18763 libro HAITI CONTENIDO

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2:23 PM
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ETUDE EXPLORATOIRE SUR L’ EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES
8/6/03
Disons non au l’ exploitation
sexuelle infantile
OIT-IPEC
Organisation Internationale du Travail
Programme International pour l’Eradication du Travail des Enfants (IPEC)
Coordination pour l’Amérique Centrale, le Panama, la République Dominicaine et Haïti
www.ipec.oit.or.cr / [email protected]
COOPÉRATION
Haïti
RÉPUBLIQUE D'HAÏTI
MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES & DU TRAVAIL
Organisation Internationale du Travail
Programme International pour l'Eradication du Travail des Enfants
www.ipec.oit.or.cr / www.oit.or.cr
Canada
OIT-IPEC Organisation Internationale du Travail
18763 libro HAITI PORTADA
Etude exploratoire sur l’
exploitation sexuelle
des mineurs à des fins commerciales
18763 libro HAITI PORTADA
8/6/03
2:23 PM
Page 2
“...Je voudrais aller à l’ école,
être jeune et de venir infirmière.”
L’exploitation
sexuelle des
mineurs:
une problematique
multidimensionnelle
ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL (OIT)
Programme International pour l’Eradication du Travail des Enfants (IPEC)
Coordination pour l’Amérique Centrale, le Panama, La République Dominicaine et Haïti
Carmen Moreno
Coordonnatrice de l’ OIT-IPEC pour l’Amérique Centrale, le Panama, La République Dominicaine et Haïti
Sabine Manigat
Coordonnatrice de l’ OIT-IPEC pour Haïti
Mr. Richard Mathelier
Directeur de l' INESA
EQUIPE DE RECHERCHE
Dr. Nicole Magloire
Coordonatrice
Prof. Suze Mathieu
Sociologue
Prof. Nelson Silvestre
Sociologue
Me. Dilia Lemaire
Avocat
Copyright © Organisation internationale du Travail 2002
Première édition 2003
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international du Travail, CH-1211 Genève 22, Suisse. Ces demandes seront toujours les bienvenues.
OIT
ETUDE EXPLORATOIRE SUR L’ EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES.
Organisation Internationale du Travail, 2003
Enfants, Exploitation sexuelle, Etude de recherche, Aspect juridique, Haïti
14.02.1
ISBN 92-2-214287-X
Données de catalogage du OIT
Les désignations utilisées dans les publications du OIT, qui sont conformes à la pratique des Nations Unies, et la
présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part du Bureau international du Travail aucune prise de
position quant au statut juridique de tel ou tel pays, zone ou territoire, ou de ses autorités, ni quant au tracé de ses
frontières.
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international du Travail souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
La mention ou la non-mention de telle ou telle entreprise ou de tel ou tel produit ou procédé commercial n’implique de
la part du Bureau international du Travail aucune appréciation favorable ou défavorable.
Visitez notre site dans la net: www.ipec.oit.or.cr et www.oit.or.cr
Dessin: Identur ([email protected])
Illustration: Harpo Joyg
Imprimé lau Costa Rica
4
Présentation
L’exploitation sexuelle commerciale des garçons, des filles et des adolescents est l’une des violations les plus sévères
des droits humains. Elle entraine pour ces mineurs de grandes souffrances et des conséquences physiques et
émotionnelles qui marquent leur enfance et, plus tard, leur vie adulte.
L’élimination de cette forme d’exploitation requiert la participation active et l’effort public et concerté de tous les
acteurs sociaux: les gouvernements, le secteur privé, les organisations de la société civile et la communauté
internationale.
L’Organisation Internationale du Travail (OIT), dans le contexte de sa lutte contre le travail infantile, a mis l’accent
d’une manière spéciale sur la nécessité d’éliminer cette forme d’exploitation et dans cet esprit a approuvé en 1999
la Convention sur les pires formes du travail infantile. Cette dernière, dans son article 3, signale l’exploitation sexuelle
commerciale des mineurs et ses multiples modalités, “... l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’enfants aux fins de
prostitution, de production de pornographies ou d’activités pornographiques ..”.entre autres, comme l’une des
formes d’exploitations des mineurs qui doit être élinimée.
En parallèle, la coopération canadienne, à travers l’ACDI se penche en Haití sur les questions d’égalité des sexes et
travaille grâce au Fonds Kore Fanm, à l’habilitation des femmes et des fille haitiennes en les appuyant dans
l’apprentissage de leurs droits avec, comme finalité, de leur permettre de faire respecter leurs droits. Dans cette
optique, il y a plusieurs problématiques, comme celle de l’exploitation sexuelle, qui demandent à être mieux
comprises et documentées. Le Kore Fanm offre la possibilité d’oeuvrer avec diferentes organisations et de creer des
partenaires permettant le co-financement de projets et d’études stratégiques pour le secteur. C’est dans ce contexte
que l’OIT et l’ACDI ont pu associer leurs efforts pour atteindre des buts communs.
La présente étude est le résultat de l’analyse du problème de l’exploitation sexuelle commerciale des mineurs en
Haití. Elle a été effectuée dans le cadre de l’IPEC et du Fonds Kore Fanm. Le Programme International pour
l’Eradication du Travail Infantile (IPEC) de l’OIT administre depuis l’année 2000 le “Projet pour l’Elimination du
Travail Infantile Domestique” lequel est financé grâce à l’assistence économique du Département du Travail des Etats
Unis.
Cette synthèse que nous présentons aujourd’hui analyse les causes et les conséquences de l’exploitation sexuelle
commerciale que soufrent des centaines de garçons et de filles en Haití. Elle met l’accent sur la nécessité de la
coordination interinstitutionnelle afin de trouver des solutions effectives à ce problème, à courte échéance dans la
mesure du possible. Seule la connaissance de l’ampleur réelle du problème nous aidera à mettre un terme à la
terrible situation de ces garçons et filles qui sont victimes de cette exploitation. Ils en font l’expérience dès leur plus
tendre enfance et elle est associée à toutes sortes de violations de leurs droits humains. D’autre part, l’étude met en
evidence que ce problème maintient une étroite relation avec d’autres facteurs tels que: la pauvreté extrême,
l’expulsion scolaire, les grossesses à un âge précoce, la violence psycologique, physique et sexuelle, la
consommation de drogues, la négligence ou l’abandon des parents, entre autres.
Nous espérons que cette synthèse soit utile pour faire la lumière sur ce grave problème et sensibiliser la société dans
son ensemble sur la nécessité et l’importance de la dénonciation de ce terrible fléau. Nous espérons aussi qu’elle soit
une aide pour le Gouvernement au moment de formuler les strategies et de mettre en pratique les mesures qui
permettront l’élimination de l’exploitation sexuelle commerciale des garçons, des filles et des adolescents.
Carmen Moreno
Coordonnatrice de OIT-IPEC
Pour l’Amérique Centrale, le Panama, la République Dominicaine et Haïti
5
Table des Matières
Résumé Exécutif
Introduction
11
13
I.- L’ exploitation sexuelle des mineurs: Une problématique multidimensionelle
1.1.
- Le concept d’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
1.2.
- Le caractère multidimensionnel de l’exploitation sexuelle des mineurs en Haïti
1.3.
- Protocole
17
17
18
22
II- Cadre
2.1.
2.2.
2.3
25
25
29
32
Juridique
- La législation haïtienne relative aux mineurs
- La législation internationale
- Ecarts entre la législaton internationale et la législation nationale
III- Le Cadre Institutionnel
3.1.
- Au niveau de l’ Etat
3.1.2. - La justice : connaissance du phénomène – Recours légaux
3.1.3. - La Police
3.2.
- Au niveau de la société civile
3.2.1. - Connaissance du phénomène et interventions spécifiques
3.2.2. - Perception du phénomène par les institutions: définition, conséquences, notion de genre
3.2.3. - Causes et facteurs de perpétuation selon les institutions
3.2.4. - Les recommandations des institutions
35
35
37
38
38
39
41
42
43
IV- Caractéristiques de l’ exploitation des mineurs à des fins commerciales
4.1.
- Lieux où se practique l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
4.2.
- Lieux observés au cours de cette étude
4.2.1. - Identification des lieux et des personnes observées
4.2.2. - Comportement des personnes observées
4.3.
- Caractéristiques des mineurs
4.3.1. - Origine et Éducation des mineurs
4.3.2 - Parcours des mineurs
4.3.3 - Expériences et pratiques dans le milieu
4.4.
- Vécu et organisation du milieu
4.5.
- Perception du milieu
4.6.
- Recours et recommandations
45
45
46
46
48
49
50
53
56
61
63
64
V- Perception des adultes sur l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
5.1.1. - Sexe et âge
5.1.2. - Niveau de scolarité des enquêtés
5.1.3. - Situation par rapport à l’emploi
5.2.
- Connaissance de l’ exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
5.2.1. - Connaissance sur le type de pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs
5.2.3. - Opinion des adultes en relation à la provenance des mineurs sujets à l’exploitation sexuelle à des fins
commerciales
5.2.4. - Causes et explication du phénomène par les adultes
5.2.4. - Connaissances sur les lieux où se pratique la prostitution
5.3
- Position, réactions et recommandations des adultes
67
67
68
68
69
70
Conclusion
Bibliographie
Annexes
83
89
91
71
71
78
79
7
Liste des tableaux et graphiques
Répartition des enquêtés par zone et par sexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
Répartition des enquêtés selon leur lieu de naissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .51
Répartition des mineurs ayant été à l’école par sexe et par âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52
Répartition des enquêtés selon le domicile actuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .52
Répartition des enquêtés par sexe selon l'âge du premier contact sexuel . . . . . . . . . . . .53
Répartitions des enquêtés selon le type de la première relation sexuelle avant 12 ans . . .53
Répartition des enquêtés selon l'âge des premières règles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54
Nombre de grossesses parmi les enquêtées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .54
Répartition des enquêtés (en nombre absolu) selon les endroits ou se
pratique généralement l’exploitation des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . .57
10. Nombre de clients par jour selon le sexe des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .58
11. Répartition des enquêtés par sexe selon le type de drogues consommé . . . . . . . . . . . . .59
12. Répartition des mineurs selon les problèmes expérimentés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .60
13. Répartition des enquêtés selon les personnes profitant de leur prostitution . . . . . . . . . . .61
14. Réactions du client quand un mineur refuse d’avoir des relations sexuelles . . . . . . . . . . .63
15. Répartition des mineurs ayant porté plainte contre des actes de violence . . . . . . . . . . . .65
16. Répartition des mineurs selon là où ils adressent leurs plaintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . .65
17. Répartition des adultes sondés par sexe et tranche d’âges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .67
18. Répartition des adultes sondés par sexe et niveau de scolarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .68
19. Répartition de la population par secteur d’activités économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
20. Répartition par sexe des sondés au courant du phénomène de l’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
21. Répartition des sondés selon leur connaissance des pratiques
liées à l’exploitation sexuelle des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .70
22. Principales pistes indiquées par les enquêtés pour reconnaître les
mineurs livrés à la prostitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .70
23. Opinion des adultes par sexe sur la provenance des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71
24. Principales causes indiquées par les adultes pour expliquer la
prostitution des mineurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72
25. Niveau d’études des sondés et explication du phénomène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72
26. Opinions des adultes sur les causes de l’exploitation sexuelle
des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .77
27. Principaux lieux indiqués par les adultes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78
28. Positions des adultes témoins éventuels d’ un cas d’ exploitaton
sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .79
29. Réactions possibles des adultes témoins éventuels d’ une situation d’ exploitaton
sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .80
30. Pistes de solutions proposées par les adultes pour contrecarrer l’ exploitaton
sexuelle des mineurs à des fins commerciales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .81
30. Institutions/Secteur identifiés par les adultes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .81
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
Graphique 1:Répartition des enquêtés par age et par sexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50
Graphique 2: Mineurs forcés d'avoir des relations sexuelles commerciales . . . . . . . . . . . . .56
9
RESUME EXECUTIF
L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales constitue une violation grave des droits
humains des jeunes et des adolescents des deux sexes
victimes de cette exploitation.
Le cadre juridique est désuet et non conforme aux
conventions internationales ratifiées par l’état haïtien.
L’enfant haïtien en général n’est pas protégé et encore
moins les mineurs victimes de l’exploitation sexuelle.
Étant donné l’importance du phénomène, son
expansion depuis quelques années et le peu de
données existantes sur ses caractéristiques, OITIPEC/ACDI a décidé de lancer cette étude
exploratoire sur l’exploitation sexuelle des mineurs en
Haïti. afin de:
Le cadre institutionnel est aussi très limité. La
problématique de l’exploitation sexuelle des mineurs
à des fins commerciales est diluée dans celle des
enfants en situation difficile: enfants en domesticité,
“restavek”, enfants dans et de la rue.
• « dégager les caractéristiques fondamentales du
phénomène,
• d’esquisser le profil des mineurs soumis à ce type
d’exploitation,
• explorer le thème des principaux bénéficiaires de
l’exploitation des enfants,
• sonder les perceptions de la population à l’endroit
de ces pratiques,
• faire des propositions d’intervention ».
En plus de la revue du cadre juridique et du cadre
institutionnel se rapportant au phénomène, 76
mineurs ont été interrogés ainsi que 207 adultes.
Il en ressort que ce phénomène existe en Haïti
particulièrement dans le milieu des enfants dans et de
la rue. Il touche aussi d’autres secteurs de la société
comme celui des écolières. Le secteur touristique
comme incitateur d’exploitation sexuelle des mineurs
n’a pas pu être exploré par la présente étude mais ne
semble pas occuper une grande place dans les
différentes facettes que prend le phénomène en Haïti.
La question de genre est présente comme une des
caractéristiques de la problématique en question: les
filles sont plus nombreuses comme victimes de
l’exploitation sexuelle, elles subissent plus de violence
de la part des clients, elles sont moins bien payées, la
société leur renvoie une image bien plus
dévalorisante qu’elles intériorisent.
La misère, la pauvreté sont les causes principales de
cette exploitation sexuelle des mineurs d’après toutes
les sources d’informations: études antérieures,
institutions, professionnels, les mineurs eux-mêmes.
Au niveau de l’état, il n’existe aucun plan national
visant la protection de l’enfant ni de structures
d’encadrement des institutions civiles travaillant dans
le domaine. Une seule institution étatique, l’Institut du
Bien Être Social et de Recherche, est responsable des
enfants en situation difficile mais n’a aucun mandat
explicite en ce qui concerne les enfants victimes de
l’exploitation sexuelle. Elle dispose de peu de
ressources et atteint un nombre très limité des enfants
dont la charge lui incombe.
Au niveau de la société civile, aucune institution n’a
de
programmes
spécifiques
visant
cette
problématique et cette catégorie d’enfants. Ces
derniers sont pris en charge de façon individuelle, cas
par cas, par des institutions caritatives qui s’adressent
à des enfants en situation difficile. Ces institutions
sont bien conscientes de l’existence du problème, elles
souhaitent, toutes, une action synergique avec l’état
en vue de mieux le connaître et de définir les
stratégies pour y faire face.
Les mineurs rencontrés, 42 garçons et 34 filles,
évoluent dans des lieux où généralement se réunissent
les enfants dans et de la rue: certains quartiers
populaires, des zones récréatives ou proches. Les
mineurs en général sont mêlés aux adultes et difficiles
à distinguer. Dans certains endroits, Pétion Ville par
exemple, leur comportement rappellent ceux de la
prostitution “classique”: habillement provocateur,
sollicitation des passants. Dans d’autres endroits,
plus populaires, tout se passe beaucoup plus
discrètement comme à St Martin ou au Carrefour de
l’Aéroport.
11
Un peu moins de la moitié des mineurs interrogés
viennent de la province. Ils sont venus à Port-auPrince en grande majorité avec leurs parents pour des
raisons économiques. 52.6% d’entre eux savent lire
et écrire. Dans l’échantillon sous étude beaucoup
d’entre eux ont eu leur première relation avant l’âge
de 12 ans et beaucoup de filles avant la puberté. Sept
(7) des 34 filles ont été enceintes, ce qui représente
20.5% des filles interrogées (34) et 9.21% de
l’échantillon global (76). Une était enceinte pendant
que se déroulait l’enquête.
Beaucoup d’entre eux vivent dans la rue, mais un
certain nombre a un pied à terre : chambre louée,
maison affermée, où ils vivent avec un de leurs
parents, seuls, avec des amis ou avec un partenaire.
Ils doivent faire face à la violence de la part des
clients très souvent et les filles beaucoup plus que les
garçons. Ils expérimentent de nombreux problèmes
médicaux et consomment de la drogue, avec une
prédominance des drogues bon marché.
Les clients sont en général de jeunes haïtiens (nes)
pour le moins aisés (ki gen kòb).
Les garçons sont mieux payés et les filles ont plus de
clients par jour.
Parmi les bénéficiaires ces mineurs identifient leurs
parents, les propriétaires d’hôtels, les gens travaillant
dans le tourisme.
Les mineurs sont très conscient de leur situation ils
l’attribuent principalement à des conditions
économiques désastreuses et demandent quasi
unanimement que quelque chose soit fait pour les
retirer de la rue, les renvoyer à l’école et les réintégrer
dans une vie normale de jeunes.
12
Dans le cadre de cette étude un sondage a été mené
auprès de 207 adultes en vue d’appréhender leur
perception relative à l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales. Les principaux
résultats obtenus indiquent un niveau de
connaissance relativement élevé de ceux-ci en
rapport à l’existence du phénomène sous étude. Les
problèmes économiques, particulièrement la pauvreté
des parents, ont été identifiés comme une des
principales causes de la prostitution des mineurs.
Parmi les pistes de solutions suggérées pour
contrecarrer l’expansion d’un tel phénomène : la
création d’emplois, la création de centre d’accueils
pour encadrer les jeunes, ainsi que des activités de
formation et de sensibilisation des jeunes sont
mentionnés par l’ensemble des adultes (femmes et
hommes).
Par ailleurs, selon les adultes, l’Etat devrait être le
premier à assumer une telle responsabilité. Il est
également important de signaler l’accent mis sur une
collaboration Etat/Secteur privé ainsi que
Etat/Société civile en général pour attaquer ce
problème et appliquer les pistes de solutions
proposées.
Les recommandations concernent l’état qui devrait
mettre sur pied un programme national de protection
des droits de l’enfant en collaboration avec les
institutions de la société civile, le domaine juridique
qui devrait être mis à jour, des études ultérieures qui
devraient définir de façon plus précise les différents
aspects de cette exploitation des mineurs à des fins
commerciales, un plaidoyer en faveur des droits de
l’enfant et une plus grande visibilité médiatique des
différentes violations de ces droits.
INTRODUCTION
L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales a pris des dimensions internationales et
constitue une violation grave des droits humains
fondamentaux des enfants et des adolescents des
deux sexes.
3. La société de consommation : un certain
nombre de jeunes issus des classes moyennes
subissent une forte pression sociale et aspirent à
posséder certains des biens de consommation et de
luxe, signe d’un certain statut social. Cette pression
entraîne un énorme besoin d’argent et la tentation
de le combler par des activités comme le commerce
du sexe.
4. Orphelins du Sida qui doivent subvenir à
leurs besoins ou qui deviennent souvent chefs de
famille donc très vulnérables.
5. Comportement sexuel irresponsable :
certains hommes cherchent à avoir des relations
sexuelles avec une petite fille vierge. De plus
certains mythes sont attachés au fait d’avoir des
relations avec de très jeunes filles vierges ou ayant
eu peu de partenaires, comme ne pas contracter le
virus du Sida ou en guérir, accroître la virilité, etc.
6. Traditions et coutumes néfastes : outre
les pratiques de mariages d’enfants précoces,
forcés ou temporaires, il existe d’autres coutumes et
traditions qui rendent les enfants vulnérables à
l’exploitation sexuelle.
7. Enfin il est noté que dans nombre de pays, la
plupart des filles de prostituées ont rarement la
possibilité de vivre autrement : cela peut être du à
des structures sociales rigides ou à la
discrimination sociale1 .
Elle se présente avec des caractéristiques et sous des
formes différentes selon les régions où elle se
pratique.
Dans certains pays elle représente
quasiment une forme contemporaine d’esclavage.
Dans une nomenclature des Nations Unies pour
répondre à la question: Pourquoi l’exploitation
sexuelle commerciale infantile existe-t-elle? on
retrouve les facteurs suivants :
1. La pauvreté; ce facteur qui est généralement
la première réponse à la question est pondéré par
des considérations comme: de nombreux enfants
issus de familles pauvres ne se prostituent pas; des
enfants dont les familles ne sont pas défavorisées se
retrouvent dans des circuits de prostitution;
l’exploitation sexuelle se retrouve dans les pays
“développés” et dans les pays “en voie de
développement”.
D’autres facteurs rentrent donc en ligne de compte:
I) Vivre et travailler dans les rues:
l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud sont
citées pour avoir un grand nombre de cette
catégorie d’enfants qui se font exploiter
sexuellement pour survivre.
II) Les abus familiaux et le rejet des
enfants; On estime que 80% des enfants victimes
d’exploitation sexuelle à des fins commerciales
souffrent de mauvais traitements psychologiques
et/ou physiques au sein de leur famille; la plupart
ont subi une agression sexuelle sous une forme ou
sous une autre de la part d’un membre ou d’un ami
de la famille.
2. Les conflits armés : qui ont comme
conséquence que les enfants sont souvent séparés
de leurs parents ou deviennent orphelins. Cette
catégorie d’enfants non accompagnés est
particulièrement vulnérable.
Presque tous ces facteurs peuvent être appliqués au
cas d’Haïti.
La République d’Haïti compte environ 8 millions
d’habitants pour une superficie de 27 750 km2.
Environ 60% de cette population vit en milieu rural.
On estime que 53% de la population urbaine vit en
dessous du seuil de pauvreté. Les villes principales
sont côtières et surpeuplées; elles sont caractérisées
par une croissance rapide des zones de bidonville.
Particulièrement la capitale est affectée par ce
phénomène, du fait de la migration urbaine. La
densité atteint plus de 2500 hab./ha dans certains
quartiers de Port-au-Prince.
Pourquoi la prostitution enfantine existe-t-elle? Textes de
référence des Nations Unies - En Annexe
1
13
Haïti a une population jeune dont 15% a moins de 5
ans et 46% moins de 15 ans. L’espérance de vie est
de 60.32 ans. La mortalité maternelle est estimée à
534/100.000 naissances vivantes et la mortalité
infantile de 80.3/1000.
Si 60% de la population de 10 ans et plus atteint le
niveau primaire, seulement 32% se retrouve au
secondaire et 2% à l’université. Le taux net de
scolarisation à l’enseignement secondaire par sexe
est de 26.0 pour les filles et de 23.4 pour les garçons.
Le revenu per capita a chuté de US$ 390 en 1990 à
US$ 190 en 1995. Il est estimé à 9721gourdes2 en
20003. Il convient de signaler que les bouleversements
politiques des 10 dernières années ont eu pour
corollaire une chute en cascade du produit intérieur
brut et une augmentation prononcée du taux de
chômage, situation aggravée par un exode massif
des campagnes vers la ville.
Une telle situation socio-économique tend à placer
Haïti au rang des pays où l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales semble avoir pour
raison principale la pauvreté et ses multiples
conséquences : exode rural, éclatement de la structure
et des valeurs familiales. De plus, les différents
facteurs consignés dans le texte de référence des
Nations Unies, cité plus haut, se retrouvent dans la
société haïtienne; les enfants des rues, les abus
familiaux, les effets de la société de consommation,
les orphelins du SIDA; le Coup d’Etat de 1991 a eu
des effets similaires à ceux des conflits armés : enfants
séparés de leur famille, orphelins etc.
L’expansion de ce problème depuis ces dernières
années, même si elle n’est pas documentée de façon
formelle, peut se constater particulièrement dans
certains quartiers de Port-au-Prince et de Pétion Ville.
Cette problématique a été abordée dans plusieurs
études concernant les enfants en situation difficile
(enfants des rues, filles dans les rues) mais aucune
étude spécifique n’y a été consacrée qui permettrait
de mieux mesurer son ampleur, de connaître ses
caractéristiques et la nature des interventions qui sont
faites soit au niveau de l’Etat, soit au niveau de la
société civile, de cerner le cadre juridique s’y
appliquant.
La législation haïtienne fait obligation à l’État haïtien
de protéger tous les enfants mineurs (moins de 18
ans) contre toutes formes d’exploitation et
particulièrement contre l’exploitation sexuelle. La
ratification par l’État haïtien de la Convention sur les
droits de l’Enfant renforce cette obligation et l’engage
vis-à-vis de la communauté internationale. De plus,
son adhésion au Programme International pour
l’Abolition du Travail des Enfants (IPEC), formalisée
dans un mémorandum d’accord en décembre 1999,
devrait être un signe manifeste de sa volonté à mettre
en place une politique nationale visant la protection
de l’enfant contre l’exploitation par le travail.
Tout ceci a conduit le OIT-IPEC à inclure, entre autres
activités dans son programme pour l’éradication du
travail des enfants, une étude exploratoire sur
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales en Haïti.
Cette étude a pour objectif de cerner les
caractéristiques fondamentales du phénomène d’une
part et d’autre part d’esquisser le profil des mineurs
victimes de l’exploitation sexuelle à des fins
commerciales, celui des bénéficiaires de cette activité
et de sonder la perception de la population à l’endroit
de ces pratiques.
2
Actuellement 1 USD = 42,5 gourdes. La dépréciation de la gourde est journalière et affecte considérablement le pouvoir d’achat de la population dont une
grande partie vit en situation de chômage. En effet, à titre d’illustration il convient de souligner que le taux de chômage estimé pour 2002 est environ 2.1 fois plus
élevé que le taux de chômage ouvert pour 2000. Par ailleurs, puisque cette étude exploratoire concerne le monde urbain, on peut souligner que le taux de
chômage urbain, selon les estimations récentes (INESA, 20002), représenterait environ 28.5% de la population active en 2002.
3
L’ensemble des informations sur la situation socio-économique du pays est tiré de EMMUS III (2000). Une analyse plus fine aurait permis de dégager les
tendances récentes de l’économie et ses implications majeures sur le social; ce n’est pas le cas pour cette étude exploratoire.
14
Le présent rapport est structuré comme suit : la première partie présente
brièvement la problématique sous-étude et la méthodologie adoptée. La
deuxième traite du cadre juridique et explore le cadre institutionnel. La
troisième partie s’adresse directement aux résultats de l’enquête menée
auprès des mineurs d’une part et d’autre part présente de manière
synthétique les informations obtenues du sondage auprès des adultes. Le
rapport se termine par l’énoncé de certaines conclusions et
recommandations.
Contraintes rencontrées en cours d’étude
Malgré les précautions prises pour faire face aux imprévus, certaines
contraintes ont quand même perturbé le calendrier des activités devant
aboutir à la réalisation des différentes phases de l’étude et il a fallu le réviser
pour y faire face.
La première contrainte rencontrée a été l’obligation pour l’équipe, après
avoir présenté et révisé les instruments de collecte de données rédigés en
créole, avec la représentation du OIT-IPEC en Haïti et l’ACDI, de les traduire
en français et d’attendre qu’ils soient approuvés par le siège de l’IPEC à
Costa Rica avant de les utiliser. Cette contrainte a entraîné un retard
considérable dans l’observation des zones ciblées, la formation des
enquêteurs, l’administration du questionnaire aux mineurs et le sondage
d’opinion.
L’observation des zones a été aussi retardée par le fait que certaines d’entre
elles reconnues habituellement comme étant le site de ce genre d’activités,
étaient quasiment désertes comme en témoigne un des rapports
d’observation. Des interventions policières au niveau de ces zones avaient
entraîné un déplacement des populations qui antérieurement les
fréquentaient.
Certaines institutions ont pris du temps avant de répondre à la demande de
rendez-vous. L’équipe n’a jamais pu rencontrer l’Institut du Bien Être Social,
principale instance de l’État concernée par la problématique sous étude.
En outre, la situation de trouble politique qu’a connu le pays durant la
période allant de novembre 2002 à février 2003 a considérablement
perturbé le déploiement de l’équipe et des enquêteurs sur le terrain.
15
L’exploitation
sexuelle des
mineurs:
une problematique
multidimensionnelle
16
I.-L’EXPLOITATION SEXUELLE DES MINEURS:
UNE PROBLEMATIQUE MULTIDIMENSIONNELLE
1.1.- Le concept d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales
Le Premier Congrès Mondial contre l’exploitation sexuelle des mineurs qui
s’est tenu à Stockholm en 1996 a permis de réaliser une avancée stratégique
dans la formulation conceptuelle du phénomène et dans la mise en place,
dans de nombreux pays, d’actions en vue d’y faire face. Dans un des
documents soumis au congrès par l’OMS, il est souligné que :
« …Aucun modèle ou cadre unique ne permet d’expliquer ou
de décrire les différents modes de l’exploitation sexuelle
commerciale des enfants (ESCE) et leurs conséquences. Dans
le monde en développement, des facteurs macro sociaux et
macro économiques comme la pauvreté et l’exclusion jouent
sans doute un rôle important tandis que les caractéristiques
particulières de l’enfant et de sa famille déterminent sa
résistance ou sa vulnérabilité. Dans les pays industrialisés, la
pauvreté certes peut exercer parfois une influence sur la ESCE
mais il est probable que les caractéristiques individuelles du
sujet, le bon fonctionnement de sa famille et son expérience
jouent un rôle plus important…»4
Pour sa part, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) a
adopté en 1999 une convention portant sur les pires formes
de travail des enfants. Aux termes de cette convention qui a
été ratifiée par l'ensemble des pays de la région (Haïti fait
exception en ce sens), est explicitement considérée comme
pire forme de travail des enfants l'exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales, de même que toutes les
pratiques
analogues
(spectacles
et
exhibitions
pornographiques. A ce titre l'ESC de mineurs est considéré
comme un crime qui doit faire l'objet de sanctions précises de
la part de tous les Etats ratificateurs.
Pour bien comprendre la problématique en question, il faut cerner de plus
près le concept d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales.
Il existe en effet, différentes définitions de ce concept.
Pour certains, cette notion serait opposée à la prostitution dite classique où
un (e) client (e) vient chercher les services d’un partenaire du même sexe ou
du sexe opposé dans un lieu précis (bordel ou autre) contre de l’argent
quelque soit son âge. Pour d’autres, l’exploitation sexuelle des mineurs à des
fins commerciales, réfère à toute situation où un mineur est impliqué dans une
relation sexuelle avec un adulte en vue d’un gain quelconque. Cette
conception exclue le cas où un mineur a des relations sexuelles avec un ou
OMS (1996). L’exploitation sexuelle commerciale des
enfants: Dimensions sanitaires et psychosociales du
problème. Document soumis au Congrès mondial contre
l’exploitation sexuelle d’enfants à des fins commerciales.
Stokholm, Suède, 27-31 août.
4
17
plusieurs de ses pairs mais en vue d’un gain et en dehors de toute relation
affective. Une troisième vision serait celle qui fait intervenir un intermédiaire
(passeur, maquerelle, «tyoul») comme bénéficiaire de cette activité. Jean
Robert Chéry, directeur du Centre d’Éducation Populaire5 (CEP) a une
définition plus pointue: «l’exploitation sexuelle est le fait qu’un enfant sert
comme objet sexuel indépendamment de sa volonté sous les menaces d’un
passeur ou de ses pairs.»
Pour Martine Bernier et Françoise Ponticq, dans «Planifications
d’interventions»6, un mineur en situation d’exploitation sexuelle à des fins
commerciales est un mineur impliqué dans une relation sexuelle ou des
activités connexes (pornographie, etc.) en vue d’un gain matériel, en dehors
de toute relation affective.
1.2.- Le caractère multidimensionnel de l’exploitation
sexuelle des mineurs en Haïti
Le phénomène de l’exploitation sexuelle des enfants se pose en Haïti en des
termes multidimensionnels. Il fait partie d’un contexte plus large qu’il
conviendrait de caractériser de façon plus précise. Il rejoint les domaines
économique, social, culturel (tabous, relations familiales), la question de
genre. Il repose sur une série de tabous et de complicité à tous les niveaux de
la société qui entretiennent une conception de l’enfance et du genre féminin
comme des catégories vouées à se soumettre à la volonté de l’adulte et de
l’homme. Le cas suivant en est une illustration éloquente. Les parents ont peu
de moyens et font partie de la classe pauvre, Martine est une enfant et une
fille, elle doit donc se soumettre à la volonté de l’adulte homme et même
d’autres jeunes mâles. Il ne faut pas que le scandale éclate, les autorités de
l’institution s’entendent pour l’étouffer. Finalement ce sont les filles qui sont
pénalisées puisqu’en plus de la honte qu’elles ressentent elles doivent
abandonner l’école.
Histoire de vie ou témoignages
Un cas rapporté par l’étude réalisée par Le Conseil National de l’Education
pour les filles. (CONEF)7
5
Voir Synthèse des entrevues avec les responsables
d’institutions en Annexe
6
Planification d’interventions utilisant les modes
d’organisation sociale et économique des enfants et des
jeunes vivant et travaillant dans les rues en Haïti et entre
autres, de ceux et celles vivant de la prostitution Unité de
Recherche sur les Enfants en Situation difficile (URESD)
Université Quisqueya- Avril 1999 - Inédit
7
Jocelyne
Trouillot-Lévy,
Sabine
Sanon,
Dilia
Lemaire.Violence exercée envers les filles dans le milieu
scolaire–CONEF, miméo, version préliminaire, Port-auPrince, Haïti.
18
«L’affaire se passe dans une école d’un quartier populaire de la capitale, une
école quasi gratuite parce que dépendant d’une église protestante de la
zone, qui a reçu l’autorisation de fonctionner du Ministère de l’Éducation
Nationale.
Martine, une fillette de 13 ans, fille d’un père chômeur et d’une mère ouvrière
prend des cours de rattrapage à l’école. Elle ne revient chez elle qu’après
cinq heures de l’après-midi.
L’école convoque un jour les parents pour leur demander de ne plus laisser
les enfants après les heures de classe. Martine, ne sachant pas la raison de
cette convocation prend peur et avoue à ses parents qu’il s’est passé quelque
chose de très grave à l’école, il y a environ un mois.
Son amie et elle ont été violées par deux employés de l’école. Trois jeunes
garçons de l’établissement surprenant ces employés promettent de ne rien
dire s’ils peuvent eux aussi «faire un coup». Lorsque la responsable de
discipline est informée du fait, quelques jours plus tard, elle demande aux
filles si elles ont déjà menstruées. Elle leur fait faire un test de grossesse.
Lorsqu’elle apprend le résultat négatif, elle renvoie les deux employés et
convoque une réunion de parents.
Or à cette réunion nul mot de cette histoire n’est mentionnée. Les parents des
élèves victimes ont alors crié leur indignation. Ils portent plainte au
Commissaire du Gouvernement. Le dossier mettant en cause majeurs et
mineurs est délicat et difficile à traiter. Les fillettes laissent l’école. Les
garçons y restent. Le Ministère touché de la question ne dit rien.
Le dossier est encore pendant devant la justice et les parents, sans se
décourager, continuent d’attendre le mot du droit.»
Aussi éloquent est le cas dénoncé en février 2003 dans tous les médias de la
capitale par les organisations féministes de cette jeune fille de 17 ans violée
par un agent de santé, employé de la fonction publique alors qu’elle était en
prison au Fort National; elle devient enceinte, accouche en prison sans
qu’aucunes mesures ne soient prises contre le violeur, alors qu’elle l’avait
dénoncé à la directrice. Sans l’intervention de ces organisations féministes le
cas serait resté caché.
Cette conception des rapports de pouvoir entre homme et femme, adulte et
enfant constitue un terrain favorable au développement de
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
particulièrement des filles.
Cette problématique n’a
retrouve transversalement
situation difficile: enfants
victimes de violence dans
fait l’objet d’aucune étude spécifique mais se
dans différentes études faites sur les enfants en
des rues, filles de rue, « restaveks », écolières
le milieu scolaire, certains plaidoyers du Centre
19
d’Éducation Populaire (CEP) au niveau national et international. Il en ressort
que cette exploitation frappe principalement le monde des enfants dans les
rues et les enfants de la rue et à l’intérieur de ce secteur les filles sont les plus
atteintes. Elle serait actuellement en pleine expansion.
L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, en Haïti, est
multiforme, elle revêt différentes facettes.
La première forme que prend l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales est celle des enfants dans les rues et les enfants de la rue. C’est
d’abord dans ce monde que se retrouve la majorité des enfants exploités
sexuellement à des fins commerciales. Martine Bernier et Françoise Ponticq8
constatent que toutes les filles de la rue rencontrées à Port-au-Prince, dans le
cadre de leur étude, pratiquent une activité sexuelle en vue d’un gain et en
dehors de toute relation affective. Pour le directeur du Centre d’Éducation
Populaire, l’exploitation sexuelle des enfants est «déterminée par la culture de
la rue qui lui donne sens et structure: vie de fête, de violence, d’alcool, de la
drogue, de prostitution et de crime. »9 Dans la même étude, il affirme que
les évaluations psychosociales du CEP permettent de déduire que 70% des
petites filles des rues ont fait l’objet d’exploitation sexuelle de la part d’autres
jeunes des rues et des passeurs.
Les différentes études rapportent que ces enfants se retrouvent dans la rue
principalement parce que leurs familles ne peuvent plus subvenir à leurs
besoins ou qu’ils ont fui un foyer où ils étaient en situation de « restavèk » ou
qu’ils sont orphelins ou séparés de leur famille (instabilité politique, SIDA,
Coup D’état,) et qu’ils ne peuvent s’adresser à aucune structure d’accueil.
Certains d’entre eux continuent d’avoir un pied à terre résidentiel, mais la rue
devient leur principal lieu d’activité. Ils en font leur espace de vie et de
travail. Ils s’organisent en gang, y trouvent de petits emplois (lavage de
voiture, petit commerce informel, mendicité), ils deviennent des proies
(particulièrement les filles) pour toutes sortes de violence, d’abus sexuels,
pour les réseaux de drogues. Ils se construisent des mécanismes de défense
qui souvent reproduisent les modèles de comportement que la société leur
renvoie et qui ont contribué à les mettre dans la situation qu’ils vivent:
violence, machisme entre autres.
Op.cit
L’exploitation sexuelle des enfants – Jean RobertChery –
miméo. Avril 96
10
Dans une entrevue accordée par un médecin pratiquant à
Pétion-Ville, l’intervenante rapporte qu’elle reçoit parfois des
jeunes filles -18 à 22 ans- (tranche d’âge ne concernant pas
ce cas mais qu’il convient de rapporter tenant compte du
caractère spécifique de l’exploitation et de la violence
sexuelles dans le pays), se présentent à son cabinet,
sollicitant des services pour un avortement, accompagnée
d’un homme beaucoup plus. Elle soupçonne qu’il s’agit de
cas d’exploitation sexuelle.
11
Jocelyne Trouillot-Lévy, Sabine Sanon, Dilia Lemaire.
Violence exercée envers les filles dans le milieu scolaire.–CONEF, miméo, version préliminaire, Port-au-Prince, Haïti.
8
9
20
Une deuxième forme plus sournoise de l’exploitation des mineurs à des fins
commerciales, apparemment plus récente est celle du monde des écolières10.
Cette dimension est moins connue et moins étudiée. Nous l’avons retrouvée
cependant au cours de cette étude exploratoire.
Dans une étude réalisée par CONEF11, la violence verbale autour du thème
sexuel sur le chemin de l’école et dans le quartier est très souvent rencontrée
par les filles: “Taquineries, railleries, commentaires de tout genre, invitation à
monter en voiture pour une promenade plus agréable voilà en général ce que
doit subir tous les matins l’élève fille pour se rendre à l’école spécialement
dans les milieux défavorisés et dans les groupes d’âge plus avancés”.
Une autre entrevue avec un policier nous révèle le cas d’une jeune fille de 17
ans en relation avec un homme de 43 ans qui lui paie sa scolarité et la bat
très souvent.
Nombreux sont les témoignages dignes de foi qui relatent des faits comme
cette petite fille, qui pour ne pas être en retard à l’école prend “roue libre”
avec un “personnage” mais en compensation couche avec lui…ou encore ce
groupe de jeunes filles qui louent un appartement à Péguy Ville pour y
recevoir des clients… Le “sugar daddy”12 est-il entrain de s’installer en Haïti?
Si certains font une différence entre la prostitution dite “classique” et
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, le spectacle de
certains coins de rue de Pétion Ville nous renvoie l’image de très jeunes filles
faisant ouvertement “le trottoir” et y trouvant des clients. Dans notre optique,
il s’agit là aussi d’une forme d’exploitation sexuelle de mineurs à des fins
commerciales et sur laquelle devrait se pencher la législation haïtienne.
Un rapport sur La Convention des Nations Unies relative aux droits de
l’enfant dit d’emblée que les données manquent sur la prostitution infantile et
l’éventualité du tourisme sexuel en Haïti. Cependant si on remonte aux
témoignages des gens ayant vécu les années 50 et les années 70, cette
prostitution induite par le tourisme, alors florissant en Haïti, incluait adultes et
mineurs. Dans les années 80, au moment ou explosait à la face du monde
l’horreur de la pandémie du SIDA, Haïti avait été classée parmi les fameux
4 H : homosexuels, héroïnomanes, hémophiles, Haïtiens. Des groupes de
chercheurs haïtiens regroupés au sein du GHESKIO et du Groupe de
recherche sur les maladies immunitaires et les infections opportunistes à
l’époque avaient dénoncé cette classification paradoxale et pour le moins
xénophobe de citoyens d’un pays parmi des syndromes ou des gens ayant
un comportement particulier, ils avaient démontré avec à l’appui des
publicités touristiques vantant les charmes sexuels des jeunes haïtiens que le
tourisme induisait chez nombre de jeunes des pratiques sexuelles à des fins
commerciales pour faire face à leurs difficultés financières et que les services
de santé américains avaient décrété qu’ils étaient à l’origine de la pandémie.
Autrement dit si l’impact du tourisme ne se retrouve pas actuellement dans les
facettes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales c’est
dû au déclin du secteur touristique.
Cependant il ne faut pas négliger les nombreux étrangers actuellement vivant
en Haïti et qui sont des consommateurs de prostitution informelle adulte et
mineure.
Expression désignant un homme d’un certain âge
entretenant une ou des très jeunes filles.
12
21
Le phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
en Haïti est donc en grande partie dilué dans la problématique des enfants
en situation difficile. Dans d’autres pays de la région comme la République
Dominicaine, il est plus visible dû au fait que certaines de ses formes sont plus
répandues, comme la prostitution infantile liée au tourisme. En effet chez nos
voisins à partir des années 70, le développement du secteur touristique a
entraîné comme conséquence l’apparition de nouvelles formes d’exploitation
sexuelle des enfants et des adolescents des deux sexes dans les centres
touristiques. Cette plus grande visibilité a elle même eu comme conséquence
un plus grand souci des institutions gouvernementales et non
gouvernementales ainsi que des média pour le phénomène. Il s’en est suivi
une série d’interventions visant à le contrer. Mais en même temps, l’ampleur
de cet aspect de l’exploitation sexuelle des mineurs tend à occulter les autres,
aussi réels et préjudiciables aux mineurs 13.
Toute situation qui implique un(e) mineur (e) dans une relation sexuelle sans
lien affectif est une forme d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales et porte atteinte aux droits fondamentaux des enfants. Cette
approche est celle qui a été adoptée dans le cadre de cette étude
exploratoire.
1.3.- Protocole
En regard des objectifs établis dans les Termes de Référence et du mandat, la
présente étude vise à :
• dégager les caractéristiques globales de la problématique
• explorer le cadre juridique s’y appliquant
• cerner la réponse institutionnelle
• esquisser le profil des mineurs soumis à ce type d’exploitation,
• sonder les perceptions de la population à l’endroit de ces pratiques
• faire des propositions d’intervention
à travers:
1. une compilation des documents existants
2. l’utilisation de différents instruments de collecte à savoir
• Les entrevues avec des intervenants responsables d’institutions oeuvrant
directement ou indirectement avec des mineurs victimes d’exploitation
sexuelle à des fins commerciales permettant d’évaluer quelle était la réponse
institutionnelle tant étatique que civile à cette problématique, quelles
perceptions avaient ces institutions de l’exploitation sexuelle des mineurs à
des fins commerciales et quelles étaient leurs recommandations.
OIT-IPEC- (2002) - Explotacion sexual comercial de
personas menores de edad en República Dominicana
13
22
• Les entrevues avec des personnes ressources qui par leur profession ou leur sensibilité
sociale pouvaient aider à cerner la problématique.
Ces entrevues ont été menées à partir d'une grille dont la structure
comprend une douzaine de questions portant sur: la vocation de
l'institution, sa connaissance de la problématique, les interventions
éventuelles sur le problème, l'opinion sur les différents niveaux de
responsabilité et les interventions nécessaires.
• Une grille d’observation de certains lieux où se pratique l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales visant l’identification des lieux et des personnes les
fréquentant, le comportement des personnes observées.
Cette grille a permis de décrire les zones identifiées pour l’enquête, le
profil et le comportement des personnes observées.
• Une enquête par questionnaire auprès des mineurs eux-mêmes portant sur leur origine
et leur éducation, leur parcours, leurs expériences et pratiques dans le milieu, leur vécu
et l’organisation du milieu, leur perception de celui-ci et d’eux mêmes, leurs recours et
recommandations.
• Un sondage d’opinion comprenant trois sections (renseignements
personnels, connaissance et perception du phénomène, réactions et
opinions) afin d’appréhender les différentes représentations de la population en
relation avec le phénomène.
• Des histoires de vie.
Les trois premiers outils ont été administrés par des membres de l’équipe, ainsi que la
rédaction des histoires de vie, le questionnaire et le sondage d’opinion par des
enquêteurs.
L’échantillon a été déterminé à l’avance par le commanditaire et précisé dans les termes
de référence: une enquête auprès de 75 mineurs et un sondage d’opinion visant 150 à
200 adultes.
Chacun des instruments de collecte est organisé en modules ce qui a facilité largement
l’analyse des données obtenues à partir des indicateurs retenus. L’enquête et le sondage
se sont déroulés sur une période de 15 jours.
Les enquêteurs sélectionnés ont bénéficié de trois séances de formation d’une durée de
4 hres environ chacune. Il s'est agi pour la plupart d'étudiants universitaires.
Outre les informations recueillies auprès des institutions on a également
eu recours à des informateurs privilégiés parmi lesquels il faut citer:
deux responsables de centres d'accompagnement d'enfants démunis,
des policiers et responsables de bar/restaurant. Ces informateurs ont
contribué grandement à faciliter l'accès à des informations plus
précises, et aux mineurs enquêtés.
L’étude a été confiée à une équipe multidisciplinaire: médecin-gynécologue ayant une
expérience dans les questions de la santé de la reproduction et de la problématique de
genre, anthropologue, spécialiste de la condition des jeunes en situation difficile,
sociologue et juriste.
23
CADRE
JURIDIQUE
24
II- CADRE JURIDIQUE
Depuis la ratification de la Convention Internationale des Droits de l’enfant
par Haïti le 23 décembre 199414 , un regain d’études et de réflexion sur la
situation des enfants se tient en Haïti, réalisé autant par des associations
nationales qu’internationales que par l’Etat haïtien. Chacune de ces études
renvoie à une autre plus détaillée, parce que les informations recueillies
ouvrent de nouvelles pistes de réflexions. (Différentes études sur la situation
des enfants ont été menées depuis lors)15.
Dans ce chapitre consacré au cadre juridique de cette problématique en
Haïti, nous allons dans un premier temps faire brièvement le tour de la
législation haïtienne relative aux mineurs en général avant de nous pencher
sur ce que dit notre législation sur l’exploitation sexuelle des mineurs, ensuite
par rapport aux textes internationaux que nous avons ratifiés, nous allons
voir les écarts existants pour terminer par des recommandations relatives à
d’éventuelles mesures à prendre pour adresser le problème de l’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales en Haïti.
2.1.- La législation haïtienne relative aux mineurs
La Constitution de 1987
La Charte haïtienne, la Constitution d’Haïti approuvée par référendum le 29
mars 198716, dernière d’une série de 23 constitutions n’est pas très prolixe
en ce qui concerne les enfants. A part les grandes obligations relatives à
l’éducation primaire gratuite, elle ne parle pas beaucoup des mineurs. On
les retrouve dans deux articles:
• l’article 16-2, dans laquelle elle fixe la majorité à 18 ans;
• l’article 261 ou elle prescrit pour la première fois que « tout enfant a
droit à l’amour, à l’affection, à la compréhension et aux soins moraux et
matériels de son père et de sa mère » En plus de faire obligation à la loi
d’assurer la protection à tous les enfants.
Les mineurs en droit civil
Le Code civil haïtien promulgué en 1825 traite de la filiation, de la parenté,
de la reconnaissance des enfants et des obligations qu’ils ont vis à vis de leurs
parents quand ceux-ci ne sont plus en mesure de se prendre en charge. On
y trouve aussi les mesures de protection de leurs patrimoine et héritage si l’un
des parents ou les deux vient à mourir et laisse des biens en gestion par un
tuteur ou autre responsable. Un conseil de famille17 est institué pour
accompagner et contrôler le tuteur dans la gestion de ces biens mais nulle
part les obligations faites au tuteur concernant l’éducation de l’enfant, son
encadrement et les garanties qui lui permettraient de se développer
harmonieusement ne sont précisées18.
Il faut noter que ces mesures de protection qui sont prises en faveur d’un
orphelin ne concernent pas les enfants nés de mères célibataires.
Moniteur No 59 du 31 juillet 1997
Le droit des enfants à avoir des droits – Haïti Information
Libre, Vol X No 98 – 1996
La situation des enfants en Haïti – 1996
Le droit des enfants dans la législation haïtienne – Dilia
Lemaire Lhérisson – 1995
La situation des enfants de rue – Jean Robert Chery – 1998
Guide de travail pour les encadreurs accopagnant les
enfants de la rue en Haïti – UNIQ-1999
Observations préliminaires sur un projet de Code de l’Enfant
– MICIVIH-1998
Les mineurs et la détention préventive en Haïti – Rosevel
Pierre-Louis – 2001
Restituer l’enfance – Evelyne Trouillot - 2001
16
Constitution de la République d’Haïti – Moniteur No 36 du
28 avril 1987
17
Institution prévue par la loi constituée de 6 membres (3 du
coté paternel, 3 du coté maternel) sous la présidence du
juge de paix de la zone
18
Code Civil: articles 329 à 385
14
15
25
On ne doit pas manquer de mentionner que le Code Civil fait état de quatre
(4) « qualités d’enfants »: les enfants légitimes, les enfants naturels, les
enfants adultérins et les enfants incestueux. Les deux premiers groupes ont
droit à un acte de naissance mentionnant le nom du père alors que pour les
deux autres c’est formellement interdit à l’Officier d’Etat Civil19.
Le 23 mars 1928, une loi est votée par le parlement d’alors, déclarant le
commissaire du gouvernement protecteur naturel des enfants et lui faisant
obligation formelle d’intervenir toutes les fois qu’il y a mineur en cause,
même lorsqu’on ne lui porte pas plainte20.
Une loi créant « la maison centrale » est promulguée le 20 octobre 190921.
Cette maison est à la fois un établissement de correction et une maison
d’apprentissage qui a pour objectif d’éduquer tout enfant qu’elle soustrait à
l’oisiveté et au vagabondage. Un décret-loi du 7 juin 1938 l’a réorganisé en
« centre d’apprentissage professionnel dénommé « maison de rééducation »
et au fil du temps, les enfants y étaient gardés sous surveillance spéciale pour
y purger des condamnations fixées par le tribunal pour enfants.
Le décret du 3 décembre 197322 régissant le statut des mineurs dans les
maisons d’enfant, désigne le magistrat communal comme personne
responsable de faire toute déclaration provisoire d’enfants abandonnés qui
sont recueillis dans ces « orphelinats ». De plus ce décret prévoit les
conditions de fonctionnement de ces orphelinats et leurs obligations vis à vis
des enfants et de l’Etat.
Le décret du 8 décembre196023, faisant obligation aux père et mère ou
personne responsable d’un mineur de l’envoyer à l’école et qui le sanctionne
d’emprisonnement quand l’enfant est trouvé dans la rue, en train d’errer au
lieu d’être à l’école ou dans un centre professionnel.
En 1966 un décret introduit l’adoption dans nos mœurs. Il est modifié par
un décret du 4 avril 197424 qui trace la procédure, les conditions de
l’adoption et les droits des enfants dans leur nouvelle famille.
Un décret promulgué le 8 octobre 198225 stipule en son article 4 « les époux
pourvoient ensemble à l’entretien et à l’éducation des enfants et préparent
leur avenir ». L’article 13 de ce décret stipule que « la puissance paternelle
est remplacée par l’autorité parentale ».
Code Civil, article 306: «Cette reconnaissance ne pourra
avoir lieu au profit des enfants nés d’un commerce
incestueux ou adultérin ».
20
Moniteur No du avril 1928
21
Moniteur No 84 du 20 octobre 1909
22
Moniteur No 2 du 7 janvier 1974
23
Moniteur No 120 du 12 décembre 1960 publié à nouveau
dans le Moniteur No1 du 2 janvier 1961
24
Moniteur No 32 du 18 avril 1974
25
Moniteur No 75 du 28 octobre 1982
19
26
Le dernier texte législatif relatif à la protection des enfants est le décret voté
au parlement le 10 septembre 2001 « interdisant les châtiments corporels
contre les enfants ».
Les enfants dans le Code du travail
Dans le Code du travail haïtien plus d’une vingtaine d’articles ont été
consacrés aux enfants dans ses relations de travail, soit avec l’employeur
d’une entreprise commerciale industrielle ou agricole, soit avec les
responsables du domicile qui va les recevoir. L’âge spécifique de tout enfant
accepté par ces employeurs est déterminé. Les conditions dans lesquelles il
doit travailler, le minimum qui doit lui être fourni, les soins de santé,
d’éducation et même de loisirs qui lui sont dus.
Du travail des enfants
Des articles 333 à 340, le législateur parle des conditions de travail du
mineur dans les entreprises industrielles, agricoles ou commerciales, il est
clairement stipulé que le mineur de moins de 15 ans ne peut y travailler.
La Direction du Travail du Ministère des Affaires Sociales est l’instance en
charge de la protection du mineur face à tout employeur.
Une pénalité est prévue pour tout patron qui emploierait un mineur dans des
conditions autres que celles prévues dans ces articles.
Des enfants en service
Le législateur haïtien a consacré les articles 341 à 356 du Code du travail
pour poser les conditions de travail des enfants en service, c’est à dire en
domesticité, appelé généralement « restavek ». Pour engager un enfant de
même que pour s’en décharger, il faut que l’Institut du Bien Etre Social et de
Recherche (IBESR) instance du Ministère des Affaires Sociales chargée de la
protection des mineurs soit mis en cause et donne l’autorisation à la famille
d’accueil. L’âge prévu pour que le mineur soit en service est de 12 à 15 ans.
Il est prévu dans ce code que dans les villes ou l’IBESR n’est pas présent,
l’administration communale se charge de veiller aux conditions d’accueil,
d’hébergement et de traitement de ces enfants.
Le mineur en droit pénal
Lors de la promulgation du Code Pénal en 1835, on y trouvait deux articles
concernant les mineurs:
- l’article 280 qui précise que « si le crime de viol est commis sur la
personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accompli, le
coupable subira la peine des travaux forcés à temps ».
- et dans l’article 282 il est mentionné que « quiconque aura attenté aux
mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche
ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe au-dessous de
l’âge de 2126 ans… » (suivent une série de sanctions prévues).
A cette époque, la majorité est de 25 ans pour les
hommes et de 21 ans pour les femmes
26
27
Dans le code pénal la prostitution n’est pas définie en tant que telle. Mais
dans les articles 278, 279, 280 et 281, toutes les personnes qui sont trouvées
coupables d’outrage public à la pudeur, d’attentat ou de viol tenté avec
violence ou pas, seront sanctionnées, selon le genre de rapport qu’ils
entretiennent avec la victime.
- « Si la prostitution ou la corruption a été excitée, favorisée ou facilitée
par leurs père, mère, tuteur ou autres personnes chargées de leur
surveillance. (art. 282)
- « …. si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la
personne envers laquelle ils ont commis l’attentat27 , s’ils sont ses
instituteurs ou ses serviteurs à gages ou s’ils sont fonctionnaires publics,
ou ministre d’un culte, ou si le coupable, quel qu’il soit, a été aidé dans
son crime, par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle des
travaux forcés à perpétuité. (art. 281)
- « Quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant ou
facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse, de
l’un ou de l’autre sexe au dessous de l’âge de vingt et un an28 … »
- « quiconque aura commis un crime de viol ou sera coupable de tout
autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des
individus de l’un ou l’autre sexe, sera puni de la réclusion (art. 279 )
- « Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de
l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux
forcés à temps ». (art. 280)
Dans ces articles relatifs à tous rapports sexuels entre individus, et plus
spécifiquement avec des enfants ou des dépendants, tentés ou réalisés avec
violence, le législateur n’a pas prévu de structures spécifiques pour
sanctionner et réhabiliter les victimes de cette exploitation sexuelle.
Il a fallu attendre la loi du 7 septembre 196129 sur le tribunal pour enfant
pour que l’article 50 du Code pénal se trouve modifié et prévoie un traitement
spécial pour « le prévenu ou l’accusé (qui) aura plus de treize ans et moins
de seize ans….. » La majorité pénale est depuis considérée comme étant 16
ans accomplis. Ce qui signifie que lorsque le mineur commet une infraction
on le considère pleinement responsable dès qu’il a 16 ans, alors, il est jugé
comme n’importe quel adulte.
Les sanctions
Les sanctions prévues par le Code Pénal, contre toute personne qui serait
trouvée coupable de ces infractions sont de deux types :
la tentative, qu’elle ait échouée ou pas
En 1961 lors de la promulgation de ce texte, la majorité
était de 21 ans pour les deux sexes
29
Moniteur no 94 du 2 octobre 1961
27
28
28
- Les sanctions civiles: telles, le retrait de l’enfant de la responsabilité
du parent est la sanction prévue, l’interdiction de toute tutelle ou curatelle et
de toute participation aux conseils de famille, pendant deux ans au moins et
cinq ans au plus pour les personnes ayant autorité ou entretenant des
rapports hiérarchiques; et pendant dix ans au moins et vingt au plus lorsque
les coupables sont les parents ou toute personne responsable.
Dans tous les cas, les coupables pourront de plus, être mis par le jugement,
sous la surveillance spéciale de la haute police de l’Etat, en observant, pour
la durée de la surveillance, ce qui vient d’être établi pour la durée de
l’interdiction mentionnée au présent article.
- Les sanctions pénales qui dépendent de la «qualité» de la personne
coupable d’incitation à la prostitution, d’outrage public à la pudeur, du crime
de viol sur la personne de tout mineur en général et plus particulièrement des
mineurs de moins de 15 ans:
• travaux forcés à temps: 3 ans au moins et 15 ans au plus30
• détention: 10 ans au moins et 20 ans au plus31
• réclusion: 3 ans au moins et 9 ans au plus32
Le Tribunal pour enfants
Quelques mots sur cette instance prévue par nos textes: le tribunal pour
enfant. La première fois que le législateur haïtien a créé cette instance, c’est
par la loi du 16 juillet 195233 instituant dans chacun des tribunaux civils
« une section de la jeunesse délinquante » appelée à connaître des crimes et
délits commis par les mineurs de moins de 16 ans. En 196134, deux autres
textes l’ont modifié, la loi du 7 septembre 1961 sur le mineur en face de la
loi pénale et des tribunaux spéciaux pour enfants et le décret du 20 novembre
196135 instituant le tribunal pour enfants à Port-au-Prince, en attendant de
pouvoir l’installer dans toutes les juridictions prévues dans la loi du 7
septembre.
Mais, ce tribunal ne prévoit aucune mesure contre les mauvais traitements
faits aux enfants. Il est créé pour condamner les enfants accusés d’infractions
mais pas pour les enfants victimes de mauvais traitements.
2.2.- La législation Internationale
Tout comme pour la législation nationale, nous partirons des textes généraux
avant d’arriver aux textes spécifiques aux mineurs et à l’exploitation sexuelle
des mineurs.
La Déclaration Universelle des droits de l’homme 10 décembre 1948 – publié
en Haïti ce même jour stipule dans son préambule que «l’avènement d’un
monde ou les êtres humains seront libres de parler, de croire, libérés de la
terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de
l’homme»; et que l’article 4 stipule encore «nul ne sera tenu en esclavage ni
en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes
leurs formes».
article 19 du Code pénal
article 19 bis code pénal
article 20 du code pénal
33
Moniteur No 66 du 31 juillet 1952
34
Moniteur No 94 du 2 octobre 1961
35
Moniteur No 108 du 20 novembre 1961
30
31
32
29
Le pacte relatif aux droits civils et politiques sanctionné par le décret 23 novembre
199136, dans lequel il est stipulé que “nul ne sera tenu en esclavage, …en
servitude… (article 8) que « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa
personne… (article 9) et que « toute les personnes sont égales devant la loi et ont
droit sans discrimination à une égale protection de la loi….”(article 26) est aussi
un engagement formel de l’Etat de tout mettre en œuvre pour que ses citoyens
soient protégés tant par les lois nationales que par des institutions qui seront créées
avec cet objectif.
La convention du 21 mars 1950 pour la répression de la traite des être humains
et de l’exploitation de la prostitution d’autrui ratifiée par le décret du 2 septembre
195237 qui dit dans son article premier “les parties à la présente convention
conviennent de punir toute personne qui, pour satisfaire les passions d’autrui:
1) embauche, entraîne ou détourne en vue de la prostitution une autre personne,
même consentante; 2) exploite la prostitution d’une autre personne, même
consentante.”
La Convention américaine relative aux droits de l’Homme du 18 août 197938 dans
son article 19 intitulé “droit de l’enfant” déclare que tout enfant a droit aux
mesures de protection qu’exige sa condition de mineur, de la part de sa famille,
de la société et de l’Etat.
La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDAW) ratifiée par décret du 7 avril 198139 et la Convention
Interaméricaine sur la Prévention, la Sanction et l’Élimination de la Violence contre
la Femme, “convention de Belèm do Parà” ratifiée le 2 juin 1997 ne sont pas
spécifiques aux enfants mais font des recommandations spécifiques aux femmes,
à la violence qu’elles subissent sous toutes ses formes ainsi que des lois à prendre
et des structures à mettre en place pour qu’une protection effective leur soit
accordée.
Il faut aussi mentionner la Convention pour la répression de la circulation du trafic
des publications obscènes (10 septembre 1923) et son décret de ratification du 26
août 195340.
Moniteur
Moniteur
38
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39
Moniteur
40
Moniteur
36
37
30
No
No
No
No
No
2 du 7 janvier 1991
9 du 22 janvier 1953
77 du 1er octobre 1979
76 du 14 novembre 1962
9 du 22 janvier 1953
Textes internationaux non ratifiés par Haïti
Ces textes internationaux signés par Haïti mais non encore ratifiés sont mentionnés
dans cette étude à cause de leur importance dans la lutte contre l’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales et la différence que leur application
dans la législation haïtienne pourrait faire, une fois ratifiés et mis en application.
• Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
• Protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant, concernant la
vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène
des enfants.
• La convention 182 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les pires
formes de travail des enfants.
Les droits des enfants
La déclaration des droits de l’enfant, sanctionnée par le décret du 16 janvier
197941 avec toutes les obligations que l’Etat prenait à sa charge relativement
à la protection, l’encadrement et les mécanismes à mettre en œuvre pour que
cette protection soit concrète.
La Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant, ratifiée par le décret
du 23 décembre 199442, est le principal document relatif aux droits des
enfants qui prend en compte tous les intérêts de l’enfant. Elle vient renforcer
les précédentes conventions relatives au travail et à la prostitution des enfants
qui avaient été prises par Haïti. Elle stipule comme obligations des Etats
parties, dans les différents articles suivants:
- 19: les Etats parties prennent toutes les mesures législatives,
administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant
contre les mauvais traitements ou exploitation, y compris la violence
sexuelle;
- 34: les Etats parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes
d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle et prennent en particulier
toutes les mesures appropriées pour empêcher que a) des enfants ne soient
incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale; b) que des
enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques
sexuelles illégales;
- 39: qui demande aux Etats parties de prendre toutes les mesures
appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la
réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme d’exploitation dans
des conditions qui favorisent la santé, le respect de soi et la dignité de
l’enfant.
Le travail des enfants
La liste suivante des différentes dispositions adoptées par Haïti relativement
au travail des enfants est présentée ici pour illustrer la quantité d’obligations
que l’Etat haïtien a prises vis à vis des enfants:
• Décret sanctionnant la convention fixant l’age minimum d’admission des
enfants aux travaux industriels – 13 juillet 1956.43
• Décret sanctionnant la convention concernant l’examen médical d’aptitude
à l’emploi aux travaux non industriels des enfants et des adolescents – 13
juillet 1956.44
• Décret sanctionnant la convention concernant le travail de nuit des enfants
dans l’industrie, révisée à San Francisco – 13 juillet 1956.45
• Décret sanctionnant la convention concernant l’examen médical d’aptitude
à l’emploi dans l’industrie des enfants et des adolescents – 24 juillet
1956.46
Moniteur No 20 du 8 mars 1979
Moniteur No 59 du 31 juillet 1997
43
Moniteur No 95 du 6 septembre 1956
44
Moniteur No 95 du 6 septembre 1956
45
Moniteur No 95 du 6 septembre 1956
46
Moniteur No 95 du 6 septembre 1956
47
article 276-2 de la Constitution de 1987
41
42
31
2.3- Ecarts entre la législation internationale et la législation nationale
La norme constitutionnelle haïtienne fait «des traités ou accords
internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la
constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui
leur sont contraires.» En d’autres termes, le fait par l’Etat haïtien d’avoir
ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant suffit pour que notre
législation soit en adéquation avec la législation internationale. Mais, à
l’analyse, il s’avère que sans textes de mise à jour et de mise en application
des normes nouvelles, les écarts ne sont pas comblés et l’usage de ces normes
nouvelles ne rentre pas dans la pratique des magistrats et des justiciables.
Les écarts que nous pouvons mentionner quant à l’adéquation de la
législation haïtienne relativement à la législation internationale peuvent se
situer à deux niveaux: le premier, relatif à la législation et le second par
rapport à notre réalité.
Ecarts relatifs à la législation
Le premier commentaire que nous pouvons faire concerne les contradictions
de notre législation sur l’âge du mineur. La Convention dit que le mineur est
celui qui n’a pas 18 ans, sauf stipulation contraire de la loi nationale. Notre
loi nationale dit que le mineur est celui qui n’a pas 18 ans, mais pénalement
il est celui qui a 16 ans accomplis. De ce fait, le mineur de 17 ans qui
commet une infraction, en principe est passible du tribunal de droit commun
–entendons tribunal pour adulte, mais ne peut ou ne devrait pas se retrouver
en prison avec des adultes.
Un autre commentaire concerne le libellé de l’article 280 du Code pénal:
« si le crime de viol a été commis sur la personne d’un enfant au dessous de
l’age de 15 ans accomplis… » cela veut-il dire que le mineur de plus de 15
ans ne bénéficie pas de la même protection? De même que l’article 281 qui
stipule « quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant ou
facilitant la débauche ou la corruption de la jeunesse, de l’un ou de l’autre
sexe au dessous de l’âge de vingt et un an… » Il y aurait lieu de régulariser
ces différences d’âges.
De même, dans ces articles on ne prévoit absolument aucune assistance pour
le mineur victime du viol, de l’attentat ou de la tentative de viol avec violence.
Aucune instance spéciale pour recevoir les plaintes des mineurs ou de toute
personne qui peut être au courant des violations dont ils sont victimes. Il n’est
pas non plus prévu de mesures de réparation et d’accompagnement
systématique de tout mineur victime de maltraitance ou d’exploitation
sexuelle à des fins commerciales. De ce fait, la législation nationale n’est pas
suffisamment détaillée et laisse place à beaucoup trop de latitudes pour que
l’agresseur s’en tire sans sanction.
32
Les professionnels haïtiens du droit estiment que le libellé des articles du code
pénal sur le viol et tout autre attentat à la pudeur commis sur un mineur est
clair. Il ne permet aucun doute sur le fait que le consentement du mineur ne
saurait constituer une excuse, ni même dédouaner le coupable. Le
Commissaire du gouvernement interviewé l’a confirmé, il estime même que le
manque de précision des articles du code pénal relatif à la débauche et la
prostitution donne toutes les possibilités pour l’accusateur d’inclure sous cette
rubrique toute incitation, action, offre ou autre attitude similaire d’un adulte
à un mineur.
Par contre, certains pensent que lorsque le législateur définit l’incitation ou la
facilitation à la débauche, il ne voit pas le mineur qui s’offre de lui-même à
la convoitise de l’adulte. Il faudrait donc que la loi se prononce sur cette
situation pour lever ce doute.
Les textes relatifs aux structures étatiques de protection des mineurs ne sont
pas suffisamment détaillés ni suffisamment publiés. C’est comme s’ils
n’existaient pas. Principalement en ce qui concerne le travail des mineurs,
tant dans des entreprises commerciales ou industrielles que dans des familles.
L’Institut du Bien Etre Social et de Recherches et le Bureau du Travail du
Ministère des Affaires Sociales, en principe chargé de la protection des
mineurs sont incapables d’informer sur la situation générale des enfants,
voire de les protéger.
Ecarts dans l’application des obligations internationales
Les conventions internationales ratifiées par Haïti relatives au droit des
enfants, tant la convention internationale des droits des enfants que les
différents accords sur le travail prévoient des structures de contrôle,
d’encadrement, d’assistance et de défense des enfants en situation difficile.
Dans la plupart de nos textes ces structures sont mentionnées. Mais dans la
réalité, elles n’existent pas ou des fois elles n’existent qu’au niveau de l’écrit.
Les instances de l’Etat s’intéressant aux enfants qui devraient se charger de
compiler, harmoniser, diffuser les textes relatifs aux enfants ne se sont pas
dotés de moyens d’agir. Les différents codes utilisés généralement par la
grande majorité des magistrats ne sont pas mis à jour. Nombreux sont ceux
qui ignorent les prescrits de la Convention internationale des droits de
l’enfant, texte international qui a connu le plus de publicité.
Le tribunal pour mineurs créé pour se pencher sur le cas des mineurs en
contravention avec la loi pose certains problèmes. En effet, s’il se penche sur
les infractions commises par des mineurs, il ne se penche pas sur les
problèmes que confronte le mineur avec l’extérieur. En d’autre terme, l’adulte
qui abuse d’un mineur n’a aucun compte à rendre par devant cette instance.
33
De plus, ce tribunal est le seul fonctionnel à travers le pays pour connaître des
infractions commises par les enfants de quelque lieu qu’ils viennent. On y a
recensé des cas de mineurs venant de Mirebalais et de Jérémie. Ces enfants,
coupables de délits dans leur patelin ont été expédiés avec leur dossier dans
ce milieu totalement inconnu et après quelques mois d’emprisonnement, ont
été libérés, sans jugement.
Le Centre d’accueil, structure spéciale prévue pour recevoir les enfants en
contravention avec la loi, n’existe que sur papier. Il a fonctionné à un
moment. Il a cessé de remplir son rôle depuis 1987, sans explications. L’Etat
et ses responsables n’ont jamais eu besoin de justifier par-devant quiconque
de cette situation. A Port-au-Prince les enfants arrêtés par la police sont
déposés au Fort National, la prison pour femmes et enfants. Dans les autres
villes haïtiennes, ils se retrouvent dans des cellules avec les adultes.
C’est le cas des services qu’offrent l’Institut du Bien Etre Social et de
Recherche (IBESR) à toute entreprise commerciale, industrielle ou agricole qui
veut embaucher des enfants ou à toute famille d’accueil qui accepte de
recevoir un enfant en service. Les autorisations nécessaires ne sont pas
délivrées, les contrôles ne sont jamais effectués et même lorsqu’on leur
dénonce des cas de violation des droits des enfants, ils ne sont pas toujours
en mesure d’intervenir.
L’IBESR n’est pas au courant du nombre d’enfants qui se trouvent actuellement
en domesticité. Il n’est pas au courant du traitement des enfants en
domesticité. Il n’est pas au courant des familles qui acceptent de recevoir des
enfants dans des conditions autres que celles prévues par la loi en la matière,
pas plus qu’il n’est au courant du nombre d’enfants qui se retrouvent dans la
rue à cause de la fuite de la maison d’accueil.
La création de l’Ecole de la Magistrature (EMA) a permis que la génération
de jeunes magistrats qui y sont passés soit au courant de la convention
internationale relative aux droits de l’enfant. Mais, l’EMA ne leur fournit pas
le matériel de travail lorsqu’ils vont entrer en fonction. Et souvent ils n’ont à
leur disposition que les anciens codes. Ils oublient dans leur pratique ces
notions « inapplicables » dans leur réalité.
34
III- LE CADRE INSTITUTIONNEL
En Haïti, le cadre institutionnel impliqué de façon spécifique dans la
problématique des enfants victimes de l’exploitation sexuelle à des fins
commerciales n’existe pratiquement pas. Que ce soit au niveau des structures
de l’état ou de la société civile, cette question se retrouve englobée à
l’intérieur de la problématique des enfants en situation difficile,
particulièrement enfants dans les rues, enfants de la rue et enfants en
domesticité.
Nous présentons ici:
• d’une part les informations que nous avons pu obtenir sur les institutions
étatiques, informations puisées dans un rapport rédigé pour le OIT en
janvier 2000 et des entrevues passées avec un commissaire du
gouvernement et un policier. (Malgré de nombreuses tentatives, l’équipe n’a
jamais pu obtenir une entrevue avec un membre du personnel de l’IBESR).
• d’autre part les résultats d’entrevues que nous ont accordées 4 institutions
non gouvernementales parmi celles travaillant soit directement – L’Escale,
Timkatèk, Centre d’Education Populaire, soit indirectement –Kay Fanm –
avec les enfants en situation difficile.
3.1.- Au niveau de l’Etat
3.1.1 – L’Institut du Bien Etre Social et de Recherches (IBSR)
Une seule institution étatique à notre connaissance a mandat de se pencher
sur la problématique des enfants en situation difficile donc sur celle des
enfants victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales: l’Institut du
Bien Être Social et de Recherche (IBESR).
D’après le texte de Mathieu 2000, pp. 14-17
«L’IBESR intervient principalement à Port-au-Prince quoiqu’il y a deux (2)
centres médicaux sociaux en province, un au Cap - Haïtien et l’autre aux
Gonaives. Quoique celui des Gonaïves est actuellement fermé, l’institution
travaille à sa réouverture. Par contre, le Dr Faucher, (directrice générale de
l’IBESR à l’époque), prévoit une présence du Bien – Etre Social dans 12 villes
de province, une dans chacun des neuf (9) départements aussi bien qu’à Petit
Goâve et à St. Marc, où ils offriront des services d’assistance sociale aux
familles nécessiteuses et sinistrées, et des services materno-infantiles.
« La définition du Dr. Faucher de la protection sociale est celle de la loi
organique du Ministère des Affaires Sociales (MAS) à savoir améliorer les
conditions de vie de la population sur le plan économique, moral et social
35
Dans ce cadre là, l’IBESR offre plusieurs types de service à la population y
inclus:
• un service de protection des mineurs
• un service social pénitencier
• un service de certificat pré- nuptial
• des oeuvres sociales
• un service d’adoption
• un service de contrôle de la prostitution
Les services de certificat pré–nuptial et d’adoption ne font que livrer des
certificats pré–nuptial et recommander l’adoption. »
Pour notre rapport sur l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales, deux services nous intéressent: le service de protection des
mineurs et celui du contrôle de la prostitution.
« Le service de protection des mineurs a comme “clientèle” cible, les
enfants en domesticité, les enfants des rues et les enfants de famille en
situation difficile. L’IBESR intervient dans des cas d’abus des enfants en
domesticité pour les enlever de l’environnement abusif, les placer dans des
institutions qui les accueillent, (comme l’Escale) et entame des recherches
pour les remettre à leurs parents. En ce qui concerne les enfants des rues, les
agents de l’IBESR interviennent auprès d’eux pour les porter à ne pas
s’impliquer dans des activités de vol, de drogue et d’éviter de se laisser
manipuler par des gens mal intentionnés. Pour les enfants de famille en
situation difficile, souvent, ce sont les parents qui les amènent à l’IBESR
demandant qu’ils soient placés dans une institution parce qu’ils ne sont plus
capables de s’en occuper faute de moyen économique.
« Pour l’année 1999 les agents de l’IBERS ont placé 30 à 40 enfants en
domesticité à l’Escale; travaillé avec 86 enfants des rues et placé 76 enfants
de famille en situation difficile dans différents orphelinats. Quand on
considère qu’il y a environ 8000 enfants des rues à Port-au-Prince (Ponticq
& Bernier 1999), l’IBESR a touché environ 1% de ces enfants pendant l’année
1999. Et pour les enfants en domesticité, le document de projet du Bureau
International du Travail (OIT) préparer en 1998, concernant La Lutte Contre
l’Exploitation des Enfants Domestiques en Haïti estime qu’il y a entre 110.000
à 250.000 enfants en domesticité au niveau national. Ceci permet de
comprendre que le nombre d’enfant touché, dans ce domaine, par l’IBESR en
1999 est insignifiant.
36
«En ce qui concerne les critères de choix de la “clientèle” cible, il semblerait
qu’il n’y en a pas. Les responsables croient que seulement les personnes
réellement nécessiteuses se présenteraient à l’institution pour demander de
l’aide. Quoiqu’ils n’ont pas été explicites à ce sujet, on a comme l’impression
que c’est à cause de la honte et l’humiliation que doivent ressentir les
demandeurs qui fait que, d’après les responsables, ils doivent être vraiment
dans le besoin. Par conséquent, les personnes qui bénéficient, peuvent être
recommandées par quelqu’un, par la police ou ils s’amènent eux-mêmes...»
« Le service de contrôle de la prostitution est un programme qui
offre des services préventifs et curatifs aux prostituées qui travaillent dans les
bars et les cafés. Les prostituées qui ne font que les trottoirs ne sont pas
incluses. Par conséquent, ce sont les prostituées qui travaillent dans les
bordels qui sont le plus souvent bénéficiaires de ces services…»
«Les agents de l’IBERS tentent de rencontrer deux fois par année les
responsables de bar et de café pour les encourager à exiger des hommes,
qui fréquentent leur établissement, l’utilisation de préservatifs et des
prostituées une carte de santé livrée par des médecins de l’IBESR. Il faut
quand même, signaler qu’au moment où ce rapport a été rédigé, (janvier
2000) le service de certificat de santé était fermé. Les agents de l’institution
font des visites de routine dans les bordels et les cafés pour s’assurer qu’il n’y
a pas de mineurs qui y travaillent. D’après le Dr. Faucher ces cas sont rares,
mais s’ils en trouvent, les enfants sont enlevés et placés ailleurs.» (Mathieu2000:14-17)48.
3.1.2.- La justice: connaissance du phénomène – Recours légaux
Au niveau de la justice, il faut noter une ignorance ou une méconnaissance
presque totale du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs. Il
n’existe aucune structure ayant mandat de se pencher de façon spécifique sur
ces violations.
Un commissaire du gouvernement affirme qu’il n’a jamais entendu parler de
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales dans l’exercice de
ses fonctions. Ce même commissaire pense cependant qu’il y a provision
dans l’article 282 du code pénal pour présenter de tels cas devant la justice.
D’après lui pour contrer le phénomène il suffirait d’appliquer la loi et mettre
en place des structures de surveillance. Les institutions de la société civile
devraient dénoncer de tels agissements, car une fois au courant le
commissaire du gouvernement devrait mettre l’action publique en
mouvement.
Quand on connaît l’ampleur du phénomène une telle affirmation est
édifiante: elle témoigne du peu d’attention qui lui est accordée au niveau de
la justice et aussi des nombreuses difficultés rencontrées pour porter de tels
cas devant les tribunaux.
Mathieu Suze – L’état des lieux de la protection
sociale en Haïti – Produit pour le OIT – Décembre
2000
48
37
3.1.3.- La Police
A travers l’entrevue accordée par un policier, nous apprenons que la Police
intervient de façon ponctuelle. En 1997 une intervention de celle-ci a détruit
une base de prostitution de mineurs qui se trouvait au cimetière de Port-auPrince. Certains hommes – clients – ont été emprisonnés puis libérés au bout
de quelques heures après un sermon moralisateur. Les mineurs – des filles –
ont été renvoyées chez elles. La zone a été clôturée par le Ministère des
travaux publics et des agents de sécurité y ont été placés en faction.
Ce policier connaît bien certains circuits de cette exploitation sexuelle des
mineurs et certains bénéficiaires comme les propriétaires de maisons de
passe.
D’après lui pour freiner ce phénomène, il faudrait des interventions de l’Etat
comme la création d’emplois, et de centres d’accueil pour retirer les enfants
de la rue. La société civile pourrait contribuer en créant des écoles.
Autrement dit, l’État haïtien, à toute fin pratique, est quasiment absent dans
la protection des droits de l’enfant et particulièrement en ce qui concerne les
mineurs victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales. Un projet du
Code de l’enfant en est à sa deuxième ou troisième version, sans aucun suivi.
Comme il a été démontré dans le cadre juridique, la législation haïtienne
d’une part, les conventions internationales sur la protection des droits de
l’enfant signées et ratifiées d’autre part, lui donne des moyens – limités il est
vrai – d’intervenir; cependant aucune intervention significative ne témoigne
de son intérêt pour la question; des institutions étatiques comme le Ministère
à la Condition Féminine et le Ministère de la Santé Publique qui auraient un
rôle à jouer dans la protection de l’enfant n’ont aucun mandat spécifique
pour le faire; peu de ressources sont affectées au développement
institutionnel des structures concernées de fait qui demeurent inefficientes, la
justice attend les dénonciations, la police, bien qu’au courant, n’intervient
que de façon ponctuelle et sans aucun suivi.
3.2.- Au niveau de la société civile
Au niveau de la société civile il existe un certain nombre d’institutions
caritatives, ayant, pour la plupart, un statut d’ONG et dont les activités sont
dirigées vers les enfants en situation difficile: enfants en domesticité,
« restavèk », enfants des rues et de la rue. La vocation de ces institutions est
d’encadrer ces enfants dans différents domaines. Parmi les plus connues
nous avions relevé une liste de sept: Centre d’Education Populaire (CEP),
L’Escale, CAFA, Timkatèk, Caritas, Lakay, Le foyer Maurice Sixto. Nous en
38
avons rencontré 3: Le CEP, L’Escale, Timkatèk. A cette liste nous avons ajouté
Kay Fanm, une institution féministe, qui offre, entre autre, un
accompagnement aux femmes victimes de violence.
Dans le cadre de ses activités elle est parfois appelée à prendre en charge
des mineurs victimes de violence. Les rencontres avec APROSIFA, une clinique
oeuvrant dans le domaine de la santé de la femme, et avec l’UNICEF n’ont
apporté aucun élément significatif pour le sujet sous étude.
Comme le montrent les fiches signalétiques des institutions rencontrées, les
programmes et activités visent la réhabilitation des enfants, le renforcement
de leur confiance en eux et leur réinsertion sociale. Programmes
d’éducation, services de santé, formation professionnelle sont les stratégies
en général utilisées. L’Escale priorise la réinsertion des enfants en domesticité
dans leur famille d’origine. Kay Fanm offre un accompagnement et une
assistance juridique quand les circonstances le permettent.
3.2.1.- Connaissance du phénomène et interventions spécifiques
Toutes ces institutions reconnaissent l’existence du phénomène de
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, toutes admettent
qu’elles en reçoivent parmi leur “clientèle”. Cependant mise à part le CEP,
elles n’en connaissent pas vraiment les circuits et peuvent difficilement nous
donner une idée de l’ampleur du problème. Le Centre d’Éducation Populaire
est vraiment la seule institution qui a été capable de nous fournir certaines
indications sur les pratiques de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales particulièrement sur les lieux où elle s’exerce et son directeur a
accompagné un membre de l’équipe dans le travail d’observation. Timkatek
a orienté nos équipes d’enquêteurs vers les lieux où se regroupent les enfants
des rues et les enfants de la rue à Pétion Ville.
Mais aucune n’a de programmes s’adressant à la problématique de
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales de façon
spécifique. La prise en charge des mineurs victimes se fait cas par cas. Selon
les besoins médicaux, psychologiques, juridiques elles s’adressent à des
professionnels connus pour leur sensibilité ou leur engagement (à noter que
l’équipe du CEP comprend un psychologue). C’était le cas pour la Fanmi se
la vi, une des institutions pionnières dans le travail dirigé vers les enfants des
rues, et qui avait développé des structures autonomes au niveau de
l’éducation, de la santé, de la formation professionnelle, mais qui dans le cas
de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales ne pouvait intervenir que
de façon ponctuelle.
39
Autrement dit, les interventions s’adressent aux enfants victimes, mais pas au
phénomène lui-même. Seul le CEP, à travers son directeur est engagé dans
des études sur la question, avec des recommandations et dans des plaidoyers
tant au niveau national qu’au niveau international49.
Ces institutions pour jouer un rôle efficace dans la lutte contre l’exploitation
des mineurs à des fins commerciales devraient pouvoir s’appuyer sur des
structures étatiques. Mais il n’existe aucun encadrement institutionnel
étatique. Au contraire, elles doivent parfois assumer le rôle incombant à
l’état qui souvent fait appel à elles et ce sont elles qui lui servent de recours.
Le Centre d’Éducation Populaire (CEP)50
Le Centre d’Éducation Populaire ou CEP est une « Association pour les
Enfants des Rues de Port-au-Prince ». Il est situé à la Rue St. Gérard #10.
C’est « un organisme à but non lucratif, créé le 25 mai 1986 dans le but de
mettre les jeunes en situation de développer, leurs ressources propres et de se
tailler une place dans la société comme citoyen responsable à part entière. »
Le centre intervient directement auprès des enfants dans la rue. Les membres
de l’équipe du CEP interviennent auprès des enfants qui se regroupent du
côté: 1) du Champs – de -Mars, 2) de la Cathédrale de Port-au-Prince, 3) le
Portail Léogane, 4) Decayèt, 5) et le Ciné Lido (coin Grand Rue et Rue Joseph
Janvier).
Le CEP offre aux enfants des services de: formation technique ou
professionnelle; de santé; d’éducation, d’accompagnement et de secours (sur
la forme d’affermage de maison pour certains); et quand cela s’avère
possible, facilite leur réintégration dans leur famille et / ou à l’école.
Le CEP a comme “clientèle” deux (2) types d’enfants: 1) les enfants des rues,
ceux qui ont la rue comme habitat; 2) et les enfants dit de la rue, ce sont des
enfants qui passent leurs journées dans la rue mais qui dorment chez eux le
soir. Le CEP retrouve ces enfants en allant vers eux dans la rue et travaillent
avec des «cartels» d’enfants, au sein desquels les enfants se regroupent et
fonctionnent ensemble.
49
L’exploitation sexuelle des enfants – Jean Robert Chery – miméo – Avril 1996
Les abus sexuels: enfants prostitués – Jean Robert Chéry – Forum « Enfance et Violence » – Enfant du
Monde et Enfance Canada – Octobre 1995
Rapport de consultation – Consultation régionale des jeunes exploités à des fins commerciales – Aide à
l’Enfance Canada (Haïti) avec la participation du Centre d’Éducation populaire – Novembre 1997
50
Voir en annexe le compte rendu complet des entrevues avec les responsables d’institution.
40
3.2.2.- Perception du phénomène par les institutions: définition,
conséquences, notion de genre
Même si elles ne sont pas concernées directement, les institutions ont toutes
une perception de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales. Pour L’Escale, celle ci réfère à un mineur impliqué dans une
relation sexuelle avec un adulte pour de l’argent, le CEP y voit un mineur
impliqué dans cette relation avec un adulte ou un pair, soit directement soit à
travers un proxénète ou un bordel. Kay Fanm la définit comme toute situation
où un mineur est impliqué dans des activités sexuelles pour sa survie;
Timkatek, comme toute situation où un mineur est victime d’abus sexuel.
De leur point de vue, le phénomène touche filles et garçons avec des
différences notables. D’abord les filles sont plus nombreuses; différentes
explications sont avancées: Pour le CEP, si ces dernières sont moins
nombreuses dans la rue, celles qui s’y trouvent subissent l’exploitation
sexuelle à des fins commerciales dans un plus fort pourcentage que les
garçons, ceux-ci ont d’autres possibilités de se trouver des petits jobs. L’Escale
pense qu’ il y a un plus grand nombre de filles en situation de « restavek »,
donc un plus grand nombre de filles à risques. Cette perception rejoint un
constat fait par Martine Bernier et Françoise Ponticq: la majorité des filles des
rues sont prostituées d’une façon ou d’une autre51.
L’Escale
L’Escale est située dans la localité de Drouillard, zone marginale et
défavorisée des environs de Port-au-Prince et fonctionne depuis 1997.
Les enfants qui s’y trouvent ont été amenés soit par l’Institut du Bien Être
Social, soit par la police et même par une radio de la capitale, Radio Guinen.
L’Escale reçoit en majorité des fillettes. La directrice du centre pense qu’elle
reçoit seulement des filles parce que celles-ci sont plus nombreuses en
domesticité vu que la société en fait des êtres plus dociles, plus travailleurs.
Les activités se déroulent autour de l’éducation, la santé, l’éducation sexuelle.
De plus l’Escale favorise la réinsertion des enfants dans leur milieu familial.
Filles et garçons font face aux mêmes risques: MST, SIDA. Les grossesses
précoces et leurs conséquences alourdissent le lot des filles.
Mais, filles et garçons intériorisent leur situation de façon différente: pour
Jean Robert Chéry du CEP, les filles s’enfoncent dans un sentiment de
dévalorisation (être un trou). L’Escale, Timkatèk signalent au contraire chez
les garçons un certain sentiment de fierté d’être choisi comme partenaire
sexuel par un adulte.
Op.cit
51
41
Une des situations qui les humilient particulièrement c’est d’être utilisé comme
travesti donc dépouillé de leurs attributs de mâle comme en témoigne une des
histoires de vie. C’est aussi l’image que la société leur renvoie.
Garçons et filles développent des difficultés à établir des relations affectives
normales.
Cette perception d’eux-mêmes est renforcée par l’image que leur renvoie la
société: celle-ci semble plus tolérante pour les garçons:on dénonce moins
souvent les cas d’agression à leur endroit, (Kay Fanm), s’ils en trouvent
l’opportunité ils peuvent s’en sortir plus facilement; les filles, dans une
certaine mesure, c’est leur lot, et elles restent stigmatisées à vie par cette
période de leur itinéraire.
Timkatèk (Timoun kap teke chans)
Timkatèk est une ONG de Pères de St Jean Bosco, dirigée par le père Simon
Elle a été fondée en 1994 et intervient à Pétion-Ville et à Delmas. Elle est
située à Pétion-Ville, rue Derenoncourt.
Elle offre un accompagnement aux enfants des rues ou en domesticité
consistant en soins médicaux, éducation, hébergement pour les garçons.
Timkatek reçoit plus de garçons que de filles Actuellement l’institution compte
40 garçons internés et 7 filles.
3.2.3.- Causes et facteurs de perpétuation selon les institutions
Les causes du phénomène sont les mêmes pour toutes les institutions: la
misère et la pauvreté. L’impunité et la corruption des juges, le manque de
législation précise concernant le statut de mineur, la prostitution classique,
etc. favorisent la perpétuation du phénomène. Kay Fanm souligne les
faiblesses de la législation sur l’adoption, les préjugés contre les mineurs
sexuellement exploités, l’Escale attire l’attention sur la vulnérabilités des
enfants ayant des antécédents l’abus sexuels. L’absence d’intervention de
l’état, la démission des parents sont aussi invoquées comme facteurs
favorisant l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales.
Kay Fanm
Kay Fanm est une organisation féministe créée en 1984. Kay Fanm intervient
particulièrement dans l’Ouest, l’Artibonite, Les Nippes mais l’impact de ses
activités est national.
42
Dans ses programmes Kay Fanm offre une aide juridique aux femmes
victimes de violence, une formation technique particulièrement en gestion de
petites entreprises, des sessions de sensibilisation sur la condition féminine,
un accompagnement en terme d’hébergement, aide matérielle,
d’encadrement organisationnel, etc.
Kay Fanm s’adresse particulièrement aux femmes cependant l’institution
reçoit des enfants restavek en situation difficile ou des enfants violés. L’âge de
ces enfants varie entre 8 mois et 15 ans; ils sont amenés soit par leurs parents
soit par des voisins.
3.2.4.- Les recommandations des institutions
Les institutions interrogées dénoncent l’absence de l’état dans la protection
des droits de l’enfant, malgré toutes les conventions signées et ratifiées. Les
institutions concernées devraient travailler à un plaidoyer pour dénoncer le
phénomène, faire respecter les droits de l’enfant, faire appliquer les
dispositions du Code du travail sur le travail des enfants et se battre pour que
soit définie une politique nationale visant la protection des enfants. Kay
Fanm de plus pense que des mécanismes favorisant la dénonciation de ces
actes et un accompagnement juridique des victimes devraient être mis en
place. Timkatèk plaide pour la création d’emploi.
Cet état des lieux du cadre institutionnel civil haïtien oeuvrant sur la
problématique de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
dévoile ses faiblesses. Tout ce passe comme si le phénomène n’existait pas
en soi avec ses spécificités: les victimes sont traitées cas par cas, les activités
sont dispersées, il n’existe pas de programmes de prévention, les circuits ne
sont pas explorés et dénoncés, les clients ne sont pas identifiés et traduits
devant la justice.
Ces faiblesses sont imputables en grande partie à l’État qui ne remplit pas
son rôle normatif. Il n’existe pas de plan national pour la protection de
l’enfant, pas d’instances au niveau de la justice mandatées pour faire
appliquer les lois, recevoir les plaintes et en faire le suivi.
Au cours de cette étude, en plus des institutions déjà citées, l’équipe a
rencontré un certain nombre de professionnels dans le but de recueillir leur
perception du phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales. Une femme médecin, gynécologue, une femme psychologue,
travaillant dans un projet de prévention du Sida pour travailleuses sexuelles
(FOSREF), un anthropologue biologiste travaillant pour une ONG (Parole et
Action), un policier, un commissaire du gouvernement, 2 travailleurs sociaux.
Les entrevues avec le commissaire du gouvernement et le policier nous ont
permis d’appréhender le rôle et les interventions de la justice et de la police.
43
Tous ces professionnels sont interpellés par le phénomène. Comme les
responsables des institutions, ils mettent en cause en premier lieu la misère,
la pauvreté. Ils témoignent que le phénomène s’est intensifié depuis les 15-20
dernières années et est de plus en plus visible. Les filles impliquées sont plus
nombreuses ; les deux travailleurs sociaux pensent que c’est un déshonneur,
une honte pour les filles alors que c’est moins humiliant pour les garçons qui
parfois même en tirent une certaine fierté. Pour l’anthropologue il y a une
plus grande tolérance de la société pour les filles. Il y a donc différentes
perceptions des mineurs victimes de l’exploitation sexuelle selon leur sexe.
Ces perceptions sont exprimées difficilement, elles se cachent derrière des
affirmations vagues, peu précises mais traduisent un mode de pensée
imprégné de tabous et de préjugés.
Selon l’avis de ces professionnels, les bénéficiaires de l’exploitation sexuelle
des mineurs à des fins commerciales, sont soit des chefs de réseaux, soit des
jeunes délinquants soit des malades.
L’état et les institutions devraient intervenir de façon concertée à différents
niveaux: combattre le chômage, créer des structures d’accueil et de
réhabilitation, réviser les lois et punir les coupables.
En Haïti on assiste donc à une augmentation sensible de l’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales depuis ces 15-20 dernières
années. Certains secteurs de la société se sentent de plus en plus interpellés
par ce phénomène. Certaines initiatives visant à mieux le comprendre voient
le jour comme cette étude; des interventions souvent isolées, sont entreprises.
Cependant malgré ces signes d’une prise de conscience, peu de progrès ont
été réalisés au niveau des structures étatiques et des instituions de la société
civile non seulement dans le travail d’éradication de l’exploitation sexuelle
des mineurs mais plus globalement dans la protection des droits de l’enfant.
44
IV- CARACTERISTIQUES DE L’ EXPLOITATION
DES MINEURS A DES FINS COMMERCIALES
4.1.- Lieux où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs
à des fins commerciales
La pratique de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales se
fait de façon diffuse, diluée principalement dans le monde complexe des
enfants en situation difficile. Il est difficile de cerner les lieux où elle se
pratique réellement. Les endroits – Centre ville et Pétion Ville - identifiés par
les termes de référence de la présente étude sont d’abord des lieux où se
retrouvent les enfants dans les rues et de la rue à certains moments de la
journée. La pratique de l’exploitation sexuelle dans ces lieux se fait à des
heures bien particulières; ils constituent principalement le lieu du recrutement.
En outre, l’activité est tellement discrète, presque clandestine, qu’elle est
difficile à capter. En ce sens il importe de souligner l'inexistence
en Haïti de ce que dans la plupart des pays on appelle "zone
rouge" ou quartiers de concentration spécifique de la
prostitution en général. De ce fait il a fallu identifier, avec
l'aide d'informateurs et en fonction des termes de référence
de l'étude, les quartiers dans lesquels a lieu l'exploitation
sexuelle commerciale des mineurs.
Au cours de cette enquête, l’observation de certains quartiers en région
métropolitaine connus pour être fréquentés par les enfants dans la rue ou les
enfants de la rue, s’est révélée assez pauvre en informations sur les
caractéristiques des mineurs exploités, des clients éventuels, du comportement
des différents acteurs, au moment où se réalisait l’observation. Dans d’autres
quartiers, cette observation a été plus significative et confirme les
informations recueillies dans les différentes études consultées.
Il existe cependant des lieux précis où se pratique ouvertement la prostitution
et où parmi des adultes, on retrouve des mineurs en situation d’exploitation
sexuelle comme Kay Gwo Manman, plage abandonnée, du coté de
Mariani et où des squatters ont érigé de petites pièces qu’ils louent soit à des
couples soit à une fille ou un homme à la recherche d’un partenaire. Au
cours de leur travail sur le terrain, certains de nos enquêteurs ont été amenés
à visiter Kay Gwo Manman et ont confirmé les informations recueillies.
De même, certains hôtels à Pétion Ville seraient une sorte de bordel où les
mineurs se retrouvent parmi d’autres clients. Cette information nous est
rapportée de façon précise par un médecin interviewé à Pétion-Ville. Il nous
a été très difficile d’avoir accès à ces zones.
45
A noter que dans l’étude de Bernier et de Ponticq des zones et des lieux précis
ont été signalés dans d’autres régions du pays: au Cap Haitien: chez les
clients eux mêmes, à l’hôtel où les amène le client, à la Place 18, au bord de
la mer, sur un vieux bateau. A Jacmel, sur la plage, chez elles dans les
quartiers populaires.
4.2.- Lieux observés au cours de cette étude
4.2.1.- Identification des lieux et des personnes observées
Les termes de références identifient deux zones sur lesquelles ils
recommandaient de mener l’étude: le Centre Ville de Port-au-Prince et Pétion
Ville. Les sites à observer ont été choisis à partir d’informations recueillies
auprès des institutions et de personnes ressources travaillant dans le
domaine. Les points suivant ont été retenus:
• Cimetière de Port-au-Prince. Cet emplacement est connu pour les
fréquentations furtives et interlopes; depuis le reportage de
la réalisatrice Rachel Magloire "Kalfou plezi pye devan"
("Carrefours des plaisirs mortels"; 1990) on sait que c'est un
lieu de prostitution "populaire", avec implication de mineurs
sexuellement exploités, qui sont au centre du reportage.
• Champ de Mars (Rue Magloire Ambroise - Pharmacie du Champs
de Mars – Place des Artistes). Le Champs de Mars, cette immense
"multiplace" bordée par la plupart des édifices d'Etat, du
palais national au palais des ministères, comprend
plusieurs sections et est de fréquentation très versatile selon
la section et l'heure. La section en question (Rue Magloire
Ambroise - Pharmacie du Champs de Mars – Place des
Artistes) se trouve au sud de l'aire du Champs-de-Mars, un
peu en retrait et moins éclairée, et fonctionne également le
soir, surtout en fin de semaine, comme lieu de passe.
• Cathédrale (Rue de l’Enterrement – Stade Sylvio Castor).
Ce périmètre se trouve en plein quartier populaire au
centre-ville et est contigu à une zone dans laquelle il y a une
certaine concentration d'hôtels non touristiques.
• Mairie de Port-au-Prince – La Saline. Cette grande place déserte
dès la nuit tombée et bordée par un grand boulevard est
très fréquentée par les enfants des rues.
• Carrefour Aéroport. Cette zone présente les mêmes
caractéristiques que la précédente.
46
• Pétion-Ville (zone Plaza Choucoune). Avec Pétion-Ville on touche la
zone où la prostitution est la plus "visible" et "rentable".
Cette ville banlieue de Port-au-Prince, où se concentrent de
nombreux restaurants et boites de nuit fréquentés par une
“clientèle” assez aisée, est aussi le théâtre, depuis le début
des années 1990 et en particulier depuis 1994, d'un
véritable commerce du sexe très visible dans les rues tout
au long de la semaine. Le peu de tourisme que compte
encore Haïti fréquente également beaucoup Pétion-Ville, là
où se trouvent la grande majorité des hôtels.
Histoire de vie ou témoignages
Watil a 18 ans
Il a grandi dans les alentours du quartier St. Martin et son clan siège au
Carrefour de l’ aéroport.
Il ne connaît pas ses parents. Sa première relation sexuelle il l’ a eu à 5
ans, violé par deux garçons de rue.
“ Je n’ avais pas le choix, ils étaint plus grands, plus forts et je devais être
accepté par un clan, je ne pouvais pas en créer un moi même”
Watil nous raconte: j’ai vécu cet incident comme un examen officiel, je
passe ou je crève, j’ ai passé l’ examen et je continue de crever. Je n’ ai
aucune préférence pour un sexe ou l’ autre sauf qu’ avec les hommes on ne
risque pas d’ avoir d’ enfants.
Les observations ont eu lieu le soir, entre 7h 30 et 10h pm. 6 séances
d’observation ont été réalisées. Le Champ de Mars a été observé à 3
reprises.
Ce sont pour la plupart des zones commerciales, des lieux récréatifs ou
proches de lieux récréatifs. On y retrouve de petits commerces formels et
informels, des laveurs de voiture, des restaurants et parfois des hôtels. Dans
toutes les zones, il y a quelques résidents.
Ce sont des lieux très fréquentés, où adultes et mineurs se mêlent avec une
nette prédominance d’adultes. Adultes et mineurs des deux sexes sont
impliqués dans les activités de prostitution.
47
4.2.2.- Comportement des personnes observées
Il varie selon la zone observée. On peut parler de deux types de
comportement, qui sont en grande partie recoupés par les caractéristiques
socio-économiques des quartiers d'observation de l'ESC.
Une première catégorie d'attitudes relève essentiellement de la nature furtive
des transactions. Dans les quartiers où les activités majeures diffèrent
totalement du contexte de l'ESC (quartiers totalement étrangers aux activités
de loisir et de tourisme), la “clientèle” de même que les "vendeurs(euses) de
services" s'appliquent à "donner le change" sur la nature des activités
menées. On peut donc dire que dans les zones populaires – ex. Carrefour
aéroport-St. Martin - la situation est différente de celle que l'on trouve
ailleurs. En règle générale ceux qui y achètent les services, adultes et mineurs
des deux sexes, ne se différencient pas des autres personnes évoluant dans
la zone; ils sont habillés simplement, sont à pied. Ainsi, à la Place des
Artistes, au Champ de Mars, une de nos observatrices décèle des hommes
portant cartables ou sacs laissant croire que ce sont des étudiants ou des
employés de bureau; cela pourrait être aussi un artifice. Sans pouvoir décrire
l’approche, elle note de temps à autre, un couple qui se dirige vers l’Hôtel
Excelsior International; à coté de l’hôtel, un couloir mène à une maisonnette
et à un édifice en état de délabrement; c’est là que pénètrent les couples; à
l’entrée, les femmes paient une somme à des personnes se trouvant à l’entrée.
Souvent ceux qui vendent leurs services, ne s’affichent pas; rendez-vous, lieu
de rencontre s’obtiennent à travers des réseaux. Quand aux habitants, ils
considèrent ça comme un mal nécessaire contre lequel on ne peut rien.
Par contre, dans les quartiers très fréquentés le soir, pour une raison ou pour
une autre (restaurants, boites de nuit, tourisme) le commerce du sexe est,
sinon toujours plus ouvert, du moins plus perceptible. C'est le cas par
exemple au Champ de Mars, du coté de la Pharmacie du Champ de Mars
comme à Pétion Ville, où des observatrices ont noté que ce sont des étrangers
ou des hommes de classe moyenne pauvre (chauffeur, travailleur) qui
achètent les services. Ceux qui achètent les services utilisent différents
stratagèmes: ils interpellent les mineurs, leur offrent une promenade ou les
invitent à dîner. Les habitants de la zone, savent à quoi s’en tenir sur les
particularités de la zone et ferment les yeux. Nombreux sont ceux qui
espèrent déménager.
48
C'est sans doute à Pétion-Ville que les attitudes et comportements sont les
moins subreptices. Les traits principaux de cette zone, qui ont été évoqués
plus haut, expliquent en partie cette différence. On doit aussi prendre en
compte que les milieux socio-économiques plus favorisés et le tourisme
constituent deux milieux reconnus comme plus permissifs vis-à-vis de la
commercialisation du sexe. Toujours est-il que c'est surtout dans cette zone
que les mineurs, s’affichent, s’habillent de façon spéciale, mendient ou offrent
leurs services, s’approchent des voitures. En général, ils se tiennent en groupe
et répondent à l’invitation.
Ces observations confirment l’aspect multiforme de l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales dans la zone métropolitaine. A noter
qu’elles ne concernent que certains aspects, tout le coté de l’exploitation
sexuelle au niveau des écolières n’est pas représenté. Toute intervention devra
en tenir compte et commencer par les points qui rejoignent toutes les formes
de cette exploitation (études, plaidoyer, cadre juridique etc.).
4.3.- Caractéristiques des mineurs
Parmi les instruments de collectes de données élaborés par l’équipe, un
questionnaire s’adresse aux mineurs et un sondage aux adultes évoluant
dans les différentes zones où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs
à des fins commerciales.
Le questionnaire destiné aux mineurs est subdivisé en 7 modules52.
1. Origine et éducation
2. Parcours
3. Expériences et pratiques dans le milieu
4. Vécu et Organisation du milieu
5. Perception du milieu
6-7 Recours et Recommandations
Pour répondre aux exigences des termes de référence, 76 mineurs ont été
questionnés. A Port-au-Prince, 57 enfants sur 76 ont été interrogés dans les
zones suivantes : Aéroport et Delmas (13), Cathédrale et environs (14),
Cimetière (5), Champs de Mars (12), Turgeau (4), Bas-de-la- Ville (6) et Hautde-la-Ville (4) tandis que dans la banlieue de Pétion-Ville ont été interrogés
19. Les lieux observés que nous avons décrit plus haut ne recoupent pas
exactement les lieux où les mineurs ont été rencontrés
Tableau 1
Répartition des enquêtés par zone et par sexe
Source: Enquête auprès des mineurs/INESA pour le compte
de OIT/IPEC-ACDI Décembre 2002
52
Voir Annexes
49
4.3.1.- Origine et Éducation des mineurs.
Caractéristiques générales des mineurs enquêtés
Sexe - Age
Le graphique 1 met en évidence l’âge et le sexe des enfants touchés lors de
l’enquête de terrain. 34 filles et 42 garçons ont été rencontrés; leur âge varie
de 8 à 18 ans. Bien que beaucoup d’études antérieures signalent un plus
grand nombre de filles victimes de l’exploitation sexuelle à des fins
commerciales en Haïti, l’échantillon de cette étude rejoint un plus grand
nombre de garçons. Il ne faut pas pour autant s’empresser de conclure que
le phénomène s’étend de plus en plus aux garçons. Il convient de prendre en
compte les jours et les moments de la journée où les enquêteurs ont été sur le
terrain. Les enfants ont des moments précis où ils se trouvent dans la rue et
disponibles pour répondre à un questionnaire. Bernier et Ponticq signalent
une concentration différente et des filles et des garçons selon les moments de
la journée ou les jours de la semaine53.
Un peu plus de la moitié a entre 16 et 17 ans. 9 d’entre eux ont déjà 18 ans;
ils ont cependant été retenus dans les données car leur itinéraire a commencé
bien avant qu’ils n’accomplissent leur 18 ans et témoigne de façon non
équivoque de la situation des adolescents victimes de l’exploitation sexuelle
des mineurs à des fins commerciales.
Bien qu’unique, le cas de l’enfant de moins de 10 ans (8 en réalité) a
particulièrement retenu notre attention. Son parcours, retracé à partir du
questionnaire, fait l’objet d’une des histoires de vie.
Graphique 1
Répartition des enquêtés par âge et par sexe
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de
OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
53
Opus cité
50
Lieu de naissance
Les mineurs interrogés sont originaires de la province; (le sud et le Nord
particulièrement) dans une proportion de 46.05% (35). Un grand nombre
(24) d’entre eux migrent vers la capitale en compagnie de leurs parents, le
plus souvent la mère, ou d’un membre de la famille. Le fait que nombre
d’enfants aient migré avec leur mère se comprend aisément quand on pense
au rôle primordial de la mère dans la prise en charge des enfants en Haïti.
La majorité d'entre eux, soit 25 y sont arrivés avant l’âge de 12 ans. La
variable du lieu de naissance n'est pas anodine car le facteur migration joue
certainement un rôle non négligeable dans la dégradation de la cellule
familiale avec ses conséquences sur les enfants en particulier. On remarquera
toutefois qu'un petit nombre, soit 6 d’entre eux, admettent qu’ils ont laissé
leur ville natale de leur propre chef.
Tableau 2
Répartition des enquêtés selon leur lieu
de naissance
Des conditions de vie extrêmement difficiles sont la raison principale de
l’exode: la majorité des réponses de ces enfants conduits par leurs parents ou
ayant migré seuls, réfère à la misère pour expliquer leur présence dans la
région métropolitaine: (vi n dèyè la vi miyò, pou grangou, pou mwen te fè
kòb)54.
Il faut retenir 7 cas qui laissent pressentir un début d’itinéraire de restavèk:
manman mwen ki te voye m ak yon dam (1) mwen te vi n rete ak yon matant
mwen (2), ak yon tonton mwen (1) sèvi yon matant mwen (1) ak yon moun
(2)55. Deux disent explicitement qu’ils sont venus mendier (1 envoyé par sa
mère).
Source: Enquête auprès des mineurs/INESA pour le
compte de OIT-IPEC-ACDI, Décembre 2002
Les parents font partie en grande majorité de la classe des défavorisés; il faut
remarquer que nous retrouvons plus de pères avec un métier (cultivateur,
mécanicien, employé de magasin) que chez les mères: 5 cultivatrices, 1
cuisinière. Une mère est professeur, un père directeur d’école. Sinon la
grande majorité exercent les multiples métiers du secteur informel: komès,
machan dlo56, mande pour les mères; chapant , fè bloc, nan bòlèt, pour les
pères.)57. Ces enfants ont eu une vie difficile; membres de nombreuse fratrie
soit du côté de la mère soit du côté du père, vivant dans des maisons de 1
ou 2 pièces pour 53% d’entre eux qu’ils partageaient avec 8-9 personnes. 21
sont orphelins de mère et 26 de père. 39.4% ne voient plus ni mère, ni père
ou les voient de temps en temps. Un certain nombre d’entre eux vivent avec
un de leur parent.
A la recherche d’une vie meilleure, à cause de la
faim, pour faire de l’argent
55
ma mère m’a confié à une dame, je suis venu pour
habiter chez ma tante, chez mon oncle, je suis venu
pour servir ma tante, je suis venu avec quelqu’un.
56
Commerce, vendeuse d’eau, mendiante
57
charpentier, fabriquant de blocs, vendeurs de loterie
54
51
Tableau 3
Répartition des mineurs ayant été à l’ école
par sexe et par âge
Scolarité
Dans notre échantillon 40 mineurs déclarent avoir été à l’école dont 25
garçons et 15 filles 9.21% sont encore à l’école. Sauf un, aucun n’a dépassé
le certificat. Que ce soit parmi les mineurs ayant été à l’école ou ceux qui y
sont encore, les garçons sont majoritaires. Il faut dire que l'abandon
scolaire, en général avant la fin du cycle primaire, est un
problème majeur dans la scolarisation en Haïti. Ce problème
revêt presque autant d'importance que l'absence totale
d'accès à l'école. Un problème connexe et tout aussi grave est
l'entrée tardive dans le système scolaire, ce qui contribue à
encombrer celui-ci de sur-âgés. A noter que dans cet échantillon
aucune fille âgée de 10 à 12 ans n’a été à l’école.
Domicile actuel
Au moment de l’enquête, 26 vivaient dans la rue La différence entre les
garçons et les filles vivant dans la rue est significative dans cet échantillon.
Elle rejoint les constats d’autres études: il y a plus de garçons vivant dans les
rues que de filles. Il faut cependant retenir que 9 filles déclarent vivre dans
de mauvaises conditions avec tout que cela peut vouloir dire dont vivre dans
la rue.
Un grand nombre de ces mineurs ont un pied à terre: 17 vivent dans une
pièce louée, 22 vivent seuls 13 avec un partenaire. 7 parmi ces 13 acceptent
de préciser l’âge de ce(tte) dernier(ère): 2 ont moins de 18 ans, 4 sont âgés
de 18 à 25 ans et 1 de 26 à 30 ans. 13 d’entre eux vivent avec des amis.
Ce qui confirme la différence faite dans de nombreuses études entre enfants
dans la rue et enfants des rues. Dans cette enquête en effet
nombreux sont les enfants qui "cherchent la vie dans la rue,
mais qui n'y dorment pas. Les enfants déclarant avoir un gîte
(39) sont plus nombreux que ceux qui vivent dans la rue (26)
Tableau 4
Répartition des enquêtés selon le domicile actuel
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
52
La misère et toutes ses conséquences, l’éclatement des familles se profilent
déjà comme toile de fond de la vie de ces mineurs se retrouvant actuellement
victimes d’une forme ou d’une autre d’exploitation sexuelle à des fins
commerciales.
4.3.2- Parcours des mineurs
L’initiation sexuelle est très précoce dans l’échantillon concerné. Ils sont
nombreux (44) les enfants qui ont eu une première relation sexuelle avant 12
ans. Certaines observation qui mériteraient confirmation pour
être généralisables cependant, indiqueraient qu'en Haïti
comme dans bien d'autres pays, la sexualité précoce est
associée à la promiscuité qui frappe les milieux socioéconomiques défavorisés. Il est en tout cas avéré que la rue
en est un facteur décisif.
Tableau 5
Répartition des enquêtés par sexe selon l’ âge du premier contact sexuel
(en nombre absolu)
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
En essayant de préciser cette première relation, 30 d’entre eux la décrivent
comme une relation sans pénétration soit avec quelqu’un qu’ils connaissaient
(11) soit avec quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas. (19)
Tableau 6
Répartition des enquêtés selon le type de la première relation sexuelle avant 12 ans
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
53
Tableau 7
Répartition des enquêtés selon l’ âge des
premières règles
Ces chiffres sont révélateurs d’une pratique d’abus sexuels dont sont victimes
les jeunes et qui constitue souvent une passerelle vers l’exploitation sexuelle à
des fins commerciales. De telles pratiques ne sont pas dans la plupart des cas
dénoncées. Des 3.9% qui auraient produit une plainte au moment de cette
première relation, seulement 1.3% soutiennent avoir reçu de l’aide d’une
institution par suite d’une «agression sexuelle».
Parmi ceux qui ont eu leur première relation sexuelle après 12 ans, (25) la
majorité disent qu’ils les ont eues avec des jeunes comme eux et qu’ils étaient
consentants. Cette initiation sexuelle précoce, sans encadrement socioaffectif, rend aussi les jeunes très vulnérables à toutes sortes de sollicitations
qui peuvent les conduire à devenir victimes d’exploitation sexuelle à des fins
commerciales.
Les jeunes ciblés par l’enquête, sont très réticents à se livrer quand on aborde
le sujet de leur sexualité. (ce qui est confirmé dans les rapports de certains
enquêteurs.) Même quand ils ont eu leur première relation sexuelle après 12
ans, ils en parlent difficilement.
Les filles touchées par l’enquête ont eu en grande majorité leurs premières
règles entre 12 et 14 ans ce qui laisse supposer qu’un certain nombre d’entre
elles ont eu leur première relation avant la puberté.
7 des filles ont déjà été enceintes, 3 ont accouché, 1 a eu un avortement
spontané et 2 un IVG. La dernière était enceinte lors de l’enquête.
Cinq (5) garçons reconnaissent qu’une fille a déjà été enceinte d’eux, 3
s’occupent des enfants vivants.
Tableau 8
Nombre de grossesses parmi
les enquêtées
A la question «prends- tu des précautions pour ne pas être enceinte?» 27
filles répondent par l’affirmative et 20 garçons déclarent prendre des
précautions pour protéger leur partenaire contre une grossesse. Mais quand
il s’agit de se protéger contre les MST, si 48 filles disent se protéger, seulement
19 demandent au client d’utiliser le préservatif. 9 des garçons utilisent le
préservatif tout le temps, 17 de temps en temps.
Malgré cet écart, il faut noter que les mineurs victimes de l’exploitation
sexuelle ont un niveau appréciable d’information sur les pratiques de
contraception et de protection contre les MST, particulièrement sur le
préservatif. Les études ultérieures devront se pencher sur l’impact des
multiples programmes de prévention qui visent les jeunes.
54
Histoire de vie ou témoignages
Loransya est une petite fille qui habitait Kenscoff; son père était gardien d’une
maison, sa mère vendait dans les rues. Ses parents étaient pauvres. Pour
son âge elle avait de nombreuses responsabilités: s’occuper de ses frères et
sœurs, aller chercher de l’eau. Mais elle dit qu’elle était heureuse avec sa
famille, ses amis, entourée d’affection.
Cependant à 8 ans elle a été obligée d’aller habiter chez une dame à
Carrefour.
Elle nous raconte: « il y avait un gros bonhomme, frère du premier mari de
la dame. Il dormait dans une pièce dans la cour, à côté de la cuisine où moimême je dormais avec le charbon, les fatras et les rats. Un soir il a frappé
à la porte de la cuisine et m’a demandé de lui chauffer de la nourriture. J’ai
dû me lever et allumer le feu. C’est à ce moment qu’il m’a demandé de lui
sucer le pénis, en me disant qu’il me donnerait une belle poupée. Mon cœur
a battu fort car j’avais très envie de cette poupée que je voyais parfois en
allant au marché. Je l’ai fait mais la poupée n’est jamais venue. J’avais
tellement envie de cette poupée que je l’ai fait avec d’autres: celui qui
ramassait les fatras, le marchand de balai, le petit nettoyeur de chaussures,
mais la poupée n’est jamais venue. »
Loransya a grandi et est devenue une belle jeune fille. La dame trouvant
qu’elle était devenue une charge trop lourde, la renvoie à ses parents, sans
argent, sans rien. Loransya est contente car un jour ou l’autre elle se serait
enfuie. Mais en arrivant chez elle son père et deux de ses frères étaient
décédés. Loransya en était arrivée à haïr la poupée mais elle a continué à
coucher avec des hommes pour d’autres choses: vêtements, chaussures,
nourriture…
Loransya allait au marché tous les lundis avec sa mère pour l’aider à vendre
des légumes, c’est comme ça qu’elle aboutit à Turgeau, devant le Royal
Market.
Un jour elle se retrouve enceinte. Elle nous raconte: « un soir j’ai couché avec
2 garçons pour dix dollars, et je me suis retrouvée enceinte. Je ne voulais
pas du bébé parce que je ne savais pas qui était le père »
Elle va donc trouver Mata qui règle le problème à coup de thés et comprimés
et lui demande 50 dollars. Loransya n’avait pas cette somme, elle est donc
restée à Port-au-Prince et a continué à se prostituer car c’était le seul moyen
pour elle de se procurer de l’argent.
Elle a réussi à payer sa dette envers Mata, le jour où elle a rencontré un
« gros » blanc américain dans un hôtel sur le Champ de Mars et qui a payé
ses services 50 dollars américains…
55
4.3.3- Expériences et pratiques dans le milieu
Le module III tente de mettre en évidence différents aspects de l’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales en tenant compte des
expériences et pratiques des enfants dans ce milieu.
Le graphique suivant indique que 34 enfants ont commencé à avoir des
relations sexuelles en vue d’un bénéfice entre 12 et 15 ans : 11 garçons et
23 filles. 35 - 17 garçons et 18 filles.- disent avoir été contraints d’avoir des
relations sexuelles dans ce but, dont 21 avec des inconnus. Les filles
commencent donc plus tôt que les garçons à être victimes de l’exploitation
sexuelle. A la précocité et à la différence entre les genres il
convient d'ajouter que ces données suggèrent, vu le nombre
de cas de contraintes, l'existence de vécus traumatisants dès
l'initiation sexuelle. Certaines des histoires de vie illustrent
cette situation.
Graphique 2
Mineurs ayant été forcés d’ avoir une relation
sexuelle à des fins commerciales
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
En échange de ces relations, les mineurs reçoivent surtout de l’argent
(31.6%), associé parfois à de la nourriture ou des vêtements. Les sommes
reçues varient entre 7.5 gdes et 750 gdes.
Dans une analyse de données en cours d’enquête, sur 66 mineurs, il y a lieu
de souligner que selon l’opinion de 61% d’entre eux., ils reçoivent ce bénéfice
seulement parfois. Les cas de non rémunération comptent parmi
les abus additionnels dont sont victimes ces jeunes et dont on
retrouve l'écho dans les réponses concernant les cas de refus
de relation.
Leurs clients les rencontrent dans la rue pour 46 d’entre eux ou bien ils sont
présentés par quelqu’un d’autre (13) ou à travers un lieu de passe.
56
Le tableau ci-dessous donne une idée sur l’ensemble des lieux où se déroulent
les actes d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. On
constate que la plupart des enfants citent le domicile des clients et les hôtels
comme lieux habituels Tenant compte de la réalité haïtienne et du milieu où
évoluent ces enfants, les « dits » hôtels doivent être dans beaucoup de cas
des maisons de passe comme cette maison située au Champ de Mars
signalée dans une des observations. Les garçons fréquentent les bordels plus
que les filles ce qui semblerait confirmer que la “clientèle” qui sollicite les
garçons a un profil plus spécifique: elle serait plus aisée, plus sélective dans
ses fréquentations.
Tableau 9
Répartition des enquêtés (en nombre absolu) selon les endroits ou se pratique
généralement l’ exploitation des mineurs à des fins commerciales
57
Les clients sont en général de jeunes haïtiens (nes) pour le moins aisés (ki gen
kòb) (64.5%).
Un plus grand nombre de filles a plus de 5 clients par jour. Ceci dévoile le
caractère plus agressif de l’exploitation sexuelle des fillettes. Il faut aussi
relier cette donnée au fait que plus de garçons ont d’autres types d’activités
lucratives.
Tableau 10
Nombre de clients par jour selon le sexe des mineurs
La pratique d’autres activités liées à la prostitution est peu répandue; ceux qui
ont répondu affirmativement identifient des zones comme Delmas 31,
Kanada, le Lambi, Gelée (Cayes); 10 se déplacent parfois avec des touristes.
Ces mineurs victimes de l’exploitation sexuelle sont exposés aux dangers de
la drogue. Filles et garçons consomment une ou plusieurs drogues avec une
prédominance des substances bon marché (tinner, gazoline, crac) comme
l’indique le tableau suivant. Les filles sont les seules à utiliser la gazoline et
sont plus grandes consommatrices de tinner. La cocaïne semble être absente
de leurs habitudes. Cette consommation représente un autre facteur qui
aggrave leur état de santé; de plus elle en fait une proie facile pour les
dealers soit comme consommateurs soit comme intermédiaires.
58
Tableau 11
Répartition des enquêtés par sexe selon le type de drogues consommé
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
Comme nous l’avons déjà signalé, un pourcentage appréciable des mineurs
interrogés, disent se protéger contre les MST, particulièrement les filles dont
certaines vont jusqu’à proposer le préservatif au client.
Malgré cette affirmation, le tableau 12 montre combien ces jeunes demeurent
vulnérables.
L’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales entraîne pour eux
de très nombreux problèmes: violence physique, maladies sexuellement
transmissibles, grossesses non désirées et si on y ajoute les arrestations cela
donne une idée des expériences traumatisantes que vivent ces jeunes et quiles
accompagneront tout au long de leur vie.
59
Le tableau suivant montre de plus combien les filles sont plus souvent victimes
de violence; 10 garçons affirment n’avoir jamais expérimenté de problèmes
ni avoir subi de violence; seulement 6 filles font la même affirmation. 10 filles
déclarent des violences combinées pour seulement 4 garçons.
Tableau 12
Répartition des mineurs selon les problèmes expérimentés
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI Décembre 2002
Histoire de vie ou témoignages
C’est un petit garçon de 8 ans, nous l’appellerons Aliko (oui il a bien 8 ans,
il situe sa naissance l’année où il n’y avait pas d’essence..1994?). Il est né
aux Gonaives et arrive à Port-au-Prince avec ses parents. Yo vi n dèyè lavi.
(ils sont venus chercher une vie meilleure)
Il vit actuellement avec sa mère qui mendie pour vivre.
Il est l’aîné de 6 frères et sœurs.
Sa première relation sexuelle se passe avec une dame qu’il ne connaît pas et
depuis un an a des relations sexuelles pour une gratification (dec. 2001) Il
charge 25 gdes. Mais ne les reçoit pas toujours. Cela se passe en général
chez la cliente et on le recrute dans la rue. Parfois c’est lui qui visite ses
anciennes clientes et il y rencontre des gwo zouzoun des personnages hauts
placés ou des hommes d’affaires).
Aliko peut avoir entre 5 à 10 clientes par jour. Il participe parfois à des
séances pornographiques: li bay chwo toutouni (il danse nu) à Delmas 31.
Il utilise parfois le préservatif et se rappelle un cas particulier où la partenaire
avait le sida.
Ça lui est arrivé de subir des formes de violences de la part de ses
partenaires: menaces, viol…
Ça lui arrive aussi de prendre de la drogue (bòz). Son rêve : une grande
maison pour les enfants de la rue, sans violence, où ils pourraient étudier et
devenir CIMO (Corps d’Intervention Mobile, unité de la police nationale
réputée pour sa violence).
60
4.4.- Vécu et organisation du milieu
Le module IV du questionnaire d’enquête vise à déterminer l’organisation du
milieu de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales avec
emphase spéciale sur des intermédiaires qui auraient bénéficié des activités
de l’exploitation sexuelle des enfants.
Les mineurs sont obligés souvent d’avoir des relations sexuelles contre leur
gré.. A la question «est-ce que quelqu’un t’oblige à la prostitution?» 38 des
mineurs interrogés (50%) répondent oui. Les réponses à la question suivante
«Qui» font cependant référence à un (e) client (e) plutôt qu’à quelqu’un pour
le compte de qui ils travailleraient. Leurs réponses identifient des catégories
de personnes bien spécifiques les obligeant à avoir des relations sexuelles
avec elles. Ce sont entre autres des homosexuels, des prostituées adultes, des
inconnu/es ayant l’envie d’avoir immédiatement des relations sexuelles, des
jeunes comme eux.
Par contre à la question suivante «est-ce que d’autres personnes profitent de
cette activité?» 26 d’entre eux identifient très clairement les bénéficiaires de
leurs activités : leurs parents sont les premiers (12) à côté des propriétaires
de bordels ou hôtels, des personnes travaillant dans l’industrie du tourisme
etc. 23 soit 30% de l’échantillon doivent partager ce qu’ils reçoivent avec
quelqu’un d’autre qui, pour 11 d’entre eux, n’a aucune autre activité
génératrice de revenu. La catégorie autre recueille le même pourcentage.
La quantité relativement grande de désignation des parents
en tant que bénéficiaires doit être associée, ici encore, à l'une
des dérives les plus graves de la pauvreté. Dans le même
ordre d'idées et en l'absence de données dans cette enquête
elle indique la vraisemblance de la prolifération de
l'exploitation sexuelle de mineurs scolarisés.
Tableau 13
Répartition des enquêtés selon les personnes profitant
de leur prostitution
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI, Décembre 2002
61
Histoire de vie ou témoignages
« Mon nom est Lourdie, j’habite Carrefour. J’ai aujourd’hui 16 ans. J’opère
à Pétion Ville où on me connaît sous le nom de Pierrette. Personne ne connaît
ma vie pas même ma mère avec laquelle je vis. Cette dernière est aveugle…je
suis sa fille unique du seul homme qu’elle aimait et qui est mort. J’avais alors
5 ans. J’ai été à l’école et j’ai même eu mon certificat.
Ma première « opération » a eu lieu à 10 ans avec Pierre mon voisin qui lui
en avait 15. J’étais à ce moment une fille rangée qui rêvait d’épouser Pierre
avoir une famille et des enfants, devenir infirmière. Jusqu’au jour où j’ai
rencontré Rose qui comme moi ne pouvait aller à l’école et qui travaillait.
Rose avait toujours de beaux habits, elle pouvait même aller au studio. Elle
travaillait à Pétion Ville.
Je suis partie un jour avec elle et arrivée sur le lieu de travail, je l’ai vu
s’entretenir avec un homme. Quelques minutes après elle m’invita à rentrer
dans une chambre et de l’attendre. J’ai attendu jusqu’à ce que cet homme
arrive, je m’en souviendrai toujours. Il me força à me déshabiller et me viola;
il quitta la pièce rapidement en me laissant 10 dollars. Je me suis sentie
couverte de honte.
Rose continua à m’offrir du boulot et sans réfléchir, je me livrai à ce jeu
dangereux mais qui me permettait de vivre et parfois même d’aller au studio
comme elle surtout les jours où nos clients étaient des blancs. J’ai tenté de
reprendre mes études mais les nuits étaient trop fatigantes, durant la journée
nous devions dormir et préparer les toilettes du soir.
Pour m’aider Rose m’a procuré un petit comprimé rose qui me permet de tout
oublier. Les filles disent que c’est le même effet que la drogue sauf qu’il faut
se piquer et puis les conséquences sont plus graves. Enfin je ne me drogue
pas…
Ma mère pense que je travaille dans un bar la nuit, elle s’inquiète un peu
mais je l’ai rassurée »
Lourdie, Pierrette voudrait aller à l’école, être jeune et devenir infirmière.
Les mineurs dénoncent aussi le fait qu’ils subissent toutes sortes de violence
de la part du client. 31 des enfants interrogés le confirment. Comme nous
l’avons vu plus haut, les filles en sont les principales victimes Ce sont des
agressions verbales et/ou physiques.
62
Le tableau 14 nous indique comment réagissent les clients si un des mineurs
refusent d’avoir des relations sexuelles. 60 d’entre eux témoignent l’avoir fait:
34 garçons et 26 filles. Il faut souligner que ce refus est plus souvent accepté
par le client quand il s’agit de garçons (18) que quand il s’agit de filles (8).
On note aussi que le nombre de mineurs ayant trouvé le
courage de refuser un contact sexuel est relativement élevé.
Dans ce contexte d'oppression, de dévalorisation et de
violence sociale, le fait mérite d'être souligné et rapproché
sans doute de la véritable "débrouillardise" développée par
ces jeunes pour survivre, même lorsque le prix à payer est
souvent l'agression.
Tableau 14
Réactions du client quand un mineur refuse d’avoir des relations sexuelles
Ils sont 37 qui rapportent la quasi indifférence de la police quand elle les
surprend. Si elle réagit, c’est avec violence (coups, arrestations). 22.4% des
enfants reconnaissent cependant que la police les a parfois aidés. Ce
chiffre peut être considéré comme "encourageant", dans le
contexte de profonde dévalorisation de la police aux yeux
des citoyens. En tout cas il converge avec le témoignage de
l'escale sur les interventions de la police qui recueille des
enfants des rues. Il rend plus crédibles les plans du ministère
du Travail de former une police sociale.
4.5.- Perception du milieu
Le module V traite de la perception des mineurs sur le milieu.
Les mineurs ont une perception très critique du milieu dans lequel ils
évoluent.. 29.9% d’entre eux (22) considèrent l’exploitation sexuelle à des
fins commerciales comme une activité immorale, c’est du «vagabondage»,
21% estiment que c’est de l’exploitation. Pour certains (14.5% des réponses)
beaucoup de ces enfants qui se laissent ainsi exploiter n’ont pas le choix: ils
doivent survivre; «afè yo ki pa bon, paske fòk yo viv»58
ils ont des problèmes économiques, ils doivent
survivre.
58
63
Cette perception se précise quand on leur demande d’identifier les problèmes
auxquels sont confrontés les mineurs victimes de cette exploitation: 47.4% les
décrivent comme des enfants ayant des problèmes économiques, 14.5% y
ajoutent le fait que souvent ce sont des enfants abandonnés par leur famille,
7 mentionnent comme autre facteur additionnel la violence familiale. Ces
différents facteurs conduisent à la délinquance (san sal). 65 de ces mineurs
reconnaissent qu’eux-mêmes font face à un ou plusieurs de ces problèmes, ce
qui expliquerait leur situation actuelle.. Dans les réponses exprimées on
retrouve un sentiment de dévalorisation personnelle (san sal, vakabondaj,
san fanmi)59 et aussi une grande vulnérabilité, un besoin de
protection qui semble prédominer par rapport à un
durcissement espérable dans leur comportement et dans leurs
opinions.
Face à cette situation, 19.7% des mineurs interrogés ont reçu de l’aide soit
d’une personne soit d’une institution. A la question «quelle forme d’aide», les
réponses sont éparpillées, mais la majorité d’entre elles mentionnent de la
nourriture et/ou des vêtements60. Certaines institutions sont mentionnées,
comme Lakay de Père Estra61 la mairie de Delmas, ainsi que des interventions
pour leur chercher du travail ou les inscrire dans un orphelinat.
4.6.- Recours et recommandations
Les mineurs rencontrés répondent oui dans une proportion de 51.3% (39)
quand on leur demande s’ils savent que l’état a signé des lois et des
conventions pour faire respecter les droits des enfants.
Plus de la moitié, 15 filles, 21 garçons, déclarent avoir porté plainte pour
violences subies de la part des clients auprès de la police, de leurs parents
ou d’amis. Ceux qui se sont adressés à la police représentent 32.8% (25).
Cette attitude vis à vis de la police est un peu surprenante. Ces mineurs
reconnaissent qu’en général la police est indifférente quand elle les surprend
ou qu’elle réagit avec violence; cependant face aux violences 28.94% (22)
s’adressent d’abord à cette police. Celle ci va intervenir parfois contre celui
qui a commis l’acte violent, mais cette intervention ne s’inscrit dans aucune
politique globale. Elle est aléatoire et dépend du bon vouloir du policier
interpellé. Ce dernier n’agit pas comme instrument de la justice et n’a aucun
compte à lui rendre, ce qui le rend moins dangereux.
Délinquance, vagabondage, sans famille)
Voir tableaux en annexe.
Lakay: institution religieuse dirigée par le Père Estra,
qui s’occupe des enfants des rues.
59
60
61
64
Les mineurs ne s’adressent pas seulement à la police comme le montre le
tableau 15. Encore une fois, les réponses référant aux suites données à ces
plaintes sont très éparpillées. Bon nombre d’entre elles réfèrent à des
interventions de la police. Quand à ceux qui n’ont jamais porté plainte 44.7% (34) - les raisons invoquées sont principalement la peur, le manque de
confiance ou au contraire le sentiment d’être capable de se défendre seul.
Tableau 15
Répartition des mineurs ayant porté plainte contre des actes de violence
Tableau 16
Répartition des mineurs selon là où ils adressent leurs plaintes
Source: Enquête auprès des Mineurs/INESA pour le compte de OIT-IPEC-ACDI, Décembre 2002
Les réponses des mineurs sont très claires et significatives quand on
questionne leurs attentes : 98.6% (72) souhaitent que des mesures soient
prises pour améliorer leur situation, 91.7% (66) voudraient échapper à
l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, 92.9% (65) aimeraient
retourner à l’école. Les mêmes thèmes reviennent quand on leur demande le
mot de la fin.
Les rapports des enquêteurs sont éloquents à ce sujet. Bon nombre d’enfants
leur ont demandé si l’objectif de cette enquête était de les sortir de la rue;
d’autres les ont pris pour des représentants de l’état et leur ont demandé avec
insistance de revenir les chercher.
Ces réponses interpellent directement les autorités responsables et la société
toute entière, et leur demandent d’intervenir en toute urgence pour contrer
cette violation des droits fondamentaux des enfants que représente
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales.
4 d’entre eux osent dire qu’ils n’aimeraient pas changer de vie, et les raisons
évoquées ne font que confirmer qu’une des principales causes de cette
exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales est leur situation
économique précaire : “Je suis déjà perdu, j’ai l’habitude de vivre comme
cela – je fais de l’argent avec eux – c’est ça qui me permet de vivre et
d’entretenir ma famille – c’est de ça que je vis”62.
Traduction de: Mwen deja gate, m abitye viv konsamwen fè lajan ak yo – se sa ki pèmèt mwen viv ak
fanmi mwen- se sou sa mwen viv.
52
65
PERCEPTION DES
ADULTES SUR
L’EXPLOITATION
SEXUELLE DES
MINEURS A DES
FINS COMMERCIALES
66
V- PERCEPTION DES ADULTES SUR
L’EXPLOITATION SEXUELLE DES
MINEURS A DES FINS COMMERCIALES
5.1.- Caractéristiques de la population concernée
5.1.1.- Sexe et âge
Dans le cadre de l’enquête sur l’exploitation sexuelle des enfants, 207 adultes
ont été questionnés dont 157 à Port-au-Prince et 50 à Pétion-Ville. Pour Portau-Prince, 24 % des enquêtés ont été abordés aux environs du Champ de
Mars. Dans ces deux villes de la région métropolitaine, les enquêtés sont
majoritairement des hommes (soit 94 hommes contre 63 femmes à Port-auPrince et 36 hommes contre 14 femmes à Pétion-Ville). Un tel résultat est
significatif dans la mesure où, selon les enquêteurs, les hommes étaient plus
enclins à répondre aux questions et donner leurs impressions sur le
phénomène que les femmes63.
Sur l’ensemble de l’échantillon enquêté, plus des trois quarts des sondés ont
entre 18 et 59 ans et une part beaucoup plus faible (6%) de personnes est
âgée de 60 ans et plus. Ce qui correspond, d’une manière générale, à la
structure globale de la population haïtienne selon les données récentes
disponibles. En effet, les dernières enquêtes, particulièrement l’Enquête
Budget Consommation Ménages (EBCM, 1999), indiquent pour l’Aire
métropolitaine qu’une proportion importante de la population se trouve dans
la tranche d’âge 20 - 24 ans.
De façon plus précise, plus d’un tiers des sondés (36.7% ) se trouve dans la
tranche d’âge 18-29 ans et un peu moins d’un tiers (30.4%) a entre 30 à 39
ans alors qu’environ 17.4% déclarent avoir entre 40-49 ans. Seulement 13.
6% des enquêtés ont plus de 50 ans. Dans le tableau croisé de distribution
par tranche d’âges et répartition par sexe, il ressort, pour la tranche 40 à 49
ans, une nette prédominance de femmes, soit sur 20 femmes pour 16
hommes.
Tableau 17 : Répartition des adultes sondés par sexe et tranche d’âges
Néanmoins, nous ne disposons pas d’informations
précises sur cette réticence des femmes à se
prononcer sur la question. Il serait intéressant, par
contre, dans le cadre de nouvelles études sur le
thème d’en chercher les causes.
63
67
5.1.2.- Niveau de scolarité des enquêtés.La majorité (44.4%) des enquêtés déclare avoir atteint le niveau secondaire.
En considérant le niveau de scolarité par sexe, le sondage révèle: d’une part
que 18% des femmes n’ont jamais fréquenté l’école, 23 % ont atteint le niveau
d’études primaires, 38% le niveau secondaire et 18% le niveau universitaire;
d’autre part, que seulement 6% des hommes n’ont aucun niveau de scolarité,
13% ont atteint le niveau primaire, 48% le niveau secondaire et 20% le
niveau universitaire. D’importantes disparités par sexe sont relevées surtout
au niveau primaire et secondaire et qui tendent à disparaître au niveau
universitaire. La proportion de femmes n’ayant aucun niveau de scolarité est
beaucoup plus élevée que chez les hommes. Ces résultats sont en conformité
avec la tendance nationale et les plus récents résultats obtenus à partir de
l’Enquête Budget Consommation Ménages (IHSI, 1999).
Tableau 18: Répartition des adultes sondés par sexe et niveau de scolarité
5.1.3.- Situation par rapport à l’emploi
Selon les principaux résultats du sondage, le commerce qu’il soit formel ou
informel concentre la plus grande part de la population enquêtée. En effet,
37% des enquêtés se dédient à cette activité dont 25% dans le secteur
informel et 12% dans le commerce formel. Seulement 4 % travaille dans le
secteur industriel et environ 6% sont des fonctionnaires de l’administration
publique. Il est à noter que le nombre de chômeurs représente près de 19%
de la population enquêtée. Ces résultats obtenus sont conformes à la structure
actuelle de l’économie haïtienne où un fort pourcentage de la population
active travaille dans le secteur informel et en particulier dans le commerce où
on retrouve une part plus importante de femmes que d’hommes. Le chômage
touche à part égale les hommes et les femmes de l’échantillon. Il est
néanmoins nécessaire de souligner le fait que les hommes sont plus
nombreux à refuser de donner une information relative à leur secteur
d’activités.
68
Sur l’ensemble de l’échantillon, environ 74% des personnes rencontrées
déclarent avoir un métier et 25% déclarent ne pas en avoir. Les métiers
déclarés sont des plus divers, avec cependant un pourcentage relativement
élevé d’artisans tels: commerçants (10.6%), mécaniciens (5.8%) et de
techniciens comme les informaticiens (5.8%).
Tableau 19: Répartition de la population par secteur d’activités économiques
5.2.- Connaissance de l’exploitation sexuelle des mineurs à
des fins commerciales
D’une manière générale, la plupart des enquêtés (92%) sont au courant du
phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs. Il est important de
signaler que malgré la structure de l’échantillon, où une proportion plus
importante de mâles ont été interviewés, les femmes sont généralement moins
informées que les hommes sur l’existence de l’exploitation sexuelle des
mineurs. En effet, 88% de femmes déclarent avoir entendu parler de
l’exploitation sexuelle des mineurs contre 93% d’hommes.
Tableau 20: Répartition par sexe des sondés au courant du phénomène
de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
69
5.2.1.- Connaissance sur le type de pratiques liées à l’exploitation sexuelle
des mineurs
Les données relatives à la connaissance des adultes sur le type de pratiques
liées à l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales montre que
celle du sexe à des fins commerciales est de loin l’activité la plus connue chez
les adultes. Le niveau de connaissance des autres types d’activités (danse
nue, photo ou vidéo pornographiques) est moindre.
S’il est vrai que les enquêtés (93.2%) disent être uniquement au courant du
phénomène ou ont l’habitude d’en entendre parler, cependant quand il s’agit
d’opiner sur le type d’exploitation sexuelle des mineurs, les réponses tendent
à varier indiquant en quelque sorte le degré d’information de l’enquêté. Ils
affirment être au courant à part presque qu’égale des pratiques suivantes:
danses (48.3%), exhibitions (43.5%) et vidéos pornographiques (31.9%).
On remarquera toutefois qu’à Pétion-Ville le nombre de réponses affirmatives
sur la connaissance du type de prostitution pratiqué dans le cas de
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales est plus élevé qu’à
Port-au-Prince.
Tableau 21: Répartition des sondés selon leur connaissance
des pratiques liées à l’exploitation sexuelle des mineurs
De l’avis de 63.3% des personnes interrogées, ils peuvent facilement
reconnaître un mineur en prostitution. Les principales pistes mentionnées sont
indiquées dans le tableau ci-dessous. La tenue vestimentaire et le type de
fréquentation de ces mineurs sont pour la plupart des enquêtés, les
principaux signes extérieurs leur permettant de les reconnaître.
Tableau 22: Principales pistes indiquées par les enquêtés
pour reconnaître les mineurs livrés à la prostitution
NB: Le total est supérieur à 100% car il s’agit d’une question à réponses multiples.
70
5.2.3.- Opinion des adultes en relation à la provenance des mineurs sujets à
l’exploitation sexuelle à des fins commerciales
Pour l’ensemble, 43.5% adultes pensent que les mineurs proviennent de
partout (ensemble du territoire national) et 37% estiment qu’ils sortent
d’autres quartiers de l’Aire Métropolitaine. Une infime proportion, soit près
de 5% croient que ces mineurs résident dans leur quartier. La distribution des
opinions par sexe ne différent pas de celle de l’échantillon global. En effet,
tant pour les femmes (41.5%) que pour les hommes (44.6%) les mineurs
sortent de partout. Une part non moins significative de femmes (32.4%) et
d’hommes (40%) considèrent qu’ils habitent d’autres quartiers.
Tableau 23 : Opinion des adultes par sexe sur la provenance des mineurs
Il est à noter qu’une proportion légèrement plus élevée de femmes (9% contre
2.3% d’hommes) considère que ces mineurs habitent leur quartier. Ceci peut
s’expliquer par une plus grande présence des femmes et une meilleure
connaissance ou préoccupation de celles-ci pour ce qui se passe sur leur
quartier.
5.2.4.- Causes et explication du phénomène par les adultes
Pour rechercher l’opinion des adultes sur les principales causes explicatives
du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales,
une question à choix multiple leur a été posée. Des différentes alternatives
proposées, deux d’entre elles ont un niveau de fréquence plus élevé: la
dégradation de la situation économique des parents (87.4%) et la démission
des parents (51.7%). Dans une part moins importante, d’autres causes tels
que le manque d’encadrement (44.4%) et la perte de valeurs morales
(34.85%) sont mentionnés. De manière générale, les principales causes
identifiées par les enquêtés ne sont pas isolées de la situation de crise
multidimensionnelle que traverse le pays depuis plus de vingt ans, plus
particulièrement la crise économique.
71
Tableau 24: Principales causes indiquées par les adultes
pour expliquer la prostitution des mineurs
NB: Le total est supérieur a 100% car il s’ agit d’ une question à réponses multiples
Le croisement des opinions des adultes en relation à leur degré d’études,
permet de voir que ceux qui considèrent comme explication première la
pauvreté des parents ont atteint le niveau secondaire (43.7%), que 20.4% le
niveau primaire, 20.4% le niveau universitaire et 11% n’ont jamais fréquenté
l’école. Il convient de souligner le fait suivant : les croyances religieuses pour
expliquer le phénomène se retrouvent fondamentalement chez la population
scolarisée de l’échantillon.
Tableau 25: Niveau d’études des sondés et explication du phénomène
72
5.2.3.1 Pauvreté des parents
Tant chez les femmes (83%) que chez les hommes (89%), la pauvreté des
parents est l’une des principales causes explicatives du phénomène
d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales.
En introduisant le niveau de scolarité, il est observé que 15% des femmes
n’ayant jamais fréquenté l’école considèrent la pauvreté comme une des
principales causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales contre seulement 6% des hommes de cette même catégorie. Un
changement de tendance est observé pour le niveau secondaire où 42%
d’hommes contre 31% de femmes attribuent ce phénomène à la pauvreté des
parents. Par conséquent, il y a une corrélation positive, particulièrement chez
les hommes, entre le degré de scolarité et le fait de considérer un facteur
économique, à savoir la pauvreté des parents, comme explication du
phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales. Le
fait d’attribuer à la pauvreté l’explication d’un tel phénomène ne cache-t-il
pas une forme de négation de l’existence d’exploiteurs et de demandeurs de
ce genre de service ?
Cette attribution du phénomène à la pauvreté par une proportion importante
de l’échantillon (hommes et femmes) retient aussi l’attention compte tenu de
la crise économique aigue que traverse le pays et de ses nombreuses
conséquences sur les conditions de vie d’une grande partie de la population
(aggravation du chômage, paupérisation...). Ce qui peut conduire à une
forme de « fatalité ou excuse » pour justifier ce genre de situation, nonobstant
la nécessité d’interventions pour contrecarrer la précarité des conditions de
vie pour l’ensemble de la population.
5.2.3.2 Démission des parents
Pour 47% de femmes et 57% d’hommes, la démission des parents constitue
une des causes explicatives du phénomène de l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales. En considérant le niveau de scolarité, une
dispersion des réponses est observée. Plus d’hommes (27%) que de femmes
(17%) ayant atteint le niveau secondaire considèrent que la démission des
parents est à la base de l’existence de ce problème. Par contre, le
pourcentage d’hommes et de femmes à répondre affirmativement à la
question est le même, soit 6%, pour ceux et celles qui n’ont jamais fréquenté
l’école.
73
A cet égard, il convient de souligner la place que joue l’éducation dans le
renforcement et/ou la reproduction de l’idée que la famille est la seule et
unique responsable de la protection de la population infantile et juvénile.
Cette vision tend à confiner la société dans un rôle second et à la désengager
tout au moins partiellement vis à vis de ses responsabilités par rapport aux
enfants et aux jeunes.
5.2.3.3 Manque d’encadrement
Près de 38% des femmes et 51% des hommes considèrent le manque
d’encadrement comme l’une des causes de l’exploitation sexuelle des mineurs
à des fins commerciales.
Cette opinion est partagée par 16% de femmes contre 26% d’hommes ayant
un niveau d’études secondaires. Pour ceux ayant fréquenté l’université, le
pourcentage d’hommes et de femmes est presque identiques, soit 7% et 7.8%
respectivement. En ce qui a trait à la proportion de femmes et d’hommes
ayant fréquenté le primaire ou n’ayant jamais été à l’école, des différences
sont observées quant à la prise en compte du manque d’encadrement comme
cause du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs. On note d’une
part qu’il existe plus d’hommes (9.2%) que de femmes (6.5%) avec un niveau
d’éducation primaire qui pense que le manque d’encadrement est l’un des
facteurs explicatifs de ce phénomène. Par contre, pour la catégorie de ceux
qui n’ont jamais fréquenté l’école, une inversion dans la proportion est
observée: 3% d’hommes contre 5.2% de femmes.
L’éducation tire encore la sonnette d’alarmes particulièrement à l’analyse des
résultats pour chacune des modalités. Paradoxalement, deux tendances
inverses sont observées chez les femmes et chez les hommes. Une
progression positive chez les femmes en fonction du degré de scolarité
conduit à croire que celles-ci prennent plus conscience que les hommes de
l’importance de l’encadrement chez les enfants et les jeunes. Bien que la
provenance de l’encadrement ne soit pas précisée dans le questionnaire, il
suggère qu’une part de responsabilité soit imputée de manière générale à la
société.
74
5.2.3.4 Valeurs morales
Les données du sondage indiquent que 27% de femmes contre 40% d’hommes
opinent que les valeurs morales constituent l’une des causes de l’exploitation
sexuelle des mineurs.
En considérant le niveau de scolarisation, deux points méritent d’être signalés:
• un pourcentage identique d’hommes et de femmes pour la catégorie
n’ayant jamais fréquenté l’école (4%)
• au niveau secondaire une plus grande proportion d’hommes (18.5%)
que de femmes (10.4%) ainsi qu’au niveau universitaire (9.2% hommes
contre 6.5% de femmes).
Ces résultats sont significatifs dans la mesure où ils confirment le poids de
l’éducation dans le renforcement de certains schèmes de pensée ou de
comportement. Cette opinion qui se retrouve en quatrième position parmi les
explications des causes du phénomène mériterait d’être creusée dans la
mesure où elle pourrait permettre de mieux cerner les causes véritables du
phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales.
5.2.3.5 Violence dans la famille
D’une manière générale, les résultats du sondage montrent une tendance plus
poussée chez les femmes (20%) que chez les hommes (17%) à considérer la
violence dans la famille comme une des causes de l’exploitation sexuelle des
mineurs.
Deux fois plus de femmes (8%) que d’hommes (4%) ayant atteint le niveau
universitaire estiment que ce phénomène est lié à la violence dans la famille.
Cette proportion est la même pour ceux qui ont un niveau d’études primaires
(4% de femmes contre 2% d’hommes). Au niveau secondaire, un changement
de tendance est observé : le pourcentage d’hommes à opiner que la violence
dans la famille est l’une des causes de l’exploitation sexuelle des mineurs est
légèrement plus élevé que celui de femmes, soit 6% et 4% respectivement. Pour
ceux qui n’ont jamais fréquenté l’école on ne retrouve que 1.3% de femmes.
Ceci s’explique par le fait que la femme est généralement la victime de cette
violence domestique.
75
En résumé, les adultes au courant de l’existence de l’exploitation sexuelle des
mineurs attribuent d’une manière générale ce phénomène à la pauvreté des
parents. Il convient de souligner que:
• pour le niveau n’ayant jamais fréquenté l’école, la proportion de femmes
évoquant la pauvreté, le manque d’encadrement et la violence dans la
famille est plus importante que celle des hommes.
• pour le niveau secondaire, on retrouve plus d’hommes que de femmes à
mentionner la pauvreté, la démission des parents, le manque
d’encadrement, les valeurs morales et la violence dans la famille.
• pour deux raisons, valeurs morales et manque d’encadrement une part
égale d’hommes et de femmes est observée pour les niveaux n’ayant
jamais fréquenté l’école et universitaire respectivement.
• la violence dans la famille est la seule raison où une nette dominante de
femmes est remarquée.
En conséquence, l’éducation semble contribuer pour une grande part dans le
renforcement et la reproduction de certaines valeurs, idées et représentations.
La société, d’une manière générale, est reléguée au second plan dans la
protection de la population infantile et juvénile. L’acuité de la crise
économique tend globalement à favoriser une certaine « justification » par
les adultes du phénomène d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales et limite leur questionnement tout niveau de formation
confondue sur les causes véritables, voire l’existence d’exploitateurs et
demandeurs de ce genre de services.
76
Tableau 26: Opinions des adultes sur les causes
de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
77
5.2.4.- Connaissances sur les lieux où se pratique la prostitution
Selon 37.2 % des sondés, les mineurs pratiquent la prostitution dans des
quartiers autres que les leurs. Par contre 4.8% pensent qu’ils la pratiquent
dans leurs quartiers de résidence.
De façon plus précise, en ce qui concerne les lieux où sont généralement
menés cette activité, les femmes et les hommes sont généralement du même
avis à une différence d’un ou deux points de pourcentage . Ainsi pour 74 %
de femmes et 75 % d’hommes questionnés La rue est le principal lieu
mentionné. L’hôtel se place en deuxième position pour 53 % des femmes et
55 % des hommes. L’activité se mène aussi Chez le Client selon 32 % des
femmes et 30 % d’hommes. La voiture (6.5 % de femmes contre 8.5 % des
hommes) est aussi mentionnée comme lieu d’activité de l’exploitation sexuelle
des enfants à des fins commerciales. Les différences d’opinion s’observent
uniquement en considérant le cimetière (22 % de femmes contre 16 %
d’hommes) comme lieu où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs.
Tableau 27: Principaux lieux indiqués par les adultes
Par contre en comparant les zones où le sondage a été mené, il convient de
remarquer qu’à Port-au-Prince, les enquêtés ( 74.5 %) sont plus enclins à
considérer la rue comme principal lieu où se pratique les activités liées à
l’exploitation sexuelle des mineurs tandis que pour ceux (86%) rencontrés à
Pétion-Ville, l’hôtel serait le principal lieu d’une telle activité indépendemment
du fait que le pourcentage de réponse pour la rue soit sensiblement le même.
A Port-au-Prince:
• Dans les rues (74.5 %)
• A l’hôtel (44.6%)
• Chez le partenaire (28.7%)
• Au cimetière (21.7%)
A Pétion-Ville:
• A l’hôtel (86.0%)
• Dans les rues (76%)
78
Ces résultats réflètent à la fois la dynamique économique et la vie nocturne
de chacune de ces agglomérations. En effet, Pétion-Ville concentre, depuis
quelques années, la majeure partie de l’activité hôtelière, des bars et des
restaurants et connaît une vie nocturne beaucoup plus intense que Port-auPrince. Ceci explique par conséquent le fait que l’hôtel soit le lieu le plus
fréquenté à Pétion-Ville pour ce genre d’activités.
5.3- Position, réactions et recommandations des adultes
En général, les femmes (90%) qui déclarent qu’elles éprouveraient de la gêne
si elles assistaient à un acte d’exploitation sexuelle d’un mineur par un adulte
sont plus nombreuses que les hommes (80%).
Il convient de signaler que, seulement au niveau de la catégorie de ceux qui
ont atteint un niveau secondaire, on retrouve plus d’hommes ( 41 %) que de
femmes (35 %) à avoir une mauvaise perception d’une telle situation. Pour les
autres niveaux de scolarité, comme l’indique le tableau suivant, le
pourcentage de femmes à avoir une opinion différente est plus élevée.
Tableau 28: Positions des adultes témoins éventuels d’un cas d’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales
79
Témoin d’un tel acte, la principale réaction serait de recourir à la famille du
mineur. Ce recours « à la famille comme institution garente des valeurs
morales » est beaucoup plus fort, pour l’ensemble, chez les femmes (65%)
que chez les hommes (48%). Une telle démarche conforte l’opinion exprimée
par les adultes quant aux causes explicatives du phénomène d’exploitation
sexuelle des mineurs à des fins commerciales à savoir: la démission des
parents.
Par ailleurs, les femmes (49%) seraient plus enclines que les hommes (42%) à
la dénoncer. Il convient de signaler le fait que l’on retrouve plus d’hommes
(18.5%) ayant atteint le niveau secondaire à réagir de la sorte que de femmes
(16.9%). Pour les autres niveaux de scolarité les femmes sont plus portées
vers une telle réaction que les hommes. Ceci s’explique par: i) la présence
beaucoup plus importante, d’une manière générale, de la femme dans le
noyau familial; ii) la vision des hommes en relation à la sexualité et à la
prostitution.
Certaines femmes (30%) et certains hommes (29%), presque à part égale,
déclarent qu’ils auraient une attitude pro-active en intervant pour empêcher
un tel comportement. Ceci fait ressortir en filigrane une certaine
responsabilisation de la « société » en relation à une telle situation.
Tableau 29: Réactions possibles des adultes témoins d’une situation
d’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
En dépit du malaise ressenti et de la prédisposition à réagir, les dénonciations
effectives sont rares: seulement 10% de femmes et 7.7% d’hommes ont eu à
le faire. Dans ces cas-là, il convient de signaler que les principales actions
entreprises consistent:
• pour les femmes soit d’aviser les parents ou d’en discuter avec des proches
(amis ou parents)
• pour les hommes soit d’avertir les parents ou de le dénoncer par voie de
presse (radio ou journal) ou des écrits (documents).
Aussi bien, les femmes (91%) que les hommes (89%) sont convaincus qu’il est
possible d’entreprendre des actions pour contrecarrer l’exploitation sexuelle
des mineurs à des fins commerciales.
80
Tableau 30: Pistes de solutions proposées par les adultes pour contrecarrer
l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales
Leurs réponses indiquent le type d’activités à mettre en place et identifient les
principaux secteurs responsables de leur mise en oeuvre.
Les activités
mentionnées prétendent offrir des pistes de solutions aux principales causes
de l’exploitation sexuelle des mineurs.
En ce qui a trait aux institutions et/ou secteurs identifiés, 48% des femmes
contre 50% d’hommes pensent que c’est à l’Etat d’intervenir. Il est à noter
qu’une part non négligeable de femmes (21%) considèrent qu’une
collaboration Etat/secteur privé pourrait être un moyen de contrecarrer les
méfaits d’une telle situation et offrir des alternatives de solutions.
Tableau 31: Institutions/Secteur identifiés par les adultes
En résumé, la création d’emplois jeunes est la principale solution signalée par
l’ensemble des adultes (hommes et femmes). Si l’on tient compte des résultats
du sondage, les problèmes économiques, en particulier, la pauvreté des
parents, sont considérés par les adultes enquêtés comme l’une des principales
causes de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales, aussi
comprend-on leur préoccupation pour pallier à cet état de fait.
Par ailleurs, l’analyse des résultats obtenus pour la question relative aux
institutions ou personnes responsables de la mise en œuvre de telles actions,
révèle que l’Etat devrait être le premier à prendre une telle responsabilité. Il
est également important de signaler l’accent mis sur une collaboration
Etat/Secteur privé ainsi que Etat/Société civile en général pour attaquer ce
problème et appliquer les pistes de solutions proposées.
81
CONCLUSION
Cette étude exploratoire sur l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales en Haïti et de sa pratique dans la zone métropolitaine a permis
d'identifier et d'analyser un certain nombre de réalités que confrontent des
mineurs victimes d'une des pires formes d'exploitation. L'étude permet
également d’identifier certaines pistes pouvant conduire à une meilleure
appréhension de la problématique.
Les causes
Il faut reconnaître en premier lieu que bien des facteurs en Haïti rejoignent
ceux que les Nations Unies ont retenus, et que nous avons mentionnés dans
l’Introduction de la présente étude, pour essayer de répondre à la question
« Pourquoi la prostitution infantile existe-elle?»
En Haïti, la misère, la pauvreté sont à la base du phénomène. Cette
affirmation se retrouve dans toutes les études consultées qui traitent des
enfants en situation difficile Tous les informateurs rencontrés au cours de cette
enquête que ce soit au niveau des institutions ou des professionnels
s’entendent pour identifier la pauvreté comme première cause de
l’exploitation sexuelle des mineurs. Cette explication se retrouve aussi dans
la perception que les mineurs ont de leur situation et dans leurs requêtes:
d’abord améliorer leur situation économique.
Cette première cause est intimement liée au 2ème facteur signalé par les
Nations Unies: vivre et travailler dans les rues. Cette forme d’exploitation des
mineurs se retrouve en Haïti particulièrement dans le monde des enfants de
la rue et des enfants des rues. Les études dans lesquelles on retrouve des
informations sur cette problématique sont celles consacrées à cette catégorie
d’enfants. Les 76 mineurs touchés par cette enquête appartiennent à ce
milieu.
Enfin, beaucoup de ces enfants -31 soit 40.7 de l’échantillon - ont été
victimes d’un abus sexuel avant 12 ans rejoignant ainsi la 3ème catégorie du
mémorandum cité.
La pauvreté, l’éclatement des familles, le phénomène des enfants dans et de
la rue, les abus sexuels dont sont les victimes les mineurs, l’environnement
social et les pressions qu’il exerce sur les jeunes, tels sont donc les principales
causes de l'ESC de mineurs, en Haïti comme dans de nombreux autres pays.
83
Mais on a vu que les Nations Unies retiennent comme autre facteur une des
conséquences des conflits armés: les enfants séparés de leurs parents ou qui
deviennent orphelins; cette catégorie d’enfants est bien présente en Haïti
même si la cause principale n’est pas un conflit armé en tant que tel. L’exode
rural, des situations de répression politique massive comme le Coup d’Etat de
1991 ont les mêmes conséquences. Certains observateurs notent d’ailleurs
que l’augmentation du nombre des enfants de la rue coïncide avec la période
du Coup d’Etat. D'autres part la pandémie du SIDA a considérablement
augmenté le nombre d’orphelins abandonnés à eux-mêmes.
Il faut noter que l’existence du phénomène de l’exploitation sexuelle des
mineurs dans le monde des écolières est certainement liée à une situation
financière précaire, mais sans doute aussi à la pression qu’exerce sur ces
jeunes la société de consommation. Au cours de l’enquête nous avons
retrouvé certaines expressions comme «elles aiment le luxe» en parlant des
jeunes filles victimes de l’exploitation sexuelle et qui certainement réfèrent au
fait que des «clients» profitent du besoin ou de l’envie qu’ont ces jeunes de
certains biens et qui les rendent plus vulnérables.
Les caracteristiques.
Les fondements de l’exploitation sexuelle des mineurs a des fins commerciales
en Haïti ne sont pas très différents de ceux qu’on observe dans d’autres
régions. On retrouve les mêmes grands traits non seulement dans les autres
pays de la région où de telles études ont eu lieu (Costa Rica, République
Dominicaine, Panama) mais aussi à l’échelle internationale. Un récent
documentaire de TV5 sur l’exploitation sexuelle des jeunes femmes dans les
anciens pays de l’Europe de l’Est fait état du nombre grandissant de jeunes
filles de moins de 18 ans impliquées dans ce trafic.
Les caractéristiques de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales en Haïti mises en évidence par la présente étude méritent d’être
soulignées.
Le genre est important.
Les filles sont les premières victimes. Les institutions rencontrées, les résultats
de l’enquête menée auprès des mineurs, les personnes ressources
interviewées le confirment. Cette situation correspond à la mentalité machiste
de notre société et à sa vision de la femme. Elles subissent plus de violence,
elles sont moins bien payées. La société les rejette beaucoup plus que les
garçons qui peuvent s’en sortir plus aisément s’ils en trouvent l’occasion.
Cité par Martine Bernier et Françoise Ponticq, op.cit.
64
84
Le mileu social aussi.
Ces mineurs en général ont une scolarité faible, leur vie sexuelle a commencé
très tôt, souvent avant 12 ans et de façon violente. Un milieu familial
souvent défavorisé, des conditions d'existence marquées par
les pénuries et la promiscuité infléchissent très souvent le
destin de ces mineurs. Bon nombre d’entre eux sont victimes de
maladies sexuellement transmissibles et sont souvent consommateurs de
drogues. La plupart travaille pour leur propre compte mais nombreux sont
ceux qui doivent partager leur gain avec quelqu’un d’autre qui vit á leurs
dépens. Leurs parents, les propriétaires d’hôtels ou de bordels bénéficient de
leur activité.
“Clientèle” et lieux de l'ESC concordent.
Le profil des clients décrit par l’échantillon concerné par cette étude
correspond en grande majorité à des jeunes de classe aisée. Cependant,
certaines particularités ont pu être décelées: les filles sont souvent victimes de
clients issus de leur milieu, les clients qui sollicitent les jeunes garçons sont
plus sélectifs, les mineurs identifient des étrangers comme clients.
Les lieux où se pratique l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales observés au cours de cette étude, correspondent à tous ceux
signalés dans différentes études: lieux où généralement se réunissent les
enfants dans et de la rue, certains quartiers populaires, des zones récréatives
ou proches de zones récréatives, des quartiers où existent des activités
nocturnes: restaurants, bars, discothèques, comme certains quartiers de
Pétion-Ville. Les comportements et le type de client varie en fonction de ces
caractéristiques zonales.
Ils sont nombreux mais non recensés.
Le nombre d’enfants atteints par ce fléau est difficile à préciser. Le milieu où
ils se retrouvent en majorité est encore mal connu: celui des enfants des rues
et des enfants dans la rue. Le nombre d’enfants de la rue aurait augmenté de
300% depuis 1991 où ils étaient environ 2000. Actuellement les chiffres se
situent entre 6226 et 7833 dans la région métropolitaine selon l’Institut
haïtien de Statistiques et d’Informatique64. Il n’existe aucune donnée sur
l’extension de l’exploitation sexuelle des mineurs dans le milieu scolaire et les
circuits d’adoption n’ont fait l’objet d’aucune enquête et échappent bien
souvent à tout contrôle.
La même source signale que pour les enfants dans la rue, le nombre diffère
selon les jours. Il y en aurait un plus grand nombre le samedi, ce qui amène
les auteurs à envisager l’hypothèse d’une “clientèle” des enfants ponctuelle,
hypothèse que les études ultérieures devront prendre en compte.
Cité par Martine Bernier et Françoise Ponticq, op.cit.
64
85
A ce sujet, un constat s’impose: 85% des mineurs en situation
d’exploitation sexuelle à des fins commerciales souhaitent
qu’on les sorte de la rue.
L’étude n’a pas pu identifier des réseaux de l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales en tant que tels. Par contre de plus en plus
il existe des lieux où elle se pratique ouvertement: Kay Gwo Manman par
exemple.
Le circuit touristique comme incitateur à l’exploitation sexuelle des mineurs ne
paraît pas jouer un rôle important actuellement. L’exploitation sexuelle des
écolières bien que dénoncée, reste encore un sujet tabou.
Pas de prise en charge.
La réponse institutionnelle à cette situation est quasi inexistante. Tant au
niveau de l’état que de la société civile, les interventions sont du type caritatif,
cas par cas. Rien n’est entrepris de façon systématique et spécifique pour
mieux connaître le phénomène et essayer de l’enrayer de manière durable.
Paradoxalement, souvent les institutions de la société civile prennent la place
de l’état alors qu’elles devraient être des structures d’appoint.
La justice est inefficiente; elle est d’ailleurs rarement interpellée soit par les
institutions, soit par les mineurs ou leurs parents. La revue de la législation
nationale, en regard des instruments internationaux ratifiés par Haïti a
permis de se rendre compte que dans la réalité l’enfant haïtien n’est pas
protégé. Les lois sont désuètes, pas suffisamment précises et laissent
beaucoup trop de latitude aux magistrats et autres responsables des enfants.
Les institutions étatiques lorsqu’elles sont prévues par la loi ne dépassent pas
le stade du papier. Les textes de loi nationaux tout en étant très limités et
incomplets, permettraient un minimum de protection s’ils étaient appliqués.
Les tabous pèsent encore lourd.
Tout se passe à tous les échelons de la société haïtienne comme s’il fallait
occulter le phénomène de l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales, soit par peur d’en réaliser l’ampleur et d’avoir à en analyser
les causes – ce qui remettrait en question bien des comportements individuels
ou collectifs — soit pour continuer à assurer l’impunité aux responsables ou
à cacher la complicité explicite ou implicite de certains secteurs. En effet les
réactions des personnes touchées par le sondage indiquent au mieux une
sensibilité de type parental mais aucun positionnement majoritaire
condamnatoire. les réactions de "gêne" n'entraînent pas une propension à la
dénonciation.
86
RECOMMANDATIONS
Cette étude exploratoire suggère des recommandations dont certaines
proviennent des mineurs eux-mêmes, principaux concernés par ce fléau et
d’autres par les adultes qui ont bien voulu opiner sur la question. En tout état
de cause, nos principales suggestions sont les suivantes:
• Etudes approfondies sur les différents aspects de la problématique de
•
•
•
l’exploitation sexuelle des mineurs visant à identifier dans l’ensemble du
pays les zones les plus touchées par l’exploitation sexuelle des mineurs à
des fins commerciales et également les réseaux et bénéficiaires d’une telle
activité.
La prise en considération de mécanismes de prévention comme moyen de
recours devant la loi et les possibilités de sanctionner les coupables
devraient être également contemplées dans le cadre d’une telle politique.
Mise sur pied d’une politique nationale de défense des droits de l’enfant
mettant en synergie les institutions publiques et privées. L’élaboration d’une
telle politique implique la mise à jour de la législation haïtienne et son
adéquation avec les textes internationaux.
Sur le plan juridique les mesures suivantes pourraient être mises en
application.
• Finalisation de la législation relative aux droits des enfants:
- Relancer les réflexions à partir de la dernière version du projet du Code de
l’enfant;
- Mettre sur pied un comité juridique pour accompagner les différents
partenaires qui vont travailler sur le projet de code de l’enfant;
- Faire la sensibilisation sur les différentes nouveautés qui s’y trouvent, par
rapport aux textes ratifiés;
- Soumettre le texte au parlement et continuer la sensibilisation pour le faire
adopter.
• Mise sur pied effective et restructuration des institutions étatiques de
promotion et de défense des droits des enfants, surtout au niveau des
postes de police des zones sensibles à l’exploitation sexuelle des enfants.
Pour faciliter cette restructuration il faudrait:
- Mettre sur pied un comité inter-ministériel pour se pencher sur une
politique nationale de défense des droits des enfants.
- Définir le rôle de chacun des ministères concernés et l’action à
entreprendre avec un calendrier réaliste d’activités et de mise en œuvre.
- Avoir au niveau de la primature une coordination de ce comité et y
adjoindre l’Office de la Protection du Citoyen.
87
• Sensibilisation, formation, encadrement des fonctionnaires chargés de la
protection et de la défense des enfants:
- Dès la mise sur pied de ce comité inter-ministériel, faire des séances
d’information sur les droits des enfants, les prescrits de la loi, les
conventions et autres textes ratifiés et responsabiliser les différentes
instances concernées.
- Mise en place effective de services à offrir aux enfants: centre d’accueil,
tribunal, maison d’hébergement, services spéciaux au niveau des
commissariats et sous commissariats, conseillers des enfants auprès des
instances qui les reçoivent généralement.
- Décentralisation de ces services.
• Mise sur pied d’une coordination mixte (public-privé) pour que le public
en général et les enfants en particulier sachent où s’adresser en cas de
- besoin
faciliter la mise en réseau d’institutions privées et de la société civile
- organisée;
mettre sur pied un comité qui servirait de lien entre les institutions publiques
et privés afin que des actions communes puissent être planifiées et
exécutées;
• Réalisation d’une campagne d’information sur les droits des enfants, les
différentes facettes de l’exploitation sexuelle des mineurs et les sanctions
qu’entraîne une telle pratique.
- les droits des enfants
- les structures mises sur pieds
- les instances spécialisées et les services qu’elles offrent
- les sanctions encourues
- un espace ouvert et public d’information sur les enfants pour les enfants et
les adultes
• Plaidoyer pour rendre plus visible le phénomène non seulement dans les
médias mais dans les lieux où se retrouvent les enfants à risques.
• L’élaboration de programme d’information et de formation pour
changement de comportement devrait être envisagée dans les écoles
niveau secondaire, au niveau des associations de jeunes mais aussi dans
milieux où se retrouvent les enfants à risques : la rue, les orphelinats,
pensionnats, les centres de détention.
le
au
les
les
• Renforcement des institutions travaillant dans le domaine. Ce renforcement
doit se baser sur des propositions concrètes recherchant de manière
systématique la collaboration entre le secteur public et la société civile, ce
dans le cadre de la politique nationale élaborée à cet effet. L’objectif est de
rechercher une complémentarité et une coordination dans ce domaine.
• Encadrement et interventions ponctuelles auprès des victimes (éducation,
santé, hébergement).
88
BIBLIOGRAPHIE
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sociale et économique des enfants et des jeunes…, Rapport final soumis à Aide à l’Enfance Canada et
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Centre Maurice Sixto.- Enfants en domesticité. Miméo
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Miméo. Port-au-Prince, Haïti
Chéry Jean Robert (1996).- La situation des enfants. Miméo. Port-au-Prince, Haïti
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89
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Vandal Jean.- Code pénal haïtien – Mis à jour.
Vieux-Gousse (1996).- Les enfants dans la législation du travail.
Le droit des enfants dans la législation haïtienne – 1995.
Projet de code de l’enfant.
Institutions rencontrées: L’Escale, Timktek, Kay Fanm, Centre d’Éducation Populaire (CEP)
90
ANNEXES
ANNEXES
91
ANNEXE I.- Entrevues
L’Escale
L’Escale ou Centre d’accueil pour enfants en domesticité
(CAED) héberge et soigne une trentaine d’enfants
victimes de sévices. Les enfants récupérés font l’objet
d’une prise en charge globale (affective, médicale et
psychologique). Cet hébergement médico-social est une
étape en vue de leur réinsertion au sein de leur famille
pour autant qu’il n’y ait pas de refus des parents ou des
enfants (extrait d’un dépliant de Aide Haïti, association
humanitaire suisse qui supporte le Centre d’accueil
entre autres projets en Haïti).
L’Escale est située dans la localité de Drouillard, zone
marginale et défavorisée des environs de Port-auPrince et fonctionne depuis 1997.
Les enfants qui s’y trouvent ont été amenés soit par
l’Institut du Bien Être Social, soit par la police et même
par une radio de la capitale, Radio Guinen.
L’Escale reçoit seulement des fillettes. La directrice du
centre pense qu’elle reçoit seulement des filles parce
que celles-ci sont plus nombreuses en domesticité vu
que la société en fait des êtres plus dociles, plus
travailleurs.
Les activités se déroulent autour l’éducation, la santé,
l’éducation sexuelle
L’impunité, la corruption des juges, la complicité de la
police favorisent le phénomène. L’état ne remplit pas
son rôle de protecteur des droits de l’enfant et le
nombre d’enfants victimes augmente de plus en plus.
Les institutions devraient s’engager dans des plaidoyers
pour faire respecter les droits de l’enfant, pour faire
appliquer les dispositions du code du travail sur le
travail des enfants et se battre pour que soit définie une
politique nationale visant la protection des enfants.
Toutes ces activités requièrent des ressources financières
énormes.
Timkatek (Timoun kap teke chans)
Timkatek est une ONG des Pères de St Jean Bosco,
dirigée par le père Simon
Elle a été fondée en 1994 et intervient à Pétion-Ville et
à Delmas. Elle est située à Pétion-Ville, rue
Derenoncourt.
Elle offre un accompagnement aux enfants des rues ou
en domesticité consistant en soins médicaux, éducation,
hébergement pour les garçons.
Timkatek reçoit plus de garçons que de filles et le
responsable pense que c’est parce que les garçons
trouvent moins facilement de travail.
L’Escale ne travaille pas directement avec des enfants
victimes d’exploitation sexuelle à des fins
commerciales, mais la directrice reconnaît que parmi
les enfants qu’elle reçoit certains se sont fait exploiter
sexuellement. (10%). Elle rapporte que dans son
expérience, elle a rencontré beaucoup de cas de petites
filles ayant subi des abus sexuels de la part de femmes
adultes.
Actuellement l’institution compte 40 garçons internés et
7 filles.
Elle définit l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins
commerciales comme le fait d’utiliser des mineurs à des
fins sexuelles pour de l’argent. La misère, l’absence
d’une politique de protection de l’enfant sont les
facteurs qui amènent les mineurs à devenir victimes de
l’exploitation sexuelle et ceux qui ont des antécédents
d’abus sexuels sont les premières victimes. (situation à
risque)
Cette exploitation a des conséquences néfastes sur les
enfants: grossesses précoces, MST, rejet social. Il note
aussi que malgré tout les garçons en ressentent une
certaine fierté du fait d’être choisi par un adulte comme
partenaire sexuel.
Parmi ces enfants, il croit qu’il y en a qui sont victimes
d’une exploitation sexuelle à des fins commerciales.
Comme gains ils reçoivent de l’argent, de la nourriture,
des petits travaux.
93
Les activités de Timkatek visent le renforcement de la
confiance des enfants en eux. Ils accordent une très
grande importance aux soins médicaux.
Pour le responsable rencontré, l’exploitation sexuelle
des mineurs à des fins commerciales, c’est le fait
d’abuser d’enfants sans protection.
La misère, la démission des parents, l’absence
d’intervention de l’état en sont les premières causes.
L’impunité, la corruption, le laxisme de la police et de
la justice contribuent à la perpétuation du phénomène.
Les institutions devraient travailler à renforcer la justice.
Comme intervention il préconise la création d’emploi
dans les campagnes
Kay Fanm
Kay Fanm est une organisation féministe créée en
1984. Nous y avons rencontré la Coordonnatrice des
programmes et Responsable administrative qui y
travaille depuis sa création.
Kay Fanm intervient particulièrement dans l’Ouest,
l’Artibonite, Les Nippes mais l’impact de ses activités
est national.
Dans ses programmes Kay Fanm offre une aide
juridique aux femmes victimes de violence, une
formation technique particulièrement en gestion de
petites entreprises, des sessions de sensibilisation sur la
condition féminine, un accompagnement en terme
d’hébergement, aide matérielle, d’encadrement
organisationnel, etc.
Kay Fanm s’adresse particulièrement aux femmes
cependant l’institution reçoit des enfants restavek en
situation difficile ou des enfants violés. L’âge de ces
enfants varie entre 8 mois et 15 ans; ils sont amenés
soit par leurs parents soit par des voisins, charitables.
Les coupables de viols sont en général un membre de
la famille. Les restaveks pour la plu-part, se sont enfuis
et sont conduits à l’institution par un membre de la
communauté. A date, les enfants reçus sont des filles
et la coordonnatrice pense que les violences exercées
94
sur les garçons sont moins dénoncées, même occultées.
De ces enfants, elle ne peut citer qu’un seul cas
d’exploitation sexuelle d’une jeune mère de 15 ans
sans ressources.
En dehors d’un accompagnement juridique quand il y
a poursuite et d’une aide matérielle, Kay Fanm n’a pas
d’activités particulières pour ces enfants si ce n’est de
les référer aux institutions concernées.
Pour Kay Fanm, l’exploitation sexuelle des mineurs à
des fins commerciales réfère aux mineurs qui travaillent
pour un proxénète ou qui le font pour survivre.
Cette exploitation a des conséquences différentes pour
les filles et les garçons. La société est plus critique pour
les filles que pour les garçons qui, s’ils en trouvent
l’occasion, s’en sortent plus facilement, alors que les
filles restent entachées à vie aux yeux de la société. De
plus l’impunité perpétue le phénomène de victimisation
qui affecte les filles.
La responsable de Kay Fanm pense que la misère est la
cause principale de l’exploitation sexuelle des mineurs
à des fins commerciales.
L’état de déliquescence de la justice – impunité,
corruption, préjugé contre les mineurs exploités
sexuellement, la préséance de la langue française dans
les tribunaux, la loi sur l’adoption – favorise la
perpétuation du phénomène.
L’état est complètement désengagé, manque de
politique, manque de structures et le travail des
institutions s’en ressent; en effet elles se retrouvent à
intervenir dans des champs qui devraient être du
domaine de l’état et le désengagement de l’état bloque
les résultats.
Les institutions concernées devraient promouvoir un
plaidoyer. Les activités primordiales devraient être la
dénonciation du phénomène, un accompagnement des
victimes et un plaidoyer. Kay Fanm tient à souligner
que ce genre d’enquête devrait non seulement servir à
des projets d’assistance mais aussi à nourrir un dossier
de plaidoyer.
Le Centre d’Éducation Populaire (CEP)
Le Centre d’Éducation Populaire ou CEP est une
«Association pour les Enfants des Rues de Port-auPrince». Il est situé à la Rue St. Gérard #10. C’est «un
organisme à but non lucratif, créé le 25 mai 1986 dans
le but de mettre les jeunes en situation de développer,
leurs ressources propres et de se tailler une place dans
la société comme citoyen responsable à part entière.
Nous avons rencontré le Directeur du CEP, poste qu’il
occupe depuis sa création.
Le centre intervient directement auprès des enfants dans
la rue. Les membres de l’équipe du CEP interviennent
auprès des enfants qui se regroupent du côté : 1) du
Champs – de -Mars, 2) de la Cathédrale de Port-auPrince, 3) le Portail Léogane, 4) Decayèt, 5) et le Ciné
Lido (coin Grand Rue et Rue Joseph Janvier).
Le CEP offre aux enfants des services de: formation
technique ou professionnelle; de santé; d’éducation,
d’accompagnement et de secours (sur la forme
d’affermage de maison pour certains); et des fois
favorise leur réintégration dans leur famille et / ou à
l’école.
Le CEP a comme “clientèle” deux (2) types d’enfants :
1) les enfants des rues, ceux qui ont la rue comme
habitat; 2) et les enfants dit de la rue, ce sont des
enfants qui passent leurs journées dans la rue mais qui
dorment chez eux le soir. Le CEP retrouve ces enfants
en allant vers eux dans la rue et travaillent avec des
«cartels» d’enfants, parce que les enfants se regroupent
et fonctionnent ensemble.
Les enfants qu’ils rencontrent le plus souvent sont des
garçons, les petites filles des familles en grande
difficulté sont plus souvent placées en domesticité.
D’après lui, le CEP rencontre parmi ces enfants,
certains impliqués dans la prostitution. Ce sont le plus
souvent des filles, parce que les petits garçons de la rue
ont d’autres alternatives pour se procurer des sous, tel
que le lavage des voitures, la mendicité, le «pick
pocket», etc.
Les filles impliquées dans la prostitutions bénéficient de
l’argent, des avantages sociaux tel qu’un «petit job»,
des habits, des jeux, des bijoux, et la possibilité de
trouver d’autres clients. Pour les garçons impliqués
dans la prostitution ce sont les même types de
bénéfices.
D’après le directeur du CEP la prostitution a certaines
conséquences identiques sur les filles que sur les
garçons. C’est une pratique qui devient une manière
de vivre très difficile à quitter; la possibilité d’attraper
les maladies sexuellement transmissibles (MST) est un
grand risque; la dévalorisation de soi; la difficulté
d’établir des relations affectives normales constituent
des handicaps à long terme pour les enfants.
Cependant il existe certaines différences. Il est très
difficile pour les garçons de fonder un foyer et
d’accepter des responsabilités et les filles ont de plus en
plus de difficultés a atteindre l’orgasme, par ce
qu’éventuellement elles se perçoivent et elles sont
perçues comme «un trou» et non comme une personne.
La société, en général, perçoit ces enfants très mal,
pour les filles, on pense qu’elles ne valent rien, elles
sont perdues, c’est une génération qui n’a pas de
«non». Elles ne vont pas à l’école, elles ne travaillent
pas en plus elles se prostituent. Pour les garçons, ils
«sont bons à mourir», la société haïtienne tolère
beaucoup plus les lesbiennes que les homosexuels.
D’ailleurs la seule catégorie de personne qui accepte
les homosexuels en Haïti, sont les lesbiennes.
Le CEP rencontre les enfants impliqués dans la
prostitution dans le cadre de son travail mais n’a pas
de programmes spéciaux adresses à ces enfants.
Pour le CEP un enfant exploité sexuellement c’est «un
enfant âgé de sept (7) à dix sept (17) ans, situé entre
un passeur et un client, ou bien un enfant qui travaille
dans un bordel.
95
ANNEXE II.- Mineurs
Répartition des enquêtés (en nbre absolu) selon leur sexe
et celui de leur partenaire
Répartition des enquétés selon qu’ils aient reçues ou non de l’aide
Types d’aides reçues usuellement par les enquêtés
97
Résultats trouvés par les enquêtés en adressant des plaintes aux autorités
concernées
Types de secours reçus après avoir adressé
des plaintes aux autorités (La Police)
98
Les requêtes des enquêtés en terminant l’interview
99
Disons non au l’ exploitation
sexuelle infantile
Organisation Internationale du Travail
Programme International pour l’Eradication du Travail des Enfants (IPEC)
Coordination pour l’Amérique Centrale, le Panama, La République Dominicaine et Haïti
www.ipec.oit.or.cr
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