LES COMPTES D'ÉPARGNE−SANTÉ Les comptes d'épargne−santé (CES) sont décrits par certains comme la nouvelle méthode de financement qui sauvera le système d'assurance−maladie. Singapour a instauré, en 1984, un programme de CES appelé Medisave, suivi de Medishield en 1990 et de Medifund en avril 1993. Le gouvernement chinois a entrepris deux projets pilotes de CES en 1994 et les a étendus à 50 villes au cours de la même année, puis à toutes les régions urbaines avant 1999. Les CES sont aussi utilisés aux États−Unis et font l'objet d'un vif débat. Comme dans les autres pays où existent les CES, des lois prévoient que les cotisations aux CES sont déductibles d'impôt. Les comptes d'épargne−santé répondent à un besoin, soit celui de trouver des solutions pour accroître l'efficience et l'efficacité du système de santé. Les partisans d'une telle formule pensent qu'il est important d'offrir une certaine forme d'incitatifs visant à modifier le comportement de la population en ce qui a trait aux services de soins, d'accroître les choix offerts aux contribuables, d'accélérer l'accès aux services de santé, de responsabiliser les différents acteurs du système de santé, d'encourager l'utilisation appropriée et efficiente du réseau hospitalier et de réduire les dépenses en santé. Les comptes d'épargne−santé sont conçus afin d'aider les gens à épargner en prévision de leurs dépenses futures en matière de santé et, en plus, ils sont exempts d'impôt. Les CES sont des comptes ressemblant aux comptes en banque, mais qui servent à payer les frais médicaux d'une personne ou de sa famille, selon le cas. Au Canada, on propose plusieurs formules de CES s'inspirant des formules déjà existantes dans d'autres pays, mais disons qu'en général, il est proposé de créer des comptes d'épargne−santé conjointement avec une assurance−santé à franchise élevée. Les travailleurs, les employeurs ou le gouvernement peuvent y contribuer, selon la formule choisie. À la fin de l'année, le titulaire d'un CES peut employer à d'autres fins les sommes inutilisées ou bien les conserver dans son compte afin de les utiliser ultérieurement. Ce qu'une personne n'utilise pas de son vivant est ensuite remis à ses héritiers. Bref, il s'agit d'une formule intéressante qui, par contre, remet en question la « gratuité » des soins et le monopole d'État en matière d'offre de soins de santé, le Canada étant le seul pays de l'OCDE à posséder un tel système. Si les citoyens ne veulent pas être obligés d'utiliser tout leur compte d'épargne−santé chaque année, ils devront prévenir au lieu de guérir, bien s'alimenter, faire de l'exercice et adopter une attitude « responsables ». Il faudrait d'ailleurs que l'instauration d'un tel système soit accompagnée d'une campagne de sensibilisation incitant les gens à bien manger, à être actifs, à cesser de fumer, à lutter contre l'obésité, etc. Cette approche permettrait d'éviter les abus et les traitement superflus, freinerait l'augmentation des dépenses publiques et encouragerait l'efficacité plutôt que la soi−disant « universalité » des soins. De plus, au fur et à mesure que les citoyens s'habitueront à gérer leurs CES, ils pourront exiger des soins de meilleure qualité et négocier de meilleurs prix pour les services dont ils ont réellement besoin. La concurrence entre les différents fournisseurs entraînera alors une baisse du prix des services dont toute la population pourra bénéficier. Pour le contribuable, un des plus grands avantages de ce système est qu'il réduit la bureaucratie du système de santé et réaffecte les fonds publics destinés à la santé là où ils sont utiles. Au Canada, plusieurs personnes proposent l'instauration d'un tel système, tandis que d'autres s'y opposent farouchement sans pour autant proposer de solutions pour remédier aux lacunes du système de santé actuel. Ceux qui ne croient pas en un tel système affirment que les CES ne permettront que de réaliser de modestes économies, qu'ils entraîneront une hausse des frais d'assurance et qu'ils auront des répercussions sur la santé parce que la population utilisera de moins en moins les services de soins de santé qui sont jugés essentiels. Parmi les groupes qui s'opposent aux CES, on retrouve au premier plan les syndicats les plus mobilisés et vindicatifs, dont le Syndicat canadien de la fonction publique : « Les comptes d'épargne−santé ne sont qu'une nouvelle façon de faire porter aux personnes le fardeau des dépenses en soins de santé. Ce sont les personnes qui devront, individuellement, prendre des décisions 1 importantes sur les services de soins de santé dont ils auront besoin et si les CES ne couvrent pas ces soins, ils devront payer ces soins de leur poche ou souscrire à une assurance. » Évidemment, les dirigeants du Syndicat canadien de la fonction publique ne voient pas d'un bon il le fait que l'on demande aux citoyens de « prendre, individuellement, des décisions importantes sur ce dont ils ont besoin ». Ils préféreraient décider à leur place! Ils ne croient pas non plus qu'il soit nécessaire d'être responsables et de pouvoir choisir de qui recevoir des soins en invoquant plutôt qu'une ouverture du marché des soins de santé à des fournisseurs autres que des fournisseurs publics nuirait à la « qualité » de ces soins. Pour nous convaincre que les CES ne sont pas recommandables, ils avancent des arguments peu persuasifs, dont les suivants : « Ce sera aux consommateurs de magasiner pour trouver le meilleur prix du marché pour les services dont ils ont besoin. En outre, les prix des soins de santé seront déréglementés. Les coûts pour les usagers du système dépendront de la concurrence que se livreront les différents services des cliniques et des hôpitaux. » « En permettant aux personnes de décider où elles veulent recevoir les soins dont elles ont besoin, les comptes d'épargne−santé créent les conditions propices à l'ouverture du marché des soins de santé publics aux fournisseurs privés. » Propositions canadiennes Monsieur Peter Holle, président du Frontier Centre for Public Policy, propose d'appliquer la formule des comptes d'épargne−santé au Canada de la façon suivante : « Au début de chaque exercice, les autorités de la santé déposeraient la part du budget de la santé qui revient à chaque citoyen dans un compte de banque dédié au nom de la personne en question. Chaque titulaire d'un compte pourrait accéder à ces fonds au moyen d'une carte de débit électronique. On ne pourrait effectuer de retrait dans le compte que pour payer des services médicaux. Les événements mineurs et non tragiques exigeant une visite à la clinique ou chez le médecin seraient débités directement, par voie électronique, du compte d'épargne médicale personnel de l'intéressé. Les particuliers souhaitant se mettre à l'abri d'événements catastrophiques pourraient acheter une assurance auprès de compagnies en concurrence. L'argent non dépensé serait reporté sur l'année suivante, et les fonds fructifieraient à l'abri de l'impôt dans le compte du titulaire, toute sa vie durant, jusqu'à ce que ce dernier atteigne un montant prédéterminé suffisant pour créer un flux de revenus suffisants en cas d'urgence médicale future. Les fonds demeureraient la propriété du consommateur ou de sa succession. Les cas particuliers, par exemple qui concernent la petite minorité de personnes dont les fonds s'épuiseraient ou qui ont des besoins particuliers, sont traités à part, grâce à une aide additionnelle du gouvernement. En vertu d'un tel modèle, les consommateurs seraient en mesure de choisir entre une diversité de fournisseurs de services, y compris les centres publics et privés. Le gouvernement renverserait ainsi des décennies d'une politique qui s'est soldée par de grands fournisseurs de services gouvernementaux qui sont inefficients. On reconvertirait les établissements de santé en sociétés de participation aux bénéfices, en sociétés d'assurance et en organismes de bienfaisance comme les Surs grises et l'Armée du salut. » Dans une de ses études sur le sujet, l'Institut Fraser propose un concept de CES adapté au contexte canadien et permettant d'offrir plus efficacement une assurance universelle financée par l'État. Les fonds d'un tel compte appartiendraient au particulier. Le consommateur et le fournisseur de soins seraient alors informés du coût réel des soins de santé et ils seraient encouragés à utiliser le système de façon plus judicieuse. Cette formule nous assurerait que le fournisseur est au service du malade, et non de l'État, d'une institution ou d'un syndicat. Tout comme la formule utilisée à Singapour, qui sera abordée ci−après, ce concept proposé pour le Canada comporterait un compte pour le particulier (l'équivalent du Medisave) et une police d'assurance−catastrophe à franchise élevée (MediShield). Comme nous l'avons déjà vu, selon certains groupes, un tel mécanisme ne conviendrait peut−être pas au système de soins de santé actuel. C'est pourquoi plusieurs croient qu'il faudrait appliquer le principe des 2 comptes d'épargne−santé de façon partielle ou progressive : « On pourrait d'abord envisager l'application des CES dans une sphère limitée, par exemple pour le paiement des services dans des établissements de soins de longue durée, où les bénéficiaires assument déjà eux−mêmes une large part des frais. » Et même si l'on décidait d'intégrer les CES à un système entièrement public, les comptes d'épargne santé favoriseraient la liberté de choix, feraient diminuer la demande de services de santé, et feraient prendre conscience aux citoyens du coût réel des soins de santé en les rendant responsables de leurs propres dépenses. SINGAPOUR À Singapour, 80 % des services de soins de santé primaires sont offerts par le secteur privé. Les polycliniques du gouvernement fournissent quant à elles 20 % des services de soins de santé primaires. Pour ce qui est des soins hospitaliers plus coûteux, la proportion est inversée. Le gouvernement de Singapour encourage le citoyen à adopter une attitude responsable vis−à−vis sa santé et celle de sa famille en épargnant pour ses besoins futures en matière de soins. De plus, le gouvernement fait la promotion d'un mode de vie sain et administre des programmes de santé préventive. Dans le cadre du programme Medisave, tous les travailleurs doivent mettre de côté, chaque mois, 6 à 8 p. 100 de leur salaire dans un compte Medisave (au lieu de le payer en impôt au gouvernement). L'employeur contribue également au compte de l'employé. Ces cotisations sont déductibles d'impôt et rapportent des intérêts. Le montant ainsi épargné peut ensuite être utilisé pour payer les frais d'hospitalisation et certains frais médicaux du détenteur du compte ou d'un membre de sa famille immédiate. MediShield est une police d'assurance−catastrophe à franchise élevé conçu pour aider les personnes à payer pour des services médicaux plus coûteux. En 1994, le gouvernement de Singapour a créé une version améliorée appelée Medishield Plus. Medifund est une mesure de protection qui aide les plus démunis à payer leurs frais médicaux. Le délai d'attente moyen pour subir une opération optionnelle est d'environ une semaine et les patients qui nécessitent une chirurgie urgente seront admis immédiatement. « The Singapore healthcare philosophy emphasises the building of a healthy population through preventive healthcare programmes and the promotion of healthy living. The population is encouraged through the public health education programme to adopt a healthy lifestyle and be responsible for his own health. The public is made aware of the adverse consequences of harmful habits like smoking, alcohol consumption, bad dietary intakes and sedentary lifestyles. » « The Singapore health care delivery system is based on individual responsibility, coupled with Government subsidies to keep basic health care affordable. Patients are expected to pay part of the cost of medical services which they use, and pay more when they demand a higher level of services. The principle of co−payment applies even to the most heavily subsidised wards to avoid the pitfalls of providing "free" medical services. » Comme je l'ai déjà mentionné dans un travail précédent, le temps d'attente moyen pour un examen d'imagerie par résonance magnétique (IRM) est d'une ou deux journée à Singapour, alors qu'au Canada il est d'environ 150 jours. Singapour possède en effet un des meilleurs système de santé au monde selon le classement global des systèmes de santé nationaux de l'OMC. Les six premiers rangs vont à la France, l'Italie, Saint−Marin, Andorre, Malte et Singapour. Le Royaume−Uni se classe 18e, la Suisse, 20e, l'Allemagne, 25e, le Canada, 30e, l'Australie, 32e et les États−Unis, 37e. 3 Selon une étude réalisée en 1996 pour compte du National Center for Policy Analysis des États−Unis, le programme en place à Singapour fait diminuer la demande pour les services de soins de santé et offre une protection en cas d'urgences et contre les abus. Comme l'affirmait M. Romanow dans le rapport final Guidé par nos valeurs : l'avenir des soins de santé au Canada de la Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada, il est peut−être trop tôt pour se prononcer au sujet des CES : « Comme il s'agit d'une approche relativement nouvelle, nous connaissons très peu les répercussions des comptes d'épargne médicale, et les données recueillies jusqu'à ce jour sont contradictoires. Les comptes d'épargne médicale ont été mis en uvre à petite échelle aux États−Unis, ils font l'objet d'une expérience en Chine, ils représentent la moitié du marché de l'assurance privée à but lucratif en Afrique du Sud et ils sont instaurés à l'échelle nationale à Singapour. Il apparaît donc difficile de comparer ces expériences avec la situation canadienne. » C'est pourquoi il serait intéressant de lancer un projet pilote dans quelques régions du Canada. Une telle initiative nous permettrait de savoir quel est l'effet des CES sur le recours aux services de soins de santé, sur l'utilisation des services essentiels comparativement à l'utilisation des services inutiles, sur l'utilisation de la médecine préventive, sur l'état de santé des Canadiens ainsi que sur leurs habitudes de vie et leurs habitudes alimentaires. Ministère de la Santé de Singapour : www.moh.gov.sg Syndicat canadien de la fonction publique : www.scfp.ca/www/HealthCareMedicare/4570 US Office of Personnel Management : www.opm.gov/hsa Cuentas de Ahorro de Salud www.medicarenhic.com/bene/spanish/span_modernact.shtml Syndicat canadien de la fonction publique www.scfp.ca/www/HealthCareMedicare/4570 Ibid. Ibid. Délibérations du Comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie : www.parl.gc.ca/37/1/parlbus/commbus/senate/Com−f/soci−f/30ev−f.htm?Language=F&Parl=37&Ses=1&comm_id=4 Institut Fraser : oldfraser.lexi.net/publications/books/health_reform/section2.html Le comité sénatorial permanent des Affaires sociales, de la science et de la technologie www.parl.gc.ca/37/2/parlbus/commbus/senate/com−f/soci−f/rep−f/repoct02vol6part6−f.htm Enhancing Worker Welfare and Well−being : www.mom.gov.sg/MOM/LRD/Others/Chapter8.1.pdf Ministère de la Santé de Singapour : www.moh.gov.sg Singapore government information : www.moh.gov.sg/corp/systems/our/deliverysys.do Ibid. TWO TIERS NO THREAT Health systems that permit private hospitals and private insurance like those in Singapore and Britain tend to outperform Canada's, The Gazette, le 23 septembre 2002, p. B−23, Cynthia Ramsay : www.iedm.org/library/art133_en.html Medical Savings Accounts: The Singapore Experience, Rapport du National Center for Policy Analysis, 4 avril 1996 : www.ncpa.org/studies/s203/s203.html Rapport final de la Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada (Commission Romanow), 2002 : www.hc−sc.gc.ca/francais/pdf/romanow/CSS_Rapport_final.pdf, p. 29. 5