une Constitution qui serait l'expression de la volonté de la majorité. Une volonté q u ' i l ne partageait pas mais qu' i l r e s p e c t a i t . Dans une l e t t r e du 12 janvier 1832 adressée à Rosas, i l dit : "Usted sabe, porque se lo he dicho muchas veces,que yo no soy fédéral, eoy unitario por convencimiento; pero si con la dlferencla de que mi opinion es muy humilde y que yo respeto demaslado la de los pueblos constantemente pronunciada por el sistema de gobierno Fédéral; por cuya causa he combatido con constancia contra los que han querido hacer prevalecer por las bayonetas la opinion a la que yo pertenezco, sofocando la gênerai de la Repûblica; y siendo esto asi, como efectivamente lo es icômo podré yo darle mi parecer en un asunto en que por las razones que llevo expuestas necesito explorer a fondo la opinion de las provincias, de las que Jamâs me he separado sin embargo de ser opuesta a la de ml indlviduo? Aguarde pues un momento, me informarê y sabré cuil es el sentimiento o parecer de los pueblos y en tonces se lo comunicaré, puesto que es Justo que ellos obren con plena libertad porque todo lo que se qulera o prétende en contrario, sera violentarlos, y aûn cuando se consiguiese por el momento lo que se qulera, no tendrîa consistencia, porque nadie -82- duda de que todo lo que se hace por la fuerza o arrastrado por un înflujo, no puede tener duraciôn siempre que sea contra el sentlmiento gênerai de los pueblos."'**3 La ton de Quiroga laisse transparaître une certaine agressivité et la demande de Rosas à laquelle 11 répond par sa lettre en est la cause. Le caudillo de Buenos Aires voulait retarder régime fédéral à adopter dans le le débat sur le pays et avait besoin de l'accord de Quiroga. Les deux hommes, bien qu'alliés pour s'opposer au pouvoir du port, avaient des Intérêts et des points de vue différents. Quiroga croyait que la seule solution possible résidait dans l'organisation du pays sous le régime fédéral.' voulu par la majorité et il ne cessait d'inciter les autres provinces à l'institutionnaliser définitivement. Rosas argumentait se donner Constitution. que le pays n'était Son projet personnel était exécution une fois que Facundo, aurait pas mûr pour une tout autre et il le mit à le seul caudillo dont la popularité pu représenter une entrave à ses ambitions, fut assassiné à Barranca Yaco, le 16 février 1835. La mort de Quiroga bouleversa non seulement Rioja mais le pays tout entier. Dans le climat la nouvelle, et les habitants de La de crise provoqué par Rosas accepta d'assumer le gouvernement de Buenos Aires l'attribution de l'ensemble des pouvoirs publiques. indiscutable qu' il tira de cette mort Le profit fit peser sur lui le soupçon d'une éventuelle complicité avec les auteurs matériels du meurtre. Ce soupçon ajouté au fait que sous sa dictature les provinces durent se soumettre à sa main de fer et que la politique économique favorisa presque seulement les intérêts des -83- propriétaires terriens de la campagne de Buenos Aires caudillo fut à la base de la révolte du deuxième de La Rioja : Angel Vicente Pefialoza. Peflaloza s'était formé aux côtés de Facundo. Ils avaient lutté ensemble contre les armées de Buenos Aires dans les batailles de Qncatlvo, La Tablada et Rincûn et de cette époque datait la renommée du jeune Peflaloza pour son courage et son extrême habileté à sortir les canons ennemis de la ligne de tir seulement à l'aide de son lasso. Facundo avait été un riche connaisseur de la nature, du travail capable aussi de s'adapter Pefialoza, hacendado provincial, excellent et des hommes de sa région mais et d'apprécier les moeurs Chacho comme le surnommaient de la ville. ses compagnons d'aventures, n' avait en revanche, aucun penchant pour une vie urbaine où il se serait senti humilié car il était presque illettré. Les lettres qui nous sont parvenues, presque toutes dictées au milieu des campagnes militaires qu'il dirigea, sont l'oeuvre matérielle de différents assistants, des hommes simples qui écrivaient mal. C est justement l'absence d'artifices formels qui les rend aussi authentiques et parfois même touchantes. Dans ces lettres Peflaloza se montre comme un homme modeste, sans ambitions personnelles, d'une droiture peu fréquente à une époque où la durée des conflits et le sang versé rendaient possibles tous les abus. Le 6 décembre 1854, après avoir reçu une distinction accordée par le gouvernement de la Confédération Argentine, il écrit à Urquiza: "Yo soy un gaucho que nada otra casa entiende que de las cosas de campo, donde tengo mis reuniones, y la gente de ml clase no se porqué me quieren ni porqué me siguen; yo también los quiero y los sirvo con lo que tengo haclêndoles todo el bien que puedo; de esta suerte Sefior, -84- los Gobiernos y los Jefes Militaires siempre me han ocupado y me solicitan y alguna vez me han entrado a los ejércitos creyêndome capaz de algo; los Superlores no se han desagradado conmigo, pero le aseguro ml General, que yo en buena plata nada valgo. No se vestlr, cargar insignias, ni entiendo toda la têctica ni ceremonias menudas que acostumbran los ejércitos; pero tambiên le aseguro que jamâs he hecho mal a nadle ni he traiclonado a ningûn Jefe ni amigo, esto es naturel en mi asi no tengo resentido a nadle en ml vida. Si yo le recibo mi General el tîtulo que manda es porque quiero ser su amigo por la gran bat alla que ganô en Caseros y la Constituciôn que nos ha dado."<so> La d i s t i n c t i o n dont Peflaloza parle dans l a l e t t r e ci-dessus , l u i avait été accordée pour son intervention dans la l u t t e contre Rosas qui venait de se terminer en 1652 avec la b a t a i l l e de Caseros, gagnée par un caudillo de l a province d'Entre Rios, Justo José de Urquiza avec l ' a i d e des e x i l é s et de troupes brésiliennes. Mais la révolte de La Rloja contre l e Restaurador de las Leyes é t a i t plus ancienne. La province de avait fait partie la Coalition gouverneurs opposés à Rosas et appuyés du Nord, ligue de par l'armée u n i t a i r e qui en 1838 t e n t a de renverser l e gouvernement. Confrontées aux troupes de Rosas l e s forces r e b e l l e s subirent plusieures défaites et ses membres durent p a r t i r en exil. Parmi eux se trouvait Peflaloza qui n'abandonna pas pour autant la l u t t e contre celui q u ' i l considérait comme étant responsable de l ' a s s a s s i n a t de son chef et de la misère croissante de sa province. Celle-ci é t a i t , en effet, plus étranglée économiquement que jamais depuis que Rosas avait i n t e r d i t l e s échanges commerciaux avec l e Chili, cause de cela, base d'opération d'un groupe nombreux d ' e x i l é s et à devenu officiellement un pays ennemi de Confédération Argentine, mais historiquement et géographiquement lié à La Rloja. -85- la très Incapable de supporter 1'élolgnement du cadre naturel de sa vie, l e s Llanos, Pefialoza f i t clandestinement et chemin de Copiapô à La Rioja. à plusieures r e p r i s e s l e Chacun de ses retours signifiait l ' é v e n t u a l i t é d'une nouvelle révolte mais i l ne fut jamais emprisonné grâce à la complicité des h a b i t a n t s des campagnes et même de quelques gouverneurs fédérales. Car s i Facundo avait é t é un caudillo admiré mais aussi redouté, Peflaloza fut l e plus aimé de tous l e s caudillos de La Rioja et des provinces voisines. Le réseau de loyauté qui sous-tend les rapports du caudillo avec ses hommes et qu'Alain Rouquié**513 considère plus important que l e pouvoir charismatique joua dans l e cas de Peflaloza un r ô l e e s s e n t i e l . ses l e t t r e s , gauchos du leader, Dans presque toutes on trouve la même préoccupation pour la pauvreté de ses qu' i l essayait de soulager par ses propres moyens, très l i m i t é s et en rien comparables à ceux dont disposait Quiroga. Cela explique l'immense popularité dont i l j o u i s s a i t et l e s acclamations qui saluaient son passage par l e s provinces voisines bien q u ' i l fût toujours l e perdant dans une guerre où la disproportion des forces entre les adversaires laissait ressources des armées r é g u l i è r e s , prévoir le Peflaloza et résultat. Face ses hommes n1 avaient qu'un équipement rudimentaire: "El Chacho no tenïa artillerîa, pero sus soldados la fabrlcaban con cationes de cuero y madera, que se servîan con piedra en vez de metralla, pero piedra que hacia estragos entre las tropas que lo perseguîan. No tenîa lanzas, pero aunque fuera con clavos atados en el extremo de su palo, sus soldados los improvisaban y se creian invenclbles. El que no tenîa sable lo suplîa con un tronco de algarrobo convertido en sus manos en terrible mazo de armas, y si faltaba el alimento comian algarrobo y era lo mismo."***' -86- aux Il n'est pas difficile d'imaginer la répugnance que les hommes cultivés ressentaient face à ce primitivisme qui était alors imputé à la barbarie des moeurs et à l'absence d'éducation et non à la misère. Les membres de la montonera étaient donc considérés par leurs ennemis comme des sous-hommes guidés par des instincts sanguinaires et opposés à toutes les valeurs de l'esprit. Mais dans le cas de Peflaloza, on ne lui reprochait pas seulement son farouche refus des bienfaits de la civilisation venant de Buenos Aires mais surtout son opposition aux familles les plus riches de la région, celles qui, en détournant le cours des rivières et des ruisseaux pour irriguer leurs propriétés avaient condamné les terres voisines à l'improductivité. La haine que les paysans pauvres vouaient à ces familles eut une parfaite réplique dans la haine que les puissants de La Rioja vouèrent au caudillo, ce qui explique la mort atroce que lui fut infligée. Lorsqu' en février 1852 le gouvernement de Rosas fut renversé par la coalition des forces conduites par Urquiza, les vieilles luttes entre Buenos Aires unitarios et les provinces recommencèrent. Les anciens s'appelaient maintenant libéraux et parmi certains d'entre eux, les integracionistas, pointait la volonté de trouver un terrain d'entente avec les provinces, toujours fédéralistes. Mais ce fut le libéralisme "dur" qui s'imposa et détermina le refus de Buenos Aires de participer à l'élaboration d'inspiration fédérale, laquelle Cette constitution n'était de la Constitution de 1853, fut approuvée par le reste du pays. pourtant pas contraire aux intérêts des libéraux car elle accordait aux étrangers les mêmes droits civiques qu'aux nationaux, ce qui permettait la mise en place d'un projet cher -87- à l'élite éclairée de Buenos Aires, celui de l'ouverture du pays à l'immigration européenne. En outre, elle facilitait l'implantation des capitaux étrangers et ouvrait les fleuves intérieurs aux bateaux de toutes les nationalités. L'application de ces principes ne pouvait que favoriser les secteurs liés à l'élevage et au commerce des provinces du Littoral argentin, Entre Rios et Buenos Aires, mais l'adoption du système fédéral était un obstacle que la ville portuaire ne voulait pas franchir. C est pourquoi , en 1854, elle se donna son propre gouvernement et sa propre Constitution calquée sur le texte unltario de 1826, le même qui avait déclenché les guerres civiles du temps de Facundo. Jusqu'en 1861, les deux gouvernements firent une tentative de cohabitation qui tourna vite a la catastrophe. Le premier, celui de la Confédération des provinces, essaya vainement de faire face au pouvoir économique de l'autre, qui disposait des revenus du port et du soutien international. Aux difficultés économiques de s'ajouta la pression des minorités libérales de l'élite portuaire. la Confédération, province alliées à La guerre éclata finalement en 1861 et les troupes de Buenos Aires, conduites par 1'idole des jeunes libéraux portègnes, Bartolomé Mitre, rencontrèrent l'armée de la Confédération à la bataille de Pavôn qui fut remportée par Buenos Aires. Urquiza sortit sans peine et sans gloire de la scène politique argentine pour se consacrer à ses nombreuses haciendas et au parti fédéral de sa propre province. C'est alors que commence la dernière étape des luttes des caudillos de La Rioja et leur défaite finale. -88- Après avoir triomphé de l'armée de la Confédération, les troupes de Buenos Aires occupèrent progressivement toutes les provinces. Sarmlento écrivait à Mitre en 1861: "No trate de economizar sangre de gauchos. Este es un abono que es preciso hacer util al pais. La sangre es lo ûnico que tienen de humano."<ss:> En février villages, publique la 1862, ce fut confiscation suivies de le tour de La Rloja. L* incendie des de biens, les l'exposition exécutions des corps des l'enlèvement des femmes et des filles des montoneros derniers à se rallumèrent et rendre et à révéler la sur la place victimes, et pour forcer ces cachette de leur chef, la haine de l'époque de Rivadavia. Peftaloza apparassait disparaissait, attaquait et reculait, selon la vieille tactique apprise aux côtés de Quiroga. Il perdit les batailles mais épuisa ses adversaires obligés finalement à signer un traité de paix, le traité de La Banderita que Moyano mentionne dans El trino del vertu de ce traité l'armée de Buenos Aires s'engageait province, et Pefialoza A reconnaître le Gouvernement diable a quitter la national déposer les armes. José Hernândez, l'auteur de Martin Flerrt) la scène qui suivit les uns et la signature du traité, quand En et à raconte les autres devaient se rendre mutuellement les prisonniers de guerre. Seul Pefialoza fut en gouvernementale La paix mesure avait était d'accomplir cette exécuté tous les siens. fragile parce qu'elle formalité. L'armée t6A> était fondée sur la méfiance : ni les paysans de La Rloja ne croyaient A la bonne volonté du Gouvernement ni les hommes de -89- Buenos Aires à la loyauté de Peflaloza, chargé selon l e s termes du t r a i t é de l a démobilisation des groupes rebelles. Bientôt, Felipe Varela, lieutenant de Peflaloza et continuateur de ses l u t t e s , commença à v i s i t e r tous l e s recoins de la province et à r e c u e i l l i r l e s p l a i n t e s de ses habitants. De son côté, Sarmiento, gouverneur de San Juan, province voisine de La Rioja, dénonçait l e s incursions de bandes armées dans son t e r r i t o i r e ce qui c o n s t i t u a i t une violation des termes du t r a i t é . Devant des signes de plus en plus alarmants, problème de La Rioja Mitre décida de mettre un point et confia à Sarmiento la final direction au des opérations. A la fin de l'année dernières b a t a i l l e s v i l l a g e de La Rioja. rendit en 1863, s'était Peflaloza, réfugié avoir chez un ami à Olta, perdu ses un p e t i t Retrouvé par un détachement de l'armée, présence de sa femme, qui l ' a v a i t ses campagnes, et après il se accompagné dans toutes fut tué sur place: "Luego hacen toda suerte de vejaclones con su cadâver. Le cortan una oreja y se la mandan, ensobrada, a don Natal Lima, en La Rioja. Degtlellan su cabeza y la clavan en una plca, en la plaza de Olta. Hasta hace poco, decîan los viejos de la région que Olta séria desgraciada "hasta donde llegara el 'fedor' de la cabeza del Chacho."ess:> Dans Libro de navlos y borrascas, Moyano consacre à Peflaloza quelques pages du chapitre X où l a remémoratlon du passé personnel du narrateur se mêle au passé de la région: "Los molinos, las bandadas de pâjaros, los rïos dulces alla abajo y las casitas y la gente que se asoma a las galerîas para ver pasar el 4L que vlene de las Salinas Grandes y todavia falta rato para llegar a Côrdoba. Por el espejo retrovisor le echamos la ûltima mirada a la barbarie, la cabeza del Chacho clavada en una lanza très dias y très noches en la plaza de Olta para castigo y escarmiento, las -90- hormigas que van subiendo por el asta atraidas por el olor del General que galopaba por los salttrales".**** La mort de Peffaloza n' eut nullement les effets escomptés par le gouvernement. Dans les campagnes, la guitare accompagnait les copias annonçant une nouvelle et dernière étape de révoltes: 'Peffaloza diz que es muerto, no hay duda que asi sera Tengan cuidado, salvajes, no vaya a resucitar!.'"r*y') Celui qui succéda à Peflaloza, Felipe Varela, avait lutté aux côtés de el Chacho en 1862-63. 11 était originaire de Catamarca mais avait été élevé à Guandacol, un village de La Rloja où l'hostilité envers le patrlclat local était particulièrement forte. Propriétaire d'une hacienda dans son village d'adoption, il n'hésita pas à la vendre pour se lancer dans une aventure qui est la plus courte et la plus curieuse de celles vécues par la montonera. Au moment où Felipe Varela entre dans l'histoire des luttes régionales, l'Argentine, alliée au Brésil et à l'Uruguay était en guerre avec le Paraguay. Nous avons déjà mentionné l'impopularité de cette guerre due à plusieurs causes. D'abord, l'ennemi traditionnel était le Brésil et non le Paraguay. Deuxièmement, il y avait des liens de sang et d'amitié entre les habitants de la Mésopotamie argentine et les Paraguayens et, finalement, dans l'esprit des gauchos de province, c'était Buenos Aires qui voulait cette guerre, ce qui suffisait à la rendre impopulaire. -91- Sauf à Buenos Aires où quelques volontaires, dans l e r e s t e du pays enthousiastes les autorités se portèrent durent employer la force pour réunir l e s contingents exigés a chaque province. "Julio Campos, porteffo impuesto como gobernador a La Rloja, informa el doce de maya: "es muy dificil sacar nombres de la provincia en contingente para el Litoral (...) a la sola noticia, que iba a sacarse, se han ganado la sierra". Los "voluntarios" de Côrdoba y Salta se sublevan en Rosario apenas les quitan las maneas; el gobernador Maubecin, de Catamarca, encarga 200 pares de grillos para el <se:> contingente de su provincia". Felipe Varela, d'extermination Peflaloza, de réfugié la à Coplapo montonera qui revint en Argentine et fut (Chili) se depuis termina par la campagne la mort de témoin de l ' é p i s o d e l e plus déshonorant de l ' h i s t o i r e de l'armée gouvernementale : l a dispersion de Basualdo. Profitant de 1'absence de leur chef, l e général Urquiza, t r o i s mille s o l d a t s de l a force cantonnée au L i t t o r a l s'enfuirent nuit de j u i l l e t continuèrent. 1866. Malgré l e s menaces d'exécution, Pour ne pas perdre la face, une l e s désertions Urquiza dut l i c e n c i e r le r e s t e de son régiment. Face à la révolte des contingents des provinces et à l a désertion massive de Basualdo, Varela décida de reconstituer les forces de L'agression de Walker au Nicaragua en 1856, l a r é i n t é g r a t i o n de Peflaloza à l ' a i d e d'un groupe de Chiliens. Saint-Domingue à l'Espagne en 1861 et l ' i n s t a u r a t i o n de l'Empire de Maximillen d'Autriche au Mexique importantes en Amérique Latine. événements, fut avaient En 1862, fondée à Valparafso -92- et eu des répercussions comme réaction à ces 1' Union Americana, association destinée à lutter pour la survie des Idées républicaines et à promouvoir les rapports d'amitié entre les nations d'Amérique Latine dans le but de défendre leur autonomie. L'association de Valparafso eut bientôt des filières à La Serena, Santiago, Quillota et Coplapô. C'est à la filière de Coplapô que Varela adhéra un peu avant son retour en Argentine. Lorsque les termes du traité de la Triple Alliance tenus secrets par les gouvernements d'Argentine, Brésil et Uruguay, furent rendus publics, le plan de spoliation du territoire paraguayen et l'intervention de l'Angleterre dans la guerre qui était en train de se livrer, ajoutèrent une autre revendication à celles déjà défendues par 1' Union Americana. Le sentiment anti-impérialiste assez naïf et rudiment aire, eut de cette époque, en 1868 et en ce qui concerne la Bolivie, des résultats surprenants: invité à une réception par le président Melgarejo, le représentant de la reine Victoria décida de ne pas y assister. Melgarejo, vexé, le condamna à faire trois fois le tour de la place à dos d'âne. Lorsque la nouvelle parvint à Londres, "la reine décréta: Victoria se saisit "La Bolivie n'existe d'un crayon, plus"****- barbouilla la carte et Il s'agit peut-être d'une coïncidence, mais c'est aussi en 1868 que Melgarejo donna asile à Felipe Varela avant son départ en exil pour le Chili. La récente du caudillo argentin, membre de l'Union Americana défaite a laquelle Melgarejo avait promis l'envoi d'une force de dix-huit mille hommes si nécessaire a donc pu avoir un certain rapport avec la promenade de l'ambassadeur anglais en Bolivie. -93- L'enthousiasme de Varela avait été t r è s naïf. trouver comptant l'appui populaire et sur l ' a i d e celui, de l ' a n c i e n Il était indispensable, Président sûr de d'Urquiza. En de l a Confédération, il renouvelait l ' e r r e u r qui avait coûté la vie à Pefialoza. Mais en 1866 il ne l e savait pas encore. Emporté par son élan américaniste, il i n v e s t i t la somme reçue pour la vente de sa propriété dans l ' a c h a t de deux canons et quelques f u s i l s et traversa la c o r d i l l è r e avec deux cents hommes recrutés parmi l e s Argentins e x i l é s et l e s Chiliens. Leur manifeste enflammé et grandiloquent dans l ' h i s t o i r e des caudillos est r e s t é comme une pièce rare de La Rioj-a: "Argentinos! El pabellôn de Mayo, que radiante de gloria flameô victorloso desde los Andes hasta Ayacucho, y que en la desgraciada Jornada de Pavôn cayô en las îneptas y febrlnas manos del caudlllo Mitre, ha sido cobardemente arrastrado por los fangales de Estero Bellaco, Tuyuty, Curuzû y Curupayty(...)Nuestra Naciôn tan feliz en antécédentes , tan grande en poder, tan rica en porvenir, tan engalanada en glorias, ha sido humillada como una esclava." "Nuestro programa es el orden comûn, la paz y la amistad con las demâs repûblicas americanas(...)La guerra del Paraguay es un acontecimiento calculado, premedltado por el gênerai Mitre", dice haciendo la historia de la invasion de Flores, intervenciôn brasileffa en el Uruguay y defensa de Lôpez en la libre determlnaciôn oriental (...)"Guerra premeditada, guerra estudlada, guerra amblciosa de dominio, contraria a los santos principios de la Union Americana cuya base fundamental es conservarse incôlume la soberanta de cada Repûblica". Menciona la intervenciôn britânica y la "verdad innegable de que la guerra del Paraguay jamâs ha sido una guerra naclonal"; recuerda que la polît ica librecambista centralizadora de Buenos Aires empobrece las provincias, y llama a Urquiza a ponerse al frente del "gran movimiento nacional". Termina: "Compatriotas nacionalistas! En el campo de la lid os invita a recoger los laureles del triunfo o la muerte, vuestro jefe y amigo FELIPE VARELA.-'™» -94- Ce n'est pourtant pas ce manifeste déterré par les historiens révisionnistes qui a gravé le nom de Felipe Varela dans la mémoire populaire mais la particularité d'une guerre faite au son de la musique. En effet, parmi les Chiliens qui accompagnaient Varela il y a avaient des musiciens populaires qui jouaient zambacuecas (aussi samacuecas, ou cuecas) et chantaient des * r " révolutionnaires. Le groupe musical, la banda de son armée, - c'est une banda le groupe qui tuera, avec une chanson, le mal représenté par Sletemeslno dans le dernier roman de Moyano- eut un rival de taille dans l'armée ennemie, celle du chacareras caudillo Taboada armé par Buenos Aires, expert en (7St3. En faisant abstraction du concours de Buenos Aires, on serait tenté de dire que la bataille du Pozo de Vargas, fut remportée par une chacarera, en 1867, car Taboada battit Varela. Ainsi, c' est au son de la musique qu' avait commencé et que se terminait l'intervention du dernier caudillo de La Rioja, mort en exil. nombreuses chansons de ce qui reçoit le nom de ciclo varellano Les nous sont parvenues des deux cotés : celui de ses partisans et celui de ses adversaires. Quelques unes appartenant au groupe des chansons qui accompagnaient les déplacements des forces de Varela annoncent déjà le ton de Martin Fierro dans la plainte du gaucho force: "La Patria que ha reinado no nos era conveniente al que mes bien se ha portado lo marchan al contingente Alto. iQuiên vive? La Patria que es gente paisana, derecha como una vêla jViva el gênerai Varela! Nada vale ser prudente y amistoso en la ocasiôn porque ni razones tiene -95- pauvre recruté de el pobre con mes razân Alto. ïQuién vive?...<7S,> C'est aussi une copia anonyme des Llanos qui résume la t r i s t e s s e de La Rloja à la fin des temps des caudlllos, une t r i s t e s s e imprégnée de scepticisme : "Y asî se escribe la historié de nuestra tierra paisanos : en los libros con borrones y con cruces en los llanos""^^ 1.2.3. La Rio.la et l'Argentine de l'immigration Le caudillo de la première moitié du XIXe s i è c l e n'était pas très différent des hommes qui l e suivaient. I l partageait avec eux l'amour des vastes espaces, la connaissance de chaque recoin des sierras et la fatigue des chevauchées à travers l e s plaines et l e s salines. I l avait en commun avec eux l e s croyances et l e s l o i s i r s de la campagne et connaissait comme eux la faim, la soif et l e s dangers quotidiens. Ce caudillo compagnon d'aventures fut remplacé à la fin du s i è c l e par l e caudillo disparu. politicien, Juan Bautista argentins, l e disait déjà copie urbaine et inauthentique d'un modèle Alberdi, l'un des premiers essayistes peu de temps après la fin de la guerre de la Triple Alliance: "Al caudillo de las campattas sigue el caudillo de las ciudades, que se eterniza en el poder, que vive sin trabajar del tesoro del pais, que persigue y fusila a sus opositores, que hace guerra de negocios pero todo en forma -96- y en nombre de la ley que, en sus manos, es la lanza perfeccionada del salvaje. No mata con cuchillo pero destroza y dévasta con el soflsma, que es su cuchillo. No es el caudillo de chiripé pero es el caudillo de frac; es siempre un bérbaro, es decir, las dos cosas unidas formando un solo todo; una civilizaciôn bérbara, una barbarie civillzada.n< TS * Trente ans plus tard, ces caudillos urbains étalent devenus des experts dans la fraude é l e c t o r a l e . I l s s'entouraient d'hommes de main, l e s guapos, Issus du milieu rural mais I n s t a l l é s dans l e s villes depuis que la transformation de la campagne, consécutive à l ' e n t r é e massive d'immigrants disparition des européens conditions dans permettant le pays, avait l'existence entraîné du gaucho. la Les affrontements armés de l a période précédente avaient cédé la place aux l u t t e s p o l i t i c i e n n e s d i r i g é e s depuis l e comité de chaque p a r t i . Dans ces centres d'opération qu'étaient l e s comités, caudillo l e s guapos fidèles au de service é t a i e n t encore capables de tuer ou de mourir pour lui, mais maintenant leur mort ou c e l l e de l ' a d v e r s a i r e qui au coin d'une rue ou dans un t e r r a i n vague rendait l'âme avec un couteau planté au milieu de l a p o i t r i n e , n ' é t a i t plus qu'un fait divers. Après 1868, l a vie p o l i t i q u e de La Rioja fut contrôlée pendant plus de quarante ans CarrefSo et les par deux familles de l ' o l i g a r c h i e locale: Gonzalez. Cette dernière, à laquelle les appartenait l ' a u t e u r de ffls montafias, avait subi des attaques violentes de la part de la montonera, surtout de celle qui répondait aux ordres de Pefialoza. Le souvenir de el Chacho a i n s i que celui de Qulroga et de Varela fut donc officiellement banni -97- de l'histoire régionale et nationale mais subsista dans les couches populaires, grâce au folklore, comme un courant souterrain prêt à émerger l e moment venu. La p o l i t i q u e régionale se p l i a i t central, volontairement faire autrement. aux exigences du gouvernement ou involontairement, car e l l e n ' a u r a i t pas pu Snow -explique les raisons de la dépendance des gouvernements provinciaux v i s à vis du Président de la République: "La maquinaria gubernativa tenîa por centro la persona del présidente. En las provincias, las législatures generalmente eran leales à los gobernadores a quienes casi todos los miembros debîan su élection. El gobernador tàmbiên tenîa mucha influencia en la sélection de los diputados que representarïan a su provintia. Su législature elegïa a los miembros de la cêmara alta del Congreso y él y el partido conservador controlaban en la préctica la maquinaria électoral, lo que aseguraba la sélection de nombres seguros para la câmara baja. Los gobernadores, por su parte, eran casi agent es personales del présidente, a quien no le resultaba difîtil asegurarse de su lealtad mediante el uso -o simplemente la amenaza- de utilizar su poder de intervention en las provincias, El sistema se perpetuaba a sî mismo, pues el présidente y los gobernadores se mantenian mutuamente en el poder mediante la violencia y el fraude."*7''33 Le pouvoir d ' i n t e r v e n t i o n dans l e s a f f a i r e s intérieures des provinces que l e Président exerçait sans aucune s o r t e de scrupules l u i était accordé par l ' a r t i c l e article, toujours fédérales, en une pratique six de la Constitution Nationale. vigueur, rend possibles les Cet intervenciones supprimant de f a i t l e fédéralisme é t a b l i en théorie par l a c o n s t i t u t i o n de 1853. En effet, l ' a r t i c l e six octroie au Pouvoir Exécutif National l e droit de se s a i s i r des gouvernements provinciaux par l ' i n t e r m é d i a i r e (.Interventor) pour rétablir d'un délégué aux pouvoirs l'ordre, protéger les républicaines ou pour repousser des invasions extérieures. -98- spéciaux institutions En 1873, un français résidant en Argentine avait déjà compris l e danger de l ' a p p l i c a t i o n de professeur suisses. d'histoire Au moment et de t e l l e s dispositions. C ' é t a i t Alejo Peyret, administrateur la d'une intervenciôn colonie fédéral province où i l vivait et enseignait, Peyret publia d'immigrants à Entre dans Rios, le la journal Le Repûblica de Buenos Aires six l e t t r e s signées sous l e pseudonyme de "Un extrenjero". Ces l e t t r e s , qui étaient en r é a l i t é au nombre de dix mais qui ne furent pas rendues publiques dans leur t o t a l i t é à cause de la censure, c r i t i q u a i e n t l ' a t t i t u d e du Gouvernement National vis à vis des provinces. Pour Peyret, l e mépris des d r o i t s provinciaux et les abus que cela e n t r a î n a i t étaient l e r é s u l t a t d'une politique découlant de l ' a c c e p t a t i o n de la formule de Sarmiento : 'las formulas en la historié tienen un gran inconveniente, parque nunca pueden ser bastante comprensivas para abarcar todos los sucesos, y por este motivo deberîan dejarse a las clencias matemâticas. , "Unos dicen que la teorîa del Sr, Sarmiento es un anacronismo; yo pretendo que nunca pudo considerarse como la expresiôn de la realidad historiée y social; es un verdadero sofisma que debe relegarse al arsenal de las armas enmohecidas, al almacén de lo que los franceses llaman el "bric-à-brac" y que vale poco mes que nada"(...) El instinto de las masas "barbares" veia mes claro que le razôn ilustrada de los hombres "clvilizados" que pretendien dirigir la revoluciôn. (Certe segunda)"''7'^ "Tenemos el nombre de Repûblica Fédérât iva, no tenemos la realidad de le cosa; y lo mes extraffo es que los sostenedores de ese sistema interventor a troche y moche se llaman ellos mismos libérales. (...) Asî volvemos por un circuito al sistema uniterio, menos con le franqueza, pero si con refinada hipocresïa. (Carta tercere)."*7'6'* L'article six ne fut pas le seul instrument de l'emprise grandissante de Buenos Aires sur l e s provinces. La c o n s t i t u t i o n de 1853 l a i s s a i t sans définition un bon nombre de compétences que l e -99- gouvernement central assuma sans difficulté. Le régime fédéral se transforma en régime centralisateur Buenos Aires, centre sans violenter la constitution et indiscuté de la transformation économique impulsée par l'oligarchie, devint la ville riche, belle et tyrannique dont faisaient l'éloge les voyagera étrangers. La liste des lois dictées entre 1860 et 1915 montre l'attention exclusive que les hommes d'Etat portèrent à la capitale du pays. Ils ne créaient pas seulement une ville où chaque édifice prétendait être une oeuvre d'art, ils créaient leur propre image, reflet de celle envoyée par l'Europe. Les diplomates et les envoyés spéciaux des pays étrangers renforçaient la fierté de la ville et de ses habitants avec des commentaires mettant en relief la supériorité des portègnes. James Bryce, Ambassadeur de la Grande Bretagne à Washington, écrivait en 1911 à la fin de sa tournée en Amérique Latine: "En suma, el porteffo es el tlpo représentative}, la flor de la Argentine, el représentante de su carâcter, la flor de su civilizaciôn. Cuando tratamos de comprender y apreclar la Naciôn argentina -en tanto entendemos por tal pais aquello que es lo mes importante y junto a las estadisticas de producciôn el verdadero tema de estudioes sobre todo en el portetio donde debemos fijar los ojos ya que se nos présenta coma su factor ûnico.^79' A le même époque de développement vertigineux de Buenos Aires et de sa région environnante, La Rloja s'enfonçait progressivement dans la misère et l'oubli tout comme ses soeurs du Nord-Ouest. Les deux factions qui se disputaient le pouvoir local à la fin du XIXe et au début du XXe siècle , le parti Nacional représentaient et le parti Autonomiste, qui tous deux les intérêts des secteurs conservateurs, n'hésitaient pas à faire appel au gouvernement central pour mater les -100- mouvements de révolte contre leur politique ou pour trancher dans des situations où Ils se disputaient des voix et des privilèges. Aucune période présidentielle ne se termina sans qu111 y eût intervenciân. Même les gouvernements populistes d1 Yrlgoyen et de Peron se saisirent de l'exécutif provincial. trente-six intervenciones En cent dix-huit ans La Rioja connut décidées par le pouvoir civil ou militaire en place à Buenos Aires. Les catastrophes naturelles s'ajoutèrent à la fin du siècle aux difficultés économiques et politiques. En 1894, un tremblement de terre rasa la capitale de la province. Seul le temple de Santo Domingo échappa à la destruction pour témoigner épidémie de variole dans 1'Ouest du passé colonial. Une de la province, des périodes de sécheresse suivies d'inondations et les nuées de criquets s'abattant sur les cultures, achevèrent ce que la politique du port avait déjà innauguré: l'étranglement économique de la région. En 1895, La Rioja était la seule capitale provinciale à ne pas être reliée par le chemin de fer aux autres villes argentines, mais elle avait contribué avec ses bois à la construction du chemin de fer des autres provinces et à l'implantation des vignobles de San Juan, une province voisine qui concurrençait La Rioja dans la production de vin. Le déboisement aggrava le problème du manque d'eau et entraîna le départ d1 un bon nombre d'agriculteurs. Quand le chemin de fer fut finalement installé, La Rioja connut les mêmes déboires que les autres provinces du Nord-Ouest : étant donné que toutes les lignes menaient à Buenos Aires il fallait absolument passer par la capitale pour commercialiser les produits dans le reste du pays. La perte de temps -101- entraînée par les énormes distances à parcourir et la multiplication des frets renchérissaient à tel point les rares produits qui avaient réussi à subsister que les marchandises étrangères, surtout anglaises, les remplacèrent entièrement. Quelques produits de l'artisanat local purent survivre à grand-peine. Les métiers à tisser continuaient à tenir la promesse faite par Facundo à ses llanistos : les hommes de la montonera ne porteraient jamais de ponchos fabriqués à Manchester. Le fossé qui sépara progressivement la population de La Rioja de celle de économique. la pampa céréalière Le résultat n'était pas de la concentration région de Buenos Aires, Côrdoba, seulement de d'immigrants nature dans la Entre Rïos et Santa Fe fut la transformation culturelle de la zone la plus riche de l'Argentine. Plus de deux cent mille immigrants entrèrent dans le pays en 1869 ; en 1914 ce chiffre était dix fois plus élevé. La majorité venait d'Italie et d'Espagne mais il y avait aussi des Anglais, des Français, des Juifs d'Europe centrale (que les Argentins appellèrent bientôt rusos), de vrais Russes, des Arabes et des Turcs désignés indistinctement sous le nom de turcos h Buenos Aires. La ville se transformait en une Babel étourdissante et les portègnes confondaient les langues et les nationalités des nouveaux arrivés. Ces immigrants débarquaient dans le port d'un pays peu peuplé, avec un immense territoire débarrassé des Indiens par les soins du Président Roca et de sa Campaffa del Desierto. Le rêve d'une Argentine blanche et civilisée devenait une réalité. Une réalité quelque peu ternie par une erreur de calcul: 1' immigration nordique que les hommes -102- d'Etat de la génération de 1837 souhaitaient pour peupler l'Argentine fut plutôt envoyer rare. A la place des grands contingents qu'aurait l'Angleterre, l'Allemagne ou la Norvège, dû le pays dut se contenter des immigrants du sud de l'Europe dont la blancheur de la peau était moins éclatante. La vague d'immigration des années 1869-1914 toucha de façon très irrégulière le territoire argentin: 33% des immigrés se fixèrent dans la capitale, 29% dans la province de Buenos Aires, 13% à Santa Fe et le restant surtout à Côrdoba et Mendoza. En 1914 La Rioja ne comptait que 0,1% du total d'étrangers vivant en Argentine, le pourcentage le plus faible du pays égal à ceux de Catamarca, une province voisine de La Rioja, et de la Terre de Feu e e o \ Au moment de parler de la composition de la population de La Rioja à la fin de la colonie espagnole et dans les premières années de la vie du nouveau pays nous avions constaté l'existence des trois groupes qui ont formé la population de l'Amérique Latine dans son ensemble: Espagnols, Indiens et Noirs. L'absence d'immigration étrangère laissa la population de La Rioja, et en général celle des provinces du Nord-Ouest, affrontements entre unitarlos telle qu'elle et fédérales: était au moment des une population métissée qui avait créé une culture propre de souche hispanique mais adaptée au nouvel environnement et enrichie par quelques apports africains et indiens. Les changements de société entraînés par l'intégration des masses d'immigrants fixées en particulier à Buenos Aires mais aussi dans -103- toute l'étendue de la pampa céréallère produlrent une nouvelle culture issue des échanges des deux types de population grande voisin, ville vivait l'Uruguay, une métamorphose qui y naquirent culture "rioplatense" Dans touchait aussi le pays séparé de l'Argentine par le Rio de la Plata. Autour de ce fleuve "de suefiera les mises en contact. La formes de la de barro" que Borges a chanté, appelée très justement avec ses deux versants, cultivé et populaire. les bas-fonds de Buenos Aires apparut le lunfardo, le langage utilisé par les délinquants argentins et étrangers, un jargon d'abord inintelligible pour les portègnes mais bientôt popularisé par le tango et le sainete rloplatense. et deux formes typiques de la culture Des mots de ce jargon, dépouillé et trié au cours du temps, ont été poètes criollo, intégrés au parler des portègnes et repris par les les romanciers contemporains. Dans les provinces du Littoral argentin touchées par l'immigration, l'accent, le vocabulaire et les modismes changeaient rapidement, ce qui n'était pas le cas de la langue parlée dans les provinces éloignées de la côte atlantique où le vieil espagnol des conquistadores avait intégré quelques éléments phonétiques et lexicaux des langues indiennes locales. Le guarani survécut dans le Nord-Est du pays ainsi que le quechua dans le Nord- Ouest. Le développement industriel des annés trente et quarante se concrétisa dans la zone d'influence du port puisqu'elle possédait déjà l'Infrastructure nécessaire à l'implantation des nouvelles industries. De ce fait, le déséquilibre économique entre les provinces de la pampa céréallère et le reste du pays atteignit un point limite. A partir -104- des années quarante, Estero, Formosa, fournisseurs La Rioja Chaco et ainsi que Catamarca, Corrlentes devinrent pour l e s centres de main d'oeuvre Santiago del les principaux industriels. Une population jeune fuyait l e chômage, l e s maladies endémiques et la faim de leur milieu rural et se dirigeait vers les villes les plus prospères, Buenos Aires fondamentalement. Les nouveaux ouvriers n' étaient pas des f i l s d1 immigrants. Ils é t a l e n t métis et descendants des hommes qui avalent fait p a r t i e de la montonera. I l s arrivaient dans une v i l l e "blanche" qui l e s méprisait et continuait de l e s considérer comme des barbares. " l o s cabecitas negras", "los grasas", "la chusma". r a c i s t e s qui se cachaient d e r r i è r e l e mot barbarie c e t t e Invasion destinée à avoir On l e s appelle Les vieux préjugés renaissaient avec une importance c a p i t a l e dans la vie p o l i t i q u e du pays. L'arrivée des cabecitas negras partagea l e p r o l é t a r i a t en deux secteurs bien différenciés. argentin Alberto Belloni résume a i n s i composition de chacun de ces secteurs: 'EZ viejù y minoritario sector proveniente de la immigration europea, cuya base de operaciones habîa sido siempre Buenos Aires, se encontraba encasillado en raquiticos sindicatos. Sus formulaciones eran anarquistas, "sindicalistas" e internationalistes. <...)Con exception de los anarquistas, reducidos en los gremios de plomeros, portuarlos, etc., el grueso del sector se encontraba en los gremios de servicios pûblicos, gas, transportes, trabajadores estatales y en grâficos, comercio, etc. Oran parte de estos trabajadores integran las filas de la vieja "socialdemocracia" argentina: el Partido Socialista. (...) La otra ala del movimlento obrero del pais esté dada por el caudal de los jôvenes nativos, descendientes de los criollos y los gauchos de las montoneras que bajan a la ciudad puerto.(...)Poseen una mentalidad virgen, sin mayor experiencia y conciencia como clase en la sociedad moderna. Hasta la tradition de sus antepasados se halla quebrada -105- la por el triunfo de la oligarqufa portefia que habïa arrasado con el Interior,"'*1 * Le niveau de vie, les habitudes et les goûts des deux secteurs étalent aussi très différents. Parmi les ouvriers de Buenos Aires la qualification était devenue courante ce qui voulait dire des salaires un peu plus dignes et une pauvreté moins contraignante. Les ouvriers de province s'entassaient, - ils s'entassent même en nombre plus important nom de Villa proximité Mlserla, encore aujourd'hui et dans des bidonvilles qui portent le dont le plus important, Villa Jardin, situé à de grandes entreprises, comptait en 1956 trente mille habitants'*9*. Les conditions de vie dans ces agglomérats où l'on découvre le vrai visage £1 Trino del diablo de l'exil intérieur dépeint par Moyano dans dressent le même tableau que partout ailleurs en Amérique Latine: des constructions précaires bâties avec de rebuts sur de terrains déprimés et souvent inondés ou proches des décharges publiques, manque de services communs, prolifération des insectes et des rats favorisant le développement des maladies infectieuses. La distribution des familles à l'intérieur des bidonvilles se fait selon lés origines régionales ce qui permet de rendre moins pénible le déracinement et de conserver dans la mesure du possible les traditions communes. régionales déjà C'est découvertes ainsi dans que les les années chansons folkloriques trente par quelques initiés de la capitale - Atahualpa Yupanqul fit connaître le folklore du Nord-Ouest-, arrivèrent dix ans après à Buenos Aires nombreuses et variées pour atteindre un public populaire habitué au tango. -106- Le 17 octobre 1945, une masse ouvrière envahit la Place de Mai pour acclamer son leader, un colonel de l'armée qui depuis sa nomination au poste de Secrétaire d'Etat au Travail du gouvernement militaire de 1943 a gagné travailleurs. l'adhésion de l'énorme majorité des La manifestation de masse du 17 octobre 1945 marque un tournant décisif dans la vie du pays. C'est l'entrée de la classe ouvrière sur la scène politique et le commencement fédérales. plonge ses racines dans les luttes Sur la Plaza de Maya, d'un mythe qui lieu de la concentration de soutien à Perôn, se retrouvent en masse les cabecitas negras Aires dans la période de l'industrialisation. arrivés à Buenos Ils croient voir dans l'image de Perôn celle des anciens caudlllos. Comme eux le leader utilise un langage simple et direct capable de les atteindre. Il les appelle "nuestros hermanos del lnterior" et lorsque la campagne électorale précédant les élections de février 1946 le conduit dans les provinces les plus éloignées de Buenos Aires, il sait adapter ses discours aux attentes de la population de chacune il parle réforme agraire aux hacheros, d'elles. A Tucuman employés dans les plantations de canne à sucre; à Tujuy il rencontre des indiens, inaugurant ainsi une pratique ignorée des politiciens de Buenos Aires. Quand il arrive à La Rioja, il s'empresse de visiter le sanctuaire de saint Nicolas de Bari et en répondant indirectement aux attaques des adversaires qui voient en lui un danger pour la liberté il dit: "Propugnamos la llbertad como nuestro mes caro idéal. Pero no es posible sentlrse libre mlentras est an cargadas las espaldas con la esclavitud, la miserla y la desesperaciôn n< ® 3 •' -107- En revanche, les discours de 1' Union Democrâtica, coalition des partis appuyant le candidat d'opposition à Peron sont trop abstraits pour les couches populaires. La campagne est centrée sur le thème de la liberté et les dénonciations de l'idéologie antidémocratique de Perôn qui avait été favorable à l'Allemagne nazi guerre L'intervention mondiale. ouverte de pendant la deuxième Spruille Braden, Ambassadeur des Etats Unis en Argentine et ardent défenseur de 1' Union Democrâtica, joue en faveur de Perôn. Les membres de la coalition, socialistes, communistes, Radical démocrates-progressistes à laquelle appartiennent et l'Union Cîvica les candidats Tamborini et Mosca, passent alors pour des satellites de Washington. Lorsque les élections approchent et que la campagne bat son plein, Mosca utilise un langage propre à éloigner encore davantage les "turbas asalariadas", embrutecidas"'***. travailleurs. Il les appelle "hordas analfabetas y alcoholizadas", "alimafias La vengeance de la foule se manifeste dans un slogan qui a fait couler des fleuves d'encre: "Alpargatas si, libros no". A La Rioja ce n'est pas un slogan mais une pluie de pierres qui reçoit le train où voyagent les candidats de 1' Union Democrâtica venus faire leur réunion électorale. En décembre 1945, Perôn avait contre lui le grand patronat, les étudiants, la Société Rurale qui regroupait les propriétaires fonciers, les commerçants, les membres des professions libérales, la communauté juive, assez importante en Argentine, les enseignants et même les petits propiétaires ruraux. En février 1946 il remporte les élections: les ouvriers, les travailleurs agricoles et une partie de la classe moyenne de province ont voté pour lui. -108- Félix Luna signale l e gaspillage de ce potentiel populaire que l e péronisme n'a pas conduit vers de formes politiques plus évoluées: "El rêgimen peronista fue un descubrimiento de la realldad argentina en toda su crudeza. Cubriô desiertos que existïan en el aima colectlva, dio voz a sent iraient os profundos que nunca se habîan manifestado antes. El pals anterior a 194-3 (...Mesapareciô con Perôn y de la mano de su lider regresô a su condiciôn sudamericana. 0 mes bien esta aflorô desbordadamente al conjure del nuevo sistema. Entonces aparecieron élément os que componîan el mes burdo primltivismo politico ilider, consignas simplificadoras, objetivos patrioteros, paternalisme, enemigos torvos acechando, traidores en todas partes, alegrias elementales y adhesiones viscérales...A partir de estas realidades, todo estaba permitido y nadie, Perôn menos que nadie, intenta corregir la involuciôn que significaban(...)Este saldo gravita como una pesada carga histôrica sobre el énorme adelanto que a su vez implicô la particlpaciôn de las masas en un proceso que sent fan como propio."<0B:' Les sentiments profonds auxquels fait allusion Luna avaient été forgés au long du temps dans un pays qui en fait n' en était pas un. Deux Argentines déséquilibre différences avaient coexisté économique, culturelles sans s'Intégrer les conditionnements ne l e permettaient parce que le et les Dès qu'elle put historiques pas. s'exprimer, 1'autre Argentine f i t irruption dans la r é a l i t é quotidienne du pays avec ses rancunes, sa misère, ses revendications élémentaires, criées plutôt que formulées dans l e langage politique traditionnel et aussi instinctives qu'au temps de Pefialoza. Ce deuxième pays qui était passé à côté du mythe du progrès avait des traditions et un folklore devenus presque étrangers à l'Argentine "grenier du monde". Le Tinkunaco de La Rioja, comme beaucoup d'autres traditions du Nord-Ouest, était pour l'habitant de Buenos Aires plus qu' un anachronisme : i l était, et i l 1' est -109- toujours, un exotisme. Pendant les années d'une politique c u l t u r e l l e qui l e stimulait, l e folklore musical s o r t i t des radios et petias de province Pour et cinquante, fit son entrée à la faveur dans la capitale. les i n t e l l e c t u e l s de l'époque c e t t e invasion du folklore venu de l ' a u t r e Argentine n ' é t a i t que l a prolongation du chauvinisme péroniste proche du fascisme ou dans l e meilleur des cas, un retour en a r r i è r e vers l e s temps de l a barbarie. devint un f a i t Confondre l e s péronistes et l e s habituel Razones de la côlera, pendant folkloristes l e premier gouvernement de Perôn. un poème de J u l i o Cortâzar publié d'abord dans l e recueil du même t i t r e et plus tard dans La vuelta al dîa en ochenta mundos, en est un bon exemple. Cortâzar é c r i t l e poème peu de temps après son départ d'Argentine dû entre autres au dégoût que l u i i n s p i r e la p o l i t i q u e péroniste. Tout l e t e x t e est imprégné de douleur et de rage. Dans l e s derniers vers i l dit: "Tapândome la cara (el poncho te lo dejo, folklorlsta Infeliz) me acuerdo de una estrella en pleno campo, me acuerdo de un amanecer de puna, de Tilcara de tarde, de Paranê fragante, de Tupungato arisca, de un vuelo de flamencos quemando un horizonte de baffados. Te quiero, pais, patiuelo sucio, con tus calles cubiertas de carteles peronistas, te quiero sln esperanza y sln perdôn, sin vuelta y sln derecho, nada mes que de lejos y amargado y de noche."(86) Le mot péjoratif l'adjectif Infeliz ajouté à folklorlsta et pris dans le sens que l e s Argentins l u i donnent dans c e r t a i n s contextes où équivaut à "imbécile", "moins que rien", révèle un mépris seulement explicable par l a confusion de deux niveaux de la r é a l i t é -110- régionale: le niveau culturel fruit d'une tradition authentique et le niveau politique résultat de l'identification circonstancielle d'un secteur de la société avec une idéologie qui semble lui convenir. Rien d'étonnant donc, à ce que le même poème ait été modifié et ces lignes barrées par l'auteur, des années plus tard, quand le Cortazar des années cinquante était devenu plus sensible aux problèmes de son pays et de l'Amérique Latine. Los llanos, un poème de Borges nous ramène directement à la vision de La Rioja. Il ne s'agit pas dans ce cas du mépris du folklore ou des folkloristes mais d'un jugement caudillos. moral sur l'histoire des Borges, petit-fils d'Isidoro Acevedo un militaire qui lutta pour Buenos Aires dans les batailles de Cepeda et Pavôn, inscrit son poème dans la tradition du livre de Sarmiento : d'une part, il est sous le charme esthétique du primitivisme des caudillos comme le fut l'auteur de Facundo et de l'autre, il refuse la légitimité de leur révolte. Après avoir évoqué el imperio forajldo, el Imperio de Facundo et Peflaloza, il qualifie ce souvenir de bochornoso, dans ce contexte dans la deuxième de ses acceptions, honteux : "Todo ello se perdiô como la tribu de un ponlente se plerde o como pasa la vehemencia de un beso sln haber enrlquecido los labios que lo conslenten Es triste que el recuerdo incluya todo y mes aûn si es bochornoso el recuerdo.'"0*'* -111- misérrimo, utilisé synonyme de Etrangère à ce jugement de Borges partagé d'ailleurs par la plupart des intellectuels argentins avant les années cinquante et même soixante, La Rioja est restée attachée au souvenir de ses caudillos et & leurs revendications doublées de cent cinquante années de misère et de retard. Pacundo continue à être un souvenir si puissant que dans les élections de lorsque 1973 La Rioja vote pour son double. En effet, après dix-huit ans de proscription le péronisme reprend le pouvoir, sur les écrans de télévision apparaît un Facundo ressuscité: les mêmes pattes avançant sur les joues, le même port de tête, la même fière allure et des traits qui l'imagination aidant, renvoient au portrait de Quiroga. C'est le Gouverneur de La Rioja, Carlos Saûl Menem. La ressemblance de deux personnages n'est pas un hasard dans les années postérieures au coup d'Etat du Général Onganfa. Depuis 1969, l'apparition de différents groupes de guerrîlleros a posé une pièce inattendue sur l'échiquier politique. L'un de ces groupes se nomme les montoneros ancien et s'attribue l'enlèvement et la mort Président de l'Argentine responsable du Général Aramburu, de l'exécution des péronistes révoltés en 1956, un an après la chute de Peron. L'origine sociale des jeunes montoneros est loin d'être celle des troupes de leurs modèles, qu'ils souhaitent réhabiliter car pendant la première étape du péronisme c'était surtout sur Rosas que le régime avait concentré ses faveurs. Ils appartiennent en général à la classe moyenne et beaucoup d'entre eux portent des noms de famille qui révèlent des ancêtres immigrants. Leur idéologie prétend concilier le marxisme et le péronisme 6 une époque où le discours du leader est -112- suffisamment ambigu pour faire croire a la sympathie de Perôn pour la gauche. Leur irruption dans la vie du pays est encadrée par un mouvement de contestation plus vaste et moins violent mené surtout jeunes. Ce sont les étudiants qui chanteront désormais par les des chansons issues d'une réélaboration du folklore où se sont introduites les formes de la poésie moderne de contenu social. Sur des airs qui viennent de la province, l'on chante Che Guevara, Camllo Torres, la libération, débat la réforme agraire, 1'anti-impérialisme s'engage sur la légitimité de la non sans qu'un modernisation et de l'utilisation du folklore. • L'histoire des caudlllos et le folklore qui la faisait survivre sont sortis de l'histoire argentine, puis revenus avec le nationalisme péroniste et plus tard avec l'utopie de la lutte armée. Quiroga, Peftaloza, Varela ont été l'objet de théories conçues hors du cadre de leur révolte et de textes littéraires écrits ailleurs qu'à La Rioja. L'isolement, les réalités présentes et l'exode qui continue à semer de Comalas fantomatiques le territoire de la province n'avaient inspiré que quelques auteurs régionaux peu connus. Finalement avec Moyano La Rioja a trouvé centre d'un l'écrivain qui place son passé et son présent au monde imaginaire capable de la faire sortir de l'enfermement auquel elle semble condamnée. Vivre de longues années dans une région typique de ce que l'on appelle les "zones de colonisation intérieure" était un choix, plus encore, un engagement existentiel comme celui que Moyano signale dans -113- le cas de Pavese et de Quiroga. De même, écrire à partir de La Rloja et sur La Rloja Impliquait un choix littéraire menacé par les pièges d1 un régionalisme étroit. Ce sont les étapes de ce choix et les formes littéraires qui l'expriment l'analyse de l'oeuvre que nous allons aborder à travers en nous appuyant sur trois thèmes constants dans les narrations de Moyano: le recours à la mémoire, la quête de l'identité et l'exil dans toutes ses formes. -114- Notp*î (1) "Desde Madrid, con rabia y con miedo", El Pals, lunes 20 de abril de 1987, p. 10. (2) En la atmôsfera, in. : El halcôn l'auteur, p. 1. (3) "Los trabajos y los dïas de Daniel Moyano", Primera (245), Buenos Aires, 5 de setiembre de 1967. (4) La espéra, in : El fuego Sudamericana, 1967, p. 47. (5) Primera Plana, loc. cit. (6) Entretien du 9 août 1987 avec l'auteur. (7) El fuego interrumpido, (8) Entretien cit. (9) M. E. GILIO, "Daniel Moyano: la mûslca que brota de la tierra", Crisis (22), Buenos Aires, febrero de 1975, p. 40. y la flauta, interrumpido, manuscrit de Plana Buenos Aires, p. 83. (10) Acta de fundaclôn de Côrdoba citée par E. BISCHOFF, Historié de Côrdoba, Buenos Aires: Plus Ultra, 1979, p. 34. (11) Très golpes de timbal, Madrid : Alfaguara, 1989, p. 46. -115- (12) Conflictos y armonîas en la historié argentina, Buenos Aires: Editorial de Belgrano, p. 497. (13) Primera Plana, loc. cit. (14) El joven que fue al cielo, in : El monstruo y otros cuentos, Buenos Aires: Centro Editor de America Latina, 1967, p. 54. (15) Crisis. loc. cit. (16) Maria 1987. (17) Entretien cit. (18) C'est le nom d'un livre de poèmes de Arturo Capdevila, écrivain argentin né a Côrdoba en 1889 et mort à Buenos Aires en 1967. Membre de la Real Academia Espafiola de la Vlolin, in : El Pais Semanal (549), 18 de octubre de Lengua, de la Academia Argentina de Letras, de la Academia Nacional de la Historié. Ardent défenseur de la pureté de la langue et d'une écriture prolixe, sa conception de. la littérature lui a value de devenir un classique des lectures scolaires et un représentant typique de la culture officielle de la première moitié du XXe siècle en Argentine. (19) Entretien cit. (20) La calle. (148), Madrid, 20 de enero de 1981, p. 20 (21) Article cit. (22) Entretien cit. (23) Lettre de l'auteur du 27 septembre 1988. -116- (24) La lombriz, (25) Lettre du 7 septembre 1967 à Rodolfo Borello. (26) "Haroldo andaba en la luz", Casa de l a s Americas. XXI (121), j u l i o - a g o s t o de 1980, p. 50. (27) Entretien c i t . (28) Primera Plana, loc. cit. (29) Entretien cit. (30) Crisis. loc. cit. (31) Journaliste Mendoza au autres, de eso, Al (théâtre). (32) A. CARBONE, "Julio (33) S BARBIERI, "Yo no puedo predicar la resignaciôn", Crisis (13), mayo de 1974. (34) Voir: E. MIGNONE, Iglesia y dictadura, del Pensamiento Nacional, 1986. (35) Entretien cit. Buenos Aires: Nueve 64 Editera, 1964, p. 9 et écrivain né A Santa Fe en 1930 et mort à cours d'une fusillade en 1976. Auteur, entre Nombres, Del otro lado, Adolecer (poésie); Todo tacto (nouvelles); Sainete con variaciones Cortâzar", -117- Crisis. (2), junio de 1973. Buenos Aires: Ed. (36) "Despistes y franquezas", Crlsls (19), novlembre de 1974, p. 34. (37) Entretien cit. (38) La Qpini6n. Suplemento culturel del 27 de novlembre de 1977. (39) Entretien cit. (40) Entretien cit. (41) Entretien cit. (42) Las Amëricas y la civilizaclôn, de Amérlca Latina, 1985, (43) F. LUNA, Confllctos Buenos Aires: Centro Edltor y armonîas en la hlstoria argentina, Buenos Aires: Ed. de Belgrano, 1983, p. 419. (44) A. BAZAN, Hlstoria Ultra, 1979, p. 71. de La Rioja, (45) Buenos Aires : Centro Edltor de Amérlca Latina, 1967, p. 87. (46) Buenos Aires : Ed. Atlantide, 1971, p. 57. (47) BAZAN, op. cit., p. 210 (48) BAZAN, op. cit., p. 217. -118- Buenos Aires : Ed. Plus (49) E. PALACIO, Historié Argentine, Editor, 1965, tomo 1, p. 137. (50) GONZALEZ, op. c i t . , p. 95. (51) Poder militer y sociedad Buenos Aires : A. Pefla L i l l o politica en la Argentine, Buenos Aires : Emecé, 1983, Tomo I, p. 25. (52) (53) Amérique Latine. Introduction Seuil, 1987, p. 267. à l'Extrême-Occident, Carte del Archivo del General Mitre, Paris: IX, pp. 360-363, citée par J. L. BUSANICHE, Historié Solar-Hachette, 1973, p. 707. Argentine, (54) J. M. ROSA, Historié 1970, Tomo 4, p. 38. Buenos Aires : Ed. Oriente, (55) F. LUNA, Los ceudillos, 1975, p. 158. (56) D. PENA, Fecundo 159. (57) LUNA, op. cit., p. 159. (58) LUNA, op. cit., p. 159. (59) E. BARBA, Argentine, Aires : Buenos Aires: A. Pefla Lillo Editor, Quiroge, Recopilaciôn, Correspondencla Buenos citée par F. LUNA, op. cit., p. notas y estudio prelimlnar a la entre Lôpez, Quiroge y Roses, Buenos Aires : Hachette, 1975, p. 388 -119- (60) LUNA, op. cit., p. 213. (61) ROUQUIE, op. cit. (62) E. GUTIERREZ, El Chacho, 69. (63) BUSANICHE, op. cit., p. 62. (64) J. HERNANDEZ, Vida del Chacho y otros escritos Buenos Aires : C. E. D. A. L., 1967, p. 11. (65) LUNA, Los caudillos, p. 202. (66) El libro de navlos 1984, p. 174. y- borrascas, (67) ROSA, op. cit. , tomo 7, p. 44. (68) ROSA, op. cit., tomo 7, p. 139. (69) M. NZEDERGANG, Les vingt 1962, tome 2, p. 49 (70) ROSA, op. cit., tomo 7, p. 175 (71) Danse sud-américaine du XIXe siècle aujourd'hui appelée chilena (au Pérou) ou cueca au Chili et en Argentine. Elle est une des danses populaires préférées des chiliens mais on la danse aussi très souvent dans l'Ouest et le Nord-Ouest de l'Argentine. La choréographie mime les gestes d'une Buenos Aires: Hachette, i960, p. Amériques -120- en prosa, Gijôn : Ediciones Noega, Latines, Paris : Seuil, rencontre qui mène à 1* amour. Le public accompagne les mouvements du couple de danseurs en battant des mains. (72) La chacarera (du mot quechua "châcere", puis "chacra": ferme) est connue en Argentine depuis le XIXe siècle. La chacarera mita, de rythme assymétrique et très vif, était dansée depuis le début du XIXe siècle à Santiago del Estero. C'est à sa vivacité que la tradition attribue l'enthousiasme et la bravoure des hommes de Taboada. Elle est encore dansée dans les fêtes campagnardes. (73) R. ORTEGA revisionismo 17. (74) L. POMER, El soldado 1971, p. 105. (75) Cité par J. J. HERNANDEZ ARREGUI, Nacionallsmo y liberaciôn, Buenos Aires : Corregldor, tercera ediciôn, 1971, p. 150. (76) P. G. SNOW, Fuerzas politicas Emecé, 1983, p. 22. (77) Cité par F. CHAVEZ, Civilizaciôn y barbarie en la culture argentine, Buenos Aires : Ed. Theoria, 1965, p. 125. (78) CHAVEZ, op. cit., p. 126. (79) A. J. PEREZ AMUCHASTEGUI, Ment alidades argentines 1930), Buenos Aires : Eudeba, 1965, p. 209. (80) G. BOURDE, Le clesse ouvrière ergentine L'Harmattan, 1987, tome 1, p. 128. PENA et E. L. DUHALDE, Folklore argentino y hlstôrico, Buenos Aires: Sudestada, 1967, p. criollo, -121- Buenos Aires : C. E. D. A. L., en la Argentine, Buenos Aires, (1929-1969), (1860Paris : (81) A. BELLONI, Peronlsmo y soclallsmo nacional, GOROSTEGUI de TORRES, "La Union Democrâtica", Buenos Aires, 1971, p. 114. (82) G. BOURDE, op. (83) F. LUNA, El 45, (84) H. RATIER, El cabecita C. E. D. A. L. , 1972, p. 32. (85) F. LUNA, Perôn y su tiempo Sudamerlcana, 1984, p. 411. (86) cit., cité par H. Polémica tome 3, p. 902. Buenos Aires : Sudamerlcana, 1973, p. 416. negra, (1946-1949), Buenos Buenos Aires : Aires : La vuelta al dia en ochenta mundos, Mexico : Siglo velntluno editores, 1967, p. 85. (87) (75), Poemas (1922-1943), Buenos Aires : Losada, 1943, p. 81. -122- LES RECITS DU MONDE INTERIEUR 2.1.Les trois axes thématiques de l'oeuvre Avant d'aborder la première étape de l'oeuvre de Moyano, nous essaierons de justifier le choix des trois axes thématiques à travers lesquels nous étudierons ses récits : mémoire, exil et identité. Dès les premiers récits, ceux que nous examinerons au cours de cette deuxième partie, Moyano apparaît comme le passé, obstinément penché sur appartenant aux premiers La lombriz, deux un écrivain obsédé par la mémoire. Dans les nouvelles recueils, Artistaa de varledades et pointe déjà un narrateur qui cherche dans la mémoire un sens qui est resté occulte et qui ne se livre que par bribes, en blocs erratiques souvenirs parfois au prix récupérés d'un et effort replacés conscient. dans la L'activité totalité des mnésique se manifeste très souvent comme un examen systématique et minutieux des souvenirs Cette visant à la reconstruction d'un certain moment du passé. activité rétrospective, personne"*1J et correspond, qui "ne fait d'après qu'un avec Pradines, à la mémoire la construction de notre qui suppose plusieurs stades : un stade logique où les souvenirs se font présents dans le respect des lois de la causalité (degré sec de l'évocation); un deuxième stade où le souvenir "redevient à un certain point l'état passé avec les formes, les couleurs, les sons, les odeurs et l'atmosphère sentiment al e"eSî> et qui -123- correspond à la poésie de la mémoire (degré émouvant) ; et un troisième stade (degré angoissant) où "le passé vit véritablement dans toute son intensité" <s> . C'est le passé ressuscité retrouverons dans une nouvelle de "Mi mûsica es para esta que nous gente". i La reconstruction du passé est parfois faite à partir présent où le personnage se sent isolé et d'un déraciné. Mais ce présent, qui est en partie la conséquence d'un hiatus dans la continuité du temps dont les effets pèsent encore les rapports avec autrui, sur la vie quotidienne et sur exige pourtant que le personnage se débarrasse des souvenirs encombrants. C'est alors que la mémoire involontaire fait irruption dans le présent par le biais des "clichés instantanés pris sur le courant de la vie antérieure"*** et renouvelle les liens qui rattachent le passé au présent. La mémoire prend donc, deux significations divergentes dans les récits de Moyano : d'une part elle est la voie royale qui mène à la connaissance de soi, choisie et parcourue volontairement ; d'autre part, elle est l'obstacle à une insertion totale dans le présent car l'intermédiaire de la volonté, une cassure ramenant à lui, sans originelle où l'équilibre bascule. Dans la thématique de la mémoire, vérifiable dans toute l'oeuvre de Moyano, il faudrait introduire une autre classification dans les types de mémoire explorés par l'auteur : la mémoire individuelle et la mémoire collective. La mémoire individuelle ou personnelle apparaît surtout dans les premiers récits. Dans Très golpes de tlmbal, en revanche, le thème de la mémoire collective est prédominant. Nous définirons la mémoire collective d'après Maurice Halbwachs comme "un -124- courant de passé continu, d'une continuité qui n'a rien d'artificiel, puisqu'elle ne retient du passé que ce qui en est encore vivant ou 1'entretient"esJ. capable de vivre dans la conscience du groupe qui C'est cette continuité Histoire et faits permet de faire mémoire collective. En effet, séparés didactique qui de par des lignes de schématisation" CSi distinction entre la première présente les division et la tenant obéissant compte "au des besoin changements survenus dans la société ; dans le cas de la seconde, "Le groupe, au moment où 11 envisage son passé, sent bien qu'il est resté le même et prend conscience de son identité à travers le temps(,..)Le groupe vise à perpétuer les sentiments et les images qui forment la substance de sa pensée. C'est alors le temps écoulé au cours duquel rien ne l'a profondément modifié qui occupe la plus grande place dans sa mémoire". ey,> La problématique de la mémoire est donc étroitement liée à celle de l'identité. Ces deux thèmes apparaîtront dans les récits de Moyano en rapport avec le besoin d'établir une continuité dans le temps pouvoir lutter individuel ou pour contre la mort et l'oubli - que ce soit sur le plan sur celui d'un groupe et d'une culture - ou, au contraire, d'effacer une période du passé liée à une identité que le sujet refuse. Le concept différentes. La d'identité première implique, consiste au à moins, voir deux perspectives l'identité comme la persistance des traits fondamentaux de la personnalité d'un individu, ce qui lui permet de se reconnaître au fil du temps. La deuxième tient compte de la relation existante entre l'individu et le groupe -125- dont il est membre et représentations et des avec lequel il partage l'ensemble des conventions qui font partie d'une certaine culture. C'est par rapport à cette culture dont il est le sujet que l'individu aussi par constitue son identité rapport inconsciemment, à ses elle refus que et et envisage se manifestent, ses l'altérité, et c'est consciemment acceptations. Se ou reconnaître semblable et différent à la fois est un fait social. C est pourquoi la première perspective ne peut ignorer la seconde. A son coïncident tour, le groupe, dans la mesure où tous ses membres dans l'utilisation d'une langue, l'acceptation des mêmes croyances, mythes, reconnaissance d'un représentations passé historique symboliques commun, et possède culturelle qui le différencie des autres groupes. une dans la identité Dans le cas des minorités, leur culture trouve un cadre qui est souvent hostile et qui la condamne à l'exil intérieur. Nous avons suivi à travers l'histoire de La Rioja les péripéties d'une culture populaire qui s'est forgée dans le refus d'une certaine vision de l'histoire et des valeurs de la métropole et qui a été longtemps considérée comme une culture de la barbarie. L'oscillation et celui d'une "entre le pâle d'une singularité déconnectée unité globalisante peu respectueuse des différences"<e>, que Jean-Marie Benoist signale comme étant les bornes de toute problématique de l'identité, se pose en Argentine dans la fracture existante entre la culture urbaine et celle des régions qui sont restées à l'écart du projet libéral et des transformations qu'il a entraînées. En ce qui concerne la littérature de Moyano, c'est à partir de cette oscillation qu'il nous faudra envisager le problème -126- des choix de l'auteur et de l'évolution des thèmes et des formes littéraires plus ou moins liés à la culture régionale. En parcourant l'oeuvre perspectives de l'identité nouvelles du premier de Moyano nous retrouverons les deux que nous venons de distinguer. Dans les cycle de 1'oeuvre, c'est la première perspective, centrée sur l'évolution de l'identité individuelle le Temps, qui apparaît le Una luz mty lejana plus fréquemment. et de El Oscuro, dans Peu à peu, à partir de la deuxième perspective commence à s* affirmer. Le besoin de percevoir la substance et l'unité du moi, qui est à la base du concept nécessairement presque tous par la d'identité et dont reconnaissance les récits - de l'accomplissement l'altérité, d'une mise à l'écart naît prenant passe - dans aussi des formes différentes et même opposées. Le plus souvent, les personnages se voient contraints d'accepter une marginalisation imposée par un agent le extérieur : pouvoir, dans toutes ses l'irréversibilité du temps qui exile les enfants de leur en général, tout marginalisation comportant de ce qui forcée écarte est nombreuses les plus vécue pertes faibles comme . une dont la plus conscience de l'identité propre. Marginalisation, sentiment de perte, ébranlement variantes, paradis et, du bonheur. La expulsion injuste importante est la différence imposée, de la personnalité : voilà tous les ingrédients de l'exil involontaire pris dans son sens le plus large. Mais il peut y avoir aussi un choix volontaire et alors la mise à l'écart, décidée par l'individu -127- lui-même, perd son caractère angoissant pour devenir une quête de nouvelles valeurs ou une affirmation des anciennes valeurs dans un contexte plus favorable. Ce choix, loin d'ébranler l'identité contribue à la consolider. Choisir le déracinement pour s'enraciner ailleurs - dans un autre espace physique et spirituel -, c'est aussi l'une des possibilités par les récits de Moyano à partir de Uha luz explorées muy lejana, son premier roman. Nous avons choisi de traiter l'évolution de la thématique de la mémoire, l'exil et l'identité, en trois parties correspondant à trois moments différents dans l'oeuvre de Moyano. Dans la première étape, les récits sont plus centrés sur l'analyse de l'intimité des personnages et des rapports au sein de la famille que dans les étapes suivantes. C est pourquoi nous les avons appelés "les récits du monde intérieur". Dans la deuxième étape, on peut constater chez Moyano une ouverture plus importante aux conflits qui ont agité la société argentine de 1966 à 1976, mais ceux-ci sont envisagés à partir du contexte régional. Les récits de cette étape seront "les récits du monde extérieur". La troisième étape correspond aux deux romans écrits en exil, ceux qui portent la marque d'une situation bouleverser capable tous de les changer la procédés perspective littéraires de dont l'auteur et il. s'est de servi auparavant. Nous les appellerons "les récits du monde de l'exil". Il est évident que l'unité de l'oeuvre littéraire s'accommode mal des classements et des divisions que les exigences de l'analyse lui imposent. Les grands ensembles thématiques et les formes qui les -128- expriment, même l'apprentissage Quelques décor ceux de son personnages, subsistent, établissant appartenant métier, quelques transfigurés à ne la période disparaissent situations ou où l'auteur pas fait complètement. quelques et porteurs d'une valeur éléments du symbolique, un lien qui aide à définir la singularité de l'oeuvre. Aussi, dans notre travail nous nous efforcerons de mettre en évidence l'existence de ce lien. Moyano a été connu d'abord par les lecteurs argentins au travers de ses nouvelles. Il est devenu par la suite romancier sans renoncer pour autant à écrire des nouvelles. A partir de la deuxième étape, ces récits courts ont une double fonction : ils annoncent, d'une part, les changements qui interviendront dans les romans suivants et, d'autre part, ils reprennent avec des procédés différents des sujets anciens, surtout ceux de la première étape. Les rares critiques qui se sont penchés sur l'oeuvre de Moyano ont préféré les nouvelles, sauf des cas très exceptionnels que nous soulignerons l'analyse. au cours de Pour combler ce vide, nous mettrons donc l'accent sur l'oeuvre romanesque et ce, principalement à partir de la deuxième étape car les trois premiers recueils qui seront étudiés dans cette partie éléments de l'oeuvre. Nous ne ferons appel aux nouvelles suivantes que lorsque comparaison du travail, indispensables l'analyse des romans l'exigera. -129- doivent pour la nous fournir compréhension des de 2.2. L'apprentissage de la mémoire et de l'exil La plupart des nouvelles appartenant aux trois premiers recueils écrits par Moyano peuvent être classées en trois groupes que nous allons appeler respectivement : cycle des fictions autobiographiques, nouvelles du premier exil et récits de la découverte de la ville. A ce dernier groupe de nouvelles nous ajouterons le premier Moyano, Uns luz muy lejana, roman de car il est très lié aux thèmes et aux formes littéraires des nouvelles de la même période. 2. 2. 1 Le cycle des fictions autobiographiques Les nouvelles du premier groupe ont toutes une caractéristique commune : elles peuvent être considérées autobiographiques. L'histoire est racontée comme des fictions à la première personne ou à la troisième à focalisation interneeso et le narrateur qui est en même temps personnage, focalise le récit, ou le personnage sur évoquent un moment lequel du passé. le narrateur Les récits se présentent donc, comme l'évocation d'un passé lointain - le monde de l'enfance et de la puberté -, faite à partir d'un passé plus récent dans lequel un jeune homme qui cherche à se faire une place dans une -130- grande ville ou un homme histoire mûr se penchent sur les événements de leur personnelle. Philippe Lejeune définit ainsi les caractéristiques de la fiction autobiographique: "... Tous les textes de fiction dans lesquels le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner, à partir de ressemblances qu'il croit deviner, qu'il y a Identité de l'auteur et du personnage, alors que l'auteur, lui, a choisi de nier cette Identité, ou du moins, de ne pas 103 l'affirmer."* Dans cette définition, le lecteur est supposé avoir une certaine connaissance de la vie de l'auteur, sans quoi il ne saurait trouver les éventuelles ressemblances entre les personnages figurant récit et ceux renseignements superflus : le de qui la vie réelle. pourraient lecteur sera Dans fournir fatalement autobiographisante, non seulement le les amené cas de interviews à faire sur le Moyano, les deviennent une lecture parce que, comme Lejeune le pense, l'écriture du moi développée depuis le XVIIIe siècle ou l'étalage de la vie privée des écrivains dans les mass-media de notre époque ont habitué le lecteur a une telle lecture, mais parce que les récits euxmêmes appellent à la faire. En effet, la réitération lance le premier appel. des personnages et des situations, Les personnages des nouvelles évoquant souvenirs d'enfance passent des d'un récit à l'autre ; ils apparaissent sous des traits et des noms différents mais pour l'essentiel ils sont toujours les mêmes. Les situations reviennent aussi, retouchées, vues -131- sous un autre angle, contribue examinées & la loupe. L'attitude du narrateur également autobiographique à créer malgré l'Impression 1'absence mention du genre : il du mot de lire un autobiographie récit dans la fouille dans la mémoire pour s'expliquer le passé, reprend ses pensées d'un récit à l'autre et même quand il est en dehors de l'histoire, il continue à porter le même regard sur les autres personnages. Paradoxalement, les variantes introduites dans le récit des événements ne font que confirmer la première impression. Au lieu d'apparaître comme des exercices comme les étapes contraintes de la d'une de style, elles sont ressenties auto-analyse vraie où autobiographie, la mémoire, peut jouer libérée un rôle des de structuration de la personnalité. Ces caractéristiques sont seulement vérifiables dans les récits qui sont centrés sur ce que nous appellerons la famille d'adoption car les personnages de ces premières nouvelles appartiennent la mère sont tous à un univers familial duquel le père et absents. Plus que par leur propres noms évoqués par les liens qui les rattachent partie de l'histoire, ou au personnage ils sont au narrateur quand 11 fait focalisé : oncle, tante, cousins. Nous avons cité dans la première partie de notre travail des textes de Moyano liés à son histoire personnelle - l'absence de son père, la vie à La Falda, le séjour à la maison de redressement - mais nous ne considérerons pas ces textes comme faisant partie du groupe des fictions autobiographiques. Les liens que l'on peut établir entre ceux-ci et la biographie de Moyano s'appuient extérieures à l'oeuvre. Ayant choisi -132- sur des informations la perspective du lecteur qui n' est pas renseigné sur la vie de l'écrivain et qui découvre ou croit découvrir la filiation autobiographique de ces nouvelles seulement à partir du texte, nous avons dû écarter tous les récits qui ne suscitent pas ce type de lecture. La première nouvelle mettant en scène la famille d'adoption est Una partida de tends. Elle est structurée à partir d'une réminiscence qui sort finalement du champ de la conscience pour se matérialiser dans le présent. Le personnage central, désigné seulement par le pronom de troisième personne, est un adulte qui a réussi à échapper à des situations limites grâce au hasard ou à la solidarité de quelqu' un : ISiempre pensô que su vida se desarrollaba en ctclos ascendentes, desde la horrible miseria que tuvo que soportar durante su infancia y adolescencia hasta ahora,en que la gente a la que habîa .logrado vincularse y cierta cultura adquirida aqui y alla lo habian hecho llegar un poco mes arriba. Pero esa noche pensaba, después de ver lo que vio, que esos ciclos eran idénticos entre sî; la cronologîa les daba un tenue calor ascendante. <...)A1 fin de cada ciclo el derrumbe llegaba y ya no habîa nada que esperar. Pero he aqui que siempre aparecia el milagro, una persona, un rostro inadvertido, y se iniciaba asî un nuevo tlempo de salvaciôn."*1 ' •' 11 sait pourtant que le passé est toujours aux aguets dans la personne de Pedro, le cousin venu d'un autre espace et d'un autre temps et qu'il a aperçu dans la rue. La présence du cousin représente le danger du retour à la situation de misère et de violence à laquelle il a échappé, un monde dont la laideur est symbolisée par la difformité de Pedro. Cette difformité a aussi une autre fonction. Elle -133- apparaît comme l e signe extérieur d'une maladie morale commune à toute la famille et p e u t - ê t r e même au personnage c e n t r a l : "El mismo no habla podido evitar muchas veces el contagio, el fuego del tnfierno, y habia producido por si mismo esos hechos absurdos ante los cuales el comisario, un nombre que podîa recordar por sus largos bigotes, reïa solapadamente. 0 quizés no hubo jamâs tal contagio porque êl fue siempre igual a ellos, y ahora era solo un evadido. »<*** Maladie, contagio, péché et délit fuego del infierno, (connotés respectivement comisario) par l e s mots sont l e s mots qui servent à c a r a c t é r i s e r l e s parents chez qui l'homme a vécu autrefois en tant qu'enfant adopté. Parmi ces parents qui risquent de f a i r e irruption dans la vie du personnage, l ' o n c l e est l e plus redouté : "Y sobre todo estarîa su tlo, esa entidad implacable que él habia temido siempre. No olvidaba que su tîo solia tener siempre razôn, solo porque era su tîo o porque, aunque no tuviera mêritos para serlo, era importante; y porque su desorden, o mejor su esquizofrenia, era en aquella casa un orden absoluto que habia que respetar.'"'"1'3 Le match de tennis avec la b a l l e rebondissant devient dans une atmosphère représentation des mécanismes récupérer l a balle, proche de la des mémoire l'homme doit traverser l a récits hors du court, de Kafka involontaire : la pour même rue où i l a cru apercevoir l'image fuyante de Pedro et pénétrer dans une maison. A l'intérieur, se sont donné rendez-vous tous enfance : -134- les revenants de son "Pedro, en la cabecera, lo saludô familiarmente con su horrible brazo corto. Los demâs empezaron a dar exclamaciones de jûbilo. Algunos chicos, que él no conocîa, se prendîan de su ropa y le pedlan monedas. Su tîo, que no habia envejecido nada, se abrfa paso entre todos para saludarlo.""*» La éléments nouvelle suivante, Intitulée La puerta, reprend quelques de la première : l'oncle coléreux, les cousins, présentés comme une horde de petits démons affamés personnage focalisé dans le un peu moins âgés que le récit. Dans la nouvelle précédente, l'adoption était à peine mentionnée ; dans celle-ci, sans en éclaircir les causes, circonstances le narrateur apporte des Informations concernant de l'arrivée de l'enfant adopté, devenu maintenant un adolescent. Par rapport à la première nouvelle, La puerta être lue les pourrait comme le développement d' un souvenir centré sur un moment de l'adolescence du même personnage : la découverte de l'amour, perçu d'abord comme un bien Inaccessible, plus tard comme un partage de l'humiliation de la marginalité. Quelques éléments nouveaux qui seront repris dans les nouvelles suivantes apparaissent en ébauche : le personnage de la tante, dont le suicide est à la base des événements du récit, la description de la maison, qui se maintiendra presque sans variantes et la mention du coffre où l'adolescent garde les souvenirs de son enfance. Ce coffre revient souvent dans l'oeuvre de Moyano, d'abord en rapport avec progressivement il 1' image du prend grand-père, dans Los mil dîas ; une valeur symbolique : il est la mémoire des origines, le lieu de sauvegarde des survivances du passé et des secrets de l'identité. C'est ainsi qu'il apparaît lié au thème de -135- l'exil, de l'Intimité préservée et de la quête de l'Identité dans Libro de navlos y borrascas et dans Très golpes La lombriz de timbal est la nouvelle la plus longue du cycle des fictions autobiographiques. Ecrite à Lai Rioja, elle donne son qui contient quelques racontée autres situations introduite central, huit qui soient élargit appelé nouvelles. ici toujours la Matïas : la que mêmes, les une concernant quasi-totalité de personnages et variante est le personnage l'histoire est par ses amis qui sont les destinataires des récits sur la Le récit événementiel dense indirect, les perspective famille de l'oncle. ajoutent Bien titre au recueil plus leurs second, mais commentaires. il celui de Matlas, a un contenu est rapporté L'alternance des la perspective multiple de l'histoire des niveaux temporels sont par les discours amis qui direct et et la superposition les signes d1 une progressive complexité dans les structures qui modulent le thème. La complexité formelle est parallèle à une complexité croissante dans l'interprétation des faits. La présence de l'usine répandant une poussière blanchâtre sur tout le village et le rêve des voisins de Matlas de pouvoir y travailler en tant qu'ouvriers malgré la menace de la maladie professionnelle qui les attend au bout d'un certain nombre d'années, créent un contexte nouveau. Dans ce contexte, la caractérisât ion des membres de la famille, présentés auparavant comme atteints d'une maladie morale, commence à tenir compte des problèmes sociaux : "Alguien dijo una vez a Matïas, al oîr sus relatos, que los mismos carecian de piedad. Le preguntô concretamente por -136- que trataba siempre de hundlr a su tîo. Y Matïas dijo despuês que aqueîla vez slntiô vergOenza, se slntlô asesino, como si los hubiera matado a todos ellos. Diremos flnalmente que Matïas solîa olvidar cuidadosamente la miseria que, segûn se advertia, padecîa su tîo con el resto de la familia.»'1*9 Dans La lombriz, confirment son Premièrement, le lecteur impression la de trouve de nombreux éléments lire un récit situation narrative reproduit autobiographique. le lecteur par l e biais du rapport que Hatlas établit qui rapport auteur- avec l e s amis qui l'écoutent. Deuxièmement, l e s suppositions de ses amis expliquent l e s raisons de son volontaire retour au passé et des variantes qu* i l introduit dans ses histoires, ce qui écarte l'hypothèse de l'exercice de s t y l e : "Parecîa improbable, pero hubiera sido hermoso descubrir a su tîo en un acto de bondad. Matïas Bursati vivîa obsesionado con seméJante idea y para llevarla a cabo habîa dedicado gran parte de su vida a la evocaciôn de los hechos.""*' "Asi eran las variaciones que hacîa Matïas de sus relatos. Sus amigos suponîamos que en cualquier oportunidad podîa contarlo todo con nuevos detalles. Y suponîamos tambiên que asi trataba êl de explicarse a si mismo la existencia y los conflictos de su tîo."*17'3 L'ambiguïté substitut amour, de crainte) des rapports que l'enfant l'image paternelle apparaît aussi (soumission, La lombriz respect, le répulsion, dans cette nouvelle à travers souvenirs de l'adulte. Dans La espéra, et dans a entretenus avec les une nouvelle du premier recueil sont établis l e s fondements de presque toutes l e s images paternelles des r é c i t s ultérieurs, y compris quelques-uns de la -137- deuxième étape ; Images opposées mais pouvant se rassembler dans la même Incapacité d'exercer l a fonction qui leur revient au sein de la famille. Père absent - coupable d'un d é l i t non précisé victime du refus de la famille - dans La espéra, aussi victime de la misère dans La Lombriz-, et à la fois père bourreau - mais leur rapport avec l e f i l s est basé sur l a fluctuation innocence-culpabilité. Les e f f o r t s soutenus de la mémoire, dans c e t t e troisième nouvelle du cycle, rétablir réussissent finalement dans l e présent l ' a d u l t e et l'enfant. à trouver le lien, Ce lien, l e souvenir capable de inexistant dans l e passé, entre f i c t i f et inventé par l ' a d u l t e prend la valeur d'une réparation et annonce l e r ô l e l i b é r a t e u r accordé par Moyano à 1' imagination : "Se acordô finalmente de una noche de verano. El y su tîo estaban sent ados ante una mesa, en medio del patio,oyendo el rumor de una orquesta que venia desde un club pr6xlmo.(,..)Era una orquesta famosa que por primera vez habîa ido al pueblo, y toda la gente del lugar estaba allî esa noche. Solo êl y su tîo, en medio de aquel patio, permanecîan ajenos a los deseos, a la vida real, al mundo. Pero su tîo hablô con êl, le dijo que aquellos eran tangos muy viejos y, sin duda, de un modo u otro, lo hizo participer de algo que el mundo poseïa. Y eso podîa ser un acto de bondad." "Cuando bajô del tren y comenzô a caminar por las calles del pueblo donde êl vivia, tan famlliares que eran lo que éi llamaba el lugar de su salvacidn, se dijo que nada podîa valer un cielo para unos pocos elegidos, porque serîa un lugar lleno de remordimlentos. Como gozar del cielo cuando habîa un infierno. Y bastaba el dolor de un solo hombre para impedir la alegria.u<'••' Le recueil suivant : El fuego interrumpido, contient nouvelles qui continuent à développer des s u j e t s du même cycle. -138- des Elles alternent avec d'autres appartenant au groupe que nous avons appelé "du premier exil" mais l'ensemble a un trait commun : les principaux personnages sont des enfants confrontés à l'apprentissage du monde des adultes et c'est leur vision de la réalité que le narrateur place au centre du récit. Seules trois des dix nouvelles qui composent le recueil peuvent être rattachées Etcétera, El nouvelles que au cycle crucificado, nous El venons des perro fictions autobiographiques : y d'examiner, el tiempo. celles-ci Comparées aux témoignent d'un changement significatif dans l'ambiance des récits. Le glissement de la perspective vers la vision enfantine des faits racontés entraîne la création d'une atmosphère particulière, produit de la rencontre du regard de l'enfant, pour qui la nature des rapports et des gestes des adultes demeure insaisissable, et du regard du narrateur posé nostalgiquement sur son propre récit. Le lyrisme de quelques textes ultérieurs de Moyano prend racine dans ces nouvelles. Etcétera est l'histoire des retombées milieu familial. La tante, qui dans La puerta qui dans La lombriz d'une absence dans le a réussi à se tuer mais est sauvée de sa tentative de suicide, part de la maison en laissant une lettre ambiguë qui peut être comprise comme la lettre d'adieu de quelqu'un qui a l'Intention de se donner la mort. A partir de cette rupture dans la continuité de la vie du groupe, la nouvelle expose tous les mécanismes de réponse que la situation suscite chez les enfants : sentiment premier traduit de libération qui se par la transgression des interdits concernant les rations alimentaires, transfert du rôle de la mère à la fille aînée, efforts -139- du fils aîné et décision de l'enfant collective de mystérieuse et Indéfinie adopté pour trouver et de s'expliquer tuer el la fuite, et bicho, bête qui hante la tante dans ses cauchemars. Les deux adultes, l'oncle et la tante, apparaissent mais c'est une brièvement la nature de leurs rapports qui est mise à nu par les souvenirs des trois enfants plus âgés. A partir de ces souvenirs 11 est possible de reconstituer l'ordre selon lequel s'échelonnent les rôles familiaux. La soumission de la femme, caractéristique d'une société machiste où l'autorité du mari se manifeste souvent dans les couches les plus défavorisées par la violence physique, a sa contrepartie dans les punitions qu'à son tour la femme impose aux enfants et dont l'une des formes habituelles est la privation de nourriture. Etant donné que le besoin élémentaire de manger se situe au centre des préoccupations des enfants et des exigences qu' ils expriment dans le rapport avec la mère, la privation de nourriture constitue une punition sévère. D'autre part, leur insatisfaction les enfants deviennent affamés manifestant inlassablement aux yeux de la femme les principaux responsables de la violence de l'homme : "Ella se detuvo ante el grupo de chicos y grltô "por culpa de ustedes pasa todo esto". Después, como enloqueclda, tomando a uno y otro para castlgarlos, decîa "siempre los disgustos son por ustedes, porque no hay plata que alcance para llenarles las tripas, siempre pidiendo con la boca abierta como las vfboras, siempre con hambre malditas porquerîas", y ahora la voz se ahogaba en la lluvia sobre el cinc que lo separaba del âmblto de los andenes."*"33 -140- Presque toujours dans l e s r é c i t s de Moyano, deuxième victime, après l e s enfants, la femme est de la distorsion des rapports familiaux entraînée par la misère. Dans cette nouvelle, très bref, fréquent dévoile la un dialogue l'aspect l e plus dramatique mais non l e moins de la condition féminine dans la famille patriarcale des milieux pauvres : "Ella estaba sentada en la galerîa. Acababa de levantarse de dormir la siesta. La blusa entreabterta dejaba ver algunas cicatrices en distintas partes del cuerpo. Cuando êl le preguntô, ella se tocô el hombro como si quislese mirarse la espalda y dijo : -Tu tio. Después abriô la blusa y moatrô un costado: -Esta fue con la plancha. Mes tarde seffalô otras, indicando en cada caso el objeto que la habia producido : -Una botella. -Las tijeras. -El cuchillo. Habia otra mes grande que ella no mencionû. - lEl tio? -dijo él tocando tîmidamente la cicatriz y procurando desviar los ojos de las abultadas piernas de la tia. -No -dijo ella-,ésta es de mi pape."*19* Etcétera est la seule nouvelle du cycle où la tante a un rôle important. Dans la suivante, principaux de toutes les El crucificado, fictions l e s deux personnages autobiographiques, l'oncle et l'enfant adopté, sont à nouveau au centre du récit. La nourriture avec sa double face d'objet de la demande de l'enfant et du devoir de l'adulte revient dans cette nouvelle enrichie d'une signification entrevoir plus dans Etcétera large. L'histoire de la femme son rôle de médiatrice dans l e -141- laissait conflit provoqué par la difficulté de nourrir les.enfants ; un conflit que les enfants de la nouvelle ne comprennent pas et qui n'est pas mis en rapport avec le départ de la mère. Dans El crucificado, cette médiation n'existe pas, ce qui met en revanche, face à face le besoin de l'enfant et la réponse du père substitut. Comme dans toutes les nouvelles de El fuego interrumpido, un événement Inhabituel entraîne la révélation d'un aspect de la réalité resté jusque là inaperçu : l'approche du jour de la première communion et l'enseignement religieux qui la précède modifient les jugements de l'enfant. Les petits vols quotidiens de son oncle dans le magasin d'alimentation qui l'emploie sont vus comme un péché grave. La notion de faute souille désormais tout ce qui touche à la nourriture. Le mot nourriture se déplace progressivement de sa signification la plus directe dans la surface du texte à un plan symbolique. Avec un derrière un énoncé monocorde, attentes de l'enfant celle de demande d'affection jeu d'allusions soigneusement sur caché la nouvelle dévoile la nature des et de sa déception. Nourrir est une faute puisque les aliments proviennent d'un vol mais aussi parce que l'oncle en fait n'est pas un sacrifice, moins justifié dans le cas de cet enfant qui son fils : "En esos casos la comida tenîa casi un sentido de dédiva,y él recibîa su portion sin avergonzarse por el recuerdo permanente de unas palabras oîdas muchas veces a su tîo : "tengo que alimentar a siete hijos y todavia a otro". El otro era éi."'20' Si nourrir est une faute par manque d'amour, manger est à la fois une faute et une punition. C'est se nourrir de l'amour volé : -142- "Entonces dejô el trozo en la fuente pensando que corner era tambiên una especie de castigo, de crucifixion, mientras sentîa la mirada oblicua con la misma blancura relumbrante que habian tenido los ojos de su tîo en lo alto del gancho."cs1 ' Le rapport Desde los image paternelle-nourriture-punition reviendra dans parques, l'un des derniers personnage qui depuis La lombriz récits de Moyano, lié à un apparaît dans toutes les nouvelles du cycle : le chien de la famille. C'est justement l'histoire de ce chien qui donne sa substance à El perro y el tiempo. Comme la tante, comme les héros des vieux feuilletons, le chien meurt et ressuscite d'une nouvelle à l'autre. Il meurt empoisonné par l'oncle dans La lombriz , Etcêtera crucificado. et dans cauchemardesque enfants, et de El il est à nouveau vivant Etcêtera, Il est, imaginée comme le ténia de La lombriz, et ainsi étant l'un des vorace dans que la bête réelle par les premiers représentants du bestiaire de Moyano dont l'analyse pourrait suffire à se frayer un chemin à travers l'oeuvre entière. Réels, imaginaires ou mythiques, ils sont toujours porteurs de sens et révélateurs des niveaux les plus secrets du récit. Nous verrons comment tout le cycle que nous sommes en train d'analyser Dans El perro longue consacrée condense sa signification dans l'image du chien. y el au tiempo se trouve la séquence narrative la plus chien et la seule où apparaît clairement l'attachement de l'enfant à son nouvel ami. L'histoire, très simple, raconte 1'arrivée du chien à la maison, les problèmes posés par sa présence, les rapports des enfants avec le chien et son départ par décision de l'oncle. Sur le canevas -143- des événements quotidiens, l'adulte qui se tourne vers le passé et retrouve la perspective de l'enfant qu'il était, jongle sur les différents plans de l'évocation ; évocation plaisante de la chaleur du chien dans le lit, mêlée à la saveur des épis de maïs grillés par la tante et au souvenir des petites complicités l'évocation, une enfantines. autre Mais histoire est dans les racontée interstices qui complète de les antérieures. La nouvelle commence par une phrase qui la relie à la précédente : *-Yo no puedo alimentar tamhién a ese perro- dijo su tîo después de mirar a Gregorio y al perro, sent ados al borde de la galerîa."'**3 Le discours direct situe le chien à la même place qu' occupe l'enfant dans El crucificado. Todavla et tambiên renvoient dans les deux textes que nous avons cités à la même notion d'adjonction et de surcharge et toujours par rapport à la nourriture. Dans l'ordre rigide de la famille, échelonné à partir de l'autorité patriarcale et conditionné par la pauvreté, se dégage des paroles de l'oncle une notion de rang établie à partir du droit à la nourriture : il est presque le même pour l'enfant adopté et pour le chien, sauf que dans le cas de ce dernier, le alimentaires, de s'approprier fait de transgresser les interdits ce qui ne lui revient pas de droit, se solde par le bannissement et peut-être par la mort. A partir de cette nouvelle, le chien incarne le plus marginal des marginaux, le bouc émissaire des victimes de la misère et l'innocent qui paiera pour tous. C'est ainsi que nous le retrouverons dans Una luz muy lejana, roman écrit à la même période, -144- un et dans une autre nouvelle du recueil suivant, intitulé Mi mûslca es para esta gente. Mais dans le cycle autobiographique auquel vient s'ajouter la nouvelle du recueil cité, il a aussi une autre fonction : il dit métonymiquement la situation limite de l'enfant qui est au centre du récit et sa place dans la famille. La seule nouvelle de Mi mûslca es para esta gente que 1' on puisse rattacher au groupe des fictions autobiographiques est la première du recueil : Al otro lado de la calle, en el tiempo. Le livre, publié en 1970 appartient à une étape de création beaucoup plus marquée, dans le cas des romans, par un intérêt croissant pour les circonstances politiques et sociales qui conditionnent l'évolution des personnages. Les nouvelles de Mi mûslca es para esta gente continuent pourtant à développer des sujets liés aux conflits personnels sans référence explicite au contexte socio-politique argentin et elles assurent la continuité de la thématique des trois premiers recueils. Al otro lado l'aboutissement de la de calle, tout le bien que dans Mi tîo sonreîa en el cycle n' est pas seulement des fictions autobiographiques - en Navidad et dans Desde los parques nous retrouvions l'écho de ce long retour au passé - mais un texte qui formes littéraires adoptées dans El vuelo annonce déjà quelques tigre tiempo del et les romans ultérieurs. Dans toutes les fictions autobiographiques que nous avons examinées Jusqu' à présent, le récit des événements se faisait à la troisième personne de La lombriz du singulier y compris dans la première partie où le nous des amis de -145- Matias se limitait à rapporter et à commenter ses h i s t o i r e s . I c i , c ' e s t l e je de l'aveu qui remplace la troisième personne et ce je sera aussi l e sujet de l a narration dans les deux nouvelles personne produit destinataires lecteur, des e f f e t s de inemployé dans suivantes. son les L'utilisation de la première de proximité entre l e narrateur et discours, recueils effets renforcés précédents: que Gérard Génette désigne l'appel par un les procédé à l'attention du sous l e nom de "fonction de communication du narrateur" «s*3»: "Escuchen s quedaba un ûltîmo resto de sol en la galeria, y lo que antes me pareclô brillo sobre el piso era ahora un puro terciopelo"'11** "(Debo anunclar que los pasos de ml tîo est an muy prôxlmos, que ha derrotado el barro desde sus zapatos énormes y que la comida esta lista desde hace bastante tiempo...)<SB:> La nouvelle l'évocation avec se présente ses causes, comme ses le étapes récit et du son processus de dénouement. Le narrateur raconte pourquoi et comment i l a convoqué l e souvenir d'un moment du passé qu' i l veut revivre pour l a dernière fois : "Ademâs, yo sabia que mi tîo llegarîa para que el recuerdo se produjera. De lo contrario, no podria penetrar totalmente sobre aquel brillo del piso que me permltirîa rescatar un recuerdo para luego despedirme de él, porque habîa resuelto decir adiôs a todos los recuerdos de esos affos, para seguir viviendo."(ss> La narration a un cadre - l e r é c i t premier avec l ' h i s t o i r e de l'évocation - où le narrateur s'adresse à ceux qui 1'écoutent, recompose lentement l e souvenir et l e ramène au présent. Dans l e r é c i t -146- second apparaissent d'un dimanche, partir de l e s événements q u ' i l veut revivre : un jour El fuego d'automne, interrumpido, à l'Intérieur la maison l'histoire de la maison. A s'est dépouillée progressivement jusqu'à devenir une véranda, une cour é c l a i r é e par l e s o l e i l , un l i t réchauffé par l e chien et toujours une t a b l e où se joue l e drame quotidien de la nourriture. L'histoire de ce dimanche, comme d'habitude t r è s simple, peut ê t r e divisée en t r o i s moments : l e s p r é p a r a t i f s du repas f a i t s dans la j o i e des enfants et de l a t a n t e ; l ' a r r i v é e de l ' o n c l e et son geste de colère qui l u i fait renverser la nourriture, v i t e avalée par le chien ; l a haine et la f r u s t r a t i o n de tous se projetant sur l'animal. Le va-et-vient entre l e r é c i t premier et l e r é c i t second, retardent l'émergence du noyau c e n t r a l du souvenir. La réfraction du temps de la narration se double d'une perspective s p a t i a l e , titre : la rue est déjà annoncée par l e à l a fois espace et temps ; l ' o n c l e devra la traverser pour que l e souvenir se complète de même que l e narrateur adulte l o r s q u ' i l veut rejoindre l'enfance : "El barro se quebrô como una escarcha cuando estuvo por llegar mi tîo. Y cuando estuvo por llegar, ya habîa Uegado. El silencio de los niffos estallô entonces, y mi tîa rejuveneclô sûbitamente, tuvo unas trenzas parecidas a las de mi hermana menor cuando lo vio aparecer por la puerta de calle. Entonces elle no sabîa, como yo, del otro lado de la calle, que las cosas pueden interrumpirse en cualquier momento y por eso sonreîa.'"*7'* Les deux perspectives, s p a t i a l e et temporelle se situent dans la fluctuation exprimée par l a première phrase de la nouvelle : -147- recuerdou<SSj 'î.a galeria estaba entre la imagination y el Cette fluctuation, d'autobiographies La Lombriz, différentes: qui soucieux énoncée au nourrit de début les scrupules des auteurs v é r i t é et qui é t a i t en ébauche dans de la nouvelle, a deux fonctions e l l e renforce l e ton de s i n c é r i t é de l'aveu et préfigure à la fois la fin du r é c i t . Les personnages restent l e s mêmes que dans l e s autres nouvelles du cycle mais l ' a t t e n t i o n du narrateur se porte principalement sur l e chien. Le passage qui lui est consacré commence par l e relier à l ' h i s t o i r e de El perro y el tiempo ; "El perro estaba vivo bajo el sol, muy cerca de la mesa, pero por puro milagro. El aiïo anterior, cuando se comiô el primer huevo que puso la gallinita, mi tîo estuvo a punto de matarlo. Lo salvô el mismo cuchillo, entonces mellado y la dureza de su cuero protector, que dejaba pasar el sol sin embargo como para ayudar a alimentarîo. Mi tîa, que habîa aceptado el sacriflcio del perro, me acuerdo que dijo, que murmura casi ; déjalo, ya se moriré solo, de hambre.'"1*** Il y a deux visions, du chien dans l e description sommaire qui l'Intègre lorsque l e souvenir de 1'événement imminent et que l e narrateur texte : au tableau d'abord, de famille une ; mais cherché dans la mémoire devient s'approche de son enfance, le chien semble doué d'une i n t u i t i o n et d'une s e n s i b i l i t é presque humaines: No era un perro guardiân, era un perro expectante. El no esperaba la aproximaclôn de seres para alarmarse y ladrar(...),' esperaba mes bien otras cosas, sucesos que pertenecîan a un orden întimo de la casa. Cuando mi prima llegô a la pubertad, por ejemplo, el perro tuvo actitudes -148- rarïsimas, como si algo Importante hubiese sucedido en la casa, y después, cuando mi prima se convtrtiô définitivamente en mujer, volviû a ser el perro taciturno de todos los dîas.(...)A veces se pasaba dîas enteros en la alto de la higuera, sin responder a nuestros llamados, como si êl estuviese ocultando allé arrlba algo malo para <&o: nosotros." ' La nouvelle se termine au moment où tous l e s personnages se sont réunis. Dans l e s deux nouvelles suivantes, Moyano n'en reprendra que quelques uns. Dans M tlo sonreia en Navidad, l'oncle réapparaît seulement dans l e s souvenirs de la tante, dépouillé de tous ses t r a i t s négatifs ; et parques, de parler dans une nouvelle beaucoup plus tardive, Desde los é c r i t e en Espagne et sur laquelle nous reviendrons au moment des r é c i t s de l a deuxième étape de l'oeuvre, pourrait ê t r e l a prolongation du personnage de l ' o n c l e face à l'enfant celui qui apparaît seul qui essaie d'empêcher la mort du chien. C'est donc dans l e passage suivant que la f i c t i o n l e s réunit pour la dernière fois sur l e même niveau n a r r a t i f : "El perro saliô al patio posterior, del cual hubiera podido escapar, pero allî se detuvo. En ese instante de vacilaciôn Uegaron mis tîos, seguidos por todos sus hij'os, que llevaban palos y cuchillos." Entonces pude, cruzar la calle, plsando el barro antes hollado por mi tîo, y me acerqué a ellos y senti sus verdades, sus angustias, sus olores. Todo era familiar para mi. Advertî que yo tambiên era un recuerdo y que ténia un cuchillo en mis manos. Bueno, cuando saitamos sobre él ,el perro después de mirarnos inteligentemente un momento, se elevô en el aire. Lo vimos, sin asombro casi, cruzar por encima de la higuera, después mes arriba de la antena del vecino y ganar, finalmente, mes alla de los techos vecinos, las colinas distantes. (,..)Yo, cuando vi volar al perro, -149- siapleaente tratê de sonreïr y me dije declr adiôs a todas esas cosas. , " 3 " •' que era hora de Toujours dans le cadre d'une lecture autobiographisante, derniers mots du narrateur l'auteur lui-même les peuvent être perçus comme la décision de de ne plus revenir sur les situations et les personnages du cycle. Il semble tenir ses promesses car, contrairement à ce qu' 11 a fait dans les recueils précédents, qui est la première du volume, après cette nouvelle l'auteur n'aborde pas la fiction autobiographique. Al otro îado de la calle, en el tlempo conduit le lecteur à travers les trois étapes de la mémoire rétrospective que nous avons définies : le premier stade, correspond à l'affirmation de la volonté du narrateur d'évoquer le passé dans un but précis ; le deuxième, celui de la poésie de la mémoire qui rapproche le passé du présent sans qu'ils soient pour autant confondus, correspond dans le texte au moment où le narrateur peut contempler de loin le tableau de famille ; le troisième, le degré angoissant de l'évocation, est atteint quand le narrateur traverse le temps-espace qui le sépare du passé, ressucite la scène la plus blessante de ce passé et la revit Du souvenir involontaire de Una partida une dernière fois. de tenis, placé aux antipodes des délices proustiennes de la nostalgie et présenté comme un traquenard de la mémoire, à cette dernière évocation répondant à la volonté d'oublier, le cycle, qui aurait bien pu constituer un roman, n' a pas seulement passé en revue les mécanismes de la mémoire mais il a suivi aussi l'évolution d'une -150- conscience dont chaque étape correspond à un récit : Je suis la victime et Je condamne (Una de tenis) partida ; Je suis la victime mais Je ne suis pas la seule car la misère avec ses différents visages existe derrière toutes les portes (.La puerta) ; elle peut comprendre et de leur J'ai excuser les coupables, donc J'essaie de inventer une réparation posthume (La lombriz) été un enfant victime parmi d'autres victimes crucificado) ; y el tlempo) ; Je ne suis plus une victime innocente car Je suis un adulte ("pude el barro antes autres ("ténia sauvant le El le chien et moi avons été des victimes, donc les innocents sont des victimes (El perro pisando (Etcétera, ; hollado un cuchillo cruzar la calle por mi tïo") aussi faillible que les en mis manos"') et Je me libère du passé en vrai innocent de l'histoire, le seul à ne pas avoir eu la possibilité de s'en sortir <"eJ perro C .. ) se elevô Nous avions observé dans El perro rapprochement des situations et y el des en el tiempo formes aire"). comment, par le linguistiques les exprimant, l'image du chien doublait celle de l'enfant. A partir d'une lecture qui tiendrait surtout compte de l'enchaînement des récits il serait peut-être possible d'avancer l'hypothèse de l'existence même rapprochement dans cette nouvelle ; substitution, de ce et par là, de parler d'une car l'image du narrateur-enfant ne fait pas partie du tableau familial ; c'est l'adulte qui rejoint les personnages de l'histoire. Dans ce cas, Moyano aurait raconté à travers l'envol du chien la délivrance d'un adulte sauvé finalement de son moi-enfant victime et le cycle entier deviendrait presque au même titre que Una luz muy -151- un roman lejana. d'apprentissage L'image dynamique de l'envol déjà esquissé l'irréel, dans La lombrtz rend aussi compte d'un glissement : c'est le passage du réel vers de la mémoire imageante vers l'imagination et en cela la nouvelle annonce l e rôle de l'imagination dans les romans de la deuxième et de la troisième étape. Dans ces romans Moyano ne cessera de revendiquer la fonction éthique de l'imagination envisagée comme une source inaliénable de l i b e r t é et par l à proche de la définition de Sartre : ' l ' i r r é e l est produit hors du monde par une conscience qui reste dans Je monde et c'est parce qu'il est transcendantalement libre que l'homme imagine. Mais à son tour, l'imagination devenue une fonction empirique et psychologique est la condition nécessaire de la liberté de l'homme empirique au milieu du monde.M<si*3 Dans les d'évasion, récits de Moyano l'imagination ni seulement un moyen privilégié n'est ni une voie de percevoir l e monde - ce qui est d ' a i l l e u r s l e propre de tous l e s créateurs - mais la p o s s i b i l i t é d ' i n t r o d u i r e l e désir dans la r é a l i t é pour q u ' e l l e puisse changer. Considérée a i n s i , l'imagination est la force de la que l e pouvoir ne peut Jamais a t t e i n d r e . faisant appel à cette liberté Dans la nouvelle, c ' e s t en transcendentaie que l ' a d u l t e finalement ê t r e sauvé du Joug de la mémoire. Dans El trino El vuelo del tigre l'imagination et Libro de navïos y borrascas devra se b a t t r e liberté del peut diablo, l e contre-pouvoir de contre l e s s t r u c t u r e s d'une société i n j u s t e qui préfère l e s p r o f i t s aux hommes, contre la répression, t o r t u r e et l ' e x i l . Elle n'en s o r t i r a pas toujours gagnante. -152- la S' 11 fallait résumer "Al otro lado de la calle... les " différences existant entre et les autres nouvelles du même cycle, 1'envol du chien serait le premier élément à signaler. Placée à la fin du récit mémoire et devenue symbole du dépassement par la force de l'imagination, l'envol ne constitue pas des contraintes de la cette image dynamique de une incursion dans le domaine du fantastique ou du merveilleux. Bien au contraire, elle est perçue comme un envol lyrique que le réseau métaphorique du texte - beaucoup plus dense dans cette nouvelle que dans le reste du cycle - a soigneusement préparé. Surtout dans ses dernières oeuvres, pour rendre l'intimité ou pour filtrer images quelques événements, et des métaphores Moyano qui fera fréquemment renforcent le niveau appel à des expressif au détriment du niveau discursif, ce qui déplace la narration vers le récit poétique, 2. 2. 2 Les nouvelles du premier exil Lorsque l'on parle d'un écrivain argentin contemporain, le mot exil évoque d'emblée l'histoire récente du pays et les circonstances qui ont obligé un grand nombre d'écrivains à quitter l'Argentine et à se réfugier dans des pays étrangers. Dans ce contexte le mot exil rejoint 1' exsllium expatriation, exsllium de l'Antiquité proscription, s'apparente déportation, dérive du verbe latin exsllire donc, un verbe et ostracisme. à bannissement, Mais le mot : sauter, se lancer au dehors, qui n'est pas directement rattaché comme exslllua -153- aux circonstances historiques ou aux méthodes employées par un pouvoir étatique quelconque pour éliminer ses opposants. Il renvoie à deux notions qui sont à la base du mot exil mais qui ne sont circonstanciées : une référence spatiale double, dehors dedans, et le changement brusque signifié par saut. perspective ouverte par exsilire pas qui suppose C'est dans la que nous nous placerons pour analyser les nouvelles du deuxième groupe. Ces nouvelles sont toutes centrées sur une expérience d'enfance et le personnage focalisé est invariablement un enfant. Conditionnés par la focalisation choisi, dedans et dehors signifient respectivement l'espace vital de l'enfant et celui de l'adulte. Le saut de l'un à l'autre se produit lorsq'une expérience qui vient changer les habitudes ou les croyances de l'enfant le projette vers l'espace des adultes ordonné selon une autre logique. Dans le saut il perd 1'innocence, et donc le sens du merveilleux, les certitudes premières, son immortalité ; il se retrouve exilé dans le nouvel espace dont les codes lui sont inconnus, confondu parmi des objets et des êtres devenus eux aussi étrangers à ses yeux mais par rapport auxquels il doit se reconnaître et se redécouvrir. L'âge des enfants n' est pas précisé ; souvent il doit être déduit de la situation où se trouve le personnage mais dans quelques nouvelles, surtout quand il s'agit des plus petits, le narrateur le suggère : "El tîo lo alzô, le besô rozândole las mejlllas 'gracias hijo' poniéndolo otra vez en el suelo." -154- y le ea9> dijo "Lo pusieron otra vez en el suelo y todo volviô a tener una perception limitada por los ochenta centîmetros.*'*3*3 L'apparence physique des personnages est aussi seulement suggérée et en cela ce groupe de nouvelles rejoint une caractéristique constante des narrations de Moyano : le narrateur retient que quelques traits des personnages ou de lui-même lorsqu'il fait partie de l'histoire. Mais ces traits ne sont pas là pour étoffer le personnage et créer l'illusion d'un être sorti de la vie réelle ; ils sont des signes qui intègrent le niveau des significations, et cela en deux temps différents. Dans un premier temps ils dénotent la vision que le narrateur a du personnage. Cette vision est celle d'un regard qui ne scrute pas mais qui fait un tri insconcient et saisit un trait à partir d'une impression peu rationnalisée par la suite. Dans un deuxième temps ce trait connote une évolution, un changement entraîné une nouvelle vision de la réalité, élément de situation et devient ayant ainsi un significatif indispensable pour accéder au niveau du sens global du récit. Nous pouvons le vérifier à l'aide de deux exemples tirés de deux récits La du deuxième groupe : El fuego interrumpido et col umna. Dans La columna, un enfant qui vient d'atteindre l'âge de la puberté évoque l'image de l'homme qu'il croit être un simple ami de sa mère : "Pensaba que Isldro, alla adentro, le estaba hablado a su madré con la frente. No le gustaban los ojos de Isldro, pero no porque fuesen huidizos como los de la madré sino -155- por la frente. Era una frente ancha, con un brilîo opaco hacia la parte en que nacia el cabello. Ténia unas arrugas profundas, como labios, en el aedto y cerca de las sienes. Pocas veces habia oido bablar a Isldro pero se le ocurrîa, recordando las palabras, que la voz brotaba de la frente, de las arrugas, mien tras la boca permanecïa cerrada. El nombre ténia los ojos altos y costaba llegar a ellos porque parecia que allé los ojos tenian resplandores sûbitos y desconocidos, quizâs como la sensaclôn ess: multipllcada en lo alto de la columna." ' C'est tout ce que l e narrateur nous d i r a sur l'aspect physique du personnage dans la nouvelle. Mais à l a fin du r é c i t , lorsque l'enfant volt du haut du p i l i e r l'homme et la femme nus sur l e même l i t et découvre â la fois la nature de l e u r s rapports et la sensation intense de son propre sexe, ces t r a i t s , l e s yeux et l e front, reviennent m a t é r i a l i s e r un double l i e n : celui de deux adultes, v i s u a l i s é comme une contamination de l ' a s p e c t du front de l'homme atteignant l e visage de la mère ; celui de l'homme et de l'enfant lorsque l e s yeux d ' I s l d r o fixés sur la lucarne surprennent l'enfant au moment où i l franchit s e u i l du monde des adultes : "Se aferrô fuertemente a la columna poniendo todo su cuerpo contra ella para apurar quién sabe hasta adonde aquella horrible e Inévitable sensaclôn. Y en vez de mirar hacia la estatua, que habia comenzado ya a mostrarle el caballo y parte del jtnete, miré hacia la habitaciôn de la madré por la banderola abierta. El ventilador giraba enloquecldo. Ella estaba desnuda, boca arriba, con los ojos cerrados y un sudor en la frente que le daba un brillo similar a la frente de Isldro. El, con los ojos abiertos, a su lado y desnudo también, parecia estar mirando hacia la banderola."<s,e:' -156- le Dans El fuego interrumpidot dansent et s'amusent un enfant perçoit l e s personnages qui dans une fête familiale comme étant entourés d' une auréole de beauté magique : "Las guitarras comenzaron a tocar. El se para para ver mejor los hermosos ojos de su tîa, esperândolos en cada glro. La apariciûn de los ojos duraba un Instante para perderse luego en las compllcaciones de la danza, pero de pronto, al final de un giro, aparecîan largos y morenos, coma si en el medio estuviesen Uenos de luz,"'9'1'* Quand la fête se termine, chronologique des adultes, l e processus de découverte du temps base du monde r é e l opposé au monde des enfants, domaine du merveilleux et de l ' é t e r n e l , touche également à sa fin. Les yeux de la tante réapparaissent l ' é v o l u t i o n du regard de l ' e n f a n t , alors pour signaler capable maintenant d ' é t a b l i r une séparation entre l e s apparences et l e s r é a l i t é s q u ' e l l e s cachent : "En el espejo del bafio via los ojos de la tîa Elena. Uno de sus ojos era redondo y pequefio ; con un algodôn se sacaba la ptntura del otro ojo, largo y rasgado.*30* Nous pouvons dégager des deux exemples cités une autre c a r a c t é r i s t i q u e des personnages de Moyano : ce sont des personnages qui évoluent parce que chaque r é c i t est l ' h i s t o i r e d'un apprentissage. Cette affirmation n'est pas seulement applicable aux nouvelles que nous avons appelées du premier exil mais à l'ensemble de l'oeuvre. Les narrateurs et l e s personnages sur lesquels est focalisé l e r é c i t ne cherchent pas à exercer une action quelconque sur leur contexte ou sur l e s autres personnages ; leur but principal n ' e s t pas d ' a g i r mais d'apprendre. Confrontés à l'humiliation, -157- à l a violence et à l'absurde Ils pourront les subir mais Ils ne cesseront de se poser des questions et d'essayer de comprendre ; vivre, renonçant ils se réservent éternels apprentis du métier de une part d'espoir et de liberté en ne jamais à l'élan qui les pousse vers l'exploration des vérités rendues invisibles par l'écorce des conventions ou le discours du pouvoir. Pour y parvenir, le personnage adulte emprunte des voies différentes et complémentaires. Lorsque la voie rationnelle s'avère inefficace il fait un retour en arrière pour rechercher les voies que l'enfant partage avec l'homme primitif et le poète et dont il s'est écarté depuis longtemps. Arrivé à la maturité, l'enfant que nous voyons dans ces premières nouvelles de Moyano en train de perdre ses écrans protecteurs, tentera de récupérer les capacités perdues lors de l'apprentissage de la socialisation et de revenir à son temps mythique pour y puiser la force de la curiosité et de l'authenticité. Mais les retrouvailles avec les terres de l'enfance, la patrie originelle, sont seulement rendues possibles par une excavation du présent qui a été explicitement formulée par Pavese : "Y para recobrar este estado, mes que un esfuerzo mnemônico se requière una excavation en la realidad actual, un desnudamiento de la propia esencia. Si hemos visto con claridad nuestro fondo, no podremos no haber tocado tambiên lo que fuimos de niffos. En este punto de la indagaciôn el tiempo desaparece. Nuestra niffez, el resorte de todos nuestros estupores, no es lo que fuimos sino lo que somos desde siempre."'3193 Ismael, dans Una luz muy lejana, plonge dans les origines de son identité pour récupérer ce qu'il y a de plus précieux en lui-même et pour redéfinir son projet de vie. Sa réussite représente le salut -158- auquel tendent les personnages de Moyano mais qui sera pleinement vécu lorsqu' 11 dépassera les limites de l'individuel et deviendra le salut de tous : d'un groupe, d'une société, d'une culture. Les personnages adultes de Moyano essaient donc de rattraper ce que les enfants des nouvelles du premier exil ont perdu ou refoulé. Les pertes touchent plusieurs aspects de l'image que l'enfant a de lui même et des adultes qui l'entourent. La majorité des nouvelles situent les enfants dans exceptions: Otra leur vez première, inspirée milieu familial. Vafika et Paricutâ. Il y a seulement deux Nous avons déjà parlé de la d'un souvenir d'enfance de Moyano. Ce que l'enfant perd dans la maison de redressement, c' est la confiance dans la justice qui cède la place à la peur du pouvoir. Dans Paricutâ deux frères se retrouvent dans un internat gratuit pour enfants de familles pauvres. Le plus petit, un enfant handicapé, n'a pas encore l'âge requis mais les parents ont menti pour qu'il puisse avoir droit aux repas fournis par l'institution. Toute la nouvelle est articulée sur l'alternance de deux mots : inmolaciân, comprendre , et Curupayti celui qui devient Paricutâ que l'aîné voudrait dans la langue du plus petit. Trahi par les imperfections de son langage, l'enfant handicapé sera chassé de l'école. Le frère aîné comprendra alors le sens du mot inmolaciân et apprendra que les plus faibles n'ont même pas le droit de s'immoler ; ils ont déjà été immolés par les lois des plus forts. Malgré enfants, la différence l'unité caractéristiques du des groupe milieux des auxquels nouvelles déjà citées : focalisation est appartiennent assurée par les les sur le personnage de l'enfant, séparation des personnages en deux mondes opposés, histoire -159- privilégiant le moment qui s'ensuit. du saut vers l'espace des adultes et la perte Nous y ajouterons une autre caractéristique formelle bien qu'elle ne soit pas spécifiquee de ces nouvelles du premier e x i l mais commune à toutes l e s oeuvres de la première époque: la fonction testimoniale du narrateur* 40 'par laquelle i l intervient en tant que commentateur dans l ' h i s t o i r e narrateurs de Hoyano. Il racontée, en est de apparaît rarement même pour la chez fonction les de communication. Nous avons v é r i f i é seulement une fois sa présence dans l e cycle des fictions autobiographiques avec l'exemple de la dernière nouvelle où le ton de 1' aveu et 1'illusion de proximité physique créée par la forme verbale (escucheri) rendaient naturel l'appel à l'attention du lecteur. Le premier & avoir signalé l'effacement du narrateur dans ces premiers récits de Mbyano a été Roa Bastos. l'existence premier I l a également observé de deux plans narratifs qui sont complémentaires : un plan presque sans relief et, par derrière, le plan du suggéré : "El autor no interviene, comenta, interpréta ni explica nada ; se limita a disponer la presencia de las cosas, de los seres, de los sucesos, segûn la perspective de una mlrada como abstraida en otra inquietud, en otra vision. Gradualmente, a medida que la receptividad del lector se acomoda a la difracciôn, se le révéla otra perspective, mucho mes rica y compleja, a la manera como sucede en algunas narraciones de Melville o de James. Las dos irân desarrollando un sordo contrapunto, sosteniêndose e impregnéndose hasta engendrer una tercera dimension, hecha a la vez de presentimiento y de memoria. Aquî se desarrollan otros acontecimientos que no se narran pero -160- que acaban contaainando la atnôsfera de los relatos con un soplo secreto y ominoso"** ' •' Le suggéré, le niveau le plus riche du récit, s'appuie sur des éléments qui semblent à première vue secondaires et même négligeables. Très souvent 11 s'agit d'objets, de matières et aussi de bruits qui font partie du décor. La statue que l'enfant de La Espéra voit d'une façon fragmentaire et qu'il s'efforce de reconstituer dans sa mémoire, traduit son impossibilité de reconstituer 1' image paternelle à partir des données contradictoires dont il dispose. Les fenêtres et le son des sabots des chevaux dans Clac clac frontières entre la événements que tout vision en disent beaucoup plus sur les enfantine et la vision adulte l'énoncé du récit. Dans El Fuego des interrumpido, l'éclairage de la maison où se déroule la fête, les étoiles, la lune, le feu de bois et l'éclat traduisent des yeux de la mère et de la tante la fulguration du paradis de l'enfant où la flamme de l'éternité s'éteindra lorsqu'il aura intégré la notion d'interruption et donc de mort. Le corps du chien de La columna, tout en sang, les viscères déchiquetés, expriment ce que le narrateur ne mentionne pas : la déchirure du garçon qui découvre simultanément son sexe et la vie sexuelle de sa mère. Dans la même nouvelle, la contiguïté de plusieurs éléments : le couple nu, la honte suggérée par le regard de l'amant et la chute de l'enfant après l'expérience vécue en haut du pilier, déplacent le subtilement récit vers un parallèle avec le mythe biblique du péché originel, de la chute symbolique de l'homme et de son exil du Paradis ; et dans El phrase de la nouvelle, fuego interrumpido, la dernière en italique dans le texte : " Era -161- una vergtienza larga, de muchoe atios. Algo que lo sobrevivïa", autre dimension à l'histoire. ajoute une Il s'agit de la citation, seulement signalée par le changement des caractères, d'une phrase de Kafka tirée du Procès. L'intertextualité vient souligner l'entrée de l'enfant dans un univers où le sentiment de culpabilité qui dépend des normes morales établies bien avant sa naissance accompagnera désormais le regard qu' il porte sur lui-même. La coexistence des deux niveaux narratifs distingués n'implique pas toujours un parfait équilibre entre l'importance que chacun d'eux acquiert dans les récits. Dans les nouvelles de El fuego interrumpldo, le niveau du suggéré est plus riche que celui de l'explicité. Dans Los mil dîas, une nouvelle appartenant à La lombrlz, c' est en revanche le premier niveau, avec des références fréquentes au contexte extralittéraire qui prend le dessus. Les allusions au temps chronologique et à 1*espace géographique nouvelles du premier exil plus précises. de l'histoire, qui dans toutes les sont très vagues, deviennent ici un peu Cette nouvelle présente pour la première fois un personnage destiné à avoir une descendance nombreuse dans l'oeuvre de Moyano : le grand-père. Il apparaît dans Los mil dîas sous les traits d'un grand-père italien, inmigrant en Argentine et responsable des nombreux petls-enfants de pères inconnus que ses filles ramènent à la maison paternelle. Son lien avec l'enfant qui est au centre du récit, lien fait de tendresse et de confiance, est très différent de celui que nous avons observé dans les rapports des enfants des autres nouvelles avec leurs vrais pères où leurs pères substituts. La -162- force Intérieure du grand-père représente une note positive Inhabituelle chez l e s adultes de Moyano mais qui deviendra une constante dans la caractérisâtIon des v i e i l l a r d s des récits suivants. A côté du grandpère apparaît le coffre avec sa réserve de pièces de monnaie suffisante pour nourrir la famille pendant mille jours. I l garde aussi l e s souvenirs des vieux jours et un portrait de la mère de l'enfant. Le passage est important parce que le personnage de la mère est le grand absent de ces récits. Seulement en ébauche, très éplsodlque, ce personnage n'atteint jamais la force des personnages masculins ; comme dans cette nouvelle, i l n'est qu'une image diffuse accompagnée i c i du meilleur exemple de la symbolique du père absent : "El abuelo sacû un retrato y se lo dio. Tu madré', le dijo y siguiô hurgando. Nunca habïa vlsto esa foto. Estaba ajada, amarillenta. La madré tendrîa entonces unos dieciocho affos. Sonreia. En la mano ténia una ramita de laurel. Frente a la madré, que estaba sentada en una silla en medio del patio, se veîa una sombra large, la del fotôgrafo.'iVes esa sombra? Es tu padre.' El nifio no contesta nada. Miraba la fotografîa perplejo y no podia saber que lo que sentis era una especie de terror incomunicable, arcalco, genéslco, no tanto por la foto sino por todo, por esos documentos del tiempo que habïa en el baûl inevitablemente envejecldos. Era como si la muerte que el temîa saliera del interlor del mismo."**** Ce récit reste t r è s marginal par rapport aux nouvelles qui racontent des expériences d*enfance. Le narrateur ne fait pas seulement l e récit d'un moment de la vie de l'enfant, 11 connaît l e s empreintes l a i s s é e s par sa relation avec l e grand-père et l e s évalue en tenant compte d'événements qui ne sont pas précisés : l'enfant devenu adulte a pu s'accrocher à ce souvenir sécurisant chaque fois qu'il a été confronté -163- à des épreuves pénibles. Le bilan positif de l'expérience suffit à considérer cette nouvelle comme une exception parmi les récits consacrés au monde des enfants. 2.2.3. Les récits de l'exil dans la ville Dans les deux groupes précédents, les personnages et les situations ne dépassaient pas en général le cadre familial ; dans celui-ci, c*est une ville anonyme qui sert de cadre aux nouveaux personnages. Ce sont presque tous des laissés-pour-compte qui végètent dans de petits hôtels ou dans des logements collectifs projetant sur les autres leurs propres frustrations. Parfois ils viennent milieu rural proche de la ville ; ils peuvent être aussi d'un des déclassés qui ont perdu leur niveau d'origine et se sont prolétarisés, des chômeurs partageant leur marginalité avec les victimes de l'exode rural, des apprentis-écrivains tiraillés entre le rêve et la faim, de petits employés enfermés dans la routine. Les récits de Artistas de variedades et de La loabriz que nous pouvons classer dans ce groupe de nouvelles apparaissent comme une ébauche de différents Una luz muy lejana. Ils développent tous des aspects de la même situation : un homme isolé dans une grande ville constate l'effondrement de ses espérances et devient souvent une victime de l'aliénation. Avec El monstruo Moyano commence à explorer le monde du travail, gris et mesquin, de la petite bourgeoisie. La nouvelle de l'apparition -164- d'un ê t r e monstrueux dans un dépôt de bols au Nord du pays s u s c i t e chez l'employé d'une banque un i n t é r ê t passionné. Il découpe a r t i c l e s de journaux et de revues se rapportant à l ' a f f a i r e , les constitue un dossier, interroge l e s r a r e s personnes qui ont pu voir l e monstre et fabule inlassablement sur ce qui peut se cacher sous son apparence : "Al dia sigulente me sorprendi pensando que quizâs las grandes bestias, marinas o terrestres, tenian de horroroso solo el aspecto, y quiên sabe hasta dônde. Y estaba convencido de que no habîa ningûn furor en sus aimas y que en cambio estaban llenas de un gran amor que solo podîan expresar a travês de rugidos."<ASI> Ce qui est pour l u i l'exceptionnel, la p o s s i b i l i t é de découvrir l a nature de n ' e s t pour ses collègues de t r a v a i l que r é p é t i t i o n et banalité ; ses t e n t a t i v e s pour leur f a i r e partager son enthousiasme deviennent gênantes et plus i l fabule autour de l'événement plus i l se donne en spectacle et r e c u e i l l e de désapprobations. Le discours du gérant, résume dans le récit l'uniformité du regard usé par routine : "Ud. tabla y obra como si este fuera el ûnico en el mundo. Me parece que exagéra un poco. Podrïa argilir que por sus caracterîsticas este fenômeno es realmente inusitado, pero yo puedo asegurarle que en el fondo es el mismo de siempre. (,..)Yo me he acostumbrado a verlo todo con el molde que me for je ante mi primer contacto con las cosas, y asi nunca he tenido problemas de fondo. Claro esté, Ud. ve al monstruo solamente, y comète entonces un grave error de percepciôn. Ya se acostumbrarà a ver cualquier fenômeno aparentemente inusitado sin alterar en nada su vida cotidiana.***» -165- la La nouvelle met en parallèle deux évolutions : celle du monstre et celle du narrateur. Le monstre fait d'abord la une des journaux qui lui consacrent de nombreux articles illustrés par des photographies. Il passe après à la rubrique spectacles et à la fin, il est relégué à celle des nouvelles régionales. A travers les commentaires de la presse il est possible de suivre son histoire depuis le moment où il a été découvert : les autorités on fait appel à quelques scientifiques dans le but de l'étudier, l'ont exhibé sur une place publique où il a attiré une foule craintive, puis moqueuse ou indifférente. Son aspect extérieur a changé et il s'immobilise, s'ossifie devant les quelques curieux qui viennent encore le voir. La situation du monstre est le miroir de l'évolution du narrateur. Il se fixe aussi dans le silence et l'apathie, il adopte le regard de ses amis pour ne pas être comme le monstre, anormal, différent : "Yo tambiên habîa perdido gran parte de mi interés. Pensé que no habîa un hecho capaz de asombrarnos y me cuîpé a ml mismo de exaltado. Sentla una gran vaciedad y muy pocas ganas de marcharme pero ténia todo preparado y la licencia concedida. El dîa llegô por fin. Llevaba conmigo todo lo que pudiera servir de interés o de guîa. Cuando me asomé por la ventanilla del tren que ya partis, los paRuelos blancos saludaban. Pero no a mi. Nadie habîa ido a despedirme y muy pocos sabian de mi partida. Yo alcê la mano sin embargo y saludé à la invisible multitud como queriendo decirles algû."***3 Lorsque le personnage est en mesure d'entreprendre le voyage qui le rapprochera du monstre, la révélation exceptionnelle n'aura pas n'existe lieu, plus. car le regard qui Comme le monstre, -166- aurait le pu narrateur la a de là réalité rendre émis possible des sons Inintelligibles avant de se taire définitivement, une fois intégrée 1'indifférence de la majorité : "No habîa pasado nada. Los hechos al produclrse morian en el acto."<**> Un thème semblable et traité comme le précédent à l'aide d'une allégorie apparaît dans Artistas villageois installé depuis de variedades. Ismaël, le jeune quelques années dans un centre urbain, a déjà épuisé la réserve des merveilles offertes par la ville et se résigne à la routine de loisirs qu'il ne choisit pas et aux étreintes rapides avec les femmes de ménage des quartiers riches. Un spectacle de variétés vu à travers une clôture, le met à nouveau en présence du merveilleux. Lorsqu' entraîné par sa compagne occasionnelle il doit s'éloigner du spectacle, il parvient à saisir une dernière image, celle de l'homme aux mille visages. Cette vision lui semble la preuve de l'existence du miracle auquel il s'attendait lors de son arrivée en ville : pouvoir changer de visage, ne pas se figer dans sa première apparence. La quête du merveilleux et l'éblouissement d'Ismaël face à de médiocres artistes de variétés rapproche cette nouvelle de Moyano d'un texte de Cortâzar intitulé Hay que ser para**73. verdaderamente idiota Comme Moyano, Cortâzar oppose la vision naïve de la réalité, source d'étonnement et de plaisir, à l'attitude critique qui opère par classements, comparaisons et jugements de valeur effaçant ainsi le plaisir. Les deux textes revendiquent l'enthousiasme inséparable du sens du merveilleux comme une forme d'innocence créative, mais dans le -167- cas de Moyano, cloisonnements c'est et le la routine pragmatisme des travaux engendrés misérables, par la ville les qui neutralisent l'état de grâce du jeune Ismaël en quête de découvertes. Cortàzar, en revanche, met l'accent sur l'hypertrophie de l'Intellectualisme rationaliste. Mais si les causes sont différentes suivant chaque auteur, la démarche est la même. Pour atteindre le stade privilégié des premières révélations, il est nécessaire de retrouver le regard de l'enfant. Cortàzar y parviendra à travers le jeu. Moyano, lui, s'appuie sur une sorte de foi perceptive : en se fiant aux seules ressources de la perception on peut atteindre une forme de connaissance directe qui révèle le merveilleux caché sous des couches de regards usés. Dans l'un des derniers romans de Moyano, le thème réapparaît avec quelques variantes. En effet, le timonier de Libro de navlos borrascas, essaie de dépasser la perception des merveilles simples et quotidiennes en proposant de les créer comme une compensation à la folie meurtrière du pouvoir. El joven que fue al cielo de base de Artistas et Nochebuena reprennent la situation de variedades avec quelques différences dans le cas du personnage du second des deux récits, personnage qui n'est plus un jeune homme naïf mais un adulte encore tourmenté par les souvenirs de sa vie antérieure. Cette nouvelle peut, de ce fait, être mise en rapport avec La lombrtz et Una part Ida de tennis mais elle annonce aussi les personnages de Marta et Teodoro dans le premier roman que certains aspects de El employé oscuro. Il s'agit de l'histoire ainsi d'un de mairie, vieux-garçon solitaire, réfugié dans ses petites habitudes. Il se croit à l'abri des séquelles d'une période difficile -166- de sa vie mais craint la rencontre avec des membres de sa famille qu* il trouve indignes de lui. Dans une ambiance semblable à celle de Una partida de tenis, le récit met l'homme face à la matérialisation des fantômes de son passé la veille de Noël. Le geste fraternel d'un voisin lui offrant un verre de cidre et un bout de pain le soir de Noël est la seule compensation à sa détresse. Ce geste prend dans la nouvelle le sens d' un rapprochement presque miraculeux dans la vie du personnage. Eduardo Romano'*60, le critique argentin qui s'est le plus intéressé à l'oeuvre de Moyano, et R. Barufaldi**9*, argentin lui aussi, ont remarqué que Nochebuena et en général tous les récits de deux premiers recueils ont une charge éthique et religieuse très importante ; sujet de l'américain Stephen Cliton(so> fait la même remarque au Una luz muy lejana. Ces opinions peuvent être confirmées par quelques unes des citations déjà faites au cours de cette partie de notre travail car la réitération des mots à résonance religieuse tels que ciel, enfer, crucifixion, péché, salut, est évidente dans les fragments transcrits. L'origine de l'utilisation de ces mots peut facilement être attribuée à l'éducation protestante de Moyano, ce qui expliquerait aussi sa prédilection pour Hawthorne dont les terreurs morales et la confrontation obsédante de 1'innocence points communs avec les premiers et du mal ont beaucoup de récits de notre auteur ; la disparition de ces mots et du sens religieux dont ils sont porteurs, -169- vérifiable dans les romans et nouvelles de la deuxième étape de l'oeuvre , est aussi signalée par Romano. 11 nous semble pourtant que quelques textes de la première période annoncent déjà le changement par une progressive laïcisation de la symbologie chrétienne, surtout à partir du deuxième recueil. Le cycle des fictions autobiographiques peut nous fournir des exemples suffisants pour essayer de le vérifier. Nous avons déjà observé le fait que La puerta, dans La partida de tenis et les portraits de l'oncle et de ses enfants sont présentés selon une optique très influencée par la notion de péché. Le premier des deux récits raconte un moment de la vie d'un personnage essayant d'échapper à une famille qui l'a "contaminé" et condamné à l'enfer. Dans le deuxième, un adolescent voit la misère et la corruption comme une prédestination à l'enfer que l'on peut partager avec l'être aimé. Les narrateurs de La lombriz font indirectement la critique du point de vue antérieur par le biais de la critique des récits de Mat las. Celui-ci comprend tardivement que son oncle a été la victime d'un problème touchant tout le village et la responsabilité individuelle commence ainsi à se déplacer vers les conditionnements sociaux. Dans la nouvelle, la compréhension de ces faits ne change pas la qualification morale de l'oncle. Le geste de bonté que le narrateur imagine a la valeur d'un acte de rédemption. Les mots infierno, elegidos, cielo signifient toujours châtiment ou récompense divines. A partir de cette nouvelle, l'appartenance de la famille à un milieu où les actes individuels sont, en grande partie, les résultats -170- de ces conditionnements, racontées. C'est le constitue le cadre de toutes les histoires cas des ultérieurement et qui font recueil examiné sous déjà crucifixion apparaît dans fictions partie de d'autres l'une des autobiographiques El fuego angles. nouvelles écrites interrrumpido, Le au un symbole de la sujet de la formation religieuse de l'enfant. La notion de péché, en se déplaçant ici vers les besoins d'affection, annule sa signification religieuse première. L'enfant comprend, par ailleurs, que le péché est une notion relative et subjective. Détaché de son sens religieux, le mot crucifixion deviendra désormais le symbole des souffrances que doivent endurer les hommes et perdra ses liens avec les notions de péché et de rédemption. Mais, avant ces trois récits, El joven nouvelle de La lombrlz témoigne aussi de que fue al cielo, la même progression. une La situation du personnage central de l'histoire et le milieu urbain où il évolue, placent le récit dans notre troisième groupe. Un jeune écrivain au chômage, au bout de ses forces et n' ayant rien à manger, fait le projet d'écrire sa dernière histoire en attendant la mort qui le mènera au ciel. Il rencontre un ami prédicateur désireux de le convertir et accepte son invitation à une réunion de la secte. Dans un décor qui essaie de recréer le paradis sur terre avec des plantes en papier, des couples nus miment les gestes d'Adam et Eve. Sur la table, le Jeune écrivain trouve ce dont coca-cola. Oubliés le ciel et il a besoin : des sandwichs et du la littérature, paradis des affamés et des marginaux : -171- il a accès au vrai "Entonces llorâ, sin dejar de corner. A él también lo admltîan, pues, y de allï en adelante serïa uno mes entre todos, podrfa hacer lo que quislese y participar de lo que sin duda el mundo prodigaba lncesantemente a todas sus criaturas."**'13 Dans ce récit le mot clelo qui avait le sens religieux de récompense et de salut dans les trois premiers récits, devient le lieu où la marginalité cérémonies gloires de la célestes, cesse. Par ailleurs, dans la description des secte et dans le portrait du naïf candidat aux commence à pointer un humour qui libère des angoisses métaphysiques. Ce procédé, peu employé dans la première partie de El trino l'oeuvre déviendra à partir de del diablo une caractéristique constante des récits de Moyano. Sur la base de ces observations, il nous semble possible d'affirmer que, dans la mesure où l'écrivain fait plus de place au cadre social de l'histoire racontée et ne se limite pas à la perspective intimiste, les symboles religieux se déplacent vers un sens laïque et servent à définir les rapports de l'homme avec son entourage. Cela expliquerait peut-être la disparition de ces symboles dans la deuxième étape de l'oeuvre, plus ouverte à des problèmes collectifs. Les images d'ascension et de chute, l'identification du haut avec tout ce qui veut dire délivrance, joie, force créatrice et du bas avec le poids de la souffrance, de l'échec et de la mort, images qui reviennent fréquemment dans les derniers récits de Moyano pourraient être envisagées comme des traces des anciens symboles disparus. -172- 2.2.3.1. Le roiwin de l1 identité aperçue Una luz muy lejana s* inscrit dans la lignée du appelé aussi roman pédagogique, de formation, d'éducation. Le roman de Moyano rejoint Bildungsroman d'apprentissage, ou le genre au moment où celui-ci, contrairement aux linéaments que les écrivains du XVIIIe siècle lui avaient donnés, a depuis longtemps déjà changé d'orientation : l'objectif de suivre la formation d'un jeune homme jusqu'à son accomplissement personnel dans le contexte du bien commun, est entièrement détourné et le roman dresse le constat d'échec de la société à laquelle le jeune homme appartient et fait du héros un anti-héros. Le protagoniste du roman est Ismaël, un provincial très jeune, presque un adolescent, qui arrive dans une grande ville pour trouver du travail et faire son éducation. Dans ce roman, construit comme un passage, le premier chapitre en est l'entrée et le dernier, la sortie. L'auteur l'indique avec les noms: Entrada et Salida, il reprend partiellement dans le dernier le texte du premier et les changements apportés explicitent les résultats de l'expérience vécue. Chacun des chapitres situés entre les deux, constitue une étape de l'apprentissage fait par Ismaêl au contact d'un autre personnage du récit. Mais l'entrée et multiplient à l'intérieur la sortie qui encadrent l'histoire se du roman par les entrées et sorties du logement collectif où les personnages habitent. Dans la maison, la citerne au centre de la cour reproduit, par un effet de mise en abîme, la ville entière vue par Ismaël dans le dernier chapitre comme un puits d'où il émerge après avoir fini son apprentissage : -173- "Las grandes avenidas terminaban, y comenzaban a verse animales, como pacîficos vlgîas de la ciudad. Vacas y caballos, perros y gatos yacian aqui y alla, en los bordes, con sus formas perfectamente deflnidas, como esperando pacientemente el momento de volverse nombres y bajar hacia la ciudad, hacia una vida que quizâs vislumbrasen maravillosa. De pronto fue como si la boca de Chacun se cerrase y los trenes desapareciesen y todo volviese a la oscuridad. Estaba saliendo del pozo."<BSi Ce fragment contient un bon exemple de l'utilisation des images d'animaux dans les récits de Moyano. Près de la ville, ces formes subhumaines mais définies, méritant les merveilles contredisent s'enfoncer attendent le dans de la d'évoluer pour devenir des hommes civilisation. privilège attendu : le habité par puits les Les animaux les êtres plans vont spatiaux descendre supérieurs. La déterritorialisatlon des animaux est en fait une involution, la même qu' Ismaël découvre chez les hommes déracinés de la ville. Le choix final d'Ismaël, quitter la ville pour regagner le désert, est déjà annoncé par le nom du personnage. Grand lecteur de Melville, Moyano a choisi pour le protagoniste de son roman le nom du narrateur-témoin de Moby Dick. L'Ismaël de l'écrivain américain s'exile du monde occidental et devient matelot pour explorer des côtes barbares et naviguer sur des mers interdites. Achab, il rencontre finalement l'amitié et Dans son voyage avec la solidarité en la personne de Queequeg, un noir primitif qui lui apprendra les vérités essentielles Queequeg oubliées par les blancs civilisés. représente la possibilité d'établir Et si la vie de des liens authentiques avec les autres, sa mort est presque l'enfantement du nouveau Ismaël : -174- l o r s du naufrage, i l échappe à l a mort grâce au cercueil f l o t t a n t de son ami. Dans Una luz muy lejana, l e double de Queequeg est l e père indien de Jacinto. Celui-ci est un métis a r r i v é comme Ismaël dans la v i l l e pour fuir la pauvreté, mais assez fort pour ne pas renier ses racines. C'est l e seul personnage du roman qui ne perde pas son i d e n t i t é et qui ne soit pas vraiment un e x i l é malgré l e mépris dont i l est l'objet dans une v i l l e qui se veut blanche et moderne : "Los mozos del bar vivîan burlândose del otro lavacopas por su modo de hablar, por su traza évidente de nombre de tierra adentro. Le pedîan con sorna que bailase algc criollo (el otro no hubiera sabtdo cômo mover las piernas), que contase como habia visto la luz mala. A todo esto el lavacopas permanecîa callado y su rostro se tornaba enigmético, adquîriendo, con el sllencio, algo de poder, algo de cosa inconmovible. (...) Y con cada escarnio que le hacîan al otro, él pensaba que se habia salvado, puesto que era como Jacinto y sin duda merecîa que lo escarneclesen. Se habia salvado quizés por su aspecto, por su piel no tan morena como la del otro, por su manera de hablar, que apenas disimulaba un acento lugaretlo."tss> La v i l l e où se déroule l ' h i s t o i r e peut ê t r e i d e n t i f i é e à p a r t i r des r a r e s informations fournies par l ' a u t e u r . années quarante mais son nom n' apparaît pas C'est dans la Côrdoba des le description f a i t e par l e narrateur de Una luz muy lejana roman contient pourtant l e s éléments suffisants derrière les traits de la ville qu'Ismaël pour l a contemple roman. La au début du reconnaître depuis bordure : "Desde los bordes, adonde le gustaba ir a sentarse durante horas para mirar, la ciudad parecia distinta. El humo y los -175- la vapores y los gases formaban una especie de niebla que mezclaba las cosas : el rîo con las calles, los vehïculos con las personas, los edlflcios con el cielo. Las Iglesias, generalmente altas, parecîan otras tantas fâbricas despidiendo humo por sus chimeneas. La ciudad, ademâs, ténia una gran auréola, como si fuese la cabeza de un gran santo. Era un humo mes sutil que el de las chimeneas, como una luz gastada. El mismo estaba ahora dentro de esa auréola, que comenzaba justamente en los bordes donde terminaba la ciudad y se extendîa, debilitândose hacia el desierto inmediato. La ciudad parecîa, asi, una especie de disco radiante en medio del pâramo."**** La hauteur présence d'une des é g l i s e s , rivière dont leur le alternance maigre débit avec l e s est usines, décrit la dans le paragraphe suivant, et surtout l e désert voisin, ne peuvent qu'amener l e lecteur a t t e n t i f à l'identification i n d u s t r i e l l e d'Argentine modeste r i v i è r e . de Côrdoba, la seule ville b â t i e dans une dépression parcourue par une Buenos Aires, Rosario et Santa Fe sont chacune l e port d'un grand fleuve : l e Rio de la Plata, est l e Parana et l'Uruguay. L'allusion à l'auréole une autre p i s t e importante renvoyant l'histoire de la v i l l e et à l'image que l e r e s t e du pays se à fait d ' e l l e : Côrdoba, la v i l l e des é g l i s e s et la plus traditionnellement catholique depuis l'époque de la fondation de son Université par l e s Jésuites. En ce qui concerne le temps historique événements racontés dans Una luz muy lejana, où se situent les i l peut aussi ê t r e déduit de quelques informations éparses dans l e texte. La plus importante et c e l l e qui permet de s i t u e r l'époque avec assez d'exactitude, se trouve dans une scène du roman : -176- "El era el ûnico que podia ayudarla, y necesîtaba que le escribiera una carta. Le alcanzaron una hoja rayada, una pluma y un tintero. La mujer dicta : 'Querida seffora'. Después dijo : 'No, no ponga eso ; ya lo puso ? Borre entonces. A ver, por ejemplo, ponga madré m£a. Pero no, ponga mejor, querida Evita. Eso le va a gustar mes. Querida Evita : con la manu en el corazôn recurro a Ud ... recurro a Ud ... para que ayude a una pobre mujer con un marido enfermo y dos hijos que alimentar. £Va bien?' 'Que letra hermosa, que mano de oro', dijo cuando se la entregô para que la firmara. Después tuvo que hacer el sobre. Seffora Eva Peron, Presidencia de la Repûblica, Buenos Aires."**" > Ce fragment du texte permet de situer l e s événements durant la première présidence de Perôn, qui va de 1946 à 1952. l'époque Interne où la migration consécutive C est aux donc efforts d'Industrialisation et au relancement de l'économie argentine après la Deuxième Guerre mondiale, entraîne 1'explosion démographique de Côrdoba. Le processus a déjà débuté quelques années auparavant et a touché non seulement l e s v i l l e s de l'Argentine mais toute l'Amérique Latine. Depuis la crise de 1930, l e s régions rurales et l e secteur ouvrier place payent durement l'ajustement des mécanismes financiers mis en pour compenser les conséquences du krach de la bourse newyorkaise. La situation des pays industrialisés se répercute sur l e s pays dépendants possesseurs de et la ceux-ci, richesse, pour préserver instaurent des les traditionnels régimes autoritaires destinés à faire subir aux classes populaires l e s conséquences de la crise. Le coup d'Etat du Général Uriburu en 1930 et l e s gouvernements -177- de cette décennie qui est évoquée en Argentine sous le nom de infâme" "década sont les résultats de la crise Internationale. D'autre part, la baisse des Importations pousse à développer certaines industries et â faciliter l'Installation de capitaux étrangers là où l'Infrastructure des services le permet. La demande de travail commence donc à s'accroître dans les villes argentines déjà favorisées par la production céréalière, dont Côrdoba. L'implantation des nouvelles industries attire les migrants des régions limitrophes et ils arrivent de plus en plus nombreux dans des villes qui ne sont pas préparées pour répondre à leurs exigences de logement. Aux problèmes qui découlent de l'entassement de gens n'ayant en commun que leurs difficultés financières s'ajoutent les frustrations de ceux qui n'ont pu trouver l'emploi rêvé. Prisonniers de l'impossibilité de rester et de celle de repartir, ils végètent dans la grande ville qui les a déçus et qui les accepte à peine, même quand ils arrivent à surmonter le problème de l'emploi. La promiscuité à laquelle sont contraints les migrants internes apparaît dans Una luz muy lejana dans la description du logement où se déroule la plupart des événements de l'histoire. C'est le un mot d'une grande résonance dans l'histoire conventillo, et la littérature argentines. Moyano le décrit dans le deuxième chapitre du roman : "La fachada de la casa era ait a y amplîsima. En el medio, un arco grande, sin marco ni puerta y con el révoque parcialmente caîdo, daba acceso, a través de un zaguén de ladrillos, a un patio de tierra ancho y profundo, en cuyo centro habîa un aljibe. Hacia ambos lados habïa muchos cuartos con puertas de distintos colores, materiales y formas. Las habîa de madera, lata y arpillera montada sobre -176- bastldores. El patio remataba en un muro alto y oscuro. Contra él, y separados del resto de los cuartos, habîa dos mes, un poco mes chicos que los otros. En uno de ellos, una ventanlta cubierta con arpillera, semejante a las que daban a la calle, en la fachada, y que él no advlrtiô cuando bajaron del automôvil."***3 Au XIXe siècle, lorsque les premières vagues étrangers sont arrivés à Buenos Aires, le même problème d1Immigrants de logement se pose pour les nouveaux venus. Ils doivent partager les vieilles demeures coloniales désertées par leurs propriétaires à la suite d'une épidémie de fièvre jaune qui les fait déménager au quartier Nord, devenu depuis lors le quartier aristocratique de Buenos Aires. Ces maisons dites pompéiennes, car les pièces sont disposées en longueur autour des cours intérieures à la manière des maisons de la ville romaine, abritent des familles entières réduites à une seule chambre. Les propriétaires, pour augmenter leurs bénéfices, font cloisonner les vastes placer chambres au moyen de parois fragiles de façon a, pouvoir y un plus grand nombre de locataires ; quelques-uns, pour profiter au maximum de l'espace disponible, décident de bâtir des cabanes en bois sur les terrasses. La cour est 1' endroit où 1'on peut libérer les tensions créées au sein de la famille par la enfants sont tensions d'un contraints, promiscuité à laquelle les adultes et les mais elle est à son tour le centre de autre type : dans la cour se donnent rendez-vous des nationalités, des langues et des religions différentes. Les marginaux, les ouvriers et les petits artisans argentins côtoient les immigrants étrangers, la cour du conventillo devient la grande marmite d'où sortira la culture transplantée. Elle constitue le foyer des premiers -179- affrontements traduits plus tard théoriques La par les discussions, certes plus mais aussi moins colorées, sur l'Identité nationale. littérature argentine a fait sainete, du conventillo le décor du genre théâtral populaire d'origine espagnole d'où va surgir le grotesco crlollo, un genre proche influencé par le théâtre italien. Le roman naturaliste de la génération des années 80 s'est occupé de lui : il apparaît dans En la sangre, aussi un roman écrit au XIXe siècle par Eugenio Cambaceres sous l'influence de Zola . Il est très visible dans les narrations et la poésie du groupe de Boedo et dans les poèmes- d'Evaristo Carriego, le poète des quartiers populaires si admiré par Borges dans l'étape crîollista de son oeuvre. Moyano se place donc, avec son roman, dans une tradition littéraire née dans le Buenos Aires de l'immigration étrangère mais il la renouvelle en s1inspirant d'un milieu de province et d'un autre type de migrants peu mentionné par la littérature argentine. Quand l'industrialisation des années quarante attire vers la capitale les migrants internes, la ville est déjà saturée dans les quartiers de la banlieue proche du centre. D'autre part, l'installation des industries dans une banlieue plus éloignée, qui obligeait à chercher des logements proches des usines, est la cause de l'apparition des bidonvilles - les villas à l'arrivée des cabecitae la même époque, le negras, conventillo Miseria -, correspondant les métis des provinces du Nord. A dépeint par Moyano est seulement possible dans des villes qui n'atteignent pas la densité démographique de Buenos Aires, comme c'est le cas de Côrdoba. -180- L'arrivée massive des migrants internes, pour la plupart d'origine rurale, est à la base d'une transformation sociale qui ne se fera pas sans peine. J. L. Romero souligne la coexistence de deux sociétés s' affrontant dans un premier temps, cohabitant difficilement par la suite : "Una fue la sociedad tradicional, compuesta de clases y grupos articulados, cuyas tensiones y formas de vida transcurrîan dentro de un sîstema convenido de normas : era, pues una sociedad normalizada. La otra fue el grupo immigrante, constituido por personas aisladas que convergîan en la ciudad, que solo en ella alcanzaban un primer vînculo por esa sola coincidencia, y que como grupo carecîa de todo vînculo y, en consecuencia, de todo sîstema de normas : era una sociedad anômica instalada precariamente al lado de la otra como un grupo marginal."**7'* Comme dans le cas des immigrants européens du XIXe siècle, les contacts entre les deux sociétés se font dans les milieux populaires, ou par le travail ou par la cohabitation dans le même logement. C'est dans ces lieux de rencontre que les initiés éduquent les nouveaux venus et qu'ils deviennent leurs guides dans les mystères de la géographie urbaine. Nous retrouverons dans Una luz muy lejana ces deux types de société suggérés par quelques personnages . La société normalisée qui apparaît naturellement, hors du conventillo. habitent dans le roman, se trouve Ce sont les petit-bourgeois qui à proximité ou les patrons et les camarades de travail d'Ismaël dans ses différents emplois. Ces personnages ont beaucoup moins d* importance que ceux qui -181- entourent le protagoniste en permanence, que ce soit parce qu' ils cohabitent avec lui ou parce qu' ils sont des habitués de la maison. Le point de jonction entre les deux sociétés est marqué par les personnages qui rendent visite aux habitants du conventillo et qui par leur détresse morale ou physique ont réduit la marge des différences. Ils se nouveaux trouvent arrivés s'intégrer. conventillo à mi-chemin ou Beaucoup les entre la société normalisée laissés-pour-compte d'entre eux partagent qui avec ne les et les peuvent pas exilés du les mêmes exutoires de la misère : l'alcool et le sexe. Ces personnages médiateurs sont plus nombreux et Moyano leur donne des contours plus définis. Nous n'en retiendrons que quelques uns : Endrizi, ouvrier au chômage, malade et alcoolique, et sa femme (dont la lettre adressée à Eva Perôn illustre le paternalisme du couple dirigeant) ; Eusebio, garçon du bar où Ismaël a commencé à travailler à son arrivée dans la ville. Ce personnage concrétise l'un des premiers enseignements reçus par le naïf protagoniste sur les clefs de la réussite sociale : il est devenu le chef des autres garçons grâce à sa liaison avec la fille du propriétaire du bar et du haut de son nouveau grade il ridiculise les métis victimes de l'exode rural ; Mensaque, dont l'auteur suggère l'homosexualité vécue comme une maladie par lui-même et par les autres ; Marta, la femme aux jambes difformes qui fera l'éducation sexuelle d*Ismaël ; Chacôn, qui cherche dans l'écrasement des plus faibles - la prostituée, le chien une revanche à ses frustrations. -182- Dans l e canventillo sont i n s u f f i s a n t s arrivés dans habitent tous ceux dont l e s moyens financiers pour é v i t e r la promiscuité. la v i l l e ou l e s victimes d'une Ce sont l e s nouveaux descente dans l ' é c h e l l e sociale. I l s peuvent ê t r e des ouvriers (Peralta), de p e t i t s a r t i s a n s (Teodoro), des marchands de rue (Reartes) ou des sans emploi (Flaca). Conscients du r e j e t que leur présence s u s c i t e dans l e quartier, ceux qui proviennent d1 un niveau social supérieur cherchent à f a i r e remarquer l e s aptitudes ou l e s connaisances qui l e s différencient leurs compagnons d'infortune. La maîtrise de l a langue est, de dans l e cas de Teodoro, une manière d'affirmer sa s u p é r i o r i t é sur l e s autres : "-Oye- le dijo Teodoro- iHas alqullado el cuarto disponible ? -Si, pero dicen que voy a tener que comprar una puerta. -Yo puedo hacerte la puerta, porque soy carpintero, pero no creo que te convenga quedarte aqui. Eres muy Joven -El 'oyè' y el 'ères' de Teodoro le parecieron falsos todavîa, pero sintiâ que estaba acostumbrândose a oîrlos. Lo mirô sin responderle. -Yo estoy aqui- dijo Teodoro - por error. Porque la Flaca me engaflô y ademés no habia nadie todavîa. Pero esta es una pobre gente y no creo que tû seas como ellos. -No conozco otra gente- dijo él. -Aqui todos bordean la ley o la moral. No solo los que viven aqui, sino los que vienen, como Mensaque, por ejemplo, que no vive aqui pero que es una especie de saldo humano, fias venido a caer en lo mes sucio de la ciudad. Tû no ères de aqui iverdad?"**** Le voseo était encore dans les années quarante et même plus tard considéré comme une preuve d'inculture niveau oral, il avait délogé le tû, dans la langue écrite. Hais au réservé aux Instituteurs et aux professeurs qui l'employaient lorsqu'ils s'adressaient à leurs -183- élèves Les auteurs des pièces de théâtre et des feuilletons radlophoniques évitaient aussi le voseo. Teodoro adopte ce niveau de langue pour rendre v i s i b l e ce qui l e différencie des autres locataires et tombe de ce fait dans un ridicule qui reste seulement inaperçu du jeune Ismaël. Pour la caractérisât ion de Teodoro, l'un des portraits l e s plus réussis du roman, Moyano se sert d'un procédé que nous avons déjà signalé: i l dispose des objets s i g n i f i c a t i f s à proximité du personnage pour compléter sa description. Ici, c'est la bibliothèque de Teodoro qui fournit l e s éléments nécessaires : "Ismael recorriô con los ojos, mientras Teodoro se inclinaba pensâtivo ante la mesa, las largas hileras de libros, cuidadosamente forrados, en cuyos lomos flguraban, escrltos a mano con letras de inprenta, los nombres de los autores y los titulos. 'Las cien mejores poesïas lîricas de la lengua espattola' ; Obras complétas de O.S. Marden ; 'El borracho , ex el témulento' - Joaquîn CasteUanos ; 'El derecho de matar't 'Mamîferos de lujo', por Pitigrilll ; 'Rimas de Becquer' ; 'El tren expreso' - Campoamor ; 'Genoveva de Bravante' ; 'Cartas de Liszt a la condesa d'Agoult' ; Tû y yo (Toi et moi) de Geraldy ; 'Cûmo ganar amigos e influir en las personas' ; 'El médico en la casa'; 'El rosal de las ruinas', por Belisario Roldân ; Los cuarenta bramadores' ; 'Ehergia mental' - P.C. Tagot ; 'Supérate' ; 'Cartas de amor's 'Flor de durazno' ; 'Mi Lucha'CMein Kampf) ; 'El placer' por d'Annunzio ; 'èQulere Ud. aprender inglés en quince dîas?'. Hacia el final del mes largo de los estantes, una colecciôn de Selecciones que abarcaba una gran extension. Tomô la ûltima y la hojeô, Teodoro lo vio y le dijo : -Lo mejor en revis tas y libros. -Asi dice acâ -dijo- iSale todos los meses? -Si, sale siempre ; es decir, seguirâ saliendo siempre. Se publica en todos los idiomas del mundo y en varios dialectos."*89' -184- Les livres et revues cités dans le texte dressent un catalogue presque exhaustif des lectures de la petite classe moyenne argentine non intellectuelle des années quarante. La plupart de ces livres pouvaient être achetés chez les marchands de journaux et beaucoup d'entre eux (Becquer, Campoamor, P. Géraldy, J. Castellanos, B. Roldén, les feuilletons de H. Wast, dont Flor de durazno, et Vargas Vila, cité par Teodoro dans sa lettre d'amour) étaient publiés par des maisons d'édition spécialisées en collections populaires. A part les quelques livres de divulgation scientifique, les autres peuvent être classés en deux groupes. Le premier comprend les livres qui assurent la survie des formes outrées du post-romantisme, y compris la nécrophilie, donnant ainsi une forme esthétique aux interdits de la société de l'époque. Le deuxième groupe véhicule des idées propres à un individualisme volontariste susceptible d'intéresser des secteurs de la petite classe moyenne au bord de la prolétarisation, dont Teodoro, qui pour se différencier de ceux qui sont immédiatement au-dessous dans 1'échelle sociale, s'accrochent à des théories nébuleuses sur le développement de la personnalité par l'éducation de la volonté. La projection politique de telles théories qui fait de ces groupes la proie facile des régimes autoritaires, peut se déduire de la présence de Mein Kampf parmi les autres livres de Teodoro. Les affichettes collées aux murs de la chambre complètent ce que la mention des livres a déjà suggéré : "Ismael arrancô el que decîa 'mi vida empieza hoy', y el otro, mâs grande, con latras rojas, que decîa 'se hoy mâs fuerte que ayer y menos que mafîana'. Teodoro arrancô, a fèces vacilando, muchos otros :'querer es poder', 'si quieres hacer algo, hazlo ahora', 'cada dis que pase has de -185- decirte boy he nacido', 'estu prestu, lernu esperantu', y muchos otros cuya lectura era casl imposable por las manchas y el polvo acumulados."**0* Les aspirations du personnage se matérialisent dans la lettre d'amour envoyée à Llta, une fille d'un niveau social plus élevé et en cela, semblable à toutes celles dont 11 tombe amoureux périodiquement. Ces Dulcinées de quartier sont le prétexte de sa fuite Imaginaire hors de la réalité sordide du conventiîlo. Dépouillées de leurs traits de personnes réelles et réduites aux formes rêvées, elles se confondent dans l'esprit de Teodoro au point que dans sa lettre il se trompe de prénom et donne à la destinataire celui d'une voisine. Le texte de la lettre, qui déploie des nombreux exemples de la rhétorique de l'amour kitsch dans les années quarante, est le premier essai d'utilisation du dans la littérature de Moyano. Le deuxième, nous le retrouverons dans Libro de Navios y Les rêves borrascas. de fuite de Teodoro se soldent par un échec retentissant. Un autre personnage du roman tente la même démarche. Il s'agit de Flaca, une femme qui vit seule avec deux Jeunes enfants. L'âge de l'un de ces enfants est le seul point de repère pour calculer le temps qui s'est écoulé entre le commencement de l'histoire d'Ismaël et son dénouement. minutieux, Moyano fait dans son cas un portrait plus mais comme pour tous les autres personnages il ajoute l'objet qui peaufine la description : "La Flaca pasaba las mâs de las horas del dia encerrada en su pieza, cantando. Cantaba trozos de ôpera pronunciando exageradamente las erres, no se sabîa si por deficiencias dentales o por exigirlo asi la naturaleza del canto. Pero ademâs del canto y de las palabras difîciles, babîa otra -186- cosa que la distinguïa : la puerta. Su cuarto poseîa una puerta rococô, comprada en alguna empresa de demoliciones. Estaba llena de molduras, calados y otros adornos con ângeles y rosas descascarados. "<s ' •' La porte de s t y l e rococo correspond à 1* image de cantatrice d'opéra q u ' e l l e veut e n t r e t e n i r pour se convaincre de sa différence d'avec l e r e s t e des l o c a t a i r e s . obligée de vivre symbole mêmes se manifeste par l'isolement d e r r i è r e c e t t e porte, de ses rêves déchus. Ce refuge précaire est envahi par ces réalités délinquance, contrepoint passé. Son refus des r é a l i t é s q u ' e l l e est incarnées qui, à en plusieurs Peralta, un reprises dans marginal le frôlant roman, fait la le du monde q u ' e l l e veut se créer avec l e s survivances du La scène de la visite de Flaca à l'une des maisons des petits-bourgeois du quartier, met en évidence l ' a t t i t u d e des° ceux-ci face aux e x i l é s du conventillo : "Un buen dïa, la Flaca se présenta en la lujosa casa y tocô el timbre. El proplo abogado la atendlô. Al verla y creyendo que era una mendlga, sacô unas monedas del bolsillo y se las ofreciô. Ella abriô sus cenlclentos pérpados e hlzo restallar los ojos subit os dlciendo : -No, doctor, me ha confundldo ; vengo aqui por otro motivo. -El abogado puso la mes hostll de sus caras. -Que desea -dljo- procurando introducir otra vez en la casa a sus hijitas, rubias e impecables, que habîan salldo a curlosear. -No se si Ud me conoce / yo lo he visto salir y entrar muchas veces. Vivo en aquella casa, usted la conoce, pero no vaya a créer que he nacldo alli ni que voy a seguir viviendo allî. En cuanto me den la pension por mi marido, me mudaré a otra parte, porque es imposible vivir con esa gente ordinaria, y dire mes, inmunda. El abogado frunciô la frente, su cara se endureciô y los ojos chispearon. -187- -Caninen para obedecieron. "f**» adentro -dijo a sus hljas, que Les efforts de Flaca pour être jugée en fonction de sa culture et de son niveau social perdu sont sans succès. Le droit de pouvoir utiliser une fois par semaine le piano de la famille lui ayant été refusé, à son retour au conventillo elle trouve la confirmation de 1' inéluctabilité de son destin dans le geste de Peralta : "Todo esto fue contado por el propio abogado. Se lo contd a Peralta, un dïa que este fue a revocarle una pared nueva que habîa hecho en el fondo. Peralta volviô borracho y les contô el episodio a todos. Fue el mismo dîa en que se metiô en el cuarto de la Flaca y logrô manosearla."**3» Chacun, celui qui finira d*ouvrir les yeux d'Ismaël en lui faisant connaître l'abjection, ferme le cycle d'apprentissage dans un épisode qui reprend le personnage de Flaca. Dans le roman, Moyano dépeint une nouvelle fois des femmes dans une société dominée par des schémas machistes exacerbés par la misère. Flaca déjà prostituée est l'objet d'une brimade macabre imaginée par Chacôn : profitant de l'obscurité, il lui envoie son propre fils, un adolescent attardé, pour que la mère le confonde avec un client. Le niveau symbolique, beaucoup plus évident dans les récits courts, continue pourtant d'exister dans le roman. Un symbole condense tout le sens de la vie des marginaux dans la ville : le chien qui gêne les habitants du conventillo est condamné à mourir enfermé dans la citerne. Avec ce chien Moyano revient à une image déjà exploitée dans, le cycle des fictions autobiographiques. -188- Nous avons signalé les significations possibles de l'envol du chien dans l'un des derniers récits du cycle, que l'on peut synthétiser en un seul mot : libération. Dans l e s deux chapitres qui encadrent l ' h i s t o i r e racontée dans Una luz muy lejana, Entrada et Sallda, un nuage reproduit la forme du chien : "Y de pronto una nube simula ser un gigantesco perro que abarcaba con sus cuatro patas no solo esa ciudad sino, hacia los horizontes, otras ciudades lejanas. El perro ladraba en los cielos y sus gritos llenaban el dîa y la noche distante."**** De la v i l l e , de toutes l e s v i l l e s , émerge l e cri de douleur des laissés-pour-compte de la c i v i l i s a t i o n . Ce cri se libère et coïncide avec la libération d1Ismaël lorsqu'il décide de revenir au désert, à la nuit profonde opposée aux lumières trompeuses de la v i l l e , comme dans un retour à un stade prénatal. C'est précisément l e mot regresos qui est u t i l i s é par Moyano comme t i t r e de 1'avant-dernier chapitre du roman. Ce chapitre raconte l e s retrouvailles de Jacinto et de son père indien, dont Ismaël est témoin : "Estaban llegando al rancho. En la puerta apareciô una figura extratfa, de cabello blanco y altîsima. Jacinto le dijo a Ismaël que lo esperase allï. -Perdoname. Esperame acâ. No entrés. No le gusta ver a la gente. Ismaël se detuvo. Desde allï vio aquella figura alta y endeble. Los pômulos salîan de la cara, los cabellos fulguraban de tan blancos. Vestîa unos harapos. Se veïa que ambos lloraban. Después oyô que bablaban una lengua extrafla, llena de ritmos James présentidos, abrazados aûn y sin dejar de llorar. Pensô en Carloncho y en su madré la -189- Flaca,coao si aquello.'"**' alguna conexiôn existiera entre esto y La recherche du père qui se dégage des rapports établis par Ismaël avec quelques-uns des adultes rencontrés dans la ville, aboutit à la découverte d'un père primitif, non contaminé par un faux progrès. Dans la terre du père, le Vaterland qu" Ismaël découvre hors de la tant ville, cherché par Kafka, et la quête d'identité sera poursuivie. Les pères désavoués qu' il laisse derrière, dans le puits dont il s'est évadé, lui ont pourtant beaucoup appris sans le vouloir : pour compenser leurs manques il a appris la pitié et la solidarité, il a mesuré sa propre lâcheté, donc, il est conscient de ses propres limitations. Il a aussi appris à ses dépens que l'amour fluctue entre les rêves et la réalité, que Marta, la femme souillée, avec ses jambes lourdes et difformes la raccrochant au sol, est moins éphémère que Beatriz, la femme-enfant, image sans poids et sans relief qu' il a frôlée et perdue. Bien que l'environnement d'Ismaël soit brossé à partir de quelques données historiques vérifiables et que les conséquences des faits sociaux méritent un peu plus d'attention de la part de l'auteur, le roman n'essaie pas d'être une fresque de la société de Côrdoba dans les annés quarante pas plus que ses personnages ne deviennent des archétypes. A la manière de Roberto Arlt qui nous a laissé un tableau délirant mais dans Los siete profondément vrai locos des phantasmes de la classe moyenne du Buenos Aires des années trente, Moyano parvient à créer 1' ambiance sociale sans se le proposer. Comme Arlt, il y parvient par. un regard qui creuse au lieu d'étaler et qui -190- trouve dans le sous-jacent une vérité non schématisée par le souci de se conformer à la réalité extra-littéraire. D'autre part, c'est à la structuration de la conscience morale d1 Ismaël et à sa vie intérieure que Moyano donne la priorité. Les faits sociaux sont seulement la toile de fond de l'évolution du protagoniste. Ils existent, le narrateur en vérifie les effets, mais il ne se pose pas le problème des causes. La lettre de la femme d'Endrizi à Eva Perôn est la seule allusion à la réalité politique argentine que l'on trouve dans le roman et les liens d'Ismaël avec la famille ne passent pas par une conscience critique des idées d'Endrizi ou de sa femme. Les réflexions sur la nature du pouvoir et de sa place dans un contexte plus défini, viendront après, à partir de El oscura Situé entre les deux premiers recueils et les nouvelles de El fuego interrumpido, ce premier roman de Moyano porte aussi les traces de l'évolution des symboles religieux signalée à propos des récits courts. Romano constate leur présence dans la cour du conventillo, la Dernière Cène, plus présentée comme un tableau qui rappelle et dans les mots par lesquels Ismaël évoque l'image du chien sacrifié: contexte dans l'épisode du repas n vaste t,Por et que me has plus abandonado ?" Mais dans un complexe antérieurement décrit par Moyano, que le milieu familial ces symboles restent plus proches de la démarche de Vallejo dans les Poemas Humanos que des premiers récits ; ils parlent de la souffrance de l'homme devenu un déchet de la société urbaine qui sacrifie aux valeurs de la civilisation, La fin du roman représente pourtant un salut individuel : Ismaël est sauvé lorsqu'il laisse derrière lui les autres victimes et après avoir -191- qu' 11 cherche se trouve ailleurs. Le seul Indice de la possibilité de l'existence de valeurs comunnautaires se trouve dans un type de mémoire que l'auteur suggère ici pour la première fois mais qui sera de plus en plus développé à partir de la deuxième étape de l'oeuvre : la mémoire collective incarnée par le père indien de Jacinto. Le jeune Ismaël devenu adulte s'achemine vers son identité personnelle mais à travers le souvenir, encore diffus, de l'existence d'un groupe et de sa culture, -192- 2.3. Vers l a 11 n ' e s t région pas d i f f i c i l e de reconnaître dans l e départ d'Ismaël pour l e désert la première référence à La Rioja. Le choix r é s u l t e du refus de la v i l l e et l e désert apparaît comme une ancienne énigme à résoudre et un espace où créer des v i l l e s imaginaires : •la ciudad habia terminado, pero quedaba aun el desierto. Allî cabïan muchas casas, con otros hombres, y la vida podrla continuar de otra manera. La ciudad habîa envejecido, las calles y sus nombres habïan envejecido. Aqui, sin embargo, podrîan hacer casas nuevas y poner otros nombres a las calles. Una calle, por ejemplo, se llamarîa como el cabello de Beatriz, brotado sûbitamente por el cuello del vestido, aunque no existiese una palabra para designar aquel hecho. Habîa tambiên una calle donde la mûsica de la Flaca permaneciese, lejos de los <ss> trenes." Néanmoins, ce désert qui pourrait ê t r e seulement considéré comme l e symbole antagoniste de la v i l l e dans un r é c i t où l e s références à l ' e s p a c e géographique ne sont pas t r è s n e t t e s , commence à se préciser à l a fin du roman avec la scène de l a rencontre de Jaclnto avec son père. Un lecteur argentin fera immédiatement l e rapprochement entre l e personnage de 1'indien, complété par un décor approprié (le v i l l a g e en ruines près duquel l e v i e i l l a r d veut mourir), et une certaine région du pays. L'Argentine du Nord-Ouest -193- où les civilisations précolombiennes immédiatement ont laissé évoquée. possède, le désert derrière le choix A des empreintes partir commence d'Ismaël des encore données à prendre se dessine une visibles, historiques autre sera que l'on signification l'alternative formulée et par Sarmiento : civilisation ou barbarie. La Rioja n'est pas directement mentionnée mais le terme auquel l'histoire argentine l'identifie est déjà là. Le voyage de retour du personnage est donc un voyage qui se fait à contre-histoire et à la recherche des ancêtres oubliés par les Argentins à partir de l'Indépendance. Timidement, l'auteur s'achemine vers l'Histoire pensée de et Moyano l'on sur peut affirmer l'identité que toute l'évolution nationale et régionale de la est déjà préfigurée dans les dernières pages du roman. Un élément structurel témoigne aussi de l'insertion de l'auteur dans l'ambiance culturelle du Nord-Ouest, l'utilisation du conte populaire. riche en tradition orale : A cinq reprises et à des moments différents de l'histoire racontée dans le récit principal, apparaissent en italique les fragments d'un récit second écrit à la manière des contes merveilleux. Le premier fragment coïncide avec l'évocation de l'arrivée d'Ismaël dans la ville : "Entonces, cuando saliô a rodar tierra, caminô y camînô, camînô mucho, dia y noche, hasta que al fin vlo una gran lus. Era la luz que salïa por la ventana y pensé que alli habîa gente y que podrîa hablar, decîr que habia salido a rodar tierra y que eso estaba haciendo"<s:r> Le texte ne se limite pas à créer d'emblée un parallèle entre le Jeune homme du conte et le protagoniste -194- du roman. Il explicite également ce qui n* est pas dit dans le récit principal. Dans ce cas, 11 s'agit des attentes d'Ismaël : communiquer, trouver de la compagnie. Le deuxième fragment précède la description du bar où Ismaël fait la connaissance'de Jaclnto et d'Euseblo, rencontre qui se passe avant l'Installation l'Ironie : la merveilleux. attentes Il d'Ismaël réalité permet du jeune homme troisième, apparaît dans du le bar conventlllo. se de mesurer et L'effet trouve la aux recherché antipodes distance existante son premier contact lorsque Jaclnto devient avec l'objet dû est conte entre la ville. les Le de dérision des autres employés et qu' Ismaël envisage la possibilité d'apprendre un métier pour s'éloigner du bar. Le conte parle d'un carrefour que le jeune découvrira en marchant. Un quatrième fragment du conte est placé immédiatement avant le dîner dans la maison où Ismaël décidera de s'installer la nuit même et où se déroulent la plupart des scènes du roman. Les conseils de la vieille du conte correspondent à ce qu'Ismaël fait effectivement dans le récit principal : accepter la première des deux invitations qu'il reçoit dans le bar, celle d' Euseblo : "Caminando y caminando vas a llegar a un lugar donde el camino se divide en dos. Allî desearâs très cosas, las mes hermosas, y tomarés por el camino que hayas visto primero. "<ee,> Mais le premier chemin qui s'offre à Ismaël est le mauvais chemin et ses trois voeux ne seront pas exaucés. La nature des voeux n'est pas dévoilée dans le conte lui-même mais dans le roman ; -195- nous ne les connaîtrons pas par leur accomplissement mais par leur non- réalisation. Ismaël se dissout, s'aliène dans la ville, il n'a donc pas trouvé son identité. Il perd les deux femmes désirées, il n'a pas obtenu l'amour. Il n'a Jamais pu prendre ses aînés comme modèles, il n' a donc pas trouvé 1' image paternelle. Le dernier fragment complète la séquence narrative développée dans le chapitre El intitulé pozo et consacré au dénouement de l'histoire de Flaca et de son fils. C'est le moment où le Jeune homme devenu adulte, ayant été témoin de la cruauté de Chacôn, est définitivement dégoûté de la ville: "(Y llegô flnalmente, despuês de mil dîas y mil noches, a la casa donde habia dlvlsado la luz. Allî un nombre muy viejo le dîjo : poco puedo ayudarte, hljo mio, pero debes seguir ; yo tambiên caminé miles de dîas y de noches, pero ya estoy muy viejo y no puedo ayudarte ; he tenldo que quedarme aqui. &Ves aquella luz, tan lejos? Alla tlenes que <6ta '-> llegar. Ce dernier fragment annonce le contenu du chapitre suivant. Le vieillard du conte double l'image du père de Jacinto. Ismaël poursuivra sa marche là où le vieil indien arrête la sienne. La lumière lointaine de la nouvelle naissance se trouve après la nuit du désert. Les fragments du conte fonctionnent donc comme des récits prédictifs ajoutent annonçant aussi un les événements autre plan de du récit principal signification qui mais ils les rend indispensables à la compréhension totale du roman. Una luz muy lejana n'est pas le seul l'intérêt de Moyano pour La Rioja. El rescate, -196- récit témoignant de une nouvelle de son deuxième recueil, ne voile pas son réfèrent. Le décor du récit est une réélaboration du paysage des Llanos et l'événement qui est à la base de l'histoire racontée reprend le vieux problème de la région : la sécheresse : "Este brazo tenso era uno de los hechos que habia aislado en su memoria. La sostenîan, la mantenîan en una larga e lncruenta concîencia de la espéra. Podîa recordarlos todos los dîas para evitar que todo se esfumase poco a poco en el olvldo. El comisarlo era otro de sus aslderos. Habia llegado por la tarde y se quedô hasta la noche. (..JAflrmaba que el asesino estaba en los cerros y que algûn dïa lo cazarîan. Todo era cuestiôn de vigilar las aguadas. 'No hubo odio', decîa. Habîan dlscutido por el agua pero no lo mat6 por odio. Fue un momento de turbaciôn, se le habia ido la mano en el golpe."<T<>:' Malgré les caractéristiques du décor et des personnages, tous des paysans obligés à défendre par la violence leur droit aguadas aux (points d'eau), le thème de la nouvelle reste très proche des premières préoccupations de Moyano. Le drame intérieur de la vieille femme aux prises avec les pièges de la mémoire, le besoin d'oublier, la possibilité de vivre à nouveau lorsque l'on a pu pardonner les fautes des autres, sont plus importants dans le récit que la récréation de l'ambiance régionale. Cette nouvelle d'importance des l'oeuvre Moyano de représente personnages : pour un et la changement reste un première et par cas la rapport au degré exceptionnel dans dernière fois, le personnage central du récit est une femme. Elle est - et cela établit aussi une autre différence importante avec les récits de la même période - une mère à qui on a tué un fils lors d'une dispute sur le -197- partage de l ' e a u pour l ' i r r i g a t i o n . Le meurtrier, un jeune garçon ami de la victime, appartient à l a famille des voisins. Le départ de c e t t e famille introduit dans l a nouvelle une première référence à l'exode rural, repris thème Una luz muy lejana quelques années plus tard dans : "Los Martînez se marcharon. El mayor de los hljos fue a comunlcârselo. No habia que odiarse, dljo. Lo ocurrido habia sido una desgracia para todos. C..)Y ahora se iban a probar suerte a otra parte. Se iban de La Rioja porque cada dia habia menos agua. El agua, que habia sido la causa de la desgracia.n<71 •' Le jeune meurtrier caché dans la montagne ne pourra pas, après l e départ de sa famille, descendre la nuit pour se nourrir. Parallèlement, dans l e s souvenirs de la femme, usés par l e s évocations successives de la scène du meurtre, commencent à s'effacer l e s r ô l e s de chacun des hommes : "La ûltima vez que conta la historia a una de las pocas visitas ocasionales que llegaban a hasta el apartado lugar en que vivîa, notô que vacilaba, que los hechos habian perdido algûn detalle importante y que hasta podrian haber variado. Cuando llegô narrando al momento en que ambos nombres se enfrentaban, no supo que decir. Creyô que ahora no habia un verdugo y una victime, como los habia concebldo siempre, sino dos personajes que actuaban cada uno por su cue/iia."^** Dans c e t t e nouvelle, la l i b é r a t i o n du passé ne s ' o b t i e n t pas en faisant appel à l'imagination - comme c ' é t a i t l e cas dans ou dans Al otro lado de la celle image fixée dans la mémoire. La Lombriz - , mais par l ' u s u r e de la première L'oubli, -198- condition indispensable du pardon, survient après que le souvenir, dépouillé du sentiment qui l'accompagnait, s'affaiblit et brouille les images. Une fois sa haine estompée, la vielle femme peut donner la place de son fils, victime du meurtre, à son assassin. Celui-ci, pourchassé et affamé, a cessé de tenir le rôle du bourreau dans le drame du passé qui se joue dans la mémoire de la vieille et joue le rôle de victime dans le drame du présent. La réparation est double : la mère fait le rachat du geste de son fils lorsqu' il a essayé de tuer son ami, en hébergeant le fugitif. Le jeune homme fait le rachat du sien en prenant la place de sa victime : "Al atardecer, después de una larga siesta, cuando él preparaba los surcos para recibir el agua que vendrîa esa noche, ella lo llamô : venga le dijo, levantando una mano. Con una gruesa llave abriô el ropero de Carlos y sefialando sacos y blusas descoloridas, dos o très camisas nuevas y un par de zapatos llenos de papel, le dijo 'acâ esta la ropa'. Despuês, de un tirôn, descolgô el trapo negro del espejo.»'™3 Nous pouvons constater à travers ces exemples la réitération de situations déjà examinées dans les autres nouvelles. Le mince filet qui sépare 1' innocence et la culpabilité, l'oubli considéré comme une libération, les actes de réparation, le rôle prédominant de la mémoire dans le récit, El rescate sont autant d'éléments qui permettent de juger comme une version à peine différente des premiers thèmes de Moyano. Bien qu'elle ne soit pas nommée, La Rioja est plus présente dans Una luz muy lejana que dans cette nouvelle. Installé depuis peu de temps à La Ribja au moment d'écrire El rescate, -199- Moyano essaie de conjuguer ses premières Impressions face à une réalité différente et ses anciennes prôocupatlons. Avant El l'auteur oscuro, dans une nouvelle de El fuego commence à présenter les types qui feront partie de la société mythique de Très golpes même interrumpido, nom expériences compagnie que nous avons d'enfance. de ses La de timbal. examinée fête à a les parents Il s'agit de la nouvelle du parmi celles laquelle consacrées l'enfant caractéristiques assiste d'une campagnarde. Les danses, le repas, les guitares et les aux en fête rastreadores, confondus par l'enfant avec les Rois Mages sont des éléments culturels appartenant à la tradition gaucha de la campagne argentine, que Mbyano a rencontrée Una luz certainement muy lejana, à La Rloja. Mais, de même que dans l'ambiance a beaucoup moins d'Importance que le portrait de l'enfant et on pourrait difficilement classer ce récit parmi ceux qui tentent de créer un monde narratif à partir des thèmes régionaux. -200- IsTot e s (1) (2) M. PRADINES, Traité de Psychologie Générale, Paris : Presses Universitaires de France, 1956, Tomme II, p. 107. PRADINES, op. cit., p. 107. L'auteur suit la - description d'E. PICHON, La personne et la personnalité, Revue de Psychanalise <3>, 1938. (3) PRADINES, op. cit. , p. 108. (4) PRADINES, op. cit., p. 115. (5) M. HALBWACHS, La mémoire collective, Universitaires de France, 1968, p. 70. <6> HALBWACHS, op. cit., p. 71. (7) HALBWACHS, op. cit., p. 76. (8) J.M. BENOIST, Facettes de l'identité , in Séminaire interdisciplinaire dirigé par C. Paris : Grasset, 1977, p. 15 (9) Nous reprendrons la dénomination choisie par G. GENETTE pour désigner la perspective narrative étant donné que focalisation nous semble un mot moins équivoque que perspective ou point de vue, très souvent utilisés dans l'analyse littéraire. Genette fait la distinction entre focalisation zéro, propre aux récits traditionnels où il y a un narrateur omniscient; focalisation interne, en vertu de laquelle les événements sont vus à travers les yeux d'un personnage qui se trouve à l'intérieur de l'histoire, et focalisation externe, typique des récits "où le héros agit devant nous sans que nous ne soyons jamais admis à connaître ses pensées ou ses sentiments". (.Figures III, Paris : Seuil, 1972, p. 207). (10) (11) P. LEJEUNE, Le pacte p. 25. Una partida de tenis, autobiographique, Paris : Presses : L'identité. LEVI-STRAUSS, Paris : Seuil, 1975, in. : El monstruo y otros cuentos, Buenos Aires : Centro Editor de America Latina, 1967, p.49. -201- Les erreurs d'édition étant fréquentes dans le premier recueil publié par l'auteur, nous ferons nos citations à partir de cette anthologie. Il en sera de même pour les nouvelles de La lombriz. (12) Ibid., p. 51 (13> Ibid, p. 50 (14) Ibid., p. 53. (15) La lombriz, (16) Ibid., p. 99. (17) Ibid., p. 124. (18) Et cetera, In. : El fuego Sudamericana, 1967, p. 27. (19) Ibid., (20) El crucificado, (21) Ibid., (22) El perro (23) G. GENETTE, op. cit., p. 261. (24) In : Ht mûsica es para esta gente, Editores, 1970, p. 12. (25) Ibid. , p. 12 (26) Ibid. , p. 9. (27) Ibid. , p. 13. i n : El monatruo. .., p. 97. interrumpido, Buenos Aires : p. 12. p. in : El fuego interrumpido, p. 68. 71. y el tiempo, in : £2 fuego..., p. 153. -202- Caracas : Monte Avila (28) Ibld., p. 9. (29) Ibld., p. 11. (30) Ibld., p. 12. (31) Ibld., p. 14. (32) J. P. SARTRE, L'Imaginaire, (33) El fuego lnterrumpldo, (34) Clac clac, (35) La columna, i n . : El fuego..., (36) Ibld., (37) El fuego lnterrumpldo, (38) Ibld., (39) C. PAVESE, La playa. Brughera, 1981, p. 245. (40) La fonction testimoniale ou d'attestation est c e l l e qui, selon GENETTE, "rend compte de la part que le narrateur en tant que tel, prend à l'histoire qu'il raconte, du rapport qu'il entretient avec elle : rapport affectif, certes, mais aussi bien moral ou intellectuel, qui peut prendre la forme d'un simple témoignage, comme lorsque le narrateur Indique la source d'où il tient son information, ou le degré de précision de ses propres souvenirs (...). (Op. c i t . , p. 262) (41) A. ROA BASTOS, El realismo profundo en los cuentos de Daniel Moyano, in : La lombriz, p. 11. (42) Los mil dias, Paris : Gallimard, 1940, in : £3 fuego..., In ; El fuego..., p. 237. p. 137. p. 80. -p. 34. p. 37. p. 143. p. 149. Flestas in : El monstruo ..., -203- de agosto, p. 68. Barcelona : (43) El aonstruo, in. : El aonstruo ..., p. 7 (44) Ibid.t p. 5. (45) Ibld.t p. 12. (46) Ibid., p. 12 (47) J. CORTAZAR, Hay que ser reaiment e idiot a para, in : La vuelta al dîa en ochenta mundos, México-Buenos Aires : Siglo XXI, 1967, p. 105. (48) E. R0MAN0, "Daniel Moyano o las vicisitudes de una identidad", Crear en la cultura nacional (12), enero-marzo de 1983, p. 40. (49) R. BARUFALDI, Los mit os narrâtivos de Daniel Moyano, in : Moyano, Dl Benedetto, Cortâzar, Rosario : Ediciôn de la revista "Critica 68", 1968. (50) S. CLINTON, Daniel Moyano : The search for values in contemporary Argentine, Kentucky Romance Quarterly (25), 1968, p. 165. (51) El joven que fue al cielo (52) Una luz muy lejana, (53) Ibid., p. 17. (54) Ibid., p. 7. (55) Ibid., p. 124. (56) Ibid., p. 30. (57) J. L. R0HER0, Latinoamérica i las ciudades y las Mexico - Buenos Aires : Siglo XXI, 1976, p. 331. in : El monstruo..., p. 60. p. 197. -204- ideas, (58) Una luz muy lejana, (59) Ibid., p. 138. (60) Ibid., p. 155. (61) Ibid., p. 64. (62) Ibid., p. 66. (63) Ibid., p. 68. (64) Ibid., p. 10. (65) Ibid., p. 192. (66) Ibid., p. 198. (67) Ibid., p. 11. (68) Ibid., p. 18. (69) Ibid., p. 178. (70) El rescate (71) Ibid., p. 83. (72) Ibid., p. 80. (73) Ibid., p. 90. p. 40. in : El œonstruo -205- ..., p. 80. LES RECITS DU MONDE EXTERIEUR 3.1. L'Argentine de la violence Les récits de la deuxième étape de l'oeuvre de Moyano ont été écrits dans une période marquée par la montée de la violence dans la société argentine. Nous verrons évoluer les thèmes et le style des oeuvres de Moyano depuis El oscuro - un roman écrit en 1966 qui constitue le premier écho des graves événements vécus par le pays à partir de cette même année - jusqu'à El vuelo del tigre commencé un peu avant le coup d'Etat militaire de 1976 et terminé en exil. C'est pourquoi, avant de nous attacher à l'analyse de l'oeuvre, nous rappellerons le contexte historique dans lequel elle s'inscrit. En 1966, le président radical Illia est renversé par un coup d'Etat militaire. Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement issu des élections n'atteint pas la fin de son mandat. Cela fait trente-six ans - depuis 1930 - que l'armée intervient périodiquement dans la vie politique du pays. A l'époque, en renversant Yrigoyen, le général Urlburu avait mis en évidence le lien existant entre l'armée régulière et l'oligarchie agro-exportatrice qui l'avait fait naître en 1652, deux mois après la chute de Rosas. Un décret du 8 mars de cette année établissait la création de la Guardia Nacional et quelques années plus tard, en 1865, face à la nécessité de former de troupes -206- pour la guerre de la Triple Alliance, une loi fixa les conditions d'enrôlement. Cette armée aurait aussi une autre tâche : soumettre les provinces qui résistaient encore au pouvoir central. Nous connaissons déjà l'histoire de ces derniers affrontements. En 1879, le général Julio Argentino Roca s'adressait ainsi aux soldats prêts à partir pour occuper les territoires indiens du Sud du pays : "Formado en el ejêrcito y salido de sus filas, conozco sus vlrtudes, su fuerza en las fatigas y su valor en los campos de batalla. Me veo con placer entre vosotros y conslderaré sîempre como el timbre mes glorioso de mi vida haber sido vuestro gênerai en Jefe en esta cruzada inspirada por el mes puro patriotismo, contra la 3 barbarie"*' Ce fragment de la harangue de Roca contient le noyau essentiel du discours militaire destiné à justifier les coups d'Etat : l'intervention de l'armée est une croisade pour sauver la patrie et la ramener à l'ordre et à la civilisation. Dans le cas de la croisade de Roca, la campagne militaire qui reçoit le nom de Campatia del desierto se solde par l'extermination des indiens et la distribution de leurs terres aux officiers de l'armée. Cette armée qui a vaincu la barbarie représentée indiennes, par les gauchos de la montonera se professionnalise en 1880 sur le modèle prussien et bientôt apparaissent en son sein des groupes plus - des logias et par les tribus ou moins secrets - qui conspirent contre le pouvoir civil, préconisant pour certains l'insubordination au Président de la République. En 1921 et 1922, la Patagonle est à nouveau la scène d'une incursion de -207- l'armée, mais cette fols-ci elle pourchasse non les indiens mais des ouvriers et des travailleurs ruraux qui conditions de travail et de logement. torturés préfigurent sont en grève pour leurs Des centaines de morts et de la nature et les objectifs de l'alliance entre militaires et propriétaires fonciers au XXe siècle. A partir de 1930, l'armée ses agit ouvertement interventions se substituant deviennent une aux gouvernements civils et caractéristique constante de la société argentine contemporaine. La chute d'Yrigoyen d'abord et celle de Perôn en 1955 répètent le même schéma : un gouvernement populiste arrivé au pouvoir grâce à une large majorité réunie autour de quelques revendications qui lèsent les intérêts de l'oligarchie voit son image se dégrader au cours d'une deuxième période présidentielle et tombe finalement, renversé par des militaires se présentant comme les défenseurs de l'honnêteté administrative et des valeurs nationales. Le président aussi populaire Illia qu'Yrigoyen conditions difficiles. s'ériger rendent qui ne peut Il veut en unificateur impossible ou Perôn la d'un se vanter commence d'être un président son mandat dans des concilier des intérêts divergents et pays divisé démocratie où les tensions parlementaire. Son sociales gouvernement (1963-1966) doit faire face au déséquilibre budgétaire, à l'inflation, à la dette extérieure, à une vague de grèves dures avec occupations d'usines ainsi qu'à l'opposition de la droite militaires. Dans ces conditions, il était plus et des secteurs que prévisible que le président n'arriverait pas à la fin de son mandat, renouvelant ainsi l'expérience des présidents civils renversés tous par l'armée depuis 1930. -208- Pour justifier le coup d'Etat les militaires avancent l'inefficacité et le manque d'autorité de l'administration radicale, ainsi que le "vide du pouvoir" qui, selon eux, mettait en danger l'avenir du pays. L'ancien commandant en chef de l'armée de terre, le général Juan Carlos Ongania, est porté à la Présidence. Le Parlement et tous les partis politiques sont dissous et le pouvoir judiciaire placé sous le contrôle de l'Exécutif. La puissance de l'intervention militaire, la faiblesse des divers partis politiques et l'attitude conciliatrice de la bureaucratie syndicale font que cette action ne rencontre pratiquement aucune résistance de la part de la population, excepté dans les milieux universitaires où l'intermède démocratique a réveillé une jeunesse contestataire et discussion avide de participer des problèmes chroniques du pays. à la Dès son arrivée au pouvoir, Ongania met en garde les jeunes qui pourraient être tentés de résister au gouvernement de la Revoluciân Argentine : "No permitiremos que acosen a nuestra juventud extremismos de ninguna naturaleza. Si fijamos con claridad el rumbo, nadie podrâ apartarla de su destina de grandeza."*1** L'une des premières mesures du gouvernement consiste à supprimer l'autonomie universitaire en nommant des Interventores pour remplacer les recteurs élus par les assemblées universitaires et en interdisant toutes les organisations étudiantes contraires aux principes de la Revoluciôn Argentina. Devant la résistance des étudiants qui occupent les facultés et manifestent, la répression est très dure. A Buenos Aires, la police fait évacuer l'Université au cours d'une nuit qui restera célèbre à cause de la brutalité dont les forces de l'ordre -209- font preuve : " l a noche de las bastones Jarg-os". La violence de la police n'épargne même pas les professeurs étrangers invités qui se trouvent dans les lieux. Au mois de septembre de l'année 1966, l'étudiant Santiago Pampillôn est assassiné à coups de feu dans le dos par la police de Côrdoba. Dans d'autres villes, des cas semblables se produisent. C'est le début d1 une longue période de dix ans pendant laquelle la violence ira grandissant et trouvera son point culminant avec le coup d'Etat de 1976. La dictature d'Onganla ne suscite pas seulement la révolte et la colère des étudiants et des ouvriers contre lesquels est dirigée la politique de répression. Elle accumule également la colère des provinces de l'intérieur. La politique centralisatrice et néo-libérale d'Onganla élargit les régions jamais étrangers monnaie, le fossé existant de l'intérieur. concentré dans à Buenos le littoral, entre les provinces côtières et Le pouvoir de décision reste plus que Aires et la pénétration encouragés provoque un appauvrissement par la des monopoles dévaluation de la supplémentaire des provinces de l'intérieur - restées essentiellement agricoles - qui se traduit par une accentuation de l'exode rural et par l'instabilité politique et sociale de régions gouvernementale fixée qui jusque là avaient à Buenos Aires supporté sans trop la politique manifester leur mécont ent ement. C est dans ces provinces de l'intérieur, l'arriération est le fruit de la coexlstance -210- c' est-à-dire celles où du latlfundio et du mlnifvndio et c e l l e s en même temps où la r e l i g i o n catholique est la plus ancrée parmi l e s masses populaires, que se développe un courant chrétien tiers-mondiste. Revoluciôn Le premier numéro de Cristianlsmo résume l e s positions de ce nouveau courant et y condamne l ' a l l i a n c e de l ' E g l i s e o f f i c i e l l e avec l e pouvoir : "El Tercer Mundo es el que se esté gestando a partir de los procesos revolucionarios que se intentai), que se malogran y que se realizan a traves de una acciôn dura y violenta, pero profundamente humana, a la cual nos incorporamos los cristianos que vemos en ella, como vio Camilo Torres, la ûnica manera eficaz y amplia de realizar el amor para todos. Nos toca incorporamos a esta lucha como cristianos hambrientos y sedientos de justicia en el momento naclonal en que aparece entre nosotros el signo de la Revoluciôn '"fSr> Pendant la dictature argentins appartenant d'Onganfa, les quatre cents prêtres au mouvement des p r ê t r e s du Tiers-Monde vont jouer un rôle important parmi l e s ennemis du régime. I l s condamnent l e s mesures répressives du gouvernement, la p o l i t i q u e économique et la s i t u a t i o n de dépendance accrue dans laquelle se trouve l e pays, et se donnent pour but de créer une conscience civique chez l e s habitants des zones r u r a l e s et des bidonvilles. bientôt à Quelques évêques se rallient ces prêtres, mais l a plupart de l e u r s pairs sont s o l i d a i r e s de la hiérarchie conservatrice de l ' E g l i s e favorable aux m i l i t a i r e s . Une p a r t i e des chrétiens tiers-mondistes influencés par des mouvements semblables qui se mettent en place dans d ' a u t r e s pays de l'Amérique Latine, ne voyant aucune p o s s i b i l i t é de changement par la voie parlementaire, vont choisir c e l l e de la l u t t e armée, au -211- moment même où des Intellectuels de la gauche marxiste traditionnelle ne volent eux non plus d' autre choix que la guérilla. En 1969, le Cordobazo éclate avec la même soudaineté que mal 1968 en France et surprend non seulement les autorités et les politiciens mais la direction de la C. G. T. argentine. A Côrdoba, centre de l'Industrie automobile, alors que trois mille ouvriers se dispersent après une réunion syndicale, 11 sont attaqués par la police. La grève générale est décidée malgré des menaces sévères. Le 20 mal, quarante mille manifestants armés de barres de fer et de boulons défilent vers le centre. Des étudiants se joignent à eux spontanément. Derrière des voitures renversées sont dressées des barricades. La police, huée par les habitants des quartiers occupés, se retire laissant la maîtrise du centre aux manifestants. L'armée Intervient et reprend la ville. Les combats continuent pendant la nuit à la lumière des usines Incendiées. Des mouvements semblables éclatent dans d'autres villes de 1'intérieur. Ces réactions populaires étonnent par leur ampleur : ouvriers, étudiants, employés, se découvrent des aspirations communes et 1'idée que la dictature d1Onganïa ne peut être renversée que par la force se répand parmi une jeunesse révoltée qui cherche un drapeau pour son combat. Ces jeunes, fils pour la plupart d'anciens anti-péronistes de la petite-bourgeoisie, découvrent auprès des ouvriers la persistance de la foi envers une idole qu'on leur avait cachée. La contestation va se faire confusion Castro, derrière un slogan contradictoire entretenue astucieusement Perôn, un solo témoigne d'une par le leader exilé a Madrid : corazôn. Les -212- qui méthodes du gouvernement - contrôle strict des mass-media, torture des leaders des licenciements, emprisonnement et mouvements contestataires récents - les confirme dans la légitimité de la révolte contre un ordre hypocrite. Attachés aux valeurs chrétiennes, ils s'indignent de l'emploi abusif que le pouvoir fait de Dieu, du devoir et de la patrie pour justifier l'injustice et la défense des intérêts d'une minorité. Plusieurs organisations vont se partager le contingent des jeunes contestataires les Revolucionarlas) plus radicaux. Les (.Fuerzas F. A. R. proviennent des secteurs catholiques et s'inspirent du Che Guevara et de Camilo Torres. Les F. A. P. Peronistas) Armadas et le groupe Montoneros (.Fuerzas Armadas - dont quelques leaders ont milité dans la droite nationaliste - se réclament du péronisme et prennent les armes en faveur des trois idées-forces du Justicialisme qui se refait une virginité clandestine : justice sociale, indépendance économique, souveraineté politique. Deux autres groupes, l'E. R. P. (Ejérclto Armadas de Llberaciôiù se déclarent Revoluclonario del pueblo) et les F. A. L. beaucoup plus minoritaires que les marxistes-léninistes. Apparus dans le (Fuerzas Montoneros, cadre d'une contestation généralisée, ces groupes formés par des jeunes issus en général de la petite-bourgeoisie trouvent dans un premier moment une certaine sympathie de la part des secteurs populaires, mais après 1974 ils continueront leur action détachés de la classe ouvrière qu' ils croient servir. Leur choix des armes s'Inscrit d'une part dans le contexte de l'insurrection armée en Amérique Latine, et d'autre part, il apparaît comme un conflit de générations et comme la réaction des jeunes face à l'échec historique de leurs aînés. -213- En 1969, l'agitation est telle qu'Ongania doit abandonner le pouvoir. Ni Levingston ni Lanusse qui lui succèdent ne pourront gouverner à cause de la persistance des troubles sociaux. Le prestige que Perôn a gardé malgré ses dix-huit années d'absence du pays, apparaît comme le seul rempart possible contre l'avance d'une jeunesse de gauche. Les négociations entre les militaires, le radicalisme Perôn commencent et le Gran Acuerdo Nacional et est mis en oeuvre. Perôn sera appelé pour juguler la gauche de son propre mouvement. Et pour la juguler il compte à la fois sur son talent politique, sur les forces armées et sur l'appareil syndical de centrales puissantes comme celles de la métallurgie et du textile qui disposent de groupes de choc parfaitement entraînés. C'est ainsi que les secteurs radicalisés de la droite péroniste syndicale naissance Argentina), à partir, de et de la droite non-péroniste donnent 1972, au Triple A (.Alianza Anticomunista dirigée par le secrétaire général de la C. G. T., José Rucci, ainsi que par le bras droit du général Perôn, José Lopez Rega. En mars 1973 ont lieu les élections présidentielles où, après des années d'interdiction, les péronistes sont présents. Deux hommes médiocres, peu connus des électeurs, intègrent la formule péroniste : Câmpora, l'ami d'Evita, inconditionnel dirigeants de la gauche du parti, populisme conservateur. La de Perôn mais entouré des et Solano Lima, vieux politicien du Juventud Peronista, fondée pour la circonstance va se lancer dans la campagne avec l'enthousiasme de qui a été condamné à un trop long silence. Les militants déploient une activité fiévreuse, couvrent le pays -214- d'affiches, organisent des meetings et lancent le slogan qui fera fortune : Câmpora al gobierno, Perôn al poder. Le 11 mars 1973, Câmpora est élu président dès le premier tour. Après cette victoire, éclater les contradictions internes du péronisme vont et le pays tout entier connaîtra une violence croissante. Craignant lendemain des que l'armée élections, ne tente les un nouveau formations coup spéciales de d'Etat au l'extrême- gauche péronîste essaient de montrer leur force en prenant des otages et en occupant des postes de police. Leur action la plus retentissante est l'assassinat de l'amiral Quijada, l'un des responsables du massacre des prisonniers politiques détenus à Trelew en 1972. Perôn prend les premières mesures pour neutraliser l'aile gauche de son mouvement. Il commence responsable de la Juventud création depuis de milices son deviennent exil à gênants par Peronista populaires. Madrid ; le et relever de ses fonctions le après que celui-ci eut annoncé la Les qui leader jeunes que Perôn a encouragés ont voté massivement pour lui amorce un revirement, selon la politique du balancier déjà appliquée par lui-même dans le passé, et commence à s'appuyer sur l'aile droite de son parti. L'humour des Argentins toujours prêts a tourner en dérision les péripéties de la vie politique, forge l'expression qui définit la stratégie de Perôn : poner el guitie a la izquierda y doblar a la derecha (mettre le clignotant à gauche et virer à droite). Mais cette fois-ci le virage du leader tournera au désastre. -215- Le 20 juin 1973 l'affrontement entre les deux secteurs apparaît au grand Jour. Ce jour-là Perôn rentrait définitivement au pays et ses partisans en antérieures, délire, prenant marchaient triomphalement. vers leur revanche l'aéroport La C. G. T. avait sur d'Ezeiza les interdictions pour l'accueillir été chargée de l'organisation et du service d'ordre. La jeunesse péroniste arrivait en chantant, déployant ses bannières, et cherchait à s1approcher. Dans 1'après-midi la radio annonçait que des agitateurs avaient essayé de semer le désordre. Plus tard on apprenait que Perôn avait renoncé à se poser à Ezeiza et qu'il était descendu à l'aéroport militaire de Morôn. La nuit était déjà tombée quand la télévision commençait supprimées, montrant une mitraillage systématique. foule à transmettre des images, vite qui se jetait à terre sous un Le chiffre des morts et des blessés n'est pas rendu public mais leur appartenance à la gauche péroniste n'est pas mise en doute. Après le 20 juin, scène publique. soutien Avec physique le Triple A occupe de manière croissante la la complicité et matériel par de la police d'abord, la suite, les avec son groupes para- militaires commencent à réprimer les membres des mouvements de gauche et d'extrême-gauche, péronistes, trotskystes, communistes, chrétiens tiers-mondistes, maoïstes. Des militants politiques sont régulièrement enlevés, torturés et assassinés par des bandes d'hommes armés et masqués dont le gouvernement fait semblant d'ignorer l'existence. Des opposants syndicalistes sont retrouvés morts alentours. -216- dans les rivières des Deux organisations de la guérilla ont survécu à la première étape de la révolte : E. R. P. Montoneros. et Elles feront face au gouvernement de Perôn et puis à celui de sa femme, Isabel Martlnez. L*E. R. P. s'attaque aux garnisons et établit un foyer de guérilla rurale dans la foret subtropicale de Tucumén. Montoneros guérilla urbaine et ses cibles sont la police, les a choisi la militaires responsables de la répression exercée avant les élections de 1973 et quelques leaders syndicaux organisations harcèlent de la droite le gouvernement péroniste. Les deux et la gauche parlementaire condamne la politique du pire qui semble inspirer aussi bien l'E. R. P que Montoneros les mettant en garde contre le danger, d'exaspérer les officiers les plus déterminés à renouveler l'aventure du coup d'Etat. Aux attentats du Triple A, la guérilla riposte avec l'assassinat de José Rucci mais le rapport de forces joue en faveur de l'organisation d'extrême-droite dont les cibles sont progressivement plus nombreuses et idéologiquement plus variées. Les lettres de menace adressées aux journalistes, hommes de lettres, personnalités du monde du spectacle sont parfois accompagnées par des bombes posées au domicile de ceux qui n'ont pas obéi aux ordres de s'exiler. Le Triple A sème la terreur dans tout le pays. La Rioja n'est pas une exception. Au cours d'une interview donnée au journal londonien The Indépendant, Moyano parle de son propre cas : "Avant le coup d'Etat du 24 mars 1976, J'avais reçu des menaces du Triple A, un escadron de la mort paramilitaire. A l'époque notre radio locale diffusait chaque Jour un chapitre de mon roman "El trino del diablo". La station elle-même recevait des menaces indiquant que si la -217- diffusion de sauterait. '"*•' mon livre La mort de Perôn en juillet se poursuivait, l'immeuble 1974 sera suivie d'une vague de violence sans précédent. Entre juillet et septembre de cette année, le Triple A est à l'origine de 220 attentats - presque trois par jour -, 60 assassinats, 40 blessés graves lors de tentatives de meurtre ratées et 20 enlèvements.CSïToutes les polices du pays participent maintenant de façon ouverte à cette première étape de la guerra du coup d'Etat de 1976 qui est devenu pour sucia, prologue tous un secret de polichinelle. En février 1975, Isabel Martinez de Perôn annonce que la lutte anti-subversive sera désormais placée sous la direction des forces armées. Les plaintes pour torture et emprisonnement arbitraire commencent à envahir les tribunaux et l'intimidation des juges et des avocats concernés par ces causes vise à décourager la justice de toute tentative d'immixtion dans les méthodes de l'armée. A la fin 1975, les dernières garanties constitutionnelles sont en train de disparaître. Les structures de la guérilla ont déjà été démantelées - quelques dirigeants se sont mis à l'abri, les autres ont été tués ou emprisonnés - et seuls de petits groupes durcis et suicidaires tentent des actions symboliques ; les mass-media privés des journalistes les plus combatifs - ils sont déjà en exil ou en prison - sont devenus au mieux des spécialistes du langage codé ; les syndicats non-orthodoxes ont été placés sous contrôle militaire et les universités confiées à des équipes de la droite péroniste qui se sont débarrassées d'un nombre hostiles à leur politique. important d'enseignants et de chercheurs Le chaos économique va de pair avec le -218- chaos politique : inflation vertigineuse du P. N. B., conditions, l'arrivée incontrôlable, paralysie des de déficit la militaires fiscal, chute production. représente Dans presque ces un soulagement. Le pays s'attend à une diminution de la violence mais c'est en revanche le terrorisme d'Etat à partir de mars 1976. La guerre qui s'installera en Argentine sucia, une guerre à sens unique, touchera même ceux qui se croyaient à l'abri de la répression. Le général Saint Jean, gouverneur de Buenos Aires, annonce ce que sera la politique du nouveau gouvernement militaire : "En premier lieu, nous allons tuer tous les subversifs, ensuite leurs collaborateurs, puis les sympathisants, puis les indifférents et, enfin, les timides.'"** Nous retrouverons 1'écho de ces paroles dans Libro de navîos y borraacas. Au bout de sept ans, lorsque vaincus dans la Guerre des Malouines et incapables de gérer la crise économique que la politique du ministre des Finances Martlnez de Hoz n'a fait qu'accentuer, les militaires autorisent les élections, élections - Raûl Alfonsln - le président issu de ces confie à une commission présidée par l'écrivain Ernesto Sâbato la rédaction d'un rapport sur les violations des droits de l'homme commises pendant la dictature militaire et en particulier sur le problème de la disparition de personnes. Le prologue de ce rapport élaboré à partir du témoignage des victimes de la répression ou de leurs proches et publié en 1984, dresse un tableau de la société argentine pendant les années de la dictature et permet de vérifier les résultats de l'application du programme, annoncé par le -219- gouverneur de Buenos Aires. Nous avons choisi un fragment du de prologue Nunca mâs - t e x t e probablement rédigé par Sâbato lui-même - car 11 résume l e cadre réel où s* i n s c r i t l ' u n des romans de Moyano que nous aurons à analyser dans c e t t e p a r t i e de notre t r a v a i l : "En el delirio semantico, encabezado por calificaciones como "marxismo-leninismo", "apâtridas", "materiallstas y ateos", "enemigos de los valores occidentales y cristlanos", todo era posible : desde gante que propiciaba una révolution social hast a adolescentes sensibles que iban a una villa-miseria a ayudar a sus moradores. Todos caian en la redada s dirigentes sindicales que luchaban por una simple mejora de salarios, muchachos que habian sido miembros de un centro estudiantil, periodistas que no eran adictos a la dictadura, psicôlogos y soclôlogos por pertenecer a profesiones sospechosas, jôvenes pacifistes, monjas y sacerdotes que habian llevado la ensefianza de Cristo a barriadas misérables. Y amigos de cualquiera de ellos, y amigos de esos amigos, gente que habîa sido denunclada por venganza personal y por secuestrados bajo torturaC) En cuanto a la sociedad, iba arraigândose la idea de la desprotecciôn, el oscuro temor a que cualquiera, por inocente que fuera, pudiese caer en aquella caza de brujas, apoderândose de unos el miedo sobrecogedor y de otros una tendencia consciente o inconsciente a justificar el horror.'"7'* La Rioja paie comme l e s autres régions de l'Argentine son t r i b u t de sang et de souffrance. Elle f a i t p a r t i e de la circonscription du Tercer Cuerpo de Ejército chargé de la répression dans dix provinces argentines et dont l e siège est à Côrdoba. Le camp de concentration de La Perla appartenant à cette circonscription a été l ' u n inhumains parmi ceux mis en place par l e s Juntes m i l i t a i r e s . -220- des plus 3.2. L'écriture de la violence Les trois romans que nous avons classés dans cette deuxième étape de la production littéraire de Moyano n'ont que quelques traits en commun si nous tenons compte seulement des aspects formels. El oscuro représente la culminât ion du style des oeuvres précédentes, mais un style enrichi de nouveaux procédés tels que l'exploration des différentes possibilités du monologue intérieur, la rupture de la linéarité du récit et 1' intégration de la musique dans la structure du roman. El trlno del dlablo souligne en revanche un tournant important dans l'écriture de Moyano. L'humour qui n'avait fait que de très rares apparitions dans les récits de la première époque se rend maître de la vision de personnages la société deviennent argentine presque des des années soixante-dix. marionnettes et les Les longues évocations consacrées à revoir et à analyser le passé sont remplacées par les aventures - mi-comiques, ml-traglques - d'un violoniste de province aux prises avec Buenos Aires et les gouvernements militaires. L'humour deviendra à partir de ce roman une ressource employée fréquemment par l'auteur dans les récits suivants mais sans atteindre la continuité et la cohérence dont témoigne El trino -221- del dlablo. Ce roman marque également l'entrée en force de la musique dans le sujet traité, dans la peinture des personnages et, surtout, dans le niveau métaphorique et symbolique du récit. Dès lors la musique ne quittera plus l'écriture et se tiendra aux côtés du langage littéraire pour 1* enrichir et pour suppléer même à ses carences. Avec El vuelo de tigre, Moyano revient à la peinture du milieu familial. Mais 1'analyse des rapports au sein de la famille et de ses membres avec leur entourage se fait maintenant, d' une part à 1'aide de procédés ayant déjà été expérimentés dans le roman précédent et, d'autre part, par des formes qui rapprochent la littérature de Moyano de l'oeuvre d'écrivains latino-américains tels que Carpentier, Scorza ou Garcia Marquez. La voie frayée par l'humour a facilité l'irruption du merveilleux. Chacun de ces trois romans a donc sa personnalité propre qui le rend unique en ce qui concerne la forme. Ils sont pourtant tous des réponses à la même inquiétude et des baromètres permettant de mesurer la montée du pouvoir militaire et de la tension sociale. Il serait inutile de chercher dans les récits de Moyano le tableau prolixe des événements qui se sont enchaînés a partir du gouvernement d'Ongania pour aboutir au coup d'Etat de 1976 ou l'analyse des forces s'affrontant sur la scène politique. Ce que les récits transmettent est un climat de malaise accentué au fur et à mesure que la société argentine plonge dans la violence et la répression. Les personnages que Moyano chérit, innocents et rêveurs, humbles, anonymes, capables de percevoir et de ressentir mais rarement capables -222- d'analyser objectivement une situation, vont se trouver dans un monde délirant et impitoyable où ils seront plus démunis que Jamais. Et si l'autorité arbitraire et abusive du père était dans les fictions autobiographiques le pouvoir qui conditionnait la vie de chacun des membres de la famille, ici c'est le pouvoir de l'Etat militaire qui dicte les normes de la société à laquelle appartiennent les êtres déconcertés et fragilisés qui peuplent les récits de la deuxième étape de l'oeuvre, à la seule exception de El oscura Les agents de ce pouvoir deviendront eux aussi des personnages que le narrateur de comprendre d'abord - c'est la démarche de El oscuro essaie - comme l'enfant adopté essayait de comprendre les raisons des agissements du père substitut. Mais la caractérisation qui cherche à récupérer la dimension humaine de ce type de personnage sera vite remplacée par la schématisation satirique de même que les efforts pour affirmer le contraire de tout ce que le pouvoir militaire représente remplaceront les efforts pour essayer de trouver des explications aux choix personnels de ses agents. Les autres personnages de Moyano, ceux qui habitent une société assujettie par les armes, vont continuer à apprendre. D'abord comment survivre - Triclinio, le violoniste, le fait grâce à l'aide de ses aînés - comment résister et se libérer ensuite - Aballay le découvre une fois que la nature lui a livré ses secrets -. Et plus tard, dans les romans de la dernière étape, ces personnages, contraints à 1'exil extérieur, devront apprendre à reconstruire et à se projeter vers 1' avenir. -223- Rolando, l e narrateur-musicien de Libro au moment de de navîos y borrascas, parler des formes l e s plus insensées de l a répression, avoue qu' i l l e f a i t forcé par l e s circonstances : "...Aubiers querido seguîr tocando con sordinaH<S3„. "...siempre toco con sordina para no molestar a los vecinos"***. "Afo sirvo para estas profundidades. Soy un narrador de agua dulce, capacltado para transporter naranjas o ciruelas en el delta del Paranâ o hacer vlajes de cabota je. Pesca de bajura en todo caso. Pero no mâs allé. Mo se nada del mar, y menos de navegar. Si hablo del mar, lo hago obllgado por las circunstancias. " f ' ° •* Par l ' i n t e r m é d i a i r e de Rolando, Moyano parle de sa s i t u a t i o n et de son oeuvre. Les changements qui sont intervenus dans son é c r i t u r e apparaissent i c i expliqués par l'affirmation implicite d'une éthique de la création l i t t é r a i r e . Confronté à des événements trop graves pour être ignorés ou relégués, sujets p o l i t i q u e s et l'écrivain qui préfère qui n ' e s t pas porté sur l e s thèmes de l ' i n t i m i t é - les nous l'avons constaté dans l e cas de Moyano à t r a v e r s l e s r é c i t s du monde i n t é r i e u r - ne peut pas se dérober à l ' a p p e l société. les El oscuro, étapes d'un El trino parcours del diablo, qui des problèmes de sa El vuelo del tigre mène du traitement marquent littéraire des poblèmes individuels à celui des problèmes c o l l e c t i f s . Le troisième roman, dont l e sujet est la répression consécutive au coup d'Etat de 1976, représente l e moment l e plus d i f f i c i l e de ce changement dont témoignent l e s oeuvres que nous aurons à analyser. En effet, des l ' h i s t o i r e récente de l'Argentine a mis l e s écrivains face à questions auxquelles leurs prédécesseurs -224- n'avaient pas eu à répondre : comment nommer l'innommable - les camps de concentration, la torture, le sadisme et l'abjection - et comment le traduire dans un langage littéraire ? Comment échapper au danger de produire des textes qui seraient une copie inauthentique des nombreux livres et articles consacrés aux témoignages des victimes de la répression dont la démesure du vécu semble défier les règles de la vraisemblance et entrer dans le domaine de la fiction ? Comment témoigner néanmoins pour préserver une vérité que l'on doit faire entendre ? Comment faire cohabiter l'étendue de l'horreur et la dimension de l'espoir ? Par El vuelo le del choix tigre du récit allégorique, Moyano a donné avec une réponse personnelle à ces questions. Le propre de l'allégorie est d'avoir un sens littéral contingent et un sens symbolique extérieur et accessible. Elle agit comme un filtre qui laisse passer les référents et qui cherche à être la traduction d* une certaine réalité. En utilisant l'allégorie pour filtrer les événements qui sont au centre de son récit, Moyano évite une manière trop directe d'approche de la réalité des années de la dictature des Juntes militaires comme il l'a déjà fait pour la période où le pays vivait le processus qui le conduirait au massacre final. L'humour et l'allégorie, les deux procédés qui soulignent la différence entre les récits précédents et ceux dont nous allons nous occuper, fonctionnent dans le cas de Moyano comme des gardes-fous qui protègent du "bruit et de la fureur" des événements et des situations tragiques auxquels les écrivains argentins ont dû donner une forme littéraire. -225- 3.2.1. L'identité reniée El oscuro constitue le pont entre les récits du monde intérieur et ceux du monde extérieur. D'une part, le roman continue à développer un problème personnel,- le drame d'un homme qui voit mais qui ne reconnaît ouvre pas le mal en lui-même, la deuxième étape car détermine le comportement l'événement futur des le mal partout et d'autre part, qui précipite personnages est il la crise et la mort d'un étudiant tué au cours d'une manifestation. Le militaire responsable de la répression qui s'est soldée par la mort de l'étudiant protagoniste de l'histoire racontée. Moyano le nom de Victor car c'est l'échec devient le lui a donné ironiquement personnel qui couronne sa vie remplie par 1'obssesslon de remporter des victoires sur le mal. Le récit Jongle sur quatre focalisations correspondant aux quatre instruments du quatuor de Brahms qui sous-tend la structure du roman : Victor, son père, Joaquin - un ancien policier chargé par Victor de retrouver des preuves de l'infidélité de sa femme - et l'étudiant, dont la voix nous parvient au moment où il agonise. Moyano s'est inspiré d'un fait réel - nous l'avons déjà signalé mais dans son récit la mort de Pampillân a été dépouillée de tous les détails qui pourraient permettre d'identifier facilement la victime et le cadre historique des événements qui lui ont coûté la vie. Il s'agit sans aucun doute de l'Argentine des dictablandas où ces manifestations bien que reprimées étaient encore possibles, mais il serait difficile à un lecteur l'auteur de nos jours sans aucun renseignement ou sur l'histoire sur la vie de récente du pays de replacer le réfèrent -226- extra-littéraire à l'époque du gouvernement d'Onganla. Moyano a glissé pourtant quelques pistes dans les dialogues ou dans les fréquentes évocations des personnages : la mention d'une "révolution" - la Revoluciôn Argentine de 1963 -, des conflits entre des groupes militaires - les affrontements de deux tendances de l'armée, les colorados et les azules, qui ont eu lieu à cette époque - et la campagne journalistique dont la mort de l'étudiant a été suivie. Le cadre spatial est en revanche plus précis. La ville où habitent les personnages est Côrdoba. Cette fols-ci elle n'est plus la ville des marginaux que nous avons rencontrée dans le premier roman de Moyano, Una luz muy lejana, mais celle des pensions de famille où logent les étudiants des provinces voisines. La Rioja et les Llanos ont déjà une place importante dans les souvenirs de Victor et de son père mais les événements qui déclenchent le conflit du personnage central ont lieu à Côrdoba. Ce sera la dernière fois que cette ville apparaît dans un récit de Moyano et de ce point de vue, El oscuro représente également une transition entre les premiers récits et les romans ultérieurs. L'objectif du roman : revenir à la source de la formation d'une personnalité autoritaire pour y trouver les raisons du choix de devenir un agent de la répression, conditionne la structure extérieur de l'oeuvre. Le récit se présente comme une série de retours en arrière à partir du passé le plus récent où se situe le contenu événementiel des chapitres I, IX et X. Les autres différents niveaux du passé - l'enfance militaire, du protagoniste, son entrée dans un lycée son mariage, sa carrière dans l'armée et -227- le scandale provoqué par la mort de l ' é t u d i a n t , se succèdent pas linéairement. l'échec de sa vie conjugale - ne I l faut donc recomposer l e parcours de la vie de Victor et sa personnalité à p a r t i r des points de vue parfois divergents apportés par ses propres souvenirs et par l e s souvenirs des autres personnages. En général, chaque chapitre conserve la même focalisation : l e VI, sur l e père ; l e s V et VII, sur Joaquln ; le VIII sur l ' é t u d i a n t . La femme n ' i n t e r v i e n t pas dans l e passé récent ; e l l e est seulement évoquée par t r o i s des quatre personnages masculins sur lesquels Moyano centre son r é c i t : Victor, son père et Joaquln. La présence physique de Margarita est t r a d u i t e par un bruit de pas et à la fin du r é c i t , ce bruit est l e seul l i e n entre l'isolement de Victor et l e monde extérieur où i l a tout perdu. Un mot narration est precariedad l'axe de la - répété structure périodiquement interne. au fil Chacun des de la quatres personnages focalisés est défini par rapport à ce concept de p r é c a r i t é et i l a des s i g n i f i c a t i o n s différentes pour chacun d'eux. Le corps du père et tout ce qui l ' e n t o u r e est f r a g i l e et précaire. Un épisode de l'enfance l'enfant de Victor montre quelle a été la première réaction de en découvrant ce q u ' i l pense ê t r e la preuve de la p r é c a r i t é de son père : "En une cama Inmensa estaba su padre, su cuerpo pequefio perdido entre la blancura de las sébanas. (...XI camînaba hacia la cama sin atreverse a llegar. (...) El padre lo estrechô y le dijo hijo querido, y él doblô la cabeza a un costado para no besarlo. Entonces apoyô el oîdo contra el pecho y slntiô latir, por primera vez, esa cosa alla adentro, esa cosa tan inmensa en un pecho tan pequefio. (,..)Entoncest atacado por un miedo violento, se llevô las manos a su propio pecho y sintiô que él tambiên -228- tenîa esa cosa adentro, latiendo apresuradaaente, como si fuera a quebrarse. Sin duda eso era lo ûnico que habîa heredado de su padre : sus defectos. " ' ' ' •' "El primer recuerdo que tengo de mi padre es su corazôn, esa cosa precaria latiendo. Pero después su corazôn fue su tambor en la plaza donde êl batîa su corazôn como para darle latidos."<1s> La peur de la f r a g i l i t é et de la mort, pousse Victor à chercher la perfection d'un ordre immuable c o n t r a i r e à celui que l e père symbolise. Sa formation dans un lycée m i l i t a i r e - qui est un hasard dans la vie de la famille, car c ' e s t un oncle qui prend en charge l e s frais de l'éducation rassurant de Victor - l e met en contact avec dont i l a besoin pour f a i r e face à l a peur. l'ordre L'entrée au lycée devient pour l u i une nouvelle naissance et la découverte d'un milieu où tout est propre, ordonné, massif et cohérent, l e détache définitivement de son père et de ses origines sociales : "Cerrô los ojos como para que los objetos desapareciesen , y supo, en una tortuosa divagaciôn de datos y de objetos, que lo ûnico verdaderamente bueno en su vida habîa sido el liceo. En esos afios todo habîa sido bello y seguro. Pertenecîa a un orden perfecto que jamés se alteraba. Las cosas se hacîan en dîas y horas perfectamente establecidos y significaban salvaciôn. Cuando saliera de allî tendrîa un grado y entrarîa en otro orden superior todavia mes perfecto y congruente, segûn lo atisbaba. (,..)Sin embargo lo que vino después del liceo fue tamblén precariedad ; de modo que los dîas en el establecimiento eran para êl como una infancia dulce, irrécupérable, C..)'1** Le mot p r é c a r i t é qui a é t é u t i l i s é comme synonyme de faiblesse, caducité et désordre glisse d'autres significations. l'attend à la sortie dans l e discours du personnage vers Le contact avec l a société des c i v i l s qui du lycée -229- - incohérente, agitée et contradictoire - l e persuade de l ' e x i s t a n c e du mal dans tout ce qui ne peut pas ou ne veut pas se p l i e r précaire c'est l'impur, mouvements des autres, la à l'ordre faillibilité un danger qu'il c'est potentiel représente. la culpabilité, du moment q u ' i l s Le les font courir l e risque de la p r é c a r i t é . La peur est devenue volonté de f a i r e peur pour combattre l e mal ou de d é t r u i r e ceux qui sont possédés par le mal: implica habita. ,,f "Desgraciadamente - casi destrucciôn siempre la continuaba de la destrucciôn del las personas donde mal él "*-> La p r é c a r i t é des r e l a t i o n s humaines est pour Joaquin une source de revenus. Retiré de la police, i l a fondé une agence de détectives et vit de la peur et des soupçons de ses c l i e n t s : "Estoy acostumbrado a tratar a mis clientes con cierta frîa cortesîa que los oblige a exponer sin rodéos el cochino asunto que generalmente los trae. Aparecen poniendo cara de santos para decir finalmente que el marido o la mujer o el socio estân dando pasos falsos(...)Yo, de este lado del escritorio estoy inmunizado del mundo que ellos représentai Para mi los ûnicos problemas son los ingresos mensuales, el alquiler del local, los sueldos de mis colaboradores, y aparté de eso vivo en un perfecto equilibrio con el mundo."*1B> Face à la démesure de Victor, Moyano a dressé un personnage qui est son envers. Joaquin ne veut pas p l i e r l e monde a ses d é s i r s , il s ' e s t déjà p l i é à l u i en profitant de ses imperfections. I l connaît l e nom du subordonné de Victor qui a tué l ' é t u d i a n t , i l n'en dira rien et i l ne portera pas de jugements sur l e meurtre. Peu enclin aux discours moralisants et philosophiques, Joaquin f a i t -230- transparaître dans ses observations sur le militaire, des raisons plus prosaïques que celles invoquées par son client pour justifier la croisade contre le mal où il s'est engagé. Les deux hommes se sont connus dans leur jeunesse, à l'époque où Victor était un élève du lycée militaire. L'ordre parfait du lycée qui est devenu pour l'adulte synonyme d'une enfance heureuse, dévoile dans les souvenirs de Joaquïn 1'origine sociale de ses créateurs et le prix à payer pour en faire partie : pour se rendre pareil aux autres élèves du lycée, Victor doit faire semblant de ne pas appartenir aux couches populaires de sa province où l'accent régional est plus marqué : "Yo hacia en ese tiempo mi bachillerato a duras panas, en el turno nocturno, y trabajaba durante el dîa en un estudlo contable para pagarme la pension. El era mas dlstinguido, nombraba a todas las buenas familias de La Rioja, pero no con el acento de su tierra, que advertî luego tan dulce al oido en la boca de su padre, sino en un tono cuidadosamente estudiado que impedîa conocer a travês de él su lugar de origen."<ie:> Moyano a travaillé le personnage du père, Don Blas, aussi soigneusement que celui de Victor en utilisant le même procédé : il faut le recomposer à partir des souvenirs des autres personnages et de son long soliloque qui occupe entièrement le chapitre VI. Paralysé et rendu muet par la maladie, Blas s'adresse à un fils qui ne peut pas l'entendre renouvelant ainsi dans la dernière rencontre la mésentente de toute une vie. Dans les rapports entre Victor et Blas, l'auteur a inversé ceux de Tacinto et de son père indien dans Una luz muy lejana et ceux des enfants des premiers récits avec leurs pères autoritaires ou absents. Ces enfants attendaient l'amour d'un père qui se dérobait sans cesse ou subissaient l'autorité injuste d'un père substitut. Ici, -231- c'est Victor qui se dérobe et son père celui qui s'obstine à l'aimer et à le chercher sans se laisser décourager ni par 1'indifférence ni par les humiliations que son fils lui inflige. Le mot précarité sert aussi à définir les caractéristiques que Moyano a choisi pour créer le personnage de Don Blas. Physiquement fragile, métis, veuf, originaire d'une localité des Llanos où le reste de la famille se bat contre la misère, employé par la police pour jouer du tambour dans les défilés et donc marginal par rapport aux autres membres par l'amour. morale Et de puissance existîa, de si l'institution, Victor l'ordre de représente absolu, l'amour Don donné no me Impedîa amarlo. satisfacîa, Blas la puissance Blas sans a compensé est la conditions roman et avec destructrice représentation : Y no impidiêndomelo con el solo hecho de que no impldieran L'image de la comète, la précarité "Su d'une de desprecio, usted, la si mi amor se su existencia. """ image reprise par Moyano dans son dernier la même signification, synthétise l'attitude de Blas face à la fuite du temps et à l'inéluctabilité de la mort contenues dans le concept de précarité. La répétition, preuve de la permanence de la vie face à la menace de l'interruption - El développait cette idée qui revient constamment fuego dans interrumpido, l'oeuvre de Moyano - , est objectivée par la comète et ses retours périodiques. Pour Blas, la comète est la promesse de sa continuité dans le monde à travers le regard de son fils qui aura pris sa place lorsque celle-ci reviendra. Pour Victor, en revanche, s'inscrire dans la lignée du père c'est perpétuer son imperfection et faire partie du monde précaire qui le hante depuis l'enfance : insignifiant, -232- faillible et fragile comme son père, impur car Blas est un métis. Ce qui l u i déplaît dans son apparence physique est en f a i t l'empreinte des t r a i t s de Don Blas : "El habla fijado en su mente una Imagen de sî mismo que no colncidîa con los rostros sutilmente cambiantea que el espejo reflejaba a medida que pasaban los afios. La imagen detenlda en la memoria conservaba todavîa algunos rasgos atribuidoe a su madré, de remoto origen europeo. Ahora, en cambio, en el rostro vulnerado por la suma de los dias, él no era el hombre que siempre habîa creîdo ser ; los bigotes parecian proclamar una falsa ferocidad y le daban mes bien una expreslon implorante. Alguna prominencia en los pûmulos, la forma de las cejas y algunos pliegues de la boca al pronunciar ciertas vocales, la marnera de mastlcar y, sobre todo, la expreslon de los ojos modificada por algunas arrugas le devolvian la cara terrîgena de su padre tocando el tambor en la banda policlal de la ya olvldada ciudad de La /fie^a.'""" Moyano a u t i l i s é l'adjectif terrîgena - engendré ou né de la t e r r e - en jouant sur l e s deux composantes du mot. Blas est un homme de tterra indigenas. adentro, de l ' i n t é r i e u r En l e r e j e t a n t , conservée à La Rioja et population de sa province. du pays, et il a des ancêtres Victor refuse l a c u l t u r e populaire criolla l e métissage qui de est à l'origine la I l renie donc une p a r t i e gênante de son i d e n t i t é pour s'accrocher aux vagues origines européennes de la mère. Nous pouvons constater ici la dernière élaboration du thème de la hantise du passé des premiers r é c i t s autobiographiques. années, Durant des l e protagoniste du roman a essayé de se débarrasser de la mémoire de ses origines qui l e poursuit en l a personne de son père. Mais l e s pôles p o s i t i f et négatif qui correspondaient à l'opposition poursuivi-poursuivant, sont i c i inversés. Fuir l e s origines n ' e s t plus -233- la condition du salut mais la preuve d'une cécité de la conscience qui se projette sur le titre du roman. A la fin du récit, certain sentiment Moyano semble prêter à son protagoniste un de regret. Dans un rêve Victor se trouve face à toutes les personnes qu'il n'a pas su voir ou qu'il a sacrifiées à son ordre sans pitié. Les images oniriques terminent la caractérisation du personnage au moment où le roman s'achève mettant à la fois en évidence la vraie nature du conflit entre Blas et son fils et un début de prise de conscience qui se manifeste dans l'attitude des autres personnages envers le protagoniste : ils 1'ont tous pardonné. Le désir d'être pardonné se traduit donc par l'absolution qu'on lui donne. Le paternalisme autoritaire devient paternalisme tout court et Victor établit avec l'étudiant des liens destinés à lui épargner la précarité du monde : "Victor sonriô y bebiô su café. La juventud era generosa. Los llbros, sin duda subversivos, sobre la mesa, eran también un signo de generosidad. Se sintiô protector de todo eso, - Cômo van los estudios - dijo paternalmente.""'s> L'image du père qui apparaît dans le rêve confirme ce que Moyano a suggéré au fil du récit : Blas apparaît sous les traits que Victor aurait voulus pour lui de son vivant. Toutes les caractéristiques du personnage correspondant à son statut social - situation financière, origines raciales, profession - sont inversées et ce n'est que sous sa nouvelle apparence que Don Blas respect de son fils : -234- obtient la considération et le "Cuando Victor entra, su padre girô râpldamente, como sorprendido, y se acercô a él tendiéndole una mano. Su padre era un oficial del ejército. (...)" "Se sentaron. Victor lo miré detenidamente. El uniforme parecia cortado en la mejor sastreria militar del pais. Los bigotes de su padre tenian resplandores rojizos. El cabello era casl rublo. (...)" "- Esta noche el cometa estera en ese lugar. Podremos verlo juntos. - Es verdad. Lo habia olvldado - dljo Victor."'*0' Victor classe l e s hommes en deux catégories : l e s t r a î t r e s et l e s héros ; lui-même se considère, bien entendu, un héros. Dans El oscuro, Moyano s ' a t t a c h e à démontrer que l'héroïsme, tel que Victor le conçoit, n ' e s t que l e masque de la peur, et que l e v é r i t a b l e t r a î t r e est celui qui renie ses origines. Mais bien que l e roman développe l e s raisons et les conséquences d'un choix personnel, derrière le protagoniste apparaît un autre choix historique dont l e s conséquences conditionnent l e présent de La Rioja. C'est celui fait par l e s de la Patria au XIXe s i è c l e : renoncer à la c u l t u r e criolla, Padres f a i r e de l'Argentine un pays seulement tourné vers l'Europe et forger une armée qui, i d e n t i f i é e désormais au projet de l ' o l i g a r c h i e , contribuera à la soumission et à l'appauvrissement des provinces de l ' i n t é r i e u r et fera du métissage un motif de honte. A travers le protagoniste de El oscuro, Moyano n ' a pas seulement touché un problème de l ' a c t u a l i t é politique argentine des années soixante, il a rappelé aussi les antécédents historiques des événements contemporains. La réflexion qui avait débuté dans la dernière p a r t i e du roman précédent avec la scène des r e t r o u v a i l l e s de Tacinto et de son père trouve i c i sa continuation -235- et l'auteur passe progressivement du problème de l'identité personnelle à celui de l'identité collective. 3. 2. 2. La répression et l'exil intérieur Huit ans après El ascura, le titre reprend celui Môyano écrit El trino del diablo dont d'une sonate de Giuseppe Tartini que le compositeur italien aurait d'abord écoutée durant un rêve inspiré par le diable et ensuite transcrit0"121 *• Créé dans le climat de violence et de confusion de 1974, ce petit roman - il a à peine cent ving-trols pages - est un catalogue des maux de la société argentine enfermée dans l'impasse du militarisme. Freud considérait l'humour comme une défense du Moi contre la douleur et les contradictions du monde extérieur ; muni du bouclier de l'humour, Moyano se lance dans le récit satirique et allégorique pour parler de 1' impuissance de la société civile confrontée à la force des armes. Il le fait à travers l'histoire de Triclinio, jeune violoniste rlojano émigré de sa province natale pour échapper à la misère et à la répression. Le texte de 1974, écrit donc avant le départ de l'auteur en exil, a été réécrit en Espagne et publié en 1988. La deuxième version reprend pour l'essentiel le premier texte mais supprime quelques détails dont le réfèrent n'est pas connu des lecteurs espagnols. Cette deuxième version multiplie par ailleurs les références à la musique, modifie légèrement quelques personnages -236- et change le titres de certains chapitres. Nous avons choisi de travailler sur la première version car elle est plus significative de l'évolution du style de l'auteur. En outre, elle rapporte avec plus de fidélité le climat de la période qui a inspiré 1'oeuvre. En vertu de la forme allégorique utilisée, le roman rend possible plusieurs lectures. En effet, le lecteur peut considérer le récit comme une vaste métaphore de la société argentine soumise au pouvoir militaire ; il peut surtout remarquer l'opposition entre la pauvreté de La Rioja et la richesse de Buenos Aires et, dans la mesure où Triclinio termine son aventure dans un personnage comme un représentant des cabecitas bidonville, negras voir le de l'intérieur du pays en train de renouveler leur triste aventure urbaine ; il peut, enfin, tenir compte de la profession de Triclinio et prendre le récit comme une méditation sur le sort des artistes dans une société répressive. Il nous semble que dans El trino del dlablo Moyano a visé en même temps cet ensemble de problèmes qui peuvent par ailleurs être ramenés à un seul : 1* exil intérieur. Simple citoyen aux prises avec les dictateurs, artiste obligé de se taire ou habitant d'une zone marginale du pays contraint d'émigrer, Triclinio est toujours un exilé dans son propre pays et son aventure devient tragique et comique à la fois parce qu'il la regarde avec une parfaite innocence. Dans sa province, il aura d'abord une carte de desubicado, quitter La Rioja, une carte de desarraigado méritera la carte de huésped en observaciôn ; à Buenos Aires il et obligé de vivre dans un bidonville, il obtiendra enfin celle de exillado. -237- puis, au moment de Presque sans se rendre compte de la dimension de ses malheurs il est privé de la citoyenneté. Le personnage choisi par Moyano pour parler de l'exil intérieur est un parent argentin de Candide. El trino comme un texte second del diablo peut être lu ou, d'après la terminologie de Genêtte*23*, comme un hypertexte inspiré des lignes fondamentales de l'oeuvre de Voltaire. Il protagoniste s'agit naïf et donc d'un influencé roman par d*apprentisage son professeur avec de un violon, Spumarola, l'émule moderne de Pangloss, qui conseille à Triclinio d' entreprendre un voyage à Buenos Aires, une ville - selon lui - dans laquelle les violonistes peuvent espérer un meilleur avenir. Tout au long du récit on peut constater la présence d'éléments communs à la tradition où s'inscrit le Candide de Voltaire, celle de la satire ménippée, genre qui remonte au Ille siècle avant notre ère. Les traits de la ménippée décrits par Bakhtine**3* peuvent presque tous retrouvés dans El trino del diablo : la être liberté d'invention qui donne des textes ne respectant pas les limitations de l'histoire ; des situations exceptionnelles et des aventures débridées qui ne sont jamais gratuites mais créées pour mettre à l'épreuve une vérité et répondre à une intention idéologique ; la réflexion sur des questions morales ; les discours, les conduites excentriques et les sorties incongrues ; les contrastes violents et les alliances contradictoires. Dans le contexte de l'oeuvre de Moyano, ce petit roman d'apprentissage qui tourne son héros en dérision devient également une -238- parodie de Una luz muy lejana. L'auteur a conçu la s t r u c t u r e de son premier roman comme un passage et 11 l e souligne par l ' I n t i t u l é du premier et du dernier chapitre : Entrada et Salida. I c i , l e passage se termine par une impasse. Une fols à Buenos Aires et après avoir été confronté à toute s o r t e de malheurs, T r i c l i n i o ne peut r e p a r t i r pour La Rioja car sa province n ' e x i s t e plus : "En la ventanllla le dtjeron que podîan venderle pasajes para Côrdoba, Catamarca o San Juan, pero nunca para La Rioja, porque esta habîa sido dividida y repartida entre aquellas provlnclas. El nuevo goblerno, an te los acuclantes problemas riojanos, los habîa resuelto ellnlnando a la provincia. C.iLos cordobeses habîan instalado una fébrlca de salchichas en la casa de gobierno, el gobernador habîa pasado a ser ordenanza en un paslllo de los Tribunales de San Juan, la historia provincial fue utilizada para hacer chistes y zambas, (,..)los hacheros de los Llanos fueron castrados y sus mujeres inseminadas artificlalmente con espermatozoldes traîdos del Japon, (...). Finalmente los perros, los burros, los gallos y los vendedores ambulantes fueron unificados en el rubro "varios", embalados y remitidos a Bolivie en pago de una deuda.n<SA:> La s i t u a t i o n sans issue du pays que Moyano t r a d u i t par la s i t u a t i o n de T r i c l i n i o apparaît t r a i t é e différemment dans t r o i s r é c i t s é c r i t s entre 1972 et 1975 : Tiermusik, El poder, la gloria, etc., et Kafka 72. Les personnages des t r o i s nouvelles c i t é e s restent enfermés, comme Triclinio, d'impuissance dans mis en une impasse évidence par mais le l'écriture climat ne de trouve peur et pas ici l'échappatoire de l'humour. L'histoire de T r i c l i n i o s'échelonne roman qui compte vingt en t o t a l . sur dix-neuf Le premier, -239- chapitres du sous l e prétexte de décrire la fondation de La Rioja et par le biais d'un futurologue qui fait partie de l'expédition de Ramirez de Velasco, résume l'histoire de la province et ses problèmes contemporains : "Ramirez y sus ayudantes se reunieron para tratar la situaciôn y decidlr algo. Hablô entonces su asesor en futurologia, quien predijo grandes plagas, sequîas, pestes y otros maies menores para la novîsima cludad.(...)La gente no conseguirîa trabajo, habrîa hambre, y los mâs fieros se alzarian en armas contra el poder central. Dificil de gobernar, estarîa slgnada por las intervenciones militares, <SS3 el calor y las moscas." A la fin du chapitre, le narrateur informe que dans la ville de Ramlrez de Velasco ont joué du violon saint Francisco Solano et Triclinio. Lorsque le jeune Triclinio se voit contraint d'étudier le violon à la suite d' une décision de son père - celui-ci a lu dans une revue l'histoire de Paganini et de son énorme fortune - le narrateur introduit Spumarola. Dans le chapitre III intitulé : Que trata tncreïble les Spumarola, traits Moyano présente le descendant de Pangloss sous d'un militant d'Hipôlito Yrigoyen. del l'Union de L'optimisme Civica du meilleur Radical, le parti des mondes possibles contre lequel se dresse Voltaire est remplacé dans le roman de Moyano par la béatitude d'un héritier des idées krausistes chères à Yrigoyen. Professeur de Philosophie vers 1880, celui qui sera à deux reprises président des Argentins avait découvert le philosophe allemand Karl Krause, l'un des épigones de Fichte et de Schelling. Krause prônait une religion de l'égalité humaine, du pacifisme, et de l'harmonie universelle. Le monde étant d1 essence divine, le Bien existe potentiellement mais il doit être mis en oeuvre par les hommes groupés -240- en associations regroupées elles-mêmes dans une Ligue de l'Humanité. Profondément attaché à ces idées qui avaient eu un grand succès en Espagne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Yrigoyen était devenu l'apôtre d'une religion civique, ses partisans se faisaient appeler correligionarios et le programme du parti avait pour nom la Causa. "préparer Le Spumarola militant radical doit assumer la tâche de la gente para el caso de que algûn dîa hubiese qu'il ne pourra Jamais accomplir soberanîa, abstractos independencia, del nombre, habeas corpus, tâche faute d'une conjoncture historique favorable et d'un public prêt à écouter un del abuso de vocablos elecciones"***3, taies libertad, discours démodé como paz, Justicia, garantîas individuales, "en razôn democracia, derechos etc. "f3""5 N'ayant pas réussi sa mission il se consacre à l'enseignement du violon, enseignement pour lequel il est aussi peu réaliste que pour les activités politiques. Moyano est tendre avec son personnage : il le présente comme un optimiste naïf qui croit â des valeurs qui ont perdu leur sens dans une société soumise à la force des armes. Lorsqu' il arrive à La Rioja, il n'a comme bagages que son violon et sa foi civique traduite par des mots devenus anachroniques. Le discours et la musique s'avèrent tout aussi inefficaces l'un que l'autre pour l'aider à survivre. Accusé d'être intellectuel et conspirateur par le général Schonpferd et rejeté par son propre parti, Spumarola sera d'ailleurs le premier à prendre le chemin de l'exil violonistes qui se produit annonçant ainsi l'exode massif de lorsque la mode des floralies et des sérénades cède la place à la mode des commissions d'enquête. Nous retrouverons le personnage, quinze chapitres plus tard, . au moment où -241- Triclinio, devenu lui-même un exilé, f a i t semblant d ' ê t r e aveugle et joue dans une rue de Buenos Aires pour gagner sa vie : "El capricho 24 de Paganini hizo detener a un rengo. Ya el toc toc monorrïtmico de su bastôn habia devuelto recuerdos Infantiles a la meaorla del joven ciego. Pero lo que parecïa recuerdo se corporizô en una voz didâctica inconfundible : - Hijo mlo - deletreô el vejestorio -les que acaso no te acuerdas de mi? Soy Spumarola, ahora casi tu discipulo, casi tu nieto. - Maestro - dijo Triclinio. - No me liâmes maestro. Jamâs oi una afinaciôn tan perfecta de este capricho. £Y con todo esto estas en la miseria? 0 es que tienes cuentas en los Bancos, en cuyo caso podrïas ayudarme para salvarme de Villa Violin, adonde no quiero caer a pesar de todo. - En realidad - dijo Triclinio - no debî disfrazarme de ciego sino de mudo, porque lo que deseo ahora es no hablar. Todo esto esta Ueno de palabras. Quiero un poco de silencio. - Las cosas van a cambiar, van a cambiar sin duda - dijo el viejo haciendo descansar su bastôn -. Estâmes reorganizando el Partido, y créeme que nos estamos renovando, tenemos un plan de avanzada, las cosas tienen que cambiar cuando lleguemos al poder. Tenemos una cantidad impresionante de afiliados nuevos. - Esta bien - dijo Triclinio repasando las afinaciones y dispuesto a seguir su trabajo.H<s&> La rencontre du maître et de son d i s c i p l e met en évidence l ' é v o l u t i o n de T r i c l i n i o . Spumarola, en revanche, n ' a pas changé. Il continue a c r o i r e en son vieux p a r t i , pense que c e l u i - c i va gagner l e s élections - toujours hypothétiques - et que l a solution des problèmes du pays passe par un renouvellement des s t r u c t u r e s du radicalisme. Mais T r i c l i n i o est immunisé maintenant contre l e discours de Spumarola et, en général, contre tous l e s discours, car après avoir découvert -242- l'existence de la torture 11 a décidé d'agir au lieu de parler. Moyano a marqué cette opposition Juxtaposant dans le même chapitre la rencontre des deux hommes et le seul acte de Triclinio qui constitue une tentative pour changer une réalité qui le répugne. La maîtrise de l'art que Spumarola lui a enseignée est mise au service de sa propre cause et Triclinio s'intitule El regreso devient un Hamelin argentin - le chapitre de Hamelin -, qui se jure de débarrasser Buenos Aires de tous ses tortionnaires. En effet, au son de la musique , les tortionnaires sortent de leurs cachettes avec leurs instruments et suivent Triclinio qui les conduit dans le fleuve afin qu'ils s'y noient. Triomphe éphémère car aussi bien le maître que son disciple seront ramassés par la balayeuse municipale et déposés dans la décharge publique. En outre, le geste de Triclinio n' aura servi à rien : "De talleres y fâbricas venia el enloquecido golpeteo de los martinetes, el crujlr de las morsas, la rabia de las sierras que estremecîan los metales fabrlcando nuevos instrumentes de tortura.ntss,> Au bout de ses aventures, Triclinio échoue à Villa Vlolln. Pour créer son bidonville imaginaire Moyano a emprunté les traits des villas Miseria de la banlieue de Buenos Aires proches des décharges publiques, inondées et insalubres. Les procédés irréalisants font de la villa miseria du roman un lieu fantomatique, peuplé par des musiciens atteins d'arthrite et dépossédés de leurs instruments mais essayant encore de Jouer et de composer dans leur imagination des musiques interdites destinées à sortir subrepticement de Villa Violin -243- pour être écoutées dans le reste de la ville. La musique est donc devenue une métaphore a travers laquelle Moyano parle de la liberté d'expression et de la possibilité d'affirmer un discours libérateur. Les adultes qui recueillent le jeune Tricllnio après ses tristes aventures lui apprennent comment vivre l'exil intérieur. Ismaël, dans Una luz muy conventillo lejana, quittait les laissés-pour-compte de son car 11 se sentait différent et voulait trouver un monde meilleur ; Tricllnio, quant à lui, trouve le seul monde possible dans la compagnie de ceux qui ont été classés parmi les indésirables ou les dangereux et qui sont de ce fait ses semblables. L'issue que Moyano laisse toujours à ses personnages est représentée, dans le cas de Tricllnio, par la solidarité de ses nouveaux amis : les musiciens arthritiques ont aménagé le bidonville pour qu'il ressemble à La Rioja. Dans la ville de la mémoire, Tricllnio récupère son enfance, les êtres chers, les sons et les couleurs qui l'avaient quitté à Buenos Aires. Ils ne sont que des copies imparfaites de la réalité mais l'aideront disparition à garder son identité mise à l'épreuve par la de sa terre natale . Dans la description de certains personnages la caricature provoque un rire facile. Tel est le cas des deux présidents militaires qui reçoivent devine les Tricllnio, portraits demandeur d'emploi, d*Onganla et derrière lesquels on de Lanusse (dans la deuxième version, il s'agit probablement d*Illla et d'Onganla). Mais la présence permanente de la répression, suggérée par les bruits des instruments de torture ou montrée directement, -244- entoure les aventures du protagoniste d'un climat parfois oppressif qui rappelle la nature des référents historiques du roman. Avec Triclinio, Moyano a créé un être pathétique, ridicule à force d'être naïf, qui avance à travers les rues d'une ville sous occupation militaire sans mesurer la portée des incidents auxquels il se voit mêlé. certaine Plus que Candide, le personnage évoque, mesure, le Chariot de La ruée vers l'or dans une se promenant dans une rue d'Alaska poursuivi par un ours qu' il n1 a même pas remarqué. Triclinio, lui, passe au travers des gaz lacrymogènes, accroché à son violon, la tête pleine des bruits dont 11 n1 arrive pas à saisir le sens, exposé et protégé à la fols par son innocence et sa générosité qui trouveront seulement leur place parmi les musiciens du bidonville. L'apprentissage de Triclinio est un apprentissage avorté parce qu'il n'a découvert que les contraintes d'un monde en délire. Les musiciens qui l'adoptent - il y en a un qui a pris exprès l'aspect physique de son père - en lui permettant de survivre et en lui offrant un modèle de société plus humain, lui accordent aussi la possibilité de revenir en arrière pour commencer un autre cycle d'apprentissage. L'impasse peut devenir ainsi un lieu d'attente où les rapports solidaires brisent l'isolement de l'exil intérieur. Les derniers mots que Moyano met dans la bouche de son personnage sont : "Tenemos todo por delante. el ttempo •»<»»* Le jardin qu'il faut cultiver a Villa Violin, est celui de la survie, aussi bien celle des hommes que celle de leur droit à s' exprimer. -245- 3. 2. 3. La violation de la mémoire et la dissolution de l'Identité SI El trino del dlablo témoigne déjà d'un changement Important El vuelo dans l'écriture de Moyano, avec del tigre et surtout avec la dernière partie du roman, l'auteur fait une première Incursion dans les formes littéraires du réel merveilleux peu ou guère explorées par les narrateurs argentins et par l'auteur lui-même avant ce tournant de son oeuvre. Nous avions fait remarquer dans quelques-unes des nouvelles de la première étape la recherche du merveilleux chez des personnages étouffés par la médiocrité et la fatigue de la ville. Dans ce •roman, au travers d'Aballay et de ses ressources presque magiques pour se débarrasser de Nabu, Moyano affirme la possibilité de trouver un regard autre qui atteigne le merveilleux et l'utilise comme une arme de défense contre les prétentions des dictateurs. La cohabitation du réel et du merveilleux est ici très brève mais elle annonce Très golpes et les réflexions qui sont à la base de ce segment narratif de El vuelo del de timbal où Moyano approfondit les techniques tigre. A travers l'histoire d'une famille de province, les Aballay, habitants de Hualacato - un village situé entre y las desgraciasi!*'i la cordillera, el mar * -, Moyano raconte l'histoire des années de la dictature par le biais d'une allégorie qui est suggérée depuis les premières pages du roman, au moment où sont introduits personnages-clés du récit : le vieil Aballay et la chatte : -246- deux "Era uno de los pocos moment os de la noche sin un solo ruido de vida, ni insectos, ni pêjaros, ni reptiles parecen existlr ; todo coincidlendo con la memoria de la gâta que guardaba esos momentos desde antlguo y la împulsaban todas las noches a trepar a la veleta para esperarlos. Momentos de seguridad, de ceremonlas naturales no Interrumpidas, ahora que cambiaban tanto las cosas en Hualacato ; cosas nuevas que ella no ténia en su memoria de la noche." "El vlejo Aballay si las ténia y las contaba a su manera, fabulando sln alterar los fundamentos, en parte para poder llegar a la verdad, en parte para atenuar ciertas imagenes que daflarian la memoria, transfiriéndolas a cosas menos sensibles que la carne."*331* Le roman reproduit l ' a t t i t u d e d'Aballay face aux h i s t o i r e s q u ' i l raconte. trouver Aussi, 11 se présentera comme une évocation qui cherche à une v é r i t é fondamentaux tout et en à la évitant transmettre l'allusion sans changer directe. ses aspects Aballay, vieux conteur toujours prêt à i l l u s t r e r avec une fable l e s s i t u a t i o n s vécues et leur sens caché, n ' e s t pas gratuitement introduit dès l e début du roman. Moyano l a i s s e r a planer dans l e dernier chapitre l e doute sur l e v é r i t a b l e rôle qu' i l a joué par rapport à la narration. Le lecteur ne sait pas s i c'est l u i qui a raconté toute l ' h i s t o i r e a quelqu'un d' autre chargé de la rapporter, s ' i l a imaginé l e dénouement ou s i l e second narrateur dans l'a inventé de toutes pièces. De même, le dernier paragraphe du fragment c i t é , a p a r t i r de ce qui est dit sur la mémoire i l est possible de se demander de quelle mémoire i l s ' a g i t : de la mémoire d'Aballay ou de la mémoire de ceux qui 1* écoutent ? Et s i on parle indirectement des d e s t i n a t a i r e s du roman porquoi f e r a i t - o n allusion à la mémoire et non à l a s e n s i b i l i t é ?. -247- Pour répondre à ces questions il faut se replacer dans deux contextes différents : le contexte de l'oeuvre de Moyano dans son ensemble et le cadre de la réalité extra-littéraire de £2 vuelo tigre. Llbro A la question sur le narrateur répondent del de navîos... et le roman suivant. Nous verrons lors de l'analyse de ces deux oeuvres se dessiner un protagoniste qui assume aussi la responsabilité de la narration. Aballay étant conteur et possible narrateur de l'histoire ou d'une partie de l'histoire, prépare déjà l'arrivée des deux narrateurs suivants par lesquels Moyano commencera à analyser le rôle de la littérature et la place de l'écrivain dans la société. Dans le commentaire sur les procédés dont Aballay se sert pour parler de la réalité, Moyano n'annonce pas seulement l'utilisation des procédés allégoriques dans son propre récit mais il introduit une première réflexion sur sa démarche littéraire. Quant à la dernière question, celle qui concerne la mémoire, elle peut trouver une réponse lorsque l'on identifie connaissent que les destinataires trop bien aux lecteurs argentins l'histoire racontée ou des qui ne histoires semblables, dont le souvenir est blessant. Le style de Moyano progressive intérieurs complexité simultanés témoigne formelle. et des dans El L'auteur déplacements vuelo utilise del des constants tigre d'une monologues et parfois vertigineux de la focalisation, entraînant l'alternance de la vision adulte, enfantine et même animale des événements ; l'emboîtement des récits allégoriques et le changement de registre (grotesque, lyrique, Ironique, dramatique) sont fréquents ainsi que les jeux de mots et même la création de nouveaux mots. A ces caractéristiques il faut -248- ajouter une métaphorlsatlon apppuyée sur la musique, procédé déjà exploité dans le roman précédent. La structure extérieure du roman est en revanche plus simple : du chapitre I au chapitre XII, le récit est centré sur les différentes étapes de la dictature établie par Nabu à 1* intérieur de la maison de la famille Aballay. La libération de la famille et du village tout entier à partir est racontée du chapitre XIII et occupe les deux chapitres restants. Les bruits que Triclinio entendait dans sa tête quand il ne pouvait pas atteindre la compréhension des événements ou des discours des autres, se sont maintenant objectivés : les envahisseurs de Hualacato sont des percussionnistes et dès leur arrivée le son de la percussion rythme extérieur, les percussionniste la vie du hualacatetSos village. devront Ayant admettre perdu déjà l'espace l'installation d'un dans le foyer de chacun des suspects. Nabu occupe la maison des Aballay, une famille ouvrière composée par le grand-père dont nous ne connaîtrons que le nom de famille, Cholo et Coca, son fils et sa belle-fille, et cinq petits- enfants dont deux adolescents, Kico et Sila. La vie de la famille et de Hualacato en général avant l'arrivée des percussionnistes évocations des personnages et peut des être reconstruite à partir des objets Les qui les entourent. habitants de Hualacato ont mené une vie simple dans une région où les problèmes ne manquent pas exactions - : maladies endémiques, mortalité infantile, Aballay a été dépouillé de ses terres, ce qui suggère l'existence de conflits avec les propriétaires fonciers - mais où ces problèmes sont partagés dans l'amitié et la solidarité. Le groupe de -249- base constitué s'élargit lors par le de l a grand-père, célébration les parents des r i t e s mariages, anniversaires - de nombreux oncles, et les familiaux - enfants, baptêmes, tantes et cousins. Ce monde Imparfait mais p r é v i s i b l e sera bouleversé par l ' a r r i v é e de Nabu. Moyano a f a i t du personnage de Nabu une synthèse de tous l e s agents de la répression : i l est à la fois représentant du pouvoir central, geôlier, t o r t i o n n a i r e , bureaucrate et inquisiteur. Mais i l se veut surtout rédempteur. Dès son arrivée à la maison, en renversant la formule de p o l i t e s s e utilisée pour se présenter aux Aballay, il instaure l e non-sens : "El hombre golpeô dos veces la puerta. Cuando estuvo adentro, aunque era de noche, dijo répidamente buenos dias, soy el Percusionista." "(...) He venido a salvarlos, no a perderlos. He salvado a muchas familias como esta y en peores clrcunstancias. (...) Uds. tenian la obligation de solicitar voluntarlamente un Salvador segûn se ha dicho por radio y télévision hasta el cansancio. No lo han hecho. Inocente resistencia."*339 En commençant l e mot Percusionista suggéré un grade qui s ' a j o u t e musiciens qui jouent frapper : golpear, Estado. d'un par une majuscule, à l a fonction de frapper, instrument à percussion. Moyano a propre aux En espagnol, renvoie aussi à une r é a l i t é p o l i t i q u e : golpe de Le nouveau d i c t a t e u r a, naturellement, un nom q u ' i l précise à la demande d'Aballay : "- Podemos saber su nombre por lo menos ?(...) - Mi nombre es un poco largo. Pueden llamarme Nabu simplemente. <a*> -250- L'abréviation proposée par Nabu Induit a penser qu'une fols complété, le nom peut être Nabuchodonosor. Il rapelleralt, dans ce cas un personnage de l'Ancien Testament, Nabuchodonosor II, dont le nom est cité avec horreur dans les textes sacrés car c'est lui qui détruit Jérusalem et condamne le peuple de Juda à la mort et à l'exil, A partir du chapitre II, le récit va dévoiler en quoi consiste la rédemption que Nabu apporte aux Aballay : c'est l'anéantissement de la volonté, la mémoire, le respect de soi-même, la capacité de rêver et de penser et l'identité de chaque membre du groupe et de celui-ci en tant que groupe. En faisant parcourt toutes argentines les toujours appel à des allégories, Moyano méthodes employées par les Juntes militaires : la propagande (Nabu fait chaque dimanche un sermon et la famille est contrainte d'y assister) , la censure, qui atteignant tous les niveaux de l'expression et de la création transforme les adultes en enfants suivant obligés à créer et à consommer les directives de l'Etat des produits culturels (les Aballay doivent s'appliquer à faire des figures d'animaux en pliant des feuilles de papier, seule activité "culturelle" permise) ; les secteurs interdits à la circulation et le couvre-feu (Nabu interdit les sorties dans le jardin et établit les heures du réveil et du coucher) ; la torture appliquée systématiquement - dans le roman il y deux scènes de torture pour le traitement desquelles Moyano a multiplié les filtres de l'allégorie -; le contrôle de toutes les formes de communication lettres que reçoit la famille) déplacements des suspects, et la (Nabu s'empare des surveillance stricte des les futures victimes, symbolisée dans le -251- roman par turistas les appareils photographiques que Nabu et les autres envahisseurs de Hualacato portent toujours avec eux. La miniaturisation de la société que Moyano opère dans son roman réussit deux effets complémentaires : d'une part, l'enfermement dans l'enceinte de la maison familiale exprime le climat étouffant du pays tout entier. L'univers des Aballay devient un univers concentrationnaire non seulement par la présence de Nabu et de ses méthodes mais parce que Moyano a ajouté des détails spécifiques à la vie dans la prison : les couverts en métal sont interdits, pendant la nuit Nabu éclaire avec sa lampe les lits de ses prisonniers et compte minutieusement leurs corps. D'autre part, en introduisant son fonctionnaire au coeur même de la vie familiale il fait cohabiter le quotidien extérieure intime - banal imprévisible et et rassurant destructrice ce avec qui une puissance met en évidence l'impossibilité de se créer des refuges à l'abri des effets de la répression. Au contraire, c'est justement l'isolement imposé par Nabu qui dégrade progressivement le quotidien. Il s'attache d'emblée à effacer les points de repère spatio-temporels où s'inscrivent les liens de la famille avec la communauté en interdisant les horloges et en couvrant avec du carton noir les vitres des fenêtres. Les Aballay, à la seule exception du grand-père, une fois coupés du monde, ne sont qu' un groupe de personnes terrorisées et perdant leur ancrage, non seulement dans le présent mais aussi dans le passé commun, Le texte insiste dans le chapitre II sur les mots heridas cicatrices : chaque avancée du Percusionista et représente une blessure et le souvenir en devient une cicatrice. A ces avancées, la famille -252- répond par des stratégies de survie que le tortionnaire démonte ou utilise contre elle. Il met sous séquestre les photos de la famille et de ce fait il s'empare du passé pour en devenir le juge et décider de l'avenir de l'évocation, d'apercevoir liens avec passées des famille et tous. ces En outre, points il de supprime les perspective images-supports d'où une période de la vie d'autrefois il et est de possible de rétablir des une joie ou une douleur oubliées. La Joie et la douleur Aballay dans se celle sont de fixées Tite, dans les photos l'enfant que la des famille fêtes de a perdu. Orphelins de ces images, les Aballay essaieront de les recomposer dans la mémoire pour s' accrocher aux liens détruits. Mais parmi ces photos, il y en une qui prouvera leurs liens de parenté avec un résistant et alors la mémoire-refuge deviendra mémoire-piège car l'image de tante Avelina revient de façon obsessionnelle dans la pensée de tous pour évoquer la mort future au lieu de la vie passée. Et si la mémoire est un bien perdu, on peut en dire autant de la parole, car Nabu a réglementé les sujets de conversation et la fréquence et les horaires des échanges verbaux des Aballay. Privés du droit de parole, les Aballay seront aussi privés du droit de ne pas écouter le discours du pouvoir. Moyano réussit des moments de détente dans son récit à partir des discours de Nabu sur des sujets divers : l'art de la papiroflexia, la violence paradoxale, les grands rédempteurs de l'Histoire, et la psychiatrie électronique. L'humour émerge non seulement de la rhétorique de Nabu mais des contrastes qui se créent entre le style employé et le sujet traité. Aussi, Nabu emploie un style ampoulé pour parler de l'art de faire des -253- objets en papier et de leur importance dans l'histoire de la civilisation. Dans les deux derniers discours l'allégorie ne voile pas la source : ils s'inspirent des discours des chefs argentins et des campagnes de propagande du régime. militaires Derrière le discours sur la psychiatrie électronique se cache la réaction de la Junte face aux nombreuses réclamations que faisaient gouvernement parvenir au argentin les pays industrialisés et les associations internationales de défense des droits de l'homme. A partir de 1978 et en réponse aux attaques de la presse internationale, le pays est littéralement submergé par des affiches diffusant le même slogan : Los argentinos somos derechos y humanos, affiches qui font partie d'une campagne plus vaste destinée à démontrer que les pays développés, tous entre les mains de l'eurocommunisme, du judaïsme international et du carter-communisme f3B , appliquent des méthodes de "contrôle" de la population beaucoup plus dangereuses que celles de la Junte argentine. Une autre allusion aux discours des généraux de la dictature peut Être retrouvée dans les affirmations de Nabu sur l'existence d'une troisième guerre mondiale à laquelle il participe ainsi que tous les habitants de Hualacato, devenus automatiquement ses ennemis. Moyano reprendra la critique de cet argument auto-justificatif dans Libro navlos y de borrascas. Le processus d'intériorisation des accusations de Nabu et la vraie nature de ses accusations ne sont pas explicités dans le récit par le discours du narrateur mais par des images qui les synthétisent. Au .cours des interrogatoires Nabu utilise le verbe tocar, un verbe qui est employé depuis le début du roman et dont le sens doit être déduit -254- à partir du contexte. Dans le premier chapitre, les habitants de Hualacato ont cessé de jouer pour mieux entendre les bruits des percussionnistes qui approchent du village. Le contexte permet de déduire que dejar de tocar peut vouloir dire dejar de trabajar, la grève, car les percussionnistes crient : A tocar, dans d'autres contextes tocar signifie golpear, le sujet du verbe est Nabu - declr, pensar, herir ou hacer, faire a tocar. Mais ou violar - si dont l'extrême transitivité rend possible l'actualisation de signifiés différents. Le lecteur ne sait pas de quoi la victime est accusée lorsque Nabu utilise le verbe tocar. Mais la couleur politique que Nabu vise dans ses accusations est rendue visible par les taches qui colorent le corps de Cholo lorsqu'il se laisse envahir par la peur. La peur elle- même apparaît comme une odeur que Nabu est habitué à reconnaître : "En la oscurldad mâs plena, rojo del todo al borde de la asfixia esté latlendo el blcho, difundlendo su color y su olor y sus bordes de asfixia. La presencia tiHendo las espaldas de los Aballay. Cada uno en su cama con las manchas rojas en la espalda, difundiêndose, tapândoles los pulmones, esforzândose para llegar a la nariz y a la boca, ya salpicadas de puntitos rojos, de falta de aire." t3S> "Tomô la linterna desganado para hacer la inspecciôn nocturna antes de acostarse, abriô la puerta de vidrio y oliô la tufarada, la presencia. (...)" "Su miedo me molesta - llegaron claras las palabras de Nabu traspasando la luz de la linterna -. Trate de disimularlo un poco para que haya silencio y podamos dormir todos. Esta casa apesta de su miedo. u<3'!'9 La mort de Cholo sera le dernier palier de la descente avant le moment où se produit la libération de Hualacato. Le monologue intérieur que Moyano a utilisé pour décrire 1'agonie du personnage -255- souligne le résultat du processus d'intériorisation de la culpabilité, produit de la soumission totale des plus faibles aux régimes dictatoriaux. Tué par Nabu parce que le désir le pousse à rejoindre sa femme et que pour le faire il doit traverser la zone interdite, avant de mourir il fait un retour en enfance et retrouve d'autres transgressions et d'autres punitions. Ses derniers mots d'excuse c'est à Aballay qu' il imagine les adresser et non à Nabu, Coupable de mourir, d'avoir désiré, d'oublier les signes que la famille a inventé à l'insu de Nabu. pour pouvoir communiquer, Cholo est redevenu un enfant et son innocence ou sa culpabilité dépendent du jugement du père : "Y yo tampoco estoy, me he perdldo ; me olvldo de los signos, se han perdido y Ud. tanto que me pidiô que los guardara. Procure recordar lo que Ud. ha guardado en su cabeza ; eso no puede perderse, es de todos ; acuêrdese que Ud. es el libro. El libro se me cayô en la lluvia ; se borraron las letras. Tendra que repetirme otra vez todo, ya no me acuerdo para que eran las palabras. Yo no he robado el libro. Se me cayô en el barro, se lo llevô la lluvia.<3e;' L'identification du père au représentant de l'ordre totalitaire apparaît aussi dans une des dernières nouvelles de Moyano, publiée avec la deuxième version de El trino allusion à ce récit autobiographiques. au moment del diablo. d'analyser Il s'agit de Desde los Nous avons déjà fait le cycle des fictions parques dont pourrait évoquer une nouvelle de Julio Cortâzar : Continuidad parques. le titre de los Mais si la contiguïté des deux jardins de Cortâzar signale la cohabitation de la réalité et de la fiction, les jardins de Moyano sont la continuité du temps par la répétition de l'injustice -256- et par l'effort de la réparer. chien - c e t t e f o l s - c l chagrin de l'enfant séjour en prison. Nous retrouvons dans la nouvelle la mort du l ' o n c l e tue une chienne - et l e souvenir du qui s'enchaîne avec un souvenir plus récent : l e Et dans la prison s ' é t a b l i t à nouveau entre le gardien et l e prisonnier un rapport basé sur l a nourriture. Le gardien donne à manger au prisonnier et de ce f a i t père ; l'oncle mais i l de insatisfait El le fait par obligation - comme c ' é t a i t cruciflcado accompagné i l remplace l'image du - et maintenant il réactualise d'un l e cas de un ancien accroissement du besoin sentiment d'humiliation. Le père, l ' o n c l e et l e gardien, sont t r o i s blessures de la mémoire qui se continuent et s'enchaînent pour se confondre dans l'évocation. La réparation n ' e s t pas i c i l'envol de l'innocent mais l e fragment de vie que l e souvenir l u i assure, souvenir mélancolique et hanté par l a mort : "Por est os parques suelo pasearme con una perra que en un sentido profundo ha sido rescatada por mi de la muerte que le dio mi tio. Ella camina confiada a ml lado, sabe que soy su conexiôn segura con el mundo y puede créer con fundamentos que la exlstencia es indestructible. Corre, se aleja, vuelve, tiembla de pura alegria y de vida desbordante. Yo la espero de pie en el lugar mes luminoso del parque procurando no mirer lo que siempre miro : su lengua lamiendo el catto de la escopeta, mi tio levantando el percutor, el estampido que ya no tiene importancia porque ella no lo oye ; sus marnas hinchadas ya no tlemblan, su cuerpo queda como una mancha hûmeda sobre la hierba salpicada de esqueletos de caracoles blancos en medio del verano, cuando el mundo esté hermoso y la vida parece indestructible.n<3SO A p a r t i r du chapitre XIII, El vuelo del tigre s'aventure dans l e domaine du réel merveilleux. Proche de deux personnages de El reino de -257- . este aundo de Carpentier - Mackandal et Ti Noël - le vieil Aballay est l'axe des trois derniers chapitres du roman. A travers tout le récit Moyano membres a marqué de la la différence famille. C est entre lui qui le grand-père réagit et le premier les autres contre la domination de Nabu en proposant un langage fait de gestes, de regards et de petits coups qui leur permet de briser l'isolement auquel ils ont été contraints et faire le premier pas vers la libération ; et lorsque Nabu, en tigre expérimenté, perçoit dans la émanations de la peur et s'approche du lit d'Aballay, maison les il sait que ce n' est pas lui que les dégage. Torturé à deux reprises, Aballay est finalement expulsé de la maison familiale et doit vivre dans le jardin de sobrevivenclas los végétales resplraderostAO:>. y de la comida que algunas Mais la solitude et l'exil, veces caîa de loin de miner sa résistance l'aident à trouver la solution pour se débarrasser de Nabu. Le genre de solution choisi par Aballay se trouve déjà préfiguré dans le corps même du vieillard et dans les rapports qu'il entretient avec la chatte. A la suite d'un accident, il a perdu une jambe mais il a mal à cette manque. Combler jambe absente comme il a mal à la liberté qui lui le vide avec le désir de liberté pour que ce désir puisse devenir projet et puis réalité est la tâche qu'il s'impose. Dans sa guerre personnelle contre le Percuslonista il est aidé par Bellnda, la chatte. Le regard de Bellnda ouvre et ferme l'histoire de l'intrusion Bellnda de Nabu dans la vie des Aballay. semble provoquer la mutinerie des Silencieuse et rusée, chats pour perturber le sommeil de Nabu. Elle est dans le récit l'objectivation de l'attitude et du regard de son maître tout comme les chats des contes merveilleux -258- sont 1'objectlvatlon des pouvoirs mystérieux de la sorcière. Le chien borgne de Nabu s'oppose à l'image de Belinda pour traduire, peut-être, une vision limitée et mesquine de la richesse du réel. Cette richesse, Aballay la trouve dans la nature et dans l'exemple des oiseaux. Mais étant donné que la trame de l'allégorie devient beaucoup plus complexe dans ce dernier interprétations, trajet du roman et qu'elle admet plusieurs les oiseaux chargés de transporter Nabu loin de Hualacato peuvent avoir de significations différentes. Le récit luimême semblerait en suggérer une en particulier. Moyano joue avec la locution tener pajaritos en importantes ou peu réalistes). la cabeza, (avoir des pensées peu Dès son arrivée, Nabu annonce son intention de débarrasser les Aballay des "oiseaux" qu' ils ont dans la tête. Il insiste sur cette idée au moment où il brûle les livres de la famille : "- Ni siquiera me ne fîjado en los tîtulos - dijo Nabu prendiendo el fôsforo -, La que aquî esté quemândose para bien de ustedes, son ilusiones. Pajaritos."'*1 * L'expression revient à propos de la situation des enfants, obligés d'apprendre par coeur les leçons de Nabu sur les grands rédempteurs conceptos, de l'Histoire la jerga de la : Difîciles las memorizaciones, iAai verdad sin pajaritos. los Et lorsque les oiseaux s'envolent emportant Nabu avec eux , Aballay essaie de lui dire que esos son los pajaritos que tenïan en la cabeza'1*33- Les oiseaux ont donc une valeur double dans le récit : ils représentent la pensée libératrice, brûlés prend celle qui suscitée par la lecture des livres racine dans les désirs de tous, -259- mais à partir de 1'expérience d'Aballay, les oiseaux sont également la réflexion qui s'appuie sur un ordre naturel fournisseur de merveilles où les hommes peuvent lire également des réponses à leur besoin de liberté. Dans Très golpes de titubai, Moyano poursuivra l'exploration de cette théorie et des formes littéraires par lesquelles elle s'exprime. Ecrit pendant militaire El vuelo les années les plus difficiles de la dictature del tigre résume l'indignation de Moyano face à la situation du pays et ses espoirs de voir la dictature s'écrouler sous la pression populaire. La tâche que s*Impose Aballay ne fait que traduire de manière allégorique la tâche que s'est imposé l'auteur : penser à la libération, chercher un espoir. Pour le dire il a forgé un personnage porteur de toutes les valeurs d'une tradition et d'une culture, et désormais. par C est conséquent pourquoi d'une nous identité, serons qu'il obligés de revendiquera reprendre le personnage d'Aballay au moment de parler de La Rioja, cachée sous les traits de Hualacato. Mais avant de le faire, nous essaierons d'examiner le traitement d'un sujet à peine frôlé par les narrateurs argentins avant les années de la répression, peut-être parce que la réalité dont il s'inspire, quoique déjà présente dans la vie politique du pays, n'avait pas encore pris l'ampleur et la fréquence qu'elle a eues par la suite. Nous parlons du traitement littéraire du problème de la torture. A partir de 1974, Moyano ne cessera de revenir sur ce sujet et même dans son dernier roman, écrit plus de dix ans après son départ de l'Argentine, les images de la torture hantent un monde imaginaire pourtant beaucoup plus lumineux que celui des deux romans -260- précédents. Nous allons suivre d'évolution des formes choisies par l1 auteur pour parler d'une réalité qui 1* a visiblement marqué et qui par ailleurs constitue un véritable défi dans le cas d'un narrateur habitué "a jouer en sourdine". Dans le but de ne pas avoir à revenir sur le même sujet lorsque nous nous occuperons des romans écrits en exil, l'analyse dépassera le cadre des récits de la deuxième étape. Les scènes de torture de El vuelo de tigre ne sont pas les premières dans les récits de Moyano. Déjà dans une nouvelle écrite en 1974, El poder, la gloria, etc. .., le sujet avait été abordé en évitant les formes d'un réalisme qui se bornerait à enregistrer et à reproduire les données de la réalité extérieure. L'absurde tragique de l'Etat policier est montré dans cette nouvelle du point de vue du protagoniste qui est aussi le narrateur de l'histoire, le typique anti-héros de Moyano, un homme ordinaire, assez naïf et aussi désarmé que Joseph K. face à une société où tous les points de repère habituels se confondent ou disparaissent. Un épisode banal - sa participation à une messe demandée par un groupe de voisins afin de prier pour les pauvres - marque le début d'un cauchemar qui projettera le personnage dans un monde régi par des lois impénétrables. L'homme est arrêté, torturé et finalement restitué à ses parents et amis, lesquels à partir de ce moment feront partie d'un contexte où tout devient signe de danger potentiel. Incapable de pénétrer l'épais brouillard qui le sépare de la compréhension des faits et, pire encore, incapable d'établir les différences entre l'innocence et la culpabilité, l'homme recherche vainement auprès des autres une réponse. Mais les amis d'autrefois ne sont plus ceux qu'ils -261- étaient parce que l'expérience de la torture et de la peur, en brouillant l a conscience de l ' i d e n t i t é propre, a effacé l e s repères qui permettent de reconaitre c e l l e de 1' autre. La nouvelle renvoie visiblement à l'ambiance des oeuvres de Kafka et en p a r t i c u l i e r au Procès aussi bien par la coïncidence de c e r t a i n s procédés l i t t é r a i r e s u t i l i s é s que par l ' a t t i t u d e des personnages qui sont au centre des deux r é c i t s . En effet, aussi bien l'un que l ' a u t r e finissent par renoncer à l a l u t t e et par accepter l a mort. Dans l e cas du personnage de El poder, par l'isolement définitif, la gîoria, etc., l a mort est représentée c ' e s t la f u i t e vers l ' i n t é r i e u r de lui-même parce que l e s hommes en uniforme ont occupé tout l e monde extérieur : "Y si lo digo sin convicciôn, es necesario decirlo aunque todavia nos queden amigos como Martin y Jorge. Pero todos son tan amblguos o inseguros como yo. Todos tienen detalles sospechosos en la ropa. Por eso hoy, después de vlsitarlos otra vez, resolvî quedarme solo para lo que venga. Las oplniones que ellos me dieron sobre mis temores pueden sintetizarse asî: que tus actitudes futuras sean para bien y no para mal; la caida puede ser salvaciôn ; palabra y piedra suelta no tienen vuelta; mes vale prisiôn en mano que libertad volando; hacete amigo del juez; después de todo, nadie puede ir mes allé de su propia saciedad; coraje, escapemosf lo importante es seguir viviendo, etc. "Estos son los pensamientos fundamentales que debo retener como intégrante de la mayorîa silenciosa. Imposible huir. Imposible salir de aqui. Se dice que en todas partes es lo mismo y que el mundo esté lleno de hombres en uniforme. Ellos tienen la razôn, la verdad, el camino, el poder, la gloria, etc. **** Le discours des autres apparaît dans l e t e x t e comme une s é r i e de clichés d'un prétendu bon sens d e r r i è r e lequel se cache en r é a l i t é -262- le conformisme et la lâcheté. L'ensemble de proverbes» conseils et citations que Moyano rapporte à la fin de la nouvelle pourraient se synthétiser dans le traditionnel conseil argentin : no te certains des essayistes années l'expression du comportement moyenne argentine issue de soixante <AS> ont metâs, considéré que comme typique d'un vaste secteur de la classe l'immigration et réfractaire à tout engagement politique ou idéologique. Parmi des proverbes modifiés ironiquement que mes vale pâjaro par le narrateur tel en mano que ci en volando, apparaît également un vers de Martin Fierro : hacete amigo del Juez, la recomandation de Vizcacha au deuxième fils de Martin Fierro. La liste de conseils que le vieil homme donne à son protégé impliquent dans la vie du gaucho poursuivi et marginalisé l'acceptation commandent Une fois marginal des règles du jeu de ceux qui et une pédagogie de l'opportunisme intégrée 1'inéluctablllté d'un et de la mesquinerie. pouvoir sans limites, développe des stratégies de survie qui 1'éloignent le de ses semblables : Vizcacha meurt entouré de chiens et non d'êtres humains. La platitude spirituelle des conseils que le personnage de la nouvelle reçoit de ses amis vise un effet de contraste car ce fragment du texte suit immédiatement le segment narratif consacré à la description de la torture. La première remarque à faire concernant cette description est que le mot tortura n'apparaît jamais, de la même manière qu'est évitée l'allusion directe è la persécution des chrétiens tiers-mondistes de La Rioja ou à la situation politique argentine en général dont Moyano -263- s'est certainement inspiré. Le mot torture est remplacé par ejecutados distlntas en las secclones de la prisiôn. établit une liste d'activités de chaque section actos Le narrateur et l'énumération est faite dans un style froid et technique. Les différentes étapes du séjour en prison depuis l'entrée du détenu, l'interrogatoire, la torture physique et morale, Jusqu'aux intimidations préalables à la mise en liberté, s'échelonnent en cinq sections : Anatômîca, Fîsica, Material, Adoctrinamiento Cultura Psicologîa. et La vérification d'identité et les premiers moments en prison correspondent à la section Anatômîca et sont décrits comme l'entrée d'un malade dans un hôpital où il sera soumis à une série d'analyses et de tests en vue probablement d'une intervention chirurgicale. La vérification d'identité devient alors une première perte d'identité car l'homme a déjà été classé parmi les malades, il a perdu la maîtrise de lui-même et doit subir au lieu d'agir. Viennent ensuite Cultura l'interrogatoire et la torture physique appelés ironiquement Fîsica et Material. Pour marquer 1"accroissement de la violence et la progressive deshumanisation et des tortionnaires et du torturé, Moyano utilise un vocabulaire propre aux expériences scientifiques ou à des métiers manuels resistencla gubia, al divers : ôsea a la tracciôn trident e, a las "resistencia cefâlica, 1 laves de ôptica a resistencia fuerza baco, los destellos, al cuchillo, de varilla, a la de cadena, de pico de loro. .. "<**•' Dans la troisième section est testée le résistance de l'individu à tout ce qui peut blesser, émouvoir ou fragiliser un homme. Ce que Moyano appelle ironiquement Material -264- n'est en réalité que le test permettant d'apprécier l'étoffe de la personnalité de chacun et la p o s s i b l i t é de f a i r e de 1' individu un robot insensible à la douleur, la maladie, l'amour, l ' a m i t i é , la loyauté. Une fois persuadés que l'homme n'offre plus aucune résistance, dernière étape : Adoctrinamiento les tortionnaires et Pslcologïa. passeront à la Dans ces sections aura lieu la violation du psychisme de l a victime, l ' i n v e r s i o n des valeurs que cela suppose et l ' i n t é g r a t i o n des nouvelles règles q u ' e l l e devra accepter pour survivre. Les substitués à Dieu. I l s jugent, tortionnaires se sont finalement écoutent la confession du prisonnier, l e ramènent dans l e droit chemin et l u i donnent l ' a b s o l u t i o n : "Pslcologïa : (Donde me detectaron y claslficaron los siguientes comptejos : de igualdad, de fratemidad, de evoluclôn, de regreslôn, de corn union, de comunicaciôn ; de Justicia, de sentido comûn, de hambre ; de paraîsos perdldos, de présente, de futuro ; de paraîsos futuros, présentes o perdldos, etc. Los psicôlogos policiales me hicieron tomar pastillas contra los deseos, entre ellos, los de salir, entrer, comprender, justlficar, analizar, pensar, cooperar, dlsimular, volver, usucapir, y en gênerai, todos los termînados en ar, er o ir. Propôslto de enmlenda y evitar las ocasiones prôximas de pecado, amen).'' <4Ti Dans ce dernier fragment se trouve déjà en germe la technique employée ultérieurement pour l e traitement de l'une des deux scènes de t o r t u r e de El vuelo del tigre t r a v a i l l é e sur la base de l ' a l t e r n a n c e de toutes l e s formes verbales du passé. Dans l e texte que nous venons de c i t e r , la t o r t u r e est présentée comme un processus d'anéantissement du désir d ' ê t r e a c t i f aussi bien sur l e plan mental que physique. Les infinitifs en ar, er et ir, tous l e s i n f i n i t i f s -265- donc de la langue espagnole impliquent toutes les possibilités de la vie de l'homme. En les supprimant par la privation du désir, l'homme est réduit à l'état de chose, d'objet manipulable. Du nombre indéfini d'actions possibles indiquées infinitifs, on passe dans la scène équivalente de El vuelo à la polysémie du verbe Lorsque multiplicité Cholo est par les del tigre, tocar. soumis des sens possibles à de l'interrogatoire tocar traduit de Nabu, la l'ensemble des accusations portées contre lui. L'accusé doit répondre en acceptant d'emblée le mot que lui impose son tortionnaire. Mais étant donné que tocar n' est pas univoque et que son sens fluctue sans cesse, ce sont tous les actes possibles du passé de Cholo qu'on remet en question. La première phrase de l'accusé, où le passé simple traduit la précision qu' il essaie de donner à sa réponse : Yo no toqué esas cosas, est immédiatement relativisée par Nabu, érigé en maître de la mémoire et des formes verbales exprimant le passé et de ce fait capable d'entraîner sa victime dans un labyrinthe des temps bâti pour sa perte. *Coca en la cocîna pelando papas y en la otra pieza esta Nabu Interrogando a su marido. Yo no toqué esas cosas, dîce Cholo. Vamos a ponernos de acuerdo con el tiempo, porque estamos hablando de ttempos distintos. No las tocaste cuândo, Ya se que antes de tocarlas no las habïas tocado. Asi es muy fécil dectr yo no toqué. Yo pregunto después, después que las tocaste te pregunto, y en ese caso es una falsedad dectr yo no toqué. Porque tocaste y aqui estân las fechas. Ud bien sabe que yo no toqué, esas son todas Invenclones, yo no toqué, yo no tocaba. Asi que no tocabas pero Ibas a tocar. ifiabîas de tocar o ya habïas tocado ? Hublste de tocar o hablendo tocado ya tocabas? -266- Porque entonces hubiste de tocar o habrîas de tocar habiendo lo que hubo. £ No es verdad? Yo, sefîor, no comprenc/o.**®5 A partir de ce moment, la multiplicité des sens de tocar, conjugué à toutes les formes du passé et aux deux premières personnes du singulier - je de l'accusé et tu de l'accusateur - cède la place à l'auxiliaire avoir qui privé d'un participe porteur de sens devient forme pure dans le vertige du temps. L'absurde de la situation, le non-sens de 1'interrogatoire et de la torture sont rendus par la langue, elle même privée de sens : "l Hubo de haber habtdo o habia de haber habtendo habido? Entonces no hubiste pero hubieras habido <j nok? £ Hubiste lo que hubo o habîas de haber lo que ya habîa?" <*s3 Moyano réussit l'intensification du climat de la scène - qui est entièrement dépourvue de commentaires - par la manipulation de l'auxiliaire. Au fur et è mesure que le temps passe, les questions de Nabu deviennent torture, de plus en plus inintelligibles. L'étymologie du mot dérivé de torquere ou torcere (tordre) devient évidente dans le discours de Nabu : il tord l'es mots comme la torture brise le corps et Cholo n' a pour répondre qu' une parole déchirée, des quasi onomatopées qui traduisent la douleur. «I Haste hubido? jjiuete? iHiste? iHabiste hubido? iHabreste habido hayendo? No, yo no hi, yo no hu...KSO> La technique qui consiste à raconter la scène de 1'interrogatoire par 1' intermédiaire de formes verbales progressivement dégradées, vise -267- à rendre l ' h o r r e u r de l a t o r t u r e qui est d i t e métaphoriquement par l a désagrégation du langage. Le t o r t i o n n a i r e et l e t o r t u r é , sa cruauté et l ' a u t r e par l'étendue de sa souffrance, l ' u n de par entrent dans une r é a l i t é où l e s mots ont perdu leur sens. D'autre part, la t o r t u r e est présentée comme l é dernière violation du droit à la parole. Prleto remarque supprimant la ce droit portée de la supprime à la démarche fois l e droit l'instrument majeur d'approche du réel - "las buscando las palabras" du répresseur Adolfo qui en à se s e r v i r de cosas entran en lo real dit Aballay - et de celui d'appartenir à une communauté : ."En el programa dldéctico del funclonario, sln embargo, este objetlvo de despojo no qulere dirlglrse solo a los aspectos sustantivos del lenguaje, sino también a sus aspectos adjetivos. No solo el lenguaje como instrumento de conexiôn, ordenamiento y jeraquizaciôn de lo real, sino a clerto lenguaje trabajado e incorporado histôricamente por una comunidad. (,..)Este lenguaje es patrimonio de la comunidad y si su posesiôn es marca de pertenencia, su despojo es marca de expulsion. Arrojados de su lengua, los Aballay son arrojados primordlalmente de su patria naturel."**' > Nous avons rencontré dans l e s t e x t e s de la nouvelle et du roman une certaine image de l a t o r t u r e où l e t o r t i o n n a i r e r é u s s i t la tâche qui l u i a été confiée : confondre la victime, anéantir ses désirs, son i d e n t i t é et ses p o s s i b i l i t é s de communication avec l e s autres et, par conséquent, s ' a s s u r e r de l a p a s s i v i t é sociale du sujet, prisonnier de l ' a p a t h i e et de l'isolement. Dans l e chapitre XI de El vuelo del l a s i t u a t i o n est présentée à p a r t i r d'une perspective différente. -268- tigre Il s'agit d'ailleurs de la séquence narrative la plus longue consacrée par Moyano au traitement du sujet. Les antécédents des procédés utilisés ici par Moyano se trouvent également dans le récit publié en 1974. Au début de la nouvelle le prisonnier était présenté comme un malade qui doit être hospitalisé, probablement même, pour subir une la torture d'Aballay opération, mais entre sorte d'intervention chirurgicale. est racontée comme s'il s'agissait l'événement et le discours qui le De d'une rapporte Moyano a introduit plusieurs filtres. En outre, le moment même de la torture est absent du texte. Le récit direct ou moins allégorique s'arrête quand Nabu s'apprête à commencer et se poursuit lorsque 11 a déjà terminé. Les raisons de 1*Interrogatoire Kico a volé la représenterait photo de la sont maintenant bien précises : tante Avelina pour effacer ce qui pour Nabu une preuve de l'implication de la famille dans des activités subversives. Le vol, d'abord passé inaperçu, est découvert un jour et Aballay est torturé pour connaître le nom du coupable. La situation est d'emblée différente bien que les méthodes de Nabu restent les mêmes. Le protagoniste de la nouvelle et Cholo ne comprenaient pas pourquoi ils étaient torturés, Aballay a en revanche un renseignement à cacher et il sait que le tortionnaire essaiera de le lui arracher. La version rapportée par des événements un narrateur est étranger donnée par Aballay a l'histoire lui-même et s un je narrant parle donc d'un je narré par l'intermédiaire d'un narrateur lui-même -269- destinataire de l'histoire racontée par Aballay. A cet éloignèrent de personne s'ajoute 1' éloignèrent temporel car l'histoire est racontée à une époque ultérieure à celle des événements, comme s'il s'agissait d'un film muet (éloignement spatial et émotionnel réussi en même temps par l'humour) et en remplaçant d'autres qui répètent les les personnages et les situations par rapports propres à la fiction du roman (éloignement allégorique). D'autre part, le scénario du film faits. La deuxième - rapportée n'est qu'une des versions des également par le narrateur qui transcrit les paroles d*Aballay - prend la forme d'un conte populaire ou d'une fable racontant l'historié d'un grand-père esquimau qui sort tout nu de son igloo pour se laisser dévorer par les ours. Le conte est bien évidemment une nouvelle allégorie n'ayant à première vue aucun rapport avec le sujet du film. Les deux allégories, chacune avec sa signification particulière, convergent à la fin pour structurer le sens du segment avons donc narratif dont le chapitre XII est trois plans narratifs : un récit constitué. principal Nous ou premier, celui de la fiction romanesque, et deux récits secondaires, le film et le conte : "Ei viejo, segûn su ânimo, usaba dos versiones: o se ponîa a hablar de los esquimales, o bien contaba una <es pelîcula" > La fonction du film est de recréer l'ambiance et de décrire les gestes parvient réalité des personnages lentement à la par les commentaires compréhension des du faits. spectateur Aballay est qui en dédoublé : il joue dans le film le rôle du patient et il est -270- à la fois l e spectateur de ce même film. En tant que spectateur éloigné du temps où l e s événements se sont produits i l trouve l e sujet confus, les gestes des personnages ambigus et mise en gratuitement compliquée. Sa réflexion: poder contar se aparta muchas veces de la lôglca", la historia "Son cosas la del cine scène que para nous ramène à ce qu 1 Aballay - et Moyano au t r a v e r s de son personnage - dit sur l a p o s s i b i l i t é de revivre l e s images de l ' h o r r e u r tout en essayant de l e s éloigner de la mémoire et de l e s déplacer vers des r é a l i t é s moins sensibles que la chair. I l s ' a g i t toujours d'une mise en garde adressée aux d e s t i n a t a i r e s - aussi bien auditeurs que lecteurs - du récit d'Aballay pour qu'ils cherchent derrière l'allégorie les réfèrents historiques : "Un caso grave, parecîa. La operacîôn habia sido de urgencia, con instrumentes muy precarios. Pâlido, sin sangre, un viejo flaco dormia medio muerto, y esas manos que no se movîan por si mismas, balanceaban siguiendo el movimiento de la silla. El médico le toma el pulso mirando a las visitas, cara mes bien de loco el médico aquel con su piel casi colorada y sus bigotes y unos ojos que de persona no tenîan nada, colorada al lado de la cara pélida que tienen todos los recién operados, cara pidiendo a gritos una transfusion pero nada, cosas del cine que para poder contar la historia muchas veces se aparta de la lôglca como si tal coca como el caso de la gâta en el hospital por ejemplo, no se que querîan decir con esa gâta fuera de lugar, a cada rato la câmara enfocéndole los ojos, cara con mono al cuello echada arriba del armario mirando al operado en la sala de espéra que mes parecîa un velorio, sillas de velorio contra las paredes y el viejo en el medio como un muerto."**3* Le v é r i t a b l e protagoniste du film est Nabu. La caméra l e suit constamment dans son r ô l e de médecin, apprenti de médecin ou malade -271- d'un asile d'aliénés déguisé en médecin selon les cas et d'après la fluctuation du point de vue du spectateur qui ne sait pas ou feint de ne pas savoir de qui et de quoi il s'agit. Il est nécessaire de souligner que ce chapitre constitue une exception dans apparaît gloria, dans etc., le traitement plusieurs du récits personnage de Moyano. du tortionnaire Dans El poder, l'utilisation de la troisième personne du pluriel diagnosticaron", "me dieron" - qui la - "me vise l'ensemble de l'institution policière et à aucun moment le narrateur ne précise le nombre ni l'aspect des hommes qui le torturent. Seuls les bruits traduisent dans El trino del diablo (première version) l'existence de la torture et les tortionnaires entraînés par la musique du violon de Triclinio constituent une masse indifférenciée. Nabu n'est qu'une voix pressante dans 1'interrogatoire Timbal, de Cholo et finalement dans Très Golpes de les tortionnaires portent des noms de chiffres - probablement en souvenir du romancier Haroldo Conti dont le roman Mascaro met en scène des tortionnaires appelés Uno, Dos, ne sont que des voix qui questionnent conséquent dans ce chapitre de El vuelo del Très, etc.- et là aussi ils ou commentent. tigre C'est par que l'image physique du tortionnaire , présenté auparavant comme une ombre ou une fonction à l'état pur, prend une certaine épaisseur de personnage mais de personnage caricatural. Ombre, fonction ou caricature, les tortionnaires de Moyano sont séparés de leurs référents du monde nonfictif entre par une distance beaucoup plus importante que celle existante les autres personnages et leurs d'imaginer les personnes qui s'acquittent -272- référents. L'impossibilité de pareille tâche et la volonté de dégrader le personnage littéraire, tout comme le tortionnaire dégrade l'humanité, sont presque certainement à la base de la démarche littéraire de Moyano. tortionnaires et des assassins personnage de Très golpes de timbal se L'inachevé concrétise de l'humain dans : Sietemesino, le nom des d1 un celui qui est né avant de compléter son évolution, qui n'est pas achevé et donc pas apte à faire partie du monde. Dans le cas de Nabu, Moyano fait remarquer la couleur du visage. Il est rouge, mais cette fois-ci, la couleur n' indique pas 1'idéologie mais la colère. Ses gestes retiennent l'attention du spectateur fictif du récit d* Aballay. Le dynamisme du double de Nabu dans le film contraste avec la quasi-immobilité du malade et de ceux qui attendent à côté de la porte les résultats de l'intervention. Il va et vient, tape fébrilement à la machine, ouvre les portes et les fenêtres, prend le pouls du patient, fouille dans la chambre du vieux, renverse, casse, étripe, jette et met le feu aux affaires du vieillard qu'il vient "d'opérer". L'accélération du récit, qui rappelle le rythme des films muets, s'appuie sur l'accumulation des verbes indiquant presque tous une activité destructrice. Comme une réponse par delà le roman lui-même, cette activité débordante menant à la destruction de tous les objets qui font partie de la vie d'un homme - vieux souvenirs, livres, vêtements, Très golpes de timbal, papiers d'identité -, où une communauté est a son antithèse dans vouée à la construction et à la création pour perpétuer la mémoire d'un peuple et la léguer aux générations futures. -273- La fonction testimoniale du narrateur est limitée par sa q u a l i t é de spectateur d'un film muet. I l ne peut s'appuyer que sur des images pour déceler l a raison des agissements des personnages sans en arriver à percer sa v é r i t a b l e s i g n i f i c a t i o n ; "Entonces uno se da cuenta de que no es un clrujano totalmente, y esta furioso por algo que le ha hecho el viejo. Uno no sabe, ha llegado tarde con la pelîcula empezada y es como sî lo odiara por algo que ha hecho el operado; uno empieza a sospechar quiên es aqui el enfermo y de pronto se da cuenta. Pero, claro, el que hace de clrujano en realidad es un enfermo que se dlsfrazô de médlco para vengarse de algo. El verdadero mêdlco puede ser el viejo, y los que tejen son sus ayudantes. El enfermo que se apoderô del manlcomio donde antes tejîa como enfermo y se desqulta operando a su mêdlco y haciendo tejer a sus ayudantes. Tejan, canallas, como yo tejîa antes «,<**> Le spectateur du film devra se contenter de c e t t e personnelle et apparemment insuffisante explication de l'explosion de colère à laquelle i l a s s i s t e , a t t r i b u é e à la f o l i e du personnage : c l i n d ' o e i l de l ' a u t e u r qui par là vise l e caractère foncièrement pathologique des tortionnaires non f i c t i f s . Mais l e lecteur du roman peut trouver l ' e x p l i c a t i o n de c e t t e colère dans l e conte qui précède l e r é c i t du film avec l ' h i s t o i r e du grand-père esquimau qui se fait dévorer par un ours blanc car i l l'enfant doit céder sa place et sa part de nourriture à qui vient de n a î t r e . Le procédé employé dans Una luz muy lejana revient dans ce roman mais i c i , l e conte fait plus qu' annoncer l e s événements du r é c i t principal : i l est porteur de l a morale de l'histoire. Moyano i n s i s t e sur une idée qui sera de plus en plus développée à p a r t i r de El vuelo del tigre -274- : à l'histoire officielle é c r i t e par l e s vainqueurs s 1 oppose la version d* une expérience vécue transmise de génération en génération par l e s victimes. f r u i t s de la mémoire et de l'Imagination, A la fols l e s contes, l e s légendes et l e s chansons assurent la permanence d'une v é r i t é attendant de se f a i r e entendre : "El abuelo esquimal ve acercarse al oso y cerrando les ojos se entrega a su costumbrs; el oso cornera hasta hartarse y quedarâ cansado, apenas podrê andar en medio de la nieve o del hielo de tan lleno, camînarâ torpemente hasta que lo sientan los otros esqulmales. Ellos ya saben que acaba de comerse al abuelo esquimal, por eso esta pesado y torpe y no puede defenderse. Entonces lo persiguen, no puede correr el oso, llegan los esqulmales y lo matan, ahora tienen comida para muchos dïas ; son costumbres ; al esqulmalclto no le faltarâ comida ahora, creceré fuerte el esquimalcito con tanta carne gorda aprendlendo a matar osos, y mucha ropa para el esquimalcito con la piel del oso que muriô por su costumbre" <mmi L'opposition victime-bourreau représentée par Aballay et Nabu, trouve sa correspondance dans l e rapport patient-faux médecin du film et grand-père-ours blanc du conte. Mais s i la s i t u a t i o n est la même, l e s motivations de chacun des antagonistes sont seulement e x p l i c i t é e s dans l e conte et à p a r t i r de c e l u i - c i e l l e s se projettent récit principal. sur l e Le grand-père se l a i s s e manger par l ' o u r s non pas seulement parce que l e s règles de la communauté l e l u i imposent : son acte revêt l e caractère d'un s a c r i f i c e consenti pour assurer la survie de sa descendance. Sauver l e nouveau-né de la famine, dans l e parallélisme du conte et du roman, équivaut à sauver Kico de la mort que Nabu l u i prépare. Nourri de la défaite du t o r t i o n n a i r e face au silence du v i e i l l a r d , l e Jeune homme apprendra a combattre tous l e s -275- Nabu à venir. C est donc dans la résistance d'Aballay que se trouve l'explication de la colère du faux-médecin , reflet de la colère de Nabu dans la situation du récit premier. C est un aveu d'impuissance qui préfigure le dénouement du roman. La quête de valeurs qui caractérise la démarche de Moyano et qui est un facteur dynamique de l'évolution de son oeuvre a impliqué un changement dans la vision de la torture, particulièrement visible dans cette scène de El vuelo del tigre la parenthèse de Ltbro de et dans Très golpes navios y borrascas. de timbal, avec L'acte de torture continue à être le lieu privilégié du non-sens, c'est pourquoi il n'apparaît pas directement dans le chapitre XI où tout est recherche de sens, symboliquement exprimée par la démarche du spectateur face aux images du film. Le seul sens possible, semble dire le personnage d'Aballay, se trouve dans l'attitude de l'homme confronté à la torture, c'est celui qu'il pourra lui donner dans l'exercice d'une liberté intérieure jamais tout à fait confisquée. Le tortionnaire peut s'emparer des qu'instrument mots, de anéantir le langage contestation ou lien communauté, mas il ne pourra de sa victime en tant entre les membres de la en revanche vaincre un silence qui est devenu le langage de la résistance. Le fait que ce soit Aballay qui Incarne la force morale capable de résister à la torture n'est pas un hasard dans l'imaginaire de l'auteur. Aballay est un prolongement du grand-père qui apparaît dans 1* une des premières nouvelles de Moyano. Dans Los mil dïas, récit dont nous nous sommes déjà occupés, le grand-père sort du coffre les ressources nécessaires pour assurer la survie de ses filles et petits-276- nécessaires pour assurer la survie de ses filles et petits-fils ; et dans Para que no entre del cocodrilo, la muerte, un récit appartenant à El estuche un autre grand-père avant de mourir construit avec les déchets charriés par une rivière la maison qui protégera les siens des dangers de l'inondation. Tous les grand-pères des récits de Moyano possèdent une force spirituelle qui est le contre-poids de leur fragilité physique. Ils puisent leur énergie dans la nature avec laquelle ils entretiennent des liens secrets comme ceux qui relient Aballay aux oiseaux. Pour l'enfant qui grandit à côté de ces grand-pères/ ils représentent un pont entre le présent menacé par la découverte de l'interruption, prologue de la découverte de la mort, et le passé où se perdent les origines. De ce fait le vieillard devient le résumé de toutes les vies antérieures et donc d'une sorte d'éternité à rebours dont seul le grand-père connaît le secret. Le coffre que Moyano place à côté de ce type de personnage symbolise la mémoire des origines et le grand-père est son gardien. Dans Libro de navlos y borrascas, l'évocation du coffre du grand-père immigré en Argentine intervient au moment où le petit-fils renouvelle l'expérience de l'exil. Ce que le coffre cache est l'expérience du grand-père mort sans avoir livré ses secrets ni laissé dans un journal de bord le témoignage de son aventure pour que le petit-fils ait déjà sa place dans la série de répétitions dont l'histoire des hommes est faite. La contiguïté du coffre et du vieillard conduit à leur fusion dans le dernier roman de Moyano : Ondulatorio devient lui-même un coffre que les tortionnaires doivent ouvrir. -277- Moyano consacre à Ondulatorlo deux sous-chapitres des soixante dont Très golpes Ondulatorio - de timbal présentation est du constitué : Sueflos profundos personnage - et Cabaîlito segment n a r r a t i f où se trouve l a scène de l ' i n t e r r o g a t o i r e . Très et Cuatro ouvrent le vieillard et le fouillent del marino, Uno, Dos, comme s'il s ' a g i s s a i t d'un coffre pour en e x t r a i r e une chanson jugée subversive : "El viejo, que normalmente tenîa al caneton en el pecho, cerca de las cuerdas vocales, lista para salir en cualquier momento, tragô saliva un par de veces hasts hacerla descender; la sintiô bajar hasta los nivelés dande guardaba sus recuerdos elegidos, Emebê y el cabaîlito trotador, con los que se ensamblô. Ranuras, espigas y lengUetas trabaron y engargolaron todo de tal manera que nadie hubtera podido separar las partes de ese armazôn para diferenciar una canciôn de lo que era Emebê allé adentro y en esa trama, ni a Emebê del cabaîlito. El Ondulatorio se cerrô como la tapa de un cofre. El interrogador eliglô, entre las herramientas desparramadas por la tarima, una llave de abrir viejos. La probô varias veces, seguro de que el cofre se abrirîa. Pero giraba en falso." <rs<5-' Si nous comparons c e t t e dernière réélaboration l i t t é r a i r e d'une scène de t o r t u r e aux versions précédentes nous pourrons percevoir sa double origine : la technique consistant à assimiler l e s instruments de t o r t u r e à des o u t i l s destinés à t r a v a i l l e r des matériaux divers provient de El poder, rappelle les personnages la gloria, caractéristiques est la même : le etc. d'Aballay vieillard ; en revanche, et la Ondulatorio situation possède des des deux informations compromettantes qui peuvent entraîner la mort d ' a u t r e s personnes. Les t o r t i o n n a i r e s d'Ondulatorio videront l e coffre de sa mémoire, s o r t i r o n t l e s souvenirs des temps reculés, descendront aux niveaux de -278- 1'inconscient pour s1empareront en extraire les phantasmes de la victime, des désirs les plus secrets mais ils ne pourront pas lui arracher la chanson. Et si Aballay défend avec son silence la vie de son petit-fils, c'est-à-dire la continuité de son lignage, Ondulatorio va plus loin dans le sacrifice de sa propre vie : il connaît à peine ceux qui ont partagé avec lui le secret compris que ses paroles sont le support de la chanson mais il a d'une vérité et que seule la vérité chantée aux quatre vents peut empêcher qu'une autre communauté connaisse le sort de Lumbreras, la ville-fantôme. L'expérience de la torture a trouvé dans l'Imaginaire de Moyano une dernière réparation ; en lui donnant un sens chaque fois plus généreux, l'auteur tente de neutraliser l'absurde, le non-sens de la souffrance gratuite. Il tente également de réduire la passivité humiliante du torturé la transformant en stratégie de résistance : Ondulatorio se fait lui-même objet, avant que les tortionnaires aient réussi eux à le réduire à l'état d'objet, pour contrer leur volonté et les mettre en échec. En ce qui quatre textes littéraires scènes concerne et la l'allégorie permanence l'absence décrites. la forme, Tous de les filtré des filtrage référents ou des successives par du discours dans les autres. En revanche, pas nous pouvons constater dans les des commentant sont voilés référents ou qualifiant par le allégories qui s'emboîtent l'impact commentaires car extra- biais les de les unes émotionnel de la scène n'est aucun des quatre narrateurs n'intervient pour donner son avis ou exprimer ses sentiments vis-à-vis du bourreau ou de sa victime. Moyano laisse la réflexion à la charge du lecteur. C'est à lui de juger et de qualifier. -279- Ces c a r a c t é r i s t i q u e s sont inversées dans l e premier roman de Moyano entièrement é c r i t en exil : antérieur à Très golpes de timbaL Libro Ici, de Navïos y borrascas, l ' a l l u s i o n à la t o r t u r e se place dans un cadre s p a t i a l et temporel beaucoup plus précis du moment que tout l e roman n ' é v i t e pas l e s références au cadre historique. D'autre part, la f o c a l i s a t i o n ininterrompue sur .le personnage central porte au premier plan du r é c i t non seulement l e s événements dont il est protagoniste, témoin ou rapporteur concerné affectivement mais sa prise de position par rapport à ces événements. Dans l e discours de Rolando, ne sont évités ni l e s jugements ni l e s commentaires sur l e s méthodes répressives des d i c t a t u r e s du Cône Sud. Le discours prend parfois un ton direct et même brutal lorsque l e narrateur parle de la torture et du viol d'une jeune prisonnière politique. Le contenu événementiel est réduit à quelques lignes mais présenté sans chercher l'euphémisme, comme s i la seule manière de parler de la torture lorsque l e sujet ne passe pas à t r a v e r s l e s f i l t r e s de l ' a l l é g o r i e , é t a i t de f a i r e appel à l'explosion des sentiments ; "Pero Sandra, cuando la apuré para que me contara de su vida pueblerlna para ver si me servïa para la historia casi pergetîada saliô con eso de las violaciones en la celda. No solo la sordina, el violîn mismo hay que tirar al agua. Y gritar o llorar, porque pelear no podemos, no servimos para eso, somos titiriteros, estimado pûblico. Y yo hablando de unos amores entre una bahïa y un barquito, queriendo inventarie a Sandra unos amores como Dios manda cuando la habïan violado casi todos los carceleros. "Y bueno, dice Sandra, el orgasmo del carcelero es preferlble a la picana, que querês que te diga. Es horrible pero cierto." <S7,> "Necesito un trago que me aturda para salir -280- del otro aturdimiento, yo no se nada de plcanas y vaginas. Es demasiado para mi violincito provinciano. Todo esto me invalida en forma y pensamiento. Me odio, no me gusta mi forma, me molestan los brazos y las piernas, preferirîa reptar, me duele el pensamiento, me odio, soy horrible, quiero cambiar de cara, ser un nombre de verdad." <,ssrJ L'appartenance de la victime à la même société, nationalité et, fondamentalement, à la même espèce que son tortionnaire soulève un autre problème qui transparaît dans le dernier fragment du texte cité. La preuve de l'existence d'une dimension de la cruauté et de la brutalité qui passait normalement Inaperçue dans la vie quotidienne d'un pays se vantant d'être civilisé, fait basculer la conscience même de la propre humanité. Contaminé par les actes des tortionnaires, Rolando devient lui-même haïssable à ses propres yeux. SI nos semblables peuvent être des tortionnaires, où est la limite qui nous sépare d'eux ? Dans ce texte Moyano aborde un autre effet de la torture, peut-être le plus permanent et le plus dangereux : le profond scepticisme qui peut s'emparer de la victime ou de ceux qui lui sont solidaires face à la nature de l'homme. Les mécanismes de compensation que nous avons signalés à propos des scènes protagonisées par Aballay et Ondulatorio n'existent pas dans Libro de navïos y borrascas. Dans un récit situé à la limite du témoignage et de la littérature, le vol libérateur de 1'imagination remplit plus difficilement sa tâche. -281- 3.3. L a région et le pays Les trois romans écrits à partir de 1966 témoignent tous d'une connaissance approfondie de la réalité régionale, mais les problèmes de La Rloja sont envisagés sous des angles différents dans chacun des trois récits. Il y a pourtant une constante dans la manière de les aborder : ils sont toujours reliés au passé. Moyano ne cesse de rappeler que la répression, l'injustice et l'absurde n'ont pas commencé à La Rioja avec les gouvernements militaires des années soixante-dix mais longtemps auparavant. De ces trois récits, El trino del diablo est celui qui évoque le plus l'histoire et les problèmes régionaux. En outre, les aventures de Trlclinlo sources a Buenos Aires du pouvoir fournissent responsable de la l'occasion de remonter aux détresse de la région et d'opposer deux mondes qui n* ont rien de commun : La Rloja et la capitale argentine. Dans les récits précédents, Moyano ne s'est Jamais occupé de peindre le milieu de la haute bourgeoisie du pays. Les deux présidents avec lesquels s'entretient Trlclinlo, et Ufa, la fille de l'un d'entre eux , sont les seuls personnages de ce milieu créés par Moyano. -282- L'auteur a fait d' Ufa la caricature d'une enfant gâtée de la haute société de Buenos Aires, l'élite du quartier Nord de la ville, héritière des grandes fortunes du XIXe siècle. Le nom du personnage constitue souvent déjà une première caractérisât ion utilisé à la place de Uf !, : Ufa, argentinisme pour exprimer l'ennui. C'est l'ennui qui pousse Ufa à s'occuper des pauvres de Villa Violin, le bidonville où elle rencontre Trlclinio et l'enlève pour l'introduire dans son milieu. La caste oligarquia à laquelle vacuna Ufa et son père appartiennent est la du pays consolidée au pouvoir à la suite de la bataille de Pavôn et devenue la classe dirigeante du pays grâce à la fraude électorale d'abord, membres ont résisté à puis aux interventions de l'armée. Ses la poussée des secteurs populaires et à l'apparition des nouveaux riches issus de l'immigration en essayant de préserver un mode de vie qui se manifeste encore aujourd'hui dans une série de conventions, cérémonies, types de loisirs, langage et lieux de réunion qui lui sont exclusifs. L'étalage de richesse fait par leurs aînés au XIXe siècle dont témoignent les demeures bâties â l'époque - quelques-unes, à partir de châteaux européens démontés pierre par pierre et reconstruits en Argentine - est remplacé au XXe siècle par une attitude plus discrète tendant à marquer la différence entre les parvenus et la vieille "noblesse" du pays. L'oligarchie argentine est une bougeoisle qui ne s'offre pas en spectacle et qui fréquente des lieux consacrés où elle ne risque pas d'être perturbée par un regard étranger à son milieu. La volonté de s'éloigner des autres groupes se manifeste -283- dans tous les domaines de la vie sociale : l e sport - la course hippique et l e polo sont pratiquées et suivis avec ferveur - ; l e s réunions - l e Jockey Club ne compte parmi ses membres que l e s descendants des familles patriciennes et la Sociedad Rural organise chaque année une exposition où se donnent familles - rendez-vous les propriétaires fonciers et leurs ; l'éducation - l e s enfants de ces familles sont élevés dans des collèges privés religieux ou laïques dont l e plus prestigieux est l e Coleglo tnglés - ; la culture - l e s galas du théâtre Colon sont depuis 1908 un autre rendez-vous obligé du beau monde portègne ; enfin,' les concentraient femmes, avant le premier gouvernement de Perôn, leurs a c t i v i t é s hors du foyer dans la gestion de la Sociedad de Beneflcencia, la c i b l e préférée d'Eva Perôn. Ufa, continue dans la tradition des femmes de son milieu. Moyano fait du détail des cadeaux qu'elle apporte aux habitants de Villa Violin la preuve de l ' i n u t i l i t é des oeuvres de charité de l'oligarchie : "Ella repartiô como pudo las chucherias que sacaba de grandes canastas llenas de flores, edltoriales de los diarios, copias de decretos nuevos, cajitas varias, herraduras de caballos, serruchos, bocinas de autos oficiales, estrellitas de bronce, montures, un caballo blanco, vivo, y miles de cosas mes de las que cada uno harfa el uso que creyera convanianie."*880 L'appartenance respect Sebrelli à la d'un certain fait haute bourgeoisie nombre de codes dont argentine comporte un code linguistique. remarquer que ce code ne concerne pas seulement sélection des mots employés mais un accent particulier : "Como en toda masonerîa, el proplo, su argot, que a -284- ritual veces tiens varia un lenguajé segûn las le la generaciones(...). Otrae expresiones consiguen perpetuarse, en cambio, a través del tlempo, las modas y las edades : no decir pelïcula sino "vlsta" como en la época del kinescopio, no decir cena sino "comida", no decir rojo sino "Colorado"; exhumar expresiones arcaicas como "botica* por farmacia, "bidgrafo" por cine, "botines" por zapatos, asl como preferir las expresiones burdas a las rebuscadas : decir "pelo" y no cabellos, piel y no cutis, También implica un tono de voz nasal (...), cierta manera de arrastrar las palabras, una marcada pronunciaciôn de la "y", una mezcla caôtica de expresiones francesas e inglesas, a las que se vienen a agregar en las nuevas generaciones las voces lunfardas, el voseo sin respeto de edad o de grado de intimidad - en el siglo pasado lo chic era designer al interlocutor en plural -, el uso ostensible del nombre de pila del interlocutor o del nombre y el apellido juntos pero nunca el apellido solo, etc."'*0* Dans l e s discours du président militaire et de sa f i l l e , Moyano a mis en évidence l'utilisation de ce code linguistique destiné à affirmer leurs origines sociales. Lorsque Triclinio se trouve face au président militaire, i l doit répondre à ses questions. L'auteur marque l'appartenance du personnage à l'oligarchie en faisant phonétique de quelques mots employés par l e père d'Ufa transcription : "^Sabe andar a cabayo ? Escriblr a mâquina, manejar una ametrayadora, un obus calibre 15,5, una bomba molotov, una picana eléctrica ? No. e- Tampoco conducir un camion, un tractor, un perro policîa, un camion hidrante ? Una manifestaclôn peronlsta, una ley de asociaciones profesionales, un ministerio de économie, una carretiya ? Menos. Muchas gracias. Entonces queda claro que lo ûnico que sabe hacer es tocar el violîn, siempre que pueda rfemostrarJo."'*" * Le texte c i t é fait remarquer la classe sociale de 1' interlocuteur de Triclinio mais i l suggère en outre, par la première question que l e président pose, son appartenance au corps l e -285- plus prestigieux de l'armée, le corps de cavalerie, dont faisaient partie les officiers golpistas du régime d'Onganla, qui recrute la plupart de ses membres parmi la haute-bourgeoisie. Les questions suivantes visent pour la plupart les seules compétences que le personnage trouve utiles : celles de la police ou de l'armée. Les dialogues au seuil de l'enfer et au seuil de l'Olympe considérés par Bakhtine comme étant caractéristiques de la ménippée, ont dans le roman de Hoyano leurs équivalents : Triclinio passe du bidonville et de la rue où il est mendiant à la Casa Rosada, villa à la du président, et au théâtre Colon. Chacun des dialogues qui ont lieu dans ces endroits, dévoile un aspect de la société argentine et surtout une caractéristique de sa classe dirigeante. Dans la Rosada, où se déroule le dialogue partiellement cité, Casa Triclinio découvre son inadaptation à la société de son pays telle que le pouvoir la conçoit. En outre, ce qu'il croit être son atout : Jouer du violon, s'avère être la spécialité du président. La métaphore devient dans ce chapitre plus transparente que dans le reste du roman : 1'expression "jouer du violon" remplace parler, s'exprimer. Le pouvoir s'empare des mots et son discours peut être impeccable mais il est diabolique : le père d'Ufa Interprète à merveille II trillo dil Dlavolo. Une autre étape de l'apprentissage de Triclinio est marquée par sa visite au théâtre Colûn. Moyano a choisi le symbole culturel de l'oligarchie pour parler à la fois de l'histoire du pays et de la censure, -286- Le théâtre acopladores où Triclinio de granos, côtoie les "criadores embajadores et industrlales de vacas, irascibles"<*aaest l'un des motifs de fierté de Buenos Aires. Inauguré deux ans avant la grande fête du premier centenaire de 1'Indépendance à laquelle le gouvernement Clemenceau, avait invité des personnalités du monde entier, dont le Colon a un budget pour son fonctionnement actuel équivalent au budget global de provinces telles que Catamarca ou La Rioja. Dans ce cadre, la classe dirigeante trouvait le lieu idéal non seulement pour partager la jouissance des opéras et des concerts mais pour permettre la rencontre des jeunes qui consolideraient par leur mariage la traditionnelle concentration de la terre dans les mains des familles puissantes. Paul Morand, de passage à Buenos Aires, a laissé des remarques amusantes sur cette agence matrimoniale dissimulée sous les velours et les marbres de Carrare<S3ï. Jusqu'aux années cinquante la programmation et le type de public restent inchangés. Seuls les riches peuvent avoir des abonnements pour des spectacles trop chers auxquels un secteur de la classe moyenne assiste depuis le paradis, le dernier étage des sept que compte le théâtre. Parmi d'autres affronts infligés à l'oligarchie tels que l'installation d'une poissonnerie en face du Jockey-Club (qui sera finalement incendié par la foule un peu avant le coup d'Etat de 1955), poste de Borges à la Biblioteca la transformation du poste d'inspecteur "de volailles" au marché Nacional municipal, ou en la proposition de nommer la mère d'Eva Perôn à la présidence de la Sociedad de Beneficencia gérée traditionnellement par les dames de la haute société, le péronisme ouvre les portes du Colon aux secteurs -267- populaires et t e n t e d ' I n t r o d u i r e de changements dans l e programme de spectacles : "Por una parte lo democratizô un tanto, funciones sindicales y a precto estimulo. Lo escenarlo polîtlco de discursos presidenciales espectâculos extrados a la tradiciôn concierto. Por ejemplo, Jean-Louis Barrault audacia, caai en vîsperas de su derrocamiento con Mariano Mores."'*** estableciendo convirtiô en y organizô ôpera-balleto - méxima - el tango, Moyano s ' a t t a c h e à d é s a c r a l i s e r ce symbole de la c u l t u r e d ' é l i t e en opposant l e cadre luxueux et solennel du t h é â t r e au spectacle joué sur scène. Dans l e discours d'Ufa, l o r s q u ' e l l e raconte â T r i c l l n l o des anecdotes concernant l'histoire du Colon, perce le sentiment de propriété r e s s e n t i par l ' o l i g a r c h i e face â un bien qui est né pour l u i être destiné. Le t h é â t r e devient un prolongement de la maison familiale et l e s présidents qui ont contribué à l e f a i r e b r i l l e r , dont Marcelo T. de Alvear, un clubman bon vivant et voyageur infatigable des années vingt, sont évoqués par leurs l i e n s avec l ' h i s t o i r e de la famille : "Realmente esto se vlene cada vez mes abajo. Marcelo, en camblo era maravllloso. Fue la mejùr êpoca de este pais y de este teatro. Todos los cantantes extranjeros que venîan a actuar lo conocîan porque el tipo, a pesar de que gobernaba este pais, en realldad vivia en Paris. Aniway, era asiduo del Colon y finalmente se casa con una soprano portuguesa que muchas veces cantô en casa, cuando él prohibiô que cantase en pûbllco y le rompiô todos los discos.'"**' Rlgoletto, l ' o p é r a joué au gala qui compte parmi ses spectateurs un T r i c l l n l o émerveillé, est interrompu par l a présence sur scène de -288- deux chanteurs qui représentent un ornithorynque et un kangourou. Le bizarre et l'inhabituel remplacent le traditionnel. En outre, les deux personnages se lancent populaire de la payada, dans un duel chanté qui rappelle le genre divertissement principal des gauchos réunis dans ces centres culturels et sociaux de la campagne qu'étaient les pulperias f<SSJ . Concolorcorvo avait déjà connu les payadores lors de sa visite à Buenos Aires en 1749, mais il est probable que leur présence en Argentine remonte aux premières années du XVIIIe siècle. A l'opposition entre la culture de l'élite et une culture populaire aux racines hispano-américaines et donc beaucoup plus ancienne que celle introduite par l'oligarchie au XIXe siècle, s'ajoute une autre opposition entre le conformisme du public et la contestation exprimée par le ton et le contenu du dialogue des deux personnages. Les deux animaux sont d'origine australienne et à travers l'Australie, parlent de l'Argentine et de l'impérialisme anglais : Al fin de cuentas tu ay tu ay somos de Australîa tu ay tu ay tierra ocupada tu ay tu ay que descubrieron los espafioles tu ay tu ay Pero mâs tarde tu ay tu ay fueron ingleses y nadie mes los que agarraron los que agarraron el bumerang." r S 7 J -289- ils Le duo contestataire se termine avec les premières grenades de gaz lacrymogène et Triclinio comprend quel est le sort de ceux qui veulent s'attaquer à l'ordre culturel établi. Le dialogue avec Ufa dans la villa du président est le prétexte pour montrer l'alliance entre les anciens et les nouveaux riches. La maison est divisée en deux parties bien différenciées : une aile ancienne et poussiéreuse où s1entassent les armes et les documents historiques - le domaine du père -, et une autre brillante et nouvelle, qui a été bâtie pour la mère, dont Ufa dit : "<...)papâ, aaor y humor, supo elevarla la realtdad con hasta él, y lo ûnico que ella no acepta de de papa es el teatro Colon (...). "'««^ Dans le domaine du président, la collection d'armes côtoie les documents de l'histoire nationale et régionale et les lois ignorées par le golpismo : un exemplaire de la Constitution nationale traîne parmi les papiers et les vieux fusils. Triclinio découvre que de l'histoire des caudillos et de leur luttes il ne reste que quelques pièces de musée qui sont maintenant la propriété privée du militaire. A cette histoire expropriée, puis cachée et enfin oubliée dans le bric-à-brac de la maison des détenteurs du pouvoir, Moyano oppose une autre histoire encore vivante et incarnée dans son protagoniste : il joue du violon avec l'instrument de saint Francisco Solano, les traits de son visage sont dîaguitas, lanceros de Peiïaloza"'*9* l'existence facundlsta*7,0*. de la il a "una sonrisa parecida a la de los et lorsque, dépassé par la découverte de torture, il décide d'agir, son regard est L'impuissance de la tradition de luttes populaires de La Rloja face aux ressources de l'armée contemporaine et ses méthodes -290- répressives n'est que trop bien exprimée par l a confrontation du personnage porteur de c e t t e t r a d i t i o n et l e milieu où 11 évolue. Avec El vuelo del tigre, c ' e s t La Rioja des t r a d i t i o n s indiennes qui commence à apparaître dans l e s r é c i t s et cela marque un nouveau cycle qui sera continué dans Libro golpes de timbal. de navios y borrascas et Très Hualacato est présenté comme un v i l l a g e s i t u é dans une zone rurale. Ses habitants prolongent la t r a d i t i o n d'un a r t i s a n a t précolombien et i l s t r a v a i l l e n t en tant que t i s s e r a n d s dans une usine de t e x t i l e qui emploie tous l e s adultes du village. Moyano suggère leur le appartenance à la culture du Nord-Ouest c e r t a i n e s coutumes et croyances t e l s que l e velorio par respect del angelito, de une coutume conservée dans quelques zones r u r a l e s malgré l e s i n t e r d i c t i o n s é t a b l i e s par l e s gouvernements provinciaux. Moyano a choisi pour l e seul personnage capable de se dresser contre la d i c t a t u r e de Nabu, le vieil Aballay, un nom qui a des résonances p a r t i c u l i è r e s dans l ' h i s t o i r e régionale. L ' h i s t o r i e n Félix Luna, descendant rapporte de l'une des plus anciennes familles de La Rioja une anecdote de l'époque de la colonisation qui fournît l ' e x p l i c a t i o n du choix de l ' a u t e u r : "En el Noroeste, los indîos, mes mansos y laborlosos, conslguîeron sobrevlvir en enclaves propios los laguneros sanjuaninos y pobladores de los valles riojanos y catamarqueffos - con su propia organizaciôn ancestral. En La Rioja todavîa se recuerda el caso de aquel Salvador Aballay, mandôn de los vichigastas, que se fue a pie a reclamar Justicla a la audiencia de Charcas porque su encomendero, Don Felipe de Luna y Cârdenas, queria transferir su encomienda a un hijo naturel. Cuando el indio le ganô el pleito, mi antepasado - dicen - muriô de rabla... -291- Los pobladores de esos enclaves serîan, andando los siglos los proveedores de material humano a los caudlllos de las mon toneras. *<*!> Dans l'imaginaire de Moyano, Aballay hérite de deux traditions de lutte : la résistance rusée du chef indien qui obtient la liberté de sa communauté en se servant des lois des colonisateurs et la farouche opposition de la montonera aux prétentions du gouvernement central. Lorsque tout Hualacato se soulève à l'unisson pour chasser de chaque foyer le tortionnaire de service, Aballay trouve sa propre façon de se libérer. Ce sont les paplrolas - les figures en papier faites sous la contrainte - qui donnent au vieillard 1'idée de fabriquer des menottes afin d'immobiliser Nabu et le livrer aux oiseaux. La solution trouvée par l'Aballay de l'anecdote rapportée par Luna est l'antécédent de celle trouvée par son descendant imaginaire. A partir du chapitre XI du roman, l'ascendance indienne du personnage est mise en évidence par des procédés divers. D'abord par le détail de ses affaires personnelles : "tlentos pata de halcôn un frasco dios de arcilla cénula plus de pipa neutres d'Aballay, una cajita pianos il y de aceite con botones en a d'autres et crudo una para el reuma una onza de oro un un yesquero de campos en litigio... ses croyances de cuero puco incaico una *<"*'** Parmi des objets qui révèlent ses origines. La la personnalité remémoration des expériences vécues a côté du père indien intervient aussi à la fin du roman. Lorsque le vieillard se tourne vers la nature et croit découvrir des signes qui pourront l'aider à retrouver la liberté, il -292- renouvelle les enseignements de son père et perpétue une vieille tradition régionale. A travers les trois romans de cette étape, Moyano a fait le tour de tous les problèmes de La Rioja : le sous-développement, le métissage de sa population, objet de mépris de la part de la société "blanche" du pays, la folclorizaciân qui consiste à percevoir seulement la couleur locale et à oublier les sources historiques de la culture populaire, la répression militaire s'ajoutant aux maux chroniques de la région et de ce fait doublement douloureuse. Mais l'auteur ne se limite pas à montrer la détresse de La Rioja et dans El vuelo del tigre il commence à affirmer une identité qui tient surtout compte des racines indiennes du Nord-Ouest. -293- NOTES (1) J. PAEZ, La conquista del C. E. D. A. L. , 1971, p. 108. (2) 0. TRONCOSO, p. 257. <3> Ibid.t (4) The Indépendant, saturday d'Hélène Bourrouilhou. (5) I. GONZALEZ JANZEN, La triple Ed. Contrapunto, 1986, p. 127. (6) J. POUTET, La Revoluciôn desierto, Argentlnat Buenos Polémlca Aires <10>( : 1972, p. 275. L'Argentine frustration, de 21 January la A, peur. 1989. Traduction Buenos Histoire Aires : d'une Paris : Pion, 1978, p. 233. (7) Comisiôn Naclonal sobre la Desapariclôn de Personas, (Informe de) Nunca Mâs, Buenos Aires : Eudeba, 1984, p. 9. (8) Libro (9) Ibid., p. 193. (10) Ibid., p. 196. (11) El oscuro, p. 184. (12) Ibid., p. 185. (13) Ibid., p. 13. (14) Ibid., p. 68. (15) Ibid., p. 63. de navïos y borrascas, -294- p. 193. (16) Ibid., p. 61. (17) Ibid., p. 121. <18> Ibid. (19) Ibid., p. 206. (20) Ibid., p. 208. (21) Entretient du 9 août 1987 avec l'auteur (22) G. GENETTE, Palimpsestes. La littérature Paris : Seuil, 1882, p. 11. (23) «BAKHTINE, Problèmes de la Poétique de Dostoïevski, Lausanne : Editions l'Age de l'homme, 1976, p. 125-139. (24) El trino p. 116. (25) Ibid., p. 8. (26) Ibid., p. 15. (27) Ibid., p. 15. (28) Ibid., p. 110. (29) Ibid., p. 118. (30) Ibid., p. 123. (31) £2 vuelo del tigre, (32) Ibid., t p. 7. del diable, au second degré. Buenos Aires : Sudamericana, 1974., p. 7. p. 7. -295- (33) Ibid., p. 12. (34) Ibid., p. 14. (35) E. GOLIGORSKY, Carta ablerta de un expatriado a sus compatriotas, Buenos Aires : Sudamericana, 1983, p. 122. Gollgorsky cite les déclarations des membres de la Junte militaire parues dans le journal La Naclôn du 4 septembre 1980. (36> El vuelo del tigre, (37) Ibid., (38) Ibid., p. 138. (39) Desde los parques In : El trino del diablo y modulaciones, Barcelona : Edlclones B, 1988, p. 150. (40) El vuelo del tigre, (41) Ibid., p. 83. (42) Ibid., p. 107. (43) Ibid., p. 161. (44) El poder, la gloria, etc., in : El estuche del Buenos Aires : Edlclones del Sol, 1974, p. 101. (45) J. J. Sebrelll, Buenos Aires, vida Buenos Aires : Siglo XX, 1966, p.75. (46) El poder, (47) Ibid., (48) El vuelo del tigre, p. 39. p. 49. la gloria, otras p. 139. etc., p. 108. p. 109. p. 19. -296- cotidiana y cocodrilo, allenaciôn, (49) Ibid., p. 20. (50) Ibid., (51) A. PRIETO, "Daniel Moyano : una literatura de la expatriaciôn", Cuadernos Hispanoamericanos (416), febrero de 1985, p. 192. (52) El vuelo del tigre, (53) Ibid., p. 125. (54) Ibid., p. 127. (55) Ibid.t p. 125. (56) Très golpes (57) Libro (58) Ibid., p. 196. (59) El trino del diable, (60) J. J. SEBRELLI, op. cit., p. 53, (61) El trino del diablo, (62) Ibid., (63) P. MORAND, Aire Indio, Buenos Aires : El Ombû, 1932, p. 75. Cit. par J.J. SEBRELLI, op. cit. (64) H. SANGUINETTI, Brève historia polltica del teatro Colon, in : Todo es Historia (I, 5) septiembre de 1967. Cit. par A. CIRIA, Politica y cultura popular : la Argentina peronista (1946-1955), Buenos Aires : Ediciones de la Flor, 1983, p. 253. p. 20. p. 123. de timbal, de navîos p. 81. y borrascas, p. 194. p. 73. p. 95. p. 87. -297- (65) El trtno del dlablo, (66) Alfred Ebelot, ingénieur français engagé par le gouvernement argentin pour accompagner la Campatia del deslerto en tant qu'ingénieur de l'armée, a écrit sur les pulperias et leur p. 86. signification dans la vie du gaucho : "La pulperîa no debe juzgarse por la primera Impreslôn que produce. Es un rancho desharrapado, un taplal misérable. Pero si el teatro no es vlstoso, los drames que se désarroilan en este humllde escenarlo no carecen de Interês. Abarcan todas las manifestaciones de la pampa. Sus especulaclones, su comercio, su poesïa, sus vlclos, sus paslones se resumen en esta choza. No qulsiera que Uds. me achacasen que soy un poeta de taberna, pero séria cobardia negarlo, me gusta la pulperîa. p. 80. " La pampa, Buenos Aires : E. U. D. E. B. A., 1961, (67) El trino del dlablo, (68) Ibid. p. 82. (69) Ibid., p. 75. (70) Ibid., p. 106. (71) F. LUNA, Conflictos y armonîas en la Hîstoria Argentina, Buenos Aires : E d i t o r i a l de Belgrano, 1983, p. 417. (72) El vuelo del tigre, p. 92 p. 128. -298- LES RECITS DU MONDE DE L» EXIL 4.1. La littérature argentine et l'exil Les deux romans de Moyano que nous analyserons dans cette partie de notre travail on été entièrement conçus et écrits à Madrid et ils portent la marque de l'exil vécu par l'auteur. Bien que dans El Trlno del dlablo et El vuelo del tigre se trouve déjà préfigurée la situation des personnages de Libro de navlos y borrascas, Triclinio et Aballay ne subissent qu'un exil intérieur. Le premier reste enfermé dans un bidonville de Buenos Aires, copie conforme de sa ville natale. Le deuxième, exilé par Nabu dans le jardin de sa maison, est un proscrit dans sa propre terre mais il peut encore y puiser la force qui délivrera les siens. Par l'intermédiaire de ces personnages, Moyano illustre la situation des Argentins, et plus particulièrement des Riojanos - c'est-à-dire des plus démunis -, bâillonnés par la censure et la peur de la torture et mis à l'écart dans leur propre pays. Avec ses deux derniers romans, l'auteur pousse plus loin sa réflexion en abordant une nouvelle situation d'exil. Les personnages de Libro de navlos y borrascas, bannis pour des raisons politiques, -299- entreprennent un voyage vers un pays étranger. Le bateau qui les conduit à Barcelone n'est qu' une demeure provisoire, un refuge pour évoquer le passé et Imaginer l'avenir dans le pays d'accueil. Ceux de Très golpes de timbal, exilés depuis longtemps, ont bâti un village précaire toujours menacé par le même pouvoir destructeur qui leur a fait perdre leurs racines. Dans les deux cas, la mise à l'écart n'est pas le résultat d'un choix volontaire comme celui que nous avons rencontré dans les dernières scènes de Una lux muy lejana ; elle n'est pas non plus le produit d' une contrainte sociale semblable à celle qui oblige Triclinio à faire un voyage sans retour à l'intérieur de l'Argentine. Dans les récits que nous allons analyser maintenant, la mise à l'écart des personnages est d'une autre nature : elle reproduit l'expérience de l'auteur et de tous ceux qui comme lui ont été contraints de quitter leur pays à la suite du coup d'Etat de 1976. Il s'agit donc de l'exil extérieur, un thème devenu traditionnel dans la littérature latino-américaine du fait de la violence répressive dont les successives générations d'écrivains de ces pays ont été l'objet depuis le XIXe siècle. En Argentine, la littérature est née sous le signe de l'exil. Trente ans s'étaient à peine écoulés depuis l'indépendance du nouveau pays qu'une génération d'écrivains devait partir en exil. Il s'agit des écrivains du groupe qui a reçu le nom de generaclôn proscriptos ou generaclôn de 1837, de los contraints de quitter leur patrie pour échapper a la dictature de Juan Manuel de Rosas. Sarmiento, Echeverrïa, Marmol, Alberdi, Lôpez trouvent asile dans des pays limitrophes - Chili, Uruguay, Brésil, Bolivie - mais ils -300- effectuent de longs voyages pour observer, apprendre et se former dans les pays modèles : France» Angleterre, Sarmiento, Los cantos del peregrino del hereje Etats-Unis. Factmdo de et Amalia de José Marmol, La novla de Vicente Fidel Lôpez, toutes des oeuvres fondatrices de la littérature*argentine, ont été écrites à l'étranger. Elles sont, à la fois, des témoignages d'une expérience de vie particulièrement marquante et des instruments de la lutte politique qui aboutit au renversement du régime de Rosas. Au XXe siècle, 1* irruption du péronisme sur la scène politique argentine est à l'origine du départ de quelques écrivains. Le slogan alpargatas si, libros no, scandé par les masses ouvrières de la Plaza de Mayo, va de pair avec toute une série de mesures - listes noires d'artistes censurés par le régime, humiliantes prises à l'encontre décisions arbitraires et de personnages prestigieux de la culture argentine tels que Borges, Enrique Banchs, Victoira Ocampo qui poussent des écrivains comme Cortâzar et Bianciotti à s'installer dans des pays étrangers. Le roman de Bianciotti, La busca del et quelques poèmes de Razones de la calera jardin, de Cortâzar reflètent les motifs du choix des deux auteurs et leur amertume face à la situation politique argentine devenue pour eux intolérable. A ce premier exil du XXe siècle vient s'ajouter celui provoqué par le putsch militaire d'Onganla en 1966. La censure exercée par le gouvernement l'autonomie dans le domaine universitaire est de la culture à l'origine -301- du et la départ violation de de nombreux intellectuels et l'on commence à parler de la "fuite des cerveaux", un sujet périodiquement évoqué dans les débats sur la culture nationale. Mais dans les deux cas, 1'exil résulte de décisions personnelles prises dans un contexte étouffant voire menaçant mais qui laisse encore des marges pour l'évaluation de la gravité des contraintes. L'exil n' est pas ici le seul moyen d'avoir la vie sauve ni une mesure du régime pour se débarrasser de ses opposants, situation qui a été en revanche generaciôn qu'en celle des de los 1976, écrivains proscrlptos la contrainte des années soixante-dix et de la du XIXe siècle. En outre, tant en 1840 de l'exil est partagée par un nombre important d'écrivains et cela aboutit a une conscience de groupe qui n'existe pas dans les cas où les départs sont décision individuelle ne s'inscrivant pas le produit dans une d'une volonté majoritaire. Entre les textes des écrivains Rosas et ceux des auteurs de de l'époque de la dictature de notre époque, il existe des ressemblances fondées sur la spécificité de l'expérience de l'exil politique mais aussi, naturellement, des différences imposées par le moment historique où chacun de ces exils se produit. D'autre part, les mouvements littéraires qui encadrent les oeuvres issues de la môme expérience conditionnent proscrlptos les formes choisies pour l'exprimer. Les découvraient le romantisme européen et s'identifiaient aux héros de Byron ou de Chateaubriand. Juan Bautista Alberdi et Juan Maria Gutlerrez à bord de El Edén lisaient fébrilement le Voyage en Orient et le Childe ces lectures, Harold's Pilgrloage. Produit de ce voyage et de un curieux texte rédigé par les deux auteurs qui mêle -302- la prose et l e s vers nous est transportait l e s écrivains. voyage d'Alberdi inspire parvenu sous l e nom du bateau qui Une année plus tard, en 1844, un autre une ébauche de roman imprégnée de la nostalgie de l ' e x i l é : "No hay un dïa, no hay una hora de felicidad pasada, un solo objeto de su antlgua afecclôn que no se retrate bello en la memoria del que camlna en el pais siempre estérll del extranjero ... la fisonomîa agonîzante de la patria esta siempre en el horizonte" <13 L'influence de Byron est évidente dans Los cantos del peregrino de José Hârmol, un émigré argentin installé à Rio de Janeiro. Marmol s'embarque en 1844 pour se rendre au Chili mais après soixante jours de navigation le bateau doit regagner le port à cause des tempêtes et de l'épuisement des vivres. L'aventure du Rumena, rebaptisé symboliquement Fenix par l'écrivain, constituent la a fourni les événements et les réflexions qui matière des douze cantos composant le poème. Publié partiellement à des époques différentes, ce poème, le plus long parmi ceux écrits à la même époque, n'a été définitivement rétabli qu'en 1964. Si nous voulions trouver dans la littérature argentine un antécédent à LSbro de navîos y borrascas, ce pourrait être le poème de Mârmol. Le cadre de l'histoire, constitué par le bateau et le paysage maritime environnant, la cohabitation forcée des voyageurs et la situation des deux protagonistes, l'un poète, l'autre musicien devenu écrivain, créent une parenté indéniable tout au moins en ce qui concerne le contexte du voyage. Dans Los cantos del peregrino, Hârmol aborde à l'aide d'une grande variété de formes poétiques presque tous les -303- aspects du thème de l'exil : l'évocation du paysage de la patrie perdue, le déchirement provoqué par la séparation d'avec les amis et la femme aimée, l'alternance de l'espoir du retour et de la peur de la mort en terre étrangère, la réflexion sur la condition du poète banni, la réaffirmation des Idées qui ont entraîné l'exil et pour lesquelles d'autres hommes continuent & mourir ou a subir la prison. Ces éléments s'accompagnent d'autres éléments communs aux oeuvres pouvant s'inscrire dans la littérature de voyage : la description de la mer et des lieux aperçus depuis le bateau, les méditations inspirées par le paysage maritime et les observations parfois humoristiques sur les voyageurs du Fenix. Le fait que Mârmol soit un poète et qu'en outre i l prenne conscience de son métier d'écrivain établit une différence importante avec la plupart des autres émigrés, des hommes publics dont les voyages étaient effectués dans le but très précis de trouver des alliés politiques internationaux ou de se préparer aux fonctions d'Etat qu'ils étaient sûrs de devoir assumer une fols Rosas renversé. Dans les écrits de ces derniers, la place pour la méditation sur l'exil est plus limitée. C'est donc dans le poème de Mârmol que nous retrouvons tout l'éventail des thèmes développés par les écrivains des années soixante-dix, dont Moyano. D'autre part, l'oeuvre de Mârmol illustre bien les différences existantes entre l'attitude des émigrés du XIXe siècle et ceux du XXe. Le byronisme exalté de Mârmol n'est pas seulement une forme adoptée par le souci de s'inspirer de modèles étrangers. Il correspond parfaitement au messianisme romantique de la première génération du libéralisme argentin qui se prenait pour l'héritière privilégiée de la civilisation européenne. Tout ce que l'Angleterre et la France avaient donné de mieux au monde -304- était destiné à germer en Argentine et même à être dépassé lorsque les restes de la colonie espagnole survivant dans le régime de Rosas et dans la montonera gaucha seraient effacés : "Mas del caos de fratricida guerra una génération se ha levantado limpia, crlstiana, de esperanza llena, como en sangrienta tierra, palenque de combate encarnizado, nace sin mancha la cândida azucena" <a> "La Europa ya no tiene ni liras ni victorias: el Canto expirô en Byron la Gloria en Napoléon" <9> "Quedad altiva Francia. La luz del pensamiento que destellando chispas en vuestra sien esta mattana cuando el tiempo le seque el alimento, en el naclente mundo la llama prenderé," <** "Ese gaucho que duerme perezoso, con genio astuto y corazôn maffoso, bajo el ombû del rancho solitario y a un grito, de repente al potro salta,su cuchillo en mano y en râpido momento cual rauda exhalation traspasa el llano, volando de su trente suelta en cadejas la melena al vient o, y que implacable y rudo entre la sangre empaffa de sus hermanos el puffal agudo, eso, madré infeliz, eso es Espafia" **s Le désarroi, la nostalgie et la peur du lendemain, lot quotidien de tous l e s e x i l s , sont compensés dans l e groupe des proscriptos par un sentiment de supériorité qui est l e résultat de la convergence de plusieurs conscience éléments : la -305- d'appartenir à un groupe minoritaire - l e seul ayant eu accès à la c u l t u r e -, l'adhésion à un libéralisme triomphant, un américanisme nourri des utopies européennes sur l'avenir du Nouveau romantique du créateur Monde et l'intériorisation considéré comme un sentiment de s u p é r i o r i t é , être de l'image exceptionnel. Ce exprimé plus naïvement par la poésie, est aussi perceptible dans l'oeuvre de Sarmiento et dans l e s nombreuses l e t t r e s échangées par l e s membres du groupe. David Viflas, analyse dans son des l i v r e s de voyage de Sarmiento, souligne l ' a t t i t u d e auto- suffisante de 1'auteur de Facundo : "Pero icuél es el resultado mes évidente de su avance sobre Europa? Prévisible: la seguridad, y como llega al convencimiento de que no entienden a la Argentlna se dispone a expllcarla s'Qulero yo establecer los verdaderos principios de la cuestiôn -sintetiza-, Hay dos partidos, los nombres civilizados y las masas semibârbaras'. Tambiên en esto Sarmiento résulta privilegiado por su momento : su convicclôn de burguês en medio de una burguesîa con convicciones. Su mirada sobre si mismo (que hasta interiorizaba la mirada de los europeos sobre su 'pintoresquismo' y su 'libro pintoresco') lo confirma. Y como las versiones anterlores no han sido veraces, la tradicional relaciôn discipulo-maestro se invierte"'** L ' a t t i t u d e de l ' é c r i v a i n argentin de notre époque est loin d ' ê t r e la même et pour bien la comprendre i l est nécessaire de la replacer dans l e s circonstances de l ' e x i l des années soixante-dix. Premièrement, la répression s'abat sur l e pays après une période c a r a c t é r i s é e par une extrême confusion mais aussi par une volonté de transformation et de discussion commune à d ' a u t r e s pays du Cône Sud dans ces mêmes années, coups d'Etat militaires mais inédite en Argentine où la succession de a perpétué -306- l'existence de mécanismes de censure très efficaces. Ces mécanismes deviennent plus souples pendant les gouvernements de Lanusse et de Câmpora. Dans le premier cas, à cause du climat d'effervescence politique pratiquement incontrôlable précédant les élections de 1973 et dans le second, en vertu des résultats de ces mêmes élections remportées par le péronisme grâce au soutien massif d'un électorat Jeune. De 1973 à 1974, les universités et les institutions de promotion culturelle regorgent de projets de changement élaborés autour d'un mot répété sans cesse précise et devenu F.R.E.J.U.L.I. : libération. Ce terme, dépourvu d'une définition un mot (Frente d'ordre de Justicialista la de campagne Liberaciôn électorale Nacional) du est compris différemment suivant l'idéologie des groupes de la majorité qui ont voté pour la liste présidentielle péroniste. Il prend parfois un contenu de revendication sociale dans les secteurs les plus défavorisés ; il est employé pour exprimer une volonté de lutte contre l'impérialisme ; il résume les idéaux du socialisme national défendus par la gauche péroniste marxisante ou du nationalisme du premier péronisme qui a été dépoussiéré par la Linea Nacional, un secteur centriste . Dans le milieu de la création artistique, ce mot, compris comme un refus des modèles étrangers, réactualise une polémique traditionnelle parmi les intellectuels argentins. gauche, largement majoritaires, sur Les Jeunes universitaires de s'engagent dans des débats passionnés les concepts de culture nationale et culture dépendante, de culture populaire et culture d'élite. Le rôle Joué par les successives générations d'intellectuels est examiné et Jugé sévèrement. L'élan -307- démystificateur n'épargne personne, ni les intellectuels du XZXe siècle ni les contemporains. La gauche péroniste lit avec ferveur les livres de Hernândez Arregui pour trouver dans ses analyses historiques les fondements d'un socialisme à l'argentine, qui refuse les modèles idéologiques existants. Des problèmes analysés par les écrivains latino-américains depuis les années cinquante tels que le rôle de l'écrivain dans les pays sous-développés, le rapport de l'écriture avec le pouvoir et le problème du cloisonnement des pays d'Amérique Latine, trouvent une place importante dans les revues et suppléments culturels, notamment celui de La Opinion. Eduardo Galeano, La revue Criais, publie des dirigée par l'écrivain uruguayen reportages et des articles d'auteurs latino-américains déjà connus du public argentin et s'occupe en même temps de diffuser l'oeuvre de jeunes auteurs. Les maisons d'édition déploient une activité intense et créent de nouvelles collections consacrées à la littérature latino-américaine. La période est brève mais explosive : l'exercice de la liberté d'opinion dans un pays qui avait eu peu d'occasions d'entamer un débat collectif sur ses problèmes essentiels ne pouvait se faire sans tomber dans des simplifications manichéennes et des excès proches de la violence physique. Il n'en reste pas moins que pendant la période qui s'étend de 1972 aux derniers mois de 1973, les Argentins connaissent une ambiance de discussion et de participation exceptionnelle car elle déborde largement le et touche des secteurs peu enclins à tout à militantisme politique se laisser gagner l'optimisme. C'est le cas de beaucoup d'intellectuels engagés -308- fait par dans des projets de renouvellement des structures de l'éducation et de la diffusion de la culture. L'affrontement des deux secteurs du péronisme, la naissance du Triple A qui va s'attaquer aux intellectuels après avoir frappé les militants de gauche, et l'augmentation de la violence répressive à partir de 1974 font éclater les précaires rassemblements réussis en 1972 et 1973. La peur, l'échec des projets communautaires et, chez certains, le sentiment de s'être trop engagés, d'avoir cru au changement en vain ou d'avoir été les victimes d'un piège monté à 1'avance par le pouvoir militaire et peut-être par Perôn lui-même, conduisent à un isolement qui préfigure l'exil. Le discours de Rolando dans Libro de navios y borrascas traduit l'amertume et la colère d'un secteur de la classe moyenne frappée de plein fouet par la répression pour le seul délit d'avoir espéré. Entre 1975 et 1976, ceux qui veulent échapper à la prison ou à la mort s'éloignent du pays. Ceux qui sont déjà en prison demandent à bénéficier du derecho de opciôn, un droit constitutionnel en vertu duquel les prisonniers politiques peuvent choisir entre rester en prison ou demander leur sortie de l'Argentine moyennant l'accord d'un pays d'accueil. Ce droit est respecté pendant les derniers mois du gouvernement d'Isabel Perôn mais la Junte militaire issue du coup d1 Etat de mars 1976 dessaisit la justice de sa compétence en la matière et réserve aux autorités militaires les décisions concernant les demandes de opciôn rejetées désormais dans la plupart des cas . De nombreux écrivains argentins partent en exil entre 1975 et 1976 : parmi les plus connus, Osvaldo Soriano, Humberto Constantini, -309- Pedro Orgambide, Benedetto, Hector l'étranger comme David Tizôn, Cortâzar Viflas, Tomes Mbyano. et Eloy Des Manuel Martinez, écrivains Puig déjà deviennent exilés, car leur retour au pays entraînerait Antonio Di installés à eux aussi des dans ces conditions un danger de mort. Dans la première moitié du XIXe siècle, les écrivains exilés étalent des membres prestigieux de l'opposition, des intellectuels qui avaient reçu une éducation exceptionnelle pour l'époque. Leur sentiment d'appartenance à une élite appelée à Jouer un rôle décisif dans la vie politique du pays était de ce point de vue justifiée. En revanche, les écrivains des années faire partie d'un groupe nombreux, soixante-dix ont idéologiquement, conscience socialement de et professionnellement très divers. Le déplacement du groupe a toutes les caractéristiques d'une migration en masse et donc, l'exil ne peut pas être ressenti comme le martyre des élus et la preuve d'une supériorité spirituelle. A cela 11 faut ajouter le fait que le départ en exil des Argentins se produit immédiatement après celui des Uruguayens et des Chiliens. L'ampleur de l'exil donne à l'expérience partagée l'aspect d'un cataclysme continental qui laisse peu de place à l'espoir d'un retour à la patrie ou à des pays limitrophes et donc plus connus des exilés. L'insertion dans les pays d'accueil ne se fait pas sans peine. Le nombre élevé d'exilés latino-américains rend difficile l'obtention d'un travail et - nous l'avons constaté dans le cas de Moyano - très souvent les écrivains doivent accepter des emplois qui les éloignent de leur métier. La méconnaissance des codes des nouvelles sociétés, -310- parfois même linguistiques pour ceux qui se sont réfugiés dans des pays non-hispanophones, l e manque de considération sociale - l e mot péjoratif sudacas est révélateur du regard méprisant d'une partie de la société espagnole à leur égard - et l e passé immédiat lourd de pertes et de mort q u ' i l s traînent tous derrière eux, tout cela peut être à l'origine d'une s t é r i l i t é contre laquelle Cortâzar mettait en garde ses jeunes collègues : "Ce traumatisme fait qu'un certain nombre d'écrivains exilés plongent dans une sorte de pénombre de l'intellect et de la création qui limite, appauvrit et parfois annihile leur travail. Constatation tristement ironique: ceci est plus fréquemment le cas des écrivains Jeunes que des chevronnés et c'est par là que les dictatures atteignent le mieux leur objectif qui consiste à détruire la pensée et la création libre et combative. J'ai vu ainsi disparaître bien de Jeunes étoiles en des deux étrangers'' (T> Aux problèmes découlant du déracinement, de l'inadaptation et des séquelles laissées par la répression, s'ajoute la perte de leurs lecteurs non seulement à cause de la distance qui les sépare du pays mais surtout parce que leurs livres ont été frappés par la censure et retirés de la circulation. La perspective d'écrire pour ne pas être lu renferme l'écrivain dans l'incommunication et redouble l'isolement de l'exil. Le danger de la stérilité apparaît clairement formulé auquel fait allusion Cortâzar et dans El Jardin de al qui lado, le roman de. l'écrivain chilien José Donoso, cesse lorsque la nouvelle situation a été intégrée et que l'écrivain peut reformuler son projet littéraire. Parfois, si l'exil est prolongé, la situation perd son caractère angoissant et devient une manière d'être dans le monde, l'acceptation d'une destinée qui -311- laisse l'écrivain seul à seul avec son écriture. Mario Goloboff, exilé de longue date, dit : "Je crois que j'ai toujours écrit sur le même thème : l'exil. D'abord par héritage (Je suis petit-fils d'immigrants). Ensuite par châtiment ou par fatalité. Comme si ce destin m'avait cherché avant. Un avant que moi-même j'appelai inconsciemment. („.)A présent, sans savoir ce qu'il adviendra par la suite, je continue à écrire. Et mon pays, celui de mes rêves, celui de mon exil, celui de mes pages éparpillées, demeure entre la lampe et la table, le seul lieu (ce cosmos fuyant) où se trouve la véritable patrie de celui qui écrit.**3 Un autre écrivain argentin, Juan José Saer, i n s t a l l é en France depuis 1968, remarque l e s avantages de l ' e x i l dans le cas particulier des auteurs provenant d'une culture où l'influence de la littérature européenne est à la base d'une polémique traditionnelle. selon lui, un espace démystificateur L'exil est, : "Par rapport au pays natal, l'étranger est une espèce de limbe, une sorte d'observatoire aussi : il est évident qu'après un certain temps, l'écrivain exilé flotte dans deux mondes et que son inscription dans les deux est fragmentaire ou intermittente. Si la complexité de la situation ne le paralyse pas, cette vie double peut être enrichissante. Pour un Argentin, notamment, dans le pays duquel une des contradictions principales de la culture réside dans l'opposition natlonalisme-européanisme, le double champ empirique lui sera utile pour vérifier les prétentions nationalistes injustifiées et parallèlement démystifier la supposée infaillibilité européenne.'"'*" Le témoignage de Goloboff l'exil des rioplatenses permet de dégager la s p é c i f i c i t é de - Uruguayens et Argentins - motivée par la composition démographique de ces deux pays qui sont l e produit de -312- l'apport des immigrants européens au métissage antérieur de "dès-immigration"*1o:' dans le siècle. César Fernandez Moreno parle cas de au XIXe ces exilés qui empruntent le chemin parcouru autrefois par leurs ancêtres, mais en sens inverse. A présent les contraintes politiques ont remplacé les contraintes économiques qui avaient poussé leurs grands-parents à chercher dans le Nouveau-Monde un avenir moins incertain. Mais dans les deux cas, le billet d'aller assurant la survie est acheté au prix d'un déchirement qui met en danger la conscience de la propre identité. Le détachement qui se dégage des paroles de Saer et de Goloboff n'implique pas la disparition du cadre réfërentiel de l'exil dans 1* oeuvre d'écrivains qui ont finalement choisi de vivre à l'étranger. El entenado de Saer ou Criador l'expérience de l'exil de pal ornas de Goloboff portent à un niveau métaphysique où elle perd la précision des circonstances qui l'ont motivée, mais ce cadre continue d'exister et se manifeste dans la tension entre deux espaces et deux temps différents, dans le dédoublement des personnages ou dans la nostalgie du paradis perdu où subsistent les traits du paysage de la terre natale. La réitération de ces caractéristiques aussi bien dans l'oeuvre des écrivains installés définitivement dans un pays étranger que chez ceux que nous pourrions appeler des exilés transitoires, permet de les considérer comme étant les structures littéraires de base par lesquelles 1'exil est exprimé. Les titres des trois parties de Rayuela de Cortâzar : Del lado alla, Del lado de acâ y De otros lados, de résument la perspective spatiale et temporelle où se placent les narrateurs de l'exil. Acâ, -313- c'est le lieu du présent, la terre de l'exil. Alla, du passé dans le pays perdu. Otros lados, c'est le domaine dit le ailleurs de 1' intimité du créateur, lieu de 1' imaginaire, de la langue vivant dans l'écriture qui réunifie ce qui a été partagé entre deux espaces et deux temps opposés. La modulation de ces catégories spatio-temporelles effectuée selon des techniques et des choix de l'auteur étant révélateur peut être points de vue très variés, le de la singularité de son oeuvre et de son attitude face à l'exil. Dans le cas de Cortâzar, le rapport établi entre le titre de chaque partie de Rayuela et le lieu où se déroulent les événements racontés identifie d'emblée les lecteurs du roman et l'intention de l'auteur. En effet, les chapitres de Del de alla lado placent l'histoire à Paris. Ceux de Del lado de acê la situent à Buenos Aires. Lorsque l'on sait que Cortâzar a vécu plus de.trente ans en France et qu'il y a écrit, son roman, la permutation de acé et alla devient très significative : le destinataire du roman ne peut être qu'un lecteur argentin pour qui Paris se trouve là-bas et Buenos Aires, ici. La distance entre l'auteur et ses lecteurs est franchie en inversant les espaces de la narration et en plaçant le narrateur dans l'espace opposé à celui où se trouve l'auteur. La tension entre deux temps et deux espaces peut aboutir aux dédoublements des personnages et à la confusion d'identités, fréquents dans les narrations de Cortâzar et abordés par Moyano dans son dernier roman. La mémoire prend également littérature présent, de l'exil. et contribuent une importance capitale dans la Les évocations ramènent le passé dans le à créer des refuges pour s'évader -314- de la conscience de l'échec ou pour rendre une j u s t i c e posthume à tous ceux qui sont tombés au cours de la répression. L'insécurité se mêle au souvenir et l'image du pays fluctue entre l ' i d é a l i s a t i o n et l e soupçon de s'être trompé sur ses qualités r é e l l e s . En 1981, deux ans avant l e rétablissement de la démocratie en Argentine, Fernândez Mbreno écrivait : Vace à la situation actuelle de l'Argentine, notre double condition de vaincus plus ou moins participants et d'exilés plus ou moins volontaires, nous met dans une position dangereuse, où il nous est difficile de faire la distinction entré les qualités réelles et imaginaires, dans cette Argentine que, contre toute attente, nous continuons à aimer. Et si "eux", les vainqueurs, formaient, étalent la véritable Argentine ? Si, nous, les vaincus, n'étions qu'un ramassis d'amants rêveurs écondults par notre Argentine bien-aimée en raison de ce qu'elle est réellement, c'est-à-dire quelque chose de fondamentalement différent de ce que nous croyions ? N'aime-t-elle pas les autres, les vainqueurs, non seulement parce qu'ils le sont, mais encore en raison des conditions qui sont les leurs et qui les menèrent à la victoire ?"< " * Les auteurs chevronnés et militants politiques de longue date réussissent une vision positive de l ' e x i l par la réaffirmation de leur idéologie Orgambide, dans un contexte réfugié différent. au Mexique, Tel est dans sa nouvelle le cas de Pedro No hagas tango. L'attitude contraire est i l l u s t r é e par deux romans de Horaclo Vazquez Rial un jeune auteur résidant actuellement en Espagne. Sa perspective est c e l l e de l'ex-militant qui découvre en e x i l l e s erreurs de la gauche argentine et l e s ambitions de ses dirigeants. Le premier des deux romans - Segundas personas - est écrit sur un ton accusateur et -315- coléreux proche de celui employé par Goytlsolo dans Reivlndicacion conde Don Julien. parallèlement Le deuxième - Oscuras materias aux réflexions politiques del de la luz - développe une histoire d'amour entrecoupée par les évocations du pays et la méditation sur la fuite du temps, un autre thème apparenté souvent à celui de l'exil. Les séquelles physiques et psychiques de la torture dans le cas de certains exilés apparaissent à travers le personnage central d'un roman de Manuel Puig qui reprend quelques reflexions de El beso de la mujer aratia : Maldiciûn eterna a quien lea estas paginas. Comme dans le roman précédent, deux personnages s*affrontant, se rapprochant et s*éloignant l'un de l'autre au fil de l'histoire, représentent deux attitudes et deux expériences à première vue inconciliables. Mais cette fois-ci chacun d'eux assume aussi la représentation d'un pays : l'Argentine, patrie de l'exilé et les Etats Unis, le pays d'accueil. L'humour qui se dégage des récits du chilien Skârmeta sur l'exil fait de très rares apparitions dans la littérature argentine. Un long poème de Humberto Constantin! peut être cité comme une exception à la règle. L'humour y est employé pour critiquer l'attitude de l'exilé plaintif et refusant de vivre au présent dans le pays qui l'a accueilli et qu*il compare inlassablement à Buenos Aires : "<...)un porteffo de melancôllca estirpe cuya principal ocupaciôn a partir de aquel crïtico momento de la existencla humana habîa sido chivar contra su puta suerte despotrlcar implacable contra el podrido pais que le habîa dado asilo -316- que con santa paciencia le habïa soportado le estaba soportando su insoportable esgunfio pero cuyo terrible imperdonable congênito defecto era no ser lavalle esquîna talcahuano por ejemplo un pais al que por lo tanto habîa que crtticar escrupulosamente unas velnte veces por dla vale .decir no perdonarle absolutamente nada ni el ahorita ni el esmog ni el transporte ni la grandiosidad ni los colores estridentes ni los espantosos impronunciables nombres de las calles ni su glorioso pasado revolucionario ni las calaveritas de azûcar ni el tono cadencloso y amable de los vendedores de mangos ni los billetes de loterîa ni los murales de diego rivera que despuês de todo che no eran para tanto."*1*3 Le poème de Constantin!, intitulé ironiquement Tango, met en évidence une autre caractéristique souvent présente dans l e s textes des e x i l é s : l'utilisation l'exemple cité, de la langue du pays d'accueil. che, esgunfio partie du lunfardo, l'argot Dans et chivar - l e s deux derniers mots font portègne, et signifient respectivement ennui et râler, proférer des jurons - côtoient l e mexicanisme ahorita. L'appropriation du parler d'une v i l l e , pays ou région équivaut sur le plan de la langue à l'appropriation de l'espace géographique du nouveau l i e u de résidence et à l'adoption des coutumes alimentaires du pays d'accueil, 1'intégration. ce Carlos qui constitue Ulanovsky, l'un dans un des premiers livre qui pas vers réunit les souvenirs de son exil mexicain consacre un chapitre à analyser sa propre attitude et c e l l e de ses compatriotes v i s - à - v i s du langage : -317- "Mantuvimos una duplicidad permanente - al nombrar aliment os, puteadas o costumbrismos - porque eao sirviô también para explicarnos el apego o el desapego por la tlerra lejana. Cuanto menos espaclo le ofreciéramos al lenguaje local, menos sospechables éramos de adaptaciôn y convivencia. Razonamiento loco, cruel y poco llberador si los hay, pero asî lo sentimos, asi lo puslmos en préctlcaC) Sin embargo, quien mes quien menos, todos nos hemos Ido alejando de los prototipos - la famille, los intelectuales, la Chona, Minguito Tinguitella, Radio Rlvadavia - para ir encontrando un lenguaje mes mezclado, ese impagable "argenmex" que sedujo a varios escritores argentinos para experimentar en sus obras de exilio. Hablamos mes bajo y algo mes descolorido que antes, un promedio que acertô a définir Mario Benedetti cuando dijot "Un espatiol pulcro y desinfectado, promedio entre Guadalajara y Efe/iuaia"0** Le livre d'Ulanovsky est riche d'observations sur les contacts entre Argentins et Mexicains et l'auteur dresse un bilan positif de l'exil dans un autre pays latino-américain. La rencontre de l'écrivain argentin avec ses collègues du continent faite autrefois lors de colloques et de congrès où suite a des invitations qui supposent un séjour très court, s'effectue désormais sur place. Hais ici i l ne rencontre pas seulement ses pairs mais le peuple dont ils font partie et avec lequel l'exilé doit partager sa vie quotidienne. Les stéréotypes éclatent dans le contact direct, non sans laisser un enseignement utile pour se remettre en cause et voir son propre pays dans la perspective de l'autre qui n'épargne ni les critiques ni la raillerie : "Al final todos obtuvimos un reconocimiento que tuvo mucho de desencanto :'Tû ères argentino, pero no lo pareces.', a lo que nosotros, para no quedarnos atrés en la manipulaclon, reflexionâbamos : Vulano es un tipo sensacional, un mexicano a la argent ina'. En ambas aseveraciones se prétende remarcar lo distinto.jDistinto a que ? Simplemente al argentine fanfarron e intempérante, -318- ensoberbecido y vacuo que se corresponde con el modelo prejulcioso del mexicano indolente, violento y superficial, mal procesado durante afios por el clne norteamericano. "<"** "Juro que desconocla nuestra fama latlno-americana de engreîdos antes de que me contaran los mes transltados chistes sobre los argentlnos : 'Ego es el argentlnito que todos llevamos adentro'. 'iSabes cômo haces el negocio de tu vida? : comprando argentlnos por lo que valen y vendléndolos por lo que creen que valen'.Ht,B3 De ce point de vue, l ' e x i l apporte aux écrivains des avantages Irremplaçables qui ont été l'objet d'examens et de commentaires publiés après l e retour à la démocratie. Dans un pays qui s ' e s t montré peu enclin à assumer son appartenance à l'Amérique Latine, l e retour des e x i l é s ayant une expérience d i r e c t e de l ' h i s t o i r e et de l a vie quotidienne des républiques soeurs peut entraîner une modification du regard que l e s argentins portent sur eux-mêmes, t e l q u ' i l semble se dégager du l i v r e d'Ulanovsky. -319- 4.2. Le roman de la première étape de Dans Libro de navios y borrascas l'exil nous retrouverons la plupart des caractéristiques signalées pour l'ensemble des oeuvres s'inspirant de l'expérience contemporaine de l'exil politique mais l'originalité du roman de Moyano provient du point de vue choisi pour aborder le thème. Le voyage à bord du Cristôforo Colombo entre les ports de Barcelone et Buenos Aires de sept cents Argentins, Chiliens et Uruguayens victimes des trois coups d'Etat des années soixante-dix, établit un pont allégorique entre les deux catégories spatio-temporelles qui soustendent toujours les oeuvres de la littérature de l'exil. Ici c'est le bateau, le premier refuge avant la terre d'asile, avançant sur la mer, base mouvante de l'imaginaire étalée entre deux là-bas. Le premier, celui du pays que l'on quitte, fait partie des terres de la mémoire. Le deuxième, encore inconnu, est un pays irréel et il peut seulement être exploré par l'imagination. Chacun de ces. deux points de tension entre lesquels s'organise l'histoire et se réalise le voyage imaginaire, comprend des sousniveaux aussi bien temporels que spatiaux qui concernent surtout le narrateur mais qui peuvent apparaître également autres personnages. Du côté du pays perdu dans les récits des se trouvent les différentes étapes du passé et les lieux auxquels elles sont attachées : La Rioja, -320- la prison, Buenos Aires et, en particulier, son port, mis en rapport avec l'histoire du pays, l'école primaire, la maison de l'enfance avec le coffre du grand-père. Du côté du pays futur, les projets, les espoirs et les craintes de tous face à l'expérience de vie qui les attend dans un pays étranger, ou l'espoir de rentrer le plus tôt possible dans leurs pays d' origine. C est à la fois pour fuir du passé et pour faire face au pays du futur que Rolando se réfugie dans les rêves et s'imagine aimé de Nieves, la jeune Espagnole qu'il n'a jamais vue et dont il connaît seulement le nom et l'adresse. Le lieu appelé par Cortézar navios... otros lados, est dans Libro de celui du temps et de l'espace abolis dans un roman qui se raconte lui-même du début jusqu'à la fin, qui se refuse à terminer et qui cherche dans les mots et dans la musique l'unité perdue de l'homme et la durée qui le dépasse. C'est aussi la mer, métaphore de la vie et de l'éternité, traversée par un bateau qui dit symboliquement la condition de l'homme à la merci des naufrages de l'histoire et de sa vie personnelle. Le renouveau apporté par Libro de navios y borrascas a la littérature de Moyano ressort lorsque l'on essaie de replacer ce roman dans l'ensemble de l'oeuvre. Nous aurons l'occasion de remarquer ses différences d'avec le reste de la production de l'auteur tout au long de l'analyse de ce premier roman de l'exil, mais nous pouvons dès maintenant en souligner quelques-unes. D'abord, les personnages n'appartiennent pas à l'univers familial cher à Moyano. Ici, ils sont éloignés de leur familles et obligés de cohabiter dans le huis-clos du bateau, véritable arche de Noé transportant -321- un équipage et des voyageurs de nationalité, langue, profession et origine diverses. Cette diversité entraine l'utilisation de niveaux de langue propres à chaque groupe ou personnage en langue étrangère : Internationalisation italien, donc, et l'introduction portugais, des personnages de anglais, et mots français. du langage, jamais tentée par Moyano auparavant. Deuxièmement, le discours du narrateur est beaucoup plus libre que dans les oeuvres antérieures. L'émotion retenue, caractéristique des premières nouvelles, et la recherche d'un langage parlé évitant soigneusement aussi bien les excès de couleur locale que les épanchements affectifs, cèdent la place à des formes très contrastées qui vont du juron jusqu'au lyrisme des chapitres comme employé La bahia. à Finalement, plusieurs reprises l'utilisation dans le du roman, dialogue théâtral, établit une autre différence de taille par rapport & la forme des récits précédents. En outre, la nouvelle perspective de l'exil a desserré les mailles de l'allégorie allusions à des employée dans El vuelo del tigre et les au cadre historique et politique de l'histoire racontée et personnes faisant partie de la réalité extra-littéraire apparaissent plus directement. Le premier niveau de signification du roman se présente de ce fait comme un constat Latino-américains un constat qui de la situation des confrontés & la dictature militaire et à l'exil ; ne passe pas sous silence l'origine sociale et professionnelle et même les noms de quelques victimes réelles du massacre des années soixante-dix : des écrivains comme Walsh, Urondo et Conti, tués en Argentine ; des écrivains emprisonnés en Uruguay - le cas d'Onetti est évoqué dès le début du roman - ; les groupes de -322- psychanalystes et psychologues cause de leur profession, bannis de l'Argentine non seulement à considérée comme étant Intrinsèquement subversive par le régime , mais en raison de l'origine raciale et religieuse de ses membres, pour la plupart descendants des immigrés juifs ; les syndicalistes, à qui Moyano donne la parole dans le chapitre XIII. L'intertextualité fréquente roman et son utilisation est une autre caractéristique du reste jusqu'à cette date une exception dans l'ensemble de ressources littéraires employées par l'auteur. A coté des écrivains étrangers comme Pessoa, entre autres, sont surtout argentins : Larreta, Alberto Gerchunoff, D'Annunzio, Baudelaire, D'Amicls, cités des écrivains latino-américains, Cortâzar, Borges, Leopoldo Rubén Oarlo. Lugones, Enrique Nous nous limiterons à 1'analyse de quelques exemples. Le nom de Lugones revient à deux reprises dans le roman et toujours avec des connotations politiques. La première référence à cet auteur, l'un des classiques de la littérature argentine, se trouve déjà dans le premier chapitre : "Luz débil de la tarde menas mal, y las aves de Lugones afllgîan como adioses revoloteando sobre las dârsenas, a la hora en que a la tarde le van apareclendo ojeras. Lugones que introdujo el âguila germana para espanto de los gorriones criollos."*1** Le Lugones auquel fait référence Moyano n'est pas le premier Lugones, moderniste dans le domaine de la littérature, socialiste de par ses idées politiques. C'est en revanche le Lugones des années -323- trente adhérant aux postulats du nationalisme m i l i t a r i s t e et annonçant la hora de la espada du coup d'Etat d'Uriburu, évoque, au moment de partir en e x i l . et pour cause, celui que Rolando Versatile non seulement dans ses adhésions politiques mais dans l e s genres et s t y l e s l i t t é r a i r e s abordés, livres qui se Lugones a écrit, trouvent à la personnage de Moyano : El libro Ces deux livres, base parmi beaucoup d'autres, de l'association de los palsajee deux d'idées et Las odas du seculares. publiés respectivement en 1910 et 1917, chantent l e paysage physique et humain de l'Argentine sans oublier l e s petits êtres de la campagne, l e s oiseaux, l e s insectes, l e s plantes. Le nom d'Alberto Gerchunoff apparaît au moment où Rolando rencontre sur l e pont du bateau l e s psychologues argentins d'origine Juive : Tienen apellldo Judîo y toman mate. Son los gauchos Judîos de Gerchunoff, con caras de tenderos del Once, todos en la carreta en medio de la pampa, y a alumbrarse con los burlones farolitos cosmicos. Para nosotros esto es pan comido, dljo uno de los gauchos Judîos, llevamos siglos de exilio dentro de la sangre. Borges una vez en la Socledad Hebraica, mezclando a los judîos con Schopenhauer, dijo que en este pueblo habia voluntad de exilio. Opinion rapidamente rebatlda por los gauchitos que se iban en el barco : los sacaron de sus casas y consultorlos a punta de fusil. Se equivocaba Borges, se equivocaba."*17'* Gerchunoff a dépeint dans l e s nouvelles de Los gauchos Judîos la vie quotidienne des colons Juifs installés dans l e s provinces du Littoral argentin à la fin du XIXe siècle. Né lui-même en Russie, son enfance se déroule dans l e s campagnes de Santa Fe et d'Entre Rlos où i l a s s i s t e au processus d'intégration de son peuple aux coutumes de la -324- région. Ses récits traduisent la joie des colons, leurs espoirs' de trouver de nouvelles racines et de comprendre le pays qui les a accueillis. L'allusion à Gerchunoff renforce la critique des paroles de Borges. La prétendue volonté d'exil du peuple juif n'est que le résultat de la discrimination et la répression, renouvelées dans les années soixante-dix par une dictature militaire qui condamne les juifs argentins a une migration involontaire. Parfois, l'allusion à l'oeuvre d'autres auteurs n'est pas signalée par le nom de 1'écrivain ou de ses personnages - par le biais de Nemo et d'Achab sont évoqués Verne et Melville - mais elle apparaît fusionnée avec le texte de Moyano sans aucune mention permettant son identification. Tel est le cas des éléments pris dans les nouvelles de Conti dont nous parlerons plus tard. La peinture apparaît aussi pour là première fois dans l'oeuvre de Moyano à travers le personnage de Contardi, peintre lui-même, et ses réflexions sur le Quitasol de Goya. Les tapisseries de la Dame â la Licorne sont présentes dans le discours du capitaine lorsqu'il parle du tapis, représentation du Temps et de sa durée totale, que l'homme ne peut saisir dans le laps limité de sa vie. L'image allégorique du tapis a été utilisée par Cortazar dans Los premlos, un roman qui peut d'ailleurs être rapproché de celui de Moyano par le cadre choisi pour le déroulement de l'histoire - le bateau - et par le sens donné à l'aventure maritime considérée comme un voyage initiatique. Les paroles de quelques chansons populaires sont insérées dans le texte du roman. Leur fonction est double : d'une part elles se -325- substituent aux paroles de l'auteur pour exprimer ses sentiments ou Impressions, et d'autre part, elles recréent l'ambiance d'un pays disparu il y a longtemps. Il s'agit de chansons très connues et liées au souvenir des époques où elles étalent à la mode et aux mythes populaires Magaldl, qu'elles ont contribué à perpétuer : Gardel, Agustin un chanteur de tango presque aussi prestigieux que Gardel. A côté du passé historique, présent aussi dans le roman, ces chansons se placent dans la perspective de la mémoire collective conservée au sein de la famille. Elles soulignent le quotidien perdu par les exilés et évoquent à la fois un temps d1 innocence opposé au temps de la répression qu'ils viennent de vivre. Les paroles de Volver, un de Gardel - nous les mettrons en caractères gras - se mêlent tango au texte au moment où le bateau commence à s'éloigner du port : " lAsi dentro que nunca? £Ni siquiera de veinte von la frente aSos? £Ni siquiera sintiendo que la es ffffuu, un soplo? £Ni siquiera con misdo al iNi con esperanza humildë? Mire, yo "La hija chapitres del exploitent viejito quiero vida encuentro? volver y o e o apenas estamos saîiendo." Deux marchita deux guardafard* valses et "Ilusiôn des années marina" trente : d'Antonio et Terônlmo Sureda, deux compositeurs et paroliers s'inscrivant dans la tradition du vais criollo. Ce type de valse reprend le rythme de la valse européenne mais chante des sujets typiquement latino-américains, quelques-uns - dans le cas de l'Argentine - hérités des derniers payadores du début défenseurs ardents des du XXe siècle, anarchistes, tolstoïens et valeurs de la pitié, la solidarité, la justice sociale, la pureté et l'amour filial. En reprenant les paroles naïves -326- de ces chansons pour Inventer l'histoire destinée à redonner de l'espoir à Contardi, Moyano fait une autre Incursion dans le style qu' il avait déjà employé dans Una luz muy lejana. kitsch, Cette fois-ci, son utilisation poursuit un effet de contraste en juxtaposant deux époques et leurs ambiances respectives. Au sentimentalisme naïf de la chanson, appuyé sur des valeurs simples et quotidiennes, tragédie de l'Argentine des années soixante-dix. s'oppose la L'impossibilité d'utiliser les vieux clichés dans une histoire qui puisse & partir de la réalité contemporaine affirmer elle aussi des valeurs, est mise en relief par la diminution progressive des sources de lumière proposées comme titres de l'histoire que les exilés sont en train d'inventer : Les faro - farol - farolito - fôsforo - fsss. formes musicales évoquées correspondent A deux cultures différentes et aux deux Argentines dont nous avons déjà parlé. Le déchirement de Rolando - personnage présenté par Moyano comme étant originaire de La Rioja - au moment de quitter le pays, est traduit par les paroles d' une vidala. Ces paroles sont citées à plusieurs reprises et à des moments où l'évocation du passé devient plus poignante ou pour présenter le gardien du phare, image qui introduit le thème des disparus : "Salvo que a esta altura del segundo milenîo y la destrucciôn de casi todo no valga realmente la pena contar nada, para que. Mes prâctlco y menos duro serîa inventar una canciûn, vidala o baguala, que se yo, algo que en vez de meterte mes en el mundo te saque un poco de él. Una canciôn como una tregua. Y con cuatro estrofas todo dicho, coma en la vidala. Porque si yo me muero, con quîên va a andar Mil sombra, tan chiqulta, tan callada ?<i»> -327- "El viejito guardafaro en aquella soledad. Con los dedos cuarteados de tanto escarbar olas salitrosas, ûnico habitante el viejo del pefSôn aolitario. De dia se pasea y lo slgue humildisima su sombra ; a veces se prolonge sobre el mar, achatadïslma, a veces se arrastra por las ptedras y se esconde nadle sabe dônde cuando el viejo entra en el faro. Pobrecita la sombra, si se muere el viejo con quiên va a' andar. Se quedaré achatada, nadie sabe cômo. El viejo guardafaro tiene miedo y se lo coumunica a su luz en temblores como llorosos, miedo a que las sombras de los pescadores no tengan con quiên andar.<SOi Les paroles insérées dans l e texte appartiennent à une vidala de Julio Espinosa i n t i t u l é e Vidala para mi sombrât réélaboration moderne d' un genre musical à rythme ternaire, pré-colonial et typique du NordOuest du pays. Quelques strophes des plus anciennes vidalas, appelées aussi bagualas dans certaines provinces comme Santiago del Estero, se sont conservées par tradition orale. Sur un rythme lent et appuyé par la percussion, d'adieux. Il l e s paroles parlent de souffrances, n' est choisi l e s vidalas pas d i f f i c i l e de souvenirs et de comprendre pourquoi Mbyano a parmi la grande variété de chansons folkloriques du Nord-Ouest argentin .: e l l e s sont l e s seules a développer l e thème de la fuite du temps et de la hantise de la mort et leurs paroles ont toujours une portée philosophique . Dans l e dernier chapitre du roman la musique des revient pour boucler l e récit. paroles d'un vieux tango, Dans Mini hlstoria Maria, fournissent les deux Argentines de Sandra, les éléments de la dernière image de la jeune Uruguayenne avant l e débarquement. Le texte de Mbyano marque lui-même l'écart entre l e s paroles du tango et la r é a l i t é à laquelle on prétend l e s appliquer. Boceto de un vidalero et La volvedora sont l e s derniers fragments consacrés à l'évocation de la -328- musique du Nord-Ouest. Les deux cultures populaires apparaissent donc en parallèle depuis le premier et jusqu'au dernier chapitre du roman. L'écriture musicale devient dans Libro de navîos y borrascas une technique littéraire et de ce fait le livre continue à approfondir la recherche commencée dans El oacura langage, fournit La musique constitue un deuxième des métaphores, sert à expliquer les structures littéraires. Elle est aussi une trêve dans le temps et un refuge pour se protéger de la violence. Lorsque Rolando imagine 1'enfant qui naîtra de ses amours avec Nieves, pour le mettre à l'abri et lui éviter l'expérience de la prison, il pense à lui choisir un nom imprononçable "Necesito un nombre dlfîcil de nombrar, especialmente por los que tienen el maldito oflcio de Ir a sacar la gente dormtda de su casa. Imposible pensar enfonces en los nombres convencionales. Esconderlo en un sonido que ninguna voz humana pueda cantar y solo algunos instrumentos ejecutar : r <S1 > A signaler aussi, parmi les changements apportés par ce roman, toutes les observations, métaphores et Jeux linguistiques issus du paysage maritime qui a été jusqu'ici absent de l'oeuvre de Moyano, avec une seule exception. En effet, dans le quatrième recueil , écrit de 1970 à 1974, la nouvelle Hombre mlrando el mar, peut être citée comme le seul antécédent de cet aspect fondamental de Libro y borrascas. -329- de navîos 4.2.1. Les ruptures et l e s l i e n s On pourrait très bien parler du roman en l'appelant "le livre des hiatus et des liaisons" car tout l e récit se présente comme une recherche des l i e n s pouvant rapprocher des moments, des espaces, des expériences et des hommes afin de faire disparaître l e s hiatus marqués par la mort, l'exil et ses innombrables pertes et les effets dissociateurs de la torture et de la prison. Les images de chute se multiplient à l'intérieur du récit. La première, la chute du paquet de yerba mate apporté à Rolando par son ami riojano au moment de l'embarquement, dit déjà la petite mort des gestes quotidiens dans la rupture d'avec l e s habitudes l i é e s & la culture du pays : "Puse limpiamente un pie en la escalera tmbilicaî y el gendarme me agarrû un brazo. Al papellto lo perdi, no estoy en listas negras, soy Rolando. Entonces me va a tener que acompafïar. Me sacudiô y entonces el paquete de yerba hizo piaf alla abajo a veinte métros, entre aceites notantes y otras mugres de los puertos. Cayô como hubiera podido caer el Flaco desde el quinto piso en caso de fallarle la maquinita de volar. Porque con esas alas que nunca pudo hacer por falta de goma y de tablitas y de tela, no hubiera llegado a ninguna parte. En cinco pisos no hay tiempo de abrir las alas aunque puedan funcionar. Question de fîsica slmplemente. Alas inexistentes que el Flaco ténia en la cabeza. El paquete revente allé abajo y el mar se irisô de verdes.M<ss'? Flaco, personnage évoqué par l e narrateur à plusieurs reprises au f i l de l ' h i s t o i r e , devient l e symbole l e plus constant de la chute- mort. I l rêve de s'évader de la prison en se fabriquant des a i l e s avec des allumettes mais sa disparition ultérieure fait de lui l'image du vol libérateur manqué. Le vol continue à avoir l e sens de délivrance -330- que nous avons vérifié dans Al otro lado de la calle.., mais 1' imagination est impuissante face a la r é a l i t é de la prison. La dernière chute qui apparaît dans l e roman est c e l l e de la guitare qui tombe à l'eau au moment du débarquement et qui a été l'objet de l'un des nombreux r é c i t s emboîtés dans le récit principal. Cette chute boucle aussi l ' h i s t o i r e de Flaco, car c'est son f i l s qui perd sa guitare dans l e s eaux du port. Symbole d'une musique, d'un environnement - La Rioja - et de l ' h i s t o i r e des êtres qui n'y sont plus, e l l e retournera comme un petit navire vers la patrie lointaine. La mini-histoire de la guitare porte le titre d'une vidala qui s'appelle justement La volvedora : "El patio blanco gualdrapeô contra el mâstil y se lnflô lo mismo que una vêla. Unas brisas encontradas hacîan dar bandazos al navïo de sels cuerdas, pero cuando consigulô alejarse del muelle, en aguas mes tranquilas, reclblô un viento de popa y empezô a alejarse de nuestra vista mar adentro. Los chlcos sacaron sus patiuelos y estuvleron mucho tlempo saludando un punto que parecîa brillar en el horizonte por barlovento. Un punto que al final estaba mes en la imaginaciôn que en el mar porque la gultarra, siguiendo un rumbo sur suroeste, hacia buen rato que habla desaparecldo. •»<**> Contre l e s ruptures, le roman multiplie les liens. Ils sont nombreux et très variés. Quelques-uns font partie des mécanismes de la mémoire involontaire exploitée maintenant dans l e cadre d'un thème qui l'impose naturellement. A partir d'un son ou d'une image l e passé s ' i n s t a l l e dans l e présent et la distance entre l e pays d'origine et l e bateau qui conduit l e s e x i l é s en Europe disparaît. D'autre part, le -331- narrateur s'efforce de rétablir les liens entre son Identité d'avant l'emprisonnement et celle de son présent d'exilé. L'évocation devient alors un exercice volontairement pratiqué pour restructurer la personnalité dissociée par les souffrances endurées dans la prison. L'intertextuallté permet d'établir d'autres types de liens avec des oeuvres ou des auteurs qui ont traité des sujets se rapportant aux thèmes développés dans le roman. Finalement les mots, tout ce qui reste du naufrage, assurent les liens entre ce qui n'existe plus et la vie qui continue. L'apprentissage que nous avons signalé comme une démarche constante des personnages de Mbyano consiste, dans Ltbro navïos y borrascas, séparé ou détruit et ce qui peut Nous en de à tisser des liens entre ce que le malheur a être encore sauvé. citerons quelques-uns en commençant par celui créé par le retour de la guitare car cette dernière image réunit la chute et sa réparation. Dans le premier chapitre du roman le narrateur signifie la perte de sa vie antérieure par la chute d' un violon. Rolando est en train d'astiquer son violon lorsque les gendarmes arrivent pour l'emmener avec eux. L'instrument reste suspendu à la treille, les pluies le mouillent et les vents le dessèchent jusqu'à ce qu'il tombe "en ei olor hûmedo de la tierra ferment aclôn". <SA> removida, en el calor naciente de la La mémoire ramène une image obsédante : celle de l'éclat du violon astiqué. La chute de la guitare et le point qui brille sur la ligne de l'horizon rétablissent un lien entre deux temps et deux espaces. Deux instruments de musique, deux pertes mais aussi un retour qui exauce symboliquement les voeux des exilés. -332- Pour désigner l e s l i e n s - ou l e s liaisons - Rolando fait appel à la musique. I l dit ligaduras et dès l e premier chapitre du roman l e personnage s'attache à l e s chercher et à l e s découvrir. Le premier l i e n évoqué correspond a ce que Fernândez Mbreno appelle la "desémigration". Petit-fils d'un immigré espagnol en Argentine, Rolando prend conscience qu'il est en train de renouveler l'expérience de son grand-père et essaie d'en t i r e r l e s enseignements qui l'aideront à survivre en terre étrangère. dans l e s lettres Les ovales de l'écriture du v i e i l l a r d envoyées & son village espagnol deviennent des blanches sur une portée reproduisant la sirène des deux bateaux, celui qui a transporté l e grand-père en Argentine et celui qui transporte l e p e t i t - f i l s en Europe. La lîgadura établit l e lien entre deux sons - l e passé et le présent - séparés par la barre de mesure : "El Crlstôforo y el Cacharro del abuelo tenîan en la strena el mismo sonido con distînt os nombres, solo habîa que paner una lîgadura de prolongaciôn entre ellos. En cuanto saliera del furgon, con solo poner el primer pie en el cacharrito que me tocara quedarîa trazada la lîgadura, por fin podrïa ver el barco que imaginaba cuando iba a poner los ûvalos con algûn dinerillo en el buzôn del pueblo. S * Un personnage représente parfois le lien entre deux réalités que l'auteur veut mettre en contact. Tel est le cas du timonier l'un des quatre personnages auctorial. Le du capitaine, roman le par lequels cuisinier s'exprime espagnol Rafa, le le discours peintre Contardi et le timonier sont les personnages chargés de développer des -333- t h é o r i e s qui replacent l ' e x i l dans un contexte plus large l ' i n t é g r a n t à l a réflexion sur l a condition de l'homme dans un monde qui répète ses e r r e u r s et I n s t a l l e l a mort à l a place de l a vie. Chacun d'eux énonce une p a r t i e du discours de l ' a u t e u r ou un aspect des problèmes qui l e préoccupent : l ' o u b l i et l e temps, la r é a l i t é et la fiction, l e s ressources possibles pour échapper au mécanisme de mort et destruction fonction, déclenché par le pouvoir. l e discours que l ' a u t e u r Par leur leur transfère, âge ou par de leur se réclame d'un sérieux et d'un é q u i l i b r e qui aurait é t é moins crédible dans l e cas des a u t r e s personnages, tous des e x i l é s vivant dans l a peur et le désarroi de leur nouvelle s i t u a t i o n . Le timonier, par l ' a s p e c t de ses mains, établit l e l i e n entre l a t e r r e et la mer et l e s métiers de l'une et de l ' a u t r e , un l i e n sur lequel l e narrateur revient souvent en i d e n t i f i a n t la superficie désolée de l a mer aux vastes étendues des Salinas Grandes. Avec l e personnage du timonier, Moyano rappelle l'image d'Aballay, enraciné dans la t e r r e de ses ancêtres et pour cela l e seul capable de découvrir dans 1'exemple de la nature l e moyen de retrouver la l i b e r t é . En outre, l e s mains du timonier annoncent t e x t e de Pessoa, 0 guardador de rebanhos, chapitre du roman, Très golpes de tlmbal : ainsi que transcrit quelques dans l e dernier personnages "Mezclando italiano y espaffol, el timonel trataba de explicar lo que entendla por maravilla. Segûn êl eso ténia que existir forzosamente, de lo contrario el cùmulo de esperanzas y aburrimientos que llamamos vida no tendrla explication. Llamando a las leyendas mara villas provisionales, su pensamlento se movia entre diluvios, continentes que se desplazan, cambio de posiciones del eje de la tierra y otros sustos prehistôricos. Ténia unas -334- le de tremendas manos huesudas, mâs de escarbar tierra que de conducir barcos, mes traza de pastor de ovejas que de timonel."***3 L'Importance accordé au langage dans El vuelo del tigre, où 11 devenait une stratégie de survie et un instrument de lutte contre l e s oppresseurs, est renouvelée dans El libro de navlos... . Ici, ce qui est mis en relief c" est sa capacité de témoigner, d1 empêcher que l e temps efface l e souvenir de ce qui est arrivé et de ceux qui se sont noyés lors du naufrage qui vient d'avoir l i e u dans l ' h i s t o i r e l'Amérique Latine. Les mots doivent l a i s s e r des traces, de façonner et fixer la mémoire du passé récent pour qu'elle ne devienne qu'une ligne comblant l e s insterstlces de "eso que llaman Historia, suma de los acontecimlentos la gente menudos de todos los dias, la aburrida entre los que vive y muere cas! sin saberlo. "<•***. Ce qui f l o t t e après l e naufrage ce sont l e s mots, mots-survivants, mots-bouées de sauvetage auxquelles Rolando s'accrochera pour ne pas sombrer au cours de son voyage : "De los millones que naufragaron en los mlllones de kilométras cuadrados que tlenen los océanos, han quedado solo las palabras. Lof, lof. A sotavento por el travês. Capitanes y grumetes, calafates y contramaestres se perdleron con sus cargas preciosas, especias y metales, las finîsismas sedas y los cargamentos de pimlenta fueron arrojados al mar antes del desastre a ver si con menos peso el mar los consentîa. Pero nada, se fueron al fondo y con ellos sus esclavos inocentes, y cuando todo estuvo hundido flotaron las palabras. Lof, lof."**7* L'oubli-mort doit être combattu par les mots prolongeant 1'histoire vécue. Dans 1'infini de la mer indifférente aux souffrances du naufrage, innocente des pertes qu1 i l -335- entraîne et dont l e seul coupable est l'histoire, le vent , symbole des forces qui s'affrontent dans l e s voix de ceux qui ne sont jamais entendus parce q u ' i l s ont sombré dans l'échec et la mort peuvent demeurer dans l e s liens t i s s é s par l e s mots pour connecter leur vie au présent des survivants. 4. 2. 2. Le narrateur du roman L'oscillation entre les chutes - exil, mort, oubli, échec, naufrage - et l e s tentatives d'éviter l e gouffre est synthétisée dans une scène du premier chapitre. n'obtient Sur l e point de s'embarquer, pas à cause de la distraction d'un gendarme l e Rolando laissez- passer qui l'autorise à monter à bord. Un autre gendarme prétend le retenir dans l e port mais Gordo, 1' un des exilés, attrape Rolando par l e bras et l e t i r e vers l e bateau. Avec un humour semblable à celui qui faisait £2 vuelo del contrepoids tigre, à l'angoisse de l'univers carcéral de Mbyano traduit par la position du corps de son narrateur la situation dans laquelle i l se trouvera tout au long du roman : à ml-chemln entre la p o s s i b i l i t é de se retrouver et l e danger de sombrer dans l'alcool, l'inertie, l'évasion facile. La p o s s i b i l i t é de la chute du pantalon, renvoie à un autre phantasme des prisonniers et des e x i l é s : l'humiliation : "Tupac Amaru, claro, o algo testante parecido, con un pie en el barco y otro en el continente. Como el Gordito era mâs fuerte que el norteffo desnutrido, por lo menos très cuartas partes de mi ya estaban fuera del pais. Situation jurîdica muy clara segûn el Gordito leguleyo, este nombre ya esta afuera y este barco y esta escalera se rigen por leyes italianas, gritaba tirando con los brazos hasta que -336- eJ sudor le corriô por los ojos, cosa que aprovechô el gendarme para devolver parte de mi historia personal al continente. (,..>Me balanceaba entre miedos,entre estar en la lista negra hasta caer al agua, pero el mes apabullante era el de que se me cortara la tirita de hilo sisal.(ST> Une différence narrateur entre Libro importante de navïos existe dans y borrascas le choix du type de et les romans précédents. Pour la première fois, l'auteur choisit un narrateur autodiégétique, c'est-à-dire un narrateur qui est à la fois le protagoniste et le narrateur du récit principal. Les fonctions de communication et d'attestation, à peine ébauchées auparavant dans quelques nouvelles, sont exercées pleinement par Rolando qui s'attache aussi à marquer les connexions entre les différentes parties de son texte, fait remarquer ses hésitations et les raisons de ses doutes sur la meilleure manière de commencer et de finir son récit et suggère même une modalité de lecture. La narration elle-même devient un autre sujet du roman. Celui-ci raconte en fait deux histoires parallèles : celle du voyage des exilés et sa propre histoire : l'évolution qui le conduit du conte narré par Rolando à ses auditeurs fictifs jusqu'à sa structuration en tant que roman. La fonction méta-narrative exercée par le narrateur protagoniste du récit et s'exprimant dans son discours sur la composition du texte, est légitimée par la profession du personnage, révélée par le narrateur à partir du chapitre XI : Rolando, qui au début du roman se présente comme un musicien, devient à partir de ce chapitre un romancier qui doit terminer au plus vite un roman réclamé par son éditeur, le roman que le lecteur est en train de lire. Le changement -337- concernant le type de narrateur entraîne nécessairement un regard qui dépasse le cadre des événements racontés et se pose sur les formes les exprimant. Ce narrateur, au travers duquel nous voyons tous les autres personnages, qui se raconte et nous communique ses Impressions sur son propre texte est l'axe de l'organisation du matériel narratif. Son long aveu la musique : Cadenza dans le chapitre XI - dont le titre est emprunté à - constitue le segment narratif qui partage le roman en deux parties bien différenciées. Chaque partie a des repères spatio-temporels qui correspondent aux étapes du voyage, la division entre les deux parties coïncidant avec le moment où le bateau traverse la ligne de l'Equateur et change d'hémisphère (chapitres X et XI). Toutes les réflexions sur l'exil et la répression commencent dès le premier chapitre. Elles seront poursuivies et travaillées au fil de la narration comme autant de phrases musicales qui s'annoncent, évoluent, se croisent lors d'un contrepoint et changent de rythme ou de mode. Une même idée revient type dramatique ou traitée dans un discours rapporté de dans un discours raconté, en style indirect libre. Elle peut se présenter dans un soliloque, dans le discours magistral de l'un donner des personnages une portée chargés philosophique d'élargir ; elle la peut réflexion apparaître et de lui seule ou associée à d* autres réflexions. Elle peut tenter plusieurs registres : 1'énonciation humoristique, sentimentale, vaguement ironique et même sarcastlque, l'apostrophe et le ton lyrique. En fin, elle peut aussi bien s'exprimer par l'allégorie que par allusion directe. -338- Le discours est prioritaire dans le roman. L'accent n'est pas mis sur le contenu événementiel mais sur la situation et les analyses et sentiments qu'elle suscite. Aussi, l'histoire pourrait être résumée en quelques mots : des exilés sont emmenés au port par les forces de sécurité argentines, rapprochent montent à bord du les uns des autres pendant Cristôforo Colombo, le voyage, échangent se des confidences et se séparent en arrivant à Barcelone. Sur ce canevas simple, les étapes de l'itinéraire rythment une aventure qui n'est pas celle du voyage maritime mais celle du voyage intérieur de Rolando vers l'explosion libératrice coïncidant avec le moment ou celui-ci révèle les conditions réelles de sa vie autres personnages, toujours dans le pays d'accueil. Les focalisés par le protagoniste, représentent des cas classiques parmi les exilés des années soixantedix : Ruibal, avocat de prisonniers politiques qui a été arrêté à son tour pour s'être interposé entre la dictature et ses victimes ; Contardi, père d'un disparu et devenu lui-même subversif aux yeux des autorités militaires ; Sandra, jeune Uruguayenne sans idéologie précise mais qui a été torturée et violée dans la prison ; des artistes comme Paredes, le montreur de marionnettes, punis comme Rolando parce que leurs idées sont considérées dangereuses. Quels que soient leur origine, sexe ou profession, ils sont tous des chemins conduisant vers la conscience du narrateur omniprésent dans le récit. Les personnages de Libro de navîos... ont en commun la fragilité, caractéristique propre à la majorité des personnages de Moyano. Ils en deviennent presque ridicules parfois, comme Ruibal et Bidoglio ; ils sont naïfs comme Sandra ou Rolando lui-même, ou physiquement diminués -339- comme Contardi. Le regard du narrateur ne découvre aucun héros parmi ses compagnons de voyage mais des hommes très ordinaires confrontés à l'absurde de la guerra sucia, échantillon latino-américain d'une guerre mondiale que mènent les puissants contre les faibles. Moyano les décrit avec la technique que nous avons observée à partir de ses premiers récits, cherchant à travers un aspect particulier le profil tout entier. Il y a aussi dans le roman des personnages secondaires qui ne sont que l'objectivât ion de la peur ou de la conscience du rejet manifesté envers les exilés par la société civile partisane du coup d'Etat. C'est le cas masoca, du exemple des paranoïaques des ex-prisoniers et de la seflora Torre de Pisa, discours la reprend quelques lieux communs de tendances dont le petite-bourgeoisie argentine face aux mesures répressives prises par la Junte. Dans la première partie du roman, les personnages se rencontrent, nouent des rapports provisoires et expériences vécues par chacun. se confient Mais le partiellement changement les d'hémisphère entraîne un changement d'attitude et leur véritable drame personnel est dévoilé au moment où le bateau franchit la ligne de l'Equateur et où les exilés décident que ce jour sera aussi celui du Nouvel An. La torture, un sujet qui n'avait pas été évoqué auparavant, apparaît dans le chapitre. X. Le solo de Rolando condense les expériences du groupe d'amis et marque le point de tension maximale de la narration. A partir de Cadenza, les efforts pour s'attacher ensemble à la rédaction d'un conte destiné à Contardi, Rolando, sont une commencé par tous et terminé par tentative d'élaboration du deuil de l'exil par un projet communautaire. -340- L ' u t i l i s a t i o n du conte, surtout l e conte populaire, est constante dans l e roman. Dans l e premier chapitre Rolando propose une s i t u a t i o n n a r r a t i v e où i l aura l e r ô l e de conteur : "Hagamos de cuenta que estamos en un viejo caserôn de ptedra, antiguo refugio de pescadores rodeado por Jardines sombrîos, en una noche de invierno europeo. Alla abajo, a un cuarto de mllla, el mar y los acantilados producen el ûnico sonido que es posible oir en la aldea oscurecida. Desde un cabo rocoso, un faro ennegrecido por el tiempo pestatlea como un reptil. En las altas paredes de la sala se proyecta el resplandor de los troncos de encina que arden en la chimenea salplcando con sombras rojizas los retratos ovales de los marineros que desaparecleron en el mar(...). Nos hemos reunido aqui para oîr la historié de un viaje.(.,.)El viajero que acaba de llegar y va a contarnos una historia se saca las botas junto al fuego como en un cuento nôrdico, les quita el barro del camino y acariciéndose una barba de largas travesîas se queda mirando fijamente el fuego. Vlene de los mares del Sur, donde est an las ballenas y los albatros, los naufragios y los grandes cementerios marinos. Tiene un inquiétante aire de mlsterios y a la luz de las Hamas su piel resplandece en yodos y salitres, Afuera puede estar lloviendo y bramando el viento, como en los cuentos de aparecidos, detalle que nos interesa mucho para crear el clima necesario porque esta historia tamblên es de fantasmas. Permîtanme ocupar durante algunas horas el lugar de ese viajero nôrdico para contar ml propio via je. Como 61, tamblên vengo de los mares del Sur. Y tomando prestado el clima de los vlejos relatos sobre fantasmas mi burda historia real puede ganar en fantasia y entrer decentemente en el mundo de la comprensiôn, contàndola como al descuido y un poco para olvidarme de ella. •»«»*'* Le narrateur se substituant au marin physiquement présent parmi l e s gens qui 1"écoutent propose une s i t u a t i o n n a r r a t i v e semblable à c e l l e des conteurs populaires et de leur public : l i r e comme s i le narrateur é t a i t près du lecteur - qui de ce f a i t devient un auditeur -341- attentif au son des mots - ce roman qui cherche à "résonner" pour rejoindre la musique. Ecoute collective, aussi, car le conte parlera d'événements qui ne concernent pas seulement ses personnages, et active comme celle de la tradition orale de la campagne riojana des auditeurs prêts à intervenir à tout avec moment dans le récit. Le conte transmué en roman trouve dans le dernier chapitre un écho fictif avec la Nota de un curloso où un lecteur se permet même de suggérer le type de fin qu' il considère la plus appropriée pour le roman. D'autre part, le narrateur ne renonce pas entièrement à la convention adoptée dans le premier chapitre malgré le fait d'avoir assumé ultérieurement le rôle du romancier et rappelle la formule utilisée par les vieilles paysannes de La Rioja pour boucler leurs histoires : "Y entré por un zapato roto para que Ustê me cuente otro"*303 Le choix du lieu de la narration - un ancien refuge de pêcheurs dans une nuit d'hiver européen - et le voyageur nordique, mettent en évidence un déplacement de la perspective touchant aussi bien 1'auteur que ses lecteurs. Le narrateur parle des mers du Sud comme s'il s'agissait d'une région exotique et lointaine, en se plaçant dans la perspective d'éventuels lecteurs européens qui pourraient lire le roman. Mais, en même temps, le refuge en Europe est une indication destinée aux lecteurs argentins ou latino-américains pour les aider à découvrir la situation et la perspective de l'auteur exilé qui se cache derrière le narrateur. Le schéma propre à toutes les oeuvres l'exil - là-bas ou pays d'origine et Ici de ou pays étranger - apparaît donc dans le cadre narratif du roman introduisant l'histoire du voyage -342- où là-bas et ici auront d'autres points de repère. L'écart entre les deux perspectives contenu du du récit : soixante-dix et cadre la la narratif migration répression sera des dont annulé plus tard Latino-américains ils ont été par des l'objet le années renouvelle l'expérience des Européens à différents moments de leur histoire. Le narrateur précise que les événements de son récit font partie du monde réel et non de celui de la fiction et établit parallèlement la convention littéraire à l'intérieur de laquelle l'histoire racontée : il ne sera pas question d'un témoignage direct récit attaché aux formes du réalisme photographique. sera ni d'un Il avoue également que son histoire - car c'est bien sa propre histoire qui est au centre du récit - doit être racontée pour être oubliée. Si nous revenons aux premiers récits de Moyano et en particulier à sa nouvelle Al otro lado de la calle..., libérer la mémoire souffrances passées nécessite une dernière évocation du poids des des événements douloureux qui les ont produites. Ce roman suit la même démarche et Rolando, après l'explosion de colère de Cadenza, n'aborde plus les événements de sa vie personnelle ni le thème de la torture ou des autres violences naufrage des exercées années sur lui soixante-dix. ou Il sur les l'annonce autres rescapés d'ailleurs dans texte : "Y estos son los ûltimos acordes de mi cadenza. No volveré a tocar el tema en mi vida. Un par de capîtulos mes y esto se acaba. Estoy harto del tema del exilio y de los setecientos imbéciles que viajamos en este barco."<sn-1 -343- du le Deux des chapitres suivants sont consacrés - difficile, laborieuse, à la reconstruction ratée dans sa première tentative - d'un espoir symbolisé par le phare qui ne s'éteint jamais, l'espoir dont les exilés ont besoin sans trop y croire mais qui est la seule aide qu1 Ils puissent apporter à Contardi et, à travers lui, à tous ceux qui ont subi la forme la plus cruelle de la répression : la disparition de l'un de leurs proches. Rolando, ayant oublié ses amours avec Nieves, imaginées pour échapper au souvenir de la période précédant l'embarquement, est désormais disponible pour accorder son imagination à celle des autres et inventer une histoire dont la morale récupère la valeur de la vie qui continue. Découvrir la véritable portée de l'histoire de Sandra, la femme réelle confrontée à la femme rêvée - et nous revenons par là au premier roman de Moyano -, c' est la dernière étape de la descente et 1' événement qui empêche de continuer à s'apitoyer sur soi-même. L'apprentissage de l'exil se termine et ses retombées dépassent le récit pour se projeter, dans le cadre de l'oeuvre entière de Moyano, sur le prochain roman : Tires golpes de timbal. La fin de l'histoire de Rolando se trouve aussi dans ce chapitre. De la continuation de la vie des autres dans les pays qui les ont accueillis, le narrateur ne dira rien. Les personnages se séparent au moment du débarquement raconté dans le dernier chapitre du roman et dans un texte qui tente plusieurs fins possibles, qui s'arrête pour continuer aussitôt dans une autre direction et dédramatise ainsi la séparation de tous. Mais la suite de l'histoire de Rolando a été esquissé bien avant, dans Cadenza. Moyano a prêté à son personnage -344- une p a r t i e de sa propre expérience de l ' e x i l , comme l e montrent les paroles de Rolando : "No querîa meterme en esas honduras têcnicas, era mejor seguir con el relato de mi barquito paralelo, mis amores imaginarios con Nieves y el hijo misterioso que tenemos. Sin olvidarme de mis profundas meditaciones (inutiles) sobre el destino de los nombres y los pueblos mientras otros se pudren en las cêrceles del Cono Sur o llevan su exilio interno como pueden. Hubiera preferido seguir tocando con sordina, poetlzar la cosa en otro capîtulo como el de la bahîa, ampllar las visiones de Contardi sobre el Quitasol y olvidarme de su hijo desaparecido , o inventarie un amor entre porno y erôtlco a Sandra y el Gordito, y mucho sexo para vender cien mil ejemplares de esta especie de novela que todavïa no se cômo Uamarla, por ahora es 'El barquito' pero me suena a pajarita de papel, y si puedo terminarla, con el dinero que me paguen, si me pagan, pedir permlso en la fâbrlca donde trabajo de peonclto lijando todo el dia, digamos un afio de libertad para escribir la segunda parte que se desarrolla en Madrid enteramente a ver si asi puedo dejar de ser indio y de paso curarme estos huesos que ya duelen como los de Pedro de Mendoza, primer fundador de Buenos Aires, para que, que se muriô en el mar y para que."*0*1** La découverte de l'expérience carcérale de Sandra, dont Rolando commence à s'occuper dans l e chapitre précédent, est l'événement qui provoque la remise en question de tout ce que Rolando croit ê t r e . Le personnage, p r i s d'indignation face à l a violence exercée contre la femme se retourne contre sa propre condition d'homme et d'écrivain. En tant qu'homme i l s ' e s t servi de Sandra et à renouvelé l'humiliation q u ' e l l e a dû subir pendant son emprisonnement. En tant qu'écrivain i l s'est laissé tenter par le récit poétique et les réflexions philosophiques sur la condition humaine pendant que d ' a u t r e s r e s t a i e n t enfermés dans une prison ou dans un pays devenu tout -345- entier une prison. Inutilité, impuissance des mots qui ne peuvent apporter des changements au présent et que Rolando tentera plus tard de récupérer pour le futur. Le texte exprime de façon simple et directe le conflit de l'écrivain impératifs latino-américain de sa tiraillé vie personnelle remise en question et entre son métier, sa responsabilité sociale. les La invalide môme une grande partie du roman et il n' est pas étonnant que la deuxième partie personnages - le capitain, le timonier, ne revienne pas sur des le cuisinier espagnol - qui ont été les porte-paroles des méditations Jugées inutiles par Rolando dans le chapitre XI. Dans Cadenza est aussi apportée une réponse au problème de l'identité qui avait été posé dans le chapitre VII avec la question du : ±De dônde proceden los rîoplatenses?'9** timonier Le dialogue qui suit développe les différents aspects de la question et les réponses possibles, réelles et imaginaires. De la discussion ressort situation particulière de l'Argentine et de l'Uruguay - tous la deux des pays peuplés par l'immigration européenne -, et leur infériorité par rapport à des pays qui peuvent se vanter d'avoir fait partie des grands empires pré-colombiens, infériorité compensée, dans le cas des Argentins par un chauvinisme nourri de victoires sportives. La polémique est tranchée par le timonier qui propose d'abord une origine imaginaire et mythique et qui l'identité en le confrontant minimise ensuite à celui de l'humanité, petits singes à peine redressés s'engageant primitives et L'intervention se de partageant Rolando le dans entre cette -346- de un ensemble de encore dans des luttes victimes scène problème et et donc bourreaux. son opinion personnelle au sujet de l'identité des rloplatenses, n'est pas précisée et par moments aucun des membres du groupe d'amis qui a rencontré l e timonier ne peut ê t r e individualisé à p a r t i r des lignes du dialogue. A la question : qui s u i s - j e ? Rolando répond dans l e chapitre XI avec un long aveu qui dévoile plusieurs aspects de son i d e n t i t é : l e s ressemblances avec son père, l e sens q u ' i l veut donner à son métier, son a t t i t u d e v i s - à - v i s d'une femme. I l ne se l i m i t e pas aux t r a i t s qui l u i sont propres et qui relèvent de sa vie personelle mais reconnaît aussi son appartenance à des groupes c a r a c t é r i s é s par l e partage des mêmes problèmes, foie a t t i t u d e s ou a c t i v i t é s . A l a fin du chapitre, une remis en question son propre r é c i t , i l prend la parole au nom de tous l e s riojanos et dit : "Esfcos no son temas para ml. Se trata de problèmes que se cuecen en esa Europa que es Buenos Aires, y yo soy de La Rioja de allé. Somos medio pastoriles, medio folklôricos, nos gusta el canto y la gultarra, el vino y los buenos amigos, nos gusta podar la vlffa y recolectar la nuez y la aceituna, hondear en el monte, ir a pescar en Las Ptrquitas en Catamarca, los festivales folklôricos, la cacharpaya. Somos los rlojanltos que con el Chacho y Facundo y Felipe Varela fulmos derrotados en el slglo pasado y no queremos ni slquiera oir hablar de guerra. En dlclembre hacemos pesebres para el niffo Dlos y cantamos el Tinkunaco, que coma nadle sabe quiere declr encuentro. Mo Nuevo pakarl, Niffo Jesûs kancharl, Belencio, Belenclo, Belén rosa sakchampl, Belén Belén llactampi, somos rellgiosos y estamos muy lejos de plcanas y vaglnas ipor que entonces tanta crueldad para nosotros? £0 es que quieren hacernos desaparecer como en el slglo pasado?"'3*' -347- Après l ' i n d i g n a t i o n et qui de par son ton r e s t e l'amertume, exprimées dans un discours une exception dans l'oeuvre de Moyano, l'évocation de La Rioja est un retour au sein maternel, au souvenir d'une vie remplie d'habitudes simples et partagées et a l ' é c a r t de l ' a g i t a t i o n politique des régions plus développées. L ' i d é a l i s a t i o n du terroir à p a r t i r de l a perspective de l ' e x i l l'innocence et l a volonté de paix, prend l e dessus, et la c u l t u r e et l e s t r a d i t i o n s qui perpétuent l e passé indien de La Rioja - Moyano t r a n s c r i t un fragment de 1' aylli chanté souvenir-refuge à l'occasion pour se défendre du Tinkunaco de la réalité -, représentent de l a répression. L ' a l l u s i o n aux l u t t e s du XIXe s i è c l e r e l i e l e passé au présent place l e s riojanos leurs Dans El et frappés par la d i c t a t u r e dans la d r o i t e ligne de ancêtres écrasés par des oppreseurs envoyés par central. un vuelo del tigre, des " t o u r i s t e s " le pouvoir avaient Hualacato et y i n s t a l l é la t e r r e u r ; dans Llbro de navîos..., envahi l e s deux hommes en uniforme qui arrêtent Rolando t r a h i s s e n t par leur accent la non-appartenance à la c u l t u r e régionale : "Me parecîa arbitrario empezar la hîstoria por ahï, sobre todo tenlendo en cuenta que cuando ellos dljeron mi nombre bajo la parra y yo volvi la cabeza desde el brillo del vlolûx y vi sus caras bajo viseras y los fierros negros que sostenïan, que no son ni débiles ni milagrosos ni porosos, y ya no pude ver otra cosa en mucho tiempo, cuando oi sus voces en un tono que no era el de mi provincla, y sentie que ese Rolando ? desataba otros hechos, los engendraba en un hagase la luz, en ese mismo momento empezaba a balancearse en el puerto el barco que me sacarîa del païs(...)<se> -348- L'effacement rioplatenses de Rolando dans le dialogue sur l'Identité des est significatif ; en fait 11 a déjà répondu Indirectement à la question du timonier dès le début du roman. Les mots Argentins et Argentine sont rares dans le texte. Le narrateur parle plus volontiers de rioplatenses et du Cono Sur pour désigner les origines des exilés mais son récit prend une vibration affective particulière chaque fois qu'il évoque un aspect du présent ou du passé de La Rioja. C'est dans la patria se trouvent les racines résultat chica et dans sa culture que de Rolando ; et puisque la région est le d'une politique qui l'a condamnée à l'isolement et à la misère, la coupant ainsi de l'évolution de l'Argentine façonnée par l'oligarchie dont le symbole est Buenos Aires, accepter l'identité nationale veut dire renier ses racines et se ranger du côté des oppresseurs. La répression des années soixante-dix unifie dans le roman les trois nationalités de l'extrême Sud du continent et l'exil Joint le destin des latino-américains à celui de tous ceux - le peuple juif, les réfugiés de la guerre civile espagnole, les immigrés acculés par la faim - qui ont dû quitter leurs pays pour pouvoir survivre mettant ainsi à l'épreuve la conscience de leur propre identité. Dans le cas de notre narrateur, il répond à ce défi en se tournant vers le paradis perdu de l'innocence synthétisé par vainqueurs est riojana Fernéndez toujours et de Moreno. ce Pour la même et fait résout Rolando, l'autre le dilemme l'Argentine Argentine, des celle des vaincus, rejetée et humiliée au cours de l'histoire, peut continuer à représenter la patrie véritable car elle est le lieu où tous, ceux -349- d'hier et ceux d'aujourd'hui, ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, font partie du peuple de 1' exil. 4.2.3. L'histoire nationale et régionale Dans le chapitre II, Rolando, d'innocence et de culpabilité en réfléchissant sur les notions rappelle un épisode de l'histoire argentine : l'exécution de Manuel Dorrego. Le sujet est repris dans le chapitre V, écrit comme une pièce jouée par les marionnettes de Paredes et par les spectateurs eux-mêmes - voyageurs et membres de 1' équipage du Cristoforo Colombo - dont les commentaires sont intégrés au dialogue théâtral. Les faits historiques racontés dans la pièce s'étalent sur trois années de l'histoire argentine du XIXe siècle et Sandra révèle à la fin de la représentation le nom du livre d'histoire qui a inspiré les auteurs de la pièce : la Historia Argentine de José Luis Busaniche, un historien démocrate qui a tenté de démonter tous les mythes officiels perpétués par l'historiographie libérale. Busaniche se démarque historiens révisionnistes - catholiques, conservateurs des et nationalistes, attachés tous à revendiquer la mémoire de Rosas et donc à démolir les grandes figures du libéralisme argentin - car son livre, resté d'ailleurs inachevé et publié en 1965, attaque avec la même virulence les dictatures des uns et des autres. Le drame des vaincus et des trahis de l'histoire - le peuple argentin dans son ensemble - -350- prend le devant de la scène et la situation des régions marginales du pays peut être mieux expliquée. La mort de Dorrego ordonnée par Juan Lavalle marque le commencement de l'une des périodes les plus violentes de l'histoire argentine au XIXe siècle, dans le cadre du long affrontement entre Buenos Aires et les provinces. L'importance des deux protagonistes, tous les deux circonstances des héros de l'exécution des ont guerres d* Indépendance, placé l'épisode et les au centre d'une polémique qui n'est pas encore éteinte. Fils d'un commerçant prospère, Manuel Dorrego commence ses études dans le Real Colegio de San Carlos à Buenos Aires et les poursuit à Santiago du Chili. En 1810, lors d'un mouvement en faveur de la Couronne, il abandonne ses études de Droit pour prendre part à la lutte contre les Espagnols. Après avoir reçu une décoration et obtenu le grade de Capitân de granaderos del Reino de Chile il retourne à Buenos Aires et demande son incorporation à 1' armée du Nord, un front où les crîollos avaient subi des revers importants. En 1815, déjà installé à Buenos Aires il se lance dans la lutte politique avec d'autres jeunes républicains groupés autour du journal La Crônica Argentine. Face aux manoeuvres des partisans du régime monarchiste qui cherchent dans les cours européennes des candidats pour assumer le gouvernement de 1'ancienne Vice-Royauté du Rio de la Plata, Dorrego et ses amis se battent pour mettre en place un régime républicain, démocratique et fédéral. Le Director Suprême Pueyrredôn trouve le groupe trop bruyant et le discours de Dorrego, dangereux. Le -351- 15 novembre 1816, un arrêté de Pueyrredôn condamne Dorrego à l'exil et de ce fait il devient l'un des premiers exilés du nouveau pays. La sentence s'applique sans que le prisonnier puisse emporter des bagages ni savoir le lieu de destination du Congreso, le navire où il a été embarqué de force. On le lui dit trois jours plus tard : le capitaine a l'ordre de faire débarquer son prisonnier à Saint-Domingue. Après une série d'aventures rocambolesques où ne manquent ni l'épidémie de choléra ni les batailles navales, Dorrego est envoyé aux Etats-Unis par le capitaine anglais qui s'est emparé du bateau espagnol qui avait été capturé à son tour par le capitaine du Congreso. A Baltimore il rejoint d'autres membres de son groupe et pendant trois ans les jeunes républicains ont la possibilité d'étudier le fonctionnement de la démocratie de Jefferson. La démission de Pueyrredôn en 1819 rend possible le retour des exilés. La participation de Dorrego à la vie politique de Buenos Aires est à nouveau très courte. A la fin de l'année 1820, le gouverneur Martin Rodrlguez ordonne son confinement à Mendoza, une ville de l'Ouest du pays, sufisamment éloignée de Buenos Aires pour assurer aux unltarios la neutralisation de l'influence croissante de Dorrego sur les secteurs populaires. Le confinement années qui suivent, Dorrego partage dure une année. Dans les son temps entre l'activité politique dont le centre est la ville portuaire et l'administration d'une propriété rurale située dans la campagne de Buenos Aires. Il semblerait que la fièvre de l'exploitation minière se soit aussi emparée de Dorrego. En tout cas, 11 essaie de fonder une compagnie et se lance à parcourir le pays. Sa tournée est cependant -352- plus politique que commerciale. Son but est d'atteindre Bolivar installé alors dans la République qui lui devra son nom. Il y réussit et demande a ce dernier ainsi qu' à Sucre leur appui dans la guerre contre le Brésil ; il insistera ultérieurement sur le sujet dans ses lettres. Du point de vue commercial la tournée est un fiasco. Les compagnies minières anglaises en agissant très vite ont obtenu les licences d'exploitation des mines réelles et imaginaires de tout le pays. Mais du point de vue politique, les liens qu' il a établis avec les caudillos seront désormais son atout principal dans la prochain enjeu du Congreso constituyente de 1826. Ce que Buenos Aires lui a refusé il l'obtient d'une province : il est élu député représentant de Santiago del Estero. Manipulé par les unitarios, le congrès de 1826 institutionnalise tout ce qui va provoquer la ruine des économies provinciales et la dépendance économique du pays : avant de dicter une Constitution on choisit un Président : Rivadavia ; on confie la gestion financière du pays au Banco Nacional contrôlé par les Anglais ; les terres publiques sont garantie engagées comme des emprunts d'Etat ; l'occupation militaire des territoires provinciaux est tolérée et encouragée organise le pillage systématique ; on des richesses minières appartenant aux provinces andines. Dans les débats, Dorrego sera le porte-parole le plus vigoureux de l'opposition. Il commence par dénoncer le détournement de la volonté des provinces au profit de Buenos Aires et les fraudes commises dans le but d* ignorer les directives que les représentants provinciaux auraient du respecter. -353- Il propose, à la place du système unitario qui surgira du congrès, un système f é d é r a l i s t e régional qui f a c i l i t e l e regroupement des provinces pour f a i r e face aux problèmes économiques de chacune d ' e l l e s ; i l s' insurge contre les mesures concernant l'élection anti-démocratiques du Président prises dont par étaient les députés exclus les journaliers, l e s analphabètes, l e s soldats non-gradés : "He aquî la arlstrocracia, la mes terrible, porque es la aristocracia del dinero(...)Echese la vlsta sobre nuestro pais pobre : véase que proportion hay entre domésticos, asalariados y Jornaleros y las demâs clases y se advertlré quiênes van a tomar parte en las elecclones. Excluyéndose las clases que se expresan en el artlculo, es una pequeffisima parte del pais que tal vez no excéda de la vlgésiaa parte (...) £Es posible esto en un pals republicano?(...) <j£s posible que los asalariados sean buenos para lo que es penoso y odioso en la sociedad, pero que no puedan tomar parte en las elecclones? <...)Pero hay mes, seftor t la Independencia. Yo digo que el que es capltalista no tiens independencia C.JSeria fâcil influir en las elecclones porque no es fâcil influir en la generalidad de la masa pero si en una corta porciôn de capitalistes („.)Y en ese caso, hablemos claro : el que formaria la elecciôn séria el Banco." ea*3 Nous avons déjà parlé des conséquences de ce Congrès et de la guerre c i v i l e qui l e suivra, guerre qui conduit à la démission de Rlvadavia, Dans la période suivant Congreso l e 26 juin Constituyente 1827. ,1826-1828, Dorrego et son influence au sein du Les unltarios, la personnalité la tenue du politique de p a r t i f é d é r a l i s t e i r a croissant . dans une t e n t a t i v e d'empêcher la diminution de leur pouvoir, s'adressent à Dorrego pour l u i proposer un accord destiné à a r r ê t e r la guerre c i v i l e . Un président provisoire siégera jusqu'à l a convocation d'un nouveau congrès et Dorrego sera l e candidat au siège -354- de gouverneur de la province de Buenos Aires. La proposition est en réalité un piège soigneusement unitarlo. préparé par les cerveaux du parti Jullân Segundo AgUero, ex-ministre de Rivadavia, écrit au Président Lôpez y Planes : "Nuastra caîda es aparente ; nada mes que transitoria. No se esfuerce Usted en atajarle el camino a Dorrego. Déjelo Ud. que se haga gobernador. (...) Tendre que hacer la paz con Brasil aceptando la deshonra que nosotros hemos rechazado, desde que no podrà hacerla de acuerdo con las instrucclones que dlmos a Garcia. Pero sea lo que fuere, hecha la paz, el ejêrcito volverâ al pais ; y entonces veremos si hemos sido vencidos.'"37'* Le 12 août 1827, Dorrego assume le Gouvernement de Buenos Aires et, virtuellement, celui du pays car il est chargé des affaires étrangères. Sa façon d'agir surprend ses opposants et fait naître des haines féroces qui lui coûteront la vie. L'élite du port, sûre d'être la seule à pouvoir gérer les affaires d'Etat, se trouve face à un adversaire enrayer la intelligent et catastrophe bon administrateur financière héritée qui s'arrange du gouvernement pour de Rivadavia. Le jeune révolté qu'ils méprisent parce que les partisans dont il est toujours entouré, font partie des exclus de la vie politique, démontre que le parti fédéral est bien capable de gérer le pays. En outre, Ils ne peuvent pas l'accuser d'intolérance. Le général Iriarte, contemporain de Dorrego et auteur de plusieurs tomes de Mémoires Indispensables pour l'étude de cette période de l'histoire argentine a décrit l'ambiance créée par les attaques de la presse unit aria et la réaction de Dorrego : -355- "El partido caido se habîa lanzado en une lucha encarnizada contra el goblerno por medio de la prensa. Aquellos nombres intolérantes y exclusives olvidaron sus doctrinas moderadas cuando se encontraron separados y a distancla de la silla del poder (...) Dorrego ténia un carêcter fogoso. Sus antécédentes habîan sido tumultuarios, bulliciosos y marcados con el sello de la insubordinaclôn y de la împrudencia. Los unitarios querîan precipltarlo lastlmando su susceptibilidad con diarîas filîpicas en las que no perdonaban ni el sagrado de su vida privada. Le llamaron mulato muchas veces y agotaron el diccionario de los inproperios para exasperarlo y conducirlo a un abuso estrepitoso de la fuerza. Pero Dorrego lo comprendiô y estuvo muy sobre aviso para abstenerse de violar las garantîas légales." (se,:' Rosas c r i t i q u e la tolérance de Dorrego - i l montrera comment i l f a l l a i t agir une fois a r r i v é au pouvoir - a i n s i que régime des levas, mesure très populaire l a suspension du mais dangereuse pour le gouvernement car i l se retrouve sans troupes qui puissent l e défendre de celles qui reviennent de la guerre avec le Brésil. Dorrego n'éprouve aucune sympathie pour Rosas. I l l e nomme pourtant Comandante de milicias de la campatia pour ne pas provoquer l ' i n t é r i e u r du p a r t i fédéral une s c i s s i o n à et parce que Rosas est l e seul à savoir négocier avec l e s indiens de la f r o n t i è r e Sud de Buenos Aires. Dorrego tente aussi de réduire l'influence anglaise sur les affaires du pays. Une l e t t r e de Lord Ponsonby, qui l u i est adressée quatre mois avant son exécution, l e mettait en garde contre toute v e l l é i t é américaniste pouvant porter a t t e i n t e aux l i e n s indissolubles, créés entre l'Europe - à l a place d'Europe i l faut l i r e l ' A n g l e t e r r e et l'Amérique l a t i n e : -356- "V.E. no puede tener ningûn respeto por la doctrîna expuesta por algunos torpes teôricos en el sentido de que America Latina debe tener una existencia polîtica separada de la existencia polîtica de Europa ; el comercio y el comûn interés de los individuos han creado lazos entre Europa y America Latina, lazos que ningûn gobierno ni tampoco acaso ningûn poder humano puede disolver. Y mientras estos lazos existan, Europa tendra el derecho y ciertamente no careceré de los medios ni la voluntad de intervenir en la polîtica de America por lo menos en la medida necesaria para la seguridad de sus intereses."*'33" Le piège monté par les unitarios se referme en 1828. La situation des troupes argentines engagées dans la guerre avec le Brésil devient intenable. Les vivres et la poudre sont épuisés ainsi que le budget de l'Etat. Dorrego veut que la Banda Oriental, enjeu de cette guerre, puisse décider de son appartenance au Brésil ou a l'Argentine. Les négociations en décident autrement et l'Uruguay devient un pays indépendant avec la bénédiction de l'Angleterre qui a besoin d'un Etat-tampon entre les deux autres pays et surtout, d'un fleuve international. Le retour des officiers affectés à la guerre qui vient de se terminer, dont Juan Lavalle, unitaire et militaire prestigieux depuis les luttes contre la Couronne espagnole, marque la fin du gouvernement et de la vie de Dorrego. Un soulèvement militaire met Lavalle à la tète du gouvernement de Buenos Aires et le nouveau gouverneur se lance aussitôt à la poursuite de Dorrego. Vaincu dans une première bataille, Dorrego essaie de se réfugier dans une garnison de la frontière Sud de Buenos Aires où Pacheco, le chef de garnison, le livre aux troupes de Lavalle qui signe la sentence de mort une heure avant l'exécution sans soumettre le détenu à un conseil de guerre et sans accepter de -357- l'entendre. Dorrego a à peine le temps d'écrire quelques lettres et de confier au Général Lamadrid des objets personnels pour être remis à sa femme et ses deux filles. Il est exécuté le 14 décembre 1828 et sa mort, comme d'ailleurs celle de Quiroga sept ans plus tard, préparent l'avènement du régime autocratique de Rosas. A la fin du XIXe siècle, l'historien Angel Venustiano Carranza, publie son livre El gênerai Lavalle ante la Justicia pôstuma. Ce qui semblait une décision personnelle, arbitraire et fruit de la passion se révèle comme un complot de l'élite unitaria pour se débarrasser d'un politicien à leur avis plus dangereux que Rosas à cause de sa popularité. Les lettres lues par Rauch dans la pièce du Teatro exilio del font partie des archives de l'histoire argentine. Une fois que ces lettres sont découvertes et publiées, l'intervention de Lavalle est vue sous une autre lumière et il apparaît comme un fantoche manipulé par les politiciens unitaires. Mais si l'exécution de Dorrego peut être attribuée à la pression des dirigeants unitarios, le massacre auquel se livre la troupe après sa mort et qui n' épargne même pas les enfants des gauchos cadre de l'accord de la campagne de Buenos Aires dépasse le avec les politiciens unitarios et relève de la responsabilité du chef. Dorrego avait l'opposition, avait été un gouvernant respectueux des droits de généreux avec ses adversaires à certains desquels il même sauvé la vie. Lavalle, selon de nombreux témoignages, aurait mesuré plus tard l'injustice de sa décision. En 1840, lorsque il revient de son exil pour combattre Rosas, les hasards de la guerre le conduisent à Navarro, lieu de l'exécution de Dorrego : -358- "Lavalle entra en Navarro el 22 y va a la estancia de Almeira donde fusilô a Dorrego en 1328. Quedarâ alli cinco dias, no haclendo nada, "profundamente melancôllco" lo nota Irlarte, sentado en el mismo escrltorio donde firmô la orden de muerte, quejàndose de no haber encontrado compaliia en la campatta. Antonino Reyes contarA a Saldîas que el mayordomo habîa conservado el tlntero que slrvlô a Lavalle para firmar la condena de Dorrego. Creyendo complacerlo, se lo mostrô ; Lavalle "tomô el tlntero y lo arrojô con Ira lejos de Les circonstances de la mort de Dorrego, chantée longtemps par l e s troveros populaires, 1* importance des deux protagonistes du drame et toutes l e s versions sur l e s pressions exercées sur Lavalle, remords t a r d i f s , des sa fin tragique, ont fait de cet épisode un symbole affrontements "patriciennes" ses entre unltarios et de Buenos Aires vouent fédérales. Les familles une constante vénération au souvenir de Lavalle et on continue à l e blanchir cent-soixante ans après l e drame de 1828. Ernesto Sâbato à consacré plusieurs fragments de Sobre Héroes y tumbas à raconter l'aventure finale du général u n i t a r i s t e vaincu par l e s troupes fidèles à Rosas et assassiné à Jujuy en 1841 dans des circonstances qui n'ont jamais été bien é c l a i r c i e s . Le roman rappelle transportant aussi la fuite des derniers soldats de Lavalle l e s r e s t e s de leur chef vers la Bolivie parce que l e s curés de Jujuy se réfusaient à l u i donner sépulture. Moyano reprend une p a r t i e de l ' h i s t o i r e de Dorrego mais la p e t i t e pièce ne se l i m i t e pas à rappeler l e s événements concernant sa mort et l e s raisons de l'exécution mais e l l e é t a b l i t l e s l i e n s entre l e passé et l e présent de l'Argentine. Le r é c i t a n t dit dans la scène 5 : -359- "Abran camino, sefiores a la historia bien contacta Dejemos fluir los hechos y ovidemos las palabras procurando comprender aquellas cosas pasadas que son las mismas de siempre de otra manera contadas, pues Dorrego siempre muere y Lavalle siempre mata y ahora mismo en Buenos Aires anda suelto Rlvadavia cambiando por mercancîas la libertad y la casa.<A ' •' La strophe contient toutes les indications pour l'identification des personnages contemporains qui se cachent sous les traits des personnages historiques : les militaires qui ont pris le pouvoir en 1976 renouvellent le massacre populaire déchaîné par l'armée de Lavalle après l'exécution de Dorrego, Les civils enrichis par la grande spéculation consécutive à l'application du programme économique du ministre Martinez de Hoz - version argentine de l'école des Chicago boys - , quelques-uns à la tête des multinationales qui ont absorbé des entreprises argentines prolongeant ainsi la traditionnelle dépendance économique du pays, sont assimilés à Rivadavla, responsable du premier emprunt d'Etat, le Baring Brothers, tristement célèbre dans l'histoire argentine. La technique qui consiste à faire jouer les rôles des personnages historiques par des marionnettes permet à Moyano d'accentuer leurs aspects grotesques et d'exercer la critique avec humour. Il s'acharne sur quelques-uns comme Rlvadavia ou Rauch, un chef prussien ennemi mortel de Dorrego car celui-ci avait ordonné son exclusion de l'armée. -360- Rauch meurt peu de temps après l'exécution de Dorrego, tué par les indiens qui le haïssaient à cause de sa cruauté lors des expéditions militaires évoque lenguaraz contre les tribus du Sud de Buenos Aires. Le justement un vieux métier des indiens et des métis qui accompagnaient ces expéditions pour servir d'interprètes aux blancs ignorants des langues parlées par les tribus indiennes. Dans le texte de Moyano, le lenguaraz utilise la Jerlgonza, langage parlé souvent par les enfants comme un jeu qui consiste à ajouter à chaque syllabe une autre, formée par la consonne p et la même voyelle utilisée dans la précédente. Si la première syllabe se termine par une consonne, celle-ci doit être ajoutée à la fin de la seconde. Le discours sur la défense des valeurs de la civilisation mis dans la bouche de Rauch et la chanson des sergents dans la scène 9 sont autant d'éléments qui poursuivent un même effet : démasquer le discours des oppresseurs tel que Moyano l'a déjà fait dans le cas de Nabu, le tortionnaire de El vuelo del tigre. La réthorique mystificatrice des discours officiels est ramenée à sa source et dévoile ainsi ce que cachent les paroles pompeuses prononcées pour la défense de la civilisation et du progrès. D'autre part, la continuité de ce discours qui s'est imposé grâce aux armes et qui continue à le faire, est soulignée par l'indication de scène : al pûblico, au moment où Rauch informe Dorrego de sa prochaine exécution et annonce qu' il est le premier d'une série de condamnés dont les derniers font peut-être partie du public de la pièce. Moyano parodie par l'intermédiaire de Rauch les paroles du gouverneur de Buenos Aires déjà citées dans la troisième partie de notre travail : -361- "Rauch (al pûbllco, mientras los sargentos recorren el escenario apuradîsîaos trayendo cosas de matar, montando el tlnglado para la fusilacîôn C..)Actuando sin coordinaciôn, unos mutîecos dejan las cosas en su lugar y otros las cambian de sitio): Sefforas y seflores : esto es una guerra y si queremos corner huevos no hay mes remedlo que corner las céscaras. Esto es muy fécil de entender. Primero mataremos a Dorrego, de eso ya no cabe ninguna duda ; casi inmeditamente a sus parientes prôxlmos ; después a sus tîos, si los tiene ; enseguida, a sus amigos ; y, casi al mismo tiempo, a los que dicen no conocerlo. Después, ya veremos : el viaje es largo y habrâ tiempo para todo y para todos £me entlenden?" <*Si La scène où Rivadavia est a s s i s dans son fauteuil en é q u i l i b r e instable - clin d'oeil de l ' a u t e u r : en Argentine, accéder à la Présidence de l a Republique s'exprime souvent par la métaphore ocupar el sillon de Rivadavia - et reçoit l e s commerçants anglais, reprend l ' a f f a i r e des mines de La Rioja qui a déjà é t é rappelée au début du roman lorsque Rolando, amené au port et sur l e point de q u i t t e r le pays, et pense au minerai exploité par les compagnies étrangères embarqué à Buenos Aires. L ' h i s t o i r e régionale revient avec ses t r o i s caudillos dans l'aveu de Cadenza, mais seul Pefialoza prend du r e l i e f dans la narration. Celui dont l e souvenir accompagne Rolando dans son voyage vers l ' e x i l n ' e s t pas l e jeune Chacho, l e fougueux a s s i s t a n t de Quiroga, sortant de l a ligne de feu l e s canons de l'armée à l ' a i d e de son lasso. L'expérience de l ' e x i l et l e souvenir du massacre récent ramènent au présent l'image d'un Pefialoza v i e i l l i , e x i l é et contraint de retourner au pays pour venger sa f i l l e b a t t r e quand i l n'y a déjà plus d'espoir, et pour continuer à se jusqu'à ce que ses ennemis aient raison de l u i et que sa t ê t e s o i t exhibée sur l a place d'Olta. -362- 4. 2. 4. In memoriam Le coup militaire de 1976 institutionnalise une méthode répressive que le pays n'avait Jamais connue : la "disparition" de personnes. Entre 1976 et 1978, des milliers d'Argentins sont enlevés par les forces de sécurité à leur domicile, dans la rue, dans leurs lieux de travail et "disparaissent". Conduits dans des centres clandestins de détention, seule une minorité d'entre eux retrouve la liberté. Dans d'autres cas, les autorités militaires reconnaissent officiellement à une date transférés dans une prison Ejecutivo Naclonal), ultérieure leur détention, ils sont et mis à la disposition du P. E. N. <Poder c'est-à-dire gardés pendant un temps indéfini sans être soumis à aucun jugement. Mais la plupart des hommes et des femmes enlevés sont tués, leurs corps enterrés dans des tombes sans nom ou Jetés à la mer. Pendant des années les familles les cherchent, les organismes de défense des droits de l'homme et les chefs d'Etat des pays étrangers présentent des réclamations officielles à la Junte ou font des démarches extra-officielles pour connaître le sort de quelques-uns, les plus connus - scientifiques, journalistes, écrivains - dont le prestige dépasse les frontières du pays. Julio appelant el Cortàzar pueblo parlait de las de ces milliers sombras de disparus en les et qualifiait de diabolique une réalité qui de par son horreur lui semblait irréductible à la raison. Face aux espoirs de ceux qui longtemps après l'enlèvement de leurs proches espéraient encore les retrouver en vie, il disait en janvier 1981 : -363- "un diâlogo real o flraguado entre el infierno y la tierra es eJ ûnico aliment o de esa esperanza que no quiere admltlr lo que tantas evidenclas negativas le estén dando desde hace meses, desde hace afSos. Y si toda muerte humana entrafta una ausencla Irrévocable iquê dectr de esta ausencia que se sigue dando como presencia abstracta, como la obstlnada negaclôn de la ausencia final? Ese cîrculo faltaba en el infierno dantesco y los supuestos gobernantes de ml pals, entre otros, se han encargado de la slniestra manera de crearlo."'*3'* Cette présence-absence des disparue plane comme une ombre sur le roman de Moyano dès la première page. Lorsque Rolando établit son contrat narratif avec le lecteur il le prévient que son histoire ne s'occupera pas seulement d'un voyage maritime mais aussi de fantômes. Le mot aparecldos, utilisé pour désigner un genre de conte très fréquent dans la tradition orale de la campagne et qui s'occupe de rencontres des vivants avec des âmes tourmentées par le remords ou victimes d'une injustice étant restée impunie, introduit son contraire desaparecldos avec son réfèrent extra-littéraire. Mais auparavant il a déjà décrit les portraits ovales des marins disparus en haute mer qui récupèrent à la lumière du feu "un vacilante resplandor de vida". La peur reflétée dans les yeux du gardien élargit l'image précédente en la replaçant dans un présent où les pécheurs courent toujours le danger de disparaître au milieu de l'orage. Il faut rappeler à ce sujet que le roman a été commencé en 1981 donc à une époque où les disparitions de personnes en Argentine bien que moins massives que dans la première étape de la dictature, continuaient grossir les dossiers de violations des droits de l'homme. -364- pourtant à Avec l'évocation de Flaco, un personnage dont nous nous sommes déjà occupés, problème des apparaît la première référence disparus. Le narrateur apporte non-allégorique progressivement informations sur le personnage : il est un cabecita au des negra et Rolando l'imagine égaré et solitaire à Buenos Aires ; Ruibal a essayé de le retrouver en présentant une demande d'habeas corpus, le recours judiciaire auquel s'accrochaient les familles des disparus et qui est basé sur le droit des juges à intimer aux autorités ayant ordonné la détention arbitraire d'un citoyen de révéler l'endroit où l'accusé est retenu et les raisons de sa détention prétendant ignorer l'enlèvement, 1" habeas (les autorités militaires corpus restait un droit théorique) ; il a été "transféré" et les autres prisoniers politiques ne l'ont jamais revu - le mot traslado était l'euphémisme utilisé par les forces de sécurité pour dire exécution ou mort de suites de la torture - ; il est le père de l'adolescent qui voyage dans le bateau avec ceux que l'on croit être ses parents. Son histoire et celle de sa famille est complétée dans le dernier chapitre avec Arabesco Fede, para l'un des derniers récits emboîtés dans le récit principal, un récit qui explicite par ailleurs l'opposition région du Nord-Ouestgrande ville traitée tout au long du roman. Le discours de chacun des personnages est un apport différent à la réflexion sur le problème. desaparecidos, mar-palabra, Le narrateur s'attarde sur le mot dit-il, appartenant à un code inconnu car elle n'a ni définition ni synonymes et fluctue entre la vie et la mort qui ont des langages différents. C'est le mot qui ne sert pas de bouée de sauvetage au milieu du naufrage, qui ne surnagera pas parce qu' il -365- n' est qu* obscurité et profondeur d* où 1* obsession de la lumière du phare pour pouvoir le redéfinir. Dans le roman, rebaptiser, renommer, inventer des mots, les compléter à l'aide de la musique, les euphémiser, sont autant de moyens de créer une autre réalité, de se donner une nouvelle naissance. Les efforts de Rolando sont impuissants en ce qui concerne le mot desaparecldos : "... su lntuiciôn auditive le permit iô encontrar unos milagrosos sustitutos de los nombres guerrilla y represiôn. La ûnica palabra que no pudo explicar fue 'desaparecido'. Le parecîa imposible tener que asociarla al guardafaro.'*** La réflexion sur le concept chapitre XIII consacré à El colibri, de disparu réapparaît dans le le bateau fragile des droits de l'homme menacé par des périscopes reliés à un arsenal de guerre. Contardi dit à ce propos : "Desaparecidos es una palabra a oscuras. El ombudsman sabe mucho mes que nosotros, y no me refiero a asuntos de palabras. El tiene datos de una guerra escondida de la que no nos habiamos dado cuenta. James se me hubiera cruzado por la mente que una palabra, un color o una forma pudleran ser objeto de rigor y de castigo. La realidad se me ha ido de las manos, no se lo que miro ni lo que toco. La realidad es un desaparecido mes."'**3 Nous allons nous attarder sur ce personnage parce que derrière lui se cache un hommage à Haroldo Conti, l'un des écrivains disparus au cours de la répression. Dans Cadenza, Rolando cite les noms de Conti, Walsh et Urondo : "y se desencantarîa la respetabïe seffora Torre de Pisa esperando que le dijëramos cômo raptêbamos militares y -366- jefes de multînacionales y los matâbamos, cômo nos drogâbamos para matar y hacer el amor al mismo tiempo porque asi son de asquerosos estos delincuentes. Nada de eso, los que vamos en este barco somos setectentos idiotas que no estuvimos con nadle. NI slquiera intelectuales, para eso lo tenemos a Borges condecorado por Pinochet, y a otros que se quedaron porque no pudieron salir y se aguantan como pueden la tonnent a o el olvido, en la calle, en la cârcel o en la tumba, porque agarraron los fierros o se les fue la pluma, como dicen de Paco Urondo y de Rodolfo Walsh, o por bueno y despistado, como dicen de Haroldo Conti, y paremos de contar que la lista es larga."**** Dans l a première p a r t i e de ce t r a v a i l , nous avons parlé de l ' a m i t i é qui l i a i t notre auteur à Conti depuis l e s années soixante. La double nature du roman partagé entre l ' a l l u s i o n d i r e c t e et l ' a l l é g o r i e fait que l'évocation différents. D'une de l'ami part, comme mort se présente sous deux aspects nous venons de l'observer, Conti apparaît mentionné dans Cadenza. D'autre part, et- de façon voilée, i l sera pour l ' a u t e u r un souvenir aussi p e r s i s t a n t que Flaco l ' e s t pour l e narrateur au f i l du roman. Pour bien repérer ces a l l u s i o n s voilées i l est nécessaire de f a i r e appel aussi bien à l a vie et à l'oeuvre d'Haroldo Conti qu'à l'article écrit par Moyano en son hommage, courant 1980. A bien des égards l'oeuvre de Conti peut ê t r e rapprochée de c e l l e de Moyano : la même tendresse nostalgique pour recréer l e monde de l'enfance, l e choix de personnages s o r t i s de p e t i t s bourgs suspendus dans l e temps, l a mémoire ramenant l e passé familial comme s ' i l un album rempli grotesque, la de photos même jaunissantes, importance attribuée -367- le lyrique au rôle était côtoyant le libérateur de 1'Imagination. Une différence de taille en revanche : les personnages de Moyano cherchent toujours des racines, des points d'ancrage dans la terre même si l'Imagination les emporte loin d'elle ; ceux de Contl ont besoin de se déplacer, l'errance est leur vocation la plus profonde peut-être parce que l'auteur lui-même l'avait connue dès son enfance. Fils d'un colporteur de Chacabuco, le village qui revient dans ses récits, lorsque ses parents se séparent en 1932, sept ans après sa naissance, il reste avec son père et l'accompagne dans ses voyages. "Eramos un par - de vagabundos" dit Conti en 1971 lors d'un reportâge'***. En 1939, il suit des cours au séminaire des Salésiens qu' il abandonera en 1947, mais les études faites dans le Metropolitano Conciliar Semlnario en 1944 l'ont mis en contact avec Leonardo Castellani, prêtre et écrivain argentin qui deviendra son ami et qui au moment de sa disparition fera des démarches officielles pour le retrouver. Sa formation est diverse : il fait du théâtre - sa première oeuvre est une pièce intitulé Examtnado - étudie la philosophie, tente le cinéma. Il prend aussi des cours de pilotage et en survolant le Delta, à l'embouchure du Parané, avec sa multitude d'îles et ses maisons sur pilotis, il se découvre une autre vocation qui ne le quittera jamais : la navigation. C'est dans une des îles du Delta qu'il s'installe en 1961 et se lie d'amitié avec les habitants de la région dont quelques-uns deviendront des personnages de ses oeuvres. En 1962, Sudeste, son premier roman, gagne un prix au concours organisé -368- par la maison d'édition Fabril Editora au moment où il a achevé la construction d'un voilier qui portera le nom de sa fille : Alejandra. De 1'exploration du Delta il passe à des voyages plus longs et hasardeux. Embarqué comme membre de l'équipage de l'Atlantic, le bateau fait naufrage face aux côtes uruguayennes et il est forcé de se réfugier à Rocha (Uruguay) où il fera la connaissance des gens du port intégrés plus tard en tant que Mascaro, el cazador amarlcano. personnages dans son dernier roman : Cette même année 1965 il rencontre Moyano à< La Rioja. D'autres romans, toujours primés viennent ensuite : En vida, Con otra gente. La vie de Conti prendra un tournant décisif en 1971 lorsqu'il fait son premier voyage à Cuba pour être juré du prix Casa de las Américas. A partir de ce moment il ne cachera pas son adhésion au socialisme et deviendra par là suspect de participation aux activités de la guérilla. Un an après, Conti refuse la bourse Guggenheim dans une lettre rendue publique et d'un ton ouvertement anti-impérialiste. L'optimisme de la gauche argentine au moment des élections de 1973 se reflète dans le roman de Conti écrit la même année. L'aventure du petit cirque du Principe Patagôn, prodige de l'imagination de donner une nouvelle vie aux capable villages poussiéreux et déserts des zones marginales du pays, n'aurait pu naître à un autre moment de l'histoire contemporaine argentine. Mascaro sera aussi le seul roman de Conti dont les personnages sont entièrement tournés vers le futur, prêts à explorer de nouveaux chemins malgré la menace des rurales, les gendarmes contre lesquels combat Mascarô. C est aussi un roman qui -369- porte les empreintes de La Rloja : la tournée du cirque passe par Olta, Patqufa, San Bernardo, Salsacate, des villages recréés à partir de la perspective du réel merveilleux. En 1975, Contl commence à écrire les nouvelles de son dernier recueil publié à titre posthume : Balada del âlamo carolina. Le 5 mal 1976, 11 est séquestré par un groupe armé et ne réapparaît jamais malgré les démarches entreprises par des organismes internationaux et des gouvernements étrangers. En octobre 1980, a l'occasion d'une interview accordée à des journalistes espagnols le Président Videla recconnaît que Contl est mort mais ne fournit aucun détail sur la date de son décès. e ,*6>-> Dans Libro de navlos y borrascas, le peintre Contardi a un fils qui fait partie des disparus pendant la répression et qui s'appelle Haroldo. Le nom de famille inventé par Moyano contient le nom Conti mais la modification apportée place le verbe contar au début du mot. Nom pour raconter donc, et sans le dire directement, ce qui est arrivé à Conti et lui rendre hommage. Le passage où Rolando cherche Haroldo dans le bateau est un assemblage des souvenirs de Moyano et des éléments appartenant à quelques textes de l'auteur de Mascara très âlamo hornallas carolina" fabricada , La "vieja en Venado Tuerto", Chacabuco - le cocina 'Carelli' de "las hojas mes altas del village de Conti et de ses narrations -, la phrase "y a lo mejor él andaba en la luz"'*** - qui rappelle le titre d'une nouvelle de Conti : Mi madré en la luz , se mêlent au récit andaba dans un texte qui joue avec les lumières et -370- les ombres, où le panache du peuplier fait figure de phare au milieu de la pampa et où 1* image du vol manqué et de la chute revient pour fondre en un seul personnage Flaco et le fils, de Contardi. Le bateau s'est transformé en une prison et Moyano utilise les expressions de ci rugia El vuelo et trat ami entes del tigre, intensivos, pour ne pas nommer comme sala dans le lieu de la torture. La modification de nom Haroldo, qui devient Faroldo à force d'être répété, fait partie des souvenirs personnels de l'auteur. Dans l'article en hommage à Conti publié en 1980, il écrivait : Waroldo llega a La Rioja integrando una delegaciôn de escritores que publicaban en el Centro Edltor de America Latina : Alberto Vanasco, Bernardo Verbltsky, entre otros. Andaban difundlendo literatura por el interior. Mes llbros para mâs, dlce el eslogan. Haroldo se instala en mi casa y todavîa no ha acabado de abrir las valijas cuando esté preguntando adônde se pueden conseguir faroles antiguos. Empiezan a Uegar amigos con faroles viejos. Son todos para Haroldo. Mi hijo que tiene algo asî como ocho affos, le pregunta por que en vez de llamarse Haroldo no se llama Faroldo.'" e*» L' image du phare mise en rapport avec le peuplier carolin dans le chapitre III établit aussi un lien avec les récits de Conti. Oreste, protagoniste de Mascarô, fait comme Rolando dans le roman de Moyano un apprentissage au fil du voyage qui le mène d'Arenales, un petit port au bord de la mer, aux villages du désert comme membre de la compagnie du cirque Scarpa qui finira par se dissoudre après sa joyeuse tournée. Au début du roman, lorsque Oreste arrive à Arenales pour commencer son aventure, 1' image d* un phare est évoquée à plusieurs reprises et vers la fin du roman, un autre phare, cette fois-ci de Palmarès, annonce la -371- fin du parcours en prenant une s i g n i f i c a t i o n nouvelle. Capturé par l e s rurales, ira Oreste est t o r t u r é , rejoindre rebelles l'équipage qui s'apprêtent chaque séance de t o r t u r e , puis déclaré fou et mis en l i b e r t é . du bateau à livrer El mafîana, constitué de bataille Il trois aux oppresseurs. Entre Oreste rêve de ce bateau, devenu pour l u i l'image du futur, et du phare qui é c l a i r e sa route : "Pero la vision mes ardiente, mes lumlnosa, en la cual desembocan todos los otros suefios, es una playa inmensa de doradas arenas con un borde de espumas que cuando el agua rétrocède el viento la dispersa. (...) Las altas vêlas relumbran en el horizonte y Oreste se sofoca ante tanta imponencia, blanca espesura sobre el Uano mar en firme rumbo. Trepa corriendo a un mêdano antes de que aquel énorme pâjaro se sumerja en los confines. Pero aunque vuelva la cabeza a cada paso para no perderlo de vlsta cuando llega a la punta ha desaparecldo. El faro comienza a destellar."**1 > Les histoires inventées par Rolando et ses amis dans les chapitres XII et XIV, répondent à une obsession de Contardi : les disparus ne sont pas complètement dans la mort, i l s sont p r i s au piège entre l a vie et la mort, entre la présence et l'absence. Pour puissent s o r t i r de l ' o b s c u r i t é et d i r e adieu, qu'ils i l est nécessaire de mettre un phare à leur portée ; l a lumière du phare l e s aidera à retrouver l e rythme de vivre et de mourir en même temps. Le premier r é c i t - celui du chapitre XII - échoue dans 1'impuissance de 1'espoir. Le chapitre XIV contient deux h i s t o i r e s emboîtées dans le récit principal : l a première ayant un dénouement conventionnel et heureux, peut a t t e i n d r e l e but recherché : r é a l i s e r de façon imaginaire l e s désirs de Contardi. Dans l a seconde, -372- dictée par Rolando, l e vieux gardien du phare qui redouble l'Image de Contardl disparaît lors d1 un affrontement entre des jeunes gens armés et leurs persécuteurs. Ce deuxième récit insiste sur le cas des Argentins enlevés et tués sous prétexte d'avoir eu des contacts, même involontaires, avec la guérilla. Les pensées du vieillard traduisent la confusion de ceux qui assistent à une guerre et en sont les victimes sans avoir fait le choix des armes dans les conflits qui se déroulent autour d'eux. La polémique de la gauche argentine des années soixante-dix sur les stratégies de lutte contre le pouvoir - la lutte armée était le choix d'une minorité - ressort de ce fragment du récit. Rolando semble regarder avec beaucoup plus de sympathie le personnage du gardien que les jeunes qui ont envahi le phare. Il sauve à la fin de son histoire ce phare qui représente le sens de toute une vie de travail utile - celle du gardien - consacrée à entretenir la lumière qui aidait les pécheurs à s'orienter au milieu des orages. En récupérant ce qui était l'expression de la responsabilité sociale du disparu et en prenant le relais on perpétue sa mémoire. Le phare concrétise ici un autre type d'espoir établissant la différence entre deux moments de la vie du pays. Il accompagnait l'aventure de El mafiana et donc de la rébellion dans le roman de Conti. ; il s1 érige face à la mort pour sauver la mémoire dans Libro justement de navlos la préoccupation y borrascas. des personnages dernier de Moyano : Très golpes de Tîmbal. -373- Sauver la mémoire sera du roman suivant, le 4.3. Le roman de la deuxième étape de l'exil Ecrit dix ans après le départ d'Argentine, Très golpes de timbal est à la fois l'aboutissement de la réflexion sur l'exil intérieur et extérieur, la transfiguration de l'histoire de La Rioja en mythe et une réponse aux questions sur 1'identité posées dans le roman que nous venons d'analyser. Il est aussi la tentative de créer avec des mots une mémoire des migrations, idée qui hantait Rolando dans Libro navîos y borrascas, de une tentative impliquant la redéfinition du rôle de 1* écrivain en exil. Mais ce dernier roman de Moyano n1est pas seulement débiteur du précédent parenté avec El vuelo del tigre, : on peut signaler également sa non seulement à cause du milieu où évoluent les personnages, semblable sur certains aspects à Hualacato, mais parce que les procédés littéraires employés font rentrer le récit dans la catégorie du réalisme magique prolongeant et développant ainsi une recherche commencée dans le roman de 1976. Le gigantisme et l'accumulation d'images, la cohabitation du réel et de l'imaginaire, du naturel et du surnaturel, la prolifération de personnages et leurs dédoublements fréquents, la densité du réseau métaphorique et symbolique et une prose qui cherche à envahir le domaine de la poésie tout en essayant de récupérer la musique du parler régional, sont les -374- caractéristiques fondamentales de ce dernier roman qui sembleraient signaler un nouveau tournant dans l ' é c r i t u r e de Moyano. 4. 3. 1. Le temps et l'espace dans l e roman Pour se mettre à 1'abri de l a violence meurtrière, un groupe d'hommes et de femmes se sont cachés dans la c o r d i l l è r e des Andes et y habitent depuis longtemps dans un v i l l a g e appelé Minas Altaa. Ils viennent des plaines et leur v i l l e - Lumbreras - a é t é rasée à une époque non-précisée : "Siempre creyeron que pertenecian al vergel de abajo y que alla volverîan cuando sus vidas no estuviesen amenazadas. La gente naciendo y muriendo ha convertldo esto en un lugar que podria ser deflnitivo ; pero no pueden verlo asi por culpa de la esperanza que mantlenen. Vea, los côndores en miles de generaclones han olvidado sus motivas para habitar cuevas que no alcanzan a ser nidos. Los minaitefios tambiên estamos en camino de olvidarlos."'**3 Traduire l a mémoire de Lumbreras dans un r é c i t qui permette à tous de ne pas oublier son sens avant qu'un nouvel exil ne les déracine de Minas Altas sera l a tâche imposée par Fabulo au narrateur. Le nom de travailler, ce narrateur n'est pas révélé mais nous le verrons aimer et suivre attentivement l ' h i s t o i r e racontée par l e s marionnettes de Fâbulo qu' i l doit reproduire dans son texte. I l est l e personnage c e n t r a l du r é c i t premier qui fonctionne comme l e n a r r a t i f du roman. -375- cadre Le sujet du r é c i t second raconté par l e narrateur sans nom est l'aventure de Eme, l e Jeune chanteur né à Minas Altas d'une rescapée du massacre de Lumbreras. C'est l u i qui se déplacera dans l'espace à la recherche des origines oubliées, guidé par l a seule strophe connue de l a chanson du coq blanc qui devra ê t r e complétée et mise à l ' a b r i des oppresseurs. Situation Identique à c e l l e du narrateur qui, en se déplaçant dans l e temps, doit é c r i r e l ' h i s t o i r e d'Eme et envoyer son manuscrit loin de Minas Altas car l e s mêmes ennemis approchent une nouvelle fols : "Estâbamos ante la casa de Fabule cuando oîmos una explosion y vimos la nube de polvo, muy lejana, hacla el rumbo de las Salinas. - Ahora estân mes cerca - dijo. - Quiénes, - Los aseslnos. Cuando llegue aqut el camino que vienen abriendo con sus dinamitas, borrarén Minas Altas como 3 hicieron con Luabreras."** * Les deux histoires avancent parallèlement et se rejoignent dans le dernier chapitre - intitulé Très golpes de timbal - où toutes les images doubles du roman vont être fusionnées et les deux temps, celui du manuscrit et celui de l'histoire racontée par les marionnettes de Fâbulo, convergent en un seul temps. Il n'y a aucun point de repère pour situer avec précision le moment où les événements ont lieu ni pour calculer la durée globale de l'aventure d'Eme. Dans la pièce Jouée par le marionnettes de Fâbulo la vie du chanteur est reprise depuis la nuit de sa conception - celle même au cours de laquelle Lumbreras a été détruite - et Jusqu'à l'âge de son premier amour et du voyage vers ses origines. Le récit est rythmé en revanche par des -376- phénomènes naturels - le passage d'une comète, la crue d'une rivière, la floraison des tournesols - et par les départs et les arrivées des personnages. Une seule référence permet de situer l'histoire au XXe siècle : un conquistadores, des personnages, en parlant de 1* arrivée des mentionne le fait que cinq siècles se sont écoulés depuis leur premier voyage. A l'absence d'indications précises sur le temps historique s'ajoute un procédé destiné à renforcer l'indéfinition : le récit fait coexister des coutumes, des métiers et des objets propres à des époques différentes, brouillant ainsi les pistes de la temporalité extra-littéraire. Les avions arrivés de la capitale transportant des fonctionnaires invités à l'inauguration de l'éclairage public de - Santa Gema la les courriers des Incas -, mot caudillos Vieja côtoient les chasquls encore utilisé à l'époque des pour désigner les messagers qui se déplaçaient à cheval ; les militaires sont les Oidores, fonction qui renvoie à l'époque de la colonie espagnole ; la société de Minas Altas est une société agropastorale qui pratique le troc mais qui connaît en revanche la radio ; en fin, le narrateur monte au Mirador de Nebrlja. de los vientos avec la Gramética Cette coexistence de temps historiques différents fait que les deux histoires se déroulent dans un temps autre, in illo tempore, comme les récits mythiques. La situation géographique de Minas Altas est aussi ambiguë : le village se trouve quelque part dans une vallée andine mais la latitude et le pays ne sont pas précisés. Dans Capricho la troisième en una prenda de Emebé, des cinq parties dont le chapitre V est constitué, la communauté essaie d'étudier l'itinéraire que devra suivre le muletier -377- à t r a v e r s l e s Andes pour rapporter l e piano dont i l s ont besoin pour cacher l a chanson du coq blanc. I l s doivent suppléer l a carence de cartes par indications une maquette du muletier. de la cordillère Les matériaux faite utilisés à partir sont les des tissus destinés au trousseau de mariage d'Emebé, la fiancée du chanteur : "El mulero dijo perdôn tomando al azar una enagua de Emebé que acababan de bordar y la extendiô sobre la mesa dândole la forma aproximada de una S. Blfurcô el extremo superior de la letra aprovechando los tirantes de la prenda (...) Jotazeta bebiô la infusion y descubriendo el juguete vio extenderse la enagua de su hija desde las tiritas bifurcadas del Caribe hasta las puntillas de la lejana Patagonia. (...)Faltaria la parte norte de la cordillera, dijo el mulero, pero no la conozco y la enagua no alcanza para mes. Effe mostrô a su padre los papelitos escritos. El mulero le dijo que los colocase segùn sus conocimientos geogrâficos, teniendo en cuenta que ese grano de arena correspondis a Quito. Enfonces Temuco apareclô en Colombia, Piura dio unas vueltas dudosas hasta quedarse en Chile, el Aconcagua se afincô en Bolivie, y Efie no sabla todavia dônde poner el papelito en el que estaba la palabra que mes le habfa gustado : Curicô."**** Le procédé qui consiste à confier à une p e t i t e f i l l e l e soin de d i s t r i b u e r l e s noms des v i l l e s et des accidents géographiques sur la maquette est l'équivalent du brouillage des p i s t e s concernant la temporalité. Minas Altas devient a l o r s un v i l l a g e andin de l'Amérique Latine sans aucune référence D ' a i l l e u r s l e narrateur a d i t , patria, inexistente a la nationalité de ses avant ce chapitre : "... en Minas Altas". habitants. la palabra <eS3 Si 1* espace géographique cherche à ne pas ê t r e précisé, i l y a dans l e récit deux plans spatiaux -378- bien d i s t i n c t s et porteurs de signification. deux plans En effet, spatiaux les événements racontés se partagent travaillés depuis le premier chapitre montagne qui abrite Minas Altas, le mirador surplombant refuge du le narrateur et lieu de l'écriture, muletier pour aller chercher le entre : la le village, et les cols franchis par piano correspondent au plan vertical des exilés sauvés du massacre qui a effacé Lumbreras de la carte et de la mémoire. Le plan horizontal est celui de la violence meurtrière désertés des oppresseurs survivant dans et la de la misère, solitude guettés des pars petits des villages Oidores en uniforme attentifs à l'air de la chanson interdite et qui pour la détruire torturent Ondulatorio ; ce sont les plaines qu'Eme devra traverser pour retrouver la tombe de son père, découvrir son identité et reconstruire les strophes qui racontent l'histoire des ancêtres des habitants de Minas Altas. Le dernier écho de l'opposition ciel-enfer des premiers récits de Moyano est ainsi reprise et réélaborée dans ce roman. Le salut et le ciel de ceux qui voulaient échapper à la corruption sont devenus les hauteurs de la liberté et de la paix, une liberté et une paix précaires il est vrai, mais opposées à l'enfer de l'oppression qui s* est emparée des plaines d* en bas, qui a écrasé, "horizontalise" Lumbreras. Les différences manifestées dans et l'effort la tension de monter existant et de entre ces deux plans, s'adapter aux hauteurs, apparaissent depuis les premiers paragraphes du roman : "A mes de cînco mil métros de altura, las mulas andinas trépan dejando seflales rojas en la nieve, hechas con las ffotas de sangre que se les escapan de la nartz. Mulitas tan llvianas y ligeras que parecen nubes ; pero dentro de -379- esa aparente liviandad, el corazôn les late tan fuerte que los jlnetes pueden oir su gvlpeteo."(.„) "Mâs arriba de este refugio, llamado Mirador de los vientos, el clelo es permanentemente azul. Las nubes estân slempre allé abajo. Las he visto tiritar de frfo y deshacerse en lluvias que no me alcanzan. Son algo asi como la Intensidad que aquî tiene la altura, la que desnuda las palabras y hace sangrar las mulas. Debajo de ellas viven las aves de corto vuelo, que solo conocen su reverso. En cambio para el condor, que las domina, y cuyo vuelo permite la expansion de la cordillera, casi no existen ; son como el polvo de su camino."<es3 La dimension symbolique du condor peut être appre'ciée lorsque apparaît un personnage qui traversera comme une ombre l e récit. s1 agit du chasseur de condors, un maraudeur prêt secrets de Minas Altas pour informer à fouiner dans l e s l e s assassins d'en bas. délation qui n1 avait été traitée ni dans El vuelo del tigre Libro de navios y borrascas trouve i c i sa place. Il La ni dans Le lien entre l e niveau horizontal et l e niveau vertical est double et l e changement d'espace se fait dans des buts opposés : l e chasseur de condors et Sietemesino - l e pouvoir et ses métamorphoses - passent du niveau horizontal au niveau vertical pour dénoncer ou pour tuer. Eme fait le chemin dans l e s deux sens pour savoir et partager. Nous avions signalé que l e schéma de base des oeuvres de l ' e x i l était la tripartition de l'espace et du temps : Ici - pays d'accueil, présent de l ' e x i l é -, là-bas - pays d'origine, passé de l ' e x i l é - les deux points entre lesquels se font l e s a l l e r s et l e s retours de la narration, très souvent antagoniques et inconciliables, comparés sans cesse, aimé l'un aux dépens de l'autre. Entre ces deux extrêmes se place l e l i e u de l'imaginaire où le temps et l'espace objectifs cèdent -380- la place à la subjectivité de l'auteur. D'une part, ce no man's land ne peut pas se dégager de la situation réelle de l'exilé donc de la confusion et de l'angoisse ou de l'équilibre retrouvé, variantes qui dépendent de expérience la et réélaboration du degré que chacun d'éloignement des a fait de circonstances sa propre qui ont provoqué le départ. En outre, en tant que lieu de l'intimité du créateur, c'est là que trouvent leur place des thèmes qui débordent les préoccupations ou les obsessions propres à l'exil. Llbro de navlos ... jonglait sur ces deux points opposés en les déplaçant selon la double perspective choisie, celle du récit premier et celle du récit second. Dans le troisième espace se trouvaient d'une part, l'écriture et le regard posé sur l'évolution du texte et sur la communication avec les destinataires du récit, et de l'autre, toutes les réflexions philosophiques sur la vie de l'homme : l'amour - thème de La bahia -, la vieillesse, l'imagination. Rolando se sentait coupable - nous l'avons déjà signalé - de se laisser aller à ce troisième espace où les circonstances de l'exil s'estompaient. Dans Tires golpes de titubai, ici c'est Minas Altas et son mirador, deux refuges -l'un partagé, l'autre solitaire - placés en haut de la cordillère, à mi-chemin entre le vol libérateur auquel aspirent les personnages. de Moyano, et les plaines de la violence, un là-bas est aussi en bas, qui Le troisième espace du roman est à nouveau occupé par un discours sur la violence, le pouvoir, le Temps, le désir et, fondamentalement, sur le langage. Comme dans le roman précédent, le discours philosophique est mis dans la bouche des "sages" du roman, des personnages tels que Fâbulo - dépositaire de la mémoire collective -381- de Minas Alt as - et le muletier 1 qui est aussi astronome - ce qui équivaut, dans le roman, à philosophe, sage, contemplatif -. L'état d1esprit différent qui a présidé ce roman se manifeste dans la façon d'aborder les mêmes sujets. La répression, la torture, la menace d'un autre exil existent toujours mais elles ont leur contre-poids dans une vision lumineuse de l'amour et non seulement de l'amour entre homme et femme, mais de celui qui attache l'homme aux êtres vivants, à son monde imparfait, aux objets qu'il crée de ses mains - le roman est un véritable livre de fabrications diverses -, à sa langue maternelle et à sa culture. Il suffit de comparer La bahia avec Giracéflras pour mesurer la distance existant entre l'ambiance des deux romans. Le petit bateau amoureux de la baie perdait son innocence dans la rencontre et craignait le naufrage car "ningûn barco ha poseîdo jamâs ma salvo remolcadores que muera en ella blanqueaban sus nfS7} caracoles. de navîos... huesos al como el pesquero socaire de la o los escollera, bahia, que empedrada de Connaître l'amour équivaut dans ce chapitre de Libro non seulement à perdre l'innocence mais aussi 6 avancer vers la viellesse et toutes ses pertes sans avoir eu la certitude de la possession. l'amour attend Giracéflras, La baie-femme est douce mais dangereuse et derrière le naufrage-mort. Aux antipodes de ce texte, est une exaltation de la possession et de la beauté du corps féminin, un autre acte de création parmi tous ceux qui jalonnent le roman. Le texte est entièrement travaillé avec des images dynamiques, créées par les miroirs suspendus par le couple aux murs de la chambre pour multiplier le reflet des tournesols de Minas Altas : -382- "Los caminos abiertos por los espejos, entrecruzândose, iban formando un laberinto de chorros de luz con glrasoles virtuales. No conseguîamos posarlos en la cama ; caîan a sus pies, se cruzaban y confundîan, rebotaban en las paredes y en el techo, y algunos, por defectuosa colocaciôn de los espejos, recorrîan el camlno inversa y volvïan a la flor original, como si est uviêsemos tirando girasoles por la ventera."**** Les tournesols sont définis par Fâbulo comme des horloges g é n é r a t r i c e s de temps. En l e s multipliant, on multiplie l e temps ; l e couple, placé au milieu d'une é t e r n i t é composée de tous l e s temps de l'humanité tournant autour de l u i , devient l e centre du monde. Le mythe fondateur raconté par l e roman a donc son couple originel : "Echo su cuerpo sobre la cama aplastando girasoles virtuales, se echô como un invento o pieza viviente destinada a retener en su fusion conmigo, un momento de la mecanica céleste de los astronomes muleros. (...) Antes de que cesara su movimlento giratorio, yo habia atravesado el laberinto de lïneas cruzadas por donde viajaban las flores y habia caido sobre el invento viviente para robarle a Fâbulo una pizea de sus mundos misterlosos. "f **3 La t o t a l i t é des temps convoqués autour du couple n1 est pas l ' é t e r n i t é silencieuse de l a mort mais c e l l e de l a somme des temps vécus et à vivre par l e s hommes. Cette scène, appartenant au r é c i t premier, a son double dans Expulsion de cuerpos célestes, sous- c h a p i t r e où se place un segment n a r r a t i f du r é c i t second. Eme d é t r u i t de ses mains un objet qui se cache sous l ' e s c a l i e r et qui est la représentation de l ' é t e r n i t é de la mort. Movano place c e t t e scène tout de s u i t e après l e moment où l e s t r o i s p e t i t s coups donnés par Emebé sur l e mur qui l a sépare d'Eme, mènent à l a découverte de leur amour. -383- Ce trois coups - le roman leur doit d'ailleurs son titre - soulignent l'instant du réveil d'Eme devenu adulte et engagé dans une double aventure : celle de l'amour d'une femme et celle de son appartenance à une communauté dont la mémoire future dépend de son voyage de retour aux origines. L'annulation de la temporalité qui découle de la convocation de tous les temps dans l'espace du mythe trouve au niveau linguistique son équivalent : l'accumulation dans le récit des modes quasi-nominaux - infinitif, gérondif et participe - qui ne traduisent pas la dynamique du temps. Hoyano profite de l'aptitude de ces formes à se nominaliser et substitue fréquemment le nom par l'infinitif précédé par l'article. Dans El irse partie du chapitre II, del cantor la profusion busca su cuadrante, huitième de ces souligne infinitifs l'approche du départ encore en projet : el irse, salir, el no tener que L'interruption el quedarse, el despedirse. du devenir entraînée par la spatialisation du temps peut être considérée comme une nouvelle étape de la lutte contre l'oubli et la mort qui transparaît dans l'oeuvre de Moyano depuis ses premiers récits et qui avait trouvé dans la musique une arme de choix. La langue et la musique sont d* ailleurs fusionnées dans ce dernier roman et la prose rythmique de quelques passages fait "chanter" le texte. L'absence de ponctuation entre des structures syntaxiques qui devraient normalement être séparées, crée un rythme particulier qui semble correspondre à une musique imaginaire ou peut-être à une forme musicale existant dans l'espace extra-littéraire si nous tenons compte de l'insertion des chansons populaires dont témoigne Libro -384- de navlos y borrascas. la A cela s ' a j o u t e l ' u t i l i s a t i o n d'assonnances qui renforcent musicalité l'appui du r é c i t . On pourrait de notre remarque. i n t é r i e u r d'I donner Nous allons plusieurs nous limiter exemples à au monologue qui devient en vertu de ce procédé l e chant d ' I . Le texte f a i t p a r t i e de Por las arrugas del mulero (chapitre IV) : "Pobres mulitas hijas mias sin abrigo sin agua sin comida, con un bulto tan negro y tan extrafio atravesando nubes ; cuidado por favor no se me asuste cuidado que se inclina ; arrimele unas piedras por debajo unas raices en el borde que da a ese precipicio, no vaya a ser que con la nieve se resbale la mullta ladera de la izquierda C..J!no aguanto el frîo se me parten las manos ya no siento las riendas, el refuglo esta cerca pero no puedo verlo habrâ un buen fuego adentro y los arriéres estarân contando bistorias de finados, a ver si pueden escucharnos compatteros nos esta llevando el viento y las mulas no caminan por el frîo y el hambre que vienen padeciendo."**0* L'espagnol parler de Moyano tend vers l e s rythmes et régional tout en évitant l e s formes du un régionalisme l l n q u l s t i q u e trop accentué qui aurait é t é étranger au projet global du roman. L'auteur utilise, par exemple, viera en t ê t e de phrase à la place de si Uds. hubieran podido ver ou Uds deberian haber visto, forme u t i l i s é e dans l e p a r l e r de la campagne pour souligner 1* importance de quelque chose. I l recrée parfois l'accent du parler montagnard par l a t r a n s c r i p t i o n phonétique : iuvia au lieu de lluvia. Un autre changement est intervenu dans l e s t y l e de Moyano : i l rennonce i c i au voseo argentin. Pour l e singulier i l emploie la forme verbale de la deuxième personne correspondant au tu mais sans p l u r i e l i l u t i l i s e toujours l'accompagner ustedes, -385- du pronom ; pour le 4. 3. 2 Le peuple de l'exil ; mémoire, imagination et identité L1alternance de la perte et la récupération de la mémoire est un jeu constant dans le récit. Elle s'inscrit dans un procédé dont nous avions signalé la fréquence dans la littérature de l'exil : le dédoublement des personnages. Tout le roman fonctionne comme un miroir qui double, redouble et dédouble non seulement les personnages et leurs actions mais les situations, les lieux, les objets, les sons. Le procédé est utilisé tout au long du roman et de ce fait les dédoublements deviennent une constante structurelle au même titre que les hiatus et les liaisons l'étaient dans Libro Les personnages de Très golpes de de timbal navîos... sont beaucoup plus nombreux que ceux des autres romans de Moyano. Ils font partie soit du récit principal dont le protagoniste est le narrateur, soit du récit second dont le héros est Eme. Pour la plupart, ils appartiennent à la communauté de Minas Altas mais au cours du voyage du chanteur, Moyano ajoute d'autres personnages : le Oidor des villages traversées par la bandita de Santa Gema, les habitants - le groupe musical qui suit le chanteur dans son aventure et qui tue finalement Sietemesino avec la chanson du coq blanc - à laquelle appartiennent Tuy et Azul. A la fin du roman, et coïncidant avec le moment où le chanteur retrouve ses origines, la fusion des doubles se produit : le narrateur est le chanteur, Céfira est Emebé, I est Ene Vega, et ainsi de suite. Eme, Emebé, I, De Ce et tous les personnages du récit second étaient des marionnettes racontant une histoire. La fusion avec les personnages du récit premier les incarne leur donnant une nouvelle -386- épaisseur et une identité définitive. Ils passent de la seconde fiction - une fiction dans la fiction , soulignée du fait de son appartenance au monde de la représentation théâtrale - au premier niveau fictivement plus proche de la réalité. D'autre part, le présent du narrateur et le passé de l'histoire de Fâbulo, réunis au moment où le manuscrit est terminé, débouchent sur un récit prédictif qui les projette vers le futur, celui du manuscrit et celui de la chanson, deux futurs étroitement liés car le manuscrit et la chanson assurent à Minas Altas une vie au delà de la destruction qui la guette depuis le commencement du récit. Dans le cycle destruction-reconstruction, mortrennaissance répété depuis le commencement de l'histoire de Minas Altas, se glisse le témoignage renfermé par la chanson et par le manuscrit où la vérité des ainalteffos ne sera pas faussée par la version des voleurs de mots concrétisée dans le discours du pouvoir mais restera intacte en attendant d'autres temps. Le manuscrit et son double, la chanson du récit second, préservent la mémoire collective pour briser le prochain cycle qui ne commencera alors ni par l'oubli des raisons de l'exil ni par les doutes sur l'identité. Moyano prend bien soin de différencier deux formes de transmission de la culture. Dans le roman, l'écrit ne remplace pas la tradition orale : il est son complément. Les personnages du récit second portent des noms qui correspondent aux noms des lettres. Ils constituent un alphabet vivant dont le narrateur se sert pour transcrire l'histoire du chanteur dans son manuscrit. Celui-ci partira en exil au delà de la mer d'où le piano est arrivé. En revanche la version complète de la chanson que les chasquls des Oidores, répètent de façon fragmentaire devenant ainsi les cibles restera cachée dans Minas Altas -387- - qui se déplace constamment au long de l a c o r d i l l è r e pour échapper à la destruction jusqu'au jour où e l l e pourra recommencer son voyage de bouche à o r e i l l e . La chanson et l e peuple qui l ' a créée sont condamnés â l ' e x i l i n t é r i e u r ; l e manuscrit renouvelle l'aventure de l ' e x i l extérieur. Le crime de l ' a n c ê t r e , comme l e d é l i t solitude, présenté dans l e roman de Garcia Marquez qui condamne l e lignage des Buendla à cent ans de n'est pas i c i un crime des minalten'os. Les origines du peuple de l ' e x i l se trouvent dans la destruction de Lumbreras et c e t t e destruction est l'oeuvre de Sietemesino et de ses hommes , venus pour piller, tuer et détruire. C'est d'ailleurs par cette scène que commence la représentation des marionnettes de Fâbulo : "El Sietemesino y los suyos, en mit ad de la matanza, habian engordado : redondos, hinchados por los objetos metidos entre sus ropas como si los hubiesen devorado, entre vellones de almohadas destripadas. Los que iban a morir veîan acercarse a ellos unas bolas humanas deformadas, precedidas por un filo rapidîsimo. Bajo la chaquetilla del Sietemesino, pesé a las suavidades de una almohada de plumas, un reioj despertador rozaba contra un mortero de bronce donde unos anillos matrimoniales tintineaban. Hagan callar a ese perro, gritô antes de entrar en la casa de la mujer todavîa hûmeda por dentro de los jugos de su marido dsprendido, la que despuês fue a Minas Altas a parir ese nifio tan hermoso. " f s ' 3 Les métamorphoses procédé c a r a c t é r i s t i q u e de Sietemesino - Moyano f a i t du conte populaire - temps que la croissance d'Eme et reviennent appel se déroulent à un en même périodiquement dans l e r é c i t second. Sietemesino parcourt plusieurs degrés de l ' é c h e l l e des espèces, depuis l ' i n s e c t e jusqu'aux formes l e s plus évoluées, avant de redevenir homme et mourir tué par l a chanson du coq blanc qui raconte -388- l'histoire de son crime. Moyano explore à travers ce personnage multiforme la nature du pouvoir et en le replaçant parmi les espèces animales 11 Introduit une violence de la nature et réflexion sur les la violence humaine, différences entre la réflexion qui trouve légitimement sa place dans un récit où les rapports de l'homme à son environnement prennent une Importance exceptionnelle. Le Sietemesino devenu requin essaie d'imposer son discours, qui est le discours du pouvoir, raisons aux autres membres de son espèce mais sa démesure et qu' il invoque pour affirmer sa puissance 1* éloignent les des siens. Banni de la comunauté des requins qui tuent pour se nourrir, Sietemesino n'a d'autre issue que de se dévorer lui-même. L'excès entraine sa perte momentanée et il doit commencer un nouveau cycle de métamorphoses : "Tiburones, gritâ poseido por las muertes que contenta, mis deslgnios son mes altos ; yo no me perderê en bûsquedas inutiles ; pertenezco a la gloria; voy a comerme a mi mismo. Girô furioso buscando los extremos de su cuerpo ; cuando pudo darse la primera dentellada, la énorme es fera acuâtica que abarcaba en sus giros se convirtiô en un oscuro ovillo de sangre que êl iba devorando sin dejar de darse dentelladas, vacllando entre cortarse o engullir, los dos extremos de su placer terrible, buscando el centro deleitoso que le permitiera por fin corner su propia boca y cerrarse para siempre en su poder y en su placer (,..)<es> La communauté de Minas Altas est en revanche un exemple de l'équilibre de la vie en accord avec la nature. Avec les muletiersastronomes de son village imaginaire, Moyano montre l'inutilité de toute réflexion qui ne serait pas appuyée sur la solidarité de tout ce qui est et qui ne replacerait pas l'homme -389- parmi les êtres de la nature. Entre I et ses mulets existent des liens aussi forts que ceux établis entre les membres de la communauté. Dans le roman, les animaux ne sont pas étrangers aux soucis des hommes, ils y participent, partagent avec les membres de la communauté annoncent même de par la paix et la guerre et leur exode l'avance des forces ennemies qui détruiront Minas Altas. L'homme, à son tour, peut percevoir leur réalité comme une partie fondamentale de la totalité du réel et comme un système de signes qui aide à déchiffrer les secrets de l'univers. Le coq blanc, témoin du massacre de Lumbreras où le père d*Eme et son frère ont été tués, chante l'histoire qui devra être retrouvée et sauvée. Les mulets d'I rendent possible le transport de l'instrument et risquent leur vie dans la traversée de la cordillère, surveillés et protégés par le muletier. La langue devient le reflet de cet accord entre l'homme et descondorarse, la nature. La création de néologismes tels que enmontatlarse, mareros, terrales, repète à l'intérieur des mots ce que les personnages et les situations transmettent au fil du récit : le nécessaire retour à un équilibre entre l'homme et ses réalisations et le monde naturel auquel ils appartiennent. L'équilibre entre les humains et les animaux est parallèle à l'équilibre qui règne dans la communauté. Le timonier de Libro navlos de ... disait aux exilés plongés dans le désarroi de leur nouvelle situation : "Los antiguos pilotas que hacian la derrota a las Molucas inventaban historiés sobre las islas que tocaban, muchas de ellas desconocidas. Quiero decir que tenian un espacio para sus invenciones y deseos. Nosotros no lo tenemos. Cuando hablo de encontrar esas maravillas, lo hago a partir -390- del desencanto. En encontrarles una isla, realidad lo que me interesa un espacio para que sucedan."**3* es Comme une réponse aux paroles du timonier, Moyano ouvre avec son dernier roman un espace pour les merveilles. Cet espace est représenté par Minas Altas, le village perché dans les Andes et sa société utoplque où les désirs d'un monde plus humain prennent forme. L'organisation que Moyano donne à cette société - Hésiode, cité au passage dans Libro de navlos y borrascas, étranger à quelques-uns de ses aspects - n' est pas tout à fait apparaît comme le négatif de la société que Moyano exècre. Pour la créer il fait appel à ses désirs mais aussi au souvenir de La Rioja. Les hommes se partagent selon leurs activités en trois catégories nullement hiérarchisées : les enîazadores une allusion aux gauchos - par lesquels 1'auteur fait spécialistes du lasso dans la société agro- pastorale argentine, donc des LLanos de La Rioja -, les astronomesmuletiers, et les musiciens. Ils habitent à trois hauteurs différentes selon les besoins de leurs tâches et en cela la société créée par Moyano rappelle Théogonie. le modèle Mais plus que des triparti du mythe d'Hésiode dans la métiers, ces activités représentent des formes d'approche de la réalité ou de contact avec les choses. Au fil du récit, l'auteur glisse des informations qui permettent de caractériser chaque groupe. Toute tentation de les assimiler à des corporations de type médiéval est à écarter du moment que le passage d'un métier à l'autre se fait selon l'âge et les circonstances et qu' ils peuvent être cumulables. Le narrateur lui-même est chargé de deux activités différentes : écrire l'histoire et mesurer la puissance -391- des vents. Jotazeta, personnage qui h é r i t e l ' h a b i l e t é manier l e lasso et qui comme l e caudillo de Chacho à dans l e roman précédent est présenté au moment où i l doit f a i r e face à la v i e i l l e s s e , passe d1 un groupe à l ' a u t r e à cause de son âge : "Cuando Emebé termina de crecer y era tan hermosa, de la figura de Enlazador de Jotazeta quedaba muy poco, con esa barba cavilante, esos ojos inquietos de hurgar en los planetas, esos dedos mes aptos ya para hojear en los infolios que para trenzar lazos, sln acabar de ser un entero escrutador de cielos, a mitad de camlno entre la rudeza prêctica del enlazador y la elegancia despreocupada de un astrônomo.'"**3 Saisir, récupérer, contempler, réfléchir, communiquer avec la nature, créer dans l e t r a v a i l et dans l e s l o i s i r s , voilà l e s a c t i v i t é s des habitants de Minas Altas où n ' e x i s t e ni l ' a r g e n t , ni l a notion de profit, ni l e s nationalismes, car l e mot p a t r i e est inconnu. Lieu de 1'imaginaire de Moyano l e v i l l a g e est aussi l i e u de 1' imagination sans contraintes des minaltetlos. Tout est créé et fabriqué & p a r t i r des moyens p r i m i t i f s dont dispose la communauté. Une roue ou un moulin aidés par l e vent et l a pluie deviennent l e projet d* un instrument inconnu dont l e son est parvenu à Hinas Altas. Le sous-chapitre Volaba el condor, sonaba' el cascabel exalte la puissance de l'imagination populaire exprimée dans l e s e f f o r t s communs de reproduire à p a r t i r des sons entendus^ l e piano que l e s minaltetlos n'ont jamais vu. I l n'est pas étonnant que l e seul personnage qui n ' a i t pas de double dans l e roman s o i t Fâbulo, astronome-muletier et montreur de marionnettes. Il t i r e l e s f i l s de ses marionnettes qui sont aussi l e s personnages de l'histoire, connaît tout ce qui s ' e s t passé et devient l e mandataire -392- du narrateur. L'origine de son nom se trouve dans la caractérisât ion d'Aballay : "... contaba fundamentos... ". Fâbulo a su manera, donc, de fabulando fabuler : créer sin alterar los des fictions qui racontent une vérité changée dans ses aspects secondaires, déguisée en fable ou mythe. Il représente dans le récit la mémoire et l'imagination libre et créatrice de tous menacée par les armes : "Es posible que cuando estas memorias hayan cruzado el mar, Minas Altas ya no exista. Centenares de nombres atravesarân en diagonal su rîo seco, pisotearân sus girasoles, se llevaràn los relicarios, romperân los espejos, destrozaràn uno por uno los muffecos. Centenares de Sietemesinos orientaran sus armas contra Fâbulo buscando su corazon para borrar con él lo que nosotros fuimos.""*** L'alternance, entre apparaît depuis le la perte premier et chapitre la récupération du roman. de la mémoire Moyano a réuni au travers de la situation de ses personnages tous les types de mémoire exploités par les récits précédents : la mémoire personnelle et la mémoire collective, la mémoire cherchée et retrouvée survivre et celle qui est vécue comme une condamnation : qui aide à Sietemesino a oublié le massacre de Lumbreras et de ce fait il devient innocent de ses crimes d'où l'obligation de témoigner pour le punir et pour mettre en garde coûtera Fâbulo les générations la a vie. une La futures. mémoire mémoire Savoir équivaut imparfaite, pour qui il lui l'histoire est vraiment à une peut lui condamnation. admettre donc plusieurs versions complétées par l'imagination comme il arrive dans la transmission orale des événements gardés dans la mémoire collective. Le chanteur n'a pas de mémoire familiale, il doit aller à -393- sa recherche pour avoir une I d e n t i t é : la récupération de la mémoire s i g n i f i e la survie de sa communauté du moins dans l e souvenir. En ce qui concerne l e narrateur, avant de monter au refuge l u i aussi a perdu l a mémoire pour é c r i r e l ' h i s t o i r e . Ce n ' e s t que dépouillé des souvenirs de sa vie personnelle q u ' i l pourra s ' o u v r i r a la mémoire du peuple de Minas Altas. semblerait viser l'oeuvre changement qui s ' e s t de D'une part l'auteur lui-même cette et situation justifier le produit à p a r t i r de l a deuxième étape et qui aboutit à ce dernier roman. D'autre part, récupérer la mémoire et la conscience de sa propre i d e n t i t é s i g n i f i e une perte pour l e narrateur car i l doit q u i t t e r l e Mirador de los vientos qui est l e refuge de l'imaginaire. Le monde r é e l auquel appartient l ' a u t e u r l o r s q u ' i l sort de l ' e s p a c e ouvert par l ' é c r i t u r e apparaît dans l e dernier chapitre par l e b i a i s du r é c i t d* un cauchemar. De ce f a i t Moyano renoue avec la technique de l'aveu que nous avons remarquée dès l e s premiers r é c i t s et qui avait é t é r e p r i s e sous un autre ton dans Cadenza : "Bajaba por un sendero que no conducîa a ninguna parte, con un manuscrito que nadie me habîa pedido, que no correspondis a ninguna realidad : todo se debîa a un encantamiento de palabras, a un Juego solitario que me propuse mareado por la altura, donde mis bajadas a Minas Altas eran pura invenciôn. (...) Yo era uno de esos habitantes sometidos de las grandes ciudades, un preso que sottaba con la libertad e inventa todo eso escribiendo solitariamente, y ahora se encontraba con la tristeza de poner punto final a sus historias y a sus suefios."**** Ce fragment peut être rapproché dans une certaine mesure du dernier chapitre de Libro de navlos y borrascas -394- par l a r é s i s t a n c e à abandonner l'écriture devenue le support de la vie et de la personnalité de 1'écrivain. Le texte nous ramène aussi aux paroles de Moyano sur l'exil : Yo creo que el exilio y sin esperanza. es, un poco, vivir sin temor L'espace de l'écriture facilite un retour imaginaire aux lieux où les rêves et les espoirs - avec leur revers : les craintes - étaient une expérience commune et partagée. Sortir du monde imaginaire signifie assumer la solitude de l'étranger installé dans une grande ville - et nous savons déjà ce qu'une grande ville représente pour Moyano - où ses rêves de liberté et de justice n'ont pas de place car ils se projettent vers le là-bas des exilés. Mais si le prix à payer est lourd, l'exil peut apporter un regard plus ouvert sur le problème de l'identité, problème qui continue à préoccuper les écrivans argentins. Nous le verrons par rapport au régionalisme dans le cas particulier de Moyano. En outre, il ne faut pas oublier que ces deux derniers romans sont les seuls à avoir des narrateurs qui doublent dans la fiction le métier de l'auteur et que de ce fait Moyano intègre à ses récits une définition du rôle de l'écrivain en exil. Rôle modeste - semble dire l'auteur de celui qui ne peut changer la réalité avec ses oeuvres mais qui peut en revanche continuer à faire entendre les voix de ceux qui ont été oubliés ou réduits au silence, et imaginer un futur différent. -395- 4.4. De la région au Libro Dans de continent navios y borrascas, la réunion des trois nationalités sur le bateau qui conduit les personnages vers l'exil et l'histoire de Federico et de sa guitare préfiguraient les aspects fondamentaux du sens émergeant des multiples plans significatifs de Très golpes de timbal. Au travers de Federico, personnage évoqué par Rolando dans les chapitres III et XV, Moyano brosse le tableau de La Rioja mettant en relief son appartenance à la tradition culturelle du Nord-Ouest argentin où quelques mots, traditions et comportements visà-vis de la nature et de la valeur des choses perpétuent le souvenir du passé indien. Boceto para un vidalero contient un résumé de l'histoire de La Rioja depuis les temps de son appartenance à l'Empire Inca jusqu'à la actualité où la région est devenue el del imperio portetioCG'7'i. extremo norte L'impéralisme anglais, la répression exercée par le pouvoir central à plusieurs reprises et la pauvreté ont décimé le peuple des vidaleros, réduit aujourd'hui - dit Rolando - à quelques cent habitants cinquante mille acculés par la misère et épidémies : "Los vidaleros tlenen la mlrada mansa, no se sabe si por la pobreza o por la memoria de extermtnios y saqueos. Usan -396- les todavïa palabras de una lengua que se muere de a poco en sus ûltiœos sonidos. Llaman ulpisha a la paloma, tumiftico al colibri, suri al avestruz, tushi al sexo de las hembras. Su pais no tiene hidrografîa, pero cuando llueve en los cerros el mapa se les satura de lîneas azules y slnuosas, par los miles de rios espasmôdicos que solo duran unas horas y se llevan a veces animales y personas. Para un vidalero lo mes difîcil es llegar vivo a los cinco aftos, periodo que mâs bien pertenece a los insectos, las sequias, la falta de lèche. Pasado todo eso, los ojos se le amansan y ya esté en condiciones de cantar una vidala."**7'* Dans ce tableau de La Rioja Moyano a remplacé l e nom riojanos vidaleros. Les mots bagualero et vidalero par désignent dans la culture populaire du Nord-Ouest ceux qui se sont s p é c i a l i s é s dans l e genre musical de l a vidala - l e plus répandu d ' a i l l e u r s à La Rioja -, un genre qui de par sa profondeur et sa portée philosophique implique une c e r t a i n e a t t i t u d e du chanteur. Avec l e mot vidalero r é a l i t é s différentes : d'une part, l ' a u t e u r vise deux l e s accents graves de l a traduisent la t r i s t e s s e du présent de sa région vidala ; d ' a u t r e part, il récupère une a t t i t u d e v i t a l e basée sur un rapport à la nature et un sentiment communautaire qui représentent l'héritage des cultures indiennes. Ces aspects de l a c u l t u r e du Nord-Ouest seront r e f l é t é s et réélaborés dans l e v i l l a g e imaginaire de Federico, l e vidalero, guitare. Il a vu pousser Très golpes de timbal. a passé vingt années de sa vie à f a i r e une l'arbre et attendu le moment de la coïncidence del tiempo y del deseo. Une fois que l e bois est prêt et avant même de devenir guitare, Federico l e f a i t p a r t i c i p e r à toutes l e s fêtes et réunions de la communauté et l e met en contact avec l e s ê t r e s de l a nature. Le bois accepte a l o r s son destin d'instrument de musique car i l p a r t i c i p e de la s o l i d a r i t é de deux mondes : celui de la -397- nature et celui de l a culture. Abattre l ' a r b r e suppose une violence qui est compensée par la noblesse de l a Federico réserve au bois. 5a tâche terminé, nouvelle existence que i l peut a l o r s l u i - a u s s i mourir après avoir confié la g u i t a r e au couple d'amis dont l'enfant à n a î t r e ne sera conçu que pour en jouer : "Anduvo unas semanas vagando por el pueblo, saludando g-ente, mirando las nubes y los cerros, curvas de caminos, limas creclentes, pledras del rio seco, oyendo cantar en las slestas a las ulpishas o palomas del monte, mientras esperaba un moment o propicio para lustrarla, que llegô con el lnvlerno. El dia mes frîo de agosto Fede saliô de su cuarto, cruzâ la calle bajo el vient o y se présenta en la casa de sus veclnos con la guitarra acabada. (...) Me parece que me queda poco hilo en el carretel, asî que se las dejo para que busquen alguien que la toque. Mientras tanto, por 03 favor, cuîdenla mucho. Y el Fede se muriô."'* Ce court r é c i t est l e support d'une conception de l'homme et de l ' a r t qui prend racine dans l e s comportements d'une s o c i é t é vivant en marge de l ' i d é e du profit. La g u i t a r e est exceptionnelle car e l l e est l e r e f l e t d'une vie qui a é t é étrangère à la course à l'argent et au pouvoir propre fabrication d'un à la objet société sont de plus consommation. importantes La création, la que sa possession Federico meurt une fois qu' i l a terminé l a guitare. Un enfant rien que pour en jouer et prend sa place dans l e rapport : naît nature- culture h é r i t é de Federico où l ' o b j e t est porteur de sens et s ' i n t è g r e aux cérémonies par l e s q u e l l e s la communauté s'exprime. Ce passage, en soulignant l'équilibre entre l ' o b j e t produit dans l e cadre d'une c u l t u r e populaire riche de t r a d i t i o n s et l a vie des s u j e t s de c e t t e culture, devient l'antécédent direct -398- des rapports é t a b l i s par les habitants de Minas Altas avec les objets et avec la musique. Jotazeta, enlazador vieil recyclé en astronome, regrette la perte de son habileté et tombe dans le scepticisme. Pour lui redonner le goût de vivre, le Grand Harpiste décide de jeter le piano si cher à la communauté dans les eaux de la rivière. Devant l'éventualité de perdre un objet qui a autant de sens pour tous les siens, Jotazeta reprend son lasso et récupère l'instrument. La récupération est double Jotazeta a surmonté ses craintes en réagissant pour le bien des autres et a récupéré la conscience de son utilité au sein de la communauté. En risquant de perdre le piano, la communauté a été récompensée par la récupération de l'un de ses membres. Dans le paradis imaginaire de Très golpes de timbal, projeté vers le futur et toujours hanté par la violence du passé et du présent, transparaissent les traits de la région des vidaleros, donc de La Rioja. Si Minas Altas est 1'équivalent de cette région, et qu*il faut un voyage dans le temps et dans l'espace pour retrouver l'identité de ses habitants, quel est le résultat de ce voyage en ce qui concerne La Rioja ? Arrivé à l'ancien emplacement de Lumbreras, Eme retrouve les ruines souterraines de la ville ; en se guidant sur les strophes de la chanson et les objets renfermés.dans le coffre qui lui a légué sa mère il peut arriver jusqu' à la tombe de son père. Moyano la décrit comme une tumba de tiro (sépulture indienne où le mort est enterré avec ses objets personnels) : "Eme vio tiritar en el centro de la bôveda enfoscada las partîculas de polvo levantadas or sus pies al apoyarse, -399- tiritar en el chorro de la luz que entraba desde arriba dejando el interior de la tumba en una sombra rojlza(...)Los objetos de barro cocido, suavlzados par los afîos, desprendîan una frescura que anulô de antemano toda crispaciûn. El cuerpo y el ânimo se atemperaban con los objetos y él mismo se sentia pasado, vaslja de barro o ïdolo de lluvla, formas que parecîan soledad pero no io eran, ocupaban su lugar, la contenîan en su orden y quietud, en un sllenclo mezclado a la belleza."**93 Dans la même page, l e s vêtements que Moyano place à côté des objets en t e r r e c u l t e I n c i t e n t a penser que l e mort est un blanc, mais e n t e r r é selon des r i t e s Indiens. L'hypothèse peut aussi s'appuyer sur l ' a s p e c t du visage de la mère qu*Eme choisit au hasard parmi l e s nombreuses photos de mariage - toutes semblables - gardées par un ancien photographe de Lumbreras. Sans l e d é c r i r e directement, Moyano suggère l e visage d'une Indienne : "La novia madré, abarcando toda la pared, era como esos templos que los pobladores precolomblnos dejaron en memorla de los dioses de la lluvia. La facbada, un gran rostro donde la boca era la puerta que daba acceso a un cuarto vacîo, al exilio de una raza, a un sllenclo de SiglOS."*™3 L'hétérogénéité des éléments utilisés pour créer l'espace et le temps du changement récit trouve ici une cohérence intervenu dans l'utilisation qui explique même le du pronom de la deuxième personne du singulier. En faisant apparaître les origines raciales des parents d'Eme, Moyano laisse entendre que les minalteRos découvrent leurs origines dans la violence première du métissage au moment de la - déjà dans El vuelo del tigre colonisation. la chingada ! - renouvelée Ifabu criait : hijos de depuis par la domination des élites -400- blanches surgies au XIXe siècle. Le cenzontle, l'oiseau aux quatre cent voix qui accompagne le groupe musical d* Eme dans son chemin vers les origines est une allusion aux civilisations précolombiennes du Mexique et de l'Amérique Centrale. Les chasquls renvoient à leur tour au souvenir de l'Empire Inca. C'est donc le passé indien de La Rioja, ainsi que ses liens historiques avec les autres pays de l'Amérique Latine, qui est ici rappelé. Minas Altas, reproduit La Rioja, cachée sous les traits de l'histoire d'autres villes et villages du continent habités par les exilés de la misère et de l'oppression, tout comme le narrateur reproduit dans son manuscrit l'histoire de Fâbulo, les personnages, celle des marionnettes et ainsi de suite. Dans ce contexte régionales ont subi quelques traits plus vaste, l'histoire et la géographie un processus d'abstraction qui n'a laissé que en filigrane : le muletier I fait allusion à l'interdiction de faire du commerce avec le pays qui se trouve de l'autre côté de la cordillère parce que tous les produits doivent passer par un port répétés ; lointain. Ondulatorio vient ; le mot de la llanos région des et llanistos Salinas sont Grandes. Parallèlement, dans le but d'insister sur les traits communs à la plupart des régions du continent, Moyano renonce au voseo. Le métissage culturel apparaît symbolisé par les instruments de musique. Les musiciens charango, la caja, la de Minas Altas connaissent seulement le quena mais ils aiment le son du piano ; c'est pourquoi la communauté s'efforce d'en obtenir un afin qu'un jour sa sonorité puissante fasse entendre la chanson du coq blanc. -401- L'évolution de la langue espagnole dans l e Nouveau Monde est aussi évoquée par une a l l é g o r i e . Au moment de p a r t i r du Mirador de los vientos l e narrateur imagine une l e t t r e adressée à Nebrija et tout de s u i t e après, pour désigner l e s objets qu' i l l a i s s e d e r r i è r e l u i , u t i l i s e des américanismes i s s u s des langues indiennes il : "Dilecto sefior mio, le dije en mis adentros : sus palabras slguen titilando en el candil que me alumbra en este borde de la cordillère. A su luz quiero decirle que en cuanto disponga de un répido mulero capaz de llegar con sus alforjas al roquedal de su convento, le devolverê algunas palabras que entre hilachas y lâgrlmas andan deshaciêndose. Iras cinco siglos de andadura necesitan descansar para poder seguir fijando la historia de este pueblo y salvarlo del olvido, seguras de que a su arrimo cuidadoso recuperarân el aura de su allant o, assï para su memoria, como para hablar con los absentes y los que estân por venir." "VI que me sobraban unas palabras que me traspasô Fêbulo, traîdas de sus viajes, que nunca pude usar porque ninguna de las historiés les fue proplcia. Resolvi no llevarlas conmigo, regalérselas a los objetos que abandonaba. A la bôveda le dî mes por su sonido que por su significado la palabra guatambû. (...) A la mesa le régalé un par de ayuyes y la élégante peterlbi para que la usase como sinônimo. * 7 '" Lorsque l ' a v e n t u r e d'Eme s'achève et manuscrit sont complétés, Fâbulo dit : que l a chanson et "Ahora, por fin, le tenemos una patria. " < « - \ Si nous replaçons la phrase dans l e contexte de l'oeuvre de Moyano elle se présente comme l'aboutissement commencée par Ismaél à l a fin de Una luz muy lejana, de l'aventure Moyano donne une fin symbolique à la quête d ' i d e n t i t é de son personnage. La première étape, l e désert de la barbarie, é t a i t un l i e u vide, à peine aperçu à t r a v e r s l'image floue du père de Jacinto, -402- promesse de l ' e x i s t e n c e possible d'autres valeurs. Ce lieu sera précisé progressivement dans les oeuvres suivantes et l'héritage du passé indien sera surtout évoqué à partir de El vuelo del tigre. L'identité aperçue devient identité régionale affirmée et revendiquée comme une manière de faire face au déracinement dans la première étape de l'exil, l'expérience de la souffrance partagée par Cône Sud ouvre dans Libro de navlos... bien que les trois nationalités du un nouvel espace pour la conscience de l'identité latino-américaine. Dans cette deuxième étape, l'élargissement permet à Moyano de trouver de la perspective aux habitants de La Rioja une identité moins conflictuelle. En effaçant les frontières qui séparent la région des autres pays de l'Amérique Latine, l'auteur brise auquel a été condamnée la culture régionale et résout l'isolement le problème de l'exil intérieur. De même, en rappelant les racines indiennes du NordOuest, le roman rappelle aux Argentins continent majoritairement métis. -403- leur appartenance à un Not es (1) J. B. ALBERDI, Obras Complétas, Tomo II, Buenos Aires : La Tribuna Naclonal, 1886-1887, p. 345. Cit. par J. M, MAYER, Alberdi y su tiempo, Buenos Aires : Eudeba, 1963, p. 389. (2) J. MARMOL, Los cantos 1964, p. 140. (3> Ibid., p. 80 (4) Ibid., p. 82 <5> Ibid., p. 163 (6) D. VINAS, Literatura argentina y realidad Aires : Ediciones siglo XXI, 1971, p. 172. <7> J. CORTAZAR, "Pour une idée différente de l'exil", Magazine Littéraire (151-152) septembre 1979, p. 59. (8> M.G0L0B0FF, "Paroles d'exil", juillet-août 1985, p. 44. (9) J. J. SAER, "Paroles d'exil", Magazine Littéraire (221) del peregrino, Buenos Aires : Eudeba, Magazine polîtica, Buenos Littéraire (221) (10) C. FERNANDEZ M0REN0, "De l'immigration à la des-immigrâtion", Les Temps Modernes (420-421) Juillet-août 1981, p. 25. (11) C. FERNANDEZ M0REN0 , "Les illusions de l'amoureux", Les Temps Modernes (420-421) Juillet-août 1981, p. 7. (12) H. CONSTANTINI, "Tango", Casa de las Americas (Afio XXIII 135) noviembre-diciembre 1982, p. 87. (13) C.ULANOVSKY, Seamos felices mientras estamos Aires : Ediciones de la pluma, 1983, p. 69. (14) Ibid., p. 44. -404- aquï, Buenos (15) Ibid., p. 46. (16) El llbro de navïos 1984, p. 18. (17) Ibid., (18) Ibid. p. 36. Ibid. p. 14. (20) Ibid. p. 18. (22) (23) Ibid. Ibid. Ibid. p. 74. p. 313. p. 12. (24) Ibid. p. 17. (25) Ibid. p. 141. (26) Ibid. p. 11. (27) Ibid. (28) (29) (30) Ibid. Ibid. Ibid. borrascas, p. 176. (19) (21) y p. 100. p. 30. p. 9. p. 279. (31) Ibid. p. 207. (32) Ibid. p. 193. -405- Gijôn : Editorial Noega, (33) Ibid.t (34) Ibid. , p. 207. (35) Ibid., (36) J. M. ROSA, Historia Argentlna, 1970, Tomo IV, p. 53. (37) R.FEDERICO, "Cielo nublado por la muerte Todo es Historia (10) febrero 1968, p. 20 (38) T. de IRIARTE, Memorias del General Iriarte. Textos fundamentales. Buenos Aires : Fabrll Edltora, 1962, p. 31. (39) H. S. FERNS, Gran Bretatia y Argentlna en el slglo Aires : Solar/Hachette, 1966, p. 200. (40) J. M. ROSA, op. cit., p. 471. (41) Libro de navïos (42) Ibid., (43) J. C0RTAZAR, Argentlna : atlas de alambradas Barcelone : Muchnik Editores, 1984, p. 30. (44) Libro de navïos..., (45) Ibid., p. 249. (46) Ibid., p. 192. (47) E. R0MAN0, Haroldo Contl : Mascaro, Crltica Hachette, 1986, p. 9. (48) Garcia Marquez a fournit des détails sur les circonstances de la mort de Contl dans la préface à la traduction française de Mascaro. (.Mascaro, le chasseur des Amériques, -406- p. 142. p. 13 ..., Buenos aires : Ed. Oriente, de Dorrego", XIX, Buenos p. 115. p. 124. culturales, p. 270. Buenos Aires : Blblioteca • Paris : Albin Michel, 1982. Trad. d'Annie Morvan). Selon lui, qui tient ses informations de sources extraofficielles : "le père Castellani, alors âgé de quatrevingts ans et qui avait été le professeur d'Haroldo, demanda à Videla l'autorisation de voir son ancien élève. Quoique l'information ne fût jamais publiée, le père Castellani put voir Haroldo à la prison de Villa Devoto le 8 juillet 1976. L'état de prostration dans lequel il le trouva était tel que toute conversation fut impossible. " (49) Libro de navlos..., p. 85. (50) "Haroldo andaba en la luz", Casa de las Amérlcas (XXI-121) julio-agosto 1960, p. 52. (51 > Mascaro, 290. (52) Très golpes de tiabal, (53) Ibîd., p. 17. (54) Ibid., p. 122. (55) Ibid., p. 67. (56) Ibid., p. 11. (57) Libro de navlos y borrascas, (58) Très golpes de timbal, (59) Ibid., p. 235. (60) Ibid., p. 126. (61) Ibid., p. 22. (62) Ibid., p. 184. el cazador americano, La Habana : Casa, 1975, p. Madrid s Alf aguara, 1989, p. 20. p. 134. p. 234. -407- (63) Libro de navlos..., (64) Très golpes de timbal, p. 44. <65) Ibtd., p. 267. (66) Ibtd., p. 241. (67) Llbro de navlos y borrascas, (68) Ibid., (69) Très golpes de timbal, p. 223. (70) Ibid., p. 218. (71) Ibid., p. 238. (72) Ibid., p. 243. p. 145 p. 296. p. 78. -40B- CONCLUSIONS Le 20 mal 1988, l e Journal El paîs p u b l i a i t un a r t i c l e de Daniel Moyano i n t i t u l é Un "sudaca" en la corte. Si T r i c l i n i o avait été i n v i t é à une réception o f f i c i e l l e par l e Roi d'Espagne, Moyano aurait décrit son embarras et ses malheurs dans l e s mêmes termes qu' i l a employés pour p a r l e r de lui-même. Car l e "sudaca" invité à la Cour pour a s s i s t e r à la remise du prix Cervantes à l ' é c r i v a i n mexicain Carlos Fuentes é t a i t bel et bien notre auteur : "Alrededor de 400 escritores espaffoles, marginados como cas! todos los del mundo en estos tiempos, se agolpaban en la plaza de la Armerîa, especie de antesala del palaclo. Yo sentîa que mi figura exterior era casi perfecta : todo en su punto. Hasta los zapatos, que pesé a ser nuevos no chirriaban. El ûnico problème era uno de los calcetines, que se me corrîa hacia la punta del zapato, y esto me hacia perder cierto equilibrio necesario." Après avoir surmonté à grand peine l'embarras, les problèmes vestimentaires et l e moment d i f f i c i l e de la rencontre avec l e Roi, l e sudaca essaie de s'échapper subrepticement de l a s a l l e de réception. Pour terminer cette chronique humoristique rapportant sa première v i s i t e à l a Cour, Moyano a imaginé une rencontre f o r t u i t e entre l u i même et Cervantes : -409- 'En el primer pasillo aprovecho unas estât iras de reyes de otros tiempos para ocultarme detrâs y subirme los calcetines, Justo cuando en el mes lejano corredor que parece conducir a las caballerizas veo a don Miguel medio escondido, que con la ropa de su siglo es un disfrazado sin carnaval. Le pregunto por que no entra. Me dice : -Hombre, porque no tengo traje oscuro." Tel ce Cervantes Imaginaire, sans la tenue de circonstance qui lui aurait permis de participer à la réception du Roi, Moyano a produit la plus grande partie de son oeuvre éloigné de la grande fête officielle de la culture argentine. Et c'est cette quête solitaire dont les critiques et lui-même ont si peu parlé qui transparaît dans ses récits et retrace une aventure fascinante : celle d'un auteur accédant à la fois à la conscience de son métier et des responsabilités qu'il comporte et a celle de son identité latinoaméricaine. Hoyano a entrepris, comme Eme et son double dans le roman - le narrateur de Minas Altas -, un long voyage dans l'espace et dans le temps pour retrouver ce Vaterland qui n'est autre que la Grande, Patria une Amérique Latine si hétérogène et variée qu' elle peut embrasser toutes les patrias chicas, les libérer des frontières politiques et les replacer dans leurs régions culturelles. L'évolution qui commence à partir de Una luz muy lejana peut être perçue dans les contenus et dans les formes. Le voyage de la ville au désert a supposé d'abord l'insertion d'un conte populaire dans la structure du roman. Percevoir le désert c'est aller vers un monde où tradition et histoire se juxtaposent, où la mémoire collective assure la permanence d" un autre temps que le temps historique de la société urbaine. L'alternance de l'histoire d'Ismaël avec les fragments du -410- conte populaire inséré dans le texte, reproduisent ce conflit à l'intérieur même du roman. La deuxième étape, où s'inscrit El vuelo del tigre, est caractérisée par l'apparition du réel merveilleux dans la dernière partie de ce roman. La contiguïté du réel et de l'irréel est légitimée par la présence de la chatte et par la filiation du personnage qui devient le protagoniste des derniers chapitres. Les croyances des ancêtres et les dieux de la brousse évoqués dans le discours d'Aballay renvoient à une conception de l'univers qui écarte les explications rationalistes et relève des mythes anciens. Les circonstances de l'apparition du réel merveilleux dans un récit écrit après l'emprisonnement et l'exil de Moyano et visant à affirmer un espoir de libération, devraient - nous semble-t-il - être prises en compte dans une analyse que ce travail ne s'est pas proposée : celle de la présence progressive dans l'oeuvre de Moyano des éléments appartenant à ce courant de la littérature latino-américaine si peu exploité par la littérature argentine, beaucoup plus portée sur le fantastique ou le réalisme critique. Dans la troisième étape, aux mythes rappelés se substitue le mythe créé pour ouvrir l'espace de l'utopie. Le futur possible naît au moment même où Eme retrouve Lumbreras. Retrouver la ville détruite, c'est rendre possible la construction de la ville du futur. Dans les plaines rasées par la civilisation et devenues le désert de la barbarie, la ville d'une civilisation plus humaine sera bâtie sur les fondements de l'identité retrouvée. C'est pourquoi il nous semble que le roman n'est pas seulement l'étape finale de la quête de l'identité -411- civillzaciôn-barbarie mais une dernière réflexion sur l'opposition maintes fols évoquée par Moyano dans ses récits et source possible de futures recherches. Minas Altas est la première ville mythique de la littérature argentine, une littérature qui a été un grand miroir où Buenos Aires s'est vue mille fois reflétée : la Buenos Aires des rêves fous de Roberto Arlt, la Buenos Aires souterraine de Sâbato avec ses aveugles malfaisants, la ville d'Adan Buenosayres dûppelganger, la ville des guapos et d'Oliveira et son de Borges, des demeures décadentes de Beatriz Guido et de petites couturières de Carriego. Selon Carlos Fuentes, aucune autre ville n'a crié aussi fort : fVerbalîzame ! Si ce cri a vraiment existé, il faut admettre que les écrivains argentins l'ont bien entendu. Buenos Aires a été explorée, fondée et portée par les mots. Avec son dernier roman, Moyano fait sortir du néant et de l'oubli la ville de Ramlrez de Velasco, les llanos de Peftaloza et de Facundo. "Las cosas entrait en lo real buscando las palabras", dit Moyano-Aballay et la magie des mots fonde une Minas Altas qui est à La Rioja ce que Macondo est à Aracataca. La démarche de notre auteur renouvelle le dépassement du régionalisme réussi par Scorza, Rulfo et Garcia Marquez, ce qui constitue dans le cadre de la littérature argentine un événement inattendu car le milieu urbain et les formes choisies pour le recréer - réalisme social, fantastique - n'avaient réalisme critique et presque pas laissé de place à l'expression du régionalisme. La littérature ne fait que reproduire en Argentine le schéma centralisateur imposé par le port et peu d'auteurs se sont insurgés aussi violemment que Moyano contre cet état de choses. La -412- discussion sur l'oeuvre de Moyano et sur la nature de ses liens avec le régionallBine, liens déterminés par l'Insertion tardive de notre auteur régional dans le milieu alors qu' il connaissait déjà les auteurs contemporains argentins et étrangers, peut s'avérer très utile dans le cadre plus vaste de la discussion à peine entamée sur la littérature régionale. Les changements intervenus dans le style sont particulièrement frappants lorsque l'on compare Très golpes lejana. Ce qui était dans le roman de timbal à Ihm luz muy d'apprentissage une timide incursion dans le domaine de la tradition orale devient une ressource exploitée tout au long de la narration dans un roman qui veut être entendu et non seulement lu. Le style du narrateur se confond avec celui de ses personnages pour rappeler que l'auteur n'est pas un être d'exception, qu'il fait partie du monde de ses créatures et qu'elles parlent un espagnol qui n' est pas celui du Rio de la Plata. Le seul roman de Moyano où le parler de Buenos Aires a été partiellement utilisé est Libro de navlos y borrascas. Des personages tels que Sandra, Bidoglio, Ruibal, parlent comme les habitants de la région du Littoral sans toutefois faire appel au lunfardo. Le travail sur le style dans le but de rapprocher la langue de la musique peut être signalé comme un trait distinctif de l'oeuvre de Moyano qui ne se retrouve chez aucun autre narrateur argentin. Dans L'imaginaire, Sartre dit à propos de la Septième Symphonie de Beethoven qu'elle est en dehors du temps et, pour sa part, LéviStrauss signale dans Le cru et le cuit une caractéristique commune au mythe et à la musique : le pouvoir d'immobiliser le temps, de le -413- supprimer. Narrateur aux prises avec le temps, jonglant sans cesse sur la mémoire perdue et retrouvée, Moyano conjugue dans Très golpes timbal de deux formes d'annulation du temps pour rendre possible la vision d'un futur meilleur. Et en cela le roman représente aussi l'aboutissement d'une recherche commencée avec El oscuro et incite à l'analyse de la place occupée par la musique dans les récits de Moyano. L'évolution qui mène des premières nouvelles à Très golpes de Timbal est beaucoup plus qu'une aventure littéraire. Le premier Moyano obsédé par les phantasmes de son propre passé cède la place à un Moyano solidaire des laissés-pour-compte de la société. Une morale de la responsabilité, de la justice et de la liberté, qui se dresse contre la violence institutionnalisée et contre les inégalités s'est substituée à la morale individuelle axée sur la recherche d'une pureté inaccessible, perdue dans les lointains territoires de l'enfance. Les personnages que nous avons rencontrés, éternels apprentis du métier de vivre, apparaissent comme un reflet de leur créateur lorsque l'on retrace l'itinéraire de l'oeuvre. Deux éléments semblent avoir été les moteurs des changements intervenus dans les récits de Moyano : la découverte de la dure réalité de La Rioja et les événements vécus par le pays entre 1966 et 1976. Dans El oscuro apparaît le premier personnage dont le handicap physique symbolise l'impuissance des plus faibles face aux moyens mis en oeuvre par le pouvoir. Don Blas, muet et cloué sur son lit est le premier d'une série de personnages - le dernier étant Contardi dans Libro de navlos y borrascas - à travers lesquels l'auteur montre qu'il est possible de lutter pour la dignité -414- humaine et contre l'humiliation Imposée par les plus forts, même lorsque un handicap majeur nous rend plus vulnérables. Les musiciens arthritiques de Villa Violln, Aballay dans son fauteuil roulant, Contardi, incapable de se tenir debout, compensent l'immobilité et la fragilité de leurs corps imparfaits par un dynamisme moral qui devient exemplaire. Si Moyano a transmis un message d' espoir aux victimes des dictatures il l'a fait surtout par le biais de ces personnages. Il n' y a parmi les protagonistes des récits de Moyano aucun gagnant, aucun homme qui de par sa place dans la société puisse avoir une certaine importance ou se différencier de la moyenne. Victor dans El ascuro n'est pas une exception à la règle : Moyano l'introduit dans le récit au moment où il a perdu son poste et son prestige. Dans la presque totalité de l'oeuvre il n'y a que des hommes simples obligés de se battre contre la démesure du pouvoir - que ce soit celui d'un père tout puissant, d'une ville anonyme se voulant le paradigme de la civilisation demandent ou d'un Etat pas trop : simplement militaire -. Ces personnages ne qu'on entende leurs petites voix et qu' on leur permette de mener leur vie simple de provinciaux dans la liberté, la dignité et la paix ; deviennent les injustices dénoncées par Moyano beaucoup plus frappantes du fait du comportement de ses personnages et de la taille de leurs ambitions. S' ils sont parfois des héros c' est seulement l'agression humbles, fait et la parce qu'ils ont su résister car ils ignorent violence. Cette sympathie de les vaincus et les humiliés se apparaît appel à l'histoire. Pefialoza qui revient Des trois caudillos Moyano pour les évidente lorsqu'il de La Rioja, c'est le plus souvent dans les récits. Moyano semble -415- \d caudillo Illettré et modeste, toujours Inquiet du sort de ses hommes et en conséquence aimé des llanistos, Varela, dont les à Facundo Qulroga et Felipe personnalités appellent plus facilement le romanesque. Les deux derniers romans de Moyano liés entre eux par la quête de l'Identité et par l'incidence de l'exil sur l'écriture sont pourtant très différents. Nous avons Llbro 1'intertextualité dans fréquentes interventions commentaires sur déjà signalé de navîos du narrateur l'histoire et sur y que la borrascas ponctuant présence de ainsi que les le récit les personnages, de ses étaient des ressources que l'auteur n'avait jamais exploitées auparavant. Le type de personnage est aussi une nouveauté. Pour la première fois il s'agit de musiciens, de peintres ou de professionnels abordant des sujets de conversation étrangers aux soucis des personnages des romans et des nouvelles précédents. Très golpes de timbal prend un chemin divergent aussi bien dans la forme que dans le sujet et s'aventure dans l'espace du mythe. Moyano créé des personnages à certains aspects semblables à ceux de El vuelo del tigre mais ayant été soumis à un processus d'abstraction qui les transforme en archétypes. Les deux récits se présentent donc comme deux possibilités presque opposées de continuation de l'oeuvre. En outre, 1'insertion de Moyano dans la société espagnole peut entraîner des changements significatifs dans son écriture et faire apparaître des sujets et des formes nouvelles qui n'ont pas été annoncés par l'oeuvre précédente. La Rioja métamorphosée en Minas Altas pourrait devenir l'équivalent de la Santa Maria d'Onetti, une -416- ville mi-réelle, mi-imaginaire, créée par l'écrivain pour faire vivre ces pequefias Très golpes de timbal cosas de terrôn continuer à qui ont donné naissance à ; elle pourrait aussi être remplacée par le lieu réel de l'exil dans lequel un sudaca commence une nouvelle étape de son apprentissage. Triclinio, dans la cour du Roi d'Espagne, pourrait nous réserver quelques surprises... Nous avons choisi pour l'analyse de l'oeuvre de Moyano une perspective liée au cadre historique et culturel de l'Argentine. Mais l'oeuvre de Moyano dépasse largement un tel cadre. L'écrivain portugais Miguel Torga donne une définition de l'universel qui nous semble parfaitement adaptée à la démarche de Moyano : "L'universel, c'est le local moins les murs. M < 1 » Les histoires et les personnages de Moyano ne restent pas enfermés dans les murs des circonstances historiques et géographiques qui ont marqué la vie de l'auteur et l'oeuvre admet et suscite même une pluralité de lectures qui est la preuve de sa richesse. (1) L'universel, c'est le local moins les Blake and Co. et Barnabooth Edit., 1986. -417- murs, Bordeaux : William BIBLIOORAPHIE BIBLIOGRAPHIE Oeuvres de D a n i e l Moyano Romans Una luz muy lejana, Buenos Aires : Edltorlal Sudamerlcana, 1966. Una luz muy lejana, La Rloja : Edltorlal Alclôn, 1985. El oscuro, Buenos Aires : Edltorlal Sudamerlcana, 1966. £2 trino del dlablo, Buenos Aires : Edltorlal Sudamerlcana, 1974. El trino del dlablo y otras modulaciones, Barcelona : Edlclones B, 1988. 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