Islam dans les prisons Farhad Khosrokhavar, ed. Balland, isbn 2-7158-1493-3 Aux USA, arabes et musulmans appartiennent aux classes moyennes. Ils intègrent la société par le milieu ou par le haut, contrairement à ce qui se passe en Europe. Il est plus facile de faire un parallèle entre les musulmans d’Europe et les Noirs américains. Théorie de l’exclusion : du fait des transformations technologiques et industrielles, la main d’œuvre non qualifiée n’est plus nécessaire. Sans bon niveau d’éducation, les gens passent de l’exploitation à l’exclusion. C’est « nous » (les exclus) contre « eux » (les intégrés) dans les banlieues : débrouille, incivilités, violences, indulgence à l’égard de l’illégalité. Naissance d’une sous-culture dans les banlieues qui tourne autour de l’illégalité, l’incivilité et la violence, etc. Sentiment intense de victimisation, inaptitude au travail, volonté de ne pas ressembler au père exploité mais d’entrer dans la société de consommation (difficile légalement vu le faible niveau de formation). Il faut ajouter le racisme ambiant qui rend l’accès au travail réellement plus difficile. Autre dimension : le retour à l’islam, encore plus marqué en prison. Il s’agit de se construire un code éthique que ni la famille ni l’école n’ont pu apporter. Il s’agit aussi de se donner une identité permettant de supporter sa propre déviance. Et enfin, il y a l’islamisme radical qui se pose en ennemi des sociétés athées ou chrétiennes. La situation au Moyen orient y est aussi pour quelque chose et de manière générale, l’effet amplificateur des medias décrivant le monde. 1ÈRE PARTIE : LES SUBJECTIVITÉS ISLAMIQUES EN PRISON L’islam est devenu la 2e religion des prisons européennes et elles n’y sont pas préparées. Le prosélytisme religieux est une réalité en prison : c’est une quête de sens à la porté de tous. Chapitre 1 La spécificité des « musulmans » Différentes catégories de musulmans. Par exemple (en France), les 30-40 ans sont de culture laïque même lorsqu’ils embrassent l’islam alors que les plus jeunes recherchent dans un islam ostentatoire un remède à leurs problèmes sociaux et identitaires. Caractéristique frappante : pas d’athéisme ou d’agnosticisme chez les détenus d’origine musulmane. Une des raisons en serait l’origine populaire des détenus (peu de facultés critiques). Dans la mesure où il est perçu comme rejeté par les nantis, l’islam fascine les marginaux. C’est aussi la seule religion monothéiste a être encore porteuse d’une utopie sociale (contredite dans la réalité par les sociétés musulmanes) : justice sociale, pureté des mœurs, certain égalitarisme, sens du salut dans l’au-delà. Autre « vertu » de l’islam : pas de clergé. La liberté est d’autant plus grande qu’il y a pénurie d’imams en Occident, ce qui n’est pas le cas dans les pays musulmans où le pouvoir impose une version de la foi et où l’on risque hérésie, exclusion, sanctions légales. Etrangement, c’est en Occident que l’islam est religion de liberté. Chapitre 2 Bricolage religieux Tous les degrés de religiosité coexistent et l’individu sélectionne dans un menu ses préférences concernant le jeûne, les prières, les interdits alimentaires, l’alcool, les relations sexuelles, etc. Chapitre 3 L’islam, code éthique ou « supplément d’âme » ? L’idéal d’une majorité est une vie bourgeoise et rangée loin de la drogue, du vol, de la violence et de l’argent facile, et cela sous l’égide de l’islam qui doit ainsi les pourvoir d’un code éthique. C’est l’islam (principe transcendant) qui seul peut faire respecter la vie collective. Certains se sentent innocents et victimes (la délinquance faute de pouvoir trouver un emploi, par exemple), d’autres coupables et ces derniers se promettent de changer. Pour d’autres, l’islam est une simple manière d’être qui fonctionne un peu comme la confession chez le catholique : il redonne bonne conscience beaucoup plus qu’il n’impose des normes rigoureuses dans les relations sociales. Injustice des hommes, justice de Dieu Si les malheurs palestiniens ou tchétchènes les touchent tant, c’est surtout qu’ils y perçoivent le miroir de leur propre douleur dans une France où ils se voient injustement traités. La souffrance devient autosuffisante. C’est la logique de la « haine ». L’absence de père (réelle ou symbolique) est souvent évoquée. « Le père a le sentiment d’être dépossédé de ce qui, selon lui, constitue les attributs de la paternité : l’autorité sur ses enfants et sur sa femme, le respect de son entourage et du quartier ; enfin, le chômage auquel s’ajoutent diverses formes d’humiliation dans une société où on lui rappelle constamment qu’il est arabe ». (dw : à noter aussi le fait que ces gens, en venant en Europe, ont aussi bien souvent pratiqué l’exode rural et se retrouvent dans des villes où les codes sont autres) Le sentiment de culpabilité : le destin, l’appel et le diable Le sentiment de culpabilité n’apparaît réellement que chez ceux qui sont fortement croyants. D’où vient que l’éthique laïque n’ait eu aucune prise sur eux ? A noter, à propos du remord, qu’il est parfois lié à une connaissance très imparfaite de ce qui est permis ou non dans l’islam. p 89 (note) : « Dans l’islam savant, entre les deux extrêmes de l’autorisé (halal) et de l’interdit (haram) s’insèrent, en fait, plusieurs degrés : ce dont l’utilisation ou non est indifférente (mubah), ce dont la non-utilisation est religieusement préférable sans que l’utilisation soit religieusement interdite (makrouh), ce dont l’utilisation est religieusement préférable à la non-utilisation sans que cette dernière soit interdite (mustahab), etc. Mais les détenus ignorent ces distinctions. » Le destin (mektoub : signifie « écrit ») ne permet pas de se décharger de ses fautes mais d’en alléger le poids. L’adhésion à l’islam, en prison, est parfois aussi un moyen d’intégrer un groupe de solidarité qui peut être utile pour garantir sa sécurité et maintenir son « honneur » face à d’autres détenus. Chapitre 4 Le projet de vie Il faut, en prison, garder une lueur d’espoir : un projet, même irréalisable. L’islam n’y a pas forcément un rôle, sinon pour ceux chez qui il sera un argument pour éviter la récidive. Chapitre 5 Le racisme Racisme dans la société et en prison (chez les surveillants surtout). L’islam peut servir à diriger l’agressivité en retour vers le Jugement dernier. Depuis les années 90, en France, des maghrébins deviennent surveillants et ont donc une autre vision. Ils dénoncent parfois le fait que c’est le racisme à l’extérieur qui les a repoussés vers ces emplois (un peu comme les Noirs à l’armée aux USA). Leur attitude à l’égard des jeunes des banlieues est diverse. Certains vont jusqu’à dénoncer un racisme de ces jeunes à l’égard des surveillants non maghrébins. Le racisme est à double sens. Les surveillants (le plus souvent d’origine rurale ou industrielle du Nord et de l’Est) ne sont pas préparés aux problèmes spécifiques des banlieues. Chapitre 6 Les choses qui fâchent Sujets de discussion, en prison, qui sont liés à l’islam : - la prière : tout ce qui tourne autour des tapis, des horaires. - le ramadan : rythme des repas, nature, fatigue durant le travail, manque de fête organisée à la fin. Le respect du ramadan est très large au début et faible à la fin. - la viande halal : le respect des prescriptions alimentaires apparaît ici comme une manière de compenser son ignorance des préceptes fondamentaux de l’islam. Les critiques sur la mauvaise qualité de la nourriture et son mauvais goût vont dans le même sens... p 136 : « (...) pour chaque détenu, la cuisine dispose d’un peu plus de 2,50 Euros par jour. Ce budget ne permet pas de s’écarter du menu établi tous les 6 mois à l’échelle de la Région qui fixe le contenu des plats, en accord avec l’Institut pasteur pour leur teneur en calories et en vitamines ». 2ÈME PARTIE : DIVERSES CATÉGORIES DE MUSULMANS Chapitre 1 : Les islamistes Pour certains, Ben Laden sauve les « Arabes » ou les « musulmans » de l’indignité en faisant subir aux Américains une part infime de ce qu’ils ont infligé. En prison, les autres détenus se méfient souvent des « barbus ». Chapitre 2 : Les perturbés mentaux 1/3 des malades mentaux seraient en prison plutôt qu’à l’hôpital. L’islam n’y échappe pas. mahboul = fou. Chapitre 3 : Les convertis Beaucoup de conversions en prison. C’est souvent une sorte de défi envers l’opinion majoritaire (islam, « religion des opprimés »). Mais les raisons de se convertir sont diverses malgré tout, politiques ou non, liées ou non au racisme (les noirs, par exemple, cherchant une solidarité antiBlancs). Chapitre 4 : Portraits de femmes 3,7% de femmes en prison (France, 2000) mais elles sont plus nombreuses à être impliquées (en 1995, 14% des personnes mises en cause par la police, 10% des condamnées et 4% effectivement incarcérées). Les femmes musulmanes sont 10 fois moins nombreuses en prison que dans la population (c’est l’inverse chez les hommes : 10 fois plus nombreux que dans la population). Chez les femmes également, il y a de fortes différences dans la manière de vivre la religion. A noter par exemple certaines musulmanes au comportement quasi masculin (refus des pleurs, délinquance dure, etc), non sur le plan sexuel mais uniquement pour échapper à leur situation d’infériorité. D’ordinaires, les détenues n’ont pas de remords vis-à-vis de la société mais souvent vis-à-vis des parents. La religion est rarement au premier plan des préoccupations au contraire de ce qui se passe chez les hommes, et le discours explicatif (sur les raisons de la délinquance) est souvent beaucoup plus élaboré. 3ÈME PARTIE : COMPRENDRE OU PUNIR ? Chapitre 1 : Le prosélytisme Le prosélytisme discret : prêcheurs de bonne parole, prêteurs de livres... Le prosélytisme apolitique et puritain : ne cherche pas à combattre la société mais à s’y ménager une place à l’abri des fureurs du monde. Très vivant dans les banlieues et en prison car touchant surtout ceux qui ont peu de perspectives réalistes d’insertion. L’appel des islamistes radicaux : en rupture avec la société donc en terrain fertile en prison. Même si les autres les craignent ou les évitent, ils forcent un certain respect. Chapitre 2 : La guerre des « ethnies » Distinction entre musulmans et non musulmans en prison. C’est une des caractéristiques des musulmans de 2ème et de 3ème génération de ne plus pouvoir fonder un NOUS sur la nationalité d’origine, ni sur la langue, d’où le recours à la religion. Mais il y a en plus le clivage - au sein des musulmans - entre ceux pour qui la religion est affaire strictement privée, et les autres. On peut aussi devenir musulman pour bénéficier de la protection d’un groupe. A la promenade, il est visible que les regroupements se font surtout par ethnies. Chapitre 3 : Maintenir la paix Pour maintenir la paix en prison, les surveillants concluent des sortes de contrats avec les plus forts : caïds, islamistes. Problème habituel : si on intervient trop fort pour mettre fin à la drogue, on peut s’attendre à des insubordinations et des révoltes. Si on fait l’inverse, la drogue et le caïdat prennent toute la place. Les imams sont très peu nombreux en prison ce qui fait souvent des islamistes des interlocuteurs « naturels ». Chapitre 4 : Malaise chez les surveillants Il y a un réel problème relationnel entre des surveillants venus souvent des anciennes régions industrielles (Nord et Est de la France) ou des départements ruraux, et les jeunes des banlieues, très impulsifs et agressifs, surtout en groupe. Or, ces jeunes sont devenus majoritaires en prison. De plus « la division étanche entre sphère privée et publique, et l’assignation de la religion au sein de la 1ère, est si profondément enracinée dans la culture française que sa transgression par les nouvelles générations d’origine maghrébine est perçue comme le signe du rejet de la citoyenneté française ». Les surveillants ont l’impression que non seulement « ces jeunes » sont grossiers, indisciplinés et arrogants, mais en plus anti-Français alors qu’ils jouissent des privilèges de cette nationalité. Les surveillants se construisent des carapaces contre cela : cynisme, dépression, violence. « On le sait bien, le métier de surveillant n’est pas, sauf exception, de ceux que l’on choisit par vocation. D’autres motivations priment : fonctionnariat, stabilité et perspectives de promotion grâce aux concours internes, retraite garantie, etc. la démultiplication des agents d’intervention externe éducateurs, assistantes sociales, enseignants, animateurs de stages - refoule, en outre, les « matons » dans le rôle peu envié de « gardiens » (...) ». « (...) le changement de statut du prisonnier joue aussi un rôle central. Le surveillant se sent désormais comme dépossédé de sa capacité d’agir sur le détenu : ce dernier se déplace au sein de l’établissement, se rend au dispensaire ou à la salle de sport, suit des cours ou des stages, consulte l’assistante sociale, reçoit la visite de son avocat - bref il n’est plus si aisément localisable et échappe en partie à l’emprise du surveillant (...) ». Le surveillants en arrivent à dire : « On nous demande de les considérer comme des êtres humains, mais les jeunes des cités, eux, ne nous considèrent pas comme des humains ». Le travail de surveillant use et a des répercussions sur la vie familiale. « Les rapports entre surveillants et détenus sont eux aussi complexes. En règle générale, ils ne se réduisent pas à un simple antagonisme ou à un rejet mutuel. La représentation que les surveillants se font des détenus oscille entre deux images : si une minorité estime avoir affaire à des individus dangereux qu’il faudrait enfermer, la majorité les considère comme des gens ordinaires que les hasards de la vie ont poussés à l’illégalité. Mais avec les banlieusards, cette division s’estompe au profit d’un large consensus les dépeignant, avec quelques nuances suivant les cas, comme tapageurs, instables, violents, sans scrupules et, surtout, incapables d’entendre raison. Et eux, que pensent-ils des surveillants ? L’image est moins homogène, mais domine, dans l’ensemble, l’image du « maton » violent et « bouffeur d’Arabes », surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001 ». « Mais la plupart des gardiens s’accordent sur un point : en milieu carcéral, le problème majeur, aujourd’hui, tient à l’arrivée massive des jeunes des banlieues et au sentiment d’impuissance et de dénuement qui saisit ces surveillants face à leur conduite. L’islam prosélyte et, avec lui, les formes nouvelles de violence et d’incivilité qui l’accompagnent parfois - figurent en seconde place parmi leurs inquiétudes et tendent à être perçus comme un effet plus ou moins induit par cet afflux de détenus d’un type nouveau ». Chapitre5 : Associations et assistantes sociales Le vide institutionnel islamique est immense en prison. Les associations d’aide aux détenus sont laïques ou chrétiennes. Chapitre 6 : La laïcité en conflit avec l’islam ? L’islam est devenu en France le véhicule majeur du défi à la laïcité. Plus que dans d’autres pays pour deux raisons : - on y trouve de 7 à 8% de musulmans contre 3 à 4% ailleurs. - la France est vraiment laïque ; c’est historiquement fondamental dans la mesure où il y a eu un conflit majeur avec la religion, central dans la formation de la conscience nationale. On dit souvent que les imams ne viennent pas en prison parce qu’ils s’y refusent. C’est rare. C’est surtout qu’on n’engage pas d’aumôniers musulmans. UN DÉFI EUROPÉEN « (...) une démarche européenne s’impose aujourd’hui pour gérer un phénomène qui, il y a encore quelques décennies, n’avait aucune raison d’être ».