L`ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE

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L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
UNE REPONSE
AUX ENJEUX
INTERNATIONAUX
Sous la direction de Thierry Jeantet
Et la coordination d’Anne-Marie Wioland-Sahabana
Association Les Rencontres du Mont-Blanc
Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
RMB
Association de loi 1901 pensée en 2004, fondée en octobre 2005
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Association Les Rencontres du Mont-Blanc
Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire
L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
UNE REPONSE AUX ENJEUX INTERNATIONAUX
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Conçu par nos soins, 2012
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SOMMAIRE
Sommaire ..................................................................................................................................... 5
Présentation de l’association ..................................................................................................... 6
CHAPITRE I : L’Economie Sociale et Solidaire sur la scène politique internationale ............ 7
Lettre aux Chefs d’Etat ............................................................................................................ 9
Intervention de Michel Rocard à la 5ème édition des Rencontres du Mont-Blanc ............. 18
Les attentes du Sommet de la Terre Rio+20, article collectif France, Sénégal, Canada.. 28
Chapitre II : Les solutions de l’Economie Sociale et Solidaire pour la sortie des crises .... 31
L’économie sociale et solidaire : un nouveau système économique,
par Nicolas Cruz Tineo, République Dominicaine .............................................................. 33
Les réponses de l’économie sociale et solidaire aux besoins sociaux dans le monde,
par Abdou Salam Fall, Sénégal............................................................................................. 55
L’urgence écologique, le principal défi de l’économie sociale et solidaire,
par Louis Favreau, Canada ................................................................................................... 66
Chapitre III : Quelles pistes pour l’Economie Sociale et Solidaire de demain ?................... 80
La communication est essentielle dans l'économie sociale et solidaire,
par José Maria Garriga, Argentine ....................................................................................... 82
L’enjeu de la formation en économie sociale et solidaire, article collectif
par les membres du « Groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS », multi-pays ................ 94
L’économie sociale, solidaire : une approche sociétale,
par Thierry Jeantet, France ................................................................................................. 110
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
PRESENTATION DE L’ASSOCIATION
Les Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire,
est une association de loi 1901 créée en 2005, de la volonté de dirigeants d’entreprises sociales et
solidaires de France et du Québec de se rassembler pour co-construire des projets conciliant efficacité
sociale, civique, environnementale et économique. Les RMB veulent apporter la preuve par l’exemple que
l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) rend possible d’entreprendre autrement, en cohérence avec un
objectif global de développement durable.
L’association se veut internationale et s’est donné les moyens, en cette année 2012, de renforcer cette
internationalisation. D’une part avec l’adoption de nouveaux statuts plus enclins à l’adhésion de structures
d’ESS de tous pays et de tous niveaux de revenus, d’autre part par une présence plus fortement marquée
sur la scène internationale (présentation de ses travaux au siège de l’ONU à New York en mars,
accréditation par l’ONU en mai, participation au Sommet de la Terre Rio+20 à Rio de Janeiro en juin).
L’Economie Sociale et Solidaire est, de par sa nature intégrative et de rassemblement, « transfamilles » et
« transfrontières », en ce qu’elle peut faire travailler conjointement des structures différentes
(associations, coopératives, fondations, mutuelles), de secteurs différents et de tous pays.
Les Rencontres du Mont-Blanc - Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire
entendent favoriser la visibilité et la reconnaissance internationale de l'économie sociale et solidaire.
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CHAPITRE I :
L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE SUR LA SCENE
POLITIQUE INTERNATIONALE
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Contexte de la rédaction et transmission de la lettre aux Chefs d’Etat
Le contenu de la Lettre aux Chefs d’Etat qui suit est tiré de la synthèse du prérapport d’orientation de la cinquième édition des Rencontres du Mont-Blanc
2011. Les 20 propositions qu’elle contient ont été discutées, débattues,
enrichies au cours des trois journées qui ont rassemblé plus de 240 dirigeants
et acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire de près de 40 pays différents et
finalement adoptées pour devenir les 20 propositions de l’ESS internationale à
faire connaître sur la scène politique à l’occasion du Sommet de la Terre Rio+20.
Première historique dans l’histoire de l’Economie Sociale et Solidaire, cette « Lettre » a été adressée aux
193 Chefs d’Etat membres de l’organisation des Nations-Unies entre février et mai 2012. Elle a été
présentée par des acteurs de l’ESS, au siège de l’organisation des Nations-Unies puis à Rio de Janeiro.
Ainsi, les dirigeants et décideurs du monde entier, les représentants des grandes organisations
internationales et la société civile ont pris connaissance de ces 20 propositions dont la mise en œuvre
peut être immédiate et représente une réelle alternative au modèle économique dominant.
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
Lettre aux Chefs d’Etat
Chamonix, le 12 novembre 2011
Association les Rencontres du Mont-Blanc
Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale
A l’attention de Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat
Membres de l’Organisation des Nations-Unies
Objet : Cinq chantiers et 20 propositions des dirigeants de l’Economie Sociale
pour changer de modèle à l’heure de RIO+20
Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat,
Le Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale, intitulé Les Rencontres du Mont-Blanc, a élaboré et
adopté à l’unanimité, les 10, 11 et 12 novembre 2011, un document d’orientation dont la présente synthèse vous est
adressée ainsi qu’aux autres Chefs d’Etat qui participeront au sommet de Rio 2012 sur le développement durable.
Notre identité collective :
Liberté d’adhésion, gestion démocratique (une personne, une voix), juste répartition des excédents, épanouissement
des personnes, indépendance vis-à-vis des États, sont les principes qui forgent l’identité de l’économie sociale. Guidé
par ces valeurs fortes, cette composante de l’économie qui représente 10% du PIB mondial, 10% des emplois et 10% de
la finance agit dans de nombreux domaines d’activités, dans une zone d’échanges marchands et non marchands.
Les participants des Rencontres du Mont-Blanc, sachant que l’économie sociale, reposant sur l’implication des
personnes et dans le respect de son environnement, constitue une voie de solution mondiale pour "mieux vivre
ensemble" en organisant des solutions de gestion collective de nos ressources rares, souhaitent que vous preniez en
compte celle-ci dans vos discussions et décisions.
Notre légitimité à vous interpeller :
Le projet des différentes familles de l’économie sociale et solidaire (ESS) déborde très largement du champ
économique. Il vise depuis ses origines l’instauration d’une société plus équitable, plus solidaire, plus démocratique par
la mise en œuvre de projets de long terme qui prennent désormais en compte la dimension écologique. On ne peut
dissocier son projet économique (s’associer pour entreprendre) de son projet social (justice et démocratie) et donc on ne
peut réduire son rôle, son poids et sa contribution aux seuls indicateurs économiques de la richesse, au nombre
d’entreprises qu’elle a créées et au nombre d’emplois générés. Bref, son seul poids économique est loin de suffire à la
définir.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’ESS est partie prenante de la construction d’une alternative crédible à l’économie libérale, par son rôle social et
écologique et l’impact de son projet, de son éthique, de son mode de gouvernance, de ses réalisations et de son
influence sur les autres acteurs de la planète économique (entreprises publiques ou entreprises du secteur marchand).
Le libéralisme démontre ses limites de plus en plus intensément du Nord au Sud, et des Nords aux Suds, et s’avère
favorable à l’émergence de l’économie sociale comme vecteur de solutions et d’alternatives possibles; les entreprises,
les organisations de l’ESS entendent se positionner plus et mieux sur la scène économique mondiale afin de prouver
que les stratégies de mise en œuvre d’un modèle repensé qu’elles proposent sont incontournables. Les actions de l’ESS
et leur portée expriment la volonté de changer d’échelle. Sans vouloir substituer un modèle unique au modèle dominant,
l’ESS peut contribuer à le dépasser et à infléchir l’ensemble de l’économie en démontrant par sa pratique, ses valeurs et
ses politiques, sa capacité à assumer complètement les enjeux d’un développement durable, c’est-à-dire d’un
développement économiquement viable, socialement équitable et écologiquement durable, et créateur d’emplois de
qualité dans une économie au service du bien vivre dans le monde d’aujourd’hui.
Nous avons donc décidé de vous interpeller en nous fédérant solidement tant sur le plan national qu’international. Notre
organisation propose 20 engagements de la part des chefs d’Etat, des pouvoirs publics dont elle veut être un
partenaire en collaboration avec d’autres acteurs notamment les institutions internationales et les autres acteurs
économiques.
A partir d’une analyse de la crise actuelle (disponible sur simple demande auprès de l’association des Rencontres du
Mont Blanc), construite avec des chercheurs du monde entier ayant observé nos projets respectifs dans les différents
domaines d’activités, nos contributions s’inspirent des meilleures pratiques de l’expérience internationale de l’ESS
autour de cinq chantiers. Ces cinq chantiers traduisent de manière opérationnelle les pistes de sortie de crises
précédemment évoquées :
1) démocratiser l’économie et réguler la finance;
2) promouvoir un mode de gouvernance partagée ;
3) offrir de nouveaux choix sociaux;
4) mieux nourrir la planète ;
5) réorienter la mondialisation pour l’humaniser.
Ces 5 chantiers et donc nos 20 propositions (cf. ci-après) sont ancrés autour d’un fil rouge : faire mouvement par une
action politique fédérative en alliance avec d’autres organisations et institutions, notamment en obtenant la création d’un
« Major Group » de l’Economie Sociale.
Thierry JEANTET,
pour le Forum International des dirigeants de l’Économie Sociale.
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
Premier chantier : démocratiser l’économie, favoriser sa territorialisation et réguler la finance
Les institutions internationales ont longtemps été prisonnières d’une définition trop restrictive du
développement trop longtemps associé à la seule croissance. Repenser l’économie, c’est d’abord,
à notre avis, miser sur un type d’entreprises qui favorisent les territoires et le cadre de vie des
populations: des entreprises à propriété privée et collective. Autrement dit il faut accélérer le
renforcement d’une économie non capitaliste.
C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :
• de favoriser par tous les moyens le développement d’un vaste secteur non capitaliste
d’entreprises d’ESS fonctionnant de façon démocratique autour des enjeux de la crise globale que nous
traversons., par l’affirmation universelle de la pluralité des formes d’entreprendre à travers la
reconnaissance législative des statuts coopératifs, mutualistes, associatifs et des fondations par l’adoption
de lois-cadres sur l’ESS et par la définition d’un signe de reconnaissance de l’ESS à travers un label, la
définition d’indicateurs et de critères d’appartenance à l’ESS (proposition 1)
• de soutenir fortement la prise ou la reprise de contrôle des biens communs à travers des modes
de gestion collective (eau, terre, ressources naturelles…) par les communautés et les États à partir, plus
particulièrement, du développement de coopératives, de mutuelles et d’associations. En effet, l’économie
sociale, évolutive, a la capacité de créer de nouvelles formes d’entreprises et d’organisations, sous des
formes de propriété à la fois collective et privée qui assurent mieux une durabilité aux entreprises et
organisations (formes coopératives, associatives, mutualistes) et une accessibilité à des biens et services
(semences libres, logiciels libres…)(proposition 2)
• de soutenir avec plus de force la «biodiversité» de l’économie, l’entrepreneuriat collectif et le
développement durable et solidaire des territoires par des politiques et des législations qui leur sont
favorables. Nous renforcerons ensemble, sur la base de nos objectifs communs, les liens entre l’ESS,
l’Etat et les collectivités territoriales, en nouant des partenariats étroits, tant à l’échelle nationale que
locale, en s’appuyant sur l’ancrage territorial des coopératives, mutuelles, associations et fondations, pour
favoriser l’accès des jeunes à l’emploi ou encore soutenir le développement de réponses adaptées aux
nouveaux besoins. (proposition 3)
• de vous engager résolument dans la régulation forte de la finance, par l’adoption d’une position
commune de lois sur la taxation des transactions financières, et en vous appuyant sur notre
expérience en la matière. En effet, depuis un bon moment déjà, nous nous affairons à développer une
finance propre à l’ESS ou favorable à celle-ci dans le soutien au développement de nouvelles entreprises
collectives (fonds de travailleurs, orientation des placements financiers de l’ESS vers l’ESS grâce à des
critères sociaux, environnementaux et de gouvernance, programmes publics et internationaux
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
d’accompagnement des entreprises collectives en démarrage, instituts de financement de l’ESS…)
(proposition 4)
Pour vous y aider, nous appelons de notre côté et en notre sein, les Banques coopératives et mutualistes
et les banques alternatives à soutenir localement les initiatives entrepreneuriales, solidaires,
environnementales de l’ESS et à créer des outils communs pour financer les projets continentaux et
internationaux de l’ESS. Et les Etats comme les grandes banques internationales à nouer des partenariats
avec elles en ce sens.
•de choisir chaque fois que l’intérêt général le demande, une autre voie, celle de l’ESS, car vos
possibilités concernant les secteurs stratégiques et/ou sensibles ne se résument pas à un choix bipolaire
(privatisations vs. nationalisation). (proposition 5)
Deuxième chantier : Promouvoir un mode de gouvernance partagée
Les générations des dernières décennies sont beaucoup mobilisées par l’écologie sociale et la
solidarité internationale. Cependant l’équation de base qui a émergé dans l’histoire du mouvement
ouvrier n’a pas perdu de son actualité : il faut recroiser sans cesse justice sociale, efficacité
économique et démocratie à partir des défis de la période qui s’ouvre.
C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements:
• de contraindre toutes les entreprises (publiques, marchandes, collectives) à rendre compte non
seulement de leur création de richesses sur le plan économique mais aussi de leur utilité sociale
et de leur empreinte écologique afin de diriger toutes les activités vers une économie responsable. De
notre côté, nous serons de la partie, en tant qu’entreprises et organisations de l’ESS, en poursuivant avec
d’autres le travail de recherche permettant de mettre en place de nouveaux indicateurs de richesse et
voulons généraliser le recours à des outils d’évaluation de la performance, non plus restreinte aux seuls
apports économiques mais valorisant également les plus-values sociales et environnementales (bilans
sociétaux). Ceci au sein même de nos structures, mais également en tant que financeurs, dans nos
processus de sélection des placements et investissements. (proposition 6)
• d’agir pour préserver notre modèle de gouvernance spécifique, chaque fois qu’il existe, pour
assurer son respect à l’échelle internationale. De notre côté, nous favoriserons votre engagement en
associant les parties prenantes (salariés, consommateurs, etc.) à la gestion de nos entreprises et
structures de l’ESS, en le renforçant et le modernisant pour l’adapter aux nouvelles réalités et garantir
ainsi le fonctionnement participatif de nos organisations. Notre mode de gouvernance démocratique des
entreprises d’ESS intégrera des objectifs sociaux, civiques et environnementaux au-delà même des règles
de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). (proposition 7)
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
• d’encourager systématiquement le développement du mouvement de la consommation
responsable et du commerce équitable par des politiques publiques et des accords internationaux
(proposition 8).
Troisième chantier : offrir de nouveaux choix sociaux
L’État social, dans les pays du Nord en général, est partiellement tombé en crise parce qu’il n’est
pas parvenu à sortir de la précarité quelques 20 % de sa population active, parce qu’il a exclu la
plus grande partie des citoyens et des travailleurs des processus de construction des grands
services publics destinés aux communautés et aux régions (éducation, santé, formation de la main
d’oeuvre…). Simultanément, l’État social, dans nombre de pays du Sud, s’est littéralement
effondré sous l’impact des programmes d’ajustement structurel. Aujourd’hui le « fondamentalisme
de marché » est un échec car il ne parvient pas à démontrer qu’il peut faire mieux que l’État dans
nombre de domaines par la privatisation de la santé, par le ciblage de la protection sociale, par la
valorisation de l’assurance privée.
C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :
• de soutenir, au Sud, la refondation d’États sociaux, notamment par une collaboration avec nos
initiatives d’ESS qui contribuent à solidifier un développement endogène tout particulièrement en matière
d’agriculture, d’épargne et de crédit, de santé et d’habitat. (proposition 9)
• de travailler à renouer au Nord avec un Etat social lié à ses territoires (régions) et à ses
communautés par une participation citoyenne organisée dans la délibération sur les choix des
priorités locales et régionales (en matière de santé, d’éducation, d’habitat, de services sociaux…), dans le
respect du pluralisme et de la diversité à la base de toute relation humaine. (proposition 10)
• de soutenir, partout et avec nous :
- la vie associative productrice de lien social qui est indispensable, notamment par la création
de nouveaux services collectifs telles que des coopératives sociales dans des secteurs comme la santé,
l’éducation, l’habitat… et que ceux-ci doivent émerger d’une cohabitation active des États, collectivités
locales, territoriales, avec les initiatives citoyennes : délégation de services publics, etc.
- le développement de pôles collectifs de développement social (coopératives couveuses
d’activités, associations, coopératives d’artisanat, structures d’aide à l’insertion par l’activité
économique...), afin de systématiser les passerelles entre la sphère économique et la sphère sociale,
entre le secteur marchand et le secteur non marchand,
- les initiatives pour faire de l’ESS un espace de rencontres et de production d’ententes de
partenariat. (proposition 11)
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
• de renforcer les solidarités intergénérationnelles au sein de vos pays par l’appui apporté aux
entreprises et organisations de l’ESS, dont les fonds propres indivisibles assurent la durabilité (non
opéables, non délocalisables). (proposition 12)
• de soutenir nos initiatives d’ESS de démultiplication de la formation des futurs acteurs de notre
développement, en lien étroit avec le monde universitaire et de la recherche, notamment par la
création de centres internationaux de formation de dirigeants de l’ESS. En effet, l’ESS doit permettre aux
nouvelles générations de participer à la gestion du système socio-économique, en ce qu’elle peut
constituer une voie d’accès aux responsabilités. (proposition 13)
• d’instaurer la reconnaissance au niveau mondial du principe universel de l’égalité HommesFemmes et à mettre en place des politiques publiques concrètes en faveur du droit à l’éducation, à la
formation, à la santé, au travail…, à dégager les budgets nécessaires à leur mise en œuvre et assurer
leur évaluation. De notre côté, nous nous engageons à ce que les acteurs de l’ESS accentuent leurs
efforts et dispositifs en faveur de l’égalité hommes/femmes, dans le partage des responsabilités comme
des richesses créées notamment en développant des solidarités entre les organisations de l’ESS.
(proposition 14)
Quatrième chantier : Mieux nourrir la planète
La question écologique est en train de s’imposer dans le débat démocratique tant au plan national
qu’au plan international. Les réponses à l’urgence écologique sont partie prenante d’une
proposition centrale de l’ESS pour la sortie de la crise.
C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :
• de mettre en place, prioritairement, par une éco-fiscalité appropriée, la conversion écologique de
votre économie dans l’habitat (efficacité énergétique) et dans le transport (collectif et public) en
collaboration avec les organisations et entreprises de l’ESS, en misant en priorité sur les énergies
renouvelables (l’éolien, la biomasse, le solaire, le géothermique…) et le retrait, sinon le contrôle, de
l’exploitation des énergies fossiles (gaz de schiste, pétrole…) en collaboration avec les organisations et
entreprises de l’ESS. (proposition 15)
• de construire et mettre en œuvre des politiques de soutien à une « agriculture écologiquement
intensive » et à un aménagement intégré des forêts qui doivent s’arrimer aux organisations paysannes
et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines (biomasse, reforestation…).
Nous soutiendrons vos politiques en ce sens en appelant nos coopératives et organisations paysannes à
collaborer et à se solidariser afin de placer l’innovation au cœur de leurs activités tout en s’assurant de
maintenir leur indépendance vis-à-vis des Etats et des communes. (Proposition 16)
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
• d’appuyer résolument, de concert avec les institutions internationales le droit des peuples à la
souveraineté alimentaire en sortant l’agriculture et la forêt des règles internationales du «tout au
marché» dont elles sont prisonnières. (proposition 17)
• d’impulser et réaliser une politique très volontariste de protection des écosystèmes :
- en reconnaissant et en protégeant les diverses formes de gestion des ressources naturelles,
matérielles et immatérielles, que forme l’éventail des biens communs.
- en s’appuyant et en promouvant l’ESS pour passer d’une économie axée sur le maximum de
profit à une économie durable.
- en menant, avec les citoyens, la nécessaire « révolution bleue », par la promotion d’une
« économie bleue » recherchant la préservation des ressources en eau et le principe de précaution dans
son utilisation. (proposition 18)
Cinquième chantier : Réorienter la mondialisation pour l’humaniser
Ces nombreuses pistes n’ont peut-être rien d’une grande transformation à première vue, mais,
mises ensemble, elles permettent d’ouvrir la voie à une économie au service de la société et donc
de sortir dans les faits, même si ce n’est que partiellement, du capitalisme, de ce «tout au marché»
tout en nous préservant par les dispositifs de la démocratie participative du « tout à l’État ». Il faut
prendre acte des alternatives qui sont déjà là dans des dizaines de milliers d’expériences évoluant
à différentes échelles (locales, nationales, transnationales).
C’est pourquoi nous demandons aux chefs d’Etat et à leurs gouvernements :
• d’intensifier leur encouragement à la solidarité internationale, tout particulièrement la solidarité
Nord-Sud et Sud-Sud, celle qui favorise le développement de nouveaux partenariats entre
coopératives, mutuelles, fonds de travailleurs, associations, syndicats…. En effet, l’ESS constitue
un vecteur d’intégration de l’économie populaire (dite parfois informelle) dans le système économique
mondial. Ses principes et ses valeurs permettent la mutation de structures informelles en entreprises
d’économie sociale (coopératives, mutuelles, associations…). Pour cela, les Etats doivent favoriser et
inciter ce basculement. (proposition 19)
• d’encourager le développement de stratégies de renforcement de pôles continentaux et
internationaux d’ESS. C’est à ce niveau que se situe le Forum international des dirigeants de l’économie
sociale dans son travail avec des organisations comme l’Alliance coopérative internationale (ACI),
l’Association internationale de la mutualité (AIM) et divers réseaux continentaux de l’ESS…, lequel doit
consister à croiser et interconnecter les réseaux d’ESS existants, nationaux, régionaux, transnationaux,
continentaux. (proposition 20)
15
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Pour mettre en œuvre ces chantiers et réaliser ces propositions : nous ferons mouvement par une
action politique fédérative
Afin d’aider aux décisions ci-dessus et à leur mise en pratique, nous croyons nécessaire, aujourd’hui
davantage qu’hier, d’exercer une présence plus forte dans l’espace public et des prises de position sur
des questions de société (ce document en témoigne tout comme les Rencontres du Mont-Blanc que nous
organisons depuis 2004). Près de 450 personnes venues de 60 pays ont participé aux Rencontres du
Mont-Blanc depuis 2004.
C’est pourquoi nous soutiendrons davantage la dimension confédérative internationale des organisations
de l’ESS pour lui assurer plus de poids politique (ACI, AIM…), nous favoriserons la confrontation
d’expériences à l’échelle mondiale, de manière à donner à ces réseaux, les outils nécessaires au
développement de projets transnationaux, car l’internationalisation de ces pratiques doit être multipliée..
Pour ce faire, nous exprimons notre volonté de faire mouvement dans la prochaine décennie avec
d’autres organisations (syndicales, écologiques, paysannes…) en instaurant un débat permanent autour
de cette plate-forme de propositions (sociales, économiques et écologiques) dans la mouvance de cette
grande rencontre internationale qu’est RIO+20.
En espérant que ces 5 chantiers et 20 propositions apparaissent dans vos conclusions.
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
L’auteur : Michel Rocard, France
Secrétaire National du Parti Socialiste Unifié français (PSU)
de 1967 à 1973, Michel Rocard a été élu député des Yvelines
en 1968, puis réélu en 1973 et en 1986. Il sera également
Sénateur des Yvelines de 1995 à 1997.
Michel Rocard entre au Gouvernement français en tant que
Ministre d’Etat, Ministre du Plan et de l’Aménagement du
Territoire, fonctions qu’il occupe de 1981 à 1983, puis il est
nommé Ministre de l’Agriculture, de 1983 à 1985. Le 10 mai
1988, il est nommé Chef du Gouvernement français, fonction qu’il occupera jusqu’en 1991. En 1993,
Michel Rocard prend la direction pour un an du Parti Socialiste en tant que Premier Secrétaire.
Il est élu Député européen en 1994, puis réélu à cette fonction en 1999 et en 2004. Il préside plusieurs
commissions au Parlement européen : il est élu Président de la commission du Développement en 1997,
Président de la commission de l’Emploi et des Affaires Sociales en 1999 et Président de la commission de
la Culture, de la Jeunesse, de l’Education, des Médias et des Sports en 2002. Il démissionne de
l’institution le 1er février 2009.
Depuis le 1er Avril 2009, Michel Rocard assure les fonctions d’Ambassadeur pour les pôles.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Intervention de Michel Rocard à la 5ème édition des Rencontres du
Mont-Blanc
12 novembre 2011, Chamonix
C’est la première fois qu’il m’est donné de participer à vos Rencontres du Mont-Blanc. Ça me fait un plaisir
considérable. À la différence de la plupart d’entre vous, je ne suis pas un travailleur de l’Economie
Sociale, je n’y ai pas d’activité professionnelle permanente, je n’en ai jamais eue. Il s’agit chez moi d’une
découverte ou d’une passion. Du fait que mon occupation principale aujourd’hui dans la vie est la
coopération internationale, cela m’éloigne beaucoup de vous. Si bien que voilà au moins une quinzaine,
sinon une vingtaine d’années, que je n’avais plus suivi l’évolution de l’Économie Sociale, sa dynamique au
sein de ses différents familles, sa croissance dans mon pays et dans les vôtres. Et par conséquent, je suis
arrivé ici en recherche de quelques surprises.
Et, d’après ce que je découvre, en vous écoutant, d’après ce que je découvre en lisant les documents
préparatoires à cette rencontre, je m’aperçois que vous êtes en train de cristalliser un grand progrès.
Naturellement, l’Économie Sociale est un ensemble d’institutions plutôt modestes, ça fonctionne plutôt
lentement, ça ne croît jamais assez vite pour satisfaire nos inquiétudes, nos espérances, et nos volontés
de les faire aboutir. Mais ça ne recule pas. Ça croît. Et quand je lis les documents d’orientation qu’on vous
a remis à l’entrée, je découvre cinq points pour moi majeurs assez largement nouveaux.
L’ampleur mondiale de l’Economie Sociale et le rapprochement de deux mouvances
Les deux premières découvertes, c’est déjà que ces documents et ce que je viens d’entendre à la tribune
un peu rapidement, expriment une prise de conscience à l’effet qu’il s’agit d’un projet d’ampleur
mondiale, une prise de conscience de la dimension mondiale, des valeurs et des propositions de
l’Économie Sociale. C’est un pas en avant déjà considérable.
Je note aussi l’aboutissement d’un problème qui nous avait beaucoup gêné et que je décrirai comme la
réconciliation, l’approfondissement de la relation mutuelle entre les vieilles mouvances solennelles de
l’Économie Sociale, leurs aspects presque académiques, le grand mouvement coopératif, le grand
mouvement mutualiste et cette floraison incroyable qu’on a appelé les entreprises intermédiaires, qu’on a
appelé l’Économie Solidaire, cette multiplication d’initiatives très nouvelles, qui faisaient parfois un peu
peur aux vieux solennels de la coopération et de la mutualité. Lorsqu’en France, le mouvement vert a reçu
une responsabilité ministérielle à ce titre et a demandé à s’appeler l’Économie Sociale et Solidaire, ça a
surpris, ça a gêné le chef du Gouvernement. Mon vieux copain Lionel Jospin a répondu « c’est trop long »
alors ils ont décidé que ce serait le secrétaire d’État seulement à l’Economie Solidaire. C’était
18
Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
sympathique, chaleureux, novateur mais dans ma tête à moi, l’inquiétude a surgi de voir se recreuser le
fossé entre l’innovation parfois teintée de gauchisme, les entreprises intermédiaires, le fabuleux travail fait
par ce secteur dans la réinsertion de ceux qui ont perdu non seulement du travail mais toute relation avec
le fait de travailler, de se lever tôt, d’avoir une embauche, et le fait de rompre avec la haute tradition
pluriséculaire maintenant des coopératives et des mutuelles. Je suis heureux, le rapprochement est fait,
on parle ensemble, les valeurs évoquées sont les mêmes, je n’ai plus retrouvé -j’ai dû lire 60 ou 80 pages
de vos travaux communs- je n’ai plus retrouvé la trace de cette distinction, c’est un pas en avant
considérable et surtout on a échappé à un drame.
Une autre découverte : l’importance accordée à l’économie populaire du Sud
Et puis, je voudrais dire aussi que ces travaux montrent une découverte assumée que l’Économie
Populaire en Afrique, c’est-à-dire l’économie qu’on appelle informelle. Je dois vous dire ici que je suis un
vieux combattant du combat sémantique, du combat de vocabulaire, car dans la notion d’«informel», il y
avait aussi la prostitution, les trafics d’armes, les trafics de diamants, les trafics de pierres précieuses…
C’est un nom de colonisateur de qualifier l’économie populaire d’«économie informelle», c’est un nom de
mépris. Or, en droit, il faut nommer ce que l’on combat. Je veux bien qu’on appelle «informels» le trafics
d’armes ou la prostitution, mais l’Économie Populaire, elle, elle est salubre. Et il faut l’aider à grandir, il
faut l’aider à se stabiliser, il faut l’aider à s’officialiser, à la condition que le fait de s’officialiser ne lui vaille
pas un massacre fiscal. J’ai aimé beaucoup voir la trace de ce combat-là à propos de l’Économie
Populaire, laquelle fait vivre un ou deux milliards d’hommes, de femmes et d’enfants sur la planète, ce qui
est parfaitement intégré dans vos travaux dans la perspective générale de l’Économie Populaire. C’était
pour moi une découverte tout à fait considérable.
L’Economie Sociale, une alternative au capitalisme
J’ai découvert aussi dans ces travaux la conscience enfin exprimée qu’il y a là une forme alternative à ce
capitalisme qui nous a vaincus, voici près d’un bon siècle, et qui est en train de s’effondrer, ou de vaciller,
ou de craquer sous nos yeux. Cette crise mondiale dont on parle beaucoup des aspects financiers et
jamais des aspects qui se traduisent par le fait que dans tous les pays développés aujourd’hui -bonne
chance aux autres, bonne chance aux émergents- dans tous les pays développés, à peu près 30% de la
population est soit au chômage, soit en travail précaire, soit même pauvre, c’est-à-dire même pas
chômeur, même pas précaire. C’est ça le cœur de la crise économique, et c’est ça l’amorce de ce
transfert de pouvoir d’achat qui, partant du monde des salariés qu’il quitte, traduit un abaissement de la
consommation, de la vitesse de la croissance, donc de l’emploi, pour aller vers la spéculation financière,
avec des sommes qui se traduisent par plusieurs dizaines de « T », puisque l’unité qu’emploient
19
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
maintenant les financiers qui commentent la crise, c’est le « T », « T » pour trillions de dollars. Plusieurs
dizaines de milliers de milliards de dollars. Toute cette dette qui ne sera naturellement jamais remboursée.
Devant cette folie qui intégralement menace le monde, il y a prise de conscience. Je rencontre maintenant
enfin, des journalistes à la quête de solutions de remplacement. Il est clair que l’Économie Sociale en
représente une. Cette prise de conscience est faite, elle est traduite dans vos documents. C’est un
changement de dimension et de responsabilité tout à fait considérable.
Et puis enfin, l’affirmation que la crise du capitalisme financier donne à l’Économie Sociale des
opportunités techniques, pratiques, beaucoup plus grandes que sans doute elle n’en a jamais eues
jusqu’à présent. Mes amis, dans l’Économie Sociale, on vit toujours du regret de la petitesse et de
l’insuffisance de nos forces. Ça fait du bien de revenir vous regarder quelques décennies plus tard. Ce
que je viens de résumer ce sont déjà des pas de géant, et je voulais en souligner l’importance.
Des années 1980 à aujourd’hui : la lente remontée de l’Économie Sociale en France
Vous me permettrez -les Français savent tout ce que je vais raconter maintenant en quelques minutespour vous qui ne l’êtes pas en majorité, de vous dire comment ça s’est passé de notre côté, puisque nous
sommes le pays hôte aujourd’hui. J’ai beaucoup d’inconvénients à parler de l’Économie Sociale, car je n’y
travaille pas. Un deuxième inconvénient, c’est quand même que je suis un peu vieux, je suis né en 1930,
je n’ai plus la mine chaleureuse militante de l’adolescence, et ça explique que dans ma jeunesse, je suis
devenu socialiste juste après la guerre, dans une démarche contre la guerre.
Dans mon pays, à cette époque, le socialisme de chez nous allait très mal car, à peine sortis de la guerre,
la France lançait déjà des campagnes de reconquête militaire de notre empire colonial perdu. C’était un
déshonneur flagrant. Certains se souviennent peut-être du scandale des vins, bref le Parti socialiste de
France n’était déjà pas très honorable. Et puis je m’ennuie, et je m’aperçois que ce parti a une insertion
faible dans la population. Je suis un des rares de cette génération chez les socialistes, qui a fréquenté les
écoles d’été de l’Internationale sociale-démocrate. Et là j’ai rencontré les socialistes de mouvement plus
puissants, moins congelés, moins paralysés, et j’ai découvert qu’ils se savaient fils des coopératives et
des bourses du travail. J’ai découvert que l’ESPD allemand s’appuyait toujours financièrement sur la
banque des syndicats, j’ai découvert que la grande force des socio-démocrates suédois prenait racine
dans Consum où 50% de la consommation de toute la Suède passe par un régime de coopératives.
Je rentre en France pour chercher un peu l’équivalent. Et il n’y en a pas, tout le monde s’est oublié
mutuellement. Coopératives et mutuelles vivotent, séparément les unes des autres, en oubliant qu’elles
20
Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
pourraient avoir quelque chose de commun, et sans jamais aucun rapport avec le monde syndical, et
moins encore avec le monde politique. Je me bats, je lance des idées, j’attire un peu l’attention, un des
résultats se trouva dans l’écriture même du fameux «programme commun» de 1981 qui a, un court
moment, rassemblé les communistes français et les socialistes. Et puis, voilà que François Mitterrand me
nomme Secrétaire national du Parti socialiste chargé du secteur public. Et je découvre que le secteur
public tel qu’il est défini dans le «programme commun» comporte –c’est formidable ça– les coopératives
et les mutuelles. Mais c’est aussi tout à fait étonnant.
Je n’ai donc pas été nommé Ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire et de l’Économie Sociale.
J’avais demandé à l’être, je le fus un bref moment, et puis le Conseil d’Etat, l’organe de contrôle judiciaire
de la vie du pouvoir en France, a annulé les mots d’Économie Sociale dans mon décret de nomination
parce que, l’Économie Sociale, ça n’existe pas me disait-on alors. Vous feriez mieux de commencer par la
créer, avant de lui donner un Ministre.
Je me suis raccroché aux mouvements en catastrophe, en demandant à être tuteur d’un vieux collège
solennel dont la moyenne d’âge des membres dépassait 65 ans et qui avait plus de cent ans d’âge, le
Conseil Supérieur de la Coopération, né vers la fin du XIXème siècle au grand moment de la montée
coopérative. C’est à partir de ce petit raccroc institutionnel – on entre dans le monde de la politique avec
des cliquets décisionnels – qu’on m’a doté d’une autorité ministérielle pour convoquer dans mon bureau
les représentants des mouvements. J’ai pu reprendre là un travail commencé au Parti socialiste.
Car j’avais commencé au Parti socialiste et, en un an et demi, j’avais réussi à convaincre les mouvements
de proposer au Parti socialiste qu’ils soient non pas unifiés mais que leurs convergences soient
organisées, qu’on donne à cette convergence un Conseil représentatif, un outil administratif, un outil
ministériel pour travailler, et si possible une banque pour les aider à se développer. Nous avions à ce
moment-là –ça c’est avant la prise du pouvoir de 1981– passé plusieurs heures pour savoir comment
appeler ce machin. Le machin qui réunissait des coopératives, des mutuelles, des associations. Je
pensais même aux régies municipales et à toute l’économie marchande non capitaliste et non étatique.
Les régies municipales c’est plus compliqué, on n’a pas pu. On a mis deux fois deux heures pour tomber
d’accord sur « Économie Sociale ». Ce mot figure dans les écrits d’un très grand théoricien, Charles Gide,
que probablement certains d’entre vous fréquentaient, c’est un des papes de la pensée de l’Économie
Sociale. On l’avait oublié depuis 1905 ou 1910, l’expression avait disparu. On la réveille, je crois bien
qu’on l’a réveillé auprès de mouvements qui avaient même oublié que ce mot était employé. Et ça donne
une résolution proposée au bureau politique du Parti socialiste en 1977, lequel la rejette au cri de « on
s’en fout ça n’intéresse personne ! ». Je suis tenace, je remets ça, utilisant jusqu’à la corde mon amitié
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
pour le N°2 du Parti socialiste qui coordonnait le travail, Pierre Mauroy, qui avait, lui, plusieurs amis
insérés dans l’Économie Sociale. Ça revient, nouveau rejet ! Mais je suis tenace, l’Économie Sociale
réussira si elle l’est.
Janvier 1978, troisième délibération du bureau politique du Parti socialiste de France, la résolution est
adoptée et elle est enfin signée. Interdiction de la publier, pour ne pas faire peur au monde du petit
commerce, parce que nous allions avoir des élections législatives peu après. Enterrée donc. Adoptée
mais enterrée.
Plus tard, quand je réussis à attraper la qualification ministérielle, je m’appuie sur la résolution et je la
ressors. Personne n’y peut plus rien maintenant. Et, en l’espace de moins d’un an, nous avons réussi à
faire créer par la loi, une délégation interministérielle à l’Économie Sociale. Elle existe toujours, elle n’est
plus interministérielle, elle est seulement ministérielle, elle a d’autres attributions, la fougue n’y est plus,
l’outil a été là, il a fait son travail. Puis, un Conseil Supérieur de l’Économie Sociale qui la rassemble toute,
immense première, est créé. C’est la première fois que les agents des mouvements se découvraient tous
ensemble, comme ayant quelque chose en commun. La création de la Banque, l’Institut de
développement de l’Économie Sociale, qui vit toujours, qui est maintenant la Banque des coopératives et
des mutuelles et même du monde associatif, qui tient debout, qui a réussi, qui est un succès.
Et puis enfin, on a même inventé une procédure juridique. Vous avez besoin de grandir, vous avez besoin
de monter des coups, parfois vous êtes trop petits, vos structures non capitalistes ne vous permettent ni
les fusions d’entreprises, ni même les groupements d’intérêts économiques, c’est-à-dire les fusions
partielles pour faire une opération déterminée. On a inventé, écrit dans le droit français, ça y est toujours,
ça sert beaucoup, le processus juridique qui est le concept de «groupement d’Économie Sociale» qui
permet même éventuellement à des associations, en tout cas à des coopératives et des mutuelles, de
monter ensemble de nouveaux coups de croissance. Les outils sont là.
L’Economie Sociale ne connaît pas la crise. Ses structures résistent beaucoup mieux
Si j’avais, à l’époque, osé compléter par ce que j’ai découvert ici à l’occasion de vos 5 èmes Rencontres du
Mont-Blanc, ça ne serait jamais passé. Je n’ai pas effrayé les fondateurs des mouvements pour oser ou
faire dire ou demander aux mouvements de dire ensemble que, dans leur modestie et leur état d’esprit de
vaincus, ils étaient porteurs d’un projet alternatif pour le monde. Alors vous comprenez mon état d’esprit
quand je découvre ce matin le chemin que vous avez fait depuis ce temps. Je ne suis pas
fondamentalement des vôtres. Je suis des vôtres par demande intellectuelle et demande politique, d’un
sens au monde, d’une limitation de la nocivité du capitalisme. Et aujourd’hui nous sommes dans une
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
période où le monde entier est en train de nous le demander. Vous ne vous en apercevez pas, vous vous
en apercevez peu. Vous vous grandissez trop peu. Vous portez encore avec vous la trace de votre
histoire, qui est celle des vaincus, par les États, les polices, le grand capital.
N’oubliez pas que dans mon pays - mais ça doit être la même chose dans les vôtres - les premières
coopératives qui sont nées étaient des coopératives destinées à fournir un enterrement décent aux
ouvriers qui mouraient dans la misère. Nous pesons toute cette histoire, là, elle nous rend presque trop
patients, et en tout cas presque trop timides. Ce que j’ai envie de vous dire aujourd’hui profondément c’est
que l’état du monde exige d’abord que nous nous mettions dans la tête que nous pouvons être des
vainqueurs. L’Économie Sociale, elle, ne connaît pas la crise. Non seulement elle n’est pas affectée par
cet effondrement du capitalisme qui se fait sous nos yeux, mais ses structures y résistent mieux. Il y a la
récession, la baisse du pouvoir d’achat, des coopératives sont en difficultés, mais l’Économie Sociale
dans son ensemble y résiste infiniment mieux que toute autre forme. Et à l’évidence, le message inspiré
ou né de l’Économie Sociale a vocation à fournir des réponses, même si elles sont partielles.
La révolution, c’est fini, ça ne marche pas ! Ca rate à peu près tout le temps. La révolution ça ne marche
pas car là où ça a marché ça devient militaire. Nous sommes plutôt les hommes du « pas à pas ». Notre
lenteur nous honore. Et notre lenteur est une garantie de démocratie. Mais nous vivons cette période où il
nous faut accélérer un peu. Car en effet, nous allons avoir la Conférence de Rio+20 et donc un bilan de
20 ans de travail de l’humanité sur l’environnement. J’ai eu la chance de faire un voyage au Brésil il y a
très peu de temps, et j’ai rencontré des ministres effrayés de savoir déjà que cette Conférence va à
l’échec, puisque le bilan de ce qu’on a fait pendant 20 ans est effroyablement faible, et que nulle part
personne n’a de raison d’espérer que ça s’améliore et que les méthodes changent. De plus, on sait que
ce sont les marchés financiers, et les secousses boursières, qui vont faire l’actualité depuis maintenant
jusqu’à la Conférence de Rio+20. Les secousses de la bourse et du capital financier vont nous occuper.
S’il y a un défaut de paiement grec, ou italien, ou portugais, ou irlandais juste avant, cette conférence sera
enterrée.
Une des forces de l’Économie Sociale est son réseau mutualiste. Il y a parmi vous des banquiers avec
une grande expertise, laquelle est, de plus, durement critique. Et elle est attendue maintenant ! Je
voudrais vous dire fortement que l’Économie Sociale, au nom de son expérience, de sa droiture et de
l’efficacité de cette expérience, au nom de son savoir et au nom des valeurs qu’elle porte -car c’est aussi
une crise des valeurs- a un devoir d’offensive aujourd’hui. Vous ne devez plus parler seulement pour le
compte de l’Économie Sociale et de la croissance de VOS entreprises. Il est temps que vous preniez
conscience d’un devoir d’exprimer qu’en matière d’organisation de la finance par exemple, il y avait tout
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
autre chose à faire, que vous en êtes porteurs, et que vous entendez bien que cela soit dit. L’Économie
Sociale internationale ferait bien de convoquer un groupe de travail qualifié de ses plus importants
manieurs d’argent, qu’ils soient mutualistes, financiers, assuranciels –dans l’assurance, l’Économie
Sociale est très forte.
Le cœur de la crise actuelle : la précarité du travail
Ce n’est pas le seul aspect. Je le disais à l’instant à propos du diagnostic, le fond de la crise dont on ne
parle guère, c’est le chômage, c’est le ralentissement de la croissance, c’est le sous-emploi. C’est surtout
la précarité. Sur cet aspect, il y a une étrange bataille sur la planète dont on ne parle pas. Car la science
économique a fait une énorme mutation depuis un demi-siècle, vers une théorie dont on a dit qu’elle était
nouvelle. «Nouvelle» est un mot trop fort, disons vers l’approfondissement d’hypothèses anciennes mais
tout de même formulées théoriquement de manière un peu nouvelle. Cela s’appelle le « monétarisme ».
C’est une version de la science économique très axée uniquement sur l’organisation de la finance, qui
part de deux principes de base, tous les deux faux, mais tous les deux très brutalement affirmés, « le
marché est auto-équilibrant », donc ne vous occupez pas de demander aux États de réguler cet équilibre
car il est auto-équilibrant. Et, deuxième affirmation de base, « tout équilibre de marché est optimal ».
Optimal ne veut pas dire parfait, mais ça veut dire que c’est la moins mauvaise distribution d’avantages et
d’inconvénients entre toutes les parties prenantes. Et avec de gros livres et un nombre effarant de
formules mathématiques, de raisonnements mathématisés, on vous explique que si vous prétendez, avec
des subventions, de la règlementation, ou des taxations, corriger des équilibres de marché, vous ferez
nécessairement plus de perdants que de gagnants.
Dans l’esprit de cette théorie, le chômage, la qualité du marché du travail a cessé d’être un élément de
référence majeur, pour les outils de la pensée économique. Or les grands économistes, non seulement
Karl Marx bien entendu, mais d’abord Keynes, le plus puissant des fondateurs de l’économie politique,
avaient le plein emploi et le chômage comme référence centrale à leurs travaux. L’apport majeur de
Keynes à la science économique, c’est que l’équilibre dans le plein emploi n’a rien de fatal et qu’il n’est
pas très probable. Et tout son travail a été d’explorer tout ça.
La nouvelle théorie prend comme intérêt central le profit (et l’art d’en faire) et considère comme valeur
motrice, comme indicateur majeur du fonctionnement du système, ce profit et sa diffusion. Elle transforme
le chômage en un solde dû à la mauvaise qualité du fonctionnement des marchés. Mais de ce solde on ne
s’occupe pas, il est renvoyé à la charité publique, à la protection sociale et à la police. La science
économique d’aujourd’hui n’a plus le chômage dans ses perspectives reconnues. C’est une honte
internationale, qui met tous les hommes de cœur, pas seulement les réseaux de l’Économie Sociale, tous
24
Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
les hommes et les femmes de cœur dans ce pays, en désaccord avec une discipline académiquement
reconnue. Et c’est terrifiant.
Or là, l’enjeu, c’est effectivement la baisse progressive de la part du produit brut qui va à la rémunération
du travail. Mesdames et messieurs vous me direz que c’est pareil. Pour les 15 plus grands pays de
l’OCDE, de 1980 à 2010, la part des salaires dans le produit brut est passée de 67%, presque 70, où elle
était au début, à 57% maintenant, soit 10% de moins dans la part. La différence pour les 15 pays de
l’OCDE représente entre 60 et 200 mille milliards de dollars qui manquent à la rémunération des
travailleurs et donc à leur emploi.
Pour lutter contre la précarité, la force syndicale ne suffira pas
En clair, la clé de sortie de crise, c’est la solution à ce problème. Et je ne crois pas que, dans une situation
de chômage et de précarité aggravée, la force syndicale suffise à redresser la barre. Même si les
syndicats et même les gouvernements sont en train de prendre conscience que cette insuffisance de la
part de la rémunération salariale dans le PIB est au cœur de la crise, s’est ici posé le problème du statut
des entreprises.
Et c’est là que vous intervenez. Dans le monde capitaliste, il n’y a pas de statuts de l’entreprise,
bizarrement. Il y a un statut des sociétés de capitaux, et puis dans tous nos pays, c’est presque pareil, un
gros Code, complètement anarchique et pagailleux, qu’on appelle le Code du Travail, qui est la somme
des exceptions arrachées, soit par la loi, soit par la grève, soit par la lutte. Des exceptions arrachées au
droit des sociétés de capitaux.
Mais cette unité, qu’est la collectivité d’humains, hommes ou femmes, qui gagnent leur vie à partir d’un
même projet économique, cette unité-là n’a pas d’existence en droit car l’entreprise appartient à des gens
qui lui sont extérieurs et qui en sont les actionnaires. Le cœur de la crise, c’est que des actionnaires
veulent se débarrasser de la main d’œuvre parce qu’il faut la payer, et qu’ils préfèrent du dividende. C’est
suicidaire ! Et c’est non viable à terme, mais c’est ce qui s’est passé. Il se trouve que l’Économie Sociale
c’est le contraire ! L’Économie Sociale se définit à partir des finalités de l’entreprise. L’Économie Sociale
est un rassemblement de travailleurs qui adhèrent à l’entreprise, ce sont des sociétés de personnes.
Clarifier le statut des entreprises. L’Economie Sociale en fournit un bon exemple
En France, on a une petite bizarrerie à corriger. Lorsque le mouvement coopératif, à la fin du XIX ème
siècle, est monté en puissance et a demandé sa reconnaissance légale, la bourgeoisie, même
républicaine, qui était en train de créer la laïcité, d’installer la République, de se battre contre un Ancien
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Régime, a eu peur. Le mouvement coopérateur de l’époque disait « nous sommes des sociétés de
personnes, nous sommes des sociétés d’adhésion ». Et dans la concession qu’a fait le Parlement du
début de la IIIème République, on en a plutôt fait des sociétés de capitaux même si chacun n’avait qu’une
part égale, et que un homme égalait une voix au nom du capital apporté.
On n’a rien à faire de ce truandage, qui est une hérésie à laquelle il faudrait porter remède, puisque le
temps est venu maintenant de clarifier les statuts. Et, je fais partie des contributeurs intellectuels,
programmatiques, à la constatation que, pour sortir de la crise mondiale du capitalisme, du point de vue
du chômage, il faudra changer le statut de l’entreprise. Cependant quelques intellos et quelques écrivains
ne font pas une force, la force c’est vous ! Vous êtes l’exemple alternatif, de ce que dans les entreprises
de l’Économie Sociale, par leur nature et par leurs structures, ce sont d’abord des hommes et des femmes
qui forment l’entreprise. Toujours est-il que la force que vous représentez doit maintenant devenir
indicative de la solution et combattive. Interdiction donc de repli silencieux sur vous-même.
L’économie populaire au Sud : un immense chantier
Et puis, cette découverte que j’ai faite, je le répète, a été de voir l’Économie Populaire au Sud considérée
comme un immense chantier pour l’Economie Sociale. C’est un des problèmes clé de l’Afrique aujourd’hui
notamment et d’une partie de l’Amérique Latine. Un des drames de l’Afrique aujourd’hui, c’est la famine.
Pourquoi ? Immenses sont les zones où le grand capital a suggéré la monoculture d’exportation, et dans
la monoculture d’exportation, ça a commencé dans l’arachide, ça a continué dans le coton et dans le café.
Il n’y a plus de place pour l’agriculture vivrière, pour l’agriculture de subsistance, et là il faudrait éveiller
des savoir-faire, des solidarités inter-entreprises. L’Economie Sociale s’impose donc dans cet immense
chantier ! C’est un chantier sur lequel une fois de plus l’Économie Sociale apporte un élément de solution.
Quand on pense aux malheureux experts des Nations-Unies qui se cassent la tête pour savoir comment
faire, et qui, de temps en temps, font de la charité publique en allant creuser des puits pour les mettre à la
disposition des populations, sans que personne ne sache comment faire marcher les entreprises
agricoles, dans quel environnement facilitant et avec quelle structure juridique. À vous le boulot !
Ce sont les quelques réflexions que m’a inspiré la lecture de vos travaux. Vous imaginez bien que j’ai
passé une soirée et une nuit fort agréables à découvrir les pas conceptuels que vous aviez fait. Et
maintenant, et je terminerai sur ce point : vous n’avez plus le droit d’être timides, vous n’avez plus le
droit du repli isolé chacun dans son pays. Il faut assurer la pérennité des Rencontres du Mont-Blanc,
parce qu’il y a dans ces rencontres collectives un devoir d’échange d’expériences et d’élargissement du
champ. Vous êtes, que vous le vouliez ou non, aux premières lignes dans le combat contre le
capitalisme financier pour sortir l’humanité d’une crise qui la menace. Bravo, et aussi merci !
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
Les co-auteurs :
Thierry Jeantet, France, Président des Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des
Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire, Directeur Général d’EURESA, France (biographie page
109)
Abdou Salam Fall, Sénégal, Professeur et chercheur à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN),
Sénégal, (biographie page 54)
Gérald Larose, Canada
Président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN) de 1983 à
1999,
organisateur communautaire au
centre local
de services
communautaires (CLSC) de Hochelaga-Maisonneuve et détenant deux
maîtrises, théologie et service social, de l’Université de Montréal, Gérald
Larose est professeur invité à l’École de travail social de l’Université du
Québec à Montréal (UQAM).
À titre bénévole, il a présidé le Groupe d’Économie Solidaire du Québec (GESQ) et il préside le conseil
d’administration de l’entreprise d’insertion de jeunes Insertech Angus, la Caisse d’Économie Solidaire
Desjardins et le Conseil de la Souveraineté du Québec. Il est également administrateur des Rencontres
du Mont-Blanc - Forum International des Dirigeants de l’Économie Sociale et Solidaire.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Les attentes du Sommet de la Terre Rio+20, par Thierry Jeantet,
Gérald Larose, Abdou Salam Fall, France, Sénégal, Canada
Article collectif publié sur LeMonde.fr le 19 juin 2012
Le 20 juin prochain s’ouvrira, à Rio de Janeiro, le 5ème Sommet de la Terre. L’Organisation des NationsUnies, organisatrice de l’évènement, a choisi d’intituler ce rassemblement Rio+20, en référence au
Sommet tenu dans cette même ville brésilienne 20 ans plus tôt. En 1992, la Conférence des NationsUnies sur le Développement Durable (UNCSD) avait permis à tous les Chefs d’Etat présents de
s’accorder sur l’élaboration d’un programme intitulé Agenda 21, contenant 2 500 recommandations à
suivre pour orienter l’action de l’Humain vers un développement dit durable.
Les thèmes de la Conférence des Nations-Unies sur le Développement Durable
A l’ordre du jour du Sommet de Rio+20, l’UNCSD a déterminé deux thèmes centraux autour desquels
s’articuleront les débats du Sommet de Rio+20 : « l’économie verte dans le cadre du développement
durable et de l’éradication de la pauvreté » et « le cadre institutionnel du développement durable ».
Le premier de ces thèmes portant sur la « green economy » a incontestablement suscité le plus de
réactions et de réflexions, mais aussi de contradictions. L’économie verte a en effet mis en relief les
profondes divergences de conceptions et de perspectives économiques entre des pays aux niveaux de
développement très disparates. Incontestablement aussi, ce premier thème repose sur la maîtrise du
changement climatique. Mais attention, l’écueil à éviter, observé dans la phase post-Rio 2012, sera de ne
pas réduire les recommandations et les décisions à des considérations uniquement environnementales.
Le développement durable, dont l’acception du Rapport Brundtland (1987) fait l’unanimité, se définit par «
un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures à répondre à leurs propres besoins ». Grâce aux Sommets de la Terre déjà tenus, la communauté
internationale s’est accordée sur le fait que cet objectif de développement durable ne pourra être atteint
que si les mesures entreprises sont économiquement, socialement et environnementalement viables, et
régies selon des principes de bonne gouvernance.
Justement, le deuxième thème pose lui la question de l’existence d’une gouvernance mondiale et des
mécanismes d’action dont elle doit se doter pour être effective et efficace. Il conviendra alors au Sommet
de Rio+20 de concevoir une nouvelle architecture de la gouvernance mondiale, sans reproduire des
tentatives échouées, sans démultiplier des instances déjà existantes et dont les limites apparentes doivent
servir de dissuasion à recréer ces modèles. Pour que celle-ci soit réelle, pour que la voix de chacun soit
prise en compte, pour se prémunir des dérives observées jusqu’alors. Il s’agit là de repenser la conception
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Chapitre I : L’économie sociale et solidaire sur la scène politique internationale
et la réalité actuelle de la gouvernance mondiale, une gouvernance dépassant les clivages nationaux et
régionaux.
L’implication de nouveaux acteurs dans le processus de décision
En 1992, l’Agenda 21 a donné lieu à la création de « Major Groups » ou groupes majeurs, chargés de
représenter les organisations de la société civile. Les Major Groups sont aujourd’hui au nombre de neuf :
Femmes, Autorités Locales, Communauté Scientifique et Technique, Business et Industrie, Enfance et
Jeunesse, Travailleurs et Syndicats, Paysans, Peuples Indigènes, ONG.
Si ces Major Groups sont impliqués dans le processus de préparation du Sommet, et bénéficient
ponctuellement de fenêtres de visibilité, leur rôle est limité en ce qu’il reste consultatif. Véritable troisième
thème imposé de la Conférence de Rio+20, l’enjeu de Rio+20 pour les Major Groups sera sans aucun
doute d’obtenir un statut participatif, c’est-à-dire de pouvoir proposer des amendements au texte de la
Conférence, au même titre que les représentants des Etats. Au-delà de la consultation donc, la
participation effective de la société civile est sans conteste un des enjeux de la Conférence de Rio+20 et
le processus de préparation du Sommet en a été le reflet. Cet enjeu participe sans conteste du deuxième
thème central choisi par l’UNCSD sur la nécessité de penser et faire naître une gouvernance mondiale.
Des modes d’action pour concilier activité économique et développement durable
L’accord général sur les recommandations de l’Agenda 21 et les espoirs nés du Sommet de Rio 1992
n’ont visiblement pas produit tous les effets escomptés. Dans la recherche de cohérence entre les
discours et les actes, force est de constater que d’amères contradictions sont apparues au cours de ces
vingt dernières années. Ces actes, aux conséquences contraires à une conception de développement
durable, sont nombreux et leurs dégâts quantifiés par nombre d’études scientifiques menées depuis lors.
Déforestation, émissions de gaz à effets de serre, consommation d’énergies fossiles, déplacements de
populations, exploitation de main d’œuvre expliquent la surexploitation de la faune et de la flore, les
inégalités économiques et sociales, l’uniformisation des cultures et des spécificités de territoires que nous
connaissons. Et les crises qui s’en sont suivies.
Et si un autre modèle était (déjà) en marche ?
Face à ces crises multiples –économique, financière, sociale, écologique– les acteurs de l’Economie
Sociale et Solidaire (ESS) s’appliquent à saisir l’opportunité de faire connaître et reconnaître l’ESS.
Amener la preuve, par l’exemple, que d’autres formes d’entreprendre conciliant efficacité économique,
sociale et environnementale sont possibles. Des formes d’entreprendre qui dépassent les frontières, sans
distinction de ressources, de richesses, de niveaux de développement, de cultures.
29
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’Economie Sociale et Solidaire est, de fait, déjà ancrée dans le paysage économique de nombreux pays
-elle représente aujourd’hui environ de 10% du PIB mondial- elle existe sur tous les continents, sous
différentes formes. Mais comment lui faire changer d’échelle et mettre en valeur sa capacité à s’inscrire
dans une dynamique transfrontière ? En cette période charnière, quels enjeux l’ESS doit-elle relever pour
exister au-delà des frontières ?
L’ESS transfrontière et transcontinentale
Parce que les valeurs et les méthodes de l’Economie Sociale et Solidaire reposent sur des principes
universels, l’ESS porte en elle la capacité de fédérer des acteurs de tous les continents. De fait,
l’ESS transfrontière existe déjà. En 2004 a été créé le Forum International des Dirigeants de l’Economie
Sociale et Solidaire, association française de loi 1901 du nom des Rencontres du Mont-Blanc (RMB)1.
Rassemblant des dirigeants du monde entier -40 pays représentés lors des dernières Rencontres de
2011- les RMB participent de cette ESS transcontinentale. Les forums organisés régulièrement visent à
faire se rencontrer des dirigeants de l’ESS de tous les continents pour co-construire des projets aussi
divers que les semences libres ou le développement de la filière biogaz.
Au-delà de cette véritable « Project place », les membres des RMB sont conscients de la nécessaire
reconnaissance de l’ESS pour la voir se développer et ainsi rendre accessibles à tous des formes
d’entrepreneuriats alternatifs. C’est pourquoi figure parmi les principales activités des RMB la
sensibilisation des organisations internationales et des hauts-dirigeants du monde. Par une présence
humble mais persévérante à quelques-uns des grands rassemblements internationaux, les RMB
communiquent et diffusent leurs travaux. A l’occasion de la Conférence des Nations-Unies sur le
Développement Durable -Sommet de Rio+20- prévue en Juin 2012, une lettre contenant 20 propositions
de mesures à adopter pour promouvoir l’ESS a été adressée aux 193 Chefs d’Etats membres de l’ONU,
afin de les sensibiliser simultanément sur la nécessaire prise en compte de l’ESS dans leurs politiques
publiques.
Alors que le modèle dominant s’essouffle et montre ses limites, il ne s’agit plus de promettre mais de
prouver. Prouver que d’autres modèles existent, capables d’opérer un déplacement : placer la dignité et le
potentiel de l’Humain comme finalité de l’activité économique, qui elle n’est qu’un moyen.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞
1
www.rencontres-montblanc.coop
30
CHAPITRE II :
LES SOLUTIONS DE L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
POUR LA SORTIE DES CRISES
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’auteur : Nicolas Cruz Tineo, République Dominicaine
Licencié ès sciences économiques de l’Université autonome de SaintDomingue, le parcours de dirigeant d’économie sociale de Nicolas Cruz Tineo
passe par sa participation au réseau de clubs de jeunes, le mouvement
étudiant universitaire et le militantisme de gauche dans lequel il s’investit
jusqu’en 1994.
Il se consacre à l’économie solidaire depuis 1986, date à laquelle il créa, avec un groupe d’activistes,
l’Institut de Développement de l’Economie Associative (IDEAC), dans le cadre duquel il accompagne le
développement d’initiatives d’économie solidaire et dont il est actuellement le directeur exécutif.
Nicolas Cruz Tineo a supervisé l’élaboration du Plan stratégique de l’IDEAC destiné à faire de l’économie
sociale et solidaire (ESS) une alternative au débat national en République Dominicaine. Il a notamment
contribué à la constitution du Réseau d’organisations d’économie solidaire (REDESOL) de son pays et à
l’élaboration du projet de loi d’économie solidaire, et organisé deux séminaires internationaux sur l’ESS en
République Dominicaine.
Il a participé à divers événements internationaux, en tant qu’intervenant ou participant actif, parmi lesquels
deux rencontres du RIPESS LAC, une du FIESS, et deux des Rencontres du Mont-Blanc - Forum
International des Dirigeants de l’Economie Sociale et Solidaire, à Chamonix en novembre 2011 et à Rio
de Janeiro en juin 2012. Il a publié plusieurs articles sur l’ESS dans des journaux, livres et revues.
32
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
L’économie sociale et solidaire : un nouveau système économique,
par Nicolas Cruz Tineo, République Dominicaine
Introduction
Il nous a été demandé d’expliquer en quoi l’économie sociale et solidaire constitue ou peut constituer une
issue ou solution à la voie de destruction et de catastrophes sociales et écologiques sur laquelle une
petite élite dominante irrationnelle a engagé le reste de l’humanité. J’ai accepté de relever ce défi non pas
parce que je prétends avoir la réponse, mais parce que tous les êtres humains, si humbles soient-ils,
peuvent et doivent apporter leur pierre à l’édifice afin de construire un monde régi par la culture de l’amour
de la vie.
Dans le présent travail, nous tenterons de façon générale de comprendre la dynamique actuelle, les
tendances et facteurs qui déterminent le stade historique dans lequel se trouve actuellement l’humanité et
de proposer des règles en vue de contribuer à son progrès, celui-ci étant entendu comme le
développement des facteurs scientifiques, culturels, spirituels, de la coopération et de l’amour de la vie,
pour dépasser ainsi la préhistoire dominée par la concurrence et la lutte égoïste pour la possession
matérielle et le pouvoir oppresseur sur les autres.
La crise des paradigmes économiques et sociaux et l’émergence de l’ESS comme réponse pratique
proposant une nouvelle approche philosophique et scientifique centrée sur les travailleuses et travailleurs,
nous oblige à repenser les sciences sociales, et en l’occurrence l’économie. C’est pourquoi nous nous
attacherons dans un premier temps à démontrer la nature irrationnelle du capitalisme et son caractère
historique, avant d’aborder son processus de développement et d’interpréter la crise actuelle, pour
finalement aboutir à la proposition de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec les facteurs qui indiquent
le déclin du capitalisme, les conditions qui favorisent le développement de l’ESS et le sujet qui peut la
mener à bien, comme processus de transition vers un nouveau mode de production ou système
économique, social et politique post-capitaliste.
Mes contributions se baseront sur l’expérience acquise pendant près de 30 ans en tant qu’instigateur et
facilitateur du développement des capacités d’initiatives de l’ESS, détenues par des travailleurs
indépendants établis en zone rurale et urbaine de la République Dominicaine, sur les apprentissages tirés
de ma participation à de multiples réunions, séminaires, ateliers, forums, panels et événements de
33
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
réflexion, en tant que conférencier ou participant actif, organisés dans mon pays ou dans de nombreux
autres pays, et évidemment de la lecture réfléchie et critique sur le sujet.
En ce sens, le présent document se fonde sur l’approche de l’économie politique du travail 2, tout en
reconnaissant et en respectant la diversité de points de vue dans le domaine de l’ESS, lesquels peuvent
très souvent être contradictoires ou complémentaires entre eux. Cette diversité est l’expression de la
richesse des sources existantes de construction de la connaissance et de la nouvelle pensée économique
et sociale nécessaire au soutien théorique du nouveau projet de société.
Ces sources de construction de la connaissance sont constituées par la grande diversité d’initiatives, de
propositions, d’organisations, de groupes d’animateurs, de chercheurs, d’universitaires et d’activistes qui
apportent dans toutes les parties du monde leurs contributions pratiques et théoriques à la construction de
l’ESS, comme moyen d’atteindre l’émancipation de l’amour de l’humanité et de la vie.
1. La rationalité irrationnelle de la mondialisation capitaliste
L’étape actuelle d’évolution et de développement de l’humanité se caractérise par l’exacerbation extrême
de la concurrence et le conflit d’intérêts égoïstes entre les hommes au détriment de leur nature
coopérative, collaborative et de leur amour fraternel avec leur entourage. Cet esprit de compétition qui
règne pour la possession de la richesse et l’accumulation de biens matériels est présenté de nos jours
comme une vertu et est par conséquent favorisé puisqu’il constitue la base idéologique du système
capitaliste en vigueur.
La promotion économique, sociale, politique et culturelle en faveur d’initiatives privées, motivée par la
recherche du profit à tout prix, et par là de l’accumulation matérielle en faveur d’une personne, d’un
groupe ou d’une classe sociale, génère la lutte entre individus, groupe d’individus, classes sociales,
nations et groupes de nations, pour le pouvoir économique par l’appropriation et la possession, par
quelque moyen que ce soit, des biens que la nature nous offre si généreusement et des richesses créées
par les travailleuses et travailleurs.
Afin de reproduire cette réalité qui n’est favorable à court terme qu’à une élite représentant environ 5 % de
la population mondiale, une structure économique et sectorielle complexe dominée par quelques 500
grandes entreprises et protégée par un appareil juridique, politique et militaire extraordinaire a été
Il est fait référence à la pensée ou au courant des sciences économiques développé(e) en Europe à partir des socialistes
utopiques tels que T. More (1478-1535), T. Campanella (1568-1639), Saint-Simon (1780-1823), Fourrier (1772-1837) et Owen
(1771-1858) et établi(e) en tant que science par K. Marx (1818-1883).
2
34
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
construite au niveau local et mondial. Cette dernière aliène le reste de la population travailleuse, qui se
transforme en simples consommateurs, à travers la défense et la justification médiatique des grandes
sociétés de communication et de l’industrie dite culturelle.
Telle est la réalité qui explique la présence historique de l’actuelle culture de la concurrence et l’exercice
de la violence comme moyens d’établir des relations entre les êtres humains.
La lutte pour l’accumulation des richesses, des moyens de production et des ressources naturelles se
fonde sur des relations sociales d’exploitation sauvage du travail, de la nature et de la biodiversité par le
capital, lequel transforme et commercialise tout ce qu’il touche.
Cette conduite se traduit par le gaspillage, l’opulence, l’ostentation du pouvoir, la consommation effrénée,
l’indolence, le consumérisme, les fausses apparences, le scepticisme, etc., d’une grande partie de la
population, dont la principale préoccupation et source de bonheur semble être de consommer sans
limites.
Afin de maintenir cette dynamique sans fin, les dirigeants et propriétaires de l’économie mondiale n’ont
d’autres choix que de conserver une croissance soutenue de l’économie, laquelle est synonyme
d’augmentation de leurs richesses et de leurs possessions et partant, d’une augmentation intensive et
extensive de la pauvreté, de l’épuisement à court terme des ressources naturelles et de l’accélération de
la destruction des écosystèmes et donc de la biodiversité.
L’humanité ne peut continuer à croire qu’il est possible de construire des relations de coopération et
d’amour générant un bien-être durable avec les seuls mécanismes automatiques de marché, sans
l’intervention de la volonté collective des hommes.
Il est évident que les marchés sont conduits par les propriétaires et chefs des grandes entreprises, ellesmêmes propriétaires des richesses, lesquels détiennent par conséquent non seulement le pouvoir
économique, mais également le pouvoir politique, militaire et médiatique qui leur permet de contrôler les
États et de prendre les décisions qui leur sont favorables en matière de politiques économiques et
sociales.
Le mode de production capitaliste se développe et se reproduit sous cette rationalité et est représenté
dans chacune des formations économiques et sociales de tous les pays, lesquelles sont rattachées à la
35
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
formation mondiale dite « mondialisation ». Plus avant nous expliquerons la signification actuelle et la
manière dont sont structurées ces sociétés locales avec la formation mondiale.
Au vu de ce qui précède, il convient que tous les travailleurs manuels, intellectuels et spirituels nous
unissions dans le cadre d’une stratégie collective commune pour prendre notre histoire en main,
construire et conduire notre propre destinée, tant au niveau local que mondial, si nous souhaitons un
monde régi par des relations de coopération et de collaboration solidaire dans lequel les biens matériels,
sociaux, culturels et naturels soient des moyens communs d’obtenir le bien-être et le bien-vivre.
Il est par conséquent fondamental de connaître et de comprendre la phase de développement historique
dans laquelle se trouve la formation capitaliste actuelle pour réaliser les apports nécessaires à la
transformation et au dépassement des causes qui produisent et reproduisent ces relations d’exploitation
et par là l’iniquité, l’injustice, la misère, l’insécurité alimentaire et énergétique, la pollution, la destruction de
la biodiversité et de la vie sur la planète.
2. Le caractère historique des modes de production
Enrichie par la sociologie et l’anthropologie, l’économie politique du travail a démontré que le processus
d’évolution de la société a traversé différentes époques historiques de développement appelées « modes
de production » ou « systèmes économiques et sociaux » caractérisées par le type de relations sociales
établies.
Ces relations de production, qui peuvent être des relations de coopération ou d’exploitation, sont
déterminées par le degré de développement des forces productives ou par les formes d'organisation du
travail, les technologies, les connaissances et les ressources naturelles pour la production de biens et de
services matériels et spirituels de consommation, et conditionnées par la forme d’appropriation de ces
derniers.
Les sciences sociales ont ainsi identifié, de façon séquentielle quoique non linéaire, différents modes de
production allant du communisme primitif au mode de production capitaliste actuel en passant par
l’esclavage, le féodalisme et le mode de production asiatique. L’économie politique du travail a posé
l’hypothèse de l’avènement du communisme en tant que nouveau système économique et social basé sur
la coopération collective et la vie communautaire dans une totale liberté et de la démocratie sociale,
politique et économique en tant que système économique post capitaliste.
36
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
En termes sociaux et politiques, chaque système économique et social implique des classes sociales à
l’exception de la future société communiste où prédominent les biens communs comme le prévoit
l’économie politique du travail. Ces classes se différencient par la position qu’elles occupent dans le
processus de production, laquelle se définit par la possession ou non des moyens de production. C’est
ainsi qu’il existe la classe des propriétaires et celle des dépossédés.
Il convient de signaler que ces différents systèmes ou modes de production ne se présentent ou ne se
manifestent pas concrètement sous leur forme la plus pure au niveau local ou mondial. D’autres types de
relations coexistent en effet à chaque époque historique et dans des espaces géographiques déterminés
aux côtés des formes et relations de production dominantes, du fait de vestiges de systèmes antérieurs
s’adaptant à la nouvelle époque ou de l’apparition de relations et nouvelles formes d’organisation de la
production plus avancées pouvant contenir en soi un système supérieur.
Cette coexistence de relations économiques et sociales de différents modes de production adaptées et
regroupées sous le mode de production dominant à une époque donnée porte le nom de « formation
économique et sociale ». Chaque mode de production existant possède ses propres expressions sociales
en termes de classes, groupes et secteurs qui le représentent et luttent entre elles pour le pouvoir
économique et politique, les relations arriérées finissant par s’adapter au mode dominant et les classes
représentant le nouveau système en germe et en développement au sein de ces structures entrant
progressivement en contradiction avec ces dernières.
Dans l’actuelle formation économique et sociale, le système dominant tant au niveau local que mondial,
est le système économique capitaliste, dont la relation est une relation d’exploitation du travail humain par
le salaire et la nature.
Dans la formation économique capitaliste, coexistent des relations économiques esclavagistes3 et
féodales4, adaptées d’une certaine façon et avec plus ou moins de force, en fonction du pays, de la région
ou du secteur productif, lesquelles relations ont été intégrées par le capitalisme dans son réseau de
relations pour se reproduire géographiquement et sectoriellement. De la même manière, il existe des
réminiscences de communisme primitif5 et il est important de noter que des relations modernes6 de
coopération et de solidarité fleurissent partout.
Selon Andrew Cockburn, ”” National Geographic (09-2003), de 15 à 20 millions de personnes sont esclaves pour dettes en Inde,
au Pakistan, au Bangladesh et au Népal. Citation de Fernanda Ochoa, 2004.
4 Dans de nombreux pays du Sud, beaucoup d’entreprises agricoles accèdent à la terre par métayage ou par le biais de
propriétaires terriens qui prélèvent 50% de la production des travailleurs.
5 Dans les communautés indigènes d’Amérique du Sud et d’Afrique.
6 Le coopérativisme, les organisations à but non lucratif et les diverses initiatives d’économie solidaire menées partout dans le
monde.
3
37
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Les modes de production successifs et leurs respectives formations économiques et sociales sont nés et
se sont développés au sein du mode en vigueur à une époque donnée. Autrement dit, c’est au sein de
l’ancien mode de production et sur la base de ses propres contradictions que le nouveau mode de
production est conçu et se développe jusqu’à s’imposer, suite aux contradictions et à la caducité de
l’ancien système, et à établir de nouvelles relations sociales de production.
3. Gestation, développement et maturation du système capitaliste
Le capitalisme est né au sein du féodalisme à partir des serfs libres qui fuyaient ou achetaient leur liberté
aux seigneurs féodaux avant de se consacrer à l’artisanat, au commerce et à d’autres activités
économiques, culturelles et scientifiques, affranchis de tout lien féodal.
Cette économie et cette société naissante s’organisent dans les bourgs où il est donné libre cours à la
créativité et aux initiatives individuelles et collectives, lesquelles ont permis aux sciences, aux techniques,
aux arts et à l’organisation sociale de se développer comme jamais.
Sa croissance et son développement, en Europe principalement, s’étendent sur plus de 6 siècles,
jusqu’au XVIIIème siècle, date à laquelle débutent la révolution industrielle en Angleterre et la révolution
française, toutes deux expressions sur le plan politique de sa transformation en système économique
dominant.
C’est à partir de ce moment que le processus d’internationalisation s’accélère, tout d’abord à travers le
commerce de marchandises et l’occupation de territoires en quête de matières premières, puis par la
transnationalisation du capital industriel et financier, jusqu’à atteindre la phase impérialiste et de la
mondialisation actuelle.
Cette mondialisation ou internationalisation du capital qui marque le début de l’étape impérialiste
mondialisée est un phénomène qui surgit entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec
l’apparition des monopoles, et avec eux de la branche du capital financier comme facteur d’accumulation,
d’expansion et de domination de marchés, à travers les dettes et investissements étrangers. C’est à partir
de là que sont reconnus le capital lié à l’économie réelle, autrement dit à la production et au commerce, et
le capital financier lié à la sphère monétaire.
38
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
La mondialisation impérialiste qui s’est développée rapidement tout au long du XXème siècle et jusqu’à nos
jours, est dominée par les grands monopoles alliés aux États7, principalement ceux des pays appartenant
au G7 qui imposent, déterminent et conduisent la destinée de l’humanité et de la planète en fonction de
leurs intérêts, de leur soif de profits et de l’accumulation démesurée de richesses et de pouvoir.
Des taux élevés de croissance économique soutenue constituent une condition inhérente au capitalisme
pour garantir l’accumulation et la reproduction. C’est la raison pour laquelle il doit étendre constamment la
demande en intégrant toujours plus de personnes dans son système de consommation et/ou en
augmentant le pouvoir d’achat de la société, en pénétrant de nouvelles zones géographiques et en
intensifiant l’investissement en l’étendant à de nouveaux secteurs de l’activité économique qu’il n’avait pas
encore investis.
Lorsque ces conditions ne sont pas réunies pour garantir des niveaux satisfaisants de profits et
d’accumulation de capital, le système entre en crise et doit par conséquent changer le modèle
économique sur lequel repose le modèle d’accumulation du moment. À cet effet, il recourt à tous les
moyens à sa disposition, notamment aux politiques économiques et même à des actions violentes telles
que les guerres de rapine, pour s’emparer de ressources et de marchés dans n’importe quelle partie du
monde8, et utilise l’appareil politico-militaire de l’État comme gendarme et moteur de l’expansion.
C’est pourquoi dans son état impérialiste mondialisé actuel, le capitalisme utilise non seulement les
relations d’exploitation qui lui sont inhérentes mais également des pratiques telles que la spoliation, les
menaces, le blocus, le dumping, le chantage, la corruption, la tromperie, le mensonge, la désinformation,
les coups d’État et la violation de la souveraineté et de la dignité des peuples du monde entier.
Cette réalité explique le fait que la mondialisation actuelle, placée dans un contexte de concurrence
permanente auquel n’échappent pas même les groupes les plus puissants sur le plan économique et
politique, a mis en danger l’ensemble de l’humanité et la planète elle-même.
Nous nous trouvons actuellement face à de multiples menaces dont nous devons avoir conscience et que
nous devons nous préparer à affronter. Ces menaces (Arruda 2010) nous obligent à réfléchir et à élaborer
une stratégie pour surmonter cette étape de l’histoire de l’humanité. Les menaces les plus importantes
sont les suivantes :
Il existe aujourd’hui dans le monde près de 37 000 entreprises transnationales, 87 % d’entre elles étant des entreprises de pays
développés qui créent des filiales dans le monde entier. 500 d’entre elles concentrent à elles seules 97 % des marques et
brevets, 80 % du commerce, 80 % des investissements étrangers, 90 % de la production industrielle et 70 % de la production
agricole et de la pêche (Quintana, 2009).
8 Invasions récentes de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Lybie justifiées par des mensonges.
7
39
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
a)
Acheminement du monde vers une proposition unique de croissance économique sans limites
sous prétexte de moderniser et d’accroître la productivité des entreprises, ce qui nous est vendu
comme étant le développement.
b)
Inculcation dans le monde entier des éléments et valeurs culturels dominants, dont le mode de
développement se caractérise par des mouvements de haut en bas et de l’extérieur vers
l’intérieur de manière à garantir son hégémonie, ainsi que la destruction des économies et de la
diversité culturelle locale et nationale.
c)
Subordination des économies nationales aux politiques, stratégies et intérêts des entreprises et
des groupes transnationaux.
d)
Concentration des richesses et des capitaux au détriment des travailleuses et travailleurs.
e)
Croissance du secteur privé aux dépens des biens publics, de la société et de l’État.
f)
Mondialisation de la commercialisation des êtres humains et de la nature.
g)
Généralisation de la mendicité, du paternalisme et du clientélisme comme mesures
compensatoires envers la population exclue.
h)
Application de mesures correctives et compensatoires face aux dommages causés à l’écologie et
à la nature.
C’est ainsi que se manifeste et se comporte le capitalisme impérialiste mondialisé à la fin de sa vie. Tel un
monstre qui a épuisé tous les moyens de s’alimenter et qui, pour continuer à vivre, est sans pitié et
n’hésite pas à tout dévorer sur son passage, quels que soient les moyens à employer pour y parvenir.
4. La crise actuelle est structurelle et intégrale, symptômes du déclin capitaliste
Lorsqu’il est question de crise, la littérature économique officielle ou dominante et les médias donnent
l’illusion auprès de la population que ce n’est qu’à ce moment-là que le capitalisme loge tout le monde à la
même enseigne et qu’une fois la crise surmontée, tous les maux disparaîtront. Or il n’est pas de
mensonge plus pernicieux. Il s’ensuit que l’on ne parle de crise que lorsque les capitaux investis et leurs
propriétaires ne connaissent pas un retour sur investissement jugé satisfaisant. Autrement dit, lorsque la
croissance économique ralentit, et par conséquent le rythme d’accumulation des richesses des
propriétaires des moyens de production. Aucune plainte cependant dans le cas inverse, lorsque les gains
générés sont foison et que la richesse s’accumule rapidement du fait de la forte croissance de l’économie.
Paradoxe, s’il en est, malgré la hausse du nombre de créations d’emploi et de programmes de prestations
sociales en période de prospérité, il n’en demeure pas moins que pour plus de 40 % de la population
40
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
mondiale qui lutte pour survivre avec moins de deux dollars par jour et d’un milliard de personnes
qui souffrent quotidiennement de la faim, la crise est permanente, chronique et endémique.
Il n’est pas fait état de cette crise que l’on considère simplement comme normale et inévitable. Point n’est
besoin de tirer la sonnette d’alarme ni de s’inquiéter. La croissance économique apportera son lot de
solutions lorsque le marché redistribuera une partie des richesses vers le bas.
Les crises du système économique capitaliste sont par conséquent des crises du profit et de
l’accumulation liées à sa nature profonde et à ses contradictions internes. Ce sont des événements qui lui
sont inhérents puisque par essence, alors que la production devient de plus en plus sociale,
l’appropriation des richesses créées est de plus en plus individuelle et privée.
« En d’autres termes, les contradictions inhérentes au mode de production capitaliste provoquent tôt ou
tard l’apparition de la crise, qui agit comme une forme d’ajustement violent des disproportions existantes,
constituant ainsi un mécanisme d’autorégulation du système qui convertit les crises en événements
inévitables » (Quintana, 2009). Le fait est que l’histoire de ce système économique et politique se déroule
à travers des crises périodiques, tant structurelles ou systémiques que cycliques9, tout en accroissant la
pauvreté, la faim et l’exclusion du plus grand nombre.
Avec ou sans crise, le processus d’accumulation ne s’arrête pas, seul son rythme change. En parallèle, le
système produit sans arrêt des inégalités desquelles découlent la pauvreté, l’exclusion sociale et la
destruction de la nature.
En raison de leur logique et de leur condition intrinsèque de recherche maximum de profits, les capitaux
étaient, dans leur première étape de développement dominée par la sphère de la production et le
commerce, investis principalement sur les marchés territoriaux. Dans la phase mondialisée actuelle,
prédominée par la sphère financière, les capitaux sont investis sur les marchés sectoriels (production ou
financier) en fonction des meilleures possibilités de profits.
Ces marchés s’assument et s’organisent selon des modèles propres. C’est pourquoi ce système
économique oscille, au cours de la phase impérialiste mondialisée, entre les deux modèles
d’accumulation qui succèdent, en fonction des meilleurs rendements offerts, à une période déterminée.
9
Les crises structurelles sont celles qui impliquent un saut d’une phase de développement à une autre ou d’un modèle
d’accumulation à un autre, comme dans le cas de la révolution industrielle et de la révolution française, de la révolution de 18481849 dans différents pays d’Europe, des crises survenues entre 1929 et 1933 qui ont établi le rôle de l’État comme régulateur,
celle de 1970 qui a vu la fin de l’étalon-or au profit du dollar et celle de 2008 pour laquelle il n’a pas encore été trouvé d’issue. Les
crises cycliques sont celles qui se succèdent au sein d’un même modèle sur de plus courtes périodes.
41
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Les crises peuvent par conséquent survenir tant dans les sphères de l’économie réelle (de la production,
distribution, échange et consommation de biens et de services) que dans la sphère monétaire ou
financière (actifs financiers ou titres valeurs émis par des institutions financières) qui peut ou non avoir
une influence sur la production et le commerce ou toucher les deux sphères en même temps.
En ce sens, la crise actuelle, qui est structurelle, peut être qualifiée d’intégrale, dans la mesure où elle
affecte tant la sphère de la production et du commerce que la sphère financière.
Elle est structurelle car elle doit procéder à des ajustements tant au niveau de l’infrastructure économique
que de la superstructure politique et culturelle. C’est l’actuel développement scientifique et technologique
qui en est à l’origine, ainsi que les perspectives d’épuisement des sources d’énergie, des minéraux
stratégiques, de l’eau, de la biodiversité et d’autres ressources naturelles. Elle s’aggrave du fait de la
pollution et de l’augmentation du chômage, ainsi que des grands flux migratoires en provenance des pays
du sud qui en découlent. Tout ceci ajouté à ce qui précède explique qu’il soit obligé de procéder à des
réajustements en termes d’organisation et d’utilisation des facteurs de production, de modes de gestion,
au niveau des relations internationales et des processus d’internationalisation de ses investissements.
À n’importe quelle étape de son développement, le système capitaliste est confronté aux crises
structurelles en raison de la réduction des profits et donc à des difficultés de reproduction. Ces crises font
partie de sa dynamique de développement et de changement d’une étape à une autre ou d’un modèle
d’accumulation à un autre, tandis que les crises cycliques survenant en leur sein opèrent les ajustements
nécessaires.
Afin de surmonter chaque étape, le système a démontré avoir la capacité de la flexibilité et de la mobilité
pour se réajuster, non pas par autorégulation du marché comme le préconisent les économistes du
système, mais par l’intervention intelligente et opportune des chefs d’entreprise et de l’État à son service.
C’est pour cela que l’on peut dire que la crise est structurelle et intégrale, puisqu’elle affecte autant le
marché financier que le marché réel ou de production de biens et de services de consommation, et qu’elle
entraîne l’épuisement des ressources naturelles, le déplacement et l’exclusion de la plus grande partie
des travailleurs10. À cela s’ajoute le formidable niveau atteint par les forces productives et leur processus
de développement impossible à arrêter, face à des relations de production qui exploitent et spolient de
plus en plus le travail et la nature.
Selon l’OIT, plus de 50% de la population économiquement active est composée de travailleurs “informels” ou appelés
autonomes en ESS.
10
42
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Cette réalité me permet d’affirmer que la crise actuelle n’est plus la crise de l’un des modèles
d’accumulation mais celle du mode de production ou du système économique et de la politique capitaliste,
qui entraîne dans son sillage la crise de sa superstructure politico-juridique et culturelle. Il convient par
conséquent d’étudier, de comprendre et d’utiliser à bon escient les facteurs qui s’accumulent pour la
surmonter et favoriser les progrès vers une société régie par la coopération, la collaboration et la
solidarité.
5. L’Economie Sociale et Solidaire : un modèle ou un nouveau mode de production
J’ai tenté dans les paragraphes précédents de faire la distinction entre les concepts de modèle et de
mode de production. Au vu de la confusion créée, nous allons nous efforcer de définir précisément ces
concepts afin de lever tout ambiguïté.
On entend par mode de production ou système économique la modalité historique qu’assument les
relations de production face à un niveau déterminé de développement des forces productives et qui est
constitué par la structure économique et la superstructure politico-juridique et idéologique. Le modèle
économique renvoie à la forme particulière que revêt, au niveau d’une formation économique et sociale,
un mode de production déterminé, lequel dépend dans le capitalisme des caractéristiques du modèle
d’accumulation de capital (Montolla, 2007).
Cette distinction s’avère essentielle et utile à l’heure de déterminer la stratégie de la proposition de l’ESS
face à la crise actuelle du système.
Si l’on considérait l’ESS comme un modèle économique, il est évident que ses propositions apporteraient
une solution à la crise du modèle d’accumulation capitaliste et que, par conséquent, ses stratégies
reproduiraient les relations d’exploitation en vigueur.
Si au contraire, on la considérait comme le germe d’un nouveau mode de production qui prend naissance
au sein du mode de production capitaliste, les stratégies viseraient à dépasser ce mode de production et
ses relations actuelles d’exploitation du travail et de la nature.
L’importance de cette différenciation réside dans le fait qu’actuellement, les dirigeants des multinationales,
sous l’impulsion des gouvernements du G7 et des organismes internationaux tels que le Fonds Monétaire
International, la Banque Mondiale, etc., parlent de la nécessité de changer de modèle économique pour
43
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
sortir de la crise.
Le débat actuel des dirigeants du système et des gouvernements des pays riches touchés par la crise
financière se centre sur deux propositions de sortie de crise :
a) d’une part, celle des défenseurs du modèle néolibéral monétariste promouvant la privatisation des
biens publics, la réduction des dépenses des gouvernements et en particulier le démantèlement des
États-providence, autant de mesures encouragées par les grandes banques et les multinationales et
dont l’Union Européenne, avec à sa tête l’Allemagne, le FMI, la Banque mondiale et les États-Unis se
font les porte-paroles, le marché jouant un rôle de régulateur.
b) d’autre part, celle des néo-keynésiens qui proposent notamment, sur l’exemple des BRIC11, de
retourner à un mode de croissance basé sur la production et le commerce en augmentant la demande
au moyen de politiques et de mesures de soutien aux investissements publics et privés, associées à
des programmes sociaux destinés à profiter aux classes moyennes à travers les petites et moyennes
entreprises et en conférant à l’État un rôle d’agent régulateur plus important.
C’est dans le cadre de cette dernière que s’inscrivent les propositions de la dénommée « économie
verte » promue par les Nations-Unies, avec l’accord des grandes entreprises12. Cette dernière élargit sans
restrictions et au moyen de politiques incitatives les possibilités d’investissement pour exploiter les
ressources naturelles protégées par des réglementations nationales, et tente d’introduire une
réglementation internationale à laquelle devraient se soumettre les différents pays, notamment les pays
du Sud qui détiennent les plus grandes réserves naturelles au monde.
Quoique soutenus par des groupes économiques distincts, ces deux courants et visions économiques aux
approches différentes ne s’excluent pas dans le fond. En règle générale, ils se mettent d’accord pour
appliquer des politiques économiques mixtes, l’un pouvant prendre le dessus sur l’autre en fonction du
modèle d’accumulation ou groupe dominant à un moment et lieu donnés.
De la même façon, ces deux courants visent à garantir la reproduction du mode de production capitaliste,
ce qui explique que les États interviennent pour financer les faillites des banques et ainsi surmonter la
crise du système financier international, même si ce sont le marché et ses dirigeants dérégulés, mus par
l’avarice et l’appât démesuré du gain, qui ont créé et fait éclater la bulle financière et spéculative.
Groupe de pays dits émergents comprenant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine d’où le sigle BRIC.
Cf. le document intitulé « The future we want, », draft zéro, formant la base de la discussion de la Conférence sur le
développement durable, Rio + 20, qui s’est tenue en juin dernier à Rio de Janeiro, au Brésil.
11
12
44
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Il en découle deux questions fondamentales concernant la définition et le rôle de l’ESS auxquelles je vais
m’efforcer de répondre :
a) Premièrement, l’ESS est-elle un modèle économique intégré à la reproduction capitaliste ?
Si tel était le cas, elle gérerait un nouveau modèle d’accumulation basé sur le rôle de premier plan joué
momentanément par des entités à orientation sociale mais néanmoins centrées sur la croissance
économique et la recherche de profits.
Le fait est que pour se différencier des propositions déréglementées des marchés et de celles en faveur
de l’intervention de l’État en tant que régulateur, il lui faut proposer une troisième voie basée sur des
entités autonomes par rapport à l’État et au secteur privé.
Cette alternative pose la question de savoir qui doit jouer le rôle de régulateur de l’économie et ce qui
pourrait remplacer les entreprises privées et l’État. Dans la mesure où le système ne peut exister sans ces
mécanismes de gestion, il serait alors mis fin au capitalisme en tant que système dominant.
Il conviendrait alors d’examiner le rôle que joueraient en ce sens les coopératives de nombreux pays du
monde, lesquelles se sont adaptées et fonctionnent désormais de la même manière que les entreprises
capitalistes, ayant abandonné leurs principes et leur nature initiale au profit de la gestion économique
comme nouvelle raison d’être.
b)
La deuxième question est la suivante : l’ESS est-elle un nouveau mode de production qui est né et
s’est développé sous différentes formes, en différents lieux et à différents degrés au cœur du
système capitaliste mondialisé ?
Comme nous le démontrerons dans le paragraphe suivant, je penche pour cette dernière possibilité dans
la mesure où comme en témoignent les expériences d’initiatives d’ESS menées partout dans le monde,
ces dernières permettent de bâtir de nouvelles relations sociales basées sur la coopération et la
collaboration entre les travailleurs et avec la nature.
De même, elles appliquent de façon équitable la répartition des richesses, pratiquent l’autogestion
démocratique, durable et transparente des biens communs, dans le respect de l’écologie et de
l’environnement, en organisant la production de manière à garantir le droit à la souveraineté alimentaire
grâce à l’application de normes en matière de commerce équitable, finances éthiques et consommation
45
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
responsable tout en garantissant la parité hommes-femmes. Toutes ces pratiques d’organisation de
l’économie sont contraires à la nature du système économique capitaliste.
Cela signifie que l’ESS continue de construire son propre système de relations sociales, production,
distribution, reproduction et consommation, qu’elle possède déjà en partie. De la même manière, elle est
force de propositions en matière de gestion démocratique de l’économie, du pouvoir politique et de la
culture, sur la base de principes éthiques, moraux et spirituels concourant à l’organisation structurelle
d’une société coopérative entre les êtres humains et la nature, émancipée de l’aliénation mercantile
propre au système capitaliste.
6. Les facteurs qui rendent possible le développement de l'Economie Sociale et Solidaire
Pour les défenseurs du mode de production capitaliste, l'économie est un système global qui domine et
englobe tous les autres sous-systèmes, y compris la biosphère, donc, de ce point de vue, ils justifient
leurs positions pour agir sur les problèmes environnementaux, sans modifier les aspects fondamentaux de
l’économie, dont les pratiques sont à l'origine de ces problèmes ou de ces « externalités » pour reprendre
leurs termes.
Autrement dit, l'économie crée des externalités (pollution, changement climatique, etc) et des dommages
non souhaités ou collatéraux, et cette même économie peut, en utilisant la science et la technologie, les
résoudre tout en les marchandant.
Par conséquent, pour sauver l'économie capitaliste, la marchandisation des richesses naturelles devrait
se poursuivre tout comme la marchandisation des services créés pour résoudre les problèmes
environnementaux. Dans les Caraïbes, cela est communément appelé « le commerce rond » (negocio
redondo).
Au contraire, la vision de l'ESS est de considérer que la biosphère est le système dans lequel le soussystème économique se développe comme partie intégrante de celle-ci, donc, pour résoudre les
problèmes environnementaux actuels, nous devons transformer les relations d’exploitation qui
caractérisent le sous-système de l'économie capitaliste. Avec cette vision, nous sauvons le concept
original d'économie comme l'art d’entretenir le foyer.
L'ESS assimile le système économique capitaliste à un cancer par sa nature exploiteuse, qui pour exister
doit maintenir une croissance constante, au détriment des autres sous-systèmes et du corps même qui
46
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
abrite ce système, que nous appelons la « maison ». Par conséquent, la solution aux problèmes
environnementaux seraient trouvée en éliminant les rapports d'exploitation et en imposant comme remède
permanent les relations de coopération, la collaboration et l’attention portée à la « maison » pour toutes
celles et ceux qui l'habitent.
Bien que nous ayons évoqué plus haut, en termes généraux, les éléments qui tendent à l'extinction du
système économique capitaliste, il est nécessaire de détailler ces éléments qui démontrent ce qui se
passe réellement. Pour cela nous examinons les facteurs qui se sont accumulés et qui indiquent sa
proche disparition.
Je dois préciser que bien qu’il s’agisse de grandes contradictions, aucun système économique et social,
et encore moins le système capitaliste, ne se détruit automatiquement, nous devons l’aider à disparaitre
en utilisant ces contradictions.
Pour transformer le système capitaliste mondialisé, il faut une action consciente des sujets, déterminée et
intelligente, sur les plans économique, politique, culturelle et idéologique, qui, en dirigeant les forces
productives (la technologie, les connaissances, le travail et son organisation) et les nouveaux rapports de
production, ont la condition et la mission historique d'être la force qui défera les structures -économiques,
juridiques et politiques- anciennes et dépassées, qui soutiennent ce système.
La transformation d'une société vieillissante, en une autre société émergente, nécessite d'accumuler des
facteurs objectifs et subjectifs, qui non seulement fragilisent l'ancien système, mais également renforcent
le nouveau système économique qui se développe en son sein.
7. Les facteurs pour dépasser le système capitaliste mondialisé
Facteurs objectifs
Ils sont liés à des contraintes physiques et économiques qui empêchent la croissance continue du
« cancer ». Parmi eux nous signalerons les facteurs suivants:
a)
L'existence du marché mondialisé, dans le prolongement duquel est garantie sa reproduction. A
grande échelle, ce marché a créé un ensemble de sociétés monopolistiques, parmi lesquelles 147
possèdent 40% de la richesse mondiale (S. Vitali, J.B. Glattfelder, and S. Battiston, 2011). Plus
particulièrement,
sa croissance a pénétré dans toutes les régions et tous les secteurs
économiques de la planète. C’est pour cela que le marché demande de supprimer les limites
47
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
imposées par la réglementation et les lois relatives à la protection des écosystèmes naturels qui ne
sont pas encore marchandisés.
b)
Il a supprimé la majeure partie des valeurs d’usage, en les marchandisant, tel que le travail
domestique, l'éducation, la santé, l'eau, la terre, l'air, etc.
c)
Afin de se reproduire, il recourt à la création de besoins de consommation nouveaux et superflus,
qui augmentent la demande de biens non vitaux.
d)
La recherche incessante d'exploitation de toutes les ressources et des propriétés de la nature,
utiles au commerce mondial, tel que le brevetage des plantes médicinales et d’autres éléments
de la biodiversité et de la génétique.
e)
L'appropriation privée des biens communs tels que les écosystèmes naturels.
f)
L’accélération de l'obsolescence des biens et la planification de l’arrivée des nouvelles
technologies sur les marchés.
g)
L'incapacité d'absorber plus de 50% des travailleurs13 et des travailleuses à l’échelle mondiale,
qui compte-tenu du taux élevé de chômage, des bas salaires, de la précarité croissante et de
l’insécurité au travail, préfèrent développer des activités et des initiatives économiques
autonomes, augmentant ainsi le recours à l'économie dite informelle.
h)
La contradiction fondamentale du système est déjà extrême, laquelle établit que, tandis que la
production est de plus en plus sociale, l'appropriation de ses résultats est de plus en plus
individuelle ou privée. Déjà, en 2000, sur 7 milliards de personnes dans le monde, seulement 2%
de tous les adultes dans le monde, environ 70 millions de personnes, possédait plus de la moitié
de la richesse mondiale. Seulement 1% des adultes les plus riches possédait 40% des actifs
mondiaux. En outre 90 % de la richesse mondiale totale « est fortement concentrée en Amérique
du Nord, en Europe et dans les pays à hauts revenus de la région Asie-Pacifique. Avec 6% de la
population mondiale, l'Amérique du Nord possède 34% de la richesse mondiale14 ».
Tous ces facteurs sont exprimés comme des tendances qui se renforcent chaque jour et s’imposent
comme une réalité, qui génèrent des facteurs nouveaux et plus complexes, et qui créent les conditions de
la disparition du mode de production capitaliste mondialisé.
Facteurs subjectifs
Dans son désir démesuré de recherche de ressources et du maintien de niveaux de bénéfices et de
croissance économique, l'économie capitaliste a peu à peu démantelé tout le système juridique, politique,
institutionnel, éthique et moral dans lequel il s’est développé. Ainsi, ce système :
Selon l’Organisation Internationale du Travail, dans les pays pauvres, la proportion de l’activité informelle oscille entre 35 et
90% de la population active.
14 http://www.elsiglodetorreon.com.mx/noticia/249589.html
13
48
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
a)
Ne tolère pas les lois qui créent des obstacles aux activités économiques, implantant le
libéralisme partout, promouvant et créant de nouvelles règles en fonction de ses intérêts.
b)
En vertu de sa logique, les lois existent pour être violées, avec la complicité des États, il crée des
paradis fiscaux, des zones franches, des traités de libre-échange et maintenant promeut
l'économie verte.
c)
Les monopoles exigent la pleine liberté d'action dans les économies des pays du Sud, violant les
lois du travail, de protection des ressources naturelles et des écosystèmes, ou bien promeuvent
la modification des lois, exigeant une sécurité juridique pour leurs investissements.
d)
Entraîne la perte de légitimité et de crédibilité des gouvernements et des élites patronales devant
la population, par le recours au mensonge, au chantage, à la corruption, etc., malgré des
dépenses publicitaires pour la promotion de la dite responsabilité sociale des entreprises, la
diffusion commerciale et politique.
e)
Promeut la liberté, mais la liberté qui convient à ses intérêts. La liberté avec et en faveur des
monopoles, ce qui est complètement contradictoire15.
f)
Pour développer leurs ventes, les monopoles recourent à des « contre-valeurs », à la contreéthique, à la dépravation, comme moyen de diffusion de la culture du consumérisme auprès de la
population.
g)
Décomposent et rendent inefficaces des institutions juridiques et politiques du système, tels que
les pouvoirs de l’Etat, la justice, la sécurité, etc.
h)
Les pratiques éthiquement perverses dans la politique d'immigration de la part des pays riches,
qui exigent et imposent la liberté pour le capital mais qui criminalisent la liberté de circulation des
travailleurs.
i)
Tous les postulats et principes moraux, éthiques, philosophiques, politiques, culturels et même
religieux, sur la liberté, la démocratie, la justice, l’économie…, sont interrogés et remis en cause
par de plus en plus de gens qui se basent sur les faits, ce qui génère la méfiance, l'incrédulité, la
déception et la réflexion sur des paradigmes alternatifs.
Par l'accumulation historique des facteurs objectifs et subjectifs dont certains décrits ci-dessus parmi bien
d'autres (je n'ai mentionné que les plus évidents à ce stade), cela nous montre que dans la phase actuelle
du développement capitaliste, apparaissent des indices qui mettent en évidence que le processus
d'extinction de ce mode de production a déjà commencé.
15
Alors que le leadership impérial mondial exige la liberté de mondialiser toutes les ressources et les moyens des pays pauvres,
« il ne permet pas de mondialiser ni la main-d'œuvre ni le territoire politique et économique des pays riches et fortement
industrialisé. Il ne permet pas non plus de mondialiser les bénéfices de la mondialisation » (Arruda 2010, 75).
49
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Sur ce point, je partage l'hypothèse que certains auteurs ont proposé que cette étape serait
l'aboutissement du processus d'évolution du capitalisme16. Il ne s’agit pas de la fin du monde, mais de la
fin du monde capitaliste et de tous ses maux. Alors maintenant, quel mode ou système de production,
nous humains, construisons-nous? Les paragraphes suivants portent sur cette question.
8. Conditions favorisant le développement de l'ESS en tant que mode de production postcapitaliste
Basée sur la loi de la dialectique, la synthèse capitaliste (mode de production), a développé à l’extrême
son antithèse (les contradictions inhérentes à celle-ci) donc logiquement, il doit émerger une nouvelle
synthèse (un nouveau mode de production). Cette synthèse est-elle le mode de production de l'ESS?
Nous tenterons de donner des lignes directrices qui permettent de confirmer cette hypothèse.
La mondialisation du système économique actuel a entraîné de nombreuses pénuries et menaces mais
également des opportunités prometteuses pour l'humanité, dont nous devons tirer profit.
Pendant que se sont accumulés des facteurs indiquant le recul du processus d'évolution du capitalisme
comme mode de production -ce qui est très encourageant- se sont également accumulés en son sein
d'autres facteurs ou aspects potentiellement positifs pour l'avenir de l'humanité.
Marco Arruda (2010, 69-70) appuyé par divers auteurs, a recueilli ces aspects, que je vais détailler
brièvement :
a)
Emergence et développement de nouveaux systèmes d'organisation de production à plus petite
échelle et flexible, qui utilisent de plus en plus les connaissances plutôt que le travail manuel.
b)
Les innovations dans l'organisation de la production facilitent l'utilisation de la créativité des
travailleuses et travailleurs, réduisant ainsi le travail monotone et abrutissant.
c)
Avec les innovations en informatique et en robotique, la perte de temps et d'énergie humaine
consacrée au travail se réduit, ce qui augmente la productivité et créé la base de la créativité et de
nouvelles innovations en matière de technologie, de culture et de science.
d)
L'émergence de systèmes d'auto-gestion, de co-gestion et de co-propriété du fait de l'utilisation de la
haute technologie et des connaissances, qui sont le fondement d'une culture organisationnelle de
l'information, ce qui donne plus de mobilité et d'autonomie aux travailleurs et aux travailleuses.
16 Des auteurs tels que Marcos Arruda, 2010, Samir Amin, 2005, Edgar Morin, 2010, parmi beaucoup d'autres, soulèvent cette
hypothèse en analysant les différents facteurs qui permettent de vérifier l'exacerbation des contradictions inhérentes au
capitalisme.
50
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
e)
L’augmentation du potentiel de libération du travail humain (travailleurs autonomes) par rapport à
l'emploi salarié dans le système capitaliste, et valorisation du travail associatif, lequel génère une
praxis de communication et de création comme noyau du développement effectif de l’humain.
f)
Une intensification des échanges solidaires, de la complémentarité des connaissances et des
ressources, de la solidarité dans les luttes, de l'expansion de la conscience d’une espèce unifiée
dans la diversité, facilitée par les progrès de la télématique et avec elle de la démocratisation de la
communication.
g)
Dans la mondialisation, est offerte la base matérielle pour le développement des relations de
coopération, ce qui permet aux travailleurs du monde entier de s’unir pour une humanité
responsable, plurielle et solidaire.
Tous ces aspects ont créé et développent le domaine de la culture, de l'écosystème, de l'environnement
économique, technologique et social, dans lequel il est né et où peut croitre le mode de production de
l'ESS -ou comme on voudra le nommer. Il est clair que ce dernier sera basé sur les rapports de production
fondés sur la coopération, la collaboration, la solidarité entre les êtres humains et de ceux-ci avec la
nature.
Il ne peut en être autrement, parce que sinon, notre espèce, la maison où nous vivons et avec elle toute la
vie disparaîtraient, ou pour le moins seraient victimes d'un catastrophe sociale et écologique irréparable.
Mais nous sommes des êtres intelligents et nous nous avons pris conscience de cette situation à la
croisée des chemins. Comme l'ESS est gérée par des travailleuses et des travailleurs, le contexte cidessus a également donné lieu à l’émergence de sujets qui conduisent au processus de développement
et de triomphe final de l’ESS en tant que système économique mondial, et, de là, à l'humanisation du
monde.
9. Le sujet porteur et conducteur du changement
En vérité il n'est pas aisé d’assumer la tâche de transformer la mondialisation actuelle développée
pendant plus de cinq siècles, où l'économie est le protagoniste et les humains sont des choses
négociables, et parallèlement de construire une nouvelle mondialisation, où l'homme est le protagoniste
de son économie afin de «remplir sa vocation historique [et évolutive] d’être l’acteur de son histoire et de
son développement en tant que personne, communauté, société et espèce» (Arruda 2010).
Il est difficile, voire impossible, si les gens prêts à le faire ne forment qu’un petit groupe, une minorité qui
51
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
devrait assumer le rôle de héros de films américains.
Nous devons assumer cette tâche titanesque et glorieuse en impliquant la grande majorité des
travailleuses et des travailleurs exploités et exclus, y compris ceux qui résistent à partir de n'importe quel
poste de travail ou de lutte, les intellectuels, les éducateurs populaires, les chefs d'entreprises et les
organisations d'économie sociale et solidaire, les universitaires, les écologistes, les agriculteurs, les
féministes, les jeunes, les homosexuels, les personnes handicapées, les militants du mouvement social et
des droits de l'homme, les peuples autochtones et toutes les personnes disposées à faire partie de cet
exploit honorable.
Il est positif et plein d'espoir de rappeler que toute cette force est déjà en construction et en mouvement,
générant et accumulant chaque jour des richesses matérielles collectives, culturelles et idéologiques, en
dirigeant et en gérant la propriété commune des coopératives, des entités à but non lucratif, des groupes
d'auto-assistance, de mutuelles, de fondations indépendantes, de groupes de gestion des écosystèmes
écologiques et des aires protégées, de producteurs écologiques, de banques éthiques, éthique bancaire,
d’associations professionnelles, de banques communautaires, de groupes et de militants de la
consommation responsable, des réseaux et des bourses d’échanges solidaires, de la culture libre, du
tourisme responsable ou de l'écotourisme, du troc, de la permaculture, de l'écovillage, de la décroissance,
du Slow Food, du bien-vivre, des peuples autochtones, des monnaies solidaires, de la diversité sexuelle,
etc.
Toutes ces expressions relèvent de la propre initiative et de la créativité des personnes impliquées, qui
disposent d’autonomie, de diverses formes d'organisation, d'action et de démonstration de solidarité.
"Le renforcement du pouvoir socio-économique et politique et l'hégémonie culturelle du travailleur
[et j’ajouterai de la travailleuse] en tant qu'individu et en tant qu'être social et espèce complexes, en
constante et chaque fois plus consciente évolution, est la source d'une transformation annoncée de la
civilisation" (Arruda 2010, 306).
Ce sujet nouveau « transformateur » ne peut se développer et assumer son rôle de protagoniste sans une
éducation complète à une éthique de la conservation de l'espèce humaine, et avec elle de la nature, de la
solidarité et de l'amour pour la vie.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞
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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Références bibliographiques
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http://www.pajareo.com/15195-147-companias-controlan-el-40-de-la-riqueza-la-red-capitalista-quegobierna-el-mundo/#.UGsKAxitW9x
Zabala Salazar Hernando Emilio, Modèles Economiques Solidaires, Guide Didactique et Module, Medellín
2008.
53
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’auteur : Abdou Salam Fall, Sénégal
Abdou Salam Fall (PhD) est sociologue à l'Institut
Fondamental d'Afrique Noire (IFAN) de l'Université Cheikh
Anta Diop de Dakar au Sénégal.
Enseignant-chercheur depuis vingt ans, il est titulaire d'un
doctorat en sociologie urbaine à l'Université Cheikh Anta
Diop de Dakar et d'un doctorat en sociologie économique de
l'Université d'Amsterdam aux Pays-Bas.
Abou Salam Fall dirige le Laboratoire de recherche sur les Transformations économiques et sociales
(Lartes) de l'IFAN au Sénégal depuis 2007. Il est également le responsable du nouveau programme de
doctorat "Sciences sociales appliquées au développement" à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Le Professeur Abdou Salam Fall a été Président du RIPESS, réseau intercontinental de promotion de
l'économie sociale et solidaire de 2002 à 2006, il est Président d'honneur du Groupe sénégalais
d'économie sociale et solidaire depuis 2007 et membre du Conseil scientifique du CIRIEC International
depuis 2006.
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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Les réponses de l’économie sociale et solidaire aux besoins sociaux
dans le monde, par Abdou Salam Fall, Sénégal
Introduction
Les situations de crise que le monde a connues ont révélé l’impératif du développement de l’intérieur des
sociétés ainsi que les limites de l’économie spéculative. De plus, les systèmes de mesure de l’activité
économique ne reflètent pas suffisamment les changements structurels qui caractérisent l’évolution des
économies modernes (Stiglitz, Sen, et Fitoussi, 2009) alors que les modes de régulation internationale
s’avèrent également peu favorables à leur ancrage national et local. Se soustraire du marché mondial
n’est pas le but, mais bien le refus de s’accommoder à des règles non négociées sur des bases
démocratiques.
Or, il apparaît bien que la concentration des richesses entre les mains d’une minorité demeure le mode
opératoire capitalistique. Ceux qui produisent les richesses sont exclus des sphères de régulation sous
contrôle des multinationales. Il en résulte des inégalités nouvelles qui ne peuvent corriger les inégalités
structurelles qui sont à l’origine des nombreux problèmes sociaux : non accès au travail, travail indécent,
non-respect des droits humains, faim et famine, inégal accès aux services sociaux fondamentaux,
déséquilibre des ensembles géographiques, inégalités de genre et de génération, habitat précaire,
revenus incertains, cadre de vie dégradé, faible accès aux capitaux, perte de biodiversité, menaces
environnementales diverses, etc.
Les réponses de l’économie sociale et solidaire face aux besoins sociaux sont analysées dans cet article
sous trois axes : l’inclusivité de la croissance, la durabilité /la soutenabilité des modes de production et le
passage à l’échelle des initiatives entrepreneuriales. Ces réponses fraient la voie à la gouvernance
multidimensionnelle, cette gouvernance qui installe des processus de co-production par les principaux
types d’acteurs du pluralisme économique : l’économie publique cohabitant avec l’économie privée et
l’économie sociale et solidaire.
1. L’économie sociale et solidaire contributive d’une croissance inclusive
L’insertion à la marge qui est le reflet de mauvaises conditions de travail et de bas salaires ainsi que le
déficit d’accès à l’information économique, contribuent à produire une participation étriquée des pauvres à
la croissance.
55
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Le rapport de Stieglitz, Sen et Fitoussi (2009), établit bien que les rapports entre la croissance moyenne
du PIB par tête et les inégalités se creusent: « beaucoup de personnes peuvent se trouver plus mal loties,
alors même que le revenu moyen a augmenté17 ». Il apparait que la croissance reste captée par les
franges aisées dans de nombreux pays en l’absence de mécanismes impliquant les acteurs populaires
dans l’économie moderne. Il s’y ajoute les effets pervers de la croissance sur l’environnement et autres
vulnérabilités qui rigidifient les inégalités sociales.
L’analyse de Mckay (2008) met en relief le fait que des niveaux élevés de vulnérabilité, font que les
pauvres seront moins susceptibles, de s’engager dans des activités risquées qui ont le potentiel d’être
plus rentables. La contribution de l’économie sociale et solidaire dans la lutte contre l’insécurité
économique repose également sur l’augmentation de revenus et leur conversion en services pour les
populations pauvres (Fall A.S., 2007).
A l’inverse, la croissance inclusive introduit la perspective à long terme des processus de développement
(Lanchovichina et Lundstrom, 2009). Stiglitz, Sen et Fitousi (2009) insistent sur l’importance de la «
soutenabilité du niveau de bien-être», c'est-à-dire l’accumulation de capital multidimensionnel en stock
suffisant pour être consommé rationnellement et transmis aux générations futures. Ils encouragent dès
lors la nécessité de disposer de mesures d’instruments de la croissance inclusive en termes d’étendue et
de degré d’inclusivité.
La croissance inclusive devient un engagement politique en faveur des pauvres dont la participation
économique serait reconnue au travers de leur forte présence dans l’économie sociale et solidaire. Mais
elle va au-delà de la lutte contre la pauvreté pour embrasser la question fondamentale des
transformations économiques et sociales pour une meilleure intégration du développement social et
économique.
Il faut donc une qualité de croissance pour tirer le niveau de vie vers le haut. Pour être durable, cette
croissance doit être endogène. Elle doit être portée entre autres par l’économie sociale et solidaire qui est
en soi l’espace de l’endogénéité. En effet, l’économie sociale et solidaire est une économie du peuple.
Elle se réalise à l’échelle locale. Elle est donc ancrée dans les territoires. Elle garantit l’accessibilité
géographique qui fait défaut à l’économie capitaliste. Celle-ci reste segmentée et se traduit par une
concentration des pauvres dans des quartiers et régions périphériques, donc éloignés des opportunités.
Une telle marginalisation est accentuée par un faible investissement dans le capital humain, notamment
dans la formation et l’entreprenariat dont la conséquence est de limiter la portée de la participation des
Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009, Joseph E. STIGLITZ,
Amartya SEN et Jean‐Paul FITOUSSI. www.stiglitz‐sen‐fitoussi.fr
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56
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
pauvres dans le travail.
En revanche, la croissance inclusive rend possible l’égalité d’accès à des opportunités crées pour tous,
notamment les pauvres. Comme le montre Birdsall (2007), elle contribue à augmenter la taille de la classe
moyenne. C’est dans ce cadre que l’entreprenariat social participe à cet effort d’accessibilité du travail
décent et de l’élargissement des opportunités d’affaires à de larges franges de la population.
Par exemple, les coopératives de production et de services donnent de l’élan à l’entreprenariat social. Les
activités économiques à finalité sociale ré-encastrent l’économie dans le social. Elles montrent que
l’initiative privée, l’entreprenariat ainsi que la production de richesses n’est ni l’apanage des individualités
ni celui des clans de riches. Plusieurs expériences confortent l’idée selon laquelle les niches d’emploi sont
identifiables dans l’activité au quotidien des acteurs sociaux.
Les réseaux de commerce équitable mettent en liens des producteurs qui s’identifient mutuellement à un
référent commun, valorisent leur production, les techniques locales ou l’artisanat. L’activité s’intègre à leur
vie sociale à l’image de l’économie sociale et solidaire qui est demeurée un mode de vie dans les pays du
Sud. C’est le cas de la Cooperative Heiveld pour la production du Wupperthal Rooibos TEA (thé rouge) en
Afrique du Sud, les coopératives de femmes productrices d’huile d’argan au Maroc ou encore la Mutuelle
d’épargne et de crédit pour la solidarité ouvrière mise en place par la Confédération nationale des
travailleurs du Sénégal pour accompagner les travailleurs qui ont perdu leur emploi ou travaillent dans des
conditions précaires.
Bien plus, dans ces activités de l’économie sociale et solidaire, les richesses à créer sont le fait de
personnes reconnues, appartenant à des groupes et soucieux de leur environnement social, local et
écologique.
2. Produire autrement par l’approche écologiste
L’approche écologiste et éthique préconisée par l’économie sociale et solidaire aide à montrer une voie
pour produire autrement dans le respect du développement durable. Il est tout aussi indispensable que les
mesures de performance économique intègrent les coûts environnementaux. Par exemple le
réchauffement de la planète doit entrainer une autre régulation des émissions de carbone. Ainsi que le
relève le Growth Report de Oxford Policy Management (OPM) (2008), ce sont les pays pauvres dans les
régions tropicales qui sont plus susceptibles de souffrir de la pire façon des dommages causés par le
réchauffement de la planète.
57
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
S’il est vrai que les pays en développement n'ont pas, le plus souvent, les ressources nécessaires pour
s'adapter facilement au réchauffement climatique, inversement dans de nombreux pays, les coopératives
de producteurs et les communautés autochtones-définissent des règles que leurs communautés
reconnaissent dans le domaine de l’eau, des forêts, des ressources cynégétiques, foncières,
énergétiques.
En raison de l’approche faite de proximité par les communautés, elles-mêmes conscientes des menaces
sur leur environnement et leur espace de vie, la réduction des émissions de dioxyde de carbone portée
par l’économie sociale et solidaire se trouve dans les techniques locales et adaptées, régénératrices et
écologiquement éprouvées.
L’économie sociale et solidaire structure de ce fait le développement des communautés en projetant une
réflexivité sur les résiliences, capable de générer les ressorts des progrès sur soi (Fall A.S., Favreau L.,
Larose G., 2004).
Participer à l’effort commun face aux risques mondiaux trouvera un écho favorable et mobilisateur auprès
des acteurs qui se posent comme pionniers du développement durable et fiers de leur responsabilité
citoyenne. Le Forum social mondial, dans sa formule rotative (de Porto Alègre 2001, 2002 et 2003 à
Dakar 2011 ou Tunis 2013, en passant par Mumbai 2004 et Nairobi 2006), a contribué à partager ces
exigences écologistes de notre époque grâce à sa fonction d’amplificateur des messages des
mouvements sociaux à l’échelle internationale et de construction commune et démocratique d’agendas
des changements et des transformations économiques et socio-politiques émancipatrices des inégalités
structurelles.
3. Mutualiser c’est renforcer le pouvoir d’agir et d’entreprendre des acteurs sociaux
Dans le domaine de la protection sociale, l’économie sociale et solidaire apporte une touche
supplémentaire en étant le cadre de la vitalisation des liens par la mutualisation des ressources en face
de besoins communs. Or certains pourfendeurs de l’économie sociale et solidaire considèrent que la
solidarité n’est pas l’objet de l’économie qui serait le cadre par excellence du profit. En voie de
conséquence, l’économie sociale et solidaire qui se définit comme non lucrative, serait en dehors de la
sphère d’effet de l’économie. On peut leur objecter par exemple que si les coopératives et mutuelles ne
font pas partie de l’économie, que reste-t-il de non marchand ou de patrimoine collectif dans ce secteur?
En effet, dans leur Rapport sur l’économie sociale dans l’Union Européenne en 2007, Rafael Chaves et
José Luis Monzon du CIRIEC International montrent que les coopératives, associations, mutuelles et
58
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
assimilées comptaient en 2002-2003, 11 142 883 emplois, soit 6,7% du volume total d’emplois salariés
dans l’Union Européenne à 25. Plus récemment, en 2008, l’INSEE établit que l’économie sociale
représente près de 10 % de l’emploi salarié national hors agriculture et 8% des salaires en France.
De même, citons l’exemple des mutuelles de santé en Afrique et ailleurs qui offrent une mutualisation des
frais des soins de santé et favorisent une meilleure accessibilité aux structures de santé et dans certains
cas, une meilleure qualité des services. Ces exemples corroborent le fait que l’économie sociale et
solidaire est une façon autre d’agir en économie au service de la cohésion sociale. Elle participe donc à
fonder les bases de la protection sociale. La protection sociale vise à rendre possible à la fois la solidarité
horizontale (groupe de pairs) et verticale (de l’Etat, des Collectivités locales aux acteurs pour conforter
leurs initiatives et garantir les droits de vie au plus grand nombre).
Elle postule ainsi une gouvernance ouverte et vertueuse susceptible d’inspirer les ruptures nécessaires au
sein des Etats, des institutions régionales ou continentales, en particulier dans les pays où les politiques
sociales restent débridées.
Cependant, les expériences reconnues de l’économie sociale et solidaire pouvant servir de rampe de
lancement de la nécessaire offensive internationale sont nombreuses : l’économie populaire en Afrique au
Sud du Sahara concentre plus de 80 % des nouveaux emplois créés dans ces pays. L’artisanat local
comme les initiatives de valorisation de l’art culinaire ou la petite industrie culturelle sont en pleine
expansion selon l’esprit « résister et produire » ou « résister, c’est créer » face à la nouvelle hégémonie
des produits de la grande distribution.
De même, l’Amérique latine a expérimenté l’entreprenariat à l’échelle mezzo au travers des PMI avec des
initiatives de cogestion et un partenariat privé-public réussis dans de nombreux cas. Villa El Salvador au
Pérou avec son parc industriel (Favreau L. 2008) ou les cuisines collectives à Lima sont des exemples de
réussite connus. Parmi les bonnes pratiques, le Canada s’illustre par le développement communautaire et
son lien avec le développement local mais aussi par l’implication du mouvement syndical québécois dans
la promotion d’outils de finance solidaire couvrant de nombreux groupes d’acteurs. Le mouvement
Desjardins international, l’une des premières institutions financières du Québec, a contribué à tirer le
développement national vers le haut.
En Europe, la Banca Etica, les coopératives du Mondragon, les assurances sociales, les fonds de
pension, etc. sont autant de repères d’une économie sociale et solidaire institutionnalisée et qui se hisse
en bonne place sur le marché mondial. En Asie, l’expérience du Pratham a réussi à réhabiliter l’école
publique en démontrant que face à des problèmes complexes, le peuple indien adopte des solutions
59
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
simples, à sa portée et tout aussi efficaces. On peut multiplier les exemples non sans mentionner la
Grameen Bank au Bengladesh qui a influencé tout le système de micro-finance dans le monde.
Aux Etats-Unis, les quartiers abritant le quartier général des anciennes filières industrielles sont
aujourd’hui revitalisés par des associations citoyennes. Les usines dans de nouvelles niches sont reprises
par des associations de travailleurs qui cogèrent avec d’autres investisseurs, y compris étatiques ou
privés.
Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, des groupes se forment pour
valoriser les logiciels libres, gérer des radios communautaires, des journaux en ligne, des sites web, etc.
De nouveaux métiers émergent et l’entreprenariat devient plus inclusif. Les fondations et ONG ne sont
pas en reste. Elles sont plusieurs à avoir décidé d’accompagner l’irréversible processus de changement
pour un monde meilleur, équitable et fondé sur la justice économique et sociale. Elles doivent cependant
se mettre en réseaux et financer ces cadres communs afin de constituer un pôle alternatif à l’image que
ce que le Forum social mondial a impulsé.
Face à cette constellation d’initiatives économiques conduites par divers groupes sociaux, comment alors
expliquer qu’aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire n’apparait pas comme un grand pôle économique
mondial, capable de dialoguer avec les autres types d’économie et donc de valoriser son paradigme fondé
sur l’utilité sociale, le bien collectif indivisible, la confiance à l’effort collectif, la solidarité en économie, la
cohésion, en bref, les finalités sociales de l’économie portée par des communautés et des groupes ?
Conclusion : Pour mieux répondre aux besoins sociaux, vers une économie sociale et solidaire
influente sur le marché mondial
Pour donner un visage humain à la mondialisation, il faudra reconnaitre que la gouvernance internationale
est assurée par des « pilotes sans boussole fiable» (Stiglitz J., Sen A., Fitoussi J.P., 2009) et œuvrer à un
rééquilibrage des relations internationales.
La fonction de laboratoire de l’économie sociale et solidaire est à mettre à profit pour interroger le
paradigme dominant les processus de développement. Cependant, il est devenu nécessaire de favoriser
une approche coordonnée, multi-réponse latérale des économies.
En effet, quoique couvrant de nombreux secteurs d’activités économiques à finalité sociale, l’économie
sociale et solidaire est restée le plus souvent principalement au ras du sol et à l’échelle mezzo. Son
60
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
champ est donc large mais ses entreprises évoluent généralement dans de petites échelles. Cet ancrage
local et territorial, qui est en quelque sorte une marque déposée de l’économie sociale et solidaire, doit
servir de fondement pour viser une influence à l’échelle macro-économique.
Les entreprises de promotion du commerce équitable, celles du tourisme social ou de la finance solidaire
illustrent bien un potentiel de développement au plan international. Il faut œuvrer à réunir les conditions
d’une offensive de l’économie sociale et solidaire au cœur du marché mondial pour l’influencer encore
plus et valoriser qu’ « affaires » et éthique peuvent cheminer ensemble si tant est que l’intérêt général ou
la responsabilité collective se concilient avec l’entreprenariat privé. Il est donc essentiel de prendre la
pleine mesure de l’orientation de l’économie sociale et solidaire pour un développement de l’intérieur des
sociétés. L’ancrage au développement local et régional constitue ainsi le premier palier à asseoir pour un
développement maîtrisé.
L’économie sociale et solidaire promeut de ce fait les produits du terroir dans des circuits courts et invite à
une solidarité entre producteurs et consommateurs. Plus généralement la consommation responsable
devient le maître mot pour traduire une prise de conscience des consommateurs de leur fonction
citoyenne d’influencer positivement les conditions décentes de production.
L’économie sociale et solidaire confère une fonction politique aux produits qui cessent d’être anonymes,
incitant le consommateur à davantage de citoyenneté et de renoncement à la consommation froide.
L’attention portée pour un développement ascendant et endogène est une des meilleures contributions de
l’économie sociale et solidaire en faveur de la justice sociale et économique.
L’économie sociale et solidaire contribue à élargir et à dynamiser le marché intérieur et donc à offrir une
meilleure intersectorialité. En raison de la diversité de son champ d’action et de la complémentarité de ses
pratiques, l’économie sociale et solidaire répond aux questions que le bien-être pluridimensionnel pose.
L’économie sociale et solidaire doit donc être soutenue grâce à des dispositifs dédiés par les Etats et les
organismes de développement. Trois directions sont à privilégier pour faciliter le rayonnement de
l’économie sociale et du partage de son paradigme à une échelle internationale, visant à en faire un grand
pôle de référence d’une autre façon d’entreprendre : d’abord, l’observatoire des statistiques et des
pratiques pour visibiliser l’économie sociale et solidaire dans l’évaluation des performances économiques,
ensuite, des programmes de renforcement des capacités des entreprises de l’économie sociale et
solidaire organisées autour des réseaux nationaux et continentaux, enfin, des fonds dédiés pour
accompagner les innovations entrepreneuriales et en faciliter l’éclosion.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
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64
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
L’auteur : Louis Favreau, Canada
Docteur en sociologie, professeur à l’Université du Québec
en Outaouais (UQO) et titulaire de la Chaire de recherche en
développement des collectivités (CRDC), Louis Favreau a
été rédacteur en chef de la revue Économie et Solidarités
pendant plus d’une décennie.
Corédacteur du document d’orientation de la 5ème édition des Rencontres du Mont-Blanc (2011) organisée
par le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire, il est également vice-président
du Groupe d’économie solidaire du Québec (GESQ) et membre du Conseil d’administration du Conseil
québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) depuis 2007.
Son champ de recherche et d’expertise a trait aux coopératives, aux mouvements sociaux et au
développement
des
communautés.
Il
a
également
un
blogue
sur
internet :
http://jupiter.uqo.ca/ries2001/carnet/
Dernières publications aux Presses de l’Université du Québec (PUQ)
http://www.puq.ca/auteurs/louis-favreau-319.html :
Favreau, L. et M. Hébert (2012). Transition écologique de l’économie. Contribution des coopératives et de
l’économie solidaire. Presses de l’Université du Québec, Québec.
Bourque, G., L.Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives?
Revue électronique Vie économique, vol.3, numéro 4, Montréal. http://www.eve.coop/?r=15
Favreau, L. et E.Molina (2011), Économie et société. Pistes de sortie de crise. PUQ, Québec.
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65
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’urgence écologique, le principal défi de l’économie sociale et
solidaire, par Louis Favreau, Canada
Nous traversons «la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la
raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique»
(Gadrey, 2010). Écologiquement parlant, la planète est en état de survie. Parmi les risques
environnementaux d’envergure planétaire mentionnons le réchauffement accéléré de la planète dû à la
consommation élevée d’énergies fossiles; la menace qui pèse sur la biodiversité due au modèle de
développement qui ne prend pas en compte l’équilibre des écosystèmes et, finalement, les diverses
formes de pollution. Transférer le mode de vie des populations actuellement riches à l’échelle de la
planète est insoutenable et l’action à entreprendre implique une intervention à l’échelle mondiale pour
prendre en compte le cycle de vie de nos productions et l’empreinte écologique de notre consommation.
Copenhague en 2009 a échoué, Cancun en 2010 a réussi mais sans rien décider au plan opérationnel et
Rio+20 en 2012 n’a pas offert non plus de décisions majeures pour agir concrètement. La transformation
écologique de l’économie est un enjeu mondial qui rejoint les réalités de tous les pays, de toutes les
régions et de toutes les communautés. Elle questionne d’entrée de jeu notre mode de production et de
consommation. La géopolitique mondiale de l’exploration du gaz de schiste est le dernier témoin de cet
univers des énergies fossiles sur lesquelles la révolution industrielle s’est appuyée depuis ses débuts. Le
présent texte veut mettre en perspective cette urgence écologique sous l’angle de la partition que peut y
jouer l’économie sociale et solidaire (ESS) dans la prochaine décennie.
1. Une planète en péril : la dérive écologique enfonce la société dans la crise
La réflexion économique et sociopolitique d’aujourd’hui s’interroge plus que jamais sur la nature globale
de la crise dont le déclencheur a été la politique de prêts hypothécaires à haut risque des banques
américaines en 2008. Parce qu’on ne saurait se satisfaire de ce trop court diagnostic qui considère la
crise de 2008 comme étant d’abord financière (le crédit débridé) et économique (déstabilisation des
entreprises, montée du travail précaire et chute de l’emploi). Il faut pousser plus loin et considérer que la
crise est globale sans être totale (puisque certains pays, les émergents, s’en tirent mieux que d’autres) :
économique à coup sûr, sociale par la montée des inégalités mais aussi, et à la même hauteur,
écologique c’est-à-dire alimentaire, énergétique et climatique. Il y a de petites crises mais celle-ci est une
grande crise parce qu’à la crise économique et sociale s’est superposée la crise écologique. Comment ?
Les crises se télescopent : désastre annoncé
Le changement climatique, la crise alimentaire et la crise énergétique se télescopent et se combinent à
66
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
cette crise financière que peu de monde avait vu venir. Et peu à peu on prend conscience qu’avec le
réchauffement climatique sont également venus la réduction de la biodiversité, le trop plein d’azote dans
l’atmosphère causé principalement par une agriculture productiviste, l’acidification des océans, la
dégradation des forêts, la diminution des terres cultivables, la pénurie mondiale d’eau douce…D’où la
fracture de plus en plus nette entre la création de richesses au plan économique et le progrès social et
écologique. Question centrale qui en condense plusieurs : quelle sera l’ampleur du réchauffement au
21ième siècle ? Ainsi les chocs majeurs liés au réchauffement de la planète peuvent se résumer ainsi si on
va au-delà de 2°C degrés : productivité agricole réduite (sécheresses, inondations…), insécurité aggravée
de l’accès à l’eau potable, inondations côtières et risques sanitaires accrus. À l’échelle mondiale, dans le
premier cas, cela induit plus de 600 millions de mal-nourris de plus ; dans le second, le stress hydrique
affecte plus de 1,8 millions d’habitants ; dans le 3e cas 300 millions de réfugiés et dans le 4e cas de 220 à
400 millions de personnes exposées au paludisme (malaria), au choléra, etc. (Houée, 2009 : 204-2005).
Le groupe intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas été jusqu’à répondre audelà de 2°C ou 3°C degrés, tant à ce niveau, les choses apparaissent déjà redoutables. Ce groupe
d’experts internationaux s’entend pour dire que 2 degrés est un plafond et que pour respecter ce plafond,
cela suppose que les pays industrialisés du Nord réduisent de 30% d’ici 10 ans leurs émissions de CO218.
On déduit alors que les modifications dans l’économie de ces pays sont des modifications de grande
envergure, fondamentales même19.
Des échéances qui peuvent être fatales
De plus, désormais certaines échéances peuvent être fatales étant donné les croisements de l’échéance
climatique liée au seuil de réchauffement de la planète, de l’échéance énergétique liée à l’épuisement des
ressources pétrolières (et de sa gestion spéculative) et de l’échéance alimentaire liée à la remise au
marché de la fixation des prix qui montent en flèche. Le tout sur fond de scène d’une montée des
inégalités qui consacre et perpétue la fracture entre le Nord et le Sud. Le monde dans lequel nous vivons
est ainsi devenu plus instable et plus imprévisible. La planète est engagée dans une crise écologique telle
que l’urgence est à la porte et l’interdépendance des nations, des populations, des mouvements s’est, du
coup, haussée de plusieurs crans surtout au Sud.
Leur premier rapport d’importance date de 1990. Leurs travaux font référence depuis ce temps dans le cadre des négociations
internationales sur le gaz à effet de serre. Leurs publications proposent une synthèse des connaissances scientifiques sur les
points de consensus (ou de certitude) comme sur les points de débat (ou d’incertitudes) rattachés aux résultats.
19 Pour l’instant, après l’échec corrosif des négociations internationales de Copenhague (2009) et la mise à plat de Rio + 20 en
2012, il n’y a encore aucune référence à une période de départ et à des échéances précises au plan international pour enclencher
le processus de freinage du réchauffement de la planète. Le futur proche est laissé à des engagements nationaux forcément à
géométrie variable.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
La première crise socio-écologique du capitalisme financier
Nous assistons donc, nous dit l’économiste Jean Gadrey, «à la première crise socio-écologique du
capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques
ont eu une influence sur le plongeon économique» (Gadrey, 2010 : 152). On peut ajouter que la
probabilité d’un rôle plus déterminant encore des facteurs écologiques sera au rendez-vous dans l’avenir.
La question devient alors comme l’affirmait la 5e édition des RMB : Peut-on laisser le système financier en
l’état ? Peut-on laisser les grands actionnaires dicter leurs quatre volontés par leur politique du gain à
court terme ? Peut-on laisser le commerce mondial développer des échanges aussi peu écologiques en
matière de transport de marchandises ? Va-t-on laisser courir... le consumérisme croissant qui fait prendre
nos désirs pour des besoins et le futile pour de l’utile? Va-t-on tolérer encore longtemps les États qui ont
des politiques de laisser-faire face à l’intensification de l’exploitation des ressources naturelles et
notamment des ressources énergétiques fossiles...? Va-t-on laisser une agriculture productiviste continuer
à utiliser massivement des intrants chimiques et des pesticides en polluant les nappes phréatiques et les
cours d’eau...? Bref allons-nous continuer de rester légers sur la question écologique...? (Document
d’orientation des RMB, 2011).
2. Aller vers une transformation écologique de l’économie
Plusieurs mouvements se sont mis au vert. Mentionnons par exemple qu’un certain nombre de
coopératives ont fait naître des filières d'activités économiques d'avant-garde dans des secteurs comme la
bioénergie, l’éolien, l’agroalimentaire biologique, le solaire… ; que des syndicats travaillent des projets de
conversion écologique de leur entreprise ; que des communautés locales au Sud ont passé au solaire
pour s’alimenter en électricité, etc. Exemples parmi d’autres de ce que peuvent faire des mouvements
sociaux. Mais, plus largement, cela signifie de peser sur les pouvoirs publics pour qu’ils redirigent une
partie de l’argent public et de l’argent privé vers une «économie verte»; soutiennent la relocalisation de
certaines activités économiques ; développent une fiscalité nouvelle (taxes «kilométriques») sur les
transports…; misent prioritairement sur les énergies renouvelables développées par des entreprises
collectives et/ou des gouvernements locaux; favorisent par des normes et des règles la diminution de la
consommation énergétique de l’industrie, de l’agriculture, de l’habitat, du transport par des mesures
incitatives fortes, voire contraignantes; provoquent la conversion industrielle de certaines entreprises
particulièrement polluantes (liées aux énergies fossiles) ; forcent les multinationales à assumer leurs
responsabilités sociales et écologiques. Quant à l’ÉSS, elle doit oser retirer des territoires d’expansion
et de profits aux multinationales dont la seule préoccupation est le profit maximum.
68
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Des orientations pour passer au vert
Se mettre au vert, passer à une économie écologique. Oui mais! Cela suppose qu’on se pose les deux
questions suivantes : Quels secteurs faire croître? Quels secteurs faire décroître? La réponse n’est
pas facile. Beaucoup d’emplois sont en jeu et la conversion écologique de l’économie ne peut se faire
sans être accompagnée d’une démarche de justice sociale pour les groupes concernés. Politiquement
parlant les questions deviennent celles-ci : a) allons-nous en priorité continuer à construire des autoroutes
pour satisfaire les impératifs du parc automobile et du transport par camion ou favoriser le transport
collectif (trains de banlieue, autobus électriques…)?; b) allons-nous privilégier une agriculture
industriellement intensive et centrée sur l’exportation qui induit par exemple des coûts énormes de
transport ou financer sa reconversion et soutenir une agriculture de proximité écologiquement intensive?
Et ainsi de suite! Un certain nombre d’organisations ont donc emboîté le pas et se sont engagées dans
cette bataille. Ils ont commencé à se mettre au vert et au développement durable et solidaire des
territoires mais rien de cela ne relève de l’évidence chez leurs membres. Travail de longue haleine et
débat collectif bien argumenté à l’horizon!
Changer de cap, l’injonction morale du PNUE
C’est une véritable injonction morale que l’énoncé du PNUE dans son rapport de 2011 : Vers une
économie verte : pour un développement durable et une éradication de la pauvreté lequel propose
d’investir 2% du PIB mondial dans 10 secteurs clés (voir plus loin). Ce qui veut dire éco-fiscalité, écobâtiment, forêt de proximité, agriculture écologiquement intensive, énergies renouvelables plutôt
qu’énergies fossiles (pétrole et gaz de schiste), promotion combative de la «biodiversité économique»
(Scalvini, 2010), refus des Walmart de ce monde (comme certaines communautés l’ont déjà fait), contrôle
des ressources naturelles par les communautés, leurs municipalités et l’État, généralisation des
coopératives multi-activités – en tant que services de proximité – sur tout le territoire, etc.
À l’heure de Rio + 20 : miser sur l’option d’un secteur non capitaliste sous contrôle démocratique
La défaillance des États mis sous perfusion des lobbys des multinationales a conduit à l’affaiblissement
considérable de la coopération internationale initiée par Rio 1992 et Kyoto 1997 parce que les deux plus
grands pollueurs de la planète, les Etats-Unis et la Chine, ont refusé à Copenhague fin 2009 de se
soumettre à un ensemble de règles supranationales et que la plupart des grandes puissances de ce
monde n’ont même pas daigné se présenter à Rio en 2012. À cet effet, il est impératif de faire progresser
prioritairement les entreprises sous contrôle démocratique dans tous les sphères possibles partant de
l’idée qu’elles ne sont pas branchées, comme les grandes entreprises du secteur privé, sur la seule
recherche de rendement maximum mais plutôt, en tant que secteur non capitaliste, sur la double
perspective d’une lucrativité limitée et de l’utilité sociale. D’autant que l’économie dominante a changé de
69
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
régime, particulièrement à partir des années 1980, en réussissant à imposer «sa logique mortifère qui a
généré une crise économique majeure et une crise écologique d’ampleur historique» (Kempf, 2008).
L’écologie est ainsi devenue, une proposition incontournable, un volet majeur de toute action collective, de
tous les mouvements sociaux sans exclusive et de tout parti politique qui se respecte.
Imposer l’urgence écologique dans le débat politique
De façon plus générale, la question écologique s’impose progressivement dans le débat démocratique de
chaque pays comme dans les institutions internationales. Intégrer notamment les questions de climat et
de biodiversité dans les décisions économiques, politiques et sociales est devenu incontournable.
L’écologie n’est pas une force d’appoint mais une proposition sociale et politique centrale
intimement liée à la résolution de la crise économique et sociale. Des alternatives sont déjà là dans des
milliers d’expériences locales et dans les politiques publiques de pays encore vraiment trop peu
nombreux. Il faut néanmoins que ces alternatives soient couplées à une alternative globale portée par
des organisations sociales et des partis politiques qui ont suffisamment de vision, d’ouverture aux autres,
de force de proposition et de leadership pour favoriser des mises en réseau à toutes les échelles (locale,
nationale et internationale).
3. Des alternatives concrètes un peu partout dans le monde
Les coopératives forestières en action : un bilan écologique positif en perspective
Nous prenons à témoin une première expérience, celle des coopératives forestières québécoises, comme
révélateur de la mise en branle d’une lutte pour l’indépendance énergétique de communautés locales de
même que de la lutte contre la déforestation à l’échelle du Québec sous la gouverne de la Fédération
québécoise des coopératives forestières (FQCF) qui a mis cette question à l’ordre du jour depuis
quelques années.
La Fédération québécoise des coopératives forestières regroupe 40 coopératives de travailleurs du
secteur forestier. Ces coopératives emploient plus de 3000 personnes et réalisent un chiffre d'affaires
annuel de près de 225 millions de dollars. Elles sont engagées dans tous les secteurs de l'industrie:
production de plants en pépinière, sylviculture, récolte et transformation. Fortes de leur expertise, les
coopératives développent de nouvelles activités, dont la biomasse forestière à des fins énergétiques. Or
la biomasse forestière peut remplacer les combustibles fossiles car cette dernière est considérée
comme neutre en carbone et son utilisation en tant que source d'énergie permet de réduire les émissions
de gaz à effet de serre (GES).
70
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
C’est ainsi que depuis trois ans, la FQCF déploie une stratégie afin de chauffer les bâtiments
institutionnels à l'aide de la biomasse forestière. En 2007, la FQCF a présenté au gouvernement un projet
de valorisation de la biomasse forestière visant la maximisation des retombées économiques pour les
régions du Québec. D'ici quelques années, l'organisme souhaite réaliser de 350 à 400 projets de
chaufferie, créer près de 1000 emplois, en plus de consolider les emplois actuels dans les coopératives
forestières. Déjà, une douzaine de coopératives sont engagées dans des projets avec leurs
établissements locaux. La première chaufferie conçue pour être alimentée à la biomasse forestière a
d'ailleurs été inaugurée dans un centre hospitalier fin 2009. Le développement de cette filière par des
coopératives permet non seulement d'améliorer le bilan écologique, mais aussi de consolider les
collectivités locales contrairement aux multinationales dont c’est le moindre des soucis.
Le solaire dans des villages grâce au développement coopératif : une expérience en Afrique de
l’Ouest
Au Sénégal, aux alentours de Méckhé, dans la région de Thiès, à trois heures de route de Dakar, la
capitale, des paysans bénéficient de l’électricité photovoltaïque grâce à leurs «mutuelles de solidarité»,
toutes fédérées dans une coopérative rurale d’épargne et de crédit : plate-forme de pompage solaire pour
irriguer la terre communautaire ; transformation de leurs produits agricoles (aubergines, choux, gombos,
tomates, papayes et oignons) ; conservation ou stockage de leurs produits ; éclairage public par
l’alimentation en lampes de basse consommation dans les petites rues des villages ; congélateur
communautaire pour refroidir médicaments, aliments, jus de fruit maison ; recharge des téléphones
mobiles ; etc. Tout cela nécessite de l’énergie dans une région qui dispose de 365 jours de soleil par
année. Comment faire quand le réseau public d’électricité ne s’y rend pas et qu’il n’y a aucun espoir de
son extension à de tels villages dans la prochaine décennie. La réponse a pris forme en 1995.
Dans chacun des villages, un regroupement coopératif de paysans, membre d’une Union des
groupements paysans de Mécké (UGPM) (90 groupements sont membres de l’UGPM), s’est mis en
marche. Il gère aujourd’hui l’installation. À l’échelle sous-régionale, l’atelier Kayer voit non seulement à
subvenir aux besoins énergétiques des agriculteurs, il voit maintenant à l’installation de stations familiales
de production d’électricité solaire. À l’origine du projet, un partenariat de l’UGPM avec l’ONG française
Terre solidaire par l’intermédiaire d’un prêt de sa société d’investissement Solidarité Internationale pour le
Développement et l'Investissement (la SIDI, société d’investissement solidaire pour le développement
créée en 1983).
Quand on connaît le contexte, on se dit qu’il y a là une innovation majeure de l’économie populaire et
coopérative en milieu rural: en effet, au Sénégal, pays à majorité paysanne, il n’y a que 16% de la
71
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
population rurale qui a accès à l’électricité (et à peine 10% en Afrique de l’Ouest). Or il est fortement
improbable qu’on puisse un jour raccorder toutes ces familles au réseau public parce qu’elles sont
généralement très dispersées. De plus, l’UGPM juge que les produits pétroliers ont des prix nettement
prohibitifs sans compter qu’ils sont émetteurs de CO2. Quand on pense au potentiel d’une telle initiative,
on peut l’imaginer changeant d’échelle en devenant une alternative réelle aux énergies fossiles pour des
centaines de milliers de familles des pays de l’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal, le Burkina-Faso, le
Mali, la Guinée, le Niger, etc.
Le développement coopératif dans la production éolienne : une expérience coopérative belge
Avec la crise financière mondiale en filigrane, le mouvement coopératif prend de l'expansion et se
renouvelle : la coopérative Émissions zéro ENERCOOP, fondatrice de la Fédération belge des
coopératives citoyennes de production d'énergies renouvelables (RESCOOP), est de celles-là. Cette
fédération regroupe une dizaine de coopératives, pour un total de 50 000 membres. Chacun investit un
certain montant et est alimenté en énergie renouvelable, une filière courte du producteur au
consommateur. Regroupées, elles peuvent donc fournir de l'énergie en continu à leurs 50 000 membres
avec des unités d'éolien, des unités de gaz produit à partir de déchets agricoles, des unités hydrauliques
et photovoltaïques. Occuper le secteur des ressources naturelles et devancer les investisseurs privés a
été le défi de cette fédération.
La Fédération belge des coopératives citoyennes espère doubler son nombre d'adhérents et atteindre les
100 000 membres, l'équivalent d'une petite ville. Parce que plus le nombre de coopérants est grand, plus
le poids de la fédération se fait sentir auprès des instances politiques.
La reconversion industrielle négociée par un syndicat au sein d’une multinationale : une
expérience franco-allemande
L’usine de Vénissieux, près de Lyon (en France), engage 820 salariés dans la production de pompes
diesel. Elle appartient à une multinationale allemande, la multinationale du groupe Bosch (51 milliards
d’euros en 2011, 300 000 salariés dans 60 pays). Non coté en bourse, le groupe Bosch a l’immense
avantage d’être à l’abri des pressions d’actionnaires trop compulsifs à la recherche de gains rapides.
Décembre 2009, le site industriel français est menacé de fermeture. Coup de tonnerre à la direction du
syndicat local, un syndicat CFDT qui avait déjà eu maille à partir en 2004 en consentant un allongement
de la durée du travail sans augmentation de salaire (de 35 à 36 heures). Cinq ans après cette entente, on
repartait…à zéro. La direction du syndicat se rend en Allemagne : rendez-vous avec le grand patron. Elle
obtient un sursis, s’adjoint les services d’un cabinet d’experts.
72
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
De fil en aiguille, l’idée émerge d’une reconversion de l’usine dans la fabrication de panneaux solaires.
Convergence possible avec les ambitions internationales du groupe Bosch qui veut s’investir dans les
énergies renouvelables. Le cabinet d’experts travaille à démontrer les compétences collectives de l’usine
de Vénissieux au plan technologique mais surtout au plan organisationnel suite à une série d’entretiens
sur le site industriel : productivité, qualité, gestion des stocks, délais de livraison vont constituer des
arguments convaincants pour la direction de l’entreprise. Aujourd’hui l’usine fonctionne avec quelques 420
travailleurs après avoir été 820 en 2004. Tout n’a pas été gagné mais comme le dit le journaliste qui a
couvert l’expérience : «cette reconversion restera un modèle à suivre par les entreprises, les syndicats et
les pouvoirs publics désireux d’éviter la fermeture de sites industriels» (M.Chevallier, Alternatives
économiques, avril 2012).
Le mouvement syndical international et la conversion écologique de l’économie
Le mouvement syndical international va dans ce sens et cite en exemple dans un document récent (CSI,
avril 2012), le développement d’emplois verts dans les industries de la construction et de l’énergie au
Brésil et en Allemagne:
Brésil
Le programme de logements sociaux brésilien «Ma maison, ma vie!» fut lancé en mars 2009. Il fournit aux
ménages à faibles revenus des logements équipés, le cas échéant, de chauffe-eau solaires. Les foyers
pauvres de par le monde dépensent une part disproportionnée de leur revenu en énergie. Il est projeté
que jusqu’à 500.000 foyers soient équipés en 2011. Il est estimé que ce projet générera 30 000 emplois
verts au cours des quatre prochaines années, sans inclure les emplois créés dans le cadre des chantiers
de construction en tant que tels. Source: Bureau du BIT.
Allemagne
Le vaste programme de modernisation de bâtiments en Allemagne s’inscrit dans le cadre du programme
Concept Énergétique 2050 du gouvernement fédéral, qui englobe parmi ses objectifs la réalisation d’un
«parc immobilier climatiquement neutre» à l’horizon 2050. Mis sur pied en janvier 2001 en réponse à une
crise économique dans le secteur du bâtiment, ce programme prévoit l’octroi de prêts avantageux pour la
rénovation de bâtiments visant une meilleure efficacité énergétique. Les données disponibles indiquent
que chaque euro d’investissement public «induit» quatre euros d’investissement privé. Un milliard investi
dans le parc immobilier permet de préserver ou de créer près de 25.000 postes de travail. Source:
Ministère fédéral allemand du Transport.
73
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
4. Des propositions pour renouveler les politiques publiques et faire progresser la mobilisation
sociale pour une économie verte
De concert avec un certain nombre d’États, le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement
(PNUE) travaille déjà depuis un bon moment au développement d’une économie verte. C’est le PNUE qui
a alimenté le Sommet de Rio+20. Voici comment :
Le scénario du PNUE est d’investir 2 % du PIB mondial dans une économie verte.
Le PNUE travaille avec les gouvernements. Son rapport - Vers une économie verte : Pour un
développement durable et une éradication de la pauvreté - propose d’investir 2 % du PIB mondial dans dix
secteurs clés. Selon le PNUE, ces investissements planifiés de 1 300 milliards $ par année parviendraient
à contrecarrer la mauvaise allocation actuelle des capitaux, ce qui permettrait de diminuer les risques, les
chocs, les pénuries et les crises de plus en plus inhérents à l'économie carbone – « l’économie brune » –
existante, responsable de l'épuisement des ressources et du niveau élevé des émissions de carbone.
À l'heure actuelle, nous dit le PNUE, entre 1 et 2 % du PIB mondial sont consacrés à diverses subventions
qui perpétuent souvent l'utilisation non durable des ressources dans des domaines tels que les
combustibles fossiles, l'agriculture (y compris les subventions aux pesticides), l'eau et la pêche... Leur
réduction ou leur disparition progressive présenterait de multiples avantages et libérerait des ressources
pour financer la transition vers une économie verte. Le PNUE cible 10 secteurs pour verdir l'économie
mondiale : agriculture, bâtiment, offre énergétique, pêche, foresterie, industrie (dont l’efficacité
énergétique), tourisme, transport, gestion des déchets et eau. Sur les 2 % du PIB proposés dans le
rapport, les investissements par secteur seraient les suivants (les montants cités sont des investissements
annuels) :










108 milliards de dollars pour le verdissement de l'agriculture, petites exploitations comprises ;
134 milliards de dollars dans le verdissement du secteur du bâtiment en améliorant l'efficacité
énergétique) ;
plus de 360 milliards de dollars dans le verdissement de l'offre énergétique ;
près de 110 milliards de dollars dans le verdissement de la pêche, comprenant une baisse de la
capacité des flottes mondiales ;
15 milliards de dollars dans le verdissement de la foresterie ;
plus de 75 milliards de dollars dans le verdissement des activités industrielles, dont l'industrie
manufacturière ;
près de 135 milliards de dollars dans le verdissement du secteur du tourisme ;
plus de 190 milliards de dollars dans le verdissement du transport ;
près de 110 milliards de dollars dans les déchets, avec le recyclage ;
un montant du même ordre dans le secteur de l'eau, dont l'assainissement.
74
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Les coopératives dans l’enjeu du développement durable en agriculture
La prise de conscience de la rareté des ressources naturelles a fait son apparition sur l’avant-scène
internationale en 1992. 20 ans plus tard, ce n’est plus seulement la rareté des ressources naturelles.
Mais, pour plusieurs, le réchauffement climatique constitue aujourd’hui la grande menace. On est dès lors
en plein cœur de l’enjeu Énergie-climat : cette «menace pour les générations futures» est devenue une
menace pour tous maintenant. Mais tout ne se ramène pas à l’enjeu Énergie-climat. À cette menace s’est
superposée, au milieu des années 2000, celle de la crise alimentaire.
Au Nord et encore plus au Sud, l’enjeu de la souveraineté alimentaire est ainsi revenu à l’avant-scène
internationale (GESQ, 2010 http://www4.uqo.ca/ries2001/gesq/ ). Cela tient au fait que l’agriculture et la
filière alimentaire subissent, tendanciellement, le même traitement industriel et financier que les autres
activités économiques : de grandes firmes multinationales pour assurer l’agrofourniture (Monsanto,
Dupont, etc) ; de grandes firmes multinationales pour la transformation agroalimentaire (Nestlé, CocaCola, General Mills, etc.) ; de grandes firmes multinationales pour la grande distribution de masse
(Walmart, Carrefour, etc.) dans un marché de plus en plus international mais avec peu de protections
sociales.
La question est bien posée par Michel Griffon (Griffon 2006). Il était à la cinquième édition des Rencontres
du Mont-Blanc en 2011 dans un atelier sur les agricultures et le développement durable : « Il y a de 20 à
25 millions d’exploitations dans le monde, qui font de l’agriculture industriellement intensive, ce qui
représentent 30 à 40% de la production mondiale. Mais cette exploitation vit présentement une hausse
des coûts de l’énergie, génère beaucoup de gaz à effet de serre, est dommage pour la biodiversité et
entre dans une phase de rareté » en ce qui a trait aux engrais (dont une bonne partie dépend du pétrole)
et à l’eau (étant donné le changement climatique). La demande pour plus de viande ne fait qu’accentuer
les besoins en terres (production de maïs et de soya) pour alimenter le bétail. C’est notamment le
problème de la Chine. Si, de plus, on va vers les agro-carburants parce que l’agriculture et la forêt sont les
candidats au remplacement du pétrole, on voit tout de suite se profiler le cercle vicieux.
« Puis il y a 2 milliards 400 millions de petits exploitants peu mécanisés, ne disposant pas d’un régime
sanitaire adéquat, peu productifs et dont l’enjeu est d’accroître leurs rendements » avec, en autant que
faire se peut, des techniques dont les coûts seraient faibles et une production respectant l’environnement
afin de rendre les terres plus fertiles. M. Griffon ne s’en cachait pas, l’équation est très très difficile à
résoudre. Pourtant des coopératives agricoles, dans le cadre d’une coopération Nord-Sud, s’y sont
engagées. C’est le cas notamment de SOCODEVI, Organisation de coopération internationale (OCI) des
coopératives québécoises, qui a accompagné, depuis sa naissance en 1985, quelques 650 organisations
75
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
dans des domaines aussi variés que les ressources forestières, la mise sur pied de mutuelles de santé et
d’assurances ou le commerce équitable de différents produits du secteur agroalimentaire pour ne parler
que de ceux-ci. Le tout dans une quarantaine de pays. Parmi les projets réalisés, une expérience de 10
ans de collaboration avec des communautés paysannes en Bolivie se démarque assez bien : plus de
1 000 familles de 93 communautés dans 8 municipalités du Sud-Est de la Bolivie ont doublé leurs revenus
grâce à la diversification de leur production agricole. De plus la certification «bio» a permis de
commercialiser leurs produits sur des marchés de niche.
Que tirer comme enseignements de ce type de réalisation ? Certes, la dynamique de l’économie sociale
et solidaire ne pourra à elle seule inverser l’ordre des choses. On devra aussi compter sur la coopération
internationale des États les plus progressistes, celle des mouvements paysans et celle du mouvement des
travailleurs, le tout dans la perspective d’ouvrir de grands chantiers prioritaires, autrement dit des
initiatives de caractère stratégique et tout particulièrement celles qui peuvent relancer l’agriculture au
Sud. Il faut notamment favoriser l’organisation du mouvement coopératif en milieu rural : des coopératives
de commercialisation des produits de la terre pour sortir les agriculteurs de la simple autosubsistance
familiale ou villageoise (dégager des surplus commercialisables), pour permettre l’intégration au marché
(des niches régionales ou même internationales), l’organisation de marchés locaux (échange des
produits, création de banques de semence, points de ventes d’engrais, accès à l’eau potable, à
l’électricité, à des moyens de transport appropriés, etc.)
En outre il faut des politiques publiques de protection de l’agriculture du Sud de la concurrence
internationale, des politiques qui l’aident à reconquérir son marché intérieur et à faire progresser un
principe de souveraineté alimentaire mais adossé à une stratégie qui met un holà aux importations
agricoles.
5. Faire mouvement : la dynamique internationale de l’ESS
Du congrès de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) en 2009 à Genève en passant par la
Conférence internationale de Lévis en 2010 et les Rencontres du Mont-Blanc en France en 2011 jusqu’au
Sommet international des coopératives piloté conjointement par le mouvement Desjardins et l’Alliance
coopérative internationale (ACI) de 2012, trois ans auront passé. Même dans une période aussi courte,
bien des choses relativement inédites auront été réalisées. D’abord on n’hésite plus, dans le mouvement
coopératif international, à parler des dérives du capitalisme et à présenter les coopératives et autres
initiatives d’économie sociale et solidaire comme faisant partie des solutions de sortie de crise. L’exemple
au Québec est venu de haut, de la direction de la plus importante fédération du mouvement coopératif, la
76
Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Fédération des caisses populaires et d’économie Desjardins, à l'occasion du lancement de l'Année
internationale des coopératives. Cette prise de position avait été précédée d’une conférence internationale
et d’un ouvrage qui rendait compte des débats en ce sens tenus par quelques 600 dirigeants à Lévis,
débats posés dans les termes d’une crise majeure liée au modèle économique dominant (Favreau et
Molina, 2011).
Interpellés par la crise, de plus en plus nombreux sont les dirigeants d’organisations coopératives,
mutualistes et associatives qui ne veulent plus qu’on les définisse comme des administrateurs
d’entreprises un peu particulières. Ils cherchent plutôt à définir leur dynamique comme étant celle d’un
mouvement porteur d’une pensée économique et sociale qui se distingue de celle du modèle économique
dominant et comme un mouvement qui veut peser sur les politiques publiques. Comme je l’ai déjà dit
ailleurs : Les coopératives ne sont pas là pour remplacer ce que Ricardo Petrella nomme si justement
l’«économie capitaliste de marché». Elles peuvent cependant offrir une alternative et endiguer l’influence
du modèle économique dominant dans plusieurs secteurs. N’est-ce pas ce qu’elles ont fait et font dans
des secteurs comme la finance ou l’agriculture! (sur le site de l’ONU: http://uncoopsnews.org/?p=508).
Cette économie occupe 10 % du marché de l’emploi, 10 % de la finance et 10 % du PIB dans un très
grand nombre de pays de la planète. Elles peuvent potentiellement en modifier sérieusement la structure
économique. À partir de ce seuil, les coopératives représentent un important levier pour les régions et les
pays...Si elles se concertent.
Dans cette perspective, le mouvement a commencé à prendre conscience de sa faible influence
sociopolitique auprès des pouvoirs publics et des institutions internationales. Le mouvement coopératif
sait, surtout depuis la crise de 2008, qu’il se «fait avoir» par les lobbies des multinationales sur les normes
comptables internationales, par la finance spéculative que tolère les États, sur les questions de
développement durable pour lequel il devient plus exigeant, etc. Pour ce mouvement, l’économie
capitaliste de marché n’est pas la solution et est même plutôt celle qui a provoqué la crise comme en
témoignent de nombreux écrits issus de l’intérieur (Larose 2012 ; Sibille, 2011 ; Draperi, 2011 ; Scalvini,
2010, Jeantet, 2008, Favreau et Fall, 2007), ce qui est relativement nouveau.
Avec l’adoption par l’ONU de 2012 comme Année internationale des coopératives, celles-ci sont
beaucoup plus conscientes de faire partie d’un mouvement international. Les dirigeants du mouvement
sont aussi plus conscients de l’importance de l’Alliance coopérative internationale (ACI), d’un mouvement
organisé à l’échelle de la planète. On découvre ou redécouvre l’ACI d’autant plus qu’on voit mieux la
dimension planétaire de la crise. De plus la solidarité internationale Nord-Sud devient aujourd’hui plus
forte au sein du mouvement coopératif, du moins celle que nous pouvons observer à partir du Québec
77
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
avec Développement International Desjardins (DID) et avec SOCODEVI, deux organisations d’ailleurs
bien présentes aux Rencontres du Mont-Blanc. Enrico Luzzati, de l’Université de Turin en Italie, affirme à
juste titre qu’il faut commencer par des activités que des membres peuvent s’approprier sans trop de
difficulté comme, par exemple, «la commercialisation des produits agricoles, leur première
transformation…» et d’ajouter, «la constitution de caisses d’épargne et de crédit» (Jeantet et Poulnot,
2007). Les rapports entre coopératives du Nord et du Sud au sein de l’ACI semblent pousser dans cette
direction: mettre les coopératives au cœur du développement des communautés; faire une priorité du
soutien à l’organisation des femmes; intensifier le développement coopératif en milieu rural; travailler
l’autonomie des grandes coopératives par rapport à leur État national; encourager les coopératives du
Nord à appuyer le mouvement coopératif au Sud –selon le principe de l’intercoopération- à partir d’OCI
inscrites dans la mouvance coopérative.
Le mouvement coopératif et de l’économie sociale et solidaire dans le monde bouge
Observant depuis plus d’une décennie déjà les mouvements sociaux internationaux comme celui des
travailleurs (Confédération Syndicale Internationale CSI), celui des agriculteurs et le mouvement citoyen
international (Forum Social Mondial FSM), nous avons été à même de constater que le mouvement
coopératif était bel et bien en phase avec les autres. En plus de ses positions générales progressistes
rejoignant les autres mouvements, nous avons pu voir surgir une série de rencontres internationales
comme les RMB depuis 2004 (en France) ou un Sommet international en 2012 au Québec. Le début d’un
temps nouveau... peut-être !
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Chapitre II : Les solutions de l’économie sociale et solidaire pour la sortie des crises
Références bibliographiques
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démocratie, Dunod, Paris.
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Kempf, H. (2009). Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Seuil
Larose, G. (2012), «Coopératives : la transition écologique de l’économie s’impose !» Revue Vie
économique, volume 3, numéro 4, Éditions Vie économique, coopérative de solidarité, Montréal.
Lipietz, A. (2012), Green Deal. La crise du libéral-productivisme et la réponse écologiste, Éd. La
Découverte, Paris.
Scalvini, F. (2010), Crise économique et «biodiversité entrepreneuriale». Conférence d’ouverture, Lévis.
Disponible sur le site de la conférence : http://www.projetdesociete.coop
Sibille, H. et T. Ghezali (2010). Démocratiser l’économie. Le marché à l’épreuve des citoyens, Paris, Éd.
Grasset.
79
CHAPITRE III :
QUELLES PISTES POUR L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
DE DEMAIN ?
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
L’auteur : José Maria Garriga, Argentine
José Maria Garriga est avocat, spécialiste de la gestion et l’économie de la
santé. Il est également titulaire d’un diplôme universitaire en Direction des
Entreprises de la Santé (DIRES), de l’Université Austral d’Argentine.
Monsieur Garriga a été gérant général de la Mutuelle fédérée 25 juin SPR
de 1986 à 2012, il est également Président de la Fédération Argentine des
mutuelles de santé, Président de l'Alliance américaine du mutualisme et
Vice-président pour l'Amérique latine de l'Association Internationale de la
Mutualité (AIM).
Monsieur Garriga est régulièrement sollicité en tant qu’intervenant en Argentine et dans le monde, il a
notamment dispensé un cours de 3ème cycle à l’Université 3 février en 2005 en Argentine intitulé
« Economie Sociale et gestion dans les entités non lucratives », il est également intervenu à plusieurs
reprises au congrès du CIRIEC (Centre d’information dur l’Economie Sociale et Coopérative), à Naples en
Italie sur le thème « le rôle de l’économie sociale dans l’assistance sanitaire face à la déprotection
sociale » et à Séville en Espagne en 2008 pour traiter le thème de « la couverture de santé pour les
travailleurs informels à travers les coopératives ou les mutuelles à financements mixtes ».
En juin 2012, il est intervenu au cours du side-event des Rencontres du Mont-Blanc organisé à Rio de
Janeiro pour le Sommet de la Terre Rio+20.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
La communication est essentielle dans l'Économie Sociale et
Solidaire, par José Maria Garriga, Argentine
Introduction et rôle de l'économie sociale
Ce sont écoulés plus de 100 ans dans l'évolution du coopérativisme, ce qui ne signifie pas beaucoup de
temps dans l'histoire de la société civile, mais c'est le bon moment juste pour que, avec d’autres
organisations de l'économie sociale et solidaire, les valeurs et les fonctionnalités qui les distinguent soient
intelligemment extériorisées, pour pouvoir contribuer à la construction de la sortie de l'actuelle crise
globale qui nous guette.
Les problèmes financiers des économies avancées, qui sont beaucoup plus que des difficultés
temporelles, ont principalement fait perdre la confiance en la stabilité du système tout en suscitant des
questions à beaucoup de spécialistes: comment fera-t-on pour restituer la crédibilité?
L'objectif de l'économie sociale et solidaire destiné à la production de biens et services selon des
principes d'aide mutuelle et de solidarité, entre autres, est d’obtenir un développement économique et
social adapté à tout moment de l'évolution de l'humanité, et il doit être transmis à la communauté avec
continuité et clarté dans son message. Si on cherche à maximiser le bien-être de la population, il ne faut
pas seulement communiquer les objectifs et les valeurs sur lesquels cette économie se base mais aussi
les atteindre pour donner confiance et pour donner une continuité à cette forme d’économie. Maintenant,
la question que l’on se pose est la suivante : 'objectif exprimé est-il compris et perçu correctement? On ne
peut pas toujours, ni dans tous les pays, répondre positivement à cette question.
D’une part le développement et la validité de cette forme de coopération entre les personnes, dans
laquelle l’homme comme sujet de droits décide de s'unir librement avec d’autres personnes pour former
une organisation solidaire, deviennent réalisables pour la satisfaction des besoins individuels, sociaux ou
culturels et aussi pour l'amélioration de la production et la circulation des biens. Dans divers cas plane le
doute de savoir si ce choix de modèle d’organisation solidaire est réalisé uniquement pour sa relation
coût-bénéfice ou si la personne est informée et convaincue des objectifs sociaux et de l'aide réciproque
qui inspirent ces organisations.
D'autre part, il faut considérer que toute activité économique publique ou privée, que ce soit ou non à des
fins lucratifs, cohabite avec une diversité de modèles économiques, dans lesquels la communication
intrasectorielle et intersectorielle est un facteur déterminant qui encourage l'innovation et permet
82
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
l'évolution du modèle économique de chaque pays. Quelques spécialistes mettent en garde contre la
stagnation économique, qui comporte des risques et ceci pose une question importante, celle de savoir si
l'Économie Sociale et Solidaire peut acquérir et approfondir la réalité de l'environnement en rendant
visible, dans sa proposition ouverte, les principes et les valeurs qu'elle promeut pour le développement
humanisé.
La croissance des organisations non lucratives a besoin d’interagir dans l'environnement général et dans
leur contexte immédiat. De l'analyse circonstanciée d'une réalité économique, politique et sociale
surgissent de nouvelles idées innovantes qui peuvent être des réussites ou parfois aussi des échecs. La
connaissance acquise avec l'information reçue et la communication réalisée comme objectif stratégique
doivent être administrées convenablement, mais jamais être suspendues parce que ceci peut altérer la
confiance en ces organisations.
Aujourd'hui, nous assistons à des formes multidirectionnelles de communication qui exigent d’être
planifiées et alimentées de manière professionnelle, dans un environnement si compétitif que ne pas le
faire serait dangereux pour le soutien des organisations car il entraînerait perte d'opportunités et de
positionnement, ce qui peut aboutir à des conséquences imprévisibles pour l'existence et la gestion des
entreprises. Le philosophe et journaliste André Gorz disait : « Il faut oser s'emparer des occasions,
s'emparer de ce qui change ».
La crise politique et sociale que beaucoup de pays doivent affronter n’est pas simple de surmonter et
implique un changement dans la direction à suivre. L'économie sociale doit collaborer pour construire le
chemin, dont le sommet doit être l’homme et non le capital, dans un climat où ses principes et ses valeurs
sont compris et diffusés. Dans ce nouveau scénario, les organisations solidaires doivent se préparer pour
profiter des occasions que d'autres échecs économiques ont laissées, en essayant de faire un saut
quantitatif et qualitatif pour leur développement. Comme cela fut dit tant de fois, il faut savoir sortir des
crises mais aussi apprendre d’elles.
Il est encourageant de constater que les informations diffusées en termes de communications ont donné,
en particulier au coopérativisme et au mutualisme, du contenu, du volume et de la visibilité sur l'économie
sociale, ce qui est indéniable vu le développement que ces structures ont connu dans le monde depuis
des décennies, et leur reconnaissance comme une “ marque déposée“ dans beaucoup de pays, quand la
primauté de l'homme et les objectifs sociaux font partie indissoluble de ces organisations.
83
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Il faut prendre être vigilant à l'heure d’entreprendre des dialogues communicatifs. Principalement grâce
aux facilités qu’offre Internet, la communication avec des flux importants d'informations devient une
conversation multidirectionnelle qui produit un échange dynamique entre groupes et institutions dans des
contextes de complexité.
Il n'est pas aisé de démontrer que ce secteur est une alternative humanisée face à d'autres formes de
production, de distribution ou de consommation, basées sur la croissance du capital, l'indifférence,
l'iniquité, l'exclusion, le privilège, la corruption, tout cela avec la domination du pouvoir économique. Dans
diverses régions, il existe de grands espaces où participe une nature variée de joueurs, dans une
concurrence sans arbitre.
La société civile dispose de l’information continue et de la communication comme outil pour gagner du
terrain avec conviction et faire un saut qualitatif et quantitatif, tout en profitant aussi des propres
ressources financières des organisations solidaires.
Personne ne peut être un acheteur prudent de biens ou de services, s'il ne les connaît pas préalablement
ou ne trouve pas l'information accessible sur leurs caractéristiques et leur provenance. Personne ne peut
non plus les offrir avec conviction, s’il ne connaît pas leurs qualités et leur provenance.
Même si cela peut sembler étrange, dans quelques pays d'Amérique Latine, certain font référence à des
organismes de l'économie sociale, sans savoir vraiment s’ils parlent des organisations que nous
connaissons ou s’ils les confondent avec les organisations non gouvernementales ou de volontariat social
ou de service...
L'économie sociale doit travailler pour communiquer, construire et même reconstruire la confiance parfois
fragilisée, en travaillant pour éduquer et pour sensibiliser sur ses valeurs et ses principes. L'information
interne n'est pas suffisante si elle n'est pas accompagnée d'une proposition de participation
interactive entre ses membres, avec continuité, sans interruption, où ces derniers sont considérés
comme partie prenante des projets et impliqués à l'heure de prendre des décisions.
Le maintien des voies de l'information et de la communication multidirectionnelle est un outil fondamental
pour la construction de nouvelles stratégies de pénétration de l'économie sociale, sur un marché qui lui
semble hostile pour son développement et pour la diffusion de cette façon de construire des projets
économiques à partir des personnes, en préférant la solidarité et le bien-être social et non l'accumulation
abusive de capital.
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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Communication et perception de gouvernance
Le XIXème siècle est le préambule de ce qui dans l'histoire a été connu comme le siècle des questions
sociales, qui s’’est considérablement développé au XXème siècle, en acquérant des caractéristiques
distinctes au Nord et au Sud de la planète. Ainsi, pour encourager leur développement, ces différentes
formes associatives sont devenues l'une des pratiques économiques et sociales les plus humanisées de
l'Histoire. Elles représentent 7 %, 10 % ou 12 % du produit national brut, ou plus, selon les régions et les
pays, mais leur développement a toujours été fait de manière à conserver une gouvernance adéquate et
le maintien de l'emploi déjà créé.
En temps de crise et de besoins de changements dans les facteurs humains et de l’environnement,
comme cela a lieu actuellement dans la plupart des pays d’Amérique Latine, les organisations sociales et
privées passent par de graves problèmes de gouvernance, faute de capacité pour s’autogérer. Grâce à la
finalité que les fondateurs et adeptes de ce nouveau modèle économique et social ont visé pour construire
de nouvelles alternatives économico-sociales, ils ont réussi à structurer une interrelation stratégique et
collectivement acceptée, capable d’entreprendre des actions, et résoudre des conflits en appliquant les
normes et les règles qui les organisent, en essayant de façonner des niveaux optimaux de gouvernance.
Il ne fait aucun doute qu’il existe d’innombrables propositions innovatrices dans tout domaine politique ou
économique, mais dans le cadre des organisations solidaires, il est souhaitable de réaliser et de faire
connaître des actions de soutien, de développement et de respect des droits individuels, sociaux et de
l’environnement. C'est une obligation de ce secteur de rendre visible sa façon de procéder par tous
les médias, principalement de personne à personne et au moyen des télécommunications qui
seront précisées plus loin.
La gouvernance équilibrée doit être reconnue et extériorisée par niveaux et par étapes pour augmenter la
confiance dans ces organisations En d’autres termes cette gouvernance se construit tout au long de la vie
des institutions. Comme disait Klikssberg: elle suppose des processus de planification, de direction,
d’organisation, d’exécution et de contrôle. Entre les diverses actions et méthodologies, il est conseillé de
faire attention à dessiner un cadre de gouvernance, à réaliser une analyse, une mise en œuvre, et la
diffusion de techniques d’améliorations et, finalement, maintenir une intégration horizontale au sein du
secteur et avec ses membres.
La gouvernance est comprise comme la capacité dont dispose une organisation d’agir via l'interaction
politique et administrative dans la prise de décisions, conformément aux normes qui la régissent. On
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
perçoit, quand elle existe, une répartition de l’autorité entre les participants, avec des étapes respectées
pour la prise de décisions.
L’existence d’une gouvernance dans les entreprises d’ESS exige en particulier :
1. Que la légitimité des autorités soit publiquement indiscutable tant à l’intérieur comme à l’extérieur
des entreprises d’ESS;
2. Que la gestion soit développée en toutes visibilité et transparence, quelles méthodes de gestion
soient efficaces et que soit mise en avant l’importance des décisions collectives
3. Que les normes légales et statutaires en vigueur soient accomplies strictement;
4. Que les valeurs et les principes de l'organisation soient respectés;
5. Que les critiques soient permises et que l’on prenne en compte les propositions innovantes;
6. Que leurs membres et dirigeants soient soumis aux codes éthiques établis.
Les organisations de l'économie sociale qui ont étendues leurs activités jusqu’à produire des services
proches de ceux rendus par les services dits « sociaux » – en particulier dans certains pays d’Amérique
Latine - ne sont pas de deuxième catégorie dans les rangs entrepreneuriaux, telles qu’elles l’ont été
parfois qualifiées, dans l’intention de minimiser leur participation à l’économie. Cependant, il est
nécessaire qu'un plus grand effort soit réalisé pour montrer leurs vertus, leur efficacité et leur efficience,
en faisant connaître leur organisation, leurs compétences et les habiletés de direction et de gestion de
leurs membres. Concrètement, le leadership et la compétitivité ne sont ni obtenus ni exercés par décret ni
par obligation, mais par reconnaissance.
Il ne faut pas oublier que l'ESS est parfois la cible de critiques quand l'absence d'esprit lucratif, une de ses
principales caractéristiques, est remise en doute. Cette perception s’explique pour certains par la taille
importante que ces organismes acquièrent et/ou par le leadership qu'ils exercent dans un secteur du
marché, en dépassant parfois des entreprises capitalistes. Le fait de ne pas avoir comme but la
concentration de capital ne signifie pas que la production d’une rentabilité ne soit pas nécessaire, celle-ci
est indispensable pour le soutien et la juste distribution équitable des excédents.
L'administration adéquate et la direction des organismes obligent ses responsables à fournir une
information transparente sur leurs activités et leurs réussites, mais aussi à consolider les valeurs, les
principes et les fins qui distinguent l'économie sociale d'autres organisations capitalistes.
Attirer l’attention avec des notes et des articles nouveaux dans l'espace nommé « communications en
nuage » n'est pas une tâche facile. Il ne s'agit pas de se contenter d’avoir une page Web avec un logo
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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
créatif à côté d'une publicité nouvelle. Des associés, des clients, des fournisseurs ou le public en général
doivent être convaincus de la véracité des informations et des rapports communiqués par ces
organisations, leurs sources doivent être fiables, il doit y avoir une périodicité dans l'information diffusée
dans les média et, fondamentalement, il doit y avoir une extériorisation du respect interne et externe des
droits individuels, sociaux et environnementaux qu’ observent ces organisations.
Intégration sectorielle
Peut-être que l'une des inconnues les plus inquiétantes a toujours été de trouver les processus de
développement les plus adaptés dans les entreprises qui puissent être soutenus dans le temps. Les
méthodologies par lesquelles il faut passer doivent être dynamiques et toujours perfectibles pour atteindre
une viabilité dans les processus de soutien et de développement.
La faible communication horizontale existante entre les organisations empêche la mobilisation des
capacités d'intercoopération. Pour parcourir ce chemin dans l'économie sociale, tout d’abord, on a besoin
d’une connaissance mutuelle adéquate des activités, de connaître les ressources économiques et
humaines pour analyser si elles ont des équivalences et des symétries suffisantes pour entreprendre un
processus d'intégration et de montrer quelle est l'évolution des bilans économique, financier et social.
Dans les étapes d'information et de communication, considérer le domaine géographique et le secteur de
la population où les organismes solidaires impliqués agissent est aussi important que l'évolution des
bilans économiques et financiers et l'impact social que leurs activités produisent.
Les associations de personnes qui créent des normes d'organisation qui visent la satisfaction des besoins
communs ou l’obtention d’un bénéfice distribuable entre leurs composants, peuvent trouver quelques
limites à leur développement pour différentes raisons. Une efficacité productive et des besoins importants
sont les causes qui poussent à s’orienter vers une intégration qui modifie favorablement son efficacité.
Le développement de l'économie sociale et solidaire ne demande pas la création de coopératives ou de
mutuelles quand on n'en a pas besoin, parce qu’un nombre excessif peut occasionner des échecs et la
disparition de celles qui ne peuvent pas se maintenir. Dans certains cas, il convient d'essayer des
processus d'intégration, surtout quand le marché exige des besoins technologiques ou d'une plus grande
échelle. Effectivement, ces organismes doivent avoir une capacité d'adaptation, spécialement dans les
processus économiques changeants dans le domaine de la production et de la commercialisation de
biens, mais aussi dans les économies familières, chez les petites et les moyennes entreprises, et doivent
écouter l'offre et la demande de services en mesurant des volumes et des structures de coûts.
87
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L'information et la communication intersectorielle est essentielle pour envisager un processus
d'intégration horizontale
Un autre avantage innovant que peut avoir la communication intersectorielle pour l’encouragement de
l'intégration, est lié à l'un des principes coopératifs, le septième, qui vise “l'intérêt pour la communauté”.
Ce principe induit que le but de ces organisations solidaires n’est pas seulement d’assurer la satisfaction
des besoins communs propres, mais aussi de créer des entreprises d'intérêt général qui consolident le
concept de responsabilité sociale du secteur. Ce but peut être atteint plus facilement lorsque les liens
intégratifs sont consolidés.
L’importance des télécommunications et des réseaux sociaux comme nouveau défi pour l'ESS
Les différentes formes de communication à distance sont communément appelées télécommunications.
Les TICs sont les technologies de l'information et de la communication. Dans le même sens, les NTIC
sont les nouvelles technologies qui donnent le nom à l'informatique connectée par Internet qui, comme
tout, a de grands avantages ou bénéfices à l'heure de la mesurer en termes de développement contrôlé,
mais elle comporte également des risques. Ces nouvelles technologies ont une grande répercussion sur
la société, permettent d’économiser du temps et de l'argent et encouragent l’interrelation sociale,
éducative et commerciale. Comme un encouragement à la recherche et à l'innovation, leur usage peut
contribuer au développement durable de la planète et à la protection de la biodiversité. Logiquement, elles
comportent elles aussi des risques ou des désavantages.
La part et la tranche d’âge de la population « connectée » et qui utilise les réseaux sociaux, constituent
aujourd'hui des données et des outils d'utilisation maximale dans le monde. Voyons dans le tableau
suivant quelques chiffres dans certains pays d'Amérique Latine.
Part de la population en ligne âgée de plus de 15 ans, du mois de mars 2010 au mois de mars 2011
Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail
Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011
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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail
Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011
Selon des données publiées par Com Store, 30 % des utilisateurs d'Internet restent connectés aux
réseaux sociaux pendant tout le temps de leur connexion. Chaque page web dispose d’un langage et
d’une manière différente de communiquer, c’est pour cela que chaque page attire les internautes pour des
raisons différentes.
L'échange dynamique qui est obtenu inclut un ensemble de personnes ou de collectifs qui s'identifient par
les mêmes problèmes et besoins, ils échangent des connaissances et des expériences. Les institutions de
l'économie sociale doivent participer à cette communication multidirectionnelle. Le nombre de visites, le
temps de connexion et les âges des utilisateurs nous indiquent que l'on ne peut pas laisser de côté cette
opportunité. De plus, ceux qui travaillent dans la construction de ces pages les rendent chaque jour plus
agréables et simples d’utilisation ; un autre facteur 'important pour leur diffusion massive est qu'elles sont
en général gratuites.
Par exemple, l'usage d’internet quotidien moyen en Argentine dépasse de 4 heures la moyenne mondiale,
d’après l'information fournie par ComScore, qui remarque également que plus le taux de pénétration et de
haut-débit est important, plus le temps qu’on passe en ligne est important.
En Amérique Latine, le Brésil, le Mexique, l'Argentine et la Colombie sont les pays les plus grands
utilisateurs d’Internet, avec plus de 23 heures mensuelles en ligne par Internaute. Ces derniers
consacrent 30 % de leur temps à leur connexion à Internet et aux réseaux sociaux. Facebook, Twitter,
Linkedin sont quelques-uns des réseaux sociaux les plus utilisés comme on peut le voir dans les tableaux
suivants.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail
Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011
Audience Internet des 15 ans et plus, accédant à Internet depuis leur foyer ou leur lieu de travail
Source: comScore Media Metrix, Mars 2010 - Mars 2011
Les réseaux sociaux ont une éthique implicite de coopération. Les entreprises de l'économie sociale et
solidaire sont donc mieux préparées pour profiter naturellement des occasions qu'ils offrent. Les
changements qui se présentent sont plus sociaux que technologiques.
Les coopératives, les mutuelles et d’autres organisations de l'ESS ne peuvent pas être absentes dans
cette évolution. Il est nécessaire qu'elles appliquent un développement dynamique au moyen de
l'interaction de dirigeants, de techniciens et des personnes responsables de définir des stratégies. Pour
cela, il faut réaliser au préalable une analyse des processus d'information et de communication utilisés,
pour avoir un impact sur le point précis de l'objectif poursuivi. Il faut intensifier l'interaction pour gagner de
la confiance, pour offrir de la sécurité et de bonnes réponses, en renforçant, dans toutes les étapes, les
90
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
droits de leurs membres et l’accomplissement des obligations de ces organismes adaptées à leur mission.
Ces obligations doivent viser la construction d’une société plus participative, démocratique et solidaire.
Participation des jeunes
Il y a ceux qui affirment que le progrès des organisations est dû à leurs membres comme résultat de la
somme de l'hérédité reçue et de l'innovation applicable. Les entreprises et les organismes n’ont pas de
succès grâce à leur histoire, mais ils l'obtiennent quand ils comptent des personnes qualifiées et
passionnées qui apportent de nouvelles idées, dépassent les minorités passives et s'adaptent aux étapes
de progrès.
Dans l'économie sociale et solidaire, il convient de travailler et toujours identifier sa direction plutôt que
son but, en faisant passer la solidarité avant les intérêts personnels, sans s'écarter de l’impératif de
justice, c'est-à-dire, en cherchant l'équilibre entre la morale et le droit.
Cette manière de voir l'économie n'est pas connue de tous. Encore plus, elle est combattue en divers
endroits. Il faut alors donner la juste valeur à l'éducation, à l'information et à la communication pour que
cette manière de voir l’économie soit connue en particulier des jeunes qui n'ont ni de complicité ni de
compromis avec le passé, mais qui sont les architectes de l'avenir.
Il semble compliqué de trouver dans les organisations la conviction et la capacité de produire les
substitutions et les complémentarités entre générations. C'est que tous, jeunes et adultes, doivent soutenir
et diffuser la culture de la durabilité des organisations, basés sur le bénéfice du mélange des forces entre
l'expérience et la jeunesse, pour la construction sociale d'un nouvel ordre économique.
La participation de la jeunesse ne peut pas être improvisée, elle demande une formation et un
entraînement responsable et méthodique qui prépare les futurs dirigeants et fonctionnaires pour exercer
une gestion adaptée à la doctrine du secteur solidaire, pour assurer le savoir-faire des organisations.
Il faut encourager la curiosité intellectuelle des jeunes, diffuser leurs idées et leurs propositions et tenir
compte, lorsqu’elles sont raisonnables, des résistances à conserver dans les institutions des structures
apparemment obsolètes. Comme on l’a vu précédemment, il est d'une grande utilité pratique et de
« pénétration communicative » dans la société que d’encourager la participation des jeunes dans les
espaces virtuels d'information et de conversation comme les forums, les blogs, les réseaux sociaux et
d'autres moyens évoqués précédemment.
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
CONCLUSION
La valeur des communications dans l'ESS réside dans la réalisation d’un bon usage de ces
communications dans la gestion des connaissances. C'est ce que nous savons déjà : la diffusion du QUOI
et du COMMENT doit être faite en équipe pour augmenter la capacité d'action de cette économie avec
une vision humaine, tout en donnant une valeur ajoutée aux nécessités de la communauté. La création de
richesses de ce modèle socio-économique ne s'oppose pas aux principes et aux objectifs de l’ESS. Cette
création de richesse doit être visualisée à l’intérieur et en dehors de l’ESS, tout en montrant la
responsabilité morale et sociale de l’entreprise, la défense de ses valeurs, la création des emplois
permanents, l’enracinement territorial et surtout, montrer du courage pour défendre l'équité sociale afin de
s’orienter vers un nouveau modèle socialement inclusif et participatif, conforme à la protection de la
planète.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞
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Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Les co-auteurs : membres du « Groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS », 8
pays représentés
Cet article est le fruit de la co-écriture de plusieurs jeunes tous membres du Groupe avec les jeunes pour
l'ESS crée par les Rencontres du Mont-Blanc – Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale
et Solidaire. L’écriture de cet article s’est faite à 22 mains sous la coordination de Laura Ortiz-Rouzé et
Catherine Maliedje Djila, qui ont reçu les conseils de Thierry Weishaupt, Président d’Euclid Network. La
traduction en anglais a été assurée par les différents co-auteurs et révisée par Flor Barbara Célis. Ce sont
donc 11 personnes de 23 à 35 ans représentant 8 pays qui ont permis de faire naître cet article.
Celui-ci a pour objectif de permettre à des jeunes de présenter et de s’exprimer sur ce que représente
pour eux la formation à l’Economie Sociale et Solidaire en illustrant leur propos de témoignages vivants et
divers. Ce n’est pas un article qui a vocation à être exhaustif sur les formations existantes dans le monde,
mais qui vise à donner un point de vue de plusieurs jeunes impliqués en ESS dans différents pays.
Les co-auteurs : Catherine MALIEDJE DJILA, Cameroun ; Laura ORTIZ-ROUZÉ, France ; Gildas
TODINANAHARY, Madagascar ; Kaven JOYAL, Québec ; Djeanane MONFORT, Haiti ; Marion
ROUSSEAUX, France ; Flor Barbara CELIS Québec-Mexique ; Audrey BORDAS, France ; Gonzalo
ORTIZ-ROUZÉ, Chili-France ; Johan BAUFRETON, France ; Sahar CHIBOUB, Maroc.
93
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’enjeu de la formation en ESS, article collectif par les membres du
« Groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS », multi-pays
Quelle formation pour quelle économie ? L’avis des jeunes nous intéresse
Comment se former à l’ESS ? Un tour du monde en 9 étapes
« Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les Hommes s’éduquent ensemble par
l’intermédiaire du monde »
Paolo Freire, 1970
"Nos idées sur l’éducation découlent invariablement de notre perception de la réalité et de notre
conception de la nature – en particulier de nos thèses sur la nature humaine et le sens du parcours
humain-. Notre système éducatif institutionnalise ces thèses, il en a toujours été ainsi : ce que nous
enseignons vraiment c’est la conscience d’une époque. Mais la conscience humaine change au fil de
l’histoire."20
L’ESS peut être envisagée aujourd’hui comme une solution face à la crise globalisée que nous vivons à la
fois au niveau économique, social, environnemental et culturel. Cette économie est encore très
méconnue, notamment par les jeunes, qui se révèlent pourtant être des acteurs fondamentaux dans la
transformation sociale. « A travers l’histoire, les jeunes ont joué un rôle crucial dans la mise en forme de la
société. Des mouvements de jeunesse, aux actions locales, à l’expansion de la pensée, les jeunes sont la
clé pour dessiner un monde plus soutenable. Ils représentent 30% de la population mondiale »21.
Comment définir la jeunesse ? Au-delà de critères fixes et "statistiques", la jeunesse est avant tout un
"état" sociologique et psychologique. Selon Edgar Morin, « la jeunesse est le maillon le plus fort mais
aussi le plus faible de la société. Le plus faible sociologiquement car le "jeune" n'est plus un enfant, alors
non protégé par le noyau familial mais il n'est pas non plus intégré dans la société. Le plus fort car la
jeunesse est pleine d'énergie, de force, de volonté, d'aspirations. »
Il est alors important de se poser la question de la formation comme potentiel vecteur de reconnaissance
et de diffusion de l’ESS.
Jeremy Rifkin, La Troisième Révolution Industrielle - Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie, l'économie et le
monde, édition LLL (Les Liens qui Libèrent), Février 2012.
21 Extrait du site Internet de Rio+20, Conférence des Nations Unies pour le développement durable, qui a eu lieu à Rio au Brésil
du 20 au 22 Juin 2012. La jeunesse et l'enfance seront des acteurs clés dans les propositions issues du Sommet Rio+20
http://www.uncsd2012.org/rio20/index.php?menu=98.
20
94
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Comme l’indique Jean-François Draperi, "Ce qui identifie de façon la plus certaine l’entreprise d’économie
sociale est la coopération entre ses membres, fondatrice de l’action collective. Cette coopération, qui en
ESS, est volontaire, égalitaire et solidaire, s’édifie en lieu et place de la concurrence entre les individus,
concurrence inductrice de subordination (…)"22. Il est important que cette idée de formation se rapproche
de la notion de conscientisation, en ce sens qu’elle supporte un système économique et social alternatif à
partir duquel il est possible de mettre sur pied des projets collectifs transformateurs au sein de la société.
Les contributions à cet article sont nées de la mobilisation d’un « groupe jeunes de l’ESS » dont la genèse
remonte aux Rencontres du Mont Blanc de novembre 2011. Lors de ces RMB, un atelier avait été
organisé autour du sujet de la place des jeunes dans l’économie sociale, avec notamment les enjeux de la
citoyenneté et de l’éducation. Suite à cet atelier est apparue la nécessité de maintenir un lien permanent
entre jeunes de l’ESS pour réfléchir aux enjeux et aux réponses à apporter pour la pleine prise en compte
de la place des nouvelles générations.
Parmi ces enjeux et réponses, la formation joue un rôle central, comme le chemin tracé par les
contributions qui suivent le montre. Qu’en est-il concrètement ? Neuf jeunes du monde entier nous
donnent leur avis, et témoignent de leur expérience et de leur ressenti sur le sujet.
Le Québec, très actif dans le domaine l’ESS a introduit depuis longtemps dans son système éducatif
l’apprentissage à la coopération. Comme l’explique Kaven, il est indispensable de coopérer pour que soit
mise en place une véritable formation à l’ESS.
L’éducation coopérative au Québec, vers un enseignement sociétal de la coopération
Le mouvement coopératif, à travers les initiatives menées par le Conseil québécois de la coopération et
de la mutualité (CQCM) et la Fondation pour l’éducation à la coopération et à la mutualité, est parvenu au
cours des 30 dernières années à mettre sur pied un ensemble d’outils pédagogiques et de programmes
visant à éduquer la population québécoise à la coopération. Nous présenterons dans cet article quelquesunes des initiatives qui s’insèrent dans le continuum éducatif mis en place par le mouvement coopératif
québécois. Puis nous envisagerons des avenues de développement éducatif susceptibles d’enrichir ce
continuum notamment au niveau de l’éducation aux adultes par les centres d’éducation et
d’alphabétisation populaires, de même qu’à travers le cursus professionnalisant de certains programmes
universitaires.
Propos de Jean-François Draperi, Directeur du Cestes (Centre d'Économie Sociale Travail et Société/Cnam) Extraits de l'Atlas
commenté de l'économie sociale et solidaire, p.200 "Libre Propos"
22
95
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Le continuum de l’éducation coopérative au Québec
Tout d’abord, précisons qu’il existe au Canada une certaine confusion quant au sens donné à l’éducation
coopérative.
Nous aborderons ici la définition suivante de l’éducation coopérative. Cette dernière se rapporte au
coopératisme en tant que modèle socioéconomique possédant son propre système de valeurs et reposant
de fait sur le développement de compétences et de connaissances spécifiques à travers une démarche
s’inspirant des principes de la pédagogie coopérative et de la pédagogie par projet.
Si l’un des principes du mouvement coopératif repose sur la formation de ses membres, le mouvement
coopératif québécois à travers entre autre la Fondation pour l’éducation à la coopération et à la mutualité,
en a élargi le sens à l’ensemble de la société québécoise et plus spécifiquement à sa jeunesse. S’insérant
dans la stratégie d’action jeunesse 2009-2014 du gouvernement québécois, l’éducation coopérative offre
des trousses pédagogiques et une série de programmes aux enseignants des niveaux pré-scolaire et
primaire, alors que le mouvement coopératif, par l’entremise de différents acteurs, finance différents
projets éducatifs en parallèle pour les étudiants du secondaire jusqu’au collégial et à l’universitaire. Des
agents de promotion de « l’entrepreneuriat collectif jeunesse », dispersés partout dans la province, sont
d’ailleurs mandatés pour faire connaître les différents programmes jeunesse. Trois exemples concrets
serviront à illustrer, bien que partiellement, le continuum de l’éducation coopérative au Québec.
Des trousses et programmes aux niveaux pré-scolaire et primaire
En 2012, des enseignants participant au microprogramme en enseignement coopératif et complexe de
l’Université de Sherbrooke ont mis sur pied une 11ème trousse pédagogique intitulée « coopérons à travers
l’histoire avec Co et Op ». Ces trousses présentent des outils d’éducation coopérative aux enseignants
désirant adapter cette pédagogie tout en respectant les exigences ministérielles en matière de contenu et
de compétences. Par ailleurs, le programme « ensemble vers la réussite » est un programme « d'initiation
à la coopération qui s'adresse aux enseignants. Il permet de réaliser un projet de classe choisi
démocratiquement et géré par les élèves. » (CQCM, 2012)
Développer l’entrepreneuriat jeunesse au secondaire
Les projets pédagogiques s’adressant aux jeunes du secondaire (14-20 ans) acquièrent une dimension
beaucoup plus concrète. L’une des initiatives connaissant le plus de succès est sans doute celle des
Coopératives Jeunesses de Services (CJS). La CJS est « une forme de coopérative de travail réunissant
des jeunes de 14 à 17 ans qui se regroupent durant la période estivale pour se créer un emploi. » Elles
sont notamment soutenues par un comité local formé de différents acteurs du milieu comme la caisse
96
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
populaire et le carrefour jeunesse emploi et bénéficie de l’accompagnement de 2 animateurs. Les jeunes
s’initient durant l’été à l’exercice démocratique du pouvoir, à la gestion coopérative et aux rouages du
marché du travail. Il s’agit en soit d’une formation pratique en entrepreneuriat collectif. En 2007, le nombre
de CJS actives était de 154, plus de 1700 jeunes coopérateurs y participaient.
La formation universitaire
L’entrepreneuriat collectif est tout aussi significatif au niveau collégial ou universitaire. L’Université de
Sherbrooke est d’ailleurs une double pionnière en ce sens qu’elle offre depuis 1981 un programme de
maîtrise en gestion et gouvernance des coopératives et mutuelles à travers l’Institut de recherche et
d’éducation pour les coopératives et mutuelles (IRECUS).
Ce bref exposé sur le continuum en éducation coopérative au Québec pose la question de son
élargissement à d’autres pans du système d’éducation, notamment à l’éducation des adultes : ne devraiton pas créer des centres d’éducation populaire et d’alphabétisation, puis, développer des formations
universitaires intégrées offrant un axe de professionnalisation par l’entrepreneuriat collectif ?
Éducation populaire et coopérative : l’approche conscientisante et la pédagogie coopérative
Si l’éducation coopérative est parvenue à se faire une place dans le système d’éducation québécois, il
n’en reste pas moins que son absence est notable dans certains secteurs de l’économie sociale qui
gagneraient grandement à y intégrer le modèle au niveau des applications pédagogiques. C’est
notamment le cas dans le domaine de l’éducation populaire et plus précisément dans les centres
d’alphabétisation conscientisante. Une similarité intéressante existe entre les visées de l’approche
conscientisante développée par Paolo Freire et celle de la pédagogie coopérative. La première cherche le
développement d’une pensée critique à l’égard surtout de l’exclusion socioéconomique, afin d’engendrer
des actions collectives transformatrices au sein de la société. La pédagogie coopérative quant à elle,
structure l’apprentissage autour des valeurs propres au mouvement coopératif : égalité, démocratie,
solidarité, etc. C’est au niveau du modèle qui la sous-tend que la pédagogie coopérative rejoint l’approche
conscientisante, en ce sens qu’elle supporte un système économique et social alternatif à partir duquel il
est possible de mettre sur pied des projets collectifs transformateurs au sein de la société. Tel qu’évoqué
en introduction, la pédagogie de Freire repose sur l’idée que les hommes s’éduquent ensemble,
« personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par
l’intermédiaire du monde. Au même titre, la pédagogie coopérative « place l'élève en tant qu'acteur de ses
apprentissages, capable de participer à l'élaboration de ses compétences en coopération avec
l'enseignant et ses pairs ». (CQCM, 2012)
97
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
C’est justement là que se trouve l’intérêt pour ces centres d’éducation populaire mais aussi pour le
mouvement coopératif de développer une approche pédagogique combinant conscientisation et
coopération. Au même titre que les CJS peuvent réellement contribuer à ce que certains jeunes créent
leur entreprise et se prennent en charge collectivement pour améliorer leur situation socioéconomique,
ces centres pourraient bénéficier grandement d’un apport de revenu supplémentaire en devenant des
coopératives de solidarité qui, par l’intermédiaire de leur mission initiale, viseraient à répondre à des
besoins en alphabétisation toute en intégrant le développement de projets coopératifs susceptibles de
s’insérer dans un réseau d’économie sociale et solidaire au sein de leurs communautés respectives. Ceci
leur permettrait finalement de réduire progressivement leur dépendance à l’égard des gouvernements et
donc de remplir leur mission « conscientisante » en y combinant l’éducation coopérative.
Explorons d’autres méthodes…
Focus sur le théâtre : outil sensible et artistique d'approche et de sensibilisation des jeunes à l'ESS.
Gonzalo, professionnel du théâtre nous montre que d’autres méthodes de sensibilisation peuvent aussi être utilisées.
Éducation hors les murs et éducation populaire
Initier au théâtre des enfants, jeunes et adultes, c'est créer des espaces d'extériorisation d'interrogations mais aussi
une source d’idées, de dialogues dans la recherche commune de solutions. Cet art permet de cultiver l'imaginaire et de
pratiquer la coopération nécessaire à une transformation sociétale portée par l'ESS.
C'est un des outils qui sera utilisé auprès de lycéens à Poitiers, en France, notamment lors de la Semaine de la
Solidarité Internationale 2012, événement national français. Il permettra d'aborder la thématique de l'année 2012: l'eau
et son inégal accès dans le monde.
Gonzalo Ortiz-Rouzé, Chili-France
La professionnalisation à travers la coopération
Une autre piste intéressante porte sur les enjeux de la professionnalisation des étudiants universitaires.
L’obtention d’un diplôme n’est pas une garantie d’emploi dans tous les cas, de fait, l’une des raisons les
plus couramment évoquée par les employeurs pour refuser l’embauche est « le fossé technique entre le
milieu académique et professionnel ».
La transition entre la théorie et la pratique est sans aucun doute une chose souhaitable. La pédagogie
coopérative à travers l’approche par projet y accorde d’ailleurs une place centrale. On peut alors se
demander s’il ne serait pas possible d’envisager la situation sous un autre angle. C'est-à-dire, au lieu de
voir l’université répondre aux besoins spécifiques du marché, serait-il possible de développer au sein de
nos universités des programmes professionnalisant qui puissent contribuer à opérer des changements
systémiques quant au modèle de développement socioéconomique dans lequel ceux-ci sont insérés.
98
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Formations en entrepreneuriat collectif intégrées aux programmes universitaires
À l’instar des groupes d’éducation populaire, il serait possible de penser l’université comme un lieu où il
peut non seulement y avoir place à l’innovation sociale, mais où celle-ci peut se développer à l’extérieur
des campus. Plusieurs programmes ne suscitent pas d’intérêts auprès des entreprises privés, c’est
notamment le cas en sciences humaines. À l’Université de Sherbrooke, où le « régime coopératif » est le
plus avancé au Québec, les « stages-coop » existent seulement dans les départements les plus
appliqués. Pour plusieurs programmes, le stage constitue le seul moment où l’étudiant pourrait mettre en
application la théorie apprise en cours et possiblement trouver un emploi. Dans la logique où l’université
répond à la demande du marché, la formation à l’entrepreneuriat reste très peu valorisée au sein des
programmes comme moyen de professionnalisation et encore peu de structures (coopératives de travail
ou de solidarité), sont présentes sur les campus pour servir de milieu de pratique, de stage ou de travail.
Il semble que le développement d’une éducation coopérative et de « stage-coop » selon le modèle
coopératif à l’université constituerait pour certains programmes un bon moyen de contribuer au besoin
d’intégration entre la théorie et la pratique.
Quand l’université ouvre ses portes
Une formation a été mise sur pied en 2008 par le Pr. Gilles St-Pierre de l'Université de Sherbrooke au
Québec, portant sur la simulation de création de coopératives via « l’École d’été des jeunes créateurs de
coopératives ». Elle est maintenant offerte en alternance entre la Coopérative de Développement
Régional de l'Estrie à l'Université de Sherbrooke (Québec) et l'Union Régionale des Scop de PoitouCharentes à l’Université de Poitiers (France). Cette école est ouverte à tout jeune de 18 à 35 ans, quel
que soit leur statut.
Ce format de formation a déjà fait ses preuves sur différents lieux et s'est adaptée à plusieurs cultures :

Québec depuis 1999 pour la formation à l'entrepreneuriat général "École Internationale des
Jeunes Entrepreneurs et depuis 2008 pour sa version coopérative "École Internationale des
Jeunes Créateurs de Coopératives",

France à Poitiers pour sa version coopérative, "Campus Coopératives",

France à Albi dans une formation sur l'entrepreneuriat innovant "École Internationale de
l’Entrepreneuriat Technologique",

Tunisie sur l'entrepreneuriat général: Campus International d'été "Jeunes Entrepreneurs du
Maghreb en Tunisie".
Kaven Joyal, Québec
99
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L'enjeu de la formation à la coopération en France : inspiration du Québec
Johan a souhaité nous faire partager son expérience québécoise, qui a ensuite été transposée et adaptée
en France. Au sein du mouvement coopératif français, la formation à la gestion de ses structures auprès
des jeunes n’est pas, à ce jour, clairement structurée ni même définie. Si au Québec le mouvement
coopératif dispose de service jeunesse en leurs seins, il n’en est pas de même en France. La différence
de nature du lien entre le mouvement coopératif et l’État constitue sans doute une explication.
Les enjeux liés à la formation des jeunes pour créer, reprendre ou tout simplement rejoindre une
coopérative sont cependant importants, d’où la nécessité de proposer des formations professionnelles aux
jeunes. Cette réflexion a permis à l’Union Régionale des Scop de Poitou-Charentes, d’identifier une
expérience originale en matière de formation/action auprès des jeunes. Celle-ci s’est déroulée au Québec
en 2010et était appuyée par la Coopérative de Développement Régional (CDR) () de l’Estrie : l’Ecole des
Jeunes Créateurs de Coopératives (EJCC) [. Elle consiste à donner les outils et à les tester en temps réel
pour créer une coopérative. Réunis sur le campus de Sherbrooke pendant deux semaines, les participants
doivent simuler la création d’une coopérative et soumettre le projet face à un jury professionnel au terme
des 15 jours. L’expérience s’est révélée être d’une grande pertinence, raison pour laquelle nous l’avons
transférer en France. Ce regroupement de 32 participants sur un lieu unique et sur un délai court,
permettent une concentration sur le sujet et une forte implication. Au cours de cette formation, les
participants peuvent vivre les principes coopératifs mais prennent également conscience de la difficulté de
sa mise en application, dans un contexte sociétal plus orienté vers la réussite individuelle que vers la
réussite collective. Ce format permet de proposer des outils concrets mais par ailleurs de déclencher un
véritable « on peut le faire », rendant la mise en application réaliste et facilitante.
Cette formation/action, seule, n’est évidemment pas suffisante et mérite une formation/action
probablement de plus longue durée s’appliquant pour des projets réels et non plus fictifs, ce pourrait être
une bonne perspective de développement en aval de Campus Coopératives. Le mouvement des Scop
offre par ailleurs un panel de formation plus particulièrement dédiées aux coopérateurs, dirigeants &
administrateurs de coopératives.
A la différence du Québec, il semble que la culture de travail en groupe est totalement à construire en
France. Un certain nombre d’universités, de hautes écoles et d’écoles de commerce françaises ont créé et
créent de plus en plus de Chaires dédiées à l’économie sociale et solidaire. On peut cependant reprocher
le fait qu’elles restent des formations théoriques, pas suffisamment alimentées par des professionnels, par
ceux qui font vivre la coopération au quotidien, dont les contenus opposent encore probablement trop
souvent l’apport sur les valeurs de l’économie sociale aux principes de gestion. Pourtant, peut-on
100
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
considérer que la gestion d’une coopérative est identique à une entreprise au statut « traditionnel » ? La
construction d’un prévisionnel dans une coopérative est-elle comparable à celle apprise dans les écoles
de commerce ? Ne qualifie-t-on pas d’abord les objectifs communs souhaités par les coopérateurs qui
sont ensuite validés par l’étude du marché ? Quelles sont les écoles de gestion qui forment les futurs
dirigeants à travailler et à faire travailler les salariés sur le projet d’entreprise, ne serait-ce pas une
exigence pour le bon fonctionnement des coopératives ? Sans considérer que rien ne soit aujourd’hui mis
en œuvre pour adapter le contenu des formations à ce que l’on pourrait attendre du fonctionnement
distinctif des coopératives, il reste sans nul doute beaucoup à construire, voire à innover en la matière. La
formation portant sur les coopératives est l’engrais naturel qui permet de disposer d’un terreau
suffisamment fertile pour que puisse y pousser une véritable république coopérative : coopération dans la
cité, coopération dans l’entreprise, coopération dans la famille … La qualité de cet engrais demeure une
exigence essentielle pour ne pas étouffer dans ce qui est aujourd’hui qualifié de « social washing », à
savoir considérer le social, le participatif ; la coopération comme politique marketing sans réelle remise en
cause de ses pratiques propres.
Johan Baufreton, France
101
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’EJCC de Sherbrooke ayant été transférée à Poitiers, en France, 32 participants représentant 11
nationalités y ont participé en Juillet 2012. Sahar, Gildas et Djeanane témoignent.
Campus Coopératives: Plus qu’une simple école d’été… une école de vie !
Étudiante dans une grande école de Commerce et de Gestion marocaine, j’ai pu constater que la notion
d’entrepreneuriat social est rarement présente dans les cours qu’on nous enseigne pour ne pas dire quasi
absente. C’est à travers ma forte présence sur le terrain dans le milieu associatif et para-universitaire que
j’ai pu réaliser son importance. De surcroît, côtoyer des associations dans le milieu rural, des coopératives
qui viennent en aide aux femmes des villages pour les aider à réussir des activités génératrices de revenu
et subvenir aux besoins vitaux m’a poussé à chercher plus loin, jusqu'au point de développer un projet
d’entreprise coopérative. Toutefois, j’ignorais qu’ailleurs, dans un pays très ami et voisin du Maroc qu’est
la France, ce statut était largement développé et constitue un vrai potentiel pour l’économie mondiale. Le
choix de participer à Campus Coopérative23 était une décision bien réfléchie.
Les conférences qui ont eu lieu ainsi que les diverses interventions des professionnels du domaine m’ont
permis d’assimiler concrètement leurs méthodes de travail, que nous étions supposés refléter dans nos
projets. Toutefois, Campus Coopérative n’a pas été bénéfique seulement sur le plan professionnel. Les
ateliers pratiques auxquels nous avons participé ont permis d’infléchir certains traits de caractères de nos
personnalités. En effet, nous avons réussi à mettre nos différences de côté, à dépasser nos divergences
culturelles, à faire certaines concessions pour nous mettre d’accord sur une idée de projet où chacun
devait se reconnaître pour réussir.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sont les valeurs de campus coopérative qui nous ont
rassemblées et ont permis de réussir la substitution de l’intérêt particulier au général !
Témoignage de Sahar Chiboub, Maroc
23
Pour en savoir plus : http://www.campuscooperatives.coop/
102
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Cette expérience en France à laquelle ont participé des personnes de nationalités diverses a été une
étape marquante dans la vie des jeunes tant sur le plan personnel que professionnel. Celle-ci a inspiré
des jeunes de différents pays et a ouvert des opportunités non soupçonnées dans plusieurs secteurs.
L'Entrepreneuriat coopératif, aussi au service de la science
Économie sociale et solidaire, ces termes ont été pour moi plus qu'étrangers jusqu'en juillet 2012, mois
durant lequel j’ai participé à l’école d’été internationale des jeunes créateurs de coopératives à Poitiers
(France). Je suis en effet chercheur en sciences marines, et n’ai jamais été formé ni sensibilisé à
l'entrepreneuriat et a l’ESS.
Cette formation m’a permis de faire un point sur mes perspectives d’avenir, notamment à propos de mon
désir de créer un terrain d’emploi pour des jeunes (collègues et/ou compatriotes) à travers l’élaboration
d’un projet d’entreprise (petite ou moyenne en fonction de la faisabilité). L’école m’a offerte une panoplie
d’outils nécessaires à l’élaboration d’un plan d’affaire pour une SCOP ou SCIC24 – des structures qui
existent également à Madagascar sous d’autres formes.
Cette formation a été également une occasion sans précédent de me perfectionner quant à ma capacité
de travailler en équipe et de gérer une équipe. Cela me servira notamment pour la gestion de l’Association
YSO-Madagascar que j’ai créé avec mes collègues.
Enfin, cette école d’été a ouvert une porte pour des projets futurs, notamment la création de coopérative,
mais également la réalisation de mes recherches doctorales qui débutent actuellement au sein de mon
Université (Toliara, Madagascar) et de l’Université de Mons (Belgique). La collaboration semble inévitable
pour tous les participants dans un avenir proche ; des idées de projets coopératifs se sont déjà formées et
ont vu le jour après l’école.
Arrivé à Campus Coopératives avec très peu d’expérience en matière d’entrepreneuriat, je suis revenu
avec une quasi-assurance de ma capacité à créer une société coopérative. Autrement dit, cette école m’a
permis de m’émanciper dans un monde qui m’était totalement inconnu : celui d’entreprendre autrement.
Témoignage de Gildas Todinanahary, Madagascar
24Les
Scop et Scic sont deux statuts d'entreprise coopérative en France. La Société Coopérative Ouvrière de Production (Scop)
est une coopérative dont les associés sont majoritairement les salariés. La Société Coopérative d'Intérêt Collectif (Scic) est une
coopérative dont les associés sont multiples. Ils peuvent être les salariés, les usagers, les bénéficiaires, les collectivités
publiques, les bénévoles. Pour en savoir plus : www.les-scop.coop
103
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Haïti, un besoin urgent de découvrir la réalité coopérative
J’ai longtemps hésité avant de postuler pour les Campus Coopératives du 1er au 14 juillet 2012 à Poitiers
en France. Hésitation dûe au fait que je ne connaissais pas du tout l’ESS. Vraiment RIEN. Un jour, je me
suis décidé et ce fut l’une des plus grandes expériences de ma vie.
En Haïti, l’idée des coopératives est totalement différente de ce qui m’a été présenté lors du Campus
Coopératives. En résumé, dans mon pays, les coopératives sont comme des banques. Les « membres »
déposent leur argent et ont un meilleur taux par rapport à celui des banques commerciales.
C’est avec plaisir que j’ai découvert le côté social de l’économie à travers les associations, les mutuelles,
les coopératives, les structures de micro-finances. Ce concept social peut tout changer s’il est bien
exploité. L’économie sociale et solidaire ? Il me fallait en prendre connaissance pour imaginer ce que moi,
en tant que jeune, je pourrais changer dans mon pays. Je me suis rendue compte que l’ESS est
exactement ce qu’il faut ici pour améliorer les conditions de vie de la majorité de la population. On n’y est
pas habitué, on n’y connait pas grand-chose.
Étant volontaire des Nations Unies en ligne avec plusieurs pays dont le Ghana, le Cameroun et Haïti, je
sais maintenant ce qu'il manque à de nombreux pays qui font face aux mêmes problèmes. Pas
nécessairement du côté politique, mais du côté économique. Passionnée de tourisme et je me suis
rendue compte que le tourisme social et écologique s’emboite totalement dans l’économie sociale et
solidaire. L’écotourisme en lui-même déjà en appelle à la coopération entre les agences
gouvernementales, les communautés rurales et d’autres acteurs de la société. Les capacités touristiques
d’Haïti sont énormes et que des particuliers se mettent en coopératives pour implanter des entreprises
touristiques serait d’un apport économique important pour l’économie rurale mais aussi nationale.
Le groupe dont je faisais partie lors des Campus Coopératives était composé de cinq nationalités
différentes avec des barrières évidentes de langues, mais nous avons réussi à travailler ensemble et
finaliser notre projet. Je me suis fait des amis pour la vie et même des futurs collaborateurs dans le
domaine professionnel.
Dans mon pays, 60% de la population a moins de 25 ans. Mobiliser ces jeunes par des formations en
entreprenariat social signifierait déjà planter une graine pour les inciter à voir l’économie autrement.
Mon rêve, un peu fou, c’est d’arriver à organiser chaque année des formations telles que Campus
Coopératives en Haïti, afin que les jeunes puissent s’ouvrir à l’idée de l’économie sociale et solidaire.
Témoignage de Djeanane Monfort, Haïti
104
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Focus sur le Master 2 Professionnel Droit et Développement de l’Économie Sociale et Solidaire proposé à la
Faculté de Droit et Sciences Sociales de l’Université de Poitiers (FRANCE)
- pédagogie de projet et coopération
- réalisation de projets avec des professionnels de l’ESS
- 6 mois de cours donnés par des professeurs de l’Université et de nombreux intervenants
professionnels et 3 à 6 mois de stage
Cela nous a permis d’avoir de l’expérience en mettant en pratique nos connaissances et en nous constituant un
réseau professionnel important. La richesse de ce master est aussi basée sur l'interculturalité et la diversité des profils
d’étudiants. Celle-ci amène à des collaborations originales avec d'autres pays…
Exemple du Mexique en 2011-2012 grâce à un étudiant mexicain.
Marion Rousseaux et Audrey Bordas, France
De nombreux habitants d’autres territoires sont acteurs de l’ESS, mais n’en ont pas conscience. Se fait
alors sentir le besoin de relier ces initiatives et de les faire connaître, la formation peut apporter une
réponse. Marion l’a observé et en témoigne.
La possible reconnaissance des acteurs de l’ESS au Mexique par le biais de la formation
Dans le cadre d’un stage de six mois au Mexique à l’Université Interculturelle du Chiapas réalisé pendant
mon Master 2 en Économie Sociale et Solidaire à Poitiers, j’ai pu rencontrer de nombreux acteurs de
l’ESS. J'ai pu réaliser combien ils étaient peu reconnus, aussi bien par les politiques publiques que par les
organismes de formation en général. Paradoxalement, de nombreuses initiatives de la société civile,
prenant la forme de sociétés coopératives, d’organisations de travailleurs ou encore de communautés,
existent et intègrent ces valeurs. J’ai voulu évoquer ici deux initiatives expérimentales pouvant apporter
des pistes de solutions à ce manque.
Face à ce constat, deux professeurs, Mr Ramirez, professeur de sciences politiques à l’UNAM (Université
autonome du Mexique), une des universités les plus reconnues de toute l’Amérique Latine, et Mr Avila,
professeur d’économie à l’UNICH, (Université interculturelle du Chiapas), expérimentent actuellement la
mise en place d’une formation dans l’ESS, qui soit théorique, pratique et liée au contexte territorial. Ils se
sont inspirés du Master DDESS25 de Poitiers ainsi que de Campus Coopératives précédemment
mentionné. Il s’agit d’initiatives innovantes aussi bien dans l’état de Mexico que dans l’Etat du Chiapas
visant à valoriser et mettre en lien les nombreux acteurs de l’ESS déjà présents sur le territoire. Il est
question ici d’utiliser l’enseignement comme vecteur de diffusion et de promotion de l’ESS, et qui pourrait
être une solution à la crise structurelle que connaît le pays depuis de nombreuses années.
Témoignage de Marion Rousseaux, France
25Pour
en savoir plus : [email protected], Master pro Droit et Développement de l’Economie Sociale et Solidaire
105
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Dans certains pays, les formations sont en devenir, dans d’autres elles sont déjà encrées et reconnues.
Qu’en est-il de l’Afrique ? Catherine témoigne ici d’une nouvelle expérience en Afrique Centrale.
Un exemple de formation en ESS en Afrique Centrale : le Master en Développement Durable option
ESS de l’Institut Panafricain pour le Développement Afrique Centrale
L’institut panafricain pour le développement Afrique- Centrale (IPD – AC) basé à Douala au Cameroun
propose depuis cette année académique 2011- 2012 un master en développement durable option ESS.
Cette formation vise à outiller et à renforcer les capacités des apprenants en ESS en développant leurs
capacités d’actions et d’anticipation au regard de l’environnement spatial, socioéconomique et culturel.
Cette formation s’adresse aux responsables de collectivités locales ; aux responsables d’ONG et
d’associations ; aux cadres moyens et supérieurs des organisations publiques, parapubliques et privées
mais aussi et surtout à toutes personnes désireuses d’acquérir des connaissances en ESS et aux
étudiants.
Concrètement ; la formation s’ouvre avec un tronc commun d’une durée d’un semestre intitulé :
« Développement Durable » et ce n’est qu’à partir du second semestre que débute réellement l’option
ESS. Dans le cadre de travaux de recherche liés à ces modules, nous avons eu à faire un état des lieux
de l’ESS en Afrique en général et au Cameroun en particulier puis découvert les RMB.
Certes, on a noté un faible engouement des étudiants de l’IPD-AC pour l’ESS cette année académique
lorsqu’est arrivé le moment de choisir une option, puisque seulement deux apprenants sur quinze se sont
intéressés à cette formation en ESS. Néanmoins, il faut noter que la transversalité des enseignements et
leur application dans les entreprises nous ont permis de comprendre les fondements de l’ESS, d’identifier
ses acteurs dans notre environnement et d’être capables de promouvoir et d’encadrer la gestion des
initiatives communes et des dynamiques locales. Vivement les deux derniers semestres avenir!
Témoignage de Catherine Maliedje Djila, Cameroun
106
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Un élément fondamental du fonctionnement des structures du fonctionnement de l’ESS doit faire l’objet
d’un apprentissage transversal, Audrey nous donne son avis.
Passer de la Gestion des Ressources Humaines à la Gestion Humaine des Ressources
Durant mon stage de fin de Master, que j’ai effectué dans un Centre Social de Châtellerault (Vienne,
FRANCE), j’ai pu constater des difficultés de gestion de l’équipe salariale qui entraînèrent une perte de
motivation et un éloignement de celle-ci envers les missions sociales de la structure. Le fait est que dans
des structures associatives comme celle-ci, les compétences en Gestion des Ressources Humaines
manquent et pourtant, l’humain étant au centre des préoccupations, les spécificités du secteur de l’ESS
requièrent une attention particulière concernant cette gestion, plutôt envisagée, par inversion, comme la
Gestion Humaine des Ressources.
En ESS, comme dans les Très Petites Entreprises (TPE, moins de 20 salariés), la gestion interne est plus
intuitive et informelle que réfléchie et structurée ; néanmoins l’absence d’un interlocuteur crédible pour le
management ou la gouvernance est une réelle menace pour la structure.
La GRH, peut et doit pouvoir s’adapter aux valeurs (hiérarchie plus plate, relation humaine et collaborative
plus que commerciale …) et spécificités du secteur de l’ESS (pratique importante du travail à temps
partiel, écarts salariaux moins importants, réticence aux Contrats à Durée Déterminée …). Pour cela, il
serait favorable pour les petites structures associatives ou coopératives de bénéficier de formation en
GRH ou de services consultatifs afin d’étendre leur potentiel d’action avec une équipe plus efficace,
organisée et motivée.
Mon Master en Droit et Développement de l’Économie Sociale et Solidaire de l’Université de Poitiers
(FRANCE) et mon expérience professionnelle dans ce Centre social m’ont permis de développer mon
projet professionnel de m'orienter vers l'accompagnement des structures de l'ESS dans ce sens, en
trouvant des solutions pour les structures de l’ESS pour que la gestion du personnel ne soit plus un frein à
leur bon fonctionnement.
Témoignage d’Audrey Bordas, France
Conclusion
Ces illustrations évoquent une formation qui doit adopter une pédagogie coopérative et qui est au contact
des professionnels acteurs de l’ESS. La notion de coopération est perçue comme un élément central de
leurs formations et engagements. La formation à la coopération est en effet un élément indispensable à la
107
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
mise en place d’activités et de projets relevant du domaine de l’ESS. « Les individus fonctionnent comme
nos neurones : isolés, ils restent inefficaces, et ne deviennent « intelligents » qu’une fois connectés les
uns aux autres »26.
Au-delà du sujet essentiel de la formation, largement abordé, l’implication des jeunes dans l’ESS passe
aussi par 3 autres conditions fondamentales, qui méritent une réflexion de la part des acteurs de l’ESS,
jeunes et moins jeunes !
Les jeunes sont des « sujets » de l’économie sociale
Le constat est souvent que l’économie sociale traite de la question des jeunes comme d’un « objet de
travail », mais qu’il est essentiel d’associer les jeunes à l’action de l’économie sociale, d’en faire des
moteurs de son renouvellement et de son développement. Il s’agit dans ce premier axe de travailler
concrètement sur la manière d’inviter les jeunes à devenir des sujets d’économie sociale à part entière.
Pour que les jeunes puissent s’engager, il est nécessaire de faire une place dans les cursus scolaires à
l’éducation en économie sociale.
Pour que les jeunes se sentent invités, il faut qu’ils aient un accès à l’économie sociale ! Et cela ne peut
se faire qu’à travers l’éducation. Dès le plus jeune âge, il faut offrir aux enfants une éducation qui laisse
place aux valeurs et principes défendus par l’économie sociale, et notamment une approche collective des
sujets. Former des jeunes c’est bien, mais assurer la transmission intergénérationnelle dans les
entreprises de l’ESS c’est mieux !
Une fois les jeunes devenus sujets, éduqués et formés, il faut encore s’assurer qu’ils peuvent assurer
pleinement leur rôle, en conjuguant leur enthousiasme et leur volonté de changement avec la compétence
et l’expérience des personnes plus âgées. Trop d’entreprises d’économie sociale meurent de n’avoir pas
su renouveler leurs cadres et avec ces cadres leurs valeurs et leur ancrage dans des sociétés en pleine
évolution. C’est un enjeu majeur pour garder à l’économie sociale son attractivité pour les jeunes.
Ces témoignages portent en eux l’idée que la formation est un vecteur indispensable de la découverte, de
la reconnaissance et de la diffusion de l’ESS. Peu importe les cultures et les origines, ces écrits montrent
que les valeurs de l’ESS sont communes et partagées par de nombreux jeunes désireux de voir se
développer une autre économie et une nouvelle forme d’entrepreneuriat.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞
26Isabelle
Desplats, « Pour une gouvernance écologique des organisations », extrait de l’ouvrage (r)évolutions, pour une politique
en actes, de Lionel Astruc. Editions acte sud colibris.
108
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
L’auteur : Thierry Jeantet
Thierry Jeantet est Président de l’Association des Rencontres du MontBlanc-Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale depuis
octobre 2005.
Il occupe le poste de Directeur Général d’Euresa (Groupement Européen
d’Intérêt Economique rassemblant 14 mutuelles et coopératives
d’assurance européennes rassemblant 23 millions de sociétaires) depuis
sa création en octobre 1992. Il est également Vice-président de Mutavie
(assurance vie, France), Membre du Conseil d’Administration de Macif
Portugal S.A. (Portugal), de Syneteristiki (Grèce), Vice-Président de Tüw (Pologne). Il est aussi
administrateur en France de la Mondiale (mutuelle d’assurance vie) et de la SGAM AG2R La Mondiale.
Précédemment il était Secrétaire Général de la Banque et du Réseau au sein du Groupe Crédit Coopératif
puis, d’octobre 1981 à juin 1985, Adjoint du Délégué Interministériel chargé de l’Economie Sociale.
Chargé ensuite d’une mission sur l’Economie Sociale par le Premier Ministre de juin 1985 à juin 1986, il
devient, de 1986 à 1992, Secrétaire Général du Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurances
(GEMA).
Auteur de différents ouvrages, il a notamment publié L’Economie Sociale, une alternative au capitalisme
(Economica, 2008) et Economie Sociale, la solidarité au défi de l’efficacité (La Documentation Française,
réédition, 2009) et Sociétale démocratie : Un nouvel horizon (avec Yan de Kerorguen, Collection Lignes
de repères- Place publique, 2012).
109
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’Economie Sociale, Solidaire : une approche sociétale, par Thierry Jeantet,
France
La longue crise que traverse la planète n’est pas accidentelle, qui peut encore le nier ? Elle a un caractère
systémique. Ses douloureuses facettes sont connues : alimentaire, climatique, énergétique, sociale et non
pas seulement économique et financière. Les défenseurs du modèle à la fois capitaliste et néolibéral,
n’ont pas compris après la chute du Mur de Berlin, que si le monde paraissait ne plus être divisé en deux,
il était entré dans une phase de fragmentation, voire d’effondrement, alimenté par une mondialisation
destructrice de liens sociaux et des capacités territoriales de développement, autant que destructrice
d’environnements et captatrice des moyens économiques et financiers. Aux quêtes de progrès notamment
technologiques s’était substituée une quête de la sur-accumulation de profits et de pouvoirs par des
décideurs autoproclamés. On ne peut dire que les modèles en place précédemment aient été uniquement
porteurs de progrès « équilibrés » ; mais, malgré leurs défauts, ils tendaient à intégrer voire à protéger les
personnes, à respecter des équilibres notamment sociaux. Ils ont aussi été à l’origine de dérapages,
d’incohérences, d’injustices graves, de violences inacceptables également. Mais l’ère libéralo-financière
des années 1980 à nos jours a été la caricature d’un de ces deux systèmes se croyant libéré de l’autre
après 1989. Le capitalisme se mange lui-même à force de dérapages, où une sorte d’extrémisme a
conduit des acteurs économiques à « habiller » leurs comptes de résultats pour faire croire qu’ils
continuaient à répondre aux exigences financières pesant sur eux (Parmalet, Enron) ; d’autres à inventer
des produits financiers de plus en plus déconnectés de la réalité entrepreneuriale, économique. En
grossissant un peu le trait, on peut oser affirmer que le système « dominant » s’est mis de lui-même en
apesanteur. Jusqu’au moment où il a à nouveau été aspiré par le retour de contraintes et contrariétés plus
tangibles. Les payeurs et donc victimes étant des salariés, des paysans, des consommateurs (notamment
la crise des subprimes aux Etats-Unis d’Amérique), des citoyens, des communes, l’environnement… De
nombreux économistes ont pointé du doigt cette situation (Jeremy Rifkin, Joseph Stiglitz, Amartya Sen,
Ignacy Sachs…27). Elle est d’autant plus préoccupante qu’elle s’est accompagnée d’un creusement des
inégalités Nord/Sud et au sein même du Nord. C’est un résumé abrupt mais qui correspond à un état des
lieux qui ne l’est pas moins. Ceci d’autant qu’il y a eu ces vingt dernières années une accélération des
effets négatifs de cette mondialisation néolibérale. Face à ce constat, il parait hasardeux et fragile de
proposer de simplement mettre au garage pour réparation le vieux système dominant ; quelques soient
quelques-uns de ses mérites antérieurs (innovations technologiques, des progrès de la médecine,
compromis sociaux, cohabitation avec la démocratie dans de nombreux pays…).
Jeremy Rifkin, 2011, The Third Industrial Revolution, Copyrighted Material, Le Prix de l’Inégalité ; Joseph Stiglitz, 2012,
Rationalité et liberté en Economie; Amartya Sen, 2005, Les Liens qui libèrent, Odile Jacob ; Ignacy Sachs, 2007, Rumo a
Ecossocioeconomica, Sao Paulo, Ed. Cortez.
27
110
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Une rupture
La crise actuelle n’est pas seulement une crise. C’est une rupture. Les questions sociales, climatiques et
environnementales comme d’ailleurs celles liées à l’économie et à la finance, sont incontournables. Il
n’apparait guère possible d’opérer seulement par corrections ou avec des ajustements. Les alertes sont
de taille : « la chimie de la planète est en train de changer »28 dit un rapport de l’ONU, « plus de 200
millions de personnes sont touchées par le chômage en 2012 »29, « il y a encore 1,4 milliards de
personnes dans le monde vivant avec moins de 1,25 dollar par jour »30, « aujourd’hui, les 5% les plus
riches du monde gagnent en 48 heures le revenu annuel des plus pauvres »31. Les exemples peuvent
malheureusement être multipliés, même si des signes d’amélioration existent dans des domaines
significatifs (comme le montrent les évolutions constatées grâce à l’Indice de Développement Humain du
PNUD). Les populations n’acceptent plus ni d’attendre ni de voir leurs conditions de vie se dégrader. Les
manifestations contre la faim, celles diverses des « Indignés », n’en sont que des signes parmi d’autres.
Les extrémismes se nourrissent, eux, de cette situation également marquée dans le monde par des
attentats, guerres dites civiles et guerres tout court.
Il apparait donc indispensable de s’interroger sur les solutions durables à une crise profonde,
décidemment systémique.
Comment changer d’approche ou comment opter pour une autre vision ?
La concentration des pouvoirs politiques et économiques a longtemps été présentée comme un facteur
d’efficience et de sécurité. Elle est apparue peu à peu comme un moyen de rassembler dans quelques
mains les leviers et de faire remonter une part grandissante de la création de richesses vers une frange
restreinte d’acteurs économiques et financiers. Tout ceci sous couvert d’une saine concurrence et d’un
souci de productivité. Avec d’indiscutables réussites en termes d’innovation et de développement
économique. Mais avec un abandon croissant de personnes sur le bord de la route qui n’avaient pas su
obéir ou s’intégrer ou qui « plus simplement » n’étaient plus jugées suffisamment utiles. Cette
concentration étant symbolisée par des organisations de type hiérarchique, très bien structurées. Cette
néo taylorisation a fait son temps sous l’effet à la fois des progrès technologiques et du renforcement des
savoirs, de l’évolution des mentalités. Non seulement ces organisations sont peu à peu apparues trop
figées, mais également antinomiques avec l’idée d’impliquer mieux et plus directement l’ensemble des
acteurs participant aux efforts de production. J. Rifkin le dit à sa façon : «la troisième révolution industrielle
est la dernière des grandes révolutions et elle va poser les bases d’une ère coopérative émergente ».
In : La Troisième Révolution Industrielle. J. Rifkin- Editions Les Liens qui Libèrent, Février 2012.
Chiffre du Bureau International du Travail (BIT).
30 Chiffre du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
31 PNUD 17 août 2012.
28
29
111
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
Cette remarque ne peut se limiter à l’aspect industriel. Bien plus profondément, avec l’accroissement des
moyens de transport, comme avec Internet, les cloisons tombent et les possibilités de coopérations,
d’alliances, de solidarités se démultiplient. C’est ce que démontrent nombre d’initiatives de nature très
différentes comme les Forums Sociaux Mondiaux ou désormais, le Forum Mondial des Dirigeants de
l’Economie Sociale et Solidaire (Rencontres du Mont-Blanc)32.
La mondialisation est de plus en plus cet espace civique mondial qui s’organise. La notion de
développement soutenable inclut forcément celle-ci. L’Economie Sociale et Solidaire répond à une telle
évolution dans la mesure où elle offre aux citoyens acteurs (associations), aux salariés (coopératives de
salariés), aux consommateurs (mutuelles, coopératives de consommateurs) de prendre en main leur
destinée économique et sociale, civique aussi. Le partage démocratique du pouvoir relevant plus d’une
conception collective et donc latérale de celui-ci que d’une conception unilatérale et autoritaire. Il est
intéressant de constater que de plus en plus de syndicalistes ou responsables politiques dans le monde
commencent à s’en apercevoir et étudient ce modèle d’organisation des activités humaines. Comme le dit
dans son article du présent ouvrage le Professeur Abdou Salam Fall « les situations que le monde a
connues ont révélé l’impératif du développement de l’intérieur des sociétés… ». L’Economie Sociale et
Solidaire permet précisément ce développement « de l’intérieur » en encourageant les citoyens à avoir un
rôle moteur. C’est l’urgence citoyenne.
Propriété indépendante et collective
Cette démocratie d’initiatives qu’appelle le constat établi doit être liée à une nouvelle conception de la
propriété. Une réflexion sur ce sujet devient prioritaire. La maîtrise des enjeux et des solutions l’exige.
Plusieurs motivations l’expliquent : disposer de pôles de production et de distribution stables permettant
d’assurer la durabilité et donc la solidité de ce qui est mis en place, assurer un accès plus facile aux
produits et services afin de réduire les inégalités, ce qui nécessite notamment de réduire les coûts et de
mutualiser des dispositifs économiques… Le système de propriété indépendante et collective de
l’Economie Sociale répond à l’ensemble de ces préoccupations. Pourquoi ? Parce que celle-ci allie
l’indépendance vis-à-vis des Etats et collectivités publiques, sans être soumise aux aléas de l’ultrafinance. Elle est privée mais pas privative, au sens où elle est indivisible entre ses détenteurs (cas des
mutuelles, des associations mais aussi des coopératives, qui constituent des réserves impartageables).
Elle est volontairement collective. C’est un choix. Elle autorise donc la création de pôles indivisibles de
propriété, donc stables, entre des salariés ou des consommateurs ou entre les deux, entre aussi ceux-ci
et des apporteurs de moyens, plus largement des citoyens voulant s’engager dans la réalisation d’un
projet. La coopérative offre une variante intéressante puisqu’elle combine un noyau dur (les réserves
Rapport « La contribution de l’Economie Sociale à l’heure de Rio +20 », 5ème Edition des Rencontres du Mont-Blanc, 9 au
12/11/2011, Chamonix, France.
32
112
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
impartageables) et des fonds propres partageables (parts sociales) mais dont la rémunération est
plafonnée et ne donnant (quel que soit le nombre détenu) droit qu’à une seule voix. Cette propriété
indépendante et collective appartient à des membres (mutualistes, coopérateurs, associatifs…) ou est
plus ouverte encore et « s’universalise ». Les enfants de ce système s’appellent d’ailleurs les logiciels
libres, les semences libres, les systèmes d’échanges libres (appliqués à des travaux, des services…),
l’auto-partage, l’accueil réciproque de voyageurs, etc… Ce type de propriété collective est un signe du
besoin de « latéralité » et de coopération évoqué plus haut. Il est évident qu’il conduit à réduire le rôle de
la finance et de la monnaie, et peut permettre de fluidifier et rendre plus efficace des activités aussi bien
strictement économiques que sociales, humanitaires, culturelles. C’est une autre façon d’organiser les
activités humaines en réduisant le risque d’une financiarisation dominante ; elle ouvre la voie à des
modes de travail et d’échanges collaboratifs innovants. Des études et recherches sont d’ores et déjà
en cours à ce sujet (notamment les études sur les biens communs). Elles méritent d’être poursuivies afin
d’examiner quelles places exactes peut occuper ce mode de propriété, quelles conséquences elle
entraine dans des domaines comme ceux de la monnaie, de la banque, des revenus ? Cette propriété
correspond à un meilleur partage des moyens ou outils de production et de distribution comme à un
partage innovant de biens à usage quotidien.
Fonctionnement démocratique, propriété indépendante et collective, il est aisé de comprendre pourquoi
l’Economie Sociale et Solidaire est ce que Louis Favreau appelle dans son article du présent ouvrage
« une alternative globale », car ces deux caractéristiques sont déjà des réponses à la crise. L’ESS
apparait comme un facteur essentiel de plus grande accessibilité et donc de lutte contre les inégalités,
l’exclusion et la pauvreté et en même temps comme un facteur de lisibilité dans la mesure où elle tend à
simplifier les circuits économiques et monétaires. Tout autant, elle apparaît adaptée à un mode de
production et de distribution efficace, innovant, facilitant le travail en maillage, inter-coopératif, collaboratif.
L’Economie Sociale et Solidaire véhicule ainsi un modèle d’entrepreneuriat civique et social.
Redistribuer autrement les richesses
La troisième caractéristique de l’ESS tient au mode de redistribution des richesses créées, à la recherche
de l’équité. Elle est liée à la volonté d’aboutir à une « juste répartition des excédents » entre salariés mais
aussi entre producteurs, fournisseurs, consommateurs. Dans une période de creusement des inégalités à
l’intérieur du Nord, à l’intérieur du Sud, et entre le Nord et le Sud, ce principe d’équité revêt une
importance nouvelle. Il peut, par son application, réduire des tensions économiques et contribuer à calmer
le jeu des marchés, ce qui est essentiel, en particulier en ce qui concerne les denrées alimentaires et les
matières premières. Le commerce équitable n’en est probablement qu’à ses débuts tant au plan national
qu’international. Des discussions ont permis une maitrise des prix et une amélioration de la qualité,
113
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
producteurs et distributeurs ou directement consommateurs s’étant mis d’accord sur des règles
d’échanges équitables, donc de « marchés équitables ». Les coopératives, mutuelles, associations, en
sont souvent à l’origine. Leurs démarches pourraient inspirer une extension de tels types d’accords si
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) devenait l’OMCE (Equitable). Ceci correspond à une
urgence d’équité.
Des réponses globales et transversales
L’Economie Sociale et Solidaire présente d’autres caractéristiques. Mais les trois venant d’être citées ont
été choisies pour montrer qu’il est impératif, mais pas suffisant, de parler d’urgence écologique ou
seulement d’économie verte. La crise multiforme exige des réponses multiformes et complémentaires. Il
faut donc être sensibilisé aux différents types « d’urgences » et éviter à tout prix de les sélectionner et se
contenter de réparer. L’Economie Sociale et Solidaire apporte33, concrètement, des réponses globales et
transversales. Elle inclut dans sa démarche : démocratie, propriété privée collective, égalité, solidarité.
Elle est donc un vecteur de transformations sociale, civique, environnementale, économique. Elle a une
vertu sociétale. Peut-être aurait-on dû l’appeler Economie Sociétale, mais les termes d’Economie Sociale
et Solidaire suffisent à exprimer cela. Ce qui est fondamental, c’est que les principes la guidant sont
indissociables et ceci de façon de permanente. On est loin des concepts du type « économie positive »
qui, aussi sympathiques soient-ils, sont flous, peu opérants, encore marqués par la vieille idéologie
néolibérale. On est plus proches, par contre, de la recherche de nouveaux modèles d’entreprises qui
combineraient des systèmes de propriété traditionnelle (patrimoniale ou actionnariale) et des
engagements sociaux et environnementaux. Sans pour autant gommer le fait que celles-ci auraient à
préciser les conditions et la durée de ces engagements et à vérifier comment, concrètement, une
propriété fractionnée (en cas d’actionnariat coté en particulier) peut effectivement coexister avec des
objectifs d’économie soutenable. L’idée que se développent à la fois une Economie Sociale et Solidaire et
des formes voisines (entreprises participatives, entreprises sociales, entreprises citoyennes) est
intéressante et peut-être… positive. C’est en réalité une conception de « l’entreprise sociétale à pouvoirs
et résultats partagés » qui émerge et mérite d’être étudiée et développée. Une réflexion doit être engagée
sur les formes qu’elle peut prendre en fonction de principes clairs et durables et donc de règles
déterminées en conséquence. L’Economie Sociale et Solidaire mondiale doit être à l’initiative d’un tel
« mouvement ».
Aller plus loin
Il faut aller plus loin, l’Economie Sociale et Solidaire ne se réduit pas à une collection d’entreprises
différentes (ce qui est déjà fort important) mais constitue bien un modèle qui a des dimensions micro mais
33
Voir le Cahier des Initiatives des Rencontres du Mont-Blanc, disponible sur www.rencontres-montblanc.coop
114
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
aussi macroéconomiques et sociales et, désormais, environnementales. En ce sens elle est donc bien,
comme déjà affirmé, une réponse à ce que le Professeur Jean Gadrey34 « appelle la première crise socioécologique du capitalisme financier et boursier… !». Il s’agit donc de faire progresser cet ensemble
« Economie Sociale et Solidaire » pour changer le cours de la mondialisation et permettre aux citoyens de
s’organiser autrement dans leurs territoires, dans le respect de leurs propres cultures, comme de leur
environnement. C’est elle qui constitue l’une des plus fortes réponses de nature civique, socio-écologique
et économique à la crise.
Il faut d’autant plus le comprendre qu’aborder les transformations nécessaires par le seul angle de
« l’économie verte » prête à discussion et est insuffisant. Il faut en admettre les justifications. Le PNUE
avance que « les avantages du verdissement de l’économie mondiale sont aussi tangibles que
considérables, que les gouvernements et le secteur privé disposent des moyens de la réaliser et que le
moment « de relever le défi est donc arrivé »35. Cette économie se caractérise par « un faible taux
d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale ». Cette définition
rejoint bien des préoccupations évoquées ci-dessus. Mais elle est perçue par un nombre croissant de
pays en recherche de développement ou en voie d’émergence comme une économie contraignante, non
adaptée à des territoires qui ont à la fois besoin de produire plus pour nourrir plus tout en mettant en
valeur leurs propres ressources. De fortes dissonances se sont fait jour lors du Sommet de Rio +20 à ce
sujet. Si tout le monde est d’accord pour promouvoir avec le PNUE « une économie qui entraîne une
amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale toute en réduisant de manière significative les
risques environnementaux et la pénurie de ressources », plusieurs Etats contestent le concept en
soulignant que, pour eux, l’urgence sociale prime sur l’urgence verte ou, en tous les cas, que la seconde
ne peut prendre la priorité sur l’autre. D’autres ajoutant que « l’urgence démocratique » est tout aussi
importante.
Une approche plurielle du développement
Ceci renforce encore plus l’idée selon laquelle une approche « plurielle » du développement est
indispensable. Il n’est décidément plus possible de dissocier inclusion sociale, accès aux produits et
services de première nécessité, démocratisation et verdissement de l’économie. Comme le Professeur
Abdou Salam Fall l’indique, il faut une « qualité de croissance » pour « tirer le niveau de vie vers le haut ».
La croissance doit être inclusive et non pas « d’abord » ou « uniquement » verte. Lui-même parle de
« gouvernance multidimensionnelle », soulignant le besoin d’une approche complexe et d’autant plus fine.
Cité par Louis Favreau
« Vers une économie verte : Pau un développement durable et une éradication de la pauvreté », Programme des NationsUnies pour l’Environnement (PNUE), 2011.
34
35
115
L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
L’Economie Sociale et Solidaire permet, de par ses règles, cette nécessaire accumulation d’objectifs.
Celle-ci doit devenir centrale, ce qui ne veut pas dire omniprésente. Bien au contraire, elle signifie encore
une fois des applications différenciées par territoire et l’acceptation de la biodiversité des modèles de
développement. « Centrale » veut simplement indiquer qu’elle doit être une référence clef utilisable ainsi
par d’autres systèmes, d’autres acteurs.
« Très bien ! », vont dire certains, « mais l’Economie Sociale et Solidaire ne peut quand même pas
prétendre intervenir dans le champ des grandes entreprises ; celles-ci ne peuvent prendre les formes
coopératives ou mutualistes ». Critique à son égard régulièrement répétée !. Il faut d’abord réaffirmer que
l’ESS est la première à plaider pour la biodiversité économique et ne revendique aucun monopole.
La concurrence entre les modèles est souhaitable, quelques croisements aussi ! Ils existent d’ailleurs
déjà. Refusons donc toute approche manichéenne. Elle desservirait l’Economie Sociale et Solidaire. La
question de la dimension des entreprises de ce type est intéressante. « Global 300 » qui recense 300 les
plus grandes coopératives dans le monde, montre suffisamment et dans bien des domaines, la puissance
économique de l’Economie Sociale et Solidaire (selon l’Alliance Coopérative Internationale, les 300 plus
grandes coopératives du monde représentaient en 2008 un chiffre d’affaire de 1 600 billion de dollars
USD). Les parts de marché détenues par les mutuelles dans de nombreux pays montrent également cette
puissance. Le poids de l’Economie Sociale et Solidaire dans les mondes de l’agriculture, de la pêche et de
plus en plus de la distribution est plus que conséquent. Les banques coopératives, les coopératives et
mutuelles d’assurance sont des entreprises qui jouent un rôle majeur en Europe et dans d’autres pays.
Différentes études montrent qu’en général, les coopératives et les mutuelles, situées dans des secteurs
concurrentiels ont mieux résisté aux crises de 2008 et 2011. Demeure le problème posé par les secteurs
industriels à haute intensité capitalistique, il serait absurde d’en nier la portée. Si de grandes coopératives
industrielles existent dans le monde (comme le complexe coopératif Mondragon (Espagne) avec 23,34
billion de dollars USD de chiffre d’affaire), la constitution de fonds propres importants est difficile. Des
innovations financières restent nécessaires. Les banques coopératives qui ont su financer parfois de
grands complexes agro-alimentaires devraient pouvoir exercer leur savoir-faire financier et… coopératif
dans d’autres secteurs économiques. Peut-être en agissant ensemble au plan international. La création
de fonds de développement coopératifs internationaux peut constituer une autre piste, tels que la mise en
place de véhicules financiers du « Genuβscheine » en Allemagne ou du « Titre Participatif » en France).
Un marché financier coopératif international est à imaginer. L’Economie Sociale et Solidaire doit se
dépêcher de travailler sur ces sujets complexes alors qu’elle est encore trop absente de secteurs clefs
comme celui d’Internet, des biotechnologies, et même des énergies nouvelles. Pour être une force
d’entrainement, l’Economie Sociale et Solidaire doit donc agir.
116
Chapitre III : Quelles pistes pour l’économie sociale et solidaire de demain ?
Des alliances sociales, syndicales, politiques
Les défis s’ajoutent aux défis. Face à eux l’Economie Sociale et Solidaire a l’habitude historique de
rechercher des alliances. Elle a l’obligation d’en nouer de nouvelles plus que jamais, avec les
mouvements sociaux et syndicaux comme avec les collectivités locales. De nombreux partenariats ont
d’ores et déjà été établis, notamment grâce à la volonté des élus des territoires de mettre en œuvre des
solutions « sur place ». Grâce aussi à celle de responsables syndicaux plaidant pour une gouvernance
des entreprises impliquant salariés et consommateurs ; devant de plus en plus inclure les jeunes dont
l’énergie, la force et la volonté sont indispensables à son évolution, comme l’atteste l’article du présent
ouvrage co-écrit par 11 jeunes du groupe RMB avec les jeunes pour l’ESS. L’Economie Sociale et
Solidaire pratique ainsi une solidarité d’action de plus en plus indispensable. Elle semble s’étendre aux
Etats dont un nombre croissant a créé un ministère ou une administration dédiée à l’Economie Sociale
(Brésil, Argentine, Maroc, France, Portugal, Equateur…). « De nouvelles alternatives économicosociales », pour reprendre l’expression de José Maria Garcia, commencent à être ainsi encouragées. Le
texte adopté par les Etats lors du Sommet de Rio+20 a démontré combien le chemin à parcourir est,
malgré tout, encore long. C’est pourquoi le Forum International des Dirigeants de l’Economie Sociale et
Solidaire - Les Rencontres du Mont-Blanc (présent à Rio en juin 2012) a décidé de poursuivre son action
auprès des 194 Chefs d’Etats dans le monde, afin de les conduire à considérer comme partenaire
incontournable, dans leurs politiques respectives, l’Economie Sociale et Solidaire, afin de « changer la
donne mondiale », comme l’a dit Michel Rocard, ancien Premier Ministre français, devant les Rencontres
du Mont-Blanc (intervention retranscrite dans le présent ouvrage).
L’Economie Sociale acteur de la Planète
Les 5 chantiers (Démocratiser l’économie et favoriser sa territorialisation, Promouvoir un mode de
gouvernance partagée, Offrir de nouveaux choix sociaux, Mieux nourrir la planète et redéployer
l’environnement, Réorienter la mondialisation pour l’humaniser) qui sont proposés à tous les Chefs d’Etat ainsi qu’à l’ONU- sont de plus en plus actuels. Ils constituent des enjeux clefs. La durabilité et la
profondeur de la crise précédente ne peuvent que les encourager à accepter -enfin- de mettre en œuvre
des modèles alternatifs. Ceux permettant d’affronter les causes des crises et surtout d’inventer des
solutions citoyennes efficaces. Les objectifs humains de développement poursuivis par le PNUD, ceux du
Millénaire (révisables en 2015) ne pourront être atteints qu’au prix d’une véritable mutation des politiques
nationales et de coopérations internationales. Autant dire d’un renversement du cours de la mondialisation
au profit de l’Humain et de la Terre. L’Economie Sociale, citoyenne autant que solidaire, est un acteur en
marche de cette transformation : elle a besoin à la fois de s’affirmer en tant que tel et de tisser des liens
avec ceux qui agissent dans le même sens. L’activité économique doit enfin avoir, pour finalité, la dignité
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L’économie sociale et solidaire, une réponse aux enjeux internationaux
et le potentiel de l’humain36. Trouver sa place -sa vraie place- sur la planète, est-ce une ambition
excessive ou simplement un devoir ? Certainement un devoir.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞
Voir l’article collectif de T. Jeantet, G. Larose, A. S. Fall dans le présent ouvrage « La dignité et le potentiel de l’humain comme
finalité de l’activité économique » et publié sur Le Monde.fr, 19 Juin 2012.
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