Mélanges de la Casa de Velázquez Le sel d'Otavalo (Equateur): Continuités indigènes et ruptures coloniales Chantal Caillavet Citer ce document / Cite this document : Caillavet Chantal. Le sel d'Otavalo (Equateur): Continuités indigènes et ruptures coloniales. In: Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 15, 1979. pp. 329-363; doi : https://doi.org/10.3406/casa.1979.2302 https://www.persee.fr/doc/casa_0076-230x_1979_num_15_1_2302 Fichier pdf généré le 24/03/2019 Abstract From indian economy to colonial economy: salt exploitation in northern quito Abstract This article offers a discussion of the exploitation and distribution of salt through a case study of Las Salinas, a village of the Otavalan ethnic group (north of the Audiencia of Quito) in the sixteenth century. At the same time, it provides a perspective on the history of that village through the centuries. By an examination of a key product such as salt in an Indian society, it is possible to bring out the main features of its economic organisation, and the approach adopted by this society resembles those which are found in pre-colombian Perú and Colombia, the exploitation is carried out inside a multi-ethnic island, and distribution through a complex network of intra and inter-ethnic trade. In the sixteenth century, the ecology of Las Salinas, which is warmer than the rest of the Otavalan territory, along with its control of the «salted earth», made it a privileged village and the richest of the whole ethnic group. In the seventeenth century, there was a progressive disintegration: the Indian village disappeared, condemned by demographic decline and Spanish land seizure. Las Salinas was refounded in the eighteenth century, with a mixed population, basically black, and without any aboriginal Indians: salt exploitation was entirely in Spanish hands within a truly colonial system. In 1978 what still exists is the inheritance of that second foundation but the traditional exploitation is to be condemned in the short term, as it gives no profit in a liberal economy. Resumen De la economia indigena a la economia colonial: la explotación de sal al norte de quito Reseña Este articulo présenta algunos datos y reflexiones sobre el caso especifico de un pueblo de la etnia Otavalefïa, especializado en la explotación y distribución de sal en el siglo XVI, asl como sobre «el destino» de este pueblo a través de los siglos. Partiendo de un producto clave para la sociedad indfgena — la sal — résulta posible sacar a luz algunos elementos de su organization económica, y de la peculiaridad de la solución que adopta esta sociedad emparentada a la vez con aquellas que se observan en el Perú y la Colombia pre-hispânica: la explotación tiene lugar en una isla multiétnica y la distribución se realiza mediante una red compleja de intercambios intra e interétnicos. En el siglo XVI, la ecologfa particular de Las Salinas, situadas en tierras calientes mientras el resto del territorio otavalefto esta en tierras frias, asi como el control de la «tierra sal», las convierten en un pueblo privilegiado, el mâs rico de toda la etnia. Durante el siglo XVII, se asiste a su desapariciôn progresiva: la caida demográfica y la usurpation de tierras por los espaiioles condenan la existencia del pueblo indigena, el cual renace en el siglo XVIII con una poblaciôn heterogénea, principalmente negra, pero sin ningún indio autóctono; son los espanoles quienes, entonces, explotan la sal, dentro de un sistema plenamente colonial. En 1978, se puede ver todavia la herencia de aquella segunda fundaciôn, pero a corto plazo la explotaciôn tradicional se verâ condenada por no poder competir dentro de un sistema de economia liberal. LE SEL D'OTAVALO (EQUATEUR) CONTINUITES INDIGENES ET RUPTURES COLONIALES Par ChantalCAILLAVET Membre de la Section Scientifique Cet article présente quelques informations et réflexions sur l'exploitation et la distribution du sel au niveau d'un village spécialisé, Las Salinas, de l'ethnie Otavalo (nord de V Audiencia de Quito) au XVIe s. ainsi que des précisions sur le destin de ce village à travers les siècles. En partant d'un produit-clé pour la société indigène, tel que le sel, il est possible de découvrir certains éléments de son organisation économique, originale puisque apparentée à la fois à celles que l'on observe dans le Pérou et la Colombie pré-hispaniques: l'exploitation se faisant en îlot multi-ethnique, la distribution à travers un réseau d'échanges complexe, intra et interethniques. Au XVIe s., c'est l'écologie particulière de Las Salinas, situées en terres chaudes alors que le reste du territoire Otavalo est en terres froides, ainsi que le contrôle de la «terre à sel» qui en font une communauté privilégiée et la plus prospère de toute l'ethnie. Le XVIIe s. voit sa disparition progressive: chute démographique et accaparement des terres par les Espagnols, condamnent le village indien qui ne renaît qu'au XVIIIe s. avec une nouvelle population, hétérogène, sans indiens autochtones; l'exploitation du sel étant cette fois-ci aux mains des Espagnols, à l'intérieur d'un système pleinement colonial. En 1978, c'est l'héritage de cette deuxième fondation que l'on voit encore, mais l'exploitation traditionnelle est condamnée à court-terme car non rentable dans un système d'économie libérale. Aujourd'hui \ nous trouvons le village de Salinas, près de la rivière de Mira-Chota, au confluent des petits cours d'eau Chuspihuaycu, Cachiyacu (cf. cartes 1, 2, 3), à 1.600 m d'altitude, dans la vallée semi-désertique du Chota qui ouvre un passage profond dans la Cordillère occidentale des Andes Equatoriennes. Sa latitude (à peine 15' au nord de la ligne équatoriale) explique les hautes températures et le climat malsain de la vallée. Les informations concernant le XXe s. ont été recueillies lors de mon séjour en Equateur en juillet et août 1978, grâce à la gentillesse des habitants des Salines et celle toute particulière de Mme. Y. Hidalgo Silva (Otavalo). ^ ^ 0 80° J COLOMBIA / Quito ^ __ f m JGuoyoquil V ECU A DORV. E RU 79° ALTIMETRIA "J"2J DEMAS DE 2600 CE O3.000 300 1200 000 DE A 300 A4000m A 600 L200m 4m3.000 2.000 000 m m Carte 1: Nord de l'Equateur. Carte 2: La région d'Otavalo. Carte 3: Détail de la «Carte de la province de Quito» de Maldonado, 1750. (Provenance: A. G LE SEL D'OTAVALO Pi. I. — Les alentours de Salinas en 1978. PI. II- — Vestiges de l'exploitation saline. 333 334 CHANTAL CAILLA VËT Le géographe Acosta-Solis l'inclut dans le niveau climatologique «soustropical sous-andin» 1. Dans un milieu désertique —pas d'arbres, pas d'herbe — le village, tout petit, ne montre que quelques maisons et est entouré de grands tas de terre, vestiges de l'exploitation saline; il semble perdu au milieu des plantations de canne à sucre, et des pâturages destinés à l'élevage de bovins appartenant aux grandes propriétés privées qui accaparent les terres et l'eau jusqu'à l'orée du village. (Cf. pis. I, II et III). % PI. III. — Le village de Salinas en 1978. Comme dans toute la vallée du Chota, la population est principalement de race noire et travaille dans les haciendas. Il reste seulement deux exploitants de sel. L'ethnie Otavalo n'y est pas représentée. Ce qui fait la particularité de cette exploitation, c'est qu'il ne s'agit ni de sel marin bien sûr, ni de sel gemme, mais d'un sel imprégnant les terres de la vallée et l'eau des rivières (cf. Cachigacu en quechua: eau salée). Aujourd'hui, selon les témoignages recueillis sur place, les fabricants de sel vont chercher la terre un peu plus loin hors village, à Los Palenques et 1 M. Acosta-Solis. Ecologia y Fitoecologia, Casa de la Cultura Ecuatoriana, Quito, 1977, 422 p.; p. 331. LE SEL D'OTAVALO 335 PL IV. — Les hottes de bois et peau utilisées aujourd'hui. Carrillo 1 et la rapportent dans des hottes (serones) très rustiques (cf. pi. IV). La terre salée est déversée dans des lavoirs (lavaderos), (cf. pis. V et VI) couverte d'eau qui à son passage dissout le sel et est recueillie ensuite. De cette eau saumâtre, le sel sera tiré par «cuisson». Dans des cabanes (cocinas) réservées à cet usage (cf. pis. VII, VIII et IX), l'eau salée bout dans des récipients de fer placés sur des feux de bois, jusqu'à complète evaporation. (Il s'agit du bois d'espino poussant dans la vallée du Chota) (cf. pi. X) 2. Reste une bouillie de sel jaunâtre ou grisâtre selon la provenance de la terre, que l'on façonne à la main en boules ovales, et qui finissent de sécher, posées sur les cendres chaudes (cf. pis. XI et XII). La production de sel est ensuite achetée par une commerçante de Ne figuient pas sur les cartes de l'Instituto Geogrâfico Militar, mais cf. in A. Costales-Samaniego. «Estudios de Antropologia Social de los grupos: Indigena del Chimborazo, Marginal negro Chota y Esmeraldas». Anales, t. LXXX, VII, Universidad Central, Quito, 1958; p. 163. Il donne comme «concentiations noires» des paroisses de Salinas: Santa Rosa, San Juan, Palenques. Carrillos, El Salado, San Jorge. M. Acosta-Solis, op. cit., p. 352: «Espinos o algarrobos (Acacia pellacantha)». 336 CHANTAL CAILLA VET PI. V. — Lavoirs à terre. PI. VI. — Lavoirs à terre. LE SEL D'OTAVALO PI. VII. — Une «cocina» à Salinas. PI. VIII. — Une exploitation saline: tene à sel; lavoirs; «cocina». 22. — Mélanges. 337 338 CHANTAL CAILLA VET PI. IX. — Une «cocina». passage («La Aurora»), qui en fait le ramassage. On le retrouve sur le marché d'Otavalo, le jour de la feria hebdomadaire, sur quelques étalsges. Les boules de ce sel de terre, appelé aujourd'hui jorma-cachi en quechua, ou sal de horma, sal debola, côtoient sur le marché indien le murucachi (sel en grains), cristaux de sel marin jaunes ou blancs selon le degré de lavage (cf. pi. XIII). L'agonie actuelle de l'exploitation saline, l'apparence désolée du village ne laissent guère imaginer une splendeur passée. Or, les documents d'archives révèlent que Las Salinas est au XVIe s. un village très prospère, le plus riche de tout le repartimiento d'Otavalo. Celui-ci, donné en encomienda en 1548 au Capitaine Rodrigo de Salazar, en récompense de sa fidélité à la Couronne lors des guerres civiles du Pérou, constitue un cadeau de choix x: il rapporte au moins 10.000 pesos par an 2 et passe pour l'un des plus riches de VAudiencia de Quito 3, grâce à l'abondance et la prospérité de sa population indigène qui tire profit d'une contrée au climat et à la fertilité exceptionnels. D'après des éléments de 1577 qui laissent entrevoir la réalité indienne lorsque les éléments acculturateurs et perturbateurs apportés par les A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 151 r/v. R. G. I. BAE, t. 184, p. 183 a. R. G. I. BAE, t. 184, p. 172 a. PI. X. — Quelques «espinos» aux alentours du village. PI. XI. — «Cuisson» de l'eau salée. PI. XII. — Séchage des boules de sel. PI. XIII. — Boules de sel de terre et sachets de sel marin sur le marché d'Otavalo. LE SEL D'OTAVALO 341 Espagnols sont encore minimes dans YAudiencia de Quito, que peut-on dire du fonctionnement et du rôle des premières salines au tout début de la colonisation? I. PRODUCTION ET ECHANGE DANS LE MONDE INDIEN DU XVIe S. Les deux sortes d'informations que nous possédons pour le XVIe s. concernent d'une part les «frutos naturales e yndustriales» des Salines, et d'autre part, son peuplement mixte: indiens autochtones: «otavalos» et indiens «étrangers» x. En nous éclairant sur les ressources et sur les exploitants de ces ressources, elles permettent de suivre la chaîne du travail humain et d'en saisir l'organisation au sein de l'ethnie d'Otavalo; enfin elles dévoilent les liens économiques et donc politiques l'unissant à d'autres ethnies. A. Ecologie et ressources de Las Salinas. Ecoutons les déclarations des témoins espagnols et indiens lors de l'enquête instruite par YAudiencia de Quito en 1577 2. Las Salinas produisent du sel en abondance, du coton, de Yaji (piment) un peu de coca, exclusivement des produits de grande valeur 3 et les indiens des Salines passent pour très riches, les plus prospères de toute l'ethnie, à cause des rescates * qu'ils font de leurs produits. — L'Espagnol Hernân Gômez: «los indios de Las Salinas son diferentes de los otros del dicho asiento de Otavalo porque tienen mucha sal y algodon y coca de que hazen gran rescate e aunque en los demas pueblos de Otavalo ay algodon e alguna cosa (sic) (pour coca) es poco todo en comparacion de la de Las Salinas...». 1 2 3 4 A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 27 r. A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 610r-767r: «Ynformaciones y diligencias sobre los frutos naturales o yndustiiales del repartimiento de Otavalo». F. Salomon, Ethnie Lords of Quito in the age of the Incas: the political economy of North-Andean chiefdoms. Thèse Cornell University. 1978. 350 p. A paraître; il remarque que les productions associées de coton, ajl et sel, délimitent un seul et même ensemble économique: p. 122, le cas des Yumbos; p. 281: celui des Puruhaes. Faute de fouilles archéologiques et de références d'archives, on ne peut que supposer l'existence d'un système d'inigation pré-hispanique qui devait être nécessaire aux cultures de la région de Las Salinas. Terme difficile à traduire: «négoce», dont les modalités ne correspondent pas exactement à ce que suggère le terme européen. Remarquons que rescate n'est pas utilisé en Espagne, au XVIe s., dans cette acception de «commerce de marchandises»: il est donc appliqué par les Espagnols à une réalité indienne originale et sans équivalence en Espagne. 342 CHANTAL CAILLA VET — L'indien «Juan Pichi Ynta natural de Guayllabamba»: «en las salinas se coge mucha sal e algodon y son mas ricos los yndios que los demas pueblos». — L'indien «D. Rodrigo Moenango, principal de Tontaqui»: «en las salinas... se coge sal e algodon y alguna coca que todo vale dinero y es mejor que los demas pueblos». — L'indien «D. Antonio Arraguaqui... de Las Salinas»: «save que todos los frutos del partido de Otavalo son unos e de una misma manera e lo que ay en un pueblo ay en el otro o a lo menos es muy poca diferencia que se tienen eseto este pueblo de las Salinas que es diferente de los otros porque tiene mucha sal y algodon que es un trato rezio e de mucha importancia». — L'Espagnol Juan Cisneros de Reynoso (qui fut Gorregidor): «Los de Las Salinas hazen sal e cogen algodon y aji que es el principal trato de toda la tierra *.» Les témoignages sont nombreux et formels 2, et la tasa de 1579 du repartimiento d'Otavalo en apporte une nouvelle preuve: les indiens de Las Salinas sont les plus lourdement imposés de toute l'encomienda: par tributaire, 2 pesos au lieu de 1,5; une arrobe de sel au lieu de 1/2 fanègue de maïs, 1/2 de blé et 2 poules (valeur équivalente); 1 manta de coton comme les autres mais eux doivent fournir la matière première «atento a que ellos lo tienen de su cosecha y tienen mayores aprovechamientos que los indios destos dichos otros pueblos» 3. Les indiens eux-mêmes, quand il leur est demandé d'évaluer ce qu'ils pourraient payer comme tribut, font une distinction entre les indiens de l'ensemble du repartimiento d'Otavalo et ceux de Las Salinas et concèdent que ces derniers peuvent payer le double «atento al algodon e sal que tienen» *. Il est évident que Las Salinas puise sa prospérité de l'originalité de ses ressources directement dépendantes de l'écologie équatorienne. La combi- 1 2 8 4 A. G. I. Càmara, 922 A, Pieza 3a, f. 730v, 679v, 635r, 760v, 611r/v. Cf. aussi A. G. I. Càmaia, 922 A, pieza 3a, f. 764 v, 614v, 736r. 617v, 613v, 734v, 626v, 620r/v. A. G. I. Câmara 922 A, pieza 2a, f. 8r. A. G. I. Câmara, pieza 3a, f. 613v: «D. Juan Antango... de las Salinas»; f. 616v: «Fernando Quincha... de Tontaqui»; f. 615r: «Pedro Cuxilango... de las Salinas»; f. 612v: «Don Antonio Arraguaqui... de Las Salinas». LE SEL D'OTAVALO 343 naison de la latitude de la région d'Otavalo — à peine au nord de la ligne équatoriale — et du relief (comprenant cordillère occidentale des Andes, bassins interandins; piémont occidental et vallées profondes) explique qu'à la moindre variation d'altitude correspondent des conditions climatologiques et écologiques différentes. L'extrême variété qu'offre le milieu à des courtes distances est une particularité équatorienne qui détermine de ce fait une organisation économique originale adaptée à ces conditions écologiques pour en tirer parti le mieux possible. .Le repartimiento d'Otavalo comprend des terres froides, tempérées et chaudes et les indiens d'une même ethnie ont accès à des produits très variés et complémentaires: «La provincia de Otavalo lo mas délia es tierra templada; tocan los 4 pueblos délia algo mas en frio que en templado,,y el uno, que es Inta, esta en montafia y es calidisimo y humedo y enfermo. Los otros dos pueblos, llamados Urcoqui y Las Salinas es tierra templadisima y tocan algo en caliente, especialmente Las Salinas. Son humedos y enfermos. Los otros 4 pueblos son de temple algo frio y seco y es tierra muy sana1.» «Los indios de Otavalo... alcanzan tierra caliente templada ny fria» (sic) (pour y fria?) 2. L'accès à des terres chaudes est ressenti comme un privilège: «en el dicho partido de Otavalo y sus pueblos ...e en las tierras calientes se coge algodon e coca e unos (pueblos) la alcanzan y otros no... 8». Les salines, les terres chaudes, moyens de production précieux et exceptionnels font de Las Salinas un objet de convoitise et de rivalité; leur contrôle ou leur «possession» implique la nécessité de liens et d'alliances politiques entre les différents groupes utilisateurs, de manière à en garantir l'accès dans un système fonctionnant de façon efficace et harmonieuse. Ce qui ne signifie pas un modèle statique et définitif mais plus probablement mou\ant et sujet aux variations de pouvoir et d'influence des différents groupes, les affrontements ou coalitions entre «chefferies» semblant courants. En 1577, les utilisateurs de ressources de Las Salinas sont de deux types: les indiens tributaires — 15 seulement — appartenant au groupe Otavalo et les forasteros Pastos (originaires du Sud de la Colombie actuelle) et autres étrangers *. 1 2 3 * R. de A. A. A. G. L, BAE, t. 184, p. 234b: «Relaciôn y description de los pueblos del partido Otavalo». G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 170r: tasa de 1562. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 738r. G. I. Câmaia 922 A, pieza 3a, f. 27 r. 344 B. CHANTAL CAILLAVET Les indiens autochtones. Las Salinas sont aux mains d'indiens Otavalos x; l'accès aux produits des salines et leur distribution sont conditionnés par l'écologie particulière du repartimiento d'Otavalo. Nul besoin de détachements lointains de colons exploitants, allant des terres froides aux terres chaudes, comme dans le modèle d'exploitation «verticale» à plusieurs jours de marche d'une llajta à son «île» dans les Andes du Sud 2. Il s'agit ici de la «micro verticalité» dont parle Oberem 8 puisque les divers niveaux écologiques sont très proches les uns des autres et réunis dans un territoire restreint contrôlé par un seul groupe ethnique; et non pas dispersés et imbriqués dans les territoires d' autres ethnies. On peut donc penser à deux autres types de mise en valeur: — soit une spécialisation par communauté — imposée par les conditions écologiques — de la production et un système d'échanges et de réciprocité à l'intérieur de la même ethnie 4; — soit une exploitation tournante des ressources: chacune des communautés de l'ethnie Otavalo ayant droit à envoyer des exploitants temporaires de la ressource qui lui ferait défaut dans une autre communauté de la même ethnie, et lui assurant en contre-partie le même privilège: système de la complémentarité, où les caciques jouent alors un rôle important dans les relations de communauté à communauté. Dans le cas précis du repartimiento d'Otavalo, un recensement quoique postérieur (1665) semble abonder dans ce sens: la llajta de Cotacache possède un groupe de 8 salineros et leurs familles en plus des 52 tributaires et leurs familles 8. Il ne peut s'agir que d'exploitants du sel de Las Salinas mais on ignore s'ils y consacrent tout leur temps ou s'ils travaillent par roulement comme mitayos. Mais on ne peut pour autant généraliser ce système et l'étendre aux autres communautés d'Otavalo, d'autant plus qu'à une date R. G. I. BAE, t. 184, p. 207a: La cibdad de Sant Francisco de Quito, 1573: «en los términos del pueblo de Mira hay unas fuentes de agua salada, questan quince léguas de la dicha ciudad, las cuales benefician unos indios subjetos a un capitàn de don Luis Ango, cacique de Otavalo, encomendado en el capitén Rodrigo de Salazar». J. V. Murra. «El control vertical de un mâximo de pisos ecolôgicos en la economfa de las sociedades andinas», Formaciones econômicas y pollticas del mundo andino. IEP. Lima, 1975, p. 59-115; p. 62. U. Oberem. «El acceso a recursos naturales de diferentes ecologlas en la Sierra ecuatoiiana: siglo XVI «Actes du XLIIe Congrès des Américanisles. Paris, sept. 1976, vol. IV, p. 51-64. M. Rostworowski de Dfez Canseco. «Pescadores, artesanos y mercaderes costenos en el Perû prehispânico», Etnla y sociedad Costa Peruana prehispânica, IEP, Lima, 1977, p. 211-271. I. O. A. EP/J, 1» 1630-1799, 26 f. f. 151r. LE SEL D'OTAVALO 345 aussi tardive, la colonisation a eu largement le loisir de modifier le système pré-hispanique. Ces deux types d'exploitations ne sont probablement pas incompatibles. En effet, si Ton prend comme point de départ du raisonnement la capacité de production des salines, on peut admettre que le premier élément: la matière première (c'est-à-dire la terre à sel) est pratiquement inépuisable (encore riche au XXe s.); quand au deuxième élément (nécessaire à la production) la force de travail, nous sommes amenés à nous poser la question: de quelle main-d'oeuvre dispose Las Salinas? — La tasa nous dit 15 tributaires. Du point de vue espagnol, dans l'optique du tribut, il s'agit de 15 travailleurs, donc d'un groupe de personnes (70-75) qui représentent aussi une force de travail mais difficilement évaluable (vieillards, indiens reservados, femmes et enfants) — 15 travailleurs suffiraient- ils à produire pour alimenter en sel le repartimiento d'Otavalo? Les indiens d'Otavalo dépendent de la production de Las Salinas, car les salines ensuite les plus proches sont contrôlées par d'autres groupes ethniques 1. Remarquons aussi que le sel n'est sans doute pas consommé en énormes quantités même s'il est indispensable aux indiens: «por ser la sal el temple que para el aji tienen que es todo su mantenimiento y comida» 2; mais le sel reste un produit de luxe, de grande valeur, lié au rituel 3. Les 15 tributaires de Las Salinas semblent remplir trois tâches: ils ont à fournir un tribut de 60 arrobes de sel, travaillent aussi aux champs de coton, aji, coca... et produisent enfin un excédent de sel qui occupe une place importante dans les rescates qui font la prospérité des indiens de Las Salinas: «Los yndios del pueblo de Las Salinas tienen mas que estos porque alli se da mucha sal e algodon y coca e tiene muchas grangerias porque acuden alli Otavalo y sus comarcas a hazer rescate»... «los rescates que alli hordinariamente y de contorno se hazen» 4. 1. Il y a donc bien échanges par rescates à l'intérieur de l'ethnie Otavalo: «los yndios del pueblo de Las Salinas podrian pagar mas que esto por el trato que entre ellos tienen de la dicha sal e algodon»5. 1 2 3 4 5 L'utilisation étant principalement alimentaire, faute de mines; un seul obraje existe alors, à ses débuts. V. D. J. Caja 40, envio 25 B. Doc. 37; fin du XVI* s. R. G. I. BAE, t. 184, p. 250b: en 1582, sel et aji ont des pouvoirs magiques et sont frappés d'interdit dans certaines circonstances: p. 264a. 1578: «Gaspar de Bamaslos». A. G. I. Càmara 922 A, pieza 3a, f. 764 v. 1578: «Francisco Ynbago, indio de Saranze» A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a. f. 667v. 346 CHANTAL CAILLAVET Une fois obtenus ces produits particuliers, les indiens du commun de toute l'ethnie Otavalo et non pas seulement de Las Salinas vont à Quito et autres marchés pour échanger leurs produits et suivre la chaîne qui les mènera jusqu'à l'obtention de l'or exigé par le tribut, mais dont ils ne possèdent pas de mines dans leur territoire 1: «los yndios rescatan en Quito y en otras partes e tienen oro de lo corriente que lo an de los dichos rescates con que pagan el tributo» 2. Dans ce réseau d'échanges et de marchés, Las Salinas semble une plaque tournante; l'offre en sel et produits de terres chaudes en faisant un marché très prisé et très fréquenté, apparemment de tradition pré-hispanique, ce que donne à croire sa périodicité non hebdomadaire: «en el pueblo de Las Salinas tienen plata et aven de hazei tiangues e mercado de onze en onze dias donde se junta muchas gentes de di versas partes e tienen muchas granxerias con ellos» 3. 2. Ce marché de Las Salinas est aussi un point de rencontre et de contact avec d'autres ethnies: proximité avec un marché, celui de la vallée du Chota/Coangue: Pimampiro 4, où les échanges ont lieu aussi avec les indiens Pastos (sud de la Colombie actuelle), sans doute avec les indiens de Chapi'de la Montana (au pied de la Cordillera de Los Quijos) qui euxmêmes commercent avec les Quixos, le sel passant de main en main 5. Le sel est acheté non seulement par les indiens de la région d'Otavalo, mais aussi par les indiens non conquis à l'Ouest des Andes, vers le Pacifique, que l'on peut identifier comme indiens de Lita: «que se la (la sal) van a mercar de todos los pueblos desta comarca, y también vienen a mercalla los indios infieles que no estan conquistados y viven en tierras cerca destos pueblos deste corregimiento» 6. «...en lo que toca al trato que los indios (Lita) tienen, digo que no tienen otro trato alguno sino rescatar con maiz y papas y yuyos alguna sal para corner y algodon para pagar el tributo» 7. 1 2 3 4 5 8 7 A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 102r. Le témoignage du cacique gouverneur d'Otavalo: «Preguntado si hay minas de oro en este partido de Otavalo o serca dixo que no las ay sino en Popayan que es muy lexos de Otavalo». 1578: «Hernân Gômez». A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 730v. 1578: «Miguel de Cantos, corregidor del partido de Otavalo», A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 749r. R. G. I. BAE, t. 184, p. 248-253. «Relation en suma de la doctrina e beneficio de Pimampiro...». R. G. I. BAE, t. 184, p. 248b: «Tienen estos indios de la montaîia contrataciôn con los indios de guerra (=los Quijos) y resgatan los unos con los otros. Los indios de guerra tiaen muchas veces muchachos y muchachas a vender a trueque de mantas y sal y perros.» R. G. I. BAE, t. 184: «Relation y description de los pueblos del partido de Otavalo», p. 240a. R. G. I. BAE, t. 184: «Relation hecha por... Fray Andres Rodriguez... de lo que en este pueblo de Lita hay, 1582, p. 244a. LE SEL D'OTAVALO 347 Enfin, le sel est un des produits de luxe échangé par les mindalaes marchands indiens spécialisés, qui se déplacent sur les territoires de plusieurs ethnies et que l'on trouve depuis les Sichos (au Sud de Quito) jusque chez les Pastos, en Colombie 1. Les indiens d'Otavalo semblent en fournir un bon contingent: activité qui explique aussi la prospérité du groupe ethnique ainsi que son importance politique à l'époque pré-hispanique, les mindalaes ayant aussi un rôle diplomatique. «Los yndios del dicho asiento d'Otavalo son myndalaeses (sic) rescatan con coca e sal e otras cosas...»; «...ay entre ellos muchos indios mercaderes que tratan en coca y en sal y mantas y otras cosas...» «algunos yndios ay myndalaes que vienen a esta cibdad ( = Quito) y van a la provincia de los pastos a los tiangues a rescatar y estos myndalaes estan ricos porque llevan algodon e coca e mantas de una parte a otra» 2. Les échanges commerciaux ne constituent pas le seul type de relations interethniques. En effet, Las Salinas abritent aussi des exploitants de sel non originaires d'Otavalo. C. Les indiens étrangers. Le cacique de Las Salinas évoque les forasteros résidant à Las Salinas 3. Cette information date de 1577, et les mouvements de population dûs aux bouleversements provoqués par l'arrivée des conquérants et à la mise en place du système colonial, ont pu être nombreux, je pense néanmoins qu'il ne s'agit pas ici d'indiens forasteros ayant fui leur communauté d'origine, mais de survivants ou continuateurs du système pré-hispanique des camayos i. Avant de garantir, dans ce cas là, l'équivalence des deux termes, rappelons les témoignages connus: le système est précisément décrit par le Père Antonio Borja pour Pimampiro 5. Ces camayos semblent rattachés à leur groupe ethnique d'origine, comme colons exploitants de denrées particulières. A Las Salinas, les Pastos-originaires de terres froides-viennent donc exploiter des produits de terres chaudes, ainsi que du sel auquel ils n'ont peut-être pas tous accès. (La taxation des Pastos de 1559 —document de l'A. G. I., Audiencia de Quito, 60 — inclut cependant un tribut en sel. 1 2 3 4 6 Salomon: op. cit., p. 150-156. A. G. I. Càmara, pieza 3a, f. 727v: «Juan Sanchez»; f. 730v: «Hernân Gômez», ï. 761r: «Juan Cisneros de Reynoso». A. G. I. Càmora 922 A, pieza 3», f. 27 r. F. Salomon: (op. cit., p. 305) les considère comme non incaïques. R. G. I. BAE, t, 184, p. 252a: «en el valle de Coangue». «Hay 80 indios Pastos que son como naturales; éstos son camayos, que dicen que son como mayordomos de los duefios de las rozas de coca, y estànse con estos naturales porque les dan tierras en que siembren, y asf estân ya como naturales». Cf. aussi: R. G. I., BAE, t. 184, p. 256a: le corregimiento de Chimbo. 348 CHANTAL CAILLAVET Les Pastos l'obtiennent-ils sur place? Ou bien se le procurent ils à Las Salinas?). Una source un peu tardive —1612 — 1 assimile les deux termes pour le repartimiento d'Otavalo: «los forasteros que Uaman camayos». Mais quel contenu accorder à un terme quechua danz une zone très tardivement conquise par les Incas?; n'a-t-il pas été diffusé par les Espagnols et décrit-il une pratique pré-hispanique; incaique ou locale, ou coloniale? La présence à Las Salinas, d'indiens exploitant le sel, provenant de toute la «province» de Quito, est attestée par les RGI: «hay 18 léguas desta ciudad ( = Quito) en la sierra unas salinas donde los indios labran y se hace sal que es la principal para el sustento de los naturales desta tierra, y todos los pueblos de esta provincia tienen alli repartido a cada uno su parte puestos indios en la labor délia» 2. Le cacique de Las Salinas précise que ces forasteros sont des indiens Pastos et autres ethnies qu'il ne nomme pas; leur nombre non plus n'est pas donné. Ils paient au cacique de Las Salinas une redevance de 2 pesos ainsi qu'une quantité de sel comme prix de leur présence 3. On voit donc qu'ils exploitent le sel, peut-être aussi les autres produits de terres chaudes, et qu'ils participent aux échanges des marchés locaux, les salines étant souvent un lieu d'exploitation multiethnique 4. Mais ces Pastos conservent-ils à l'époque coloniale, des liens étroits avec leur llajta d'origine (échange de sel et autres denrées contre de l'or?) Ou bien deviennent-ils des forasteros résidants permanents à Las Salinas, ayant émigré de leur terre d'origine? Le cacique révèle que les indiens de Las Salinas tirent aussi une part de leur richesse de cette ressource supplémentaire qu'est le «loyer» versé par les Pastos et autres: la différence sensible de tribut exigé aux indiens de Las Salinas laisse supposer que leurs revenus sont importants; il y a donc probablement un bon nombre de forasteros qui fourniraient ainsi une partie de la main-d'oeuvre nécessaire à la production de sel (cf. p. 345). Enfin, le témoignage du cacique, quoique peu clair, dévoile un autre aspect du statut 1612: visite du licenciado Diego Zorrilla in Herrera, Monografta del Canton Otavalo, 1907, p. 41. R. G. I. BAE, t. 184, p. 177b: «Relation de la provincia de Quito..., 1576. A. G. I. Càmara 922 A, pieza 3a, f. 27r: «Preguntado que mas cobra de los dichos yndios que lleva su encomendero este testigo cobra y a cobrado de los yndios Pastos que residen en las salinas o de otros forasteros algun oro o plata u otras cosas por dexarlos estar en el dicho pueblo dixo que los dichos yndios Pastos y otros forasteros le pagan a este testigo (=el cacique) cada tributario dos pesos y sal que no sabe quanta es por dexallos estar en el dicho pueblo e que también cobra su encomendero y este testigo también le paga cada 6 meses 10 pesos del dicho oro de tributo.» F. Salomon, op. cit., p. 238. LE SEL D'OTAVALO 349 des fprasteros *: outre les 2 pesos versés au cacique, à quel encomendero les Pastos versent-ils une redevance, versée également par le cacique de Las Salinas? 1. S'agit-il d'un encomendero de Pasto dont dépendent les indiens étrangers? Mais pourquoi, Don Juan, cacique de Las Salinas lui verserait-il cette somme? Pour compenser ce qu'il reçoit des forasterosi 2. S'agit-il de Y encomendero d'Otavalo qui profite doublement de cette rentrée exceptionnelle, auprès des forasteros, par tribut interposé, et auprès de son «vassal», le cacique de Las Salinas, en touchant un pourcentage? La première hypothèse qui maintient la dépendance du détachement des Pastos à leur terre d'origine, me semble plus cohérente et dans la logique du système de Vencomienda, adapté alors à une réalité particulière, la présence de camayos en territoire étranger. Les systèmes de production et distribution du sel sont donc variés et différents selon que le sel est destiné à l'ethnie qui contrôle les salines (Otavalo), ou à d'autres ethnies pour lesquelles se combinent commerce par mindalaes et exploitation par camayos. Au début de l'époque coloniale, ces deux stratégies, opposées sinon incompatibles, semblent coexister. Y-a-t-il eu déjà déformation sous l'influence espagnole? Ou est-ce l'héritage mêlé des cultures pré-hispaniques sous-jacentes: traditions locales, traditions incaïques? Une reconstitution très précise du réseau d'échanges et de loutes ses composantes permettrait de mesurer la complémentarité et la dépendance économique des ethnies du Nord de l'Equateur et du Sud de la Colombie et expliquerait le choix de tel ou tel système politique intégrant ces données. Il est évident que des alliances entre différents groupes ethniques sont indispensables pour permettre des échanges aussi actifs, qu'il s'agisse du commerce des denrées, du détachement de colons ou du déplacement des marchands spécialisés hors de leur terre d'origine; le rôle des chefs locaux des divers groupes ethniques ainsi en contact, consistant à assurer cer équilibre politique. Quatre siècles plus tard, on constate d'une part la disparition de la population indienne au profit d'une population noire due à la colonisation, et d'autre part la survivance de l'exploitation du sel: rupture et continuité à la fois. Que peut-on découvrir des avatars du village de Salinas au cours de ces 400 ans? A. G. I. Càmara 922 A, pieza 3a, f. 27r.: «Preguntado que mas cobra de los dichos yndios que lleva su encomendero este testigo cobra y a cobrado de los yndios Pastos que residen en las salinas o de otros forasteros algun oro o plata u otras cosas por dexarlos estar en el dicho pueblo dixo que los dichos yndios Pastos y otros foiasteros le pagan a este testigo (=el cacique) cada tributario dos pesos y sal que no sabe quanta es por dexallos estai en el dicho pueblo e que tambien cobra su encomendero y este testigo tambien le paga cada 6 meses 10 pesos del dicho oro de tributo.» 350 CHANTAL CAILLAVET II. TRANSFORMATIONS DU VILLAGE DU XVI* AU XX« S. A. Localisation du site. Faute de fouilles archéologiques, que peut-on, savoir des Salinas à l'époque pré-hispanique? Y avait-il un village établi, fixé? Le seul nom que nous connaissons «Santa Catalina de las Salinas» est espagnol l. Un témoin espagnol 2 se souvient avoir connu la région d'Otavalo «a veinte y quatro y agora veinte y dos y agora veinte afios», donc au plus tôt dans les années 1555 lorsque le peuplement était dispersé, du moins en ce qui concerne les «yndios apartados como es... Las Salinas... que no estavan los yndios poblados como agora sino muy apartados en las quebradas e serros». En 1564, le Corregidor de Quito, Salazar de Villasante, veut faire appliquer l'ordre royal de peuplement des indigènes en villages, se heurtant à des difficultés dans la «provincia de Otavalo e carangue e myra... por ser la gente indomyta» 3. Les indiens de Las Salinas appartiennent au repartimiento d'Otavalo et ne sont pas loin de Mira, donc apparemment encore non «réduits»; probablement vivant en habitat dispersé autour des Salines au moins jusqu'aux reducciones ordonnées en 1570 par le vice-roi Toledo et cette fois-ci très sévèrement appliquées. Je suggère que les indiens qui exploitaient la terre à sel vivaient sur les hauteurs, dans un milieu moins malsain. Peut-être à Tumbabiro très proche, mais situé à 2.100 m (village actuel). A remarquer le témoignage du Gorregidor d'Otavalo en 1582: «Las Salinas, que por otro nombre se llama Tumbabiro» 4. Mais y-avait-il déjà eu «réduction»?, comme dans le cas de Pimampiro, où la division —village sur les hauteurs, exploitation des ressources en contrebas dans les terres chaudes— semble ordonnée par l'Audiencia de Quito 5. Un document de 1750 6 précise que l'emplacement du village diffère, à cette époque, de l'ancien: «consta ser citio separado del antiguo en que estubo dicho pueblo... (ce qui correspond à la localisation du XXe s.)... donde haze una quebradita de alguna agua salada que va a dar al rio grande de Mira, y por la parte de abajo con el mismo rio de Mira y por lado con el rio salado que pasa por tras la plaza» 7. 1 2 3 4 5 6 7 A. G. I. Càmara 922 A, pieza 3.a, f. 25r: «Las Salinas que por otro nombre se llama Santa Catalina». Le Corregidor, Miguel de Cantos, 1578, A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 137r. A. G. I. Justicia 682, f. 824r. R. G. L, BAE, t. 184, p. 233a. R. G. L, BAE, t. 184, p. 248a. A. G. I. Audiencia de Quito, 374, f. 57v. Réféience tiès gentiment signalée par Berta Ares. A. G. I. Audiencia de Quito, 374, f. 5v. LE SEL D'OTAVALO 351 Le sel demeurant la ressource essentielle des habitants de Salinas, la deuxième implantation ne pouvait êtie très loin de la première, puisque nécessairement située sur les terres à sel ou à proximité. B. Démographie. Si l'on ne sait rien de la population de «Las Salinas» avant sa «réduction», si ce n'est qu'elle était bien sûr exclusivement indigène (les indiens de Las Salinas étant donnés en encomienda à Rodrigo de Salazar, comme indiens d'Otavalo), la mise en place du système colonial, avec ses recensements et taxations nous fournit des précisions: le cacique de Las Salinas en 1577 donne le chiffre de 15 indiens tributaires et leurs familles, donc Otavalos et fait allusion à une population résidente d'indiens forasteros, en partie constituée par les indiens Pastos *. Nombre peu important si l'on se souvient que le repartimiento d'Otavalo a la réputation d'être très peuplé. Le recensement de 1579 des fonctionnaires Ortegôn et Auncibay, qui fournit un élément de comparaison, donne un chiffre de tributaires dépassant 2.200 pour l'ensemble du repartimiento 2. Y a-t-il déjà eu chute démographique, affectant plus particulièrement Las Salinas? C'est ce que semblent indiquer les témoignages suivants: celui du padre guardian d'Otavalo (1578) (rapporté par Vencomendero Salazar qui a donc intérêt à minimiser le nombre des morts pour que le tribut imposé ne soit pas diminué): «...que se avian muerto algunos yndios en Las Salinas mas que en Saranze y Otavalo e Tontaqui que avia muchos yndios mas que otras vezes»3; celui d'un espagnol résidant dans le repartimiento d'Otavalo: «...que los pueblos de los asientos de yndios de Orcuqui i Anburo e Las Salinas se avian muerto yndios despues de la conmutaciôn del tributo»(1565)4. Remarquons qu'il s'agit de trois habitats de terres chaudes, sans doute plus touchés par les épidémies apportées par les Espagnols et qui ravagent la population indienne 6. 1 2 3 4 6 A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3», f. 27 r. A. G. I. Câmaia 922 A, pieza 2a, f. 9r. A. G. I. Câmaia 922 A, pieza 3a, f. 178v. A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3a, f. 63r. Un témoignage, en 1582, de la chute démographique: «ciertas pestilencias que en estas partes ha habido de sarampiôn y viruelas y tabaidete» in R. G. I., BAE, t. 184, p. 235b: «Relaciôn y description de los pueblos del partido de Otavalo». 352 CHANTAL CAÎLLAVET La présence de curés ou moines doctrineros peut seulement attester l'existence d'une population indienne . mais ne nous en dit guère plus. Apparemment en 1577, il n'y a toujours pas de doctrinero chargé exclusivement de la catéchisation des indiens de Las Salinas x. En 1612, un franciscain se partage entre les villages très proches de Tumbabiro et de Las Salinas 2. En 1648, si l'on en croit le Gouverneur et cacique principal du repartimiento d'Otavalo, don Lorenzo Ango de Salazar, la population indienne autochtone a été anéantie à la fois par l'excès de travail imposé par les Espagnols, et par la maladie: «...Los hacendados utilizan indios de tierras frias ...en -tierras calientes... como Salinas.;, donde perecen muchos... hasta los mismos naturales se an acabado y consumido por ocuparlos en la guarda del ganado cabrio trapiches algodonales y otros ejercicios». Il évoque aussi les décès dus à «la continua quartana y calenturas» 3. Les indiens originaires des Salinas ont-ils vraiment tous disparus? Les archives témoignent pourtant d'une présence indienne jusqu'à la fin du XVIIIe s.: s'agit-il d'indiens Otavalos venant des terres froides comme s'en plaint le cacique principal? Le recensement de 1665 donne pour Las Salinas le chiffre très bas de 25 personnes: «Hayllo y parcialidad de los yndios del pueblo de Salinas... de que es principal don Pedro de Guzman hijo legitimo de don Phelipe de Guzman difunto... del repartimiento de Otavalo: tribut ario s: indias: muchachos: muchachas: 9 7 7 2 4 Le tout petit nombre d'enfants laisse prévoir l'extinction du village s'il n'y a pas immigration. En 1693, on connaît encore le nom du cacique: «D. Bernardo Gusman Gobernador e casique principal del pueblo de Las Salinas», descendant du cacique principal de 1665 5; il proteste contre la décision du Cabildo d' Ibarra qui a fermé «el camino Real que desde el tienpo de la gentilidad corre para 1 2 3 4 6 A. G. I. Càmara 922 A, pieza 3.a, f. 55v. Le témoignage d'un indien de Las Salinas, Pedro Coxilanuango: «en el dicho pueblo de las Salinas no la hay (=la doctrina) sino de quando en quando viene un frayle de Urcoqui a dexir misa e se buelbe luego.» A. F./Q. legajo 8, n» I, f. 235. A. N. H./Q. Indfgenas, caja 6; 1648, 11-1°. I. O. A., EP/J. 1» 1600-1622. La filiation est donnée in A. N. H./Q. Tierras 1693-1694, caja 12; 25-V-1693; f. 77v. LE SEL D'OTAVALO 353 el pueblo de Las Salinas y Lâchas» K C'est là le dernier témoignage de l'existence du peuplement indien. Nous apprenons ensuite en 1750 que: «pues aunque antiguamente hubo en dicho lugar pueblo de indios se destruyo del todo por lo sangriento de aquel temple, y quedo descierto hasta que poco a poco lo han ido poblando los que oy habitan» 2. Témoignage confirmé par un document du XVIIIe s. (non daté) 3. Le deuxième peuplement, attesté en 1750 * a dû commencer bien avant puisqu'il dépasse alors «800 almas, sin que se incluya indio alguno oriundo de dichas Salinas, sino solo algunos forasteros que sirven en el beneficio de la sal, y de algunos algodonales que ay en este distrito...»5. Population à l'origine de celle que l'on retrouve au XXe s.: «mucha gente que ay de ambos sexos y de todas esferas, de espafioles, mestissos, indios mulatos y negros...» 6. Peut-on penser que Las Salinas ont été désertées quelques vingt ou trente ans seulement? Remarquons comme nous l'avons déjà vu, que lors du deuxième peuplement, l'emplacement du village ancien était encore vivace dans les mémoires, peut-être par la présence de ruines. Les noms des indiens du deuxième peuplement nous sont donnés: au moins 200 indiens dont certains rattachés à des haciendas. Outre les noms d'origine espagnole, un certain nombre de noms d'Otavalo, puis des noms différents (Colorado, Pastos?) 7. L'existence d'un cacique, dont on suit la piste de 1784 à 1803 (1784: D. Fernando Quatimpaz cacique y gobernador de Ibarra y de los pueblos de Las Salinas, Lâchas y Pimampiro») 8, en procès en 1803 contre un autre indien se prétendant aussi «gobernador del pueblo de Las Salinas» 9 prouve la continuité de la présence de cette nouvelle population indienne. Faute 1 2 3 4 8 6 7 8 9 A. N. H./Q. Tierras, 1693-1694, caja 12; 25-V-1693; f. 25r. A. G. L, Quito, 374, f. 9v. A. F./Q. legajo 8, n° 4, f. 304; f. 235v: «el curato de Las Salinas a estado administrado desde tiempo inmemorial a esta parte por los religiosos de San Francisco aunque este pueblo se ubiese destruido, y después poco a poco se ubiesen agregado las personas que hoy biben...». Cf. Aussi la carte de Maldonado de 1750 (carte 3) où Las Salinas figure comme paroisse. A. G. I. Quito, 374; f. 8r. A. F. /Q. legajo 8, n» 4, f. 304; f. 141. Il y avait déjà des habitants avant 1750 puisqu'un Franciscain vers 1740 renonce à la doctrina de Salinas «porque el tempeiamento desde dicho pueblo es muy nosibo paia mi salud...». A. G. I. Quito, 374; f. 6v, 7r/v. A. N. H./Q. Indigènes, 1784-1785; selon une fiche de l'I. O. A. A. N. H./Q. Indfgenas, caja 172, 1803, VII, 18. 23. — Mélanges. 354 CHANTAL CAILLAVET d'éléments postérieurs, je ne peux dater sa disparition manifeste aujourd' hui, au XIXe, ou au XXe s., sans doute due à plusieurs facteurs concomitants: épidémies (ex: «Este afio (1803) parece haber tenido una disposiciôn particular para las fiebres intermitentes... se han sentido sus efectos destructores en Salinas...) l; probables migrations liées au déclin de l'exploitation saline. Quant à la deuxième composante de la population du village indien de Las Salinas au XVIe s., celle des indiens forasteros et nommément Pastos, on la retrouve dans toute la région d'Otavalo du XVIe au XVIIIe s. comme s'il s'agissait d'implantation et immigration traditionnelles ne se limitant pas à Las Salinas. Par exemple: — 1578: un indien Pasto travaillant — mais sous quel statut? — dans une hacienda de Yencomendero d'Otavalo 2. — 1629: du propriétaire Joseph de Alcocer — région d'Otavalo — dépendent «12 forasteros Pastos que tiene en su hato para el avio de sus haciendas» 3. — de 1647 à 1699, trois documents complémentaires révèlent l'histoire d'un groupe Pasto dans le corregimiento d'Otavalo. Il s'agit en 1647 de «100 yndios efectivos» Pastos, c'est-à-dire tributaires, donc un groupe de population bien plus nombreux, qui espèrent ainsi échapper au tribut qu'ils doivent payer à leur encomendero à Pasto *. Or il semble qu'à la mort de leur encomendero, ils acquièrent un statut différent puisqu'ils passent —peut-être momentanément— sous la jurisdiction du Corregidor d'Otavalo: 1696: «Doôa Maria Pinsa Don Agustin Pulsara y Don Silvestre Yzama cacica, principal y mandones de los yndios Pastos naturalizados en el Corregimiento de Otavalo encomienda que fue de Don Pedro de Bolivar que por su muerte corre su cobranza de tributos por quenta de la Real caxa desta Corte a cargo del Corregidor de Otavalo...»8. Ils franchissent ainsi, sans doute un pas décisif pour leur intégration dans la population d'Otavalo, même si elle leur pose de gros problèmes d'accès à la terre, que chacun résout à sa façon: 1 2 3 4 5 F. J. de Caldas, «Relation de un viaje hecho a Cotacachi, La Villa, Imbabura, Cayambe, etc. comenzado el 23 de julio de 1802, editado por Agustin Barreiro. Imprenta Gôngora, Madrid, 1933, 214p.; p. 98. A. G. I. Càmara 922 A, pieza 3a f . 275r. A. J./Q. legajo IV, Quito, 30-12-1654. A. G. I. Quito, 9, f. 5r/v.: «el dicho repartimiento y encomienda tiene su naturaleza y origen en la provincia de los Pastos y fugitivos délia asisten y paian en el dicho pueblo de Otavalo... por no acudir a la paga de tributos ni estar sujetos a la doctrina a que se muestran poco ynclinados...». A. N. H./Q. Presidencia de Quito, T 15, doc. 436, f. 150r. LE SEL D'OTAVALO «estos nuestros pobres yndios ninguno de ellos tienen solares ni tierras que por de comunidad (sic) y de naturales sino que cada uno (...) nan comprado con otros apegados a otros yndios y otros que se hallan Espanoles en sus casas o estancias» K 355 ni biven en los yndios, su dinero y sirbiendo a En 1697, une provision royale qui fixe leurs obligations du service de la mita, les désigne comme «yndios Pastos reducidos en Otavalo». Enfin un document de 1715 évoque la présence dans la ville d' Ibarra de «algunas familias de Indios Pastos» dès la fondation de l'église (XVIIe siècle) 2. Il s'avère donc difficile de retrouver l'origine des groupes de peuplement —même pour un village, qu'on ne peut isoler de sa région— et de reconstituer leur histoire faite de disparitions naturelles, de migrations internes et de déplacements pour les indiens autochtones, d'afflux de l'extérieur d'autres groupes dans des proportions non contrôlables. Caldas, en 1803 3, se pose ces questions et donne son appréciation de la répartition de la population de la région d'Otavalo: «Es cosa bien notable que los originarios del pais sean 2.000 y los advenedizos 12-14.000. £De dônde tantas emigraciones?...» Si ses estimations sont exactes, le brassage de population indienne dans la région d'Otavalo surprend par son ampleur. Les indications démographiques trop disparates fournies par les documents cités permettent de traverser, en sautant de l'une à l'autre comme sur les pierres d'un gué, le cours du temps et de retracer à peu près l'histoire du peuplement des Salines. L'étude parallèle de l'exploitation du sel peut fournir une autre source de renseignements qui, confrontés aux premiers, permettront peut-être de combler les vides et de retracer une histoire des Salines plus continue. C. Exploitation du sel. Il semble que toutes les sociétés humaines aient ressenti l'impérieuse nécessité de se fournir en sel —produit irremplaçable — en l'important quand la production était absolument impossible, ou en mettant au point parfois de très ingénieuses techniques de fabrication qui leur permettent de se passer des voisins ou de s'assurer au contraire pouvoir et prospérité en détenant un produit très estimé: Godelier donne un très bon exemple de l'importance que prend un produit comme le sel et de la complexité qu'il peut engendrer tant au niveau technique, que social et économique *. 1 2 3 1 A. N. H./Q. Presidencia de Quito, T. 15, doc. 436, f. 150r/v. A. F./Q. legajo 8, n» 1, f. 235; f. 292/296. Op. cit., p. 51. M. Godelier, «Monnaie de sel» et circulation des marchandises chez les Baruya de Nouvelle Guinée» in Horizon, trajets marxistes en Anthropologie, p. 159-200, 2 tomes, FM/petite collection Maspéro, Paris, 1977. 356 CHANTAL CAILLAVET En ce qui concerne la région qui nous occupe, les références les plus anciennes sont celles de la chronique de Gieza de Leôn qui apporte quantité de renseignements sur les salines colombiennes (territoire actuel) que les Espagnols surprennent en plein fonctionnement lors de la conquête vers 1540 1. Rien de précis sur l'Equateur. Le sel étant un produit essentiel dans l'alimentation et le rituel indigène a, on peut se risquer à affirmer qu'il était aussi exploité dans la région d'Otavalo. La tasa de la Gasca de 1549, fixe un tribut en sel de 50 arrobes pour le repartimiento d'Otavalo 3 donc probablement élaboré à Las Salinas, mais n'évoque rien de la technique de fabrication. Les procédés d'extraction du sel recensés dans l'Audiencia de Lima en 1609 sont tous simples et sommahes: «la sal de que este Reino es muy abundante procède de diferentes generos de salinas, unos de los minérales como las que ay en 400 léguas interpoladas por la costa y en Guamanga y Ocalla cerca de Potosi, otras que a tiempos se fraguan con agua y fuerza de sol, en las comarcas del Cuzco Ghilca y Guaylas y de algunos mas pueblos, otras ay en muchas partes que se quajan con fuego y de todas grandissimo numéro teniendo poca vecindad entre si» 4. Le Corregidor d'Otavalo, Sancho de Paz Ponce de Leôn, informateur consciencieux des Relations Géographiques des Indes, précise en 1582 que le sel de Salinas est tiré selon une technique primaire: «Hay en el distrito de mi corregimiento un pueblo (Las Salinas) ques del repartimiento de Otavalo, donde los indios que estan en el cogen la tierra que es como salitre 6 y la cuecen en unas ollas y hacen sal muy ruin...»6. Sel grossier peu apprécié des Espagnols... «la sal que délia se hace es parda y amarga: estimanla solo los naturales...» 7. En 1693, le cacique qui proteste contre la fermeture du chemin des Salinas donne pour argument «que es camino por el quai se probehen todos los pueblos de la tierra sal...»8. 1 - P. Cieza de Leôn. La crônica del Peru, BAE, tomo 26, Madrid, 1965; p. 367b, 370a, 384a/b, 386b, 387a/b. 2 R. G. I. BAE. tomo 184, p. 250b: en 1582, sel et ajl ont des pouvoirs magiques et sont frappés d'interdit dans certaines circonstances: p. 264a. 3 A. G. I. Câmara 922a, pieza 3a, f. 569v. 4 A. G. I. Lima, 35, libro II, f. 87r. 5 Cf. La définition de «salitre» que donne le Diccionario de Autoridades 1739: Se llama también la sal que se saca de la tierra apta, puesta en vasijas de bairo poroso, echândole agua, para que por su medio se sépare de la tierra, dexando neta la substancia del salitre». 6 R. G. I., BAE, 1. 184. «Relaciôn y descripciôn de los pueblos del partido de Otavalo», p. 239b/240a. 7 R. G. L, BAE, «La cibdad de Sant Francisco de Quito», 1573, p. 207a. 8 A. N. H./Q. Tierras, 1693-1694, caja 12, 25V, 1693, f. 62v.; cf. aussi: f. 74r: «a visto concurrir poi el (=el camino antiguo) a probeherse toda la comarca desta villa LE SEL D'OTAVALO 357 Avec l'extinction de la population indienne des Salines l'exploitation semble s'interrompre puisque le deuxième peuplement a pour origine une «découverte» (ou redécouverte?) de l'exploitation saline, «...quedando las salinas inhavitadas, y sirviendo su resinto de pastos comunes de los inmediatos vecinos, hasta que la industria de algunos necesitados descubriô el beneficio de la sal y por ser su interés tan seguro y abundante, se an congregado en dichas salinas muchas familias de distintas esferas y mosos sueltos...» x. La découverte semble même accidentelle et due à la connaissance de vertus médicinales du sel: «...vio levantada una capilla en dicha poblaciôn, que la havian formado los de la familia del General Don Cristoval Xijôn... con el motivo de que los de la familia tuviesen ese divertimento y juntamente donde ir a convalecer de algunos maies que en aquel temperamento, con el fruto de la sal sacavan y era adecuada para ello, conseguian sanidad» 2. Si le souvenir de l'emplacement du village indigène était encore vivace, il est évident que celui de l'exploitation saline l'était aussi; le terme découverte laisserait donc croire qu'il s'agit d'une nouvelle technique d'élaboration du sel, dont on attend beaucoup et qui va faire la prospérité de la région. Or, ce fameux procédé très précisément décrit par le voyageur -savant Caldas ressemble étrangement à celui qu'évoquent les RGI (1582) et à celui que l'on peut encore observer au XXe s.: «Estos moradores forman grandes fosas para la tierra mezclada con la sal, y la transportan a las cercanias de sus habitaciones. Aqui le (sic) deslien en agua y por filtraciôn en una mâquina tan rûstica como el pais, y recogen la lexia que cristalizan a fuego» 3; la mâquina «se compone de cuatro estacas u oncones clavados en el suelo, y otro materia (sic) algo côncava. Sobre esta ponen una capa de la tierra cargada de sal de un palmo o poco mâs de grueso, y encima de todo agua... Los Salineros no toman indiferentemente la tierra para destilar sus lexias. La toman de ciertos lugares que la prâctica y una larga experiencia les ha ensefiado ser mâs abundante; le amontonan cerca de sus habitaciones y le van destilando; 1 2 8 (= Ibarra) la tierra sal.» Notons au passage l'ambigûité de l'expression «tierra sal»: chacun vient-il s'approvisionner en «terre à sel» plutôt qu'en «sel de terre», tiiant par un procédé tout simple son sel? mais on imagine mal le transport encombrant de la terre. A. G. I. Quito, 374, f. 8r. A. G. I. Quito, 374, f. 45v; cf. aussi f. 42v: «y aviendose descubieito el ingenio de beneficiarse sal, se han ido agregando muchos espafloles, que se han dedicado a este genero de comercio.» Caldas, op. cit., p. 48. 358 CHANTAL CAILLAVET despoxada de su sal no le abandonan, le exponen al ayre, al sol y cereno, y después de algûn tiempo le hallan ya cargada de sal, que en su idioma Uaman madurar...» 1. Quelques informations jalonnant le XIXe et XXe s. témoignent de la survivance, puis du déclin des salines. En 1832, on trouve trace d'un procès concernant «el arrendamiento de unas salinas sitas en el pueblo de este nombre» a. Un décret législatif de 1853 rappelle que le sel de la province d'Imbabura n'est pas monopolisé mais que l'impôt mensuel est fixé «a 4 reaies por cada perol conocido con el nombre de cocina» 8. En 1928, le sel de Salinas dont on précise que son prix de revient est supérieur à celui du sel marin, ne peut être vendu qu'à la Régie d'Etat 4. En 1943, l'Etat renonce au monopole du sel non rentable: «las saleras a calcinaciôn de la parroquia Salinas... por su pequenez y poca importancia no producen beneficio econômico alguno al Estado...» «...significan la existencia misma para el pueblo de Salinas puesto que sus terrenos carecen de otros productos de intercambio comercial para sus habitantes, y que el producto es utilizado exclusivamente en ese lugar y los airededores tanto para la alimentaciôn humana como para la del ganado...» «... declârase libre la elaboraciôn y estipendio de la sal denominada de "horma" o de "bola" que se produzca en los 9 homos o cocinas activas y 13 pasivas (cùando estas sean habilitadas) que existen actualmente en la parroquia de Salinas» B. On a vu qu'en 1978, il ne reste que deux cocinas de fabrication et que donc, loin de prospérer, l'exploitation est amenée à disparaître prochainement. Les bois d'espinos ont disparu à cause des cultures de canne à sucre, donc le bois de brûlage fait aussi défaut (d'après les informateurs). La prise en charge par l'Etat des frais d'iodisation obligatoire du sel, pour lutter contre les malformations par carence en iode 6 prive le sel de Salinas de toute compétitivité sur le marché même indigène, puisque, comme j'ai pu le constater en 1978, il est vendu plus cher que le sel de mer. Il reste néanmoins à connaître les consommateurs du sel de Salinas, au cours des siècles et le pourquoi de cette survivance. Y-a-t-il eu avec l'arrivée des Espagnols au XVIe s. deux sels différents sur le même marché?: l'un à l'usage indigène, l'autre —le sel marin — consommé par les Espagnols? Les tasas de 1549, 1552, 1562 et 1577 exigent un tribut élevé en sel de Salinas, qui est apporté à Quito «puesto en casa del 1 2 3 4 5 8 Caldas, op. cit., p. 30. A. N. H./Q. SJ. Corte Suprema de Justicia, legajo 23, VI, 1832. A. P. L./Q. Leyes y decretos, 1853; p. 24. A. P. L./Q. Libro de Registro Oficial, 12-4-1928, n» 614. A. P. L./Q. Registro Oficial n° 826, 31-5-1943. A. P. L./Q. Libro de Registro Oficial n<> 25; 21-3-1972, n° 862; 7-7-1975. LE SEL D'OTAVALO 359 encomendero» l. Cette grande quantité de sel (50, 60 arrobes) est destinée à être vendue, probablement pas seulement pour les indiens de régions sans salines, mais aussi pour la consommation espagnole, même si ce sel est boudé; la référence des RGI de 1573 précise: «los espanoles se proveen délia traida a Quito. Vale cada arroba un peso de plata corriente, que son diez reaies» 2. Une seule saline marine côtière semble fonctionner et pourvoir en sel un vaste territoire: là aussi pour les Espagnols. En 1606, Miguel de Ibarra informe le roi sur les salinas de Y Audiencia de Quito: «no ay mas salinas que sepamos que unas en la costa de la mar de los llanos que estan puestas en la Corona Real muchos afios ha y las tiene arrendadas un toribio de Castro porque la sal se labra donde tengo dicho y se trae en un navio hasta la ysla de la punâ y de alli al embarcadero de Guayaquil en unos barcos que se llaman botiquines... y toda esta provincia hasta cali y popayan se probee de alli y si faltase séria grande necesidad la que se padeseria por no haverla en otra parte» 3. Quant au regain et à la florissante activité des Salines au XVIIIe s. peut-on croire que la demande du marché indien suffise à les expliquer? —qu'il s'agisse du sel «acheté» par les indiens eux mêmes, ou par les Espagnols, pour le vaste personnel de leurs haciendas, marché qui peut s'étendre jusqu'à Pasto. Ce sel de Salinas n'est-il pas plutôt le sel commun, le sel des pauvres (indiens et métis) alors que le sel de mer plus cher du fait du transport est réservé aux plus riches, les Espagnols? Enfin, l'utilisation industrielle du sel de Salinas dans les obrajes (pour fixer les teintures), quoique non attestée, peut être retenue et expliquerait une forte consommation au XVIIIe s. L'utilisation à des fins médicinales est encore connue de nos jours; près des Salinas existe une petite station thermale. Faut-il interpréter dans ce sens le témoignage curieux d'un voyageur nord-américain? (1861-1866): au XIXe s., le sel constitue encore la grande occupation des habitants mais sa consommation n'est pas culinaire *. A. G. I. Câmara 922 A, pieza 3», f. 569 v, 165v, 170r; pieza 2a, f. 8r. R. G. L, BAE, t. 184, p. 207a. A. G. I. Quito, 9; 4-4-1606; f. 2v. F. Hassaurek (1868) Four years among the eeuadorians Southern Illinois University Press, 1967, 196p.; 185p: «The salt thus gained, which is known by the name of sal de Salinas, is exported in great quantities to New Granada and Quito. In Quito, however, it is not used for culinary purposes». Usage industriel? ou médicinal? Selon Madame Cristina Silva de Hidalgo, c'est un bon remède contre la pneumonie, encore utilisé de nos jours dans la région d'Otavalo. On frictionne le malade avec du sel mélangé à de la graisse, ce qui le fait transpirer. • 1 2 3 4 360 CHANTAL CAILLA VET Au XXe s., il serait intéressant de comprendre dans le cadre d'un travail ethnologique comment se répartit l'utilisation de ces deux sels. Les indiens d'Otavalo consomment encore de préférence le sel de terre, tandis que les métis ne l'achètent que pour le bétail; le sel constitue encore pour l'indien un produit privilégié, indispensable dans certains rituels: lors des repas dans la fête des Corazas, dans le village de San Rafael de la région d'Otavalo, les indiens font aux métis une offrande considérée comme importante de murucachi, le sel de mer, donc perçu comme non indien \ L'extrême spécialisation de ce village, dépendant de l'approvisionnement par l'extérieur de tous les produits alimentaires comme au XIXe s. 2 le condamne à mort, puisque il a été privé, par la colonisation, de l'autre moyen de production— la terre cultivable des alentours — accaparée par les haciendas de canne à sucre et aujourd'hui consacrée aussi à l'élevage de bovins. Les deux peuplements successifs quoique fonctionnant selon des systèmes radicalement opposés sont tous deux amenés à disparaître: — le peuplement indien pré-hispanique contrôlant tous les moyens de production: terre à sel, terres de culture, ne peut résister aux bouleversements provoqués par la colonisation et à l'introduction de l'économie de marché— le deuxième peuplement qui s'inscrit, lui pleinement dans le cadre de l'économie marchande ne doit son existence qu'à la rentabilité de l'exploitation saline et est de ce fait engagé dans une voie sans issue. CONCLUSION Tant le système d'exploitation multiethnique —les forasteros camayos — que le réseau de marchés et échanges à divers niveaux, intra et inter-ethniques (indiens du commun; mindalaes) apparaissent hérités de l'époque préhispanique, apparentés à la fois aux systèmes andins péruvien et colombien. Il va sans dire que d'importantes modifications ont dû découler des diverses impositions espagnoles (reducciones de la population en villages: tribut exigé d'abord en produits locaux puis en or); elles ont pu déplacer certains marchés ou lieux d'échanges traditionnels, en ont modifié l'importance (Quito), ont activé et orienté le sens de certains échanges (les fournisseurs d'or acquérant ainsi un rôle primordial). En ce sens, ce que révèlent les documents du XVIe s. sur Las Salinas ne nous garantit pas une connais- Communication de Berta Ares. Voir aussi: B. Ares, La Fiesta de Corazas. Otavalo (Ecuador); Universidad Complutense de Madrid, 1978. F. J. de Caldas. Annexes, p. 25, 26: «Su ruina proxima», cf. aussi F. J. de Caldas, Relation de un viage hecho a Cotacachi..., p. 108: «Produce algodôn bueno pero poco. Se probee de carnes de baca, y de carnero, habas, harina, papas, queso, etc., de la provincia de los Pastos, y de los pueblos de Angel y Mina» (sic, pour Mira). LE SEL D'OTAVALO 361 sance de l'organisation pré-hispanique de l'ethnie d'Otavalo, mais soulignent le rôle prépondérant de Las Salinas au sein de l'ethnie. A la fin du XVIIe s., les effets de la colonisation: chute démographique, spoliation des terres, privent Las Salinas de sa suprématie dans le groupe Otavalo, l'amènent à disparaître, rompant ainsi l'équilibre de l'économie indigène fondée sur le contrôle simultané des terres froides et chaudes. La deuxième phase d'activité du nouveau village au XVIIIe s., est alors un pur produit du système économique colonial; l'exploitation du sel est destinée au marché et n'est plus aux mains d'un groupe ethnique. Dans la logique même de l'évolution de l'économie libérale., le développement du XXe s. condamne irrémédiablement par la loi de la concurrence, une exploitation devenue non rentable. ANNEXES: I. La seconde fondation de Salinas: 1750. (A. G. I. Audiencia de Quito; legajo 374: «Peticiôn sobre el pueblo de Las Salinas» 1750. F. 42 V.) Témoignage du Capitaine Don Bentura Paes de Trastamara, propriétaire de la Hacienda San Andrés de la Puente, juridiction de Urcuqui: «A oydo de los vezinos antiguos de dicha villa que el origen del pueblo de Las Salinas fue instituido en el mismo valle y aviendo llegado el caso de aniquilarse y consumirse la feligrecfa de Indios que constituyeron el dicho pueblo de Las Salinas, se paso el cura doctrinero al pueblo de Tumbaviro donde al présente se halla aparrochado todo el pueblo y aviendo quedado este valle descertado de Indios dispuso la familia del General Don Cristoval Xijôn el levantar una capilla pequena en alguna distancia del lugar donde fue el pueblo de Santa Cathalina de las Salinas con el motivo de ir a recrearse y curarse de... algunos maies que el temple y terruno les podia ayudar y poderles aliviar y por esto despues se han ido agregando muchos espanoles que han hecho una formai y dilatada poblaciôn que entretienen y dedican al comercio de la sal que benefician para la conservation de su comercio...». IL Salinas en 1803. (Caldas, Francisco José de: «Viaje de Quito a las Costas del Océano Pacifico por Malbucho, hecho en julio y agosto de 1803». Edité in Mendoza, Diego de: Expedition botdnica de José Celestino Mutls al Nuevo Reino de Granada y Memorias inéditas de Francisco José de Caldas. Madrid, 1909, p. 43-63). P. 48: «El 22 me transporté con mis instrumentes a Salinas. Este pueblo toma su nombre de la abundancia de sal, y de su extraction que hace el f ondo de las riquezas de sus habitantes y su ûnica ocupaciôn. Situado en una llanura espaciosa y 362 CHANTAL CAILLAVET estéril, no produce otra cosa que Mimosas, Cactus, pequefias Euphorbias, un Croton, la Dodonea Resinosa, Tribulus, Amaranthos Espinosos; y sal. Estos moradores forman grandes fosas para sacar la tierra mezclada con la sal, y la transportan a las cercanfas de sus habitaciones. Aqui le (sic) deslien en agua y por filtraciôn en una mâquina tan rûstica como el pais, y recogen la lexia que cristalizan a fuego. Las Mimosas y Dodonea Resinosa, les proveen de la inmensa cantidad de lena que consumen. La tierra de que han extraido la sal le (sic) arrojan en los mismos lugares y salinas; présenta a los ojos del viagero la imagen de una Giudad saqueada, y de que no existe otra cosa que las ruinas. Su ruina prôxima. Contentos con la sal sus habitantes miran con desprecio el cultivo de la tierra y qualquiera otra ocupaciôn, recibiendo de los pueblos vesinos quanto necesiten para la vida. Con una existencia tan precaria se halla en visperas de perecer. La Sal de la Punta de Santa Helena, que hace ventajas en calidad a esta, puede llegar por el camino de Malbucho a mejor precio y proveer no solo los partidos de Ibarra y Otavalo, sino también a Quito. 9. A mas de los defectos del beneficio se halla la sal de este pueblo mezclada con gran cantidad de Nitro que le da un gusto que dégénéra en amargo. Los que se ven en la necesida de usarla le ponen antes sobre ascuas en donde détona todo el Nitro y adquiere una hlancura. admirable. .Tal.vez el alkali libre de su acido es mas perjudicial que el mismo Nitro. Se pondéra su virtud para destruir los cotos (Quechua = goitres) y se alegan muchos ejemplares. En Quito y en toda su provincia se mira como un especifico para esta terrible enfermedad. 10. Su clima y temper atur a. El clima es maligno y se manifiestan sus efectos en el semblante palido y descarnado de sus moradores. El Termometro de Mr. de Reaumur en el mayor calor sube a 20° y en el mayor frio baja a 9° sobre la congelaciôn. Esta variaciôn de 11° a 824 toesas sobre el mar. ...El agua de que se provee, rogiza, gruesa, salada es un brevage insoportable para el que no se halla acostumbrado. 11. A pesar de ser el Zipaquirâ de la Provincia.de Quito, a pesar de hallarse esta salina en manos de particulares, a pesar de recibir mucho dinero, no crece esta poblaciôn. El clima, las calenturas intermitentes, de quienes yo mismo aun soy victima despues de siete meses de padecimientos, desolan este pueblo, y le mantienen en la triste situaciôn en que le vemos.» ABREVIATIONS: A. G. L: A. F./Q. A. J./Q. A. N. H./Q.: A. P. L./Q.: I. O. A.: R. G. L: V. D. J. Archivo General de Indias. Sevilla. Archivo Franciscano de Quito. Quito. Archivo Jesuita de Quito. Quito. Archivo Nacional de Historia. Quito. Archivo del Palacio Legislativo. Quito. Instituto Otavaleflo de Antropologia. Otavalo. Relaciones Geogrâficas de Indias. Instituto Valencia de Don Juan. Madrid. LE SEL D'OTAVALO 363 DE LA ECONOMIA INDIGENA A LA ECONOMIA COLONIAL: LA EXPLOTACION DE SAL AL NORTE DE QUITO RESENA Este articulo présenta algunos datos y reflexiones sobre el caso especifico de un pueblo de la etnia Otavalefïa, especializado en la explotaciôn y distribuciôn de sal en el siglo XVI, asl como sobre «el destino» de este pueblo a través de los siglos. Partiendo de un producto clave para la sociedad indfgena — la sal — résulta posible sacar a luz algunos elementos de su organization econômica, y de la peculiaridad de la solution que adopta esta sociedad emparentada a la vez con aquellas que se observan en el Perû y la Colombia pre-hispânica: la explotaciôn tiene lugar en una isla multiétnica y la distribuciôn se realiza mediante una red compleja de intercambios intra e interétnicos. En el siglo XVI, la ecologfa particular de Las Salinas, situadas en tierras calientes mientras el resto del territorio otavalefto esta en tierras frias, asi como el control de la «tierra sal», las convierten en un pueblo privilegiado, el mâs rico de toda la etnia. Durante el siglo XVII, se asiste a su desapariciôn progresiva: la caida demogrâfica y la usurpation de tierras por los espaiioles condenan la existencia del pueblo indigena, el cual renace en el siglo XVIII con una poblaciôn heterogénea, principalmente negra, pero sin ningûn indio autôctono; son los espanoles quienes, entonces, explotan la sal, dentro de un sistema plenamente colonial. En 1978, se puede ver todavia la herencia de aquella segunda fundaciôn, pero a corto plazo la explotaciôn tradicional se verâ condenada por no poder competir dentro de un sistema de economia liberal. FROM INDIAN ECONOMY TO COLONIAL ECONOMY: SALT EXPLOITATION IN NORTHERN QUITO ABSTRACT This article offers a discussion of the exploitation and distribution of salt through a case study of Las Salinas, a village of the Otavalan ethnic group (north of the Audiencia of Quito) in the sixteenth century. At the same time, it provides a perspective on the history of that village through the centuries. By an examination of a key product such as salt in an Indian society, it is possible to bring out the main features of its economic organisation, and the approach adopted by this society resembles those which are found in pre-colombian Peru and Colombia, the exploitation is carried out inside a multi-ethnic island, and distribution through a complex network of intra and inter-ethnic trade. In the sixteenth century, the ecology of Las Salinas, which is warmer than the rest of the Otavalan territory, along with its control of the «salted earth», made it a privileged village and the richest of the whole ethnic group. In the seventeenth century, there was a progressive disintegration: the Indian village disappeared, condemned by demographic decline and Spanish land seizure. Las Salinas was refounded in the eighteenth century, with a mixed population, basically black, and without any aboriginal Indians: salt exploitation was entirely in Spanish hands within a truly colonial system. In 1978 what still exists is the inheritance of that second foundation but the traditional exploitation is to be condemned in the short term, as it gives no profit in a liberal economy.