COLLECTION PROGRAMME INTERNATIONAL DE FORMATION D’EDUCATEURS POPULAIRES FORMATION PÉDAGOGIQUE Comment apprenons-nous? Comment apprenons-nous? Gabriela Alejandra Fairsten Silvanna Gyssels fondation sainte marie 3 370.15 Fai. Comment apprenons-nous? Caracas: Fédération Internationale? Foi et Joie, 2003 80 p.; 21,5 х 15 cm. ISBN: 980-6418-45-X Théorie de l’apprentissage, processus cognitifs, types d’apprentissages et stimulation de l’apprentissage Collection «Programme International de Formation des Éducateurs Populaires». Equipe éditoriale: Antonio Pérez Esclarín María Bethencourt Dimension: Pédagogie Fascicule: Comment apprenons-nous? Auteur: Gabriela Alejandra Fairsten et Silvanna Gyssels Conception et diagramme: Nubardo Coy Page de couverture et illustrations: William Estany Vázquez Traduit de l’ espagnol par: Fanny Robert et Marie Bailloux Edition et distribution: Fédération Internationale Foi et Joie Esquina de Luneta, edif. Centro Valores, Piso 7 Altagracia, Caracas 1010-A Venezuela. Téléphone: (58-212) 5645624 / 5645013 / 5632048 Fax: (58-212) 5646159 Site Internet : www.feyalegria.org © Fédération Internationale Foi et Joie et Fondation Sainte Marie Dépôt légal: If 603 2003 370 2020 ISBN: 980-6418-47-6 Caracas, juillet 2003 Publication réalisée avec l’aide de: Fondation Sainte Marie (FSM), Centre Magis Agence Espagnole de Coopération Internationale (AECI) Comment apprenons-nous? «Nos élèves ne peuvent être des dépôts d’éléments pensés et découverts sinon des explorateurs potentiels d’éléments nouveaux.» P. José María Vélaz s.j 5 PRÉSENTATION Le «Programme International de Formation des Educateurs Populaires» est né de la nécessité d’apporter dans tous les pays où Foi et Joie est présente une réponse adéquate à la mobilisation d’une éducation populaire intégrale cohérente et articulée. Dans cette brève présentation, je souhaite mettre en relief trois caractéristiques fondamentales concernant l’éducateur, sa tâche et sa formation. • Etre éducateur de Foi et Joie est un défi permanent et exige un effort continuel pour être une personne en plenitude. L’éducateur devient alors un être précieux, dans la mesure où il se sent capable de s’engager et de s’efforcer pour les autres, en particulier pour les pauvres et les plus fragiles. • L’acte d’éduquer est un acte vital de dévouement pour aider à construire et sauver des vies. Il s’agit, par son biais, de former des hommes et des femmes dignes et qui soient capables de vivre pleinement, en assumant leurs responsabilités de citoyen. • L’éducateur se forme à travers son propre processus de création de connaissances et de solutions aux problèmes rencontrés au sein de sa pratique personnelle. Il se forme dans un acte conscient et réflexif de sa pratique. La Collection est structurée autour des trois grands axes de la Proposition formative de Foi et Joie. 1. La formation humaine de l’éducateur. Configuration d’une nouvelle identité 2. La formation socio-politico-culturelle. Compréhension des réalités locales et mondiales. 3. La formation pédagogique. La construction du sens de l’éducatif et du pédagogique. 6 Comment apprenons-nous? Les travaux de cette Collection ont avant tout été conçu pour aider au travail méticuleux et exigeant, individuel et collectif, des éducateurs de Foi et Joie. Mais il est bien évident que nous serions enchantés par le fait que son utilisation s’étende à tous les éducateurs désireux de s’engager dans l’éducation des pauvres de leurs pays. La seule lecture de ces textes, même si je suis convaincu qu’elle sera d’un grand apport, n’est pas la voie conseillée pour extraire la richesse méthodologique et conceptuelle qu’ils renferment. Mes meilleurs vœux à tous les éducateurs de Foi et Joie, et en particulier je leur souhaite de prendre plaisir à leur formation. Je leur souhaite que ce processus de reconstruction de soi même et de préparation à la magnifique tâche d’éduquer nos enfants, jeunes et adultes, soit réalisé pour chacun dans la joie. Je sais que cela exigera de donner le meilleur de nous-même mais nous, éducateurs savons bien qu’en donnant la vie, nous en recevrons aussi en abondance. Je connais de très près l’énorme travail qu’a demandé la structuration de ce programme et ce qu’a représenté, et représente encore l’élaboration des textes et des stratégies. L’effort des équipes pédagogiques de la Fédération Internationale de Foi et Joie, conjointement avec le travail des spécialistes qui ont élaboré chacun de ces thèmes, donnera lieu à une fin heureuse. Cet effort n’aurait jamais été une garantie de réussite sans le travail de direction ardu et systématique d’Antonio Pérez Esclarín y de María Bethencourt. Au nom de Foi et Joie, toute ma reconnaissance et mes remerciements chaleureux. Que le Seigneur nous bénisse dans notre effort constant pour donner vie et tranquillité à nos peuples. Jesús Orbegozo Coordinateur Général Federación Internacional Fe y Alegría. Caracas, l 5 septembre 2002 7 INTRODUCTION Cette brochure intitulée «Comment apprenons-nous?» a pour objectif de sensibiliser aux explications théoriques sur l’apprentissage. Nous considérons ici le processus propre aux êtres humains. Il est destiné aux professeurs et aux éducateurs des divers domaines et niveaux de l’enseignement. Il s’agit de l’apprentissage au sens large et ne se réfère à aucun âge en particulier. Pour son élaboration, nous avons rassemblé les connaissances les plus validées jusqu’à maintenant et les plus actualisées dans les diverses branches des sciences de l’apprentissage. Cette brochure vise à expliquer l’apprentissage en tant que processus et non à exposer des théories particulières. Pour cela, nous avons utilisé des connaissances provenant de différentes théories, en tentant d’offrir une explication intégrale. A la fin de ce livret, le lecteur intéressé trouvera un glossaire des théories de l’apprentissage, organisé selon un critère académique, qui différencie les théories les unes des autres. La brochure est composée de cinq chapitres qui abordent les différentes dimensions de ce phénomène, étudiées du point de vue de la psychologie et de l’anthropologie. Le premier chapitre présente une explication générale de l’apprentissage et fonctionne comme une introduction aux chapitres qui suivent. Le second, «la disposition pour apprendre», analyse les aspects émotionnels et culturels en relation avec l’acte d’apprendre. Le chapitre 3, quant à lui, explique le processus cognitif responsable Introduction 9 de l’apprentissage. Le quatrième offre une distinction entre les différents types d’apprentissage. Enfin, le cinquième et dernier chapitre aborde la problématique relative à la stimulation de l’apprentissage. A la fin de chacun de ces chapitres, des activités théoriques et pratiques sont proposées, elles permettent de travailler et d’élaborer les contenus abordés. 10 Comment apprenons-nous? CHAPITRE 1 ¿Qu’est ce que l’apprentissage? Avant tout, ce livret proposé aux lecteurs doit permettre un temps de réflexion sur ce qu’ils pensent de l’apprentissage. ▪ Apprendre, est-ce une action ou un processus mental? ▪ Que se passe-t-il dans la tête d’une personne qui apprend? Apprend-on d’un seul coup ou par étapes? Est-il nécessaire de comprendre pour apprendre? ▪ Peut-on modifier ce que l’on a appris? ▪ Est-ce qu’apprendre est une question de volonté? Y a-t-il des gens qui veulent apprendre et n’y arrivent pas? Pourquoi cela? Y a-t-il des gens qui refusent d’apprendre alors qu’ils le pourraient parfaitement? Commentez ces questions en groupe et après avoir lu la brochure, analysez celles qui peuvent être confirmées et au contraire celles qui ont été invalidées. ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 11 1.1. Pourquoi une brochure sur l’apprentissage? Pour un éducateur, le terme «apprentissage» n’est pas nouveau: sa condition d’enseignant le confronte quotidiennement à l’apprentissage. Son rôle est d’ailleurs de promouvoir l’apprentissage de ses élèves. Ce livret vise à expliquer et à analyser certaines caractéristiques de ce phénomène. Nous avons préféré commencer par une question: pourquoi est-il utile à l’enseignant de savoir ce que signifie apprendre? Quelle est l’utilité pratique de la connaissance théorique de l’apprentissage? Nous pourrions dire que cela est aussi utile à l’enseignant que la connaissance de l’anatomie et de la physiologie pour le médecin. Depuis des siècles, l’homme a développé des techniques pour soigner les malades, comme il a développé des techniques pour l’éducation des personnes. Dans ces deux cas, il s’agit de techniques qui ont un impact sur des phénomènes invisibles et pas suffisamment connus. Le fonctionnement du corps humain, tout comme les processus mentaux qui permettent à certains d’apprendre et à d’autres non, a été durant des siècles un mystère pour l’humanité. Les sciences médicales ont énormément avancé et de nos jours, le corps humain est chaque fois moins un «mystère». La connaissance du corps humain représente un outil extrêmement précieux pour les médecins. Si nous avons peu de moyens techniques, mais une connaissance profonde de ce phénomène, même les techniques les plus pauvres peuvent nous apporter d’excellents résultats. De telle façon que la connaissance théorique fonctionne comme un outil. Les théories fonctionnent comme des outils, tout comme une pelle: nous pouvons creuser un puits de nos mains mais avec l’aide d’une pelle nous y réussiront bien mieux. Dès maintenant, nous croyons qu’il est inutile d’insister sur les raisons de l’utilité des connaissances théoriques sur l’apprentissage: elles nous servent à avoir un meilleur impact sur l’apprentissage. Mais pourquoi donc il ne vient pas à l’esprit des médecins qu’ils pourraient faire abstraction des connaissances théoriques pour soigner et qu’en revanche, nous autres éducateurs estimons qu’il s’agit de «pure théorie», éloignée de la pratique? Il y a de multiples réponses à cette interrogation. 12 Comment apprenons-nous? La première résulte du fait que la connaissance médicale est plus ancienne et plus prestigieuse. La psychologie, qui est la science qui étudie l’apprentissage, est née il y a un peu plus d’un siècle et bénéficie d’un moindre statut. D’autre part, la médecine peut démontrer que ses théories sont vérifiables et l’application d’une théorie donne des résultats rapidement visibles. En revanche, la connaissance sur l’apprentissage provient de sciences qui ne sont pas exactes, des sciences telles que la psychologie, la psychopédagogie, l’anthropologie et la sociologie. Pour ces disciplines, la véracité d’une théorie ne peut pas être prouvée au moyen d’une expérience les résultats sont souvent invisibles ou à long terme. Voyons maintenant la seconde raison pour laquelle les éducateurs considèrent parfois qu’ils n’ont pas besoin de connaissances théoriques. Il s’agit d’un motif de raison sociopolitique. Retraçons un peu l’histoire de l’enseignement. Tout au long des siècles, l’humanité a assumé la tâche de l’éducation de toutes les générations, les jeunes et les moins jeunes. Mais qui éduquait-on? Eduquait-on tout le monde ou seulement les élites sociales? Y avaient-ils des élèves qui n’apprenaient pas? Que faisait-on pour eux? La réalité veut que pendant des siècles, l’apprentissage ne soit pas un problème: le maître enseignait et si un élève n’apprenait pas, c’était son problème, jamais celui du professeur. Aujourd’hui, ce qui nous intéresse est l’éducation de tous: de ceux pour qui il est facile d’apprendre et de ceux pour qui cela est plus difficile. C’est pourquoi, nous, éducateurs populaires optons pour les élèves les plus faibles et les plus démunis. Nous disposons aujourd’hui de connaissances scientifiques pouvant nous aider à mieux accomplir notre tâche. Certains pourront penser que ces connaissances ne leur font pas défaut et que seule l’intuition est suffisante. D’autres pourront considérer qu’éduquer est un art et qu’ils le font assez bien. Il est vrai que l’éducation est composer de beaucoup d’art et d’intuition, mais faire abstraction de cet outil fondamental que constitue la connaissance théorique est une erreur. Nous pouvons toujours savoir plus quant au processus complexe de l’apprentissage et nous pouvons toujours perfectionner nos pratiques. Les théories de l’apprentissage ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 13 offrent à l’éducateur un outil inestimable: connaître les mécanismes internes de l’apprentissage. 1.2. Comment se préparer pour apprendre la théorie de l’apprentissage? Revenons à ce que nous avons signalé plus haut: pour un éducateur, «l’apprentissage» n’est pas une nouveauté; cela fait partie du sens commun de la plupart des personnes. Ceci signifie qu’aucun d’entre nous, face à la question «qu’est-ce qu’apprendre?» répondrait l’ignorer. En revanche, face à la question: «qu’est-ce que la suspension pneumatique?», beaucoup d’entre répondrait ne pas savoir ou ne jamais avoir entendu ces mots. L’idée de l’apprentissage fait partie de notre sens commun et en ce qui concerne les éducateurs, il fait partie du «sens commun pédagogique»; c’est une pratique transmise de générations en générations. C’est ainsi que lorsque nous prétendons acquérir de nouvelles connaissances sur ce qu’est l’apprentissage, nous aurons forcément à l’esprit ce que nous savions déjà à ce sujet. Les nouvelles connaissances viendront contredire ou confirmer ce que nous savions déjà. Souvent, la connaissance du sens commun nous empêche de comprendre les nouvelles connaissances en profondeur. D’habitude, le sens commun dénature les connaissances et les accommode aux résultats; il se transmet de bouche à oreille et n’est soumis à aucun type de vérification. Il en va de même pour le «sens commun pédagogique». La sociologie de l’éducation a démontré qu’il y avait certaines connaissances pédagogiques, certaines traditions, qui se transmettent d’une génération d’éducateurs à l’autre, de manière implicite et même si le développement de nouvelles connaissances les mettent en question, cela ne change rien. Nombreuses de nos idées sur l’apprentissage, idées que nous sentons «nôtres», ne sont pas nos créations spontanées. Elles ne dérivent pas de notre expérience mais elles ont été apprises de manière implicite à partir de notre contact avec le monde de la pédagogie. Par exemple, pendant des siècles, les éducateurs estimaient que le fait de «ne pas apprendre» était dû à un problème de l’élève. Cette idée, bien que nous sachions consciemment qu’elle est erronée, demeure implicitement dans notre pensée. 14 Comment apprenons-nous? 1.3. L’apprentissage: un processus interne Pendant longtemps, on a considéré que l’apprentissage consistait en l’acquisition de nouvelles conduites et que la meilleure méthode pour qu’une personne développe une nouvelle conduite était de la lui montrer. Cette conception de l’apprentissage par «l’observation et la répétition» est très enracinée dans notre sens commun. Même si certains apprentissages s’effectuent ainsi, la plupart des apprentissages importants pour les êtres humains, tels que les connaissances et les raisonnements, ne s’acquièrent pas de cette manière. Voilà quelques chose que nous, éducateurs savons bien: il y a des élèves qui n’apprennent pas, malgré le fait qu’on leur montre les conduites et comment faire. En réalité, l’apprentissage humain des connaissances et des raisonnements est un processus interne, que l’on acquiert ni par l’observation, ni par la répétition. C’est un processus et sa réalisation n’est donc pas immédiate. Il s’agit d’un processus interne et pas seulement de reproduire des conduites. Apprendre implique donc de modifier les connaissances et les formes de raisonnements préalables. Ceci prend du temps et est difficile non seulement parce que c’est complexe mais aussi parce que cela implique de désapprendre les connaissances et les raisonnements antérieurs. 1.4. Qu’est-ce qu’ «apprendre» pour les êtres humains? Le processus d’apprentissage s’effectue en personnes ayant des histoires et des vies. Des histoires d’échecs ou de réussites, d’amour ou d’abandon, de succès ou de frustrations, de joie ou de tristesse. Toutes ces émotions peuvent jouer en faveur ou à l’encontre d’un bon développement du processus d’apprentissage. Parfois, nous, éducateurs, ne tenons pas en ligne de compte combien cela peut être difficile pour quelqu’un de se connecter avec sa pensée ou de faire fonctionner son cerveau pour se disposer à apprendre quelque chose de nouveau. Réfléchissons sur nousmêmes, un instant: nous, éducateurs, qui sommes des experts de l’apprentissage de choses nouvelles, si nous nous trouvons dans une ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 15 situation extrême, par exemple, un deuil, serions-nous en condition d’apprendre quelque chose de nouveau? L’apprentissage est l’un des processus les plus complexes opérés par l’homme (c’est pourquoi il est si difficile de le décoder). La complexité de ce processus interne réside justement dans le fait qu’il implique la personne dans toutes ses dimensions: celles de l’affectivité, du cognitif et du social. Apprendre implique un changement. Je vais passer du «non savoir» au «savoir». D’être «quelqu’un qui ne connaît pas quelque chose», je vais devenir «quelqu’un qui connaît ce quelque chose». Cela signifie que l’apprentissage implique et remet en scène l’identité même de la personne. Elle implique en plus les aspects émotionnels liés à la peur du changement, à la sensation de sécurité qu’apporte la stabilité. N’avez-vous jamais eu peur ou manifesté une résistance à apprendre quelque chose de nouveau: conduire, patiner, nager, faire du cheval, parler une autre langue ou utiliser un ordinateur? Le processus d’apprentissage se déroule au sein des personnes. Mais chacun de nous a sa propre histoire. A partir de notre histoire, nous donnons un sens et une signification à l’apprentissage. Si nous avons grandi au milieu d’un groupe humain qui nous a stimulés et encouragé à apprendre de nouvelles choses, nous aurons alors certainement une bonne prédisposition pour continuer à apprendre. En revanche, si nous avons grandi dans la crainte d’apprendre, il nous sera sûrement un peu plus difficile de réussir ce processus. Croire en l’apprentissage est relié à une conception philosophique et une attitude face à la vie, étant donné qu’apprendre implique une ouverture sur le futur. 1.5. Qu’est-ce que l’apprentissage? L’apprentissage est un processus psychologique (également appelé psychique ou mental), ce qui veut dire qu’il se réalise à l’intérieur de l’esprit ou du psychisme. Nous différencions les processus psychologiques des processus biologiques. Mais tous les processus psychologiques ont une base biologique. Parler ou apprendre, par exemple, sont des processus psychologiques. La base biologique du processus de la parole est le mouvement des 16 Comment apprenons-nous? cordes vocales. Dans ce cas précis de l’apprentissage, la base biologique est issue des connexions neurologiques qui se produisent dans le cerveau. Dans cette brochure, nous allons expliquer le processus psychologique de l’apprentissage. Nous ne nous attarderons pas sur sa base biologique. Néanmoins, il faut toujours avoir à l’esprit que des processus organiques, tels que la maturité et la croissance mais aussi le sommeil, l’alimentation et la santé interviennent dans l’apprentissage. La croissance: Les enfants n’apprennent pas de la même façon que les adolescents, les adultes ou les personnes âgées. A chaque étape de la vie correspondent des possibilités et des capacités différentes. La maturité: Les étapes évolutives sont liées à la maturité mais aussi à la stimulation. Comme nous le verrons plus loin, l’intelligence peut être stimulée. L’alimentation, le sommeil et la santé: La capacité d’attention, celle de concentration et de réflexion, indispensables à l’apprentissage, requièrent un organisme sain, reposé et bien nourrit. Si une personne en deuil ne peut pas apprendre, une personne en souffrance, ayant faim ou sommeil ne peut pas non plus apprendre. Les éducateurs doivent toujours tenir en considération ces facteurs organiques de chacun de leurs élèves. La base biologique ou organique est la condition primordiale pour qu’il puisse y avoir un apprentissage. Dans cette perspective, tel qu’il est signalé dans la brochure de la même collection sur l’Education Populaire, il faut garantir de bonnes conditions d’alimentation, de santé, de récréation, de sommeil... aux élèves, afin pour qu’ils puissent apprendre. Dans cette brochure nous nous limiterons à une explication de l’apprentissage en tant que processus psychologique. 1.6. Les processus psychologiques Les processus psychologiques sont tous internes et imperceptibles, parce qu’il s’agit de processus mentaux. Les résultats de ces processus sont les conduites, qui sont, elles, en revanche, observables. Dans l’exemple antérieur, bien que la parole et l’apprentissage se passent dans la tête, leurs produits ou leurs résultats sont observables car ils se manifestent au moyen de conduites. ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 17 Parmi les processus psychologiques, il est possible d’en différencier plusieurs types. Nous souhaitons distinguer, de manière simple, différents types de processus psychologiques: ▪ Les processus émotionnels. ▪ Les processus cognitifs. ▪ Les processus psychosociaux. Les processus émotionnels sont ceux qui sont liés au monde de l’affect ou des sentiments du sujet. On les appelle généralement les processus affectifs. Les processus émotionnels sont les principaux responsables de la formation de la personnalité et de la construction de l’identité. Nous appellerons développement émotionnel le processus de formation de la personnalité et de la construction de l’identité. Les premières années de vie de l’être humain sont déterminantes pour son développement émotionnel étant donné que c’est cette étape qui pose les bases de sa personnalité, en partant des premières relations que le bébé va établir avec son entourage et avec le monde. Les processus cognitifs sont ceux qui sont en relation avec la formation et la mise en marche des capacités intellectuelles. Ils sont aussi généralement appelés processus intellectuels. Ils sont les principaux responsables de la construction de l’intelligence du sujet. Nous appellerons «développement cognitif» le processus de construction de l’intelligence. Enfin, les processus psychosociaux sont ceux qui interviennent dans la vie du sujet, autour de ses relations, que ce soit avec les personnes, les objets ou les connaissances. Les processus psychosociaux interviennent donc tout autant dans le développement de la personnalité que dans le développement de l’intelligence. On considère comme développement psychosocial du sujet le développement de ses capacités de relations positives et bénéfiques avec son milieu, ainsi que de ses capacités de d’exploiter les bienfaits de cette relation au plan émotionnel et cognitif. Les trois types de processus (émotionnels, cognitifs et psychosociaux) sont étroitement liés entre eux. Nous les différencions seulement pour mieux les comprendre, mais dans le développement humain tous les processus s’enlacent comme les mèches d’une tresse. Tous les progrès effectués ou les obstacles rencontrés dans l’un 18 Comment apprenons-nous? de ces processus auront des conséquences sur les deux autres. Quelle est la relation entre les processus émotionnels et les processus cognitifs? Les processus émotionnels sont l’essence qui fait fonctionner le moteur des processus cognitifs: mettre notre intelligence au service de la connaissance commence par le désir de vouloir acquérir cette connaissance. Mais cette correspondance peut aussi s’avérer négative, et les processus émotionnels peuvent devenir des obstacles ou interférer avec les processus cognitifs. Dans ce cas, notre intelligence reste paralysée pour des raisons ayant à voir avec nos émotions (souvenons-nous de l’exemple d’une personne en deuil qui peut difficilement apprendre). D’autre part, une fraction de tous les processus psychologiques (émotionnels, cognitifs, et psychosociaux) peut être consciente mais une autre partie demeure occulte, y compris pour nous même. «Je ne sais pas comment j’ai fait», «je ne sais pas ce que je ne comprends pas», «je ne sais pas pourquoi je ressens de la tendresse pour cette personne», sont des exemples de situations quotidiennes qui démontrent que nous percevons une partie du processus psychologique alors que l’autre reste occulte. Ces aspects occultes des processus psychologiques sont dits «inconscients» et il y a un aspect inconscient dans tous les processus émotionnels, cognitifs et psychosociaux. Les aspects inconscients sont très importants parce qu’ils influencent beaucoup nos conduites et nous ne pouvons pas intentionnellement les dominer: face à «je ne sais pas pourquoi je n’aime pas cette personne» je ne peux pas me forcer à l’apprécier. Résumons ce que nous avons dit jusqu’ici sur les processus psychologiques: ▪ On ne peut pas observer les processus psychologiques, seulement voir leurs résultats qui sont les conduites. ▪ Nous pouvons distinguer les processus émotionnels, cognitifs et psychosociaux. Mais cette distinction sert seulement à mieux les comprendre. Dans la vie, tous les processus s’enlacent comme les mèches d’une tresse. ▪ Les processus psychologiques ont tous une fraction que nous pouvons consciemment contrôler et une autre incontrôlable. ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 19 1.7. Apprentissage: «disposition émotionnelle à apprendre» + «processus cognitif d’apprentissage» A partir de l’explication donnée des processus psychologiques, nous pouvons désormais nous demander: Quel type de processus est l’apprentissage? Certains lecteurs auront certainement déjà pensé que l’apprentissage est un processus de type cognitif. Ils ont raison mais seulement partiellement. L’apprentissage est une activité beaucoup plus complexe qu’un simple processus cognitif. Le processus cognitif de l’apprentissage requiert une condition préalable de type émotionnel. Pour son fonctionnement, le processus cognitif de l’apprentissage requiert le déclenchement d’une prédisposition de caractère émotionnel. L’apprentissage implique un processus cognitif + une disposition émotionnelle. Nous expliquerons brièvement ces deux aspects qui seront analysés en profondeur dans les chapitres suivants. La disposition émotionnelle: cette prédisposition est inconsciente et elle est liée aux sentiments et aux émotions que réveille chaque situation d’apprentissage chez une personne qui peut la ressentir de façon différente selon: ▪ Ses expériences d’apprentissage antérieures, si celles-ci lui ont laissé de bons ou de mauvais souvenirs. ▪ Sa situation d’apprentissage actuelle, si celle-ci lui génère confiance et sécurité. Tous simplement, nous pourrions dire que pour pouvoir apprendre, je dois me sentir accepté et à l’aise dans «cette situation d’apprentissage». La disposition émotionnelle à apprendre est tellement importante qu’elle est responsable de la majeure partie de ce qu’on appelle «les problèmes d’apprentissage». Dans le chapitre 2 de cette brochure nous expliquerons comment fonctionne la disposition à apprendre. Le processus cognitif: une fois que la personne se trouve «prédisposée à apprendre», le processus cognitif d’apprentissage peut se mettre en marche. Comment fonctionne ce processus cognitif? Du point de vue cognitif, l’apprentissage ne consiste 20 Comment apprenons-nous? pas à intégrer des connaissances dans le vide mais à modifier des connaissances antérieures. Face à chaque nouvel apprentissage, l’esprit ne fonctionne pas comme une feuille blanche sur laquelle s’inscrivent les nouvelles connaissances mais comme un organisme vivant, dans lequel toute nouvelle incorporation va se mêler aux connaissances antérieures. Le processus cognitif de l’apprentissage consiste en un processus de changement. De la même manière qu’un organisme incorpore les aliments, l’esprit incorpore les connaissances, à partir d’une correspondance avec les éléments qu’il possède déjà. C’est pour cela que certaines personnes peuvent intégrer plus facilement que d’autres certaines connaissances ou bien les déformer voire même les rejeter. Dans le chapitre 3 de cet ouvrage nous expliquerons comment fonctionne le processus cognitif de l’apprentissage. En résumé, l’apprentissage implique une prédisposition de type émotionnel et un processus de type cognitif. Les processus psychosociaux sont présents dans ces deux aspects de l’apprentissage, puisque la prédisposition émotionnelle tout comme le processus cognitif se développent au sein de la relation sociale. Pour pouvoir établir des relations sociales fécondes, tout le monde a besoin d’un environnement proche et familier. Nous pourrions dire que pour pouvoir apprendre, nous devons au préalable établir un dialogue culturel, un aspect qui a été amplement travaillé dans certaines des brochures antérieures. Pour résumer, nous pourrions illustrer l’activité humaine appelée «apprentissage» par le croquis suivant: Dialogue culturel Disposition émotionnelle Processus cognitif Fondement biologique pour l’apprentissage ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 21 Le graphique nous montre que, pour atteindre le processus cognitif, nous devons accéder aux deux autres dimensions de la personnalité. En tant qu’éducateur, pour pouvoir établir un dialogue cognitif avec l’autre, je dois, avant tout, établir un dialogue culturel et émotionnel. En tant qu’éducateur, nous devons considérer que chaque personne est différente et que les motifs et les systèmes qui permettent le fonctionnement de sa prédisposition émotionnelle et de son processus cognitif sont également particuliers. Nous pourrions dire que chaque personne possède une matrice d’apprentissage conformée par des dimensions cognitives, émotionnelles et psychosociales qui se sont configurées tout au long de son histoire de vie. «Nous définissons comme matrice ou modèle d’apprentissage, la modalité par laquelle chaque sujet organise et représente l’univers de son expérience, son univers de connaissances. Cette matrice ou modèle est una structure complexe et contradictoire ayant une infrastructure biologique. Elle est socialement déterminée et inclut non seulement les aspects conceptuels mais aussi les émotions, l’affectivité et les schémas d’action. Ce modèle construit durant notre trajectoire d’apprentissage, synthétise à tout moment et en tout lieu nos potentialités et nos obstacles. Ces matrices ne constituent pas des structures fermées, mais plutôt une gestalt, une structure en mouvement, susceptible de modification, en excluant les cas de pathologies les plus extrêmes»1 (Quiroga A. (1986) cité dans Pasel S. 1990). 1 Quiroga A., (1986), en espagnol, «Enfoques y perspectivas en psicología social» (Mises au point et perspectives en psychologie sociale), Buenos Aires, Ediciones Cinco, cité dans Pasel S., (1990) Aulataller. Buenos Aires, Aique, 3º Edición, p.17. 22 1.8. Apprenons-nous tous de la même manière? Nous avons décrit l’apprentissage d’une manière unique, comme si tous les apprentissages étaient égaux. Mais, en réalité il existe différents types d’apprentissage. Pensons un instant aux apprentissages suivants: apprendre à marcher, à additionner, à soustraire ou encore apprendre à cuisiner. Quelles sont les différences entre tous ces apprentissages? Commençons par signaler qu’il y a des apprentissages que nous ne réalisons pas intentionnellement, sans nous en rendre compte, ce sont les apprentissages non intentionnels. Il s’agit de ceux dont nous ne pouvons pas dire quand, ni comment nous les avons acquis et qui n’ont pas impliqué de notre part de faire des Comment apprenons-nous? efforts pour leur acquisition. Nous pourrions dire que nous les avons appris sans nous en rendre compte. En revanche, en ce qui concerne les apprentissages intentionnels, il y a, comme son nom l’indique, une intention de notre part. Dans ce type d’apprentissage, la personne se rend compte du fait qu’elle est en train d’apprendre, elle a conscience et la volonté d’apprendre. Pour ce type d’apprentissage nous devons (plus ou moins) nous efforcer d’apprendre. La majeure partie des apprentissages que nous réalisons durant notre petite enfance est non intentionnelle. Au fur et à mesure de notre croissance, nous commençons à réaliser des apprentissages intentionnels. Cela ne signifie pas que nous cessons les apprentissages non intentionnels: durant toute notre vie, nous continuons à apprendre beaucoup de choses sans nous en rendre compte et sans avoir conscience du fait que nous sommes en train d’apprendre. Le type d’apprentissage qui intéresse les éducateurs est l’apprentissage intentionnel. Dans cette brochure nous nous sommes référés et nous référerons exclusivement à ce type d’apprentissage. Penchons-nous un peu plus en détails sur le thème des différences. En ce qui concerne les apprentissages intentionnels, nous avons inclus des exemples très différents les uns des autres. Quelle différence y a t-il entre apprendre à préparer un plat cuisiné après l’avoir dégusté chez un ami... et apprendre à additionner et à soustraire à l’école? Quelle différence y a t-il entre apprendre à conduire à côté de notre frère aîné et apprendre la géographie? Nous pourrions continuer à donner des exemples. Ce que nous voulons mettre en relief est la différence de contexte, (ou de situation), dans lequel l’apprentissage se réalise: nous réalisons certains apprentissages intentionnels dans des contextes informels et d’autres dans des contextes institutionnalisés. Les apprentissages en contextes informels s’acquièrent d’une manière assez semblable aux apprentissages non intentionnels: ils ne requièrent que peu d’efforts et même s’ils nous en coûtent, ils nous intéressent. La présence d’une personne pour nous encourager n’est pas nécessaire puisque la disposition pour apprendre s’active de façon spontanée. Par contre, les apprentissages en contextes institutionnels demandent plus d’efforts car ils ne sont pas motivés par notre intérêt. C’est pourquoi il est nécessaire que quelqu’un motive l’apprentissage. Cette personne, est sans aucun doute, l’éducateur. ¿Qu’est ce que l’apprentissage? 23 Dans le chapitre 4 de cette brochure nous nous pencherons sur d’autres distinctions qui nous permettront d’analyser différents types d’apprentissage: selon ce que l’on apprend et comment. 1. Dans ce chapitre il a été expliqué que, pour qu’il y ait apprentissage, certaines conditions sont indispensables: ▪ Un dialogue culturel entre éducateur et élève. ▪ Une disposition émotionnelle permettant à l’apprenant de prendre plaisir au fait d’apprendre. ▪ Un processus cognitif qui consiste en la modification des connaissances antérieures. ▪ Une base biologique, liée à la base organique. Par conséquent, lorsqu’une personne n’apprend pas, le problème peu résider dans n’importe lequel de ces 4 éléments. Nous vous proposons de rechercher des exemples de personnes ayant des difficultés provenant de chacun de ces éléments. 2. Dans ce chapitre nous avons défini différents types d’apprentissage. ▪ Non intentionnels. ▪ Intentionnels: ▫ Dans des contextes informels. ▫ Dans des contextes institutionnalisés. Recherchez différents exemples illustrant chacun de ces types dans vos expériences et dans la vie quotidienne. 24 Comment apprenons-nous? CHAPITRE 2 La disposition pour apprendre Dans le chapitre précédent, nous expliquions que l’apprentissage implique un processus cognitif et une disposition à apprendre. Dans ce chapitre, nous développerons le thème de la disposition, en quoi elle consiste et nous nous pencherons sur les motifs qui peuvent constituer des obstacles à la disposition et sur les manières dont l’éducateur peut les surmonter. Nous utiliserons le sigle DPA pour nous référer à la Disposition Pour Apprendre. 2.1. L’apprentissage d’un point de vue émotionnel Dans le chapitre I, nous expliquions que l’apprentissage est un processus qui s’opère chez les personnes: ces personnnes ont des histoires et des vies. Nous signalions également que, parfois, nous, éducateurs, ne tenons pas en ligne de compte combien cela peut être difficile pour quelqu’un de se connecter avec sa pensée ou de faire fonctionner son cerveau pour apprendre. Parfois nous ne tenons pas compte la situation que traverse la La disposition pour apprendre 25 personne ou ce que cela signifie pour elle d’affronter une situation d’apprentissage. Il y a des moments dans la vie qui rendent très difficile à vivre la situation d’apprentissage. Il y a aussi des situations face auxquelles nous ne sommes pas à l’aise et dans lesquelles il est difficile de nous relaxer pour apprendre. L’apprentissage requiert de la personne qu’elle se sente bien dans la situation d’apprentissage. Apprendre est un processus difficile qui implique la personne sous toutes ses facettes: intellectuelle, émotionnelle, sociale et culturelle. Pour pouvoir apprendre, nous avons besoin d’être détendus, de nous sentir «chez nous», accompagnés et compris. Parfois, nous éducateurs, ne nous rendons pas compte que certains apprentis se sentent mal à l’ aise ou mécontents. L’éducateur peut penser que l’ambiance éducative est agréable et chaleureuse. Mais pour d’autres personnes, habituées à des contextes très différents, l’ambiance éducative peut être perçue comme menaçante ou agressive. L’apprentissage requiert également de la personne qu’elle oublie ses problèmes quotidiens et ses préoccupations pendant quelques heures. Mais lorsque ces problèmes nous submergent, nous ne pouvons pas apprendre. Cela ne dépend ni de la perception qu’une personne peut avoir «de l’extérieur» des problèmes d’autrui, ni du fait que cette personne est un enfant ou un adulte. Lorsqu’une préoccupation nous absorbe, peu importe si c’est grave ou non pour les autres, peu importe si elle est réelle ou imaginaire puisque nous avons l’esprit ailleurs. Ainsi, du point de vue émotionnel, l’apprentissage requiert que nous soyons disposés à apprendre. 2.2. Qu’est-ce que la disposition pour apprendre? La DPA est l’état émotionnel dans lequel une personne se trouve face à une situation d’apprentissage. Cette disposition peut être favorable ou défavorable, elle peut être favorisée ou bien entravée. On rencontre souvent des personnes qui ont des difficultés à apprendre bien qu’elles disposent d’une grande capacité intellectuelle: ces difficultés peuvent provenir d’une DPA défavorable. La DPA n’est ni consciente ni volontaire. C’est une prédisposition inconsciente que les êtres humains ne peuvent pas 26 Comment apprenons-nous? contrôler volontairement. Il s’agit, en d’autres termes, d’une «barrière» inconsciente qui s’ouvre ou se ferme, favorisant ou entravant la personne dans l’acte d’apprendre. La DPA est variable selon les contextes et les moments. Il y a des personnes qui ont plus de difficultés face à certains apprentissages que face à d’autres, à certains moments et dans des situations particulières ou avec certains professeurs plus qu’avec d’autres. La DPA dépend de trois facteurs: a. De la situation que traverse la personne. La DPA d’une personne, en situation d’apprentissage déterminée dépend, surtout, de l’expérience de vie que cette même personne est en train de traverser. Les situations de grande mobilisation émotionnelle, qu’il s’agisse de souffrance, de préoccupation et même de joie, prédisposent d’une certaine façon la personne à l’apprentissage. Il y a des moments et des situations qui font que «nous avons la tête ailleurs». Le fait d’être occupé ou très préoccupé par des questions personnelles influe sur notre disposition mentale à apprendre. Les adultes, les adolescents et les enfants, passent tous par des moments au cours desquels ils peuvent avoir une bonne ou une mauvaise DPA. b. De l’histoire personnelle du sujet. La DPA se construit chez l’être humain au fur et à mesure de sa vie en relation avec l’histoire de tous ses apprentissages. Nous savons tous que les habitudes, les manières d’agir et de sentir, les façons de se comporter et d’affronter les problèmes sont issus du passé de chacun. Il en va de même en ce qui concerne l’apprentissage. La DPA est déterminée, dans une large mesure, par les expériences des apprentissages passés. L’histoire de nos apprentissages, et surtout de nos premiers apprentissages, laisse des traces profondes qui conditionnent notre manière d’affronter chaque nouvel acte d’apprentissage. Les façons d’agir, de sentir et de penser en relation avec l’apprentissage, configurées depuis l’enfance, vont conformer la DPA. Souvenons-nous du fait qu’il s’agit d’une pré- La disposition pour apprendre 27 disposition de type inconscient puisque nous n’avons pas toujours le registre des traces –ou des blessures, comme dirait Cabarrus– 2, que nos expériences passées ont laissé en nous. c. De la perception du contexte d’apprentissage. Tout apprentissage se réalise dans un contexte. Le contexte est toujours social et culturel puisqu’il y a des personnes, des objets, des règles, des normes et des habitudes qui sont propres à une culture déterminée. Le contexte influe sur la DPA parce que chaque personne peut se sentir plus ou moins «chez elle» dans ce contexte. Chaque sujet perçoit le contexte de manière particulière en fonction de sa propre culture. Dans ce sens, la DPA de la personne dans chaque situation d’apprentissage sera le résultat de sa propre perception du contexte et des possibilités que celui-ci lui fournit. La disposition sera le résultat de la corrélation entre les variables culturelles, géographiques, temporelles et historiques propres à chaque sujet, le groupe dans lequel il vit et ce que lui offre le contexte éducatif. Parfois, cette corrélation est positive et dans d’autres cas, elle provoque des chocs et des désaccords. Souvenons-nous également du fait que cette perception n’est pas consciente mais plutôt intuitive, mais qu’elle conditionne la personne et sa DPA. En résumé, la DPA dépend de trois facteurs: ▪ De la situation que traverse la personne. Carlos R. Cabarrus (2002) : «Ser persona en plenitud: la formación humana desde la perspectiva ignaciana». Colección Programa internacional de Formación de Educadores Populares. Fe y Alegría. Venezuela. 2 28 ▪ De l’histoire personnelle du sujet. ▪ De la perception du contexte d’apprentissage. Ajoutons quelques éléments afin de compléter les connaissances sur la DPA: La DPA existe toujours, chez tout le monde. Mais la situation personnelle, les traces de l’expérience d’apprentissage passé ou la perception actuelle du contexte peuvent entraver cette disposition. C’est pour cela qu’il ne faut pas faire porter la responsabilité à la personne, mais plutôt l’aider afin d’ encourager sa DPA. Comment apprenons-nous? La DPA n’est pas statique ni immuable: elle se construit par l’intermédiaire des expériences d’apprentissage passé. Notre DPA se transforme au fur et à mesure que nous traversons de nouvelles situations d’apprentissage. Comme nous le savons, chacun de nous est unique, différent des autres. Par conséquent, les raisons et les façons qui facilitent ou entravent la DPA seront, sans aucun doute, personnelles. D’un autre côté, si l’éducateur comprend quels sont les facteurs qui représentent des obstacles à la DPA chez un élève, il lui sera plus facile d’agir en conséquence et d’y remédier pour la favoriser. Analysons à présent trois types d’obstacles à la DPA: ▪ Des obstacles liés à la situation que traverse la personne. ▪ Des obstacles liés à l’histoire personnelle de l’apprenant. ▪ Des obstacles liés à la perception du contexte d’apprentissage. 2.3. Les obstacles liés à la situation que traverse la personne La DPA d’une personne en situation d’apprentissage déterminée dépend, en grande partie, du moment que cette personne est en train de vivre. Les situations de souffrance pour des motifs affectifs, professionnels, familiaux, économiques, politiques ou d’un autre ordre prédisposent d’une certaine façon la personne face à l’apprentissage. De même que les situations de grande sollicitation émotionnelle, même si elles sont heureuses, comme les mariages, les naissances et les déménagements peuvent influencer la DPA. Ces situations peuvent sembler sans importance vues de l’extérieur. Mais ce qui compte, pour la DPA, c’est la façon dont la personne les vit. Il peut également s’agir de préoccupations peu réelles ou imaginaires, mais pour celui qui en souffre, elles deviennent profondément réelles et vécues. Ceci est particulièrement important lorsque les apprentis sont des enfants et des adolescents car l’éducateur adulte ne se met pas toujours à leur place. Face à ce type d’obstacle à la DPA, l’éducateur doit agir en comprenant et en contenant la personne: ne pas rajouter La disposition pour apprendre 29 d’exigences ni culpabiliser l’élève. On peut parfois proposer à la personne de discuter des thèmes qui la préoccupent. Le simple fait de trouver un espace et un interlocuteur à qui se confier constitue déjà une aide très bénéfique. 2.4. Les obstacles liés à l’histoire personnelle de l’apprenant Nous avons signalé que la disposition émotionnelle à apprendre se forge à partir des premiers apprentissages de la personne. Nous faisons référence aux «premiers apprentissages» comme à ceux qui ont été réalisé durant la petite enfance, y compris alors que nous étions encore des bébés. Les premiers apprentissages, tels qu’apprendre à manger, à reconnaître les autres, à marcher ou à parler, constituent les plus importants que nous réaliserons dans notre vie. Ce sont ceux qui vont faire de nous des personnes. Ces apprentissages laissent des traces indélébiles, parce que même si nous n’oublions jamais comment manger ou marcher, nous avons oublié la façon dont nous l’avons appris. Mais le fait que nous l’ayons oublié ne signifie pas que ces souvenirs ne soient pas présents dans notre esprit de manière inconsciente. En quoi est-ce important? Les sentiments et les émotions qui nous ont accompagnés lors de ces premiers apprentissages sont restés gravés dans notre inconscient. Si ces apprentissages ont été intégrés dans un climat affectueux et de compréhension, sans agressivité, dans la liberté, l’acte d’apprendre restera associé, inconsciemment, à une situation agréable. Dans ce cas, cela favorise la disposition émotionnelle à apprendre puisque, dans notre psychisme, l’acte d’apprendre est associé à quelque chose de positif et d’agréable. Mais il arrive souvent que l’acte d’apprendre ne soit pas associé à ces sensations agréables mais à des sentiments déplaisants. Si un enfant réalise ses premiers apprentissages dans un contexte où ceux qui l’éduquent souffrent, que ce soit à cause de problèmes émotionnels, économiques ou sociaux, le contexte dans lequel il réalise son apprentissage devient une atmosphère hostile et donc défavorable. Et cette sensation de souffrance et d’hostilité 30 Comment apprenons-nous? reste inconsciemment associée à l’acte d’apprendre, même si ses parents ou ses éducateurs y ont mis la meilleure volonté. C’est pourquoi la DPA peut être entravée par des raisons qui ont un lien avec l’histoire de la personne, plus spécifiquement avec l’histoire de ses premiers apprentissages, puisque cette disposition commence à se former dans les premiers mois ou les premières années de vie. Si durant cette époque, la personne a vécu dans un climat de souffrance, les obstacles à la PDA peuvent surgir par la suite. Ces obstacles, comme nous le verrons plus loin, ne sont pas irrémédiables. Parfois, l’acte d’apprendre peut être associé à un sentiment de peur. Les parents peuvent avoir fait en sorte que les premiers apprentissages se soient réalisés dans un contexte de crainte. Combien de fois les parents craignent que leurs enfants se blessent ou qu’il leur arrive quelque chose? Si dans les premiers apprentissages, une personne a été surprotégée, il arrive parfois qu’elle développe une peur d’apprendre. Si nous pensons à notre expérience en tant qu’éducateurs, nous pouvons certainement signaler le cas d’un enfant ou d’un adulte ayant de grande capacité pour apprendre mais ne la développe pas, comme s’il avait peur d’apprendre. L’acte d’apprendre peut également être associé à la peur de l’échec. La crainte de l’échec d’un apprentissage peut être si importante qu’elle peut finir par paralyser la personne et la conduit effectivement à l’échec. La peur de ne pas atteindre les objectifs que l’on se fixe ou la crainte de décevoir les attentes des autres. La peur d’apprendre peut être associée à la peur du changement. Apprendre signifie changer et pour certaines personnes cela implique d’abandonner les certitudes qui conforment leur base pour comprendre le monde. Que peuvent faire les éducateurs devant ce type d’obstacles à la DPA? Si l’acte d’apprendre est associé à la crainte ou à quelque chose de désagréable, l’ambiance dans laquelle se déroule l’apprentissage devra être proche et chaleureuse. Nous devons créer les conditions pour y réussir, à partir de stratégies qui donnent la priorité à l’aspect affectif du processus d’apprentissage. La disposition pour apprendre 31 Il faut également aider les apprenants à «se familiariser» avec l’acte d’apprendre. Beaucoup d’éducateurs ont remarqué que certaines personnes, en situation d’apprentissage en institution, ont de grandes difficultés à apprendre, par contre si la situation «ne ressemble plus» à une situation d’apprentissage, ces mêmes personnes apprennent parfaitement. Une bonne alternative pour ces personnes est de commencer en leur proposant des situations qui «ne paraissent pas» des situations d’apprentissage. Cette manière de procéder les aide à vivre l’acte d’apprentissage comme quelque chose d’agréable. Cependant notre désir d’aider autrui doit être mené avec beaucoup de prudence. Il est très utile et il convient de consulter les collègues et des conseillers avant d’agir, pour ne pas générer, en fin de compte, de plus grands obstacles à la DPA. Cette idée est liée à la suivante : très souvent, c’est la situation d’apprentissage en elle-même ainsi que l’éducateur qui génèrent les obstacles à la DPA. 2.5. Les obstacles liés à la perception du contexte d’apprentissage Beaucoup d’études de sociologie de l’éducation réalisées ces dernières années ont démontré que les situations d’apprentissages elles-même qui peuvent faire obstacle à la DPA. La perception que l’apprenant a du contexte d’apprentissage peut entraver sa DPA car elle peut entrer en conflit avec sa culture et son idiosyncrasie. La culture d’origine de l’éducateur, de même que sa manière de penser et de donner un sens aux événements, n’est pas toujours identique à la culture d’origine des apprenants. Un éducateur peut penser, par exemple, qu’apprendre est une chose bénéfique et profitable et que son enseignement sera important pour la personne qui apprend. En revanche, celui qui apprend peut avoir un point de vue différent. Dans les foyers des secteurs populaires, le fait d’aller à l’école et plus encore d’apprendre la culture enseignée par cette dernière est souvent vécu comme quelque chose d’étranger et d’assez agressif. Les éducateurs populaires savent qu’un grand nombre de personnes n’arrivent pas à valoriser les bénéfices que peuvent signifier l’apprentissage dans ce contexte. Bien au 32 Comment apprenons-nous? contraire, certains le ressentent comme une attaque à leur culture d’origine, et peuvent se sentir jugées en tant que personne. L’éducateur, sans s’en rendre compte, peut exercer une certaine violence sur les valeurs intrinsèques d’une personne. Ceci veut dire qu’il peut essayer d’imposer ses propres valeurs, ses croyances et ses connaissances, sans tenir en compte ce que l’autre considère comme étant valable, souhaitable et légitime. Les éducateurs populaires savent que certains élèves qui ont des difficultés à apprendre à l’école, n’en présentent guère lorsqu’ils apprennent au sein de leur groupe culturel. La difficulté qu’ils ressentent peut être due au fait qu’ils ressentent inconsciemment une attaque à leurs valeurs et leur culture. La conséquence sera souvent un blocage face à l’apprentissage, comme système de protection. Pour finir, le résultat est qu’elles ne peuvent pas apprendre ce que l’éducateur enseigne. Habituellement, la conséquence de ce processus est de cataloguer celui qui ne peut pas apprendre comme une personne «lente» ou «qui a des problèmes de concentration». Cette marque restera pour toujours associée au sujet «étiqueté» et l’apprenant finit par agir «lentement» et se croyant «lent». Ces étiquettes constituent des obstacles à la DPA. Que peut faire l’éducateur face à ce type d’obstacles à la DPA? Pour commencer, il est nécessaire de commencer par l’acceptation, le respect et l’établissement d’un dialogue culturel avec l’autre. C’est exclusivement de cette façon que nous arriverons à ce que la DPA ne soit pas entravée par la violence qu’exerce le contexte d’apprentissage. C’ est pour cela, qu’il faut instaurer un dialogue culturel et ne pas s’imposer. Il est fondamental que l’éducateur respecte la diversité. Ceci implique donc de tenir compte des différents contextes d’origine, de respecter les différents modes d’expression et les différents temps d’apprentissage de chacun. La disposition pour apprendre 33 1 Analysez individuellement ou en groupe les éléments les plus fréquents qui constituent des obstacles et ceux qui facilitent l’apprentissage. Tenez compte de l’âge des élèves, de leur groupe culturel, et des situations qu’ils sont en train de traverser. 2. Recherchez dans votre autobiographie les situations qui ont entravé votre disposition à apprendre. 3. Recherchez, en groupe, des propositions pour aider les apprenants à améliorer leur disposition à apprendre. 34 Comment apprenons-nous? CHAPITRE 3 Le processus cognitif de l’ apprentissage Dans le chapitre antérieur nous nous sommes penchés sur le thème de la disposition à apprendre. Cette disposition est fondamentalement de caractère émotionnel et est liée à des facteurs psychosociaux et culturels. Dans ce chapitre nous allons traiter de l’aspect cognitif ou intellectuel de l’apprentissage. Nous expliquerons le processus cognitif responsable de l’apprentissage ainsi que l’aide fournie par l’autre, et l’influence positive de l’intelligence et de la culture. Pour se faire, nous nous aiderons des théories constructivistes de l’apprentissage, principalement celles de Jean Piaget et de Lev Vigotsky. 3.1. L’apprentissage du point de vue cognitif Nous avons déjà souligné que du point de vue cognitif, l’apprentissage ne consiste pas à emmagasiner des connaissances dans le vide, mais à modifier les connaissances existantes, c’est à dire à remplacer les connaissances antérieures pour de nouvelles connaissances. Nous avons également souligné dans Le processus cogntif de l’ apprentissage 35 le premier chapitre que, face à chaque apprentissage, l’esprit ne fonctionne pas comme une feuille blanche sur laquelle s’inscrivent de nouvelles connaissances mais comme un organisme vivant, à l’intérieur duquel toute nouvelle incorporation va se tresser avec les informations antérieurement acquises. C’est pourquoi, en parlant d’apprentissage, nous ne pouvons pas dire qu’il s’agisse d’acquisition mais plutôt de changement: apprendre consiste à remplacer la connaissance antérieure par une nouvelle connaissance. Ce changement, comme nous le verrons plus loin, peut consister en une substitution, un enrichissement ou une réorganisation. Qu’appelons-nous connaissance? En premier lieu, nous devons signaler que nous utilisons le terme de «connaissance» dans un sens large et que nous nous référons aussi bien à des concepts, qu’à des procédures ou à des attitudes. D’autre part, les connaissances sont produites à l’intérieur d’une culture. Chaque groupe culturel produit ses propres connaissances quant aux objets et aux phénomènes du monde. L’éducation transmet certaines connaissances mais les personnes qui apprennent peuvent posséder des connaissances antérieures différentes. En troisième lieu, les connaissances ne proviennent pas seulement de la science. Les enfants et toutes les personnes construisent spontanément des connaissances pour pouvoir comprendre le monde dans lequel ils vivent. Les connaissances spontanément construites dépendent autant de la culture de la personne que de son âge. Que signifie le fait qu’apprendre consiste à remplacer les connaissances antérieures par de nouvelles connaissances? 1. Tout d’abord, on n’apprend jamais rien à partir de zéro. Une personne détient toujours une connaissance préalable, soit parce qu’elle connaît quelque chose à ce sujet ou bien parce qu’elle peut réfléchir ou en tirer ses propres déductions. 36 Comment apprenons-nous? 2. Ceci implique que, pour pouvoir être intégré, tout apprentissage doit interagir avec les connaissances préalables de la personne quant au thème abordé. 3. Donc, pour apprendre, personne n’incorpore les nouvelles connaissances telles qu’elles sont présentées. Le résultat de l’apprentissage d’un sujet n’est jamais identique aux connaissances présentées. Le graphique suivant illustre ce processus: CONNAISSANCES PRÉALABLES DU SUJET CHANGEMENT NOUVELLES CONNAISSANCES RÉSULTAT DE L’APPRENTISSAGE Comme nous le voyons ci-dessus, quatre éléments interviennent dans l’apprentissage. Nous les expliquerons maintenant: Les connaissances préalables du sujet: il s’agit des connaissances que la personne détient déjà sur le thème de l’apprentissage. Il s’agit de connaissances mentales et sont produites par des expériences préalables (scolaires ou non). On n’a pas toujours conscience de les posséder. Les nouvelles connaissances: il s’agit des connaissances que l’on prétend apprendre. Ce sont de nouvelles connaissances, externes et étrangères à l’élève, sur le thème même de l’apprentissage. Elles sont étrangères et extenres à l’ élêve. Le processus cogntif de l’ apprentissage 37 Le changement: il s’agit d’un mécanisme interne puisqu’il s’effectue à l’intérieur du cerveau de la personne. Ce processus consiste en remplacer les connaissances préalables par le résultat de l’apprentissage. Le résultat de l’apprentissage: c’est la connaissance qui est réellement acquise. Ce n’est ni identique aux connaissances préalables ni équivalent aux nouvelles connaissances externes. Notre première conclusion pourrait être que tout apprentissage se construit à partir de connaissances antérieures. Pour programmer l’expérience d’un apprentissage, l’éducateur doit prendre en compte les connaissances préalables qui pourraient servir aux apprenants pour commencer leur apprentissage, en plus des nouvelles connaissances qu’il va enseigner. 3.2. Quelle est l’importance des connaissances préalables? Dans la vie quotidienne, dans leur vie professionnelle, dans les institutions, les personnes acquièrent une grande quantité de connaissances, même si ce processus est involontaire. Puisque ce ne sont pas des apprentissages intentionnels, nous n’avons pas conscience d‘avoir acquis ces connaissances. La preuve que ces connaissances sont dans notre esprit réside dans le fait que nous pouvons les utiliser si la situation l’ exige. Parfois, nous n’avons pas conscience de connaître quelque chose jusqu’à ce que l’on nous pose des questions sur ce même thème. Les connaissances préalables sont organisées dans notre cerveau sous formes de structures cognitives. Il s’agit d’un assemblage d’informations déjà acquises se retrouvant articulées entre elles. Ces structures fonctionnent comme des lunettes, ou comme des filtres au travers desquels nous comprenons le monde. Elles nous permettent de donner ou de ne pas donner un sens à toute nouvelle connaissance. Pour pouvoir être intégrée, toute nouvelle connaissance a besoin d’un espace dans cette structure préalable. C’est à dire que cette nouvelle connaissance doit avoir une certaine relation ou connexion avec les connaissances antérieures. Soulignons deux idées importantes en relation avec ces structures: 38 Comment apprenons-nous? ▪ Les structures cognitives sont les produits de l’histoire des apprentissages de chaque personne. En d’autres termes, les structures conformant la personne à un moment donné dépendent des connaissances qu’elle a acquises dans le passé ▪ Les structures cognitives peuvent faciliter ou entraver l’apprentissage. N’importe quelle connaissance s’intègre seulement et exclusivement si elle peut s’incorporer dans une structure cognitive lui donnant un sens et une signification. S’il n’y a pas de structure préalable en place, la connaissance peut être déformée, voire rejetée. 3.3. Quelles fonctions accomplissent les connaissances préalables dans l’apprentissage? Les connaissances préalables constituent un élément central dans le processus d’apprentissage, parce que ce sont elles qui donnent un sens à toute nouvelle connaissance. Ainsi, les connaissances préalables jouent un rôle actif dans le processus d’apprentissage. Pendant ce processus, les connaissances nouvellement acquises ne se superposent pas aux connaissances préalables mais une interaction se produit entre les deux. L’apprentissage représente le résultat de cette interaction entre ce qui se sait déjà et la nouvelle information. L’interaction est le processus par lequel deux éléments entrent en relation et se modifient l’un l’autre. C’est un processus de va et vient réciproque, dans lequel l’un des deux éléments modifie l’autre et est lui-même modifié. La théorie de Jean Piaget utilise les termes d’assimilation et d’accommodation pour expliquer ce processus: L’assimilation: est le processus par lequel l’individu incorpore la nouvelle information en l’ incorporant à ses connaissances, même si cela ne signifie pas obligatoirement qu’il l’intègre à une connaissance préalable3. L’accommodation: est le processus par lequel une personne transforme la connaissance qu’il avait, en fonction de la nouvelle information. Le processus cogntif de l’ apprentissage Les définitions de l’assimilation et de l’accommodation ont été prises de Carretero M., (1996): en espagnol «Constructivismo y educación» (Constructivisme et éducation). Buenos Aires Editorial Aique. 3 39 Nous pourrions agrandir le graphique que nous avons présenté précédemment en y incluant l’élément de l’interaction. CONNAISSANCES PRÉALABLES DU SUJET CHANGEMENT NOUVELLES CONNAISSANCES changement cognitif RÈSULTAT DE L’APPRENTISSAGE En synthèse, notre première conclusion: les connaissances nouvelles sont le résultat de l’interaction: elles ne seront pas exactement identiques aux connaissances provenant de l’extérieur, mais ne seront pas non plus similaire aux connaissances que possédait déjà la personne. Il s’agit de nouvelles connaissances, plus vastes, plus illustrative que les précédentes. Nous appelons changement cognitif ce passage d’un état de «moindre» connaissance sur un thème à un état de «plus» de connaissance sur ce même thème. Nous pouvons déduire une seconde conclusion: face à chaque nouveau thème d’apprentissage, la personne n’intègre pas les connaissances telles que nous les lui présentons, c’est à dire qu’elle n’apprend donc pas par répétition. Au contraire, toute connaissance nouvelle portant sur un apprentissage particulier a besoin, pour être assimilée, d’interagir avec les connaissances antérieures que détient l’apprenant sur ce même thème. L’éducateur doit créer des contextes d’apprentissage dans lesquels les nouvelles connaissances aient leur place et où l’élève puisse interagir avec elles. 40 Comment apprenons-nous? 3.4. Qu’est-ce que le changement cognitif? Le changement cognitif est le processus mental interne par lequel la connaissance préalable laisse place au nouvel apprentissage. Ce processus est le résultat de l’interaction. Cependant, ce passage ne se déroule pas automatiquement, ni instantanément. Le changement cognitif est graduel. Cela signifie qu’il est donc probable que le changement attendu par l’éducateur ne s’effectuera pas complètement lors de la première situation d’interaction. Mais chaque fois qu’il y aura interaction entre les connaissances antérieures et les connaissances externes, un certain degré d’apprentissage s’opérera. D’autre part, toutes les connaissances préalables ne se transforment pas de la même manière. Il est possible que, certaines personnes puissent avoir des connaissances erronées au sujet de certains thèmes d’apprentissage, dans ce cas, la transformation consistera en une substitution graduelle des anciennes connaissances par un nouveau savoir. Pour d’autres thèmes, les informations peuvent être correctes mais incomplètes; le changement cognitif consistera donc, dans ce cas, à enrichir et à accroître les savoirs antérieurs. Enfin, certains thèmes d’apprentissage peuvent être déduits à partir de ce que savent déjà les personnes. Dans ce cas, le changement consiste en une réorganisation et une restructuration des connaissances préalables pour laisser la place aux nouvelles informations. Ces trois types de transformation rassemblent la plus une grande partie des apprentissages réalisés dans le domaine de l’éducation, même si beaucoup de contenus impliquent une combinaison de différents types de transformation cognitive. Nous allons maintenant synthétiser et illustrer par des exemples les trois types de transformation cognitive: ▪ La transformation cognitive par substitution: lorsque les connaissances préalables des apprenants sont erronées, l’apprentissage consiste à substituer ou à remplacer graduellement l’information préalable par les nouvelles connaissances. ▪ La transformation cognitive par enrichissement: lorsque les apprenants disposent de connaissances préalables correctes, l’apprentissage consiste à les accroître, les enrichir ou les compléter graduellement. Le processus cogntif de l’ apprentissage 41 ▪ La transformation cognitive par réorganisation: lorsque les apprenants possèdent des connaissances préalables qui leur permettent de déduire de nouveaux savoirs au moyen de la restructuration ou la réorganisation des informations antérieures. Enfin, nous devons signaler que la transformation cognitive n’est pas toujours un acte conscient pour l’élève. Il s’agit d’un changement interne duquel la personne prendra lentement conscience. 3.5. Pourquoi la transformation cognitive se produit-elle? Pourquoi une personne va-t-elle faire l’effort de substituer, d’enrichir ou de réorganiser ses connaissances acquises? La bonne réponse n’est pas: «parce que son enseignant le lui demande». Pour qu’il y se produise un changement cognitif, l’apprenant doit se rendre compte que ses connaissances antérieures sont insuffisantes. Une personne va remplacer, accroître ou restructurer ses savoirs seulement lorsque ceux-ci lui sembleront pauvres, insuffisants ou inadéquats. Mais alors, comment faire pour que l’apprenant ressente la déficience de ses connaissances? La transformation cognitive ne s’effectue pas au hasard. Elle ne s’effectue pas non plus parce qu’on dit à l’élève de l’effectuer. L’apprenant doit en effet sentir la nécessité interne de modifier ses connaissances acquises. Pour cela, il faut lui proposer de réaliser des activités ou des tâches, qui lui permettent d’appliquer ses connaissances actuelles et de prendre conscience de leur insuffisance. De là surgit quelque chose de très important: la transformation cognitive part d’une nécessité interne de changement. La nécessité interne de changement part de l’application des connaissances préalables. L’unique façon de modifier les connaissances préalables est de les utiliser lors d’une activité ou d’une tâche. Lorsque la personne sent que ces connaissances ne sont pas suffisantes, un déséquilibre cognitif se produit. Ce déséquilibre créé le besoin interne de retrouver un équilibre. Le besoin 42 Comment apprenons-nous? de se ré-équilibrer conduit l’élève à modifier sa compréhension actuelle, c’est-à-dire, à transformer ses connaissances antérieures. C’est alors qu’il peut avoir recours aux nouvelles connaissances externes pour effectuer cette modification par substitution, enrichissement ou réorganisation. Pour qu’il y ait apprentissage, la personne doit activer, mettre en jeu ses connaissances acquises. Que se soit pour résoudre une situation, répondre à une question, trouver une solution à un problème. C’est exclusivement en utilisant ses connaissances préalables que l’apprenant peut prendre conscience du fait qu’elles sont insuffisantes et qu’il doit les changer au moyen d’un nouvel apprentissage. Pour résumer, la transformation cognitive s’effectue: ▪ quand la personne réalise une activité pour le déroulement de laquelle ses connaissances s’avèrent insuffisantes. ▪ et en partant de ce déséquilibre, il sent qu’il doit acquérir de nouvelles connaissances mieux adaptées pour réaliser l’activité en cours. Le changement cognitif est un phénomène interne au sujet parce que c’est lui qui doit construire son apprentissage. Le sujet est le constructeur actif de son nouvel apprentissage. Pour acquérir de nouvelles connaissances, le sujet devra les articuler avec les connaissances déjà acquises. Chacun doit mettre en place ces relations et construire son nouveau savoir. Personne ne peut le faire à sa place. Ce qui vient d’être écrit nous mène à la troisième conclusion: Les personnes apprennent en réalisant une activité au cours de laquelle elles utilisent leurs connaissances déjà acquises. Les éducateurs doivent, quant à eux, stimuler leurs élèves à utiliser ces connaissances préalables pour que l’apprentissage puisse se produire. Nous pouvons élargir le graphique en y incluant un dernier élément: l’activité d’apprentissage. L’apprentissage s’effectue lor- Le processus cogntif de l’ apprentissage 43 sque la personne réalise une activité qui provoque un déséquilibre de ses connaissances préalables. Espace de l’esprit Espace de la culture CONNAISSANCES PRÉALABLES DU SUJET ACTIVITÉ D’APPRENTISSAGE INTERACTION NOUVELLES CONNAISSANCES DÉSÉQUILIBRE ET TRANSFORMATION COGNITIVE RÉSULTAT DE L’APPRENTISSAGE 3.6. Quel type d’activité d’apprentissage conduit au changement cognitif? Dans le graphique nous remarquons que l’interaction et le changement cognitif se réalisent dans un contexte d’activité d’apprentissage. Ceci signifie que ce changement ne s’effectue pas à n’importe quel moment ni par hasard. Il ne se produit réellement que lorsque la personne est en train d’effectuer une activité pendant laquelle elle utilise ses connaissances préalables. Mais, de quel type d’activité parlons-nous? ▪ Les personnes utilisent leurs connaissances préalables quand on les laisse jouer un rôle proactif, et quand on leur propose une activité à laquelle participer. Person- 44 Comment apprenons-nous? ne n’apprend à lire et à écrire en regardant les autres le faire. En revanche, on apprend à lire et à écrire en lisant et en écrivant. Participer à une activité consiste à collaborer activement, à essayer de jouer un rôle, même si on n’a pas encore la capacité ou les connaissances nécessaires pour y parvenir. L’activité de celui qui apprend n’est pas forcément synonyme de mouvement. En effet, il s’agit le plus souvent d’une activité mentale. Par exemple, un enfant apprend à parler parce qu’il participe activement dans des situations de communication, et ce, bien qu’il ne sache pas encore parler. ▪ Les personnes utilisent leurs connaissances préalables même si celles-ci sont insuffisantes ou inappropriées. Le changement cognitif se produit lorsque la personne participe activement aux situations d’interaction. Si nous voulons que quelqu’un apprenne quelque chose, par exemple, à faire des additions, il est nécessaire de proposer un contexte où «l’addition» soit présente et nécessaire. Plus encore, il est très important d’encourager la personne à participer activement à la situation d’interaction avec la somme. Même si elle ne domine pas encore l’opération, la personne trouvera une solution au problème posé, mais exclusivement si ce calcul est réellement nécessaire dans le contexte de l’activité. Si tel est le cas, bien qu’elle ne sache pas faire des additions, la personne tentera de la faire puisqu’elle en aura besoin. C’est sur ces tentatives, que l’éducateur pourra s’appuyer pour lui enseigner ce qu’est effectivement le calcul. ▪ Les personnes utilisent leurs connaissances exclusivement au sein d’activités qui ont un sens pour elles. Pour utiliser ses connaissances acquises, nous devons nous trouver dans un contexte dans lequel nous pouvons les utiliser et avoir une raison motivante pour les utiliser. L’activité doit avoir un sens pour celui qui apprend et non pas être seulement une activité répétitive et sans intérêt. Les activités ayant du sens sont les seules pouvant nous encourager à participer et à utiliser nos connaissances. Malheureusement, la grande majorité des activités proposées dans les écoles sont de nature passive, répétitive et n’ont aucun sens pour les élèves. Le processus cogntif de l’ apprentissage 45 ▪ Les personnes utilisent leurs connaissances si elles sont en confiance et savent qu’on ne les jugera pas. Utiliser les connaissances préalables signifie exactement se mettre à réfléchir. Mais se mettre à réfléchir n’est pas si simple pour une personne en situation d’apprentissage. Bien que cela semble paradoxal, c’est pourtant une réalité : tout au long de l’histoire, les éducateurs ont dévalorisé les connaissances de leurs élèves. Ceci a pour conséquence que, de nos jours, il y ait une sorte de crainte généralisée des élèves à utiliser leurs connaissances en classe . Une activité d’apprentissage bénéfique est une activité qui permet aux élèves d’utiliser leurs connaissances préalables, et se mettre à réfléchir sans crainte d’être évalués ou notés. L’éducateur doit estimer et encourager les élèves afin qu’ils participent et réfléchissent en classe. Nous arrivons donc à la quatrième conclusion: les éducateurs doivent programmer des expériences d’apprentissage qui permettront aux élèves de participer à des activités ayant un sens pour eux, et leurs donneront l’occasion d’utiliser leurs connaissances en toute liberté, même si ces dernières s’avèrent insuffisantes et inappropriées. 3.7. En résumé… Comment avoir une incidence sur l’apprentissage? La réalité veut que l’apprentissage soit un processus interne et qu’il ne peut pas être programmé de l’extérieur. En revanche, il est possible de le stimuler, c’est-à-dire, d’agencer les conditions externes essentielles pour que ce processus puisse se développer. Le graphique suivant synthétise les conditions essentielles qui interviennent dans le processus cognitif de l’apprentissage. 46 Comment apprenons-nous? 3.8. Peut-on faciliter le processus de changement cognitif? Ce processus peut, bien évidemment, être facilité. En fait, tous les apprentissages que nous réalisons au cours de notre vie, nous les effectuons avec l’aide des autres, même quand ces derniers n’en avaient pas l’intention. Tous les apprentissages humains sont issus de l’aide, volontaire ou non, fournie par des personnes ayant plus d’expérience que nous. Mais les éducateurs peuvent apporter une aide intentionnelle à l’apprentissage. En premier lieu, l’éducateur aide au changement cognitif en programmant pour les élèves des activités d’apprentissage adaptées : en leur proposant une situation dans laquelle les élèves peuvent utiliser leurs connaissances préalables et interagir avec la nouvelle information, il aide indirectement leur apprentissage. En second lieu, l’éducateur peut et doit aider l’élève, justement parce qu’il a programmé pour lui une expérience d’apprentissage dans laquelle ses connaissances déjà acquises vont se révéler insuffisantes. Etant donné que le sujet qui apprend utilise des capacités et des connaissances moins élaborées, il va, au début, avoir besoin d’aide pour résoudre la tâche proposée. Peu à peu, il commencera à pouvoir se passer d’aide et il acquérra l’autonomie lui permettant de réaliser seul la tâche. Mais dans un premier temps, l’élève aura besoin de l’aide d’un professeur ou d’un compagnon plus avancé. Tous les éducateurs savent qu’il y a certaines choses qu’une personne ne peut pas faire seule et qu’avec un «petit coup de main» il y arrive. L’aide n’entrave pas le processus d’apprentissage. Au contraire, elle encourage l’apprenant à réaliser sa tâche et, ainsi, à utiliser ses connaissances préalables. Les capacités et les connaissances de chacun peuvent, à un moment donné, s’organiser selon : ▪ Ce qu’il peut faire seul. ▪ Ce qu’il peut réaliser avec de l’aide. ▪ Ce qu’il ne peut même pas faire malgré une certaine assistance. Le processus cogntif de l’ apprentissage 47 Si une personne est aidée correctement dans la réalisation des tâches pour lesquelles elle requiert assistance, on encouragera ainsi l’apprentissage pour qu’elle puisse, par la suite, les accomplir sans aide. C’est ainsi parceque ce que nous pouvons réaliser aujourd’hui avec l’aide d’autrui deviendra, grâce à cette aide, une tâche que nous pourrons effectuer demain sans aide. Selon Vigotsky, la distance imaginaire entre accomplir une tâche en étant aidé et sans aide s’appelle la «zone de développement proche». Cela fait référence au fait que dans cette «zone» se trouvent les capacités qui sont proches d’être développées. Si les limites de cette «zone» pouvaient être localisées, elles correspondraient au niveau de développement déjà atteint par le sujet et le niveau potentiel de son développement (marqué par ce qu’il est capable de faire aujourd’hui en étant aidé). Il est important d’insister sur le fait que ces niveaux ou ces limites ne sont pas statiques mais qu’ils sont en permanente évolution: en effet, ce que nous réalisons aujourd’hui avec de l’aide, nous le réaliserons demain de façon autonome. Enfin, nous devons signaler que puisque le changement est toujours graduel, l’aide doit s’adapter et s’accommoder à ce que l’élève réussit au fur et à mesure qu’il progresse dans son apprentissage. 3.9. Quel est l’impact de l’intelligence dans le changement cognitif? Nous passerons maintenant au dernier thème de ce chapitre: apprentissage et intelligence. Beaucoup d’éducateurs rattachent les possibilités d’apprentissage d’une personne à ce qu’on appelle «l’intelligence». Mais, qu’est-ce que l’intelligence? D’habitude, on pense que l’intelligence est héréditaire et qu’elle est déterminée par les gènes. On pense donc, que certains d’entre nous viendraient au monde avec «plus d’intelligence» que d’autres, et que ce processus ne pourrait en rien être modifié. Les théories constructivistes actuelles démontrent que ce n’est pas vrai: nous ne naissons pas «intelligents». Au contraire, l’intelligence est un ensemble de capacités qui se développe tout au long de notre vie. Nous, hommes et femmes, naissons avec une petite base biologique de fonctions et de capacités mentales qui nous per- 48 Comment apprenons-nous? mettent de développer notre intelligence. Mais ces premières capacités ont besoin d’interagir avec la culture humaine pour se transformer en intelligence humaine. Toutes les personnes ont la même dotation biologique et la possibilité de développer les mêmes capacités intellectuelles, mis à part les cas confirmés de pathologies organiques. Le développement des capacités intellectuelles dépend de la richesse des stimulations offertes par l’entourage humain. C’est là que les éducateurs ont un rôle important à jouer: plus les environnements d’apprentissage mis à disposition des apprenants sont complets et riches, plus leur intelligence se développera. L’intelligence dépend de l’apprentissage et non inversement. La réalité veut que l’apprentissage puisse stimuler le développement des capacités intellectuelles. Mais, lamentablement, beaucoup d’éducateurs croient que si une personne n’a pas certaines capacités intellectuelles, «elle ne peut donc pas apprendre». Ceci a pour conséquence le fait que les élèves disposant de moindres capacités sont moins stimulés. Cette façon d’agir «condamne» ces élèves à demeurer «les moins intelligents». En conclusion nous pouvons dire que l’apprentissage est, par excellence, le processus cognitif faisant progresser le développement de l’intelligence. A tous les âges, l’être humain est génétiquement préparé pour développer de nouvelles capacités intellectuelles. L’éducateur doit fournir le contexte adapté et offrir une stimulation appropriée pour optimiser le développement de ces capacités. 3.10. Comment la culture influe-t-elle sur l’intelligence? Nous avons signalé que l’intelligence se développe tout au long de la vie. Le groupe social joue un rôle primordial dans ce développement. Chaque groupe social fournit la culture qui sert d’environnement d’interaction pour le développement de l’intelligence. Le processus cogntif de l’ apprentissage 49 Chaque culture a ses habitudes, ses modes de fonctionnement et sa façon d’appréhender le monde. Ces modes de fonctionnement et de pensée seraient les «outils» que chaque groupe social met à disposition de ses intégrants. Chaque culture offre sa propre «boîte à outils», surestimant certaines capacités, attitudes et modes de pensée au détriment d’autres. C’est pourquoi, les groupes culturels différents agissent et pensent différemment à nous. En développant leur intelligence à l’intérieur d’un groupe culturel, les personnes incorporent les modes d’action et de pensée propre au contexte dans lequel elles vivent. De ce qui précède, il faut souligner deux conséquences importantes pour les éducateurs: a «Etre intelligent» est différent d’une culture à l’autre. Le développement de l’intelligence n’a pas de but préétabli pour tous les hommes et toutes les femmes. Au contraire, chaque culture définit ce que signifie «être intelligent» dans son propre contexte. Et aucune culture n’est supérieure à une autre. L’éducateur doit respecter et estimer à sa juste valeur ce que signifie «être intelligent» pour chacun des apprenants. b. L’éducation a un rôle primordial pour le développement de l’intelligence. D’une part, parce qu’elle nous fournit des contextes d’interactions pour le développement de notre intelligence. D’autre part, et surtout parce qu’elle nous fournit des contextes d’interactions avec des cultures différentes de la nôtre et nous aide ainsi à accroître et à diversifier nos capacités. L’éducation peut et doit offrir une grande «boîte à outils culturels», enrichissante et différente. Voilà le grand potentiel et, en même temps, le grand défi des éducateurs. 1. Comparez les trois graphiques présentés et expliquez les éléments qui persistent et ceux qui s’ajoutent au modèle présenté. Que signifie chacun de ces éléments dans le processus? 50 Comment apprenons-nous? 2. En plusieurs groupes différents, recherchez des exemples des trois types de transformation cognitive: par substitution, par enrichissement et par réorganisation. Toujours en groupe, révisez quel type de changement cognitif est celui qui s’opère dans chacun des exemples et expliquez la raison de ce type de transformation. 3. Inventez des activités d’apprentissage qui remplissent les trois conditions externes essentielles: Un contexte d’interaction avec la nouvelle connaissance, une activité ayant un sens pour celui qui apprend... ...mettre en jeu les connaissances préalables de celui qui apprend. 4. Recherchez des exemples (dans votre autobiographie ou dans votre expérience d’éducateur) d’une personne ayant appris grâce à l’aide d’une autre personne plus experte. 5. Articulez l’apprentissage à l’intelligence et à la culture. Pour cela débattez des deux dernières idées de ce chapitre. Qu’est-ce que cela signifie? Etes-vous d’accord? Le processus cognitif d’apprentissage. 51 CHAPITRE 4 Les différents types d’apprentissage Dans le chapitre I, nous avons présenté différents types d’apprentissage en fonction de: ▪ L’intention consciente de la personne qui apprend: les apprentissages non intentionnels (ceux que nous réalisons sans nous en rendre compte, spontanément) et les apprentissages intentionnels (ceux qui déroulent parce que nous le décidons). ▪ Le contexte où s’effectue l’apprentissage: dans des contextes informels et institutionnalisés. Dans ce chapitre, nous présenterons d’autres typologies d’apprentissage qui aideront l’éducateur à mieux comprendre les processus qui impliquent les personnes lorsqu’elles apprennent: ▪ La stratégie qui nous permet de mettre en mémoire les apprentissages nous permettra de faire la diffé- Les différents types d’apprentissage. 53 rence entre l’apprentissage par la mémorisation et l’apprentissage significatif. ▪ La manière dont une personne envisage l’apprentissage nous permettra de comprendre qu’il existe différents styles d’apprentissage. ▪ Les différents types d’intelligence nous permettront d’expliquer pourquoi certaines personnes ont plus de facilités pour certains apprentissages que pour d’autres et pourquoi leur approche ou leur stratégie est différente pour différents types de connaissance. 4.1. Chercher à se souvenir de ce que l’on apprend: l’apprentissage par mémorisation ou par association Apprendre par cœur est une technique que nous avons tous utilisé plus d’une fois. Cela consiste en se souvenir de quelque chose –un texte, une poésie, une liste des fleuves d’Amérique...– de la même façon que l’information est ordonnée. Cela implique de prendre un livre et de faire un effort plus ou moins prolongé jusqu’à pouvoir «réciter» ce que nous avons décidé de retenir. L’apprentissage par mémorisation a été utilisé pendant des siècles comme la méthode principale d’apprentissage dans différentes cultures. Néanmoins, et même si cette méthode est encore utilisée de nos jours, elle n’est plus aussi bien considérée. Pourquoi ce changement s’est-il produit? Quand nous apprenons quelque chose par cœur, nous effectuons un apprentissage dit «aveugle». Cela signifie que nous accumulons une grande quantité d’informations sans en connaître vraiment ni le sens ni l’utilité. Lorsque nous mémorisons la liste des grands fleuves du continent américain, nous pouvons très bien la «réciter» telle qu’elle est organisée, mais cette information ne nous servira pas à grand chose si ce n’est à réussir brillamment un examen. Nous ne savons pas très clairement ce qu’est un fleuve, comment il s’est créé, ni ce qu’en font les hommes... Nous récupérons seulement l’information que nous avons gardé en mémoire de la même façon qu’au moment où nous l’avons 54 Comment apprenons-nous? stockée. C’est pour cela que nous qualifions cet apprentissage d’ «aveugle». Cependant, certains apprentissages réalisés par mémorisation nous sont très utiles. Les tables de multiplication en sont un excellent exemple. Les savoir par cœur signifie un énorme gain de temps. Mais dans la majorité des cas, ce type d’apprentissage s’avère insuffisant puisqu’il nous manque un élément clé du processus d’apprentissage: la compréhension. Nous réussirons seulement à comprendre les contenus lorsque nous pourrons activer un autre type d’apprentissage, dit significatif. Apprendre par cœur a, sans nul doute, un grand avantage: c’est un mode d’apprentissage très simple. Notre effort consiste seulement à essayer de mémoriser l’information. 4.2. Chercher à comprendre ce que l’on apprend: l’apprentissage significatif Lorsque nous essayons de comprendre quelque chose, nous devons faire un effort beaucoup plus important. Comprendre implique un engagement personnel beaucoup plus important pour celui qui apprend. Cela implique d’attribuer un sens au contenu de la connaissance à assimiler et ce processus est, sans aucun doute, personnel. Deux personnes pourront donc mémoriser de manière identique un même élément mais elles ne pourront jamais le comprendre de la même manière. Lorsque nous effectuons un apprentissage significatif, nous «lisons» la nouvelle information à travers le prisme de nos connaissances préalables, lesquelles nous permettent de «traduire» le nouveau matériel, de le reconstruire à partir de nos propres catégories. C’est pour cela que comprendre signifie traduire dans ses propres mots, pouvoir expliquer quelque chose avec nos propres mots. Ce processus est beaucoup plus compliqué et nous avons besoin de beaucoup de volonté pour le mener à bien. Par contre, cette méthode est décourageante lorsque nous n’arrivons pas à comprendre quelque chose. Dans ce cas, qui ne serait pas tenté d’apprendre par cœur ce qu’il ne comprend pas? Dans la mesure où les éducateurs réussissent à générer des apprentissages Les différents types d’apprentissage. 55 significatifs, ils obtiennent des apprenants qu’ ils adoptent une attitude active face à l’apprentissage, l’opposé de la conduite passive et moins engagée de l’apprentissage par mémorisation. L’apprentissage significatif génère une pensée critique, réflexive et par là-même, d’une pensée autonome. Deux conditions sont fondamentales pour réussir les apprentissages significatifs: ▪ La connaissance qui va être assimilée doit avoir une connexion aux connaissances préalables de l’apprenant. ▪ Celui qui apprend doit être motivé et doit trouver un sens à l’apprentissage qu’il est en train d’effectuer. 4.3. Chacun a son propre style Il est très important que nous sachions, en tant qu’éducateurs, que nos élèves font intervenir différentes stratégies quand ils apprennent. Autrement dit, ils ont des styles cognitifs différents, des manières d’apprendre différentes. Ils n’apprennent pas tous de la même manière. Les différents styles dépendent de différents facteurs. Cela peut dépendre de différentes intentions de l’apprenant, ou de son intérêt pour la matière, et donc aussi du contenu ou encore des caractéristiques de sa personnalité... La liste est longue, comme l’est aussi celle des différents types d’apprentissage. Ces styles se définissent à partir du choix d’une optique d’apprentissage déterminée. Ces optiques sont les stratégies que les élèves utilisent à différents moments. Nous avons sélectionné quelques-uns de ces points de vue que nous considérons comme étant révélateurs pour la compréhension de la pratique éducative quotidienne: ▪ L’optique superficielle: lorsque l’apprenant se limite à accomplir les objectifs de la tâche et ne s’y investit que très peu. Il se limite, dans la majorité des cas, à réaliser un apprentissage par mémorisation. ▪ L’optique profonde: lorsque l’apprenant fait preuve de beaucoup d’intérêt pour le matériel avec lequel il travaille et 56 Comment apprenons-nous? il fait des efforts pour le comprendre. Il s’investit beaucoup de lui-même pour réaliser cette tâche, s’implique. ▪ L’optique stratégique: dans ce cas, les objectifs primordiaux de l’apprenant sont l’efficacité et la réussite et il concentre tous ses efforts pour réussir sa tâche. Deux autres optiques qui s’avèrent intéressantes pour comprendre les modes de pensée de nos élèves: ▪ L’optique convergente: L’apprenant focalise sa pensée sur un unique point essentiel, sans dévier son attention. Cette technique génère rapidement des réponses face à la tâche proposée. ▪ L’optique divergente: L’apprenant analyse différents points essentiels avant de donner une réponse. Cette technique est plus lente et réfléchie pour résoudre les tâches. Les différentes optiques utilisées vont configurer les différents styles cognitifs. Ces styles sont personnels et ils ne sont pas immuables: une même personne pourra donc adopter différents styles pour résoudre des tâches différentes. Un élève peut se montrer très intéressé par les mathématiques et le jour où il devra se présenter à un examen, il peut adopter une perspective stratégique fondée sur l’apprentissage par mémorisation parce qu’il considère qu’à ce moment précis, il est plus l’important est d’obtenir un bon résultat à cet examen. En revanche, un élève peut faire preuve d’un total manque d’intérêt pour la géographie, et néanmoins, faire adopter une optique profonde qui se base sur la compréhension parce qu’il considère qu’il est toujours plus important de comprendre que de mémoriser. Il est capital de souligner que les éducateurs ont en leurs mains la possibilité d’encourager certains styles et certaines optiques. 4.4 Les intelligences multiples Pour conclure ce chapitre, nous aborderons l’important thème des intelligences multiples. Pendant de nombreuses années, nous avons cru que l’intelligence était unique et qu’elle s’appliquait aux différentes sections du savoir. Une seule intelligence pour des connaissances différentes et de multiples dons. Depuis quelques années, certains auteurs soutiennent la thèse qu’il n’est plus possible de penser de la sorte, mais qu’il Les différents types d’apprentissage. 57 existe plutôt un ensemble de différentes «intelligences». Chacune d’entre elles serait directement reliée à un espace ou à une zone différenciée de notre cerveau. Chacune de ces zones cérébrales est donc plus spécialisée dans le traitement et l’utilisation de certains types d’information -comme la musique, le langage ou les relations avec les autres. L’auteur nord-américain Howard Gardner définit huit intelligences différentes chez les êtres humains. Nous allons brièvement développer les caractéristiques de celles qui s’avèrent les plus importantes dans notre pratique quotidienne en tant qu’éducateurs: ▪ L’intelligence linguistique: elle permet de raconter, de réciter, de tirer des conclusions et de résumer. Elle est caractéristique des écrivains. On la développe grâce à la conversation assidue, la narration et la rédaction. ▪ L’intelligence logique/mathématique: elle permet de calculer, de déduire et de mesurer. Elle est caractéristique des scientifiques. On la développe au moyen de jeux de réflexion, de logique et de mathématique. ▪ L’intelligence musicale: elle permet de reconnaître les différents sons et de percevoir leurs diverses nuances. Elle est caractéristique des grands musiciens. On la développe au moyen de la pratique d’instruments de musique et du jeu avec les sons et rythmes. ▪ L’intelligence interpersonnelle: elle permet d’interagir avec les autres, de les comprendre. Elle est caractéristique des éducateurs et des politiciens. On la développe en permettant aux élèves d’identifier leurs émotions et au moyen de jeux de socialisation. ▪ L’intelligence spatiale: elle permet de distinguer des formes et des objets du monde avec précision et de les transformer par le biais de l’imagination. Elle permet aussi de les localiser précisément dans l’espace et le temps. On la développe par le dessin, la lecture et l’utilisation de cartes et par la lecture partagée. ▪ L’intelligence kinesthésique - corporelle: Elle permet d’être capable d’utiliser habilement son corps pour 58 Comment apprenons-nous? s’exprimer. Elle est caractéristique des danseurs et des grands sportifs. On la développe par des jeux qui permettent d’accroître les capacités sensitives, par des activités théâtrales, par la danse et la pratique de sport. ▪ L’intelligence picturale: Elle implique une sensibilité particulière et des dons pour la peinture, le dessin ainsi que des capacités d’expression. Elle est propre aux des grands peintres. Elle est développée par la possibilité de jouer et de créer en identifiant les couleurs et les instruments servant à la création artistique. Elle l’est également par la contemplation et l’appréciation des œuvres d’arts. ▪ L’intelligence naturaliste: elle implique une sensibilité et un intérêt particuliers pour la nature: propres aux géographes, aux botanistes et aux naturalistes. On la développe par des recherches sur la nature, par l’analyse et l’interaction avec les phénomènes naturels. La théorie des intelligences multiples fournit un grand atout: elle nous permet de comprendre pourquoi certaines personnes ont plus de facilités que d’autres pour apprendre certains contenus. Ceci est du au fait qu’elles ont plutôt développé un type d’intelligence qu’un autre. Ce qui peut être relié aux optiques ou aux stratégies d’apprentissage: il est fort possible que celui qui a plutôt développé une intelligence logique-mathématique fonctionne selon une optique profonde et réussisse un apprentissage plus significatif dans ce domaine que dans un autre. Et si une personne fonctionne selon une optique superficielle et réalise un apprentissage par mémorisation d’une langue étrangère, il est probable qu’elle n’ait pas développé son intelligence linguistique. Lamentablement, l’éducation ne valorise pas de la même manière tous les types d’intelligence et cela implique que, par exemple, les personnes considérées comme les plus «intelligentes» soient celles qui ont développé l’intelligence logique-mathématique. Ce que devraient, au contraire, valoriser les éducateurs, ce sont les capacités propres à chaque apprenant, évaluer chacun d’eux dans les domaines dans lesquels ils se démarquent par leur intelligence. Toutes les personnes sont intelligentes, même si chacun l’est dans son propre domaine. Si nous élargissons l’idée d’une intelligence unique à celle des intelligences multiples, nous Les différents types d’apprentissage. 59 pourrons valoriser le type d’intelligence que chaque élève a le mieux développé, au lieu de d’évaluer tous les apprenants selon un même critère. De cette façon, nous n’aurons plus seulement une ou deux personnes intelligentes dans notre salle de classe, mais une grande quantité: chacune d’elles ayant une intelligence différente. Le fait de reconnaître qu’il existe de multiples intelligences implique l’acceptation et la valorisation de la diversité. Néanmoins, la théorie des intelligences multiples comporte aussi certains risques: elle peut nous mener à différencier les élèves et à les motiver seulement dans les domaines dans lesquels ils ont développé leur intelligence. N’oublions pas que les éducateurs doivent stimuler toutes les intelligences chez les élèves sans donner la priorité à une seule d’entre elles. Tout le monde peut développer tous les types d’intelligence. Chez chaque élève, il faut stimuler les intelligences qui semblent un peu «à la traîne». Le développement intégral d’une personne implique le développement harmonieux de toutes ses intelligences. 1. Expliquez la distinction entre l’apprentissage par mémorisation et l’apprentissage par signification grâce à ce que nous avons expliqué dans le chapitre 3 sur le processus cognitif de l’apprentissage. 2. Analysez les différentes optiques d’apprentissage. Dans quelle situation considérez-vous que vous-même ou d’autres personnes appliqueriez chacune de ces optiques? En groupe, recherchez (dans votre autobiographie ou dans vos expériences d’éducateur) des exemples d’apprentissage en fonction des différentes optiques, présentez ces exemples et analysez les raisons de chaque optique. 3. Analysez les avantages et les risques de l’utilisation de la théorie des intelligences multiples. Expliquez-en les bénéfices et les inconvénients au moyen d’exemples. Faites intervenir tout ce que vous avez lu jusqu’à maintenant ainsi que votre expérience de pratique éducative. 60 Comment apprenons-nous? CHAPITRE 5 Comment stimuler l’apprentissage? Dans les chapitres précédents, nous avons analysé comment et pourquoi s’opére le processus d’apprentissage. Connaître le mode d’opération d’un processus et ses raisons constituent un outil de valeur si l’on souhaite influer sur ce phénomène. Mais tout savoir sur un phénomène ne signifie pas nécessairement savoir influer sur celui-ci de la meilleure manière. Par exemple, connaître parfaitement les marées et les courants marins représentent un savoir très utile pour naviguer, mais cela reste insuffisant. L’éducateur travaille sur l’apprentissage de l’autre; il prétend avoir un impact sur les phénomènes mentaux d’autrui. Et de même que la mer est étrangère au navigateur et conserve ses mystères, l’apprentissage de l’autre reste le bien d’autrui et demeure, pour l’éducateur, inconnu. Il pourra naviguer en surface, mais ne pourra jamais contrôler les processus internes. Avant de nous laisser submerger par cette comparaison, souvenons-nous que l’apprentissage et le développement cognitif Comment stimuler l’apprentissage ? 61 humains (à l’inverse des marées) sont socialement orientés: ils ont besoin de contextes sociaux humains pour se développer. Cette petite idée est très importante: cela signifie que simultanément au fait que certains s’efforcent d’interagir sur les processus internes des autres, ces derniers ont besoin de cette influence. Le processus d’apprentissage est interne, personnel et propre à l’autre, c’est pourquoi il doit être respecté. Mais en tant qu’éducateur, je peux faciliter le déclenchement de ce processus et fournir une aide pour qu’il se développe de la meilleure manière possible. Quels sont les aspects à prendre en compte pour faciliter l’apprentissage d’autrui? Ci-dessous, et à partir de ce qui est expliqué dans cette brochure, un résumé des aspects que l’éducateur doit considérer: a. S’assurer de l’existence des conditions organiques adéquates à l’apprentissage: en relation avec la maturité, mais aussi avec l’alimentation, le repos et la santé. b. Faciliter la disposition à apprendre sous ses trois facteurs: ▪ La situation de vie de l’ apprenant. ▪ L’histoire personnelle de l’apprentissage et de ses traces dans le sujet. ▪ La perception qu’a l’apprenant du contexte d’apprentissage. c. Faciliter le processus cognitif de l’apprentissage, dans ses trois conditions externes essentielles: ▪ Un contexte d’interaction avec les nouvelles connaissances. ▪ Une activité ayant un sens pour celui qui est en train d’apprendre... ▪ ... dans laquelle il fait intervenir ses connaissances préalables. 5.1. Comment peut -on favoriser l’apprentissage? Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, les personnes apprennent en réalisant une activité. L’activité d’apprentissage 62 Comment apprenons-nous? constitue le microcosme ou l’ambiance que planifie l’enseignant pour aider l’élève et lui prêter assistance pour le développement de son apprentissage. Les activités d’apprentissage sont préparées à l’avance par l’éducateur, qui prend en compte une série de variables: le matériel avec lequel l’apprenant va travailler, les consignes de l’activité, un travail individuel ou groupal, le temps disponible, le type d’aide fournie... etc. Il existe différents types d’activités et la variété dépend de la créativité de l’éducateur. Nous ne signalons ici que quelques alternatives: ▪ Activités d’apprentissage en solitaire: il s’agit de situations dans lesquelles l’apprenant agit de manière autonome dans le déroulement d’une activité, devant choisir la marche à suivre, essayer, faire ses expériences et dans tous les cas, résoudre le problème et éventuellement revenir sur ses pas et recommencer. L’activité doit être en accord avec les capacités et les connaissances préalables de l’élève, de façon à assurer un certain degré de réussite. Le point de départ réside dans le fait que l’apprenant doit avoir compris l’activité et qu’il ait accepté le défi de la mener seul. En faisant intervenir sa capacité de compréhension, l’apprenant utilise ses connaissances préalables et l’activité elle-même remplit la fonction de provoquer un déséquilibre. ▪ Activités d’apprentissage collectif: il s’agit de situations dans lesquelles l’apprenant agit conjointement avec un ou plusieurs compagnons pour la réalisation d’une activité. Il peut s’agir d’activités réalisées en couple, à trois ou en petits groupes. Tous participent et utilisent leurs connaissances préalables. L’intervention des autres provoque le déséquilibre cognitif et apporte les nouvelles connaissances externes. Il existe deux variantes de l’apprentissage groupal: ► Activités avec une ou plusieurs personnes ayant une meilleure formation sur le thème: (le plus expérimenté peut être l’éducateur ou un camarade): l’activité se déroule sous la modalité de collaboration, mais au début, le plus expérimenté joue un rôle de leader et le débutant se Comment stimuler l’apprentissage ? 63 laisse guider. Au commencement, celui qui a plus d’expérience contrôle l’activité et il va se retirer progressivement, en stimulant l’autonomie du débutant. L’interaction a pour objectif que les moins experts s’approprient graduellement le savoir des autres. Les plus expérimentés obtiennent aussi des bénéfices de cette situation puisqu’en guidant les autres, ils doivent réorganiser et mettre de l’ordre dans leurs connaissances afin de pouvoir les transmettre. ► Activités avec des pairs: Il s’agit de situations d’interaction entre personnes du même niveau en termes de capacités et de connaissances. L’activité se déroule sous la modalité de coopération et doit assurer un certain degré de réussite commune. La participation de tous et la confrontation des différents points de vue sont les buts recherchés. Chaque participant doit faire l’effort de comprendre les autres et d’expliquer ses idées. L’objectif de l’interaction est la progression de chacun des participants en fonction de leur point de départ. 5.2. Les activités constituent des «échafaudages» pour l’apprentissage. Même si le processus d’apprentissage est unique et interne, l’éducateur peut le stimuler en posant des «échafaudages» pour le soutenir. Le psychologue et éducateur nord- américain Jerome Bruner a utilisé la métaphore de l’échafaudage pour expliquer comment on peut aider l’autre dans son apprentissage et pour se référer à ces microcosmes ou ces environnements qu’organise l’enseignant pour faciliter et permettre le développement de l’apprentissage. Les activités d’apprentissage fonctionnent comme des échafaudages pour les apprenants. De la même façon que l’échafaudage d’un immeuble, cela sert à soutenir l’apprentissage de l’élève quand il est encore tout débutant et qu’il s’appuie sur cette structure pendant cette période. Ce n’est pas nécessairement une aide, mais plutôt un support. C’est l’apprenant qui développe son activité d’apprentissage; le matériel et les autres personnes constituent des soutiens qui le feront avancer. 64 Comment apprenons-nous? Approfondissons la comparaison: dans un immeuble en construction, l’échafaudage peut s’élever jusqu’à l’étage où il est nécessaire et lorsque l’œuvre est terminée, on le démonte. Dans la construction de la connaissance, l’échafaudage possède également ces deux caractéristiques: ▪ Il fournit de l’aide à l’apprenant en fonction de son niveau. Tous les apprenants n’ont pas besoin du même soutien. L’échafaudage doit permettre que l’aide s’adapte aux difficultés chacun. Chacun recourt à l’aide en fonction de ses besoins. ▪ Le soutien a un caractère transitoire. L’apprenant va délaisser l’aide au fur et à mesure de sa progression. A la fin du processus, il n’a plus besoin de l’échafaudage. 5.3. Comment peut-on aider les élèves à apprendre? Selon tout ce que nous avons vu dans cette brochure, les processus et les difficultés d’une situation d’apprentissage peuvent être de différente nature: émotionnelle, culturelle, cognitive, liée à l’histoire du sujet, à sa situation présente ou à ses structures cognitives, etc. C’est pourquoi les éducateurs doivent tenir compte de toutes ces conditions lors de la préparation de l’environnement où se dérouleront les activités et de la programmation des activités d’apprentissage: ces activités doivent permettre l’ échafaudage et le soutien de l’élève pendant son processus constructif. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, l’aide n’entrave pas le processus d’apprentissage. Au contraire, elle apporte une certaine sensation de sécurité et encourage l’apprenant. Mais l’aide doit consister à encourager l’élève pour que ce soit lui qui se charge de réaliser la tâche et non pas à la réaliser à sa place. Pour que l’aide conduise effectivement à l’apprentissage, elle doit réunir les conditions suivantes: ▪ Se fonder sur le respect de l’intégrité de l’autre et converger vers le dialogue de savoirs. ▪ Générer une ambiance de travail qui réduise les niveaux d’anxiété de l’éducateur comme de l’apprenant. Comment stimuler l’apprentissage ? 65 ▪ Etablir une empathie affective, en tenant compte de la situation de l’autre. ▪ Reconnaître les connaissances et les capacités préalables de l’apprenant. ▪ Respecter ses connaissances préalables, son activité individuelle et ses temps. ▪ Fournir de l’aide exclusivement pour les étapes de l’activité que l’élève n’arrive pas à réaliser seul ▪ S’assurer que l’apprenant comprend l’objectif et les raisons de l’aide. ▪ Faciliter la progression de l’apprentissage en éliminant le soutien au moment adéquat. 5.4. Le but ultime du soutien: cesser d’être nécessaire 4 La citation, mais aussi tout le développement du chapitre « apprendre à apprendre » qui est présenté ci dessous est extrait quasi textuellement de Torres, R.M. (1998) : « Qué y cómo aprender ». Mexico D.F. Secretaría de Educación Pública. Nous n’avons pas mis de guillemets pour ne pas entraver la lecture, en fonction du caractère académique de ce texte.. Nous présentons nos excuses à l’auteur. 66 Cela peut paraître paradoxal, mais le but ultime de l’aide est de cesser d’être nécessaire. L’objectif de tout enseignement est d’arriver à ce que les personnes apprennent à apprendre. Ceci signifie qu’elles doivent apprendre à connaître leurs propres processus d’apprentissage et qu’elles puissent les contrôler et les gérer par elles-mêmes. Apprendre à apprendre signifie qu’à l’avenir, la personne saura ce qu’elle doit faire et comment procéder pour acquérir des connaissances qui l’intéresse et ne plus dépendre de l’éducateur pour ce faire. Rosa Maria Torres4 explique cet objectif fondamental de l’enseignement: «Réfléchir sur son propre apprentissage, prendre conscience des stratégies et des styles cognitifs individuels, reconstruire les itinéraires suivis, identifier les difficultés rencontrées ainsi que les points d’aide qui permettent d’avancer». Ce même auteur nous explique qu’à l’intérieur de l’ «apprendre à apprendre» nous trouverons: ▪ Apprendre à étudier: d’habitude, on étudie sans apprendre et parfois on apprend sans étudier. Stimuler l’apprentissage consiste, en partie, à indiquer aux élèves comment ils doivent étudier; il ne faut pas partir du fait qu’étudier est seulement responsabilité de l’élève. ▪ Apprendre à enseigner: même si cela paraît paradoxal, Comment apprenons-nous? enseigner représente pourtant une des meilleures manières d’apprendre, parce que cela oblige à organiser et à systématiser les propres idées. Etre capable d’enseigner est à la porté de tous et savoir enseigner constitue une nécessité pour tous, même si cela ne s’effectue pas dans une situation stricte d’enseignement. ▪ Apprendre à récupérer les connaissances et savoir appliquer: le succès de l’apprentissage ne réside pas seulement dans l’assimilation de connaissances mais également dans la capacité de les récupérer de la mémoire au moment opportun et dans un but donné. L’enseignement doit entraîner les élèves à utiliser leur mémoire ainsi que les connaissances qui y sont stockées. 5.5. Pour continuer à penser... la métaphore de la rencontre éducative Pour clore le thème de l’apprentissage, nous proposons une métaphore qui puisse nous permettre de penser au rôle de l’éducateur. Dans le chapitre 1, nous avons décrit le processus d’apprentissage au moyen de trois cercles entremêlés les uns aux autres: le processus cognitif, la disposition émotionnelle et le dialogue culturel. A la fin de cette brochure, nous pouvons mieux comprendre ce graphique. Nous avons signalé à cette occasion que, pour que l’éducateur puisse accéder au processus cognitif de l’élève il doit avant tout aborder les deux autres dimensions, en d’autres termes, pour établir un dialogue cognitif, il doit commencer par un dialogue culturel et émotionnel. C’est pourquoi, la condition préalable pour que l’éducateur puisse avoir une incidence sur l’apprentissage de l’autre, est donc qu’il y ait une «rencontre» entre eux. La métaphore de l’apprentissage comme rencontre permet de comprendre que deux personnes ne peuvent pas dialoguer si elles ne se sont pas rencontrées. Le corollaire de cette métaphore est de se demander qui va à la rencontre de l’autre? L’éducateur va-t-il vers l’élève ou est-ce l’élève qui va vers l’enseignant? Etant donné que c’est l’éducateur qui a l’intention et la responsabilité sociale d’enseigner, c’est lui qui doit s’approcher Comment stimuler l’apprentissage ? 67 de l’élève et non l’inverse. C‘est l’éducateur qui a la responsabilité de l’apprentissage de l’élève et c’est pourquoi il doit aller à sa rencontre. 1. Discutez en groupe du sens des phrases suivantes et voyez si vous tombez d’accord ou non entre vous: ▪ Les activités éducatives constituent des «échafaudages» pour l’apprentissage. ▪ Le but de l’aide pédagogique est de cesser d’être nécessaire. ▪ L’éducateur a la responsabilité de l’apprentissage de l’élève et c’est pour cette raison qu’il doit aller à sa rencontre. 2. Nous vous proposons de réaliser une activité intégrant tout ce qui a été étudié jusqu’à présent. Créez individuellement ou collectivement une activité d’apprentissage sur un contenu que vous travaillez quotidiennement. Prenez en compte les différents thèmes analysés, de manière à ce que l’activité garantisse le succès de l’apprentissage. 3. Pour clore cette brochure, nous proposons au lecteur de reprendre les questions relatives à l’apprentissage que nous avons formulé dans les activités du premier chapitre. Essayez de comparer les réponses que vous donnez aujourd’hui avec celles que vous formuliez au début de la brochure. Estimezvous avoir enrichi vos connaissances sur le processus d’apprentissage? ▪ Apprendre; est-ce une action ou un processus mental? ▪ Que se passe-t-il à dans notre esprit lorsque nous apprenons? Ce processus s’effectue-t-il en une seule fois ou par étapes? Est-il nécessaire de comprendre pour apprendre? ▪ Peut-on modifier ce qui a été appris? ▪ Apprendre: est-ce une question de volonté? Y a-t-il des personnes qui veulent apprendre et ne peuvent pas? Pourquoi n’y arrivent-elles pas? Y a-t-il des personnes qui ne veulent pas apprendre alors qu’elles le pourraient parfaitement? 68 Comment apprenons-nous? GLOSSAIRE ET BIBLIOGRAPHIE SUGGÉRÉE Le glossaire suivant a été réalisé dans le but d’accroître et d’approfondir les théories et les concepts travaillés dans cette brochure. La question portant sur comment l’on acquiert les connaissances et comment on apprend est une question à laquelle les hommes tentent de répondre depuis très longtemps. En réalité, les premiers à avoir donné une réponse concrète à cette question furent les philosophes grecs de l’antiquité, comme Platon et Aristote. Ils y ont répondu au VIème siècle avant Jésus Christ. A partir de différentes conceptions philosophiques, ils ont tous deux construit des théories pour expliquer comment les personnes apprennent. Des siècles après l’élaboration de ces théories par les philosophes grecs, nous continuons à chercher des réponses aux questions touchant la connaissance. Depuis la fin du XIXème siècle et durant tout le XIXème siècle, de nombreuses et différentes théories ont été élaborées pour expliquer l’apprentissage. Une théorie est une construction conceptuelle, un ensemble de lois scientifiques ou philosophiques qui servent à expliquer un ensemble de faits. Nous expliquerons brièvement maintenant les différentes théories d’apprentissage qui ont eu ou ont la plus grande influence dans le domaine de l’éducation. Nous ferons plus particulièrement référence aux théories qui ont été travaillées dans cette brochure. Le comportementalisme Vers la fin du XIXème siècle, un courant théorique sur l’apprentissage, qui s’est avéré très important, a fait son appari- GLOSSAIRE ET BIBLIOGRAPHIE SUGGÉRÉE 69 tion: il s’agit du comportementalisme. Plusieurs théories ont été développées à l’intérieur de ce même courant. Les plus connues sont celles de Pavlov, de Watson, et plus tard de Skinner. Le comportementalisme est une théorie qui fournit une réponse cohérente à la question des connaissances et de l’apprentissage. Son principe de base est que notre connaissance s’effectue par reproduction ou copie de conduites adéquates face à des stimuli de l’environnement. Selon la théorie comportementaliste, l’apprentissage obéit aux même règles chez les êtres humains et chez les animaux: l’apprentissage se produit lorsque nous associons des stimuli provenant du monde avec des réponses que nous produisons face à ces stimuli. Associer serait un peu comme «coller» un stimulus à une réponse. Comment s’associent un stimulus et une réponse ? D’une part, ils s’associent parce qu’ils se produisent presque simultanément. Ce que l’on a appelé la loi de contiguïté. Vers la moitié du XIXème siècle, le psychologue comportementaliste nord-américain B.F. Skinner a développé la loi du renforcement. Selon cette loi, une conduite ne reste associée à un stimulus que si elle est renforcée par l’environnement, c’està-dire que, si dans la continuité de l’adoption du comportement, une conséquence positive apparaît pour le sujet. Le comportementalisme a eu son moment de gloire dans la première moitié du XIXème siècle. A cette époque, les éducateurs de différents coins de la planète ont adopté la majorité des ses plus importants postulats. De nos jours, deux idées importantes du comportementalisme continuent d’être utilisées dans le domaine de l’éducation: l’idée que l’apprentissage consiste à associer une conduite à un stimulus et l’idée que les réponses correctes doivent être renforcées. Le constructivisme Tout d’abord, le constructivisme est un terme à la mode parmi les éducateurs. Le fait d’utiliser de façon permanente ce terme, sans préciser son contenu, a généré une certaine confusion. Le constructivisme est un des autres grands courants théoriques sur l’apprentissage développés au cours de ce siècle. 70 Comment apprenons-nous? Différentes théories convergent aussi dans ce courant; elles ont en commun l’idée que la connaissance humaine n’est ni simplement une copie de la réalité (comme le soutient le comportementaliste), ni le résultat de disposition biologique, mais plutôt le produit de l’interaction entre ces deux facteurs. Ainsi le constructivisme prétend que c’est dans l’interaction entre ces deux facteurs que le sujet construit ses connaissances. Le constructivisme se fonde sur différentes théories: spécialement celle de Piaget et celle de Vigotsky. Ainsi, au sein du constructivisme, certains spécialistes coïncident sur différentes théories provenant de courants issus de la psychologie cognitive ou du cognitivisme. Ces théories ont entre elles des points communs mais aussi certaines différences. Adhérer aux postulats constructivistes, no signifie pas que l’ on adhère immédiatement à tous ses postulats. Quelles sont les caractéristiques centrales de chacune des théories composant le courant constructiviste? Nous ne développerons que les théories qui ont été considérées dans l’élaboration de cette brochure. La théorie psychogénétique C’est la théorie développée par le suisse Jean Piaget. La question à laquelle cet auteur a tenté de répondre était: comment passe-t-on d’une moindre connaissance à une connaissance majeure? Ce que Piaget voulait comprendre était comment les êtres humains, depuis leur naissance, peuvent connaître le monde de manière chaque fois un peu plus complexe. Pour cet auteur, cette capacité à connaître chaque fois un peu mieux le monde est due au fait que nos structures cognitives améliorent notre capacité à apprendre au fur et à mesure de notre croissance et de notre interaction avec l’environnement. Nos structures cognitives sont un ensemble de schémas mentaux, qui constituent les outils dont nous disposons pour connaître. Pour cet auteur, la progression s’effectue à partir des modes les plus simples, comme ceux des bébés, aboutissant aux modes les plus complexes comme ceux des adolescents et des adultes. Nous allons traverser différents stades de connaissances, GLOSSAIRE ET BIBLIOGRAPHIE SUGGÉRÉE 71 des plus simples aux plus complexes. Ces stades sont des phases définies en accord avec les différentes capacités de nos structures cognitives. La théorie de Piaget est un pilier fondamental du constructivisme. Il soutient l’importance du fait que nous pouvons seulement savoir à partir des structures que nous possédons déjà, lesquelles s’améliorent au moyen des nouvelles connaissances. La théorie socio-historique Il s’agit de la théorie qu’a développée le psychologue russe Lev Vigotsky. Selon cette théorie, la connaissance se construit lorsque les personnes intériorisent et incorporent des éléments provenant de leur culture, comme, par exemple, le langage. Pour être plus précis, il s’agit plus d’une reconstruction que d’une construction. Nous nous approprions des éléments de la culture à partir de l’interaction avec d’autres personnes. Le développement constitue précisément ce processus d’appropriation de la culture. Pour Vigotsky, ces éléments culturels ou «outils» proviennent du milieu social externe du sujet, mais ils doivent être intériorisés par chaque personne en particulier. Il s’agit d’un processus de «va-et-vient»: nous intériorisons les éléments de la culture et simultanément, nous générons nos propres contributions au milieu social. Le concept de Zone de Développement Proche est un des concepts centraux de cette théorie. Il s’agit de la distance séparant le «niveau de développement actuel» (les capacités que nous avons déjà acquises) et le «niveau de développement potentiel», qui sont les capacités que nous pourrons acquérir avec l’aide d’autres. Vigotsky considérait qu’analyser seulement le niveau de développement réel signifiait perdre de vue quelque chose d’important. Pour lui, il était beaucoup plus intéressant de considérer les victoires que les personnes sont en mesure de remporter, à condition de recevoir l’aide adaptée. Ce soutien sera fournit par quelqu’un qui dispose déjà de cette capacité. Ainsi, les interactions avec d’autres personnes génèrent le développement. La psychologie cognitive La psychologie cognitive est un autre courant théorique de l’apprentissage qui a été développé au cours de ce siècle. Ce courant est composé de diverses théories et son développement a 72 Comment apprenons-nous? commencé aux Etats-Unis, comme réponse au comportementalisme. Comme nous l’avons déjà signalé, la psychologie cognitive est actuellement considérée comme une partie du constructivisme. Nous ne signalerons que les théories de ce courant qui ont été considérées dans l’élaboration de cette brochure. La théorie de Jérôme Bruner Dans la lignée de la psychologie cognitive, le psychologue et éducateur nord-américain Jérôme Bruner, le principal propagateur de la théorie de Vigotsky en occident, s’est également intéressé à la théorie de Piaget et à d’autres théories appartenant au vaste cadre du mouvement constructiviste. Actuellement, la théorie de Bruner est largement utilisée dans le domaine de l’éducation et elle est considérée comme faisant partie intégrante du courant cognitif et constructiviste. Bruner a développé d’importants concepts tant dans le domaine de la psychologie que dans celui de l’éducation. Le concept d’ «échafaudage» a été développé par Bruner à partir de l’idée de Zone Proche de Développement de Vigotsky. Théorie de l’apprentissage significatif Cette théorie a été développée par David Ausubel. L’auteur a développé la théorie de l’apprentissage significatif ainsi que ses différences avec l’apprentissage par mémorisation. Il a également analysé les différences entre l’apprentissage par réception et l’apprentissage par découverte et la façon dont les deux peuvent conduire à l’apprentissage significatif. De nos jours, son travail est célèbre et amplement utilisé dans le domaine de l’éducation. Théorie des intelligences multiples Développée par Howard Gardner, voici une autre des théories les plus importantes de la psychologie cognitive. Parce qu’elle soutient le postulat des intelligences multiples des personnes, cette théorie s’est trouvée confrontée aux autres conceptions, notamment celle de Piaget qui considérait l’intelligence comme unique et générale s’appliquant aux différents domaines de la réalité. Les travaux de Gardner concernant les intelligences multiples ont commencé à être utilisés de plus en plus dans le domaine éducatif et ce, spécialement à partir des années 90. GLOSSAIRE ET BIBLIOGRAPHIE SUGGÉRÉE 73 La psychologie profonde La psychologie profonde est la branche de la psychologie qui étudie le développement émotionnel et psychosocial. Au sein même de cette discipline, il y a différentes théories expliquant l’apprentissage d’un point de vue affectif et relationnel. Nous n’en signalerons que les concepts considérés lors de l’élaboration de cette brochure. La disposition pour apprendre: ce concept est principalement fondé sur la théorie psychanalytique et s’appuie sur certaines de ses lignes théoriques. La psychanalyse est une théorie psychologique créée au début du XIXème siècle en Autriche par S. Freud. Dans cette brochure, nous avons travaillé en particulier avec les textes des auteurs argentins S. Schlemenson et Y. Fernandez. La matrice d’apprentissage: ce concept a été tiré du courant de psychologie sociale développé par le psychologue argentin E. Pichon Rivière. Ses travaux ont été poursuivis, entre autre, par A.Quiroga et ont été appliqués tant dans le domaine éducatif que dans le champ clinique. Nous tenons à préciser qu’il s’agit d’une des lignes de la psychologie sociale inspirée de la psychologie profonde, elle est donc différente de la psychologie sociale nord-américaine. Quelques lectures recommandées pour ceux qui désirent approfondir ces thèmes (références en espagnol, la majeure partie des ouvrages étant disponible en français). • «La psicología de la inteligencia» de J. Piaget. Ed. Morata. Madrid. • “Psicología del niño» de J. Piaget. Ed. Morata. Madrid. • «El desarrollo de los procesos psicológicos superiores» de L. Vigotsky. Ed. Visor. Madrid. • «Pensamiento y lenguaje» de L. Vigotsky. Ed. Visor. Madrid. • «Vigotski y el aprendizaje escolar» de R. Baquero. Ed. Aique. Buenos Aires. • «El sujeto de la psicología cognitiva» de A. Riviere. Alianza Ed. Madrid. 74 Comment apprenons-nous? • «Introducción a la Psicología Cognitiva». M.Carretero. Ed. Aique. Buenos Aires • «Teorías cognitivas del aprendizaje» de J. I. Pozo. Ed. Morata. Madrid. • «Aprendices y maestros» de J.I. Pozo. Alianza Ed. Madrid. • “Estimular las inteligencias múltiples» de C. Antunes. Ed. Narcea. Madrid. • «La comprensión del aprendizaje en el aula» de N. Entwistle. Ed. Paidós. Madrid. • «El aprendizaje: un encuentro de sentidos» de S. Schlemenson. Ed. Kapelusz. Buenos Aires. • «La inteligencia atrapada» de A. Fernández. Ed. Nueva Visión. Buenos Aires. • «Constructivismo y educación», de Mario Carretero, Ed. Aique, Buenos Aires. GLOSSAIRE ET BIBLIOGRAPHIE SUGGÉRÉE 75 BIBLIOGRAPHIE (références en espagnol, certains de ces ouvrages sont disponibles en français). Antunes, C. (2000). Estimular las inteligencias múltiples. Narcea. Madrid. Baquero, R. (1996). Vigotsky y el aprendizaje escolar. Aique. Buenos Aires. Bruner, J. (1988). Desarrollo cognitivo y educación. Ediciones Morata. Madrid. Bruner, J. (1988). Realidad mental y mundos posibles. Gedisa. Bacelona. Bruner (1997). La educación, puerta de la cultura. Aprendizaje Visor. Barcelona. Carretero, M (1996). Constructivismo y educación. Aique. Buenos Aires. Carretero M. (1997). Introducción a la Psicología Cognitiva. Aique. Buenos Aires. Carretero, M. y Limón, M. (1997). Problemas actuales del constructivismo. De la teoría a la práctica, en Rodrigo, M.J. y Arnay, J. (Comps.): La construcción del conocimiento escolar. Paidós. Barcelona. Carretero, M. (comp.) (1998). Desarrollo y aprendizaje. Aique. Buenos Aires. Carretero, M., Castorina, J. A., y Baquero, R. (comps.). (1998) Debates constructivistas. Aique. Buenos Aires. Caruso, M. y Fairstein, G. (1996). Las puertas del cielo. Hipótesis acerca de la recepción de la psicogénesis y el constructivismo de raíz piagetiana en el campo pedagógico argentino (1950 – 1981), en A. Puiggrós (Dir.) Historia de la educación en la Argentina, tomo VIII. Galerna. Buenos Aires. Caruso, M. y Fairstein, G. (1997). Piaget en la Argentina. Un estudio de caso sobre su recepción en el campo pedagógico en los años de hierro (1970 – 1976), en B. Freitag (Org.) (1997) Piaget, 100 años. Cortez Editora. San Pablo. Castorina y otros (1996). Piaget- Vigotsky: contribuciones para replantear el debate. Paidós. Buenos Aires. 76 Comment apprenons-nous? Castorina, J. A. (1996). El debate Piaget – Vigotsky: la búsqueda de un criterio para su evaluación, en J. A. Castorina y otros.: Piaget – Vigotsky: contribuciones para replantear el debate. Paidós. Buenos Aires. Castorina, J.A. (1998). Los problemas actuales del constructivismo y sus relaciones con la educación, en M. Carretero, J.A. Castorina y R. Baquero (comps.): Debates constructivistas. Aique. Buenos Aires. Castorina, J.A., Coll, C. y otros (1998). Piaget en la educación. Debate en torno a sus aportaciones. Paidós y Universidad Autónoma de México. México. Coll, C. (comp.) (1983). Psicología genética y aprendizajes escolares. Siglo XXI. México. Coll, C. (1983). Las aportaciones de la psicología a la educación: el caso de la teoría genética y los aprendizajes escolares, en C.Coll (comp.) Psicología genética y aprendizajes escolares. Siglo XXI. México. Coll, C. (1997). Constructivismo y educación escolar: ni hablamos siempre de lo mismo ni lo hacemos siempre desde la misma perspectiva epistemológica, en M.J: Rodrigo. y J. Arnay (Comps.) La construcción del conocimiento escolar. Paidós. Barcelona. Doise, W. y Mugny, G. (1983). La construcción social de la inteligencia. Trillas. México. Duckworth, E. (1981). O se lo enseñamos demasiado pronto y no pueden aprenderlo o demasiado tarde y ya lo conocen: el dilema de “aplicar a Piaget”, en Infancia y Aprendizaje, Monográfico, Piaget, pp.163 –176. Duckworth, E. (1986). El tener ideas maravillosas, en M. Schwebel y J. Raph: Piaget en el aula. Huemul. Buenos Aires. Duschatzky, S. (1999). La escuela como frontera. Paidós. Buenos Aires. Entwistle, N. (1988) La comprensión del aprendizaje en el aula. Paidós. Madrid. Fairstein, G. y Carretero, M. (2001). La teoría de Piaget y la educación. Medio siglo de debates y aplicaciones, en J.Trilla (Coord.) El legado pedagógico del siglo XX para la escuela del siglo XXI. Graó. Barcelona. Fernández Berrocal, P. y Melero Zabal, M. A. (comps.) (1995). La interacción social en contextos educativos. Siglo Veintiuno. Madrid. Fernández, A. (1995). La inteligencia atrapada . Nueva Visión. Buenos Aires. Ferreiro, E. (1996) (Coord). Los hijos del analfabetismo. Siglo Veintiuno. México. Gadner, H. (1993). Estructuras de la mente. La teoría de las inteligencias múltiples. Fondo de cultura Económica, 2ª ed., México. Hernández Rojas, G. (1998). Paradigmas en psicología de la educación. Paidós. México. Luzuriaga, I. (1969). La inteligencia contra si misma. Losada. Buenos Aires. Mugny, G. y Pérez, J. (1988). (Comps.) Psicología social del desarrollo cognitivo. Anthropos. Barcelona. 77 Newman, D. Griffin, P. y Cole, M. (1991). La zona de construcción del conocimiento. Ediciones Morata. Madrid. Novak, J. (1990). Teoría de la educación. Alianza. Madrid. Perret-Clermont, A. N. y Nicolet, M. (1992). Interactuar y conocer. Desafíos yregulaciones sociales en el desarrollo cognitivo. Miño y Dávila. Buenos Aires. Pasel, S. (1990) Aula- taller. Piaget, J.(1981). Psicología del niño. Ediciones Morata. Madrid. Piaget, J. (1978). La equilibración de las estructuras cognitivas. Siglo Veintiuno. Madrid. Pozo, J. I. (1989). Teorías cognitivas del aprendizaje. Ediciones Morata. Madrid. Pozo, J. I. (1997). Aprendices y maestros. Alianza. Madrid. Riviere, A. (1987). El sujeto de la psicología cognitiva. Alianza. Madrid. Rodrigo, M. J. y Arnay, J. (Comps.) (1997). La construcción del conocimiento escolar. Paidós. Barcelona. Rodríguez Moneo, M. (1999). Conocimiento previo y cambio conceptual. Aique. Buenos Aires. Rogoff, B. (1993). Aprendices del pensamiento. El desarrollo cognitivo en el contexto social. Paidós. Barcelona. Rosbaco, I. C. (2000). El desnutrido escolar. Homo Sapiens. Rosario. Schlemenson, S. (1196). El aprendizaje: un encuentro de sentidos. Kapelusz. Buenos Aires. Vygotsky, L. S. (1979). El desarrollo de los procesos psicológicos superiores. Grijalbo. Barcelona. Vygotsky, L. S. (1993). Pensamiento y lenguaje. Fausto. Buenos Aires. 78 Comment apprenons-nous? SOMMAIRE Présentation 6 Introduction 9 CHAPITRE I: Qu’est-ce que l’apprentissage? 1.1.Pourquoi une brochure sur l’apprentissage? 1.2.Comment se préparer pour apprendre la théorie de l’apprentissage? 1.3.L’apprentissage: un processus interne 1.4.Qu’est-ce qu’ «apprendre» pour les êtres humains? 1.5.Qu’est-ce que l’apprentissage? 1.6.Les processus psychologiques 1.7.Apprentissage: «disposition émotionnelle à apprendre» + «processus cognitif d’apprentissage» 1.8.Apprenons-nous tous de la même manière? 11 12 CHAPITRE II: La disposition pour apprendre 2.1.L’apprentissage d’un point de vue émotionnel 2.2.Qu’est-ce que la disposition pour apprendre? 2.3.Les obstacles liés à la situation que traverse la personne 2.4.Les obstacles liés à l’histoire personnelle de l’apprenant 2.5.Les obstacles liés à la perception du contexte d’apprentissage 25 25 26 29 CHAPITRE III: Le processus cognitif d’apprentissage 3.1.L’apprentissage d’un point de vue cognitif 3.2.Quelle est l’importance des connaissances préalables? 3.3.Quelles fonctions accomplissent les connaissances préalables dans l’apprentissage? 3.4.Qu’est-ce que le changement cognitif? 3.5.Pourquoi la transformation cognitive se produit-elle? 3.6.Quel type d’activité d’apprentissage conduit au changement cognitif? 3.7.En résumé... Comment avoir une incidence sur l’apprentissage? 14 15 15 16 17 20 22 30 32 35 35 38 39 41 42 44 46 79 80 3.8. Peut-on faciliter le processus de changement cognitif? 3.9. Quel est l’impact de l’intelligence sur le changement cognitif? 3.10. Comment la culture influe-t-elle sur l’intelligence? 47 48 CHAPITRE IV: Les différents types d’apprentissage 4.1.Chercher à se souvenir de ce que l’on apprend: l’apprentissage par mémorisation ou associatif 4.2.Chercher à comprendre ce que l’on apprend: l’apprentissage significatif 4.3.Chacun a son propre style 4.4.Les intelligences multiples 53 CHAPITRE V: Comment stimuler l’apprentissage? 5.1.Comment peut-on favoriser l’apprentissage? 5.2.Les activités constituent des «échafaudages» pour l’apprentissage 5.3.Comment peut-on aider les élèves à apprendre? 5.4.Le but ultime de l’aide: cesser d’être nécessaire 5.5.Pour continuer à penser... la métaphore de la rencontre éducative 61 62 Glossaire et bibliographie suggérée 69 Bibliographie 76 Comment apprenons-nous? 49 54 55 56 57 64 65 66 67 La brochure est composée de cinq chapitres qui abordent les différentes dimensions de ce phénomène, étudiées du point de vue de la psychologie et de l’anthropologie. Le premier chapitre présente une explication générale de l’apprentissage et fonctionne comme une introduction aux chapitres qui suivent. Le second, «la disposition pour apprendre», analyse les aspects émotionnels et culturels en relation avec l’acte d’apprendre. Le chapitre 3, quant à lui, explique le processus cognitif responsable de l’apprentissage. Le quatrième offre une distinction entre les différents types d’apprentissage. Enfin, le cinquième et dernier chapitre aborde la problématique relative à la stimulation de l’apprentissage. A la fin de chacun de ces chapitres, des activités théoriques et pratiques sont proposées, elles permettent de travailler et d’élaborer les contenus abordés. 81